REYOR Sur la route des Maîtres Maçons




SUR LA ROUTE DES MAÎTRES MAÇONS


Jean Reyor (Marcel Clavelle)


Article paru dans le n° 352 de la revue Le Symbolisme (avril-juin 1961). 


Dans l'article-programme publié en tête du numéro de juillet-septembre 1960, la Direction du Symbolisme annonçait son intention d'accorder « une place de plus en plus importante à la tradition maçonnique en elle-même et dans ses relations avec les traditions occidentales auxquelles elle est unie par de multiples liens ».

C'est bien là « revenir sur la route des Maîtres Maçons ».

Entre les deux guerres, et surtout après la seconde, on a assisté, en France, à un véritable foisonnement de publications relatives aux traditions orientales : traductions de textes anciens, traductions d'œuvres d'Orientaux modernes, exposés dus à des Occidentaux avant eu des contacts plus ou moins directs avec des enseignements orientaux. Ces productions étaient de valeur très inégale : il y avait là de l'excellent, du moins bon et du franchement mauvais. Ce n'est sans doute pas le meilleur qui a obtenu la plus large audience. Il fallait s'y attendre.

Ce qu'il y avait de meilleur dans ces publications ne présentait pas l'étude des doctrines orientales comme une fin en soi, mais comme un moyen pour les Occidentaux de mieux comprendre leurs propres traditions. En effet, pour des motifs qu'il ne saurait être question de développer ici, il se trouve que la partie métaphysique de la doctrine traditionnelle est plus accessible et plus clairement exposée dans les traditions orientales que dans celles de l'Occident, de sorte qu'un usage prudent de l'analogie, accompagné d'une certaine connaissance des doctrines orientales, permet de retrouver le sens le plus profond des dogmes religieux et des symboles de l'Occident, si l'on admet l'unité et l'identité fondamentales des traditions.

Dans les œuvres auxquelles nous pensons, l'accent étant mis sur la nécessité d'un rattachement initiatique, un nombre appréciable d'étudiants des doctrines orientales sont allés vers la Maçonnerie. Ce n'est pas porter un jugement, c'est énoncer une simple constatation de fait : la Maçonnerie moderne ne possède – et par conséquent ne peut transmettre – aucun enseignement métaphysique ou cosmologique explicite. Sans doute, on recommande aux Maçons de méditer sur les symboles, mais, faute d'une direction doctrinale, la porte reste ouverte à toutes les interprétations individuelles, sans qu'on puisse se flatter d'être garanti contre l'erreur ou la déviation. Alors, parmi les Maçons venus en Loge par la voie que nous venons de dire, certains se sont découragés et ont abandonné plus ou moins rapidement la pratique des rites maçonniques ; d'autres y sont demeurés attachés, tout en continuant à se nourrir intellectuellement de Vêdanta, de Bouddhisme Zen, ou de telle autre doctrine orientale. C'est surtout pour ces deux catégories de Maçons que nous écrivons ici.

Nous nous permettrons de dire aux premiers : le problème de la réalisation spirituelle ne se résout pas en « attrapant » une initiation quelconque et en se retirant chez soi pour méditer une doctrine étrangère, surtout quand il s'agit d'une initiation qui ne comporte, dans son état actuel, que des rites collectifs. Aux seconds, nous dirons : toute réalisation spirituelle implique unification des puissances de l'être, c'est-à-dire unification de la vie rituelle, de la vie affective et de la vie intellectuelle qui doivent se développer dans le cadre de la forme d'initiation à laquelle on appartient. On ne peut bénéficier d'une transmission initiatique que dans la mesure où on est intégré au courant traditionnel qui la véhicule et qui doit être, sur tous les plans, le milieu vital de l'individu.

