LE LIVRE DE L'APPRENTI
(Deuxième partie - Symbolisme)
Oswald Wirth
"La franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes"
TABLE DES CHAPITRES (Deuxième partie - Symbolisme)
L’INITIATION MAÇONNIQUE
Les Trois Grades
Les Métaux
Le Cabinet de Réflexion
Le Sel et le Soufre
Le Testament
Préparation du Récipiendaire
La Porte du Temple
Premier Voyage
Deuxième Voyage
Troisième Voyage
Le Calice d'Amertume
La Bienfaisance
La Lumière
Le Tablier
Les Gants
Restitution des Métaux
CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES SE RATTACHANT AU RITUÉLISME DU GRADE D'APPRENTI
Les Traditions
La Régénération
La Genèse individuelle
Les Épreuves
DEVOIRS DE L'APPRENTI-MAÇON
Devoirs généraux de l'Initié
Discrétion maçonnique
Secret
Tolérance
Recherche du Vrai
Réalisation
Fraternité initiatique
Respect de la loi
CATÉCHISME INTERPRÉTATIF DU GRADE D'APPRENTI
PREMIERS ÉLÉMENTS DE PHILOSOPHIE INITIATIQUE
Les Mystères
L’Ésotérisme
Les Nombres
L'Unité
Le Binaire
Le Ternaire
Les Trilogies
Le Quaternaire
Le Temple
*
* *
L’INITIATION MAÇONNIQUE
Les Trois Grades
La F∴ M∴ vise à former des Initiés, c'est-à-dire des hommes dans la plus haute acception du mot. Elle s'attache à développer l'individu, en lui enseignant à conquérir les plus nobles prérogatives de la nature humaine. D'un être ignorant et grossier, elle fait un penseur et un sage.
Mais une pareille transformation ne saurait s'accomplir d'emblée : elle exige un travail soutenu, qui s'accomplit en trois phases.
Il s'agit, en premier lieu, de procéder à une sorte de décrassement intellectuel et moral, ayant pour but de débarrasser l'esprit de tout ce qui empêche la lumière de parvenir jusqu'à lui. De là les purifications que doit subir l'Apprenti ; elles le conduisent à voir la lumière.
Mais il ne faut pas se contenter de reconnaître simplement la vérité. Il importe surtout d'agir conformément à la raison. C'est le moyen d'attirer la lumière à soi, afin de s'en imprégner totalement. Le symbolisme du grade de Compagnon se rapporte à cette illumination propre au véritable Initié.
L'homme pleinement éclairé, qui a réussi à se saturer de lumière, devient à son tour un foyer lumineux. Il rayonne, il éclaire les autres, et se trouve par ce fait revêtu de la dignité de Maître.
De cette création de l’homme par lui-même naît l'homme perfectionné, ou le Fils de l'Homme de l'Evangile. Le travail de ce perfectionnement est représenté par le Grand Œuvre des philosophes hermétiques. Le Maçon doit donc opérer sur lui-même une transmutation semblable à celle des alchimistes. L'or est le symbole de ce qui est parfait. Il incombe à l’Apprenti d'accomplir la partie de l'Œuvre des Philosophes : le rituel du grade lui trace un programme fidèle des opérations à effectuer dans ce but.
Les Métaux
Le profane, qui se présente pour être admis dans la F∴ M∴ est tout d'abord introduit dans un lieu retiré, ou on l'invite à se dépouiller de tous les objets métalliques qu'il peut porter sur lui : monnaie, bijoux, armes, décorations, etc., tout doit être remis au F∴ Préparateur.
Les métaux représentent, en cela, tout ce qui brille d'un éclat trompeur. Lorsque l'esprit est inexpérimenté, il se laisse facilement séduire par les notions fausses communément admises. Le penseur doit se défier des opinions reçues. La monnaie courante des préjugés vulgaires constitue une richesse illusoire, que le sage doit apprendre à mépriser. Il faut se faire pauvre en esprit, si l'on veut entrer dans le Royaume des Cieux, c’est-à-dire si l'on veut être initié et parvenir à concevoir la vérité. On est plus près de celle-ci lorsqu'on ne sait rien, que lorsqu'on reste attaché à des erreurs. Mieux vaut ne rien posséder, plutôt que d'avoir des dettes.
L'homme qui aspire à être libre doit apprendre, d'ailleurs, à se détacher des choses futiles. Les anciens sages méprisaient le luxe. La raison leur prescrivait de réduire leurs besoins au strict nécessaire et de chercher la richesse dans l'absence de désirs immodérés. Qui vit content de rien possède toute chose.