Il est évident que la Maçonnerie – et, plus précisément, le courant maçonnique parvenu aux Européens d'Europe occidentale – n'a rien à voir avec l'Hindouisme, le Bouddhisme et le Taoisme, pas plus qu'avec les traditions des Indiens d'Amérique ou avec celles de l'Afrique Noire. L'aire géographique de la Maçonnerie, c'est, en gros, le monde de la Bible, ou ce qu'on appelle encore « le monde connu des Anciens », en somme le bassin méditerranéen, avec des prolongements plus ou moins avancés, au nord, dans le continent européen (1). Les traditions auxquelles la Maçonnerie est « unie par de multiples liens », sont donc, parmi les traditions vivantes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, et, parmi les traditions aujourd'hui éteintes, les traditions égyptienne, gréco-latine et celtique. Cela représente un domaine d'études déjà fort étendu, trop étendu pour que chaque Maçon en puisse acquérir une connaissance un peu approfondie. Mais on peut remarquer que toutes ces traditions ne présentent pas un égal intérêt pour la Maçonnerie, et aussi, que certaines d'entre elles n'ont laissé que des vestiges, des monuments ou des textes dont l'interprétation demeure conjecturale, de sorte qu'on ne peut trop compter sur celles-ci pour comprendre la Maçonnerie, car cela reviendrait à prétendre éclairer ce qui est obscur à l'aide de ce qui l'est davantage encore (2).

Si on admet que toutes les sciences et tous les arts ont eu une origine traditionnelle et ont servi de support de réalisation spirituelle, on peut dire que l'origine de la Maçonnerie se perd dans la nuit des temps et remonte au début même de l'art de construire. C'est ce que veulent dire les légendes selon lesquelles « Adam enseigna à ses fils la géométrie et son usage dans la série des arts et pratiques qui suffisaient à ces temps anciens » (3). Que cette initiation ait subi, dans sa forme, au cours des âges et selon les peuples, des adaptations et réadaptations diverses, opérées par des prophètes, des envoyés ou quelque autre autorité spirituelle, c'est l'évidence même. Ce que nous savons de science certaine, c'est que le courant d'initiation dont la Maçonnerie actuelle tient sa filiation a été intégré au Christianisme et, plus précisément, en ce qui concerne l'Europe occidentale, à l'ésotérisme catholique. Les Constructeurs dont procède l'Organisation dénommée Franc-Maçonnerie, étaient Catholiques, les Old Charges l'attestent. Le Maçon, dans la Chrétienté latine du moyen-âge, était d'abord – avant d'être Maçon – un catholique. Comme un ésotérisme, par définition, ne peut être en désaccord avec l'exotérisme auquel il se superpose, l'enseignement initiatique, dans la Maçonnerie, ne pouvait mener qu'à un approfondissement du dogme, des rites et des symboles catholiques.

Le Maçon, avons-nous dit, était un catholique. Un catholique comme les autres ? En un sens, oui, puisqu'il participait au même titre que tous les fidèles à l'enseignement et aux sacrements de l'Eglise. En un autre sens, c'était évidemment un catholique « pas comme les autres », et ses contemporains en avaient peut-être plus ou moins confusément conscience.

A-t-on suffisamment remarqué que les légendes populaires font intervenir fréquemment les démons dans la construction ou la décoration de nombreux édifices ? C'est un démon qui apporta les quatre colonnes de marbre blanc qui ornent (ou ornaient ?) la chapelle supérieure du burg de Nüremberg édifiée au IIIe siècle ; ce sont des démons qui étaient supposés avoir bâti la « Muraille du diable » qui séparait jadis l'Ecosse de l'Angleterre, et ce sont des dénions aussi qui ont édifié le mur qui entoure le château de Vizille, résidence des présidents de la République. Ce sont eux, également, qui ont construit tant de ponts à travers l'Europe, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en France ; les ponts de Beaugency, de Pont-de-l'Arche, d'Orthez, le fameux pont de Valentré à Cahors. C'étaient eux encore qui avaient ciselé les ferrures des quatre portes des deux portails de droite et de gauche de Notre-Dame de Paris, remplacés vers 1860, par Viollet le Duc, par des copies plus ou moins fidèles auxquelles le diable n'a pas collaboré ! (4).

Qu'est-ce à dire ? Sinon que, dans l'imagination populaire, les constructeurs étaient considérés comme détenteurs de connaissances et de pouvoirs secrets, supérieurs à ceux du commun des mortels ? Car leur activité n'ayant pas un caractère maléfique, bien au contraire, leurs « pouvoirs » ne pouvaient relever de la sorcellerie.