L'Initié, cependant, n'est pas astreint à faire vœu de pauvreté. Il doit simplement se souvenir que la cupidité est le pivot de tous les vices antisociaux : c'est le grand élément de désordre, que les anciennes cosmogonies représentent sous la figure d'un serpent : L'ambition individuelle provoque la rupture de l'harmonie générale : elle fait chasser l'humanité de l'Éden, elle détruit l'Age d'Or.
Le penseur doit se placer lui-même dans les conditions de pureté et d'innocence qu'on attribue à l'état de nature.
C'est en revenant à la simplicité du plus jeune âge qu'on réalise les conditions les plus favorables à la recherche désintéressée du vrai.
Le Cabinet de Réflexion
Les
Emblèmes du Cabinet de réflexion. Rentrons en nous-mêmes, approfondissons,
faisons abstraction des apparences extérieures, et pénétrons jusqu'au
squelette de la réalité dépouillée de tout décor séducteur. Quand Saturne
ainsi aura fait son œuvre, le Coq de Mercure éveillera notre intelligence,
ouverte désormais aux vérités initiatiques. |
Pour apprendre à penser, il faut s'exercer à s'isoler et à s'abstraire. On y parvient en rentrant en soi-même, en regardant au dedans, sans se laisser distraire par ce qui se passe au dehors.
Les anciens ont comparé cette opération à une descente aux enfers. Il s'agit, pour le penseur de pénétrer jusqu'au centre des choses, afin de parvenir à en connaître l'essence intime. L'esprit doit s'emprisonner dans les entrailles de la terre, où ne s'infiltre aucun rayon du jour extérieur (par les notions que nous fournissent les sens).
Au sein de ces ténèbres absolues, la lampe de la raison éclaire seule des fragments de squelette, qui semblent évoquer des spectres.
Ces débris d'ossements figurent la réalité, telle qu'elle apparaît dépouillée de son décor sensible. C'est la vérité brutale, privée du voile des illusions, la vérité toute nue, qui se cache au fond d'un puits.
Ce puits, qui aboutit au centre du monde, c'est l'intérieur de l'homme. Il y est fait allusion dans le mot VITRIOL, dont l'interprétation était un grand secret parmi les alchimistes. Les lettres dont il se compose leur rappelaient la formule : Visita Interiora Terræ, Rectificando Invenies Occultum Lapidem (Visite l'intérieur de la terre et, en rectifiant [par des purifications], tu trouveras la Pierre cachée des Sages).
Cette Pierre, la fameuse Pierre Philosophale, n'est autre chose que la Pierre cubique des Francs-Maçons. C'est la base de certitude que chacun doit chercher en lui-même, afin de posséder la pierre angulaire (le noyau de cristallisation) de la construction intellectuelle et morale qui constitue le Grand Œuvre.
Dans les mystères de Cérès à Éleusis, le Récipiendaire représentait la graine enfouie dans le sol. Elle y subit la putréfaction, afin de donner naissance à la plante virtuellement renfermée dans le germe. Le profane soumis à l'épreuve de la Terre est pareillement appelé à mettre en jeu les énergies latentes qu'il porte en lui-même. L'initiation a pour but de favoriser la pleine expansion de son individualité.
L'in-pace du futur initié renferme un pain et une cruche d'eau. C'est la réserve alimentaire qui, dans le fruit et dans l'œuf, sert à nourrir le germe en voie de développement. Le sage doit apprendre à se contenter du nécessaire, sans se rendre esclave du superflu.
Les murs du caveau portent des inscriptions telles que les suivantes : "Si la curiosité t'a conduit ici, va-t'en !"
Si tu crains d'être éclairé sur tes défauts, tu seras mal parmi nous. Si tu es capable de dissimulation, tremble, on te pénétrera.
Si tu tiens aux distinctions humaines, sors, on n'en connaît point ici ! Si ton âme a senti l'effroi, ne va pas plus loin !
Si tu persévères, tu seras purifié par les éléments, tu sortiras de l'abîme des ténèbres, tu verras la Lumière !
Ces sentences sont groupées autour d'un Coq et d'un Sablier, emblèmes peints qu'accompagnent les mots : Vigilance (sur les actions), Persévérance (dans le bien).
Le Sablier est un attribut de Saturne, le Temps, qui s'écoule en dissolvant les formes transitoires (putréfaction — couleur noire des Alchimistes).
Le Coq fait allusion au réveil des forces endormies. Il annonce la fin de la nuit et le triomphe prochain de la lumière sur les ténèbres.
Le Sel et le Soufre
Le Rituel prescrit de placer devant le Récipiendaire deux vases contenant l'un du Sel et l'autre du Soufre. Cette pratique ne peut se justifier que par la théorie des trois principes alchimiques : Soufre, Mercure et Sel.
Le Soufre correspond à l'énergie expansive qui part du centre de tout être (Colonne J∴). Son action s'oppose à celle du Mercure, qui pénètre toutes choses par une influence venant de l'extérieur (Colonne B∴). Ces deux forces antagonistes s'équilibrent dans le Sel, principe de cristallisation, qui représente la partie stable de l'Être.
Le penseur ne peut se recueillir qu'en s'isolant des influences mercurielles. C'est pourquoi, dans la chambre des réflexions, le Soufre, principe d'initiative et d'action personnelle, doit seul agir sur le Sel, symbole de tout ce qui, au point de vue intellectuel, moral et physique, constitue l'essence même de la personnalité.
Le Testament
Les emblèmes funèbres du cabinet de réflexion doivent rappeler la fin nécessaire des choses, la fragilité de la Vie humaine et de la vanité dus ambitions terrestres. Le Profane, après s'être suffisamment absorbé dans cet ordre d'idées, et s’être suffisamment absorbé dans cet ordre d’idées, est invité à répondre par écrit à trois questions, portant sur les devoirs de l'homme envers Dieu, envers lui-même et envers ses semblables.
Cette division ternaire de toutes nos obligations morales est basée sur les trois principes alchimiques dont il vient d'être question.
Dieu est ici l'Idéal que l'homme porte en lui-même : c'est la conception qu'il peut avoir du Vrai, du Juste et du Beau, c'est le guide suprême de ses actions, l'Architecte qui préside à la construction de son être moral. — Il ne s'agit point là de l'idole monstrueuse que la superstition se forge sur le modèle des despotes terrestres. La divinité est représentée dans l'homme par ce qu'il y a en lui de plus noble, de plus généreux et de plus pur. Nous portons en nous un Dieu qui est notre principe pensant. De lui émanent la raison et l'intelligence, choses intérieures, que les hermétistes rapportaient au Soufre. (Le soleil occulte qui brille dans le Séjour des morts — Osiris — Sérapis — Pluton — la Colonne J∴, centre d'initiative et d'action expansive.)
Les devoirs envers soi-même sont relatifs au Sel, essence de la personnalité, et les devoirs envers ses semblables au Mercure, qui figure l'influence pénétrante du milieu ambiant. Or, tout est nécessairement compris dans la réunion du contenu (Soufre) du contenant (Sel) et de l'ambiance (Mercure). Les trois questions posées embrassent donc tout le domaine de la morale universelle. Les ayant résolues, le penseur ne doit pas s'en tenir à la théorie. Renonçant à toutes les faiblesses du passé, il lui incombe de mourir à la vie profane, pour renaître à un mode supérieur d'existence. — Le Récipiendaire se prépare à cette mort symbolique en rédigeant son testament, acte dans lequel il consigne les volontés, qui deviendront exécutoires pour le futur Initié.
Préparation du Récipiendaire
La plante qui perce la surface du sol abandonne dans la terre les écorces qui protégeaient la graine. L'enfant, à sa naissance se dépouille de même des enveloppes qui contenaient le fœtus. Par analogie, le Profane ne sort de la chambre des réflexions qu'en y laissant quelques-uns de ses vêtements.
Il se trouve alors le cœur à découvert, le genou droit mis à nu et le pied gauche déchaussé.
On lui découvre le sein gauche, pour marquer qu'aucune restriction égoïste ne doit isoler le Maçon du reste de ses frères.
Le genou droit est mis à nu, pour indiquer les sentiments de piété philosophique qui doivent présider à la recherche de la Vérité.