Mais comment aurait-on pu douter de ces pouvoirs puisque les Maçons, comme les Compagnons Tailleurs de Pierre du Devoir de Liberté, sont « enfants de Salomon » et les héritiers « de ces étrangers que le grand roi dénombra pour la construction du temple de Jérusalem » ? Comment supposer que les Constructeurs n'aient pas reçu quelques bribes de la science universelle qui faisait de Salomon le détenteur de tous les secrets du monde corporel, du monde subtil et du monde spirituel et le maître des esprits célestes et infernaux ?

Et c'est bien, en effet, à Salomon et au Temple de Jérusalem que la légende maçonnique fait remonter l'origine de l'Ordre.

Certains auteurs ont pensé que cette origine, et plus généralement les éléments bibliques de la Maçonnerie, étaient d'introduction récente et remontaient à la « Conspiration des Pasteurs », de 1717-1723. On a fait état, dans ce sens, de la modernité du grade de Maître, qui est celui où se trouvent les références explicites à la construction du temple de Jérusalem. Sur ce dernier point, nous dirons simplement qu'en l'état actuel de la documentation, il ne nous paraît pas possible de dire s'il y a eu un grade nouveau ajouté à une certaine époque, et dans ce cas si ce grade est celui que nous tenons aujourd'hui pour celui de Maître ou pour celui de Compagnon ; ou bien s'il y a eu un grade unique dédoublé en ceux de Compagnon et de Maître. Il reste que les références bibliques « même si on admet la modernité du grade de Maître actuel » sont assez nettement attestées par les deux colonnes Jakin et Booz qui figurent dès le grade d'Apprenti, et par le mot de passe du grade de Compagnon.

Il y a plus. H. F. Marcy remarque que nous ne connaissons pas le texte de l'ancien rituel d'initiation qui, sans doute, n'était pas écrit, mais que tout Maçon devait savoir par cœur. Tout ce qu'on sait de positif, c'est qu'on y transmettait au moins un « mot » et un « signe » secrets. Or, une des rares précisions que nous ayons à ce sujet avant 1717, nous est donnée par Robert Kirk, ministre à Aberfoill, qui écrit en 1691 : « Le mot de Maçon est un mystère dont je ne veux pas cacher le peu que je sais. C'est une espèce de tradition rabbinique, une sorte de commentaire sur Jakin et Booz, les deux colonnes érigées clans le temple de Salomon, avec l'adjonction de certain signe secret transmis de main à main, au moyen duquel ils se reconnaissent et deviennent familiers entre eux » (5).

Ainsi, le fameux « mot » ne serait pas seulement un « mot de passe » ou un » mot sacré », mais un « commentaire » qui serait « une tradition rabbinique s. Il nous semble difficile que l'auteur ait inventé cela. Il avait donc entendu parler d'un enseignement – si sommaire qu'on veuille le supposer – qui était d'origine ou de forme hébraïque.

Cela est d'ailleurs tout naturel, si on veut bien se rappeler que les rares rituels antérieurs à 1717 qu'on a pu retrouver nous apprennent que les travaux étaient ouverts par une invocation à un Nom divin hébreu entièrement étranger à la liturgie. Voici la traduction du texte d'une « prière » approuvée le 30 novembre 1663 par l'Assemblée générale de Wakefield :

« Très Saint et glorieux El Shaddaï, Grand Architecte du Ciel et de la Terre, Donateur de tous les dons et de toutes les grâces, qui a promis que, lorsque deux ou trois seraient assemblés en Ton Nom Tu serais au milieu d'eux ; en Ton Nom, nous nous assemblons et réunissons, Te suppliant très humblement de nous bénir dans toutes nos entreprises ; de nous donner Ton Esprit Saint, afin d'illuminer nos esprits de Sagesse, et l'Intelligence de Notre Vénérable et Digne Métier, afin que nous puissions Te connaître et Te servir comme il convient et que toutes nos actions puissent tendre vers Ta Gloire et le salut de nos âmes » (6).