Quant au pied sans chaussure, il rappelle l'usage des Orientaux, qui se déchaussent avant de fouler le sol d'une enceinte sacrée. C'est en outre un symbole qui se retrouve dans la légende de Jason. Ce héros, ayant rencontré sur le bord d'une rivière une vieille femme désireuse de passer l'eau, n'hésite pas à la prendre sur ses épaules, puis à la déposer sur la rive opposée. — On imagine la surprise du jeune homme, qui voit alors l'aïeule aux traits fanés reprendre subitement l'aspect majestueux de Junon, la reine du ciel. En récompense de sa bonne action, la déesse lui promet de le protéger dans toutes ses entreprises. Jason avait perdu l’une de ses sandales dans le lit de la rivière, mais, ravi de son aventure, il n'y prend pas garde et entre dans la ville voisine avec un pied nu. Or, un oracle avait averti Pélias, le roi du pays, de se méfier d'un homme qui n'aurait qu'une chaussure. Inquiet à la vue de Jason, il lui demande : « Que ferais-tu d'un citoyen qu'une prédiction t'aurait dénoncé comme devant attenter à ta vie ?» « Je l'enverrais chercher la Toison d'or » répondit Jason, prononçant ainsi son propre arrêt. — La perte d'une chaussure devint donc la cause de l'expédition des Argonautes. — Il appartient aux esprits réfléchis de chercher le sens profondément initiatique de ce mythe.
La Porte du Temple
Privé de ses métaux, dépouillé d'une partie de ses vêtements et les yeux couverts d'un épais bandeau, le Profane est admis à frapper à la porte du sanctuaire. Ses coups retentissent d'une manière désordonnée et viennent troubler les travaux intérieurs. Interrogé, il manifeste son intention d'être reçu Maçon et fait constater qu'il est né libre et de bonnes mœurs.
Cette constatation lui fait accorder l'entrée du Temple. La porte s'ouvre avec fracas et, pour franchir le seuil, le Profane se courbe jusqu'à terre.
Dans l'antiquité, on obligeait le Récipiendaire à ramper à travers un conduit resserré, à l'imitation de l'enfant qui vient au monde. (Le cabinet de réflexion figure la matrice où se développe le germe. L’enfant y laisse les membranes qui la contenaient, puis il vient au monde à la suite d'un suprême effort. Il est retenu par le cordon ombilical, que rappelle la corde, qui dans les loges anglaises est pendue au cou du Récipiendaire.)
Dans les initiations modernes, on veut surtout faire comprendre que toute science vraie est fille de l'humilité. L'ignorant présomptueux croit tout savoir et n'éprouve aucun besoin de s'instruire. On réalise donc un premier progrès en se rendant compte qu'on ne sait rien. Quantité de Maçons s'imaginent connaître la Maçonnerie, alors qu'ils ne soupçonnent même pas l'existence de ses mystères et de son ésotérisme. Ceux-là n'ont pas su s'incliner en pénétrant dans le sanctuaire, où ils se comportent en intrus et en profanateurs.
Le Récipiendaire est introduit dans le temple les yeux bandés. Il ne voit rien, mais il peut sentir. C'est ce qu'on donne à entendre eu lui faisant appuyer contre sa poitrine la pointe d'un glaive. Il est des vérités d'ordre intuitif qui se devinent et se perçoivent, sans qu'elles soient exprimées.
Le glaire flamboyant est le symbole du Verbe, autrement dit de la pensée active. C'est l'arme unique de l'Initié, qui ne saurait vaincre que par la puissance de l'idée et par la force qu'elle porte en elle-même.
L'Épreuve du Glaive Le récipiendaire était jadis introduit en Loge la corde au cou. Un nœud coulant l'étranglait ainsi s'il tentait de reculer, alors qu'il était empêché d'avancer par la pointe acérée qui lui piquait la poitrine. |
Premier Voyage
L'homme qui s'exerce à penser marche tout d'abord en aveugle. Il n'avance qu'à tâtons, trébuchant à chaque pas contre des obstacles qu'il ne saurait surmonter sans l'aide de protecteurs éclairés. Le Récipiendaire, partant de l'Occident (le domaine des faits, la réalité objective, le monde sensible) se hasarde à travers les ténèbres de la région du Nord. II s'engage dans cette obscure forêt dépeinte par le Dante et citée par Virgile comme cachant le rameau d'or qui procure a Énée l'accès des Enfers.
Ce rameau consacré à Proserpine, c’est la faculté d’induction qui porte l'esprit à généraliser les faits observés. Cette opération mentale, peut conduire aux hypothèses les plus fausses. — La pensée humaine commence par tomber d'erreurs en erreurs. Ce sont autant de pièges et d'embûches dont l'intelligence doit parvenir à se dégager. — La lutte est longue et pénible. Elle conduit le Récipiendaire jusqu'à l’Orient (le domaine de l'abstraction, la réalité subjective, le monde intelligible). — Des notions rationnelles et synthétiques paraissent alors rendre compte des faits. Il en découle des déductions, c'est-à-dire un retour vers l'Occident (les phénomènes sensibles) par la route du Midi.
Le chemin, pour revenir, n'est plus semé de ronces comme au départ. Mais le voyageur s'impose les plus dures fatigues pour gravir laborieusement la cime d'une montagne abrupte. A peine se félicite-t-il d'avoir atteint une hauteur qui domine de vastes régions, qu'il est soudainement assailli par un orage violent. La foudre gronde, le sol tremble et la grêle accable l'imprudent, qui est finalement entraîné par les tourbillons d'un vent furieux et précipité à travers l'espace jusqu'au lieu d'où il est parti. C'est la purification par l'Air des anciennes épreuves initiatiques. — Le souffle impétueux de l'opinion générale fait effondrer l'échafaudage factice des théories personnelles.
Le Tarot, ce livre hiéroglyphique qui nous a été conservé sous forme d'un jeu de cartes, nous retrace cette épreuve dans sa seizième lame. On y voit un homme projeté du haut d'une tour (celle de Babel ?) que décapite le feu du ciel.
Au point de vue moral, le premier voyage est l'emblème de la vie humaine. — Le tumulte des passions, le choc de divers intérêts, la difficulté des entreprises, les obstacles que multiplient sous nos pas des concurrents empressés à nous nuire et toujours disposés à nous rebuter, tout cela est figuré par l'irrégularité de la route que le récipiendaire a parcourue et par le bruit qui s'est fait autour de lui.
Il a gravi avec difficulté une hauteur d'où il serait tombé dans un abîme, si un bras protecteur ne l'eût retenu. Cela indique comment, isolé, livré à ses ressources individuelles et uniquement préoccupé de réussir dans la vie, on se donne souvent beaucoup de peine pour ne récolter que ruine et déception. L'égoïsme est un guide trompeur qui conduit aux mécomptes les plus désastreux.
Deuxième Voyage
Un premier échec ne doit pas décourager. Le penseur déçu s'efforce de discerner la cause de ses erreurs, puis il retourne sur ses pas. Mais il avance avec circonspection, car l'expérience l'a rendu défiant. Par crainte des anciens pièges, il hésite, s'arrête parfois et marche tantôt vite, tantôt lentement. Une grande incertitude pèse sur son esprit. Il manque de confiance en lui-rnême et recule devant les conclusions inattendues auxquelles il est amené.
Pour rendre au Récipiendaire son assurance, on lui fait subir la purification par l'Eau. C'est une sorte de baptême philosophique qui lave de toute souillure. Toutes les fantasmagories qui faussent l'imagination doivent être entraînées par les ondes de ce fleuve qu'Hercule fit couler à travers les étables d'Augias.
L'Initié doit aussi savoir résister à l'entraînement des courants auxquels, dans la vie, s'abandonnent les natures vulgaires. Il lui appartient, en particulier, de penser par lui-même, sans se faire l'esclave des opinions d'autrui.
Au bruit étourdissant du premier voyage a succédé un cliquetis d'armes, emblème des combats que l'homme est constamment forcé de soutenir pour repousser les influences corruptrices qui l'assiègent et prétendent le dominer. Il doit lutter sans cesse pour se soustraire à la tyrannie des penchants vicieux. Le sage, cependant, saura se tenir à l'écart des conflits déchaînés autour de lui par les passions égoïstes. Il traversera, imperturbable, le champ de carnage où se heurtent les intérêts opposés, se gardant bien, surtout, de se laisser séduire, par les ambitieux sans scrupules, qui savent flatter les appétits et attiser les haines à leur unique profit.
Mais il ne suffit pas de s'abstenir de l'erreur et du vice. Les vertus négatives, indices cependant d'une sagesse trop rare parmi les hommes, sont loin, à elles seules, de donner droit au titre d'Initié. Une dernière épreuve reste donc à subir, et c'est la plus redoutable.
Troisième Voyage
Pour contempler la Reine des Enfers, c'est-à-dire la vérité qui se cache au dedans de lui-même, l'Initié doit franchir une triple enceinte de flammes. C'est l'épreuve du Feu. Le Récipiendaire impassible, qui s'avance d'un pas ferme, parvient au but sain et sauf, après avoir été enveloppé par trois fois d'un manteau brûlant Il marche sans difficulté, ne se heurte à nul obstacle et n'entend aucun bruit.