Et selon un rituel d'Ouverture des Travaux au 1er degré, traduit dans le numéro du 16 octobre 1913 de la revue La France anti-maçonnique, où se retrouve la prière ci-dessus. nous voyons que la Loge était ouverte « au Nom du Roi Salomon » (7).

Il peut paraître étrange à nos contemporains que des chrétiens – des catholiques – aient fait un usage rituel de mots hébreux et de Noms divins hébreux, mais il ne faut pas perdre de vue que, si les chrétiens disposent de plusieurs langues liturgiques, ils ne disposent que d'une langue sacrée qui est l'hébreu, et que celle-ci, à peu près disparue de la liturgie dans la chrétienté latine, est demeurée en usage dans divers courants d'ésotérisme chrétien, sous forme parlée et sous forme écrite, et que les caractères de l'hébreu carré n'ont jamais cessé d'être utilisés comme symboles visuels, ainsi que nous l'avons vu dans un précédent article (8).

Et c'est ainsi qu'on trouve des traces de cet usage chez d'autres artisans que les Maçons, notamment chez des peintres du moyen-âge et du début de la Renaissance. L'érudit F. de Mély, dans ses travaux destinés à détruire la légende romantique de l'ignorance et de l'anonymat des Primitifs, a été amené à constater que certaines œuvres du XVème sont signées et parfois datées... mais en caractères hébraïques. Telles sont, par exemple, au Musée du Louvre, la vierge dite Vierge Bancel (du nom du donateur) peinte par Jean Perréal en 1490 et la Madeleine du rétable de Roger van der Weyden (9).

On peut encore signaler, dans le même ordre d'idées, l'inscription en hébreu et en latin de la cloche de Domeringen (10). Elle vaut la peine d'être reproduite :

      EL ELOHIM . ELOE . SABAOTH . ELYON ESE REIE . ADONAY
      IA TET GRAMMATON SADDAY . XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPRAT.

On a là, transcrite en caractères latins, une liste des dix principaux Noms divins hébraïques qu'on reconnaît aisément (ESEREIE pour ASHER EHIEH) et huit d'entre eux sont étrangers à la liturgie catholique, où on ne trouve qu'Adonaï et Tsabaoth. De plus, il est à noter que le Nom Ineffable, qui ne doit pas être prononcé, n'est pas transcrit ici par Jehovah, comme c'était l'usage constant chez les exotéristes chrétiens (les érudits, aujourd'hui, le transcrivent Yahveh, ce qui n'est pas plus justifié), mais qu'il est remplacé par Tetragrammaton, comme l'ont fait généralement les kabbalistes chrétiens respectueux de l'interdiction traditionnelle.

Est-il concevable que les Maçons aient utilisé rituellement des mots hébreux et des Noms divins hébreux, que des peintres aient signé leurs œuvres en caractères hébraïques, que d'autres artisans aient gravé une liste de Noms divins hébreux, tout cela sans que les uns et les autres comprennent ce qu'ils faisaient, et sans que cela signifie que l'hébreu a eu un usage en rapport avec l'enseignement et les méthodes des initiations artisanales ? Et, dans l'ordre de la connaissance, à quoi l'hébreu pouvait-il servir, sinon à scruter le texte original de l'Ancien Testament à l'aide des méthodes de l'ésotérisme ? Car les traductions grecques et latines et les versions en langue moderne, suffisantes pour ce qui est de la foi et des mœurs, ne peuvent livrer que le sens littéral.

Nous entendons bien que tous les membres des organisations artisanales n'étaient pas des hébraïsants distingués – il suffisait que quelques-uns le fussent (11). Nous entendons bien que la plupart, sans doute, ne savaient « ni lire ni écrire », surtout l'hébreu, mais beaucoup, sans doute, pouvaient « épeler » et, si on leur « donnait la première lettre », étaient en mesure de « donner la seconde », et finalement de retenir des « mots » et des formules rituelles (12).