La facilité de ce voyage est un effet de la persévérance du candidat, qui a su opposer le calme et la sérénité à la fougue des passions (flamme). Il s'est rendu apte à juger sainement : c’est ce qui lui a permis de pénétrer jusqu'au foyer central de la connaissance abstraite, symbolisé par le Palais de Pluton. (Colonne rouge auprès de laquelle l'Apprenti reçoit son salaire).
L'Initié séjourne au milieu des flammes (passions ambiantes) sans être brûlé, mais il se laisse pénétrer par la chaleur bienfaisante qui s'en dégage. L'enthousiasme éclairé est une force dont il faut savoir tirer parti, car seule elle communique l'énergie nécessaire à la réalisation des grandes choses. Une ardeur vive, mais sagement gouvernée, doit porter l'Initié vers tout ce qui est noble et généreux. Il lui appartient surtout de ne jamais laisser s’éteindre dans son cœur le feu d'un amour profond pour ses semblables. Un rayonnement de sympathie se dégagera ainsi de lui, pour l'entourer d'une atmosphère de bienveillance, auréole d'énergies occultes, permettant d'opérer les prodiges les plus inattendus.
Le Calice d'Amertume
Tout progrès intellectuel étend notre responsabilité morale. On ne peut rien exiger de l'être inconscient ; mais le penseur contracte des devoirs d'autant plus étendus, qu'il est plus avancé dans la connaissance du bien et du mal. Celui qui boit à la coupe du savoir y puise un liquide frais et doux, qui, devenu subitement amer, reprend finalement une douceur primitive.
Il en est ainsi dans la vie de l'Initié. L'insouciance propre aux êtres vulgaires lui est interdite. L'homme éclairé n'a plus le droit de ne vivre que pour lui-même : il se doit à ses semblables, et, loin de ne pouvoir songer qu'a ses intérêts personnels, il porte désormais tout le poids des misères d'autrui. C'est une charge accablante pour l'homme de cœur qui se dévoue, et dont les intentions sont méconnues. Son désintéressement est une anomalie aux yeux des égoïstes ; par suite, sa conduite est suspecté, ses actes sont travestis, il est calomnié, persécuté, abandonné, trahi et méprisé de tous.
Abreuvé d'amertume, la juste est alors tenté de désespérer et risque de succomber, écrasé par l'ingratitude des hommes. Mais cette suprême épreuve ne saurait surprendre l'Initié. Loin de se laisser abattre et de repousser le calice fatidique, il doit le saisir, décidé à le vider jusqu'à la lie.
C'est alors que la liqueur âcre et brûlante se change en un breuvage réconfortant. L'Initié boit les eaux du Léthé. Il oublie les injures, il ne sent plus ses peines, et persistant dans son abnégation, il retrouve au milieu des tourments de la vie toute sa sérénité d'esprit. Jouissant désormais de la paix des sages, il est admis aux délices des bosquets élyséens. Sa grandeur morale l'élève à une hauteur où la rage des méchants ne saurait plus l'atteindre. Les événements les plus cruels n'ont plus de prise sur lui. Il est au-dessus de tout : véritablement libre et digne du titre d'Initié !
La Bienfaisance
En apprenant au Récipiendaire qu'il vient d'être définitivement admis dans la F∴ M∴, on l'invite à entrer dans la chaîne d'union des Maçons. Cela n'est possible qu'en faisant avec eux acte de solidarité par la participation aux œuvres de bienfaisance de l'Ordre. La vie maçonnique s'inaugure donc par un don volontaire, que chacun proportionne à ses moyens et dont la valeur reste cachée.
C'est avec tact et discrétion que nous devons aider nos frères. Ils ont droit à notre protection, car ceux qui manquent du nécessaire sont les créanciers de ceux qui jouissent du superflu. La bienfaisance est donc de pure justice. Elle doit s'accomplir comme un devoir de solidarité, sans jamais fournir de prétexte à des actes d'ostentation ou de vanité, sources d'orgueil pour celui qui donne et d'humiliation pour celui qui reçoit.
Tous nous pouvons être utiles les uns aux autres. Chacun a besoin de tous, et qui refuserait de secourir son semblable, celui-là s'exclurait lui-même, par ce seul fait, de la communion des Initiés.
La Lumière
Après avoir rempli son premier devoir de Maçon, le Néophyte est conduit à l'autel, où il achève de se lier par un engagement solennel.
Il promet, sur son honneur, de garder inviolablement tous les secrets de la F∴ M∴, et de ne jamais révéler