A défaut de recevoir, par transmission orale ou écrite, un enseignement métaphysique et cosmologique explicite, on voit assez bien dans quelle direction doit chercher le Maçon d'aujourd'hui, s'il se propose de retrouver doctrine et méthode. La prière maçonnique de 1663, comme l'inscription de la cloche de Domeringen, nous semblent significatives : d'une part, l'assimilation évidente du Christ au Nom divin El Shaddaï (13), d'autre part, une liste de Noms divins conservés sous leur forme hébraïque, et suivie de la triple acclamation au Christ. Cela est caractéristique du courant d'ésotérisme qu'on peut appeler Kabbale chrétienne.

C'est en orientant ses études dans cette direction que le Maçon d'aujourd'hui a quelque chance de réaliser l'unité entre sa vie intellectuelle et sa vie rituelle. Et nous ajouterons : de trouver une méthode d'étude dont les résultats sont susceptibles de dépasser le domaine de la connaissance théorique.

Expliquons-nous.

Le travail proprement initiatique, dans la Maçonnerie moderne, se réduit à l'ouverture et à la fermeture des travaux. Il est certain que, primitivement, l'intervalle entre ces deux opérations rituelles devait être occupé par quelque chose dont la nature exacte est ignorée aujourd'hui – bien qu'il soit possible de faire à ce sujet quelques conjectures, par analogie avec d'autres formes d'initiation – mais dont on peut assurer qu'il ne s'agissait pas de discours sur les sujets les plus divers. Tout ce qu'il est sans doute possible d'envisager dans l'état présent des choses est de consacrer les Tenues à des études sur le symbolisme, le rituel et le courant traditionnel judéo-chrétien dont relèvent en Occident les initiations de Constructeurs. On conçoit cependant qu'un travail initiatique ne peut se limiter à la participation, une ou deux fois par mois, au rituel d'ouverture et de fermeture et à l'audition d'un exposé, si savant soit-il. De fait, sauf dans la Maçonnerie moderne, il existe partout un travail individuel quotidien. Chez les Constructeurs, il y a lieu de penser que ce travail se confondait, en partie du moins, avec le travail professionnel envisagé symboliquement. C'est là une impossibilité pour les Maçons modernes qui exercent les métiers les plus divers, dont la plupart n'ont aucun caractère traditionnel et, par suite, ne peuvent servir de support à la réalisation spirituelle.

Mais le Maçon qui désirera pousser ses études au delà d'une connaissance superficielle, dans la direction que nous avons indiquée, s'apercevra qu'elle nécessite une certaine connaissance de l'hébreu. A partir de ce moment, lui sera ouverte la possibilité du contact direct avec le Livre dans son texte même, le contact avec la langue sacrée, avec l'écriture sacrée. Le maniement de cette écriture et de cette langue revêt le caractère d'un acte rituel lorsqu'il s'effectue avec l'intention droite, nous voulons dire avec le désir respectueux de s'approcher des mystères, et non avec l'attitude critique de l'exégète et de l'historien des religions.

En effet, comme on l'a dit, les lettres hébraïques ne sont pas comme les autres : elles sont « vivantes » (14). Elles sont vivantes, parce qu'étant la forme et « le corps » de la Révélation, elles conservent en elles l'influence spirituelle et sa vertu transformante. Et, étant vivantes, elles « agissent », elles purifient et instruisent « par le c–ur » celui qui, ayant reçu l'une des initiations issues du tronc hébraïque, médite sur elles avec respect et amour. Les lettres saintes sont une « incorporation » du Verbe (15), de Celui par qui toutes choses ont été faites, en qui est la Vie, en qui est la Lumière des hommes, cette Lumière que les anciens Maçons entrevoyaient flans les opérations de la Loge de Saint-Jean.

Peut-être se vérifiera ainsi, pour quelques Maçons, ce qu'écrivait Paul Vulliaud – qui certes ne pensait pas à eux – : « Fichte affirmait un jour que nous serions sauvés par la métaphysique. En un sens, c'est la vérité. Mais la grammaire hébraïque est capable de rendre ce salut plus rapide » (16).


NOTES

(1)  Au point de vue qui nous occupe ici, l'Amérique est un simple prolongement du monde européen.

(2)  En ce qui concerne l'Islam, il est trop évident, comme on le verra plus loin, qu'il n'a rien à voir avec la Maçonnerie, ce qui n'exclut pas qu'i1 possède ou ait possédé ses propres initiations artisanales. Les rapports qui ont vraisemblablement existé entre Constructeurs chrétiens et éléments musulmans, sont de l'ordre des relations qui peuvent s'établir, de façon plus ou moins épisodique, entre initiés relevant de formes traditionnelles différentes qui se trouvent en contact par la proximité des aires géographiques où se sont répandues ces formes traditionnelles.

(3)  Cf. la partie « historique » des Constitutions de 1723.

(4)  Cf. Grillot de Givry : Le Musée des Sorciers, Mages et Alchimistes, pp. 149-154.

(5)  H. F. Marcy : Essai sur l'origine de la Franc-Maçonnerie et l'histoire du Grand Orient de France, tome II, pp. 9-10.

(6)  Cf. The Speculative Mason, 1956-1957, N°1-2.

(7)  Ce rituel nous avait été signalé par René Guénon qui, croyons-nous, en avait effectué la traduction française.

(8)  Louis Charbonneau-Lassay et l'Esotérisme catholique, dans le numéro de janvier-mars 1961 du Symbolisme.

(9)  F. de Mély : Signatures de Primitifs, dans la Revue Archéologique, 1918, pp. 92-112.

(10)  F. de Mély : Signatures de Primitifs, dans la Revue Archéologique, 1918, pp. 92-112.

(11)  La connaissance de l'hébreu était, dès le moyen-âge, beaucoup plus répandue dans la Chrétienté latine qu'on ne l'imagine habituellement. Dans le tome Ier de l'Histoire du peuple français, qui s'arrête en 1380, Mme Régine Pernoud observe, à propos de l'éducation des filles, que, dans certains couvents, l'éducation comportait, non seulement le latin et le grec, mais l'hébreu. La Bibliothèque nationale possède d'ailleurs un glossaire hébreu-français rédigé en 1249. Enfin, dans sa constitution De Magistris, Clément V ordonne « qu'il y ait dans les Universités de Paris, d'Oxford, de Bologne et de Salamanque, des savants catholiques ayant une connaissance suffisante des langues hébraïque, grecque, arabe et chaldéenne ». Et, comme le dit F. de Mély, n'était-ce pas avec des lettrés que vivaient les artistes ? Les études hébraïques et la connaissance de la kabbale n'ont certes pas commencé à la Renaissance pour les savants et les ésotéristes chrétiens.

(12)  La formule maçonnique à laquelle nous faisons allusion ici est susceptible de plusieurs applications. Elle se réfère notamment à une méthode d'enseignement initiatique en usage dans des organisations occidentales comme dans le taoïsme. L'instructeur fournit au disciple certaines indications, volontairement incomplètes, à l'aide desquelles celui-ci doit, par lui-même, découvrir certains secrets techniques ou la solution de questions d'ordre métaphysique ou cosmologique. C'est seulement quand le disciple a fait la preuve de sa perspicacité ou de son intuition qu'on lui communique d'autres enseignements.

(13)  Nous avons, ailleurs, traité assez longuement de ce Nom divin. Cf. la revue Etudes Traditionnelles, N° de janvier-février et de mars 1954, de juin 1956 et d'août-septembre-octobre 1958.

(14)  « Il n'en est pas des lettres hébreues comme de celles des autres langues, car elles sont vivantes » (Samuel Arkevolti, cité par P. Vulliaud en épigraphe du chapitre V de la Kabbale juive). Il faut préciser que le privilège attribué ici aux lettres hébraïques n'en est un que dans les limites du monde judéo-chrétien. Les lettres arabes, par exemple, ont le même caractère.

(15)  C'est ce qui permet de décrire la formation du monde comme étant effectuée par les lettres, ainsi qu'on le voit dans le Sepher Ietsirah.

(16)  Paul Vulliaud : La clé traditionnelle des Evangiles, p. 177.



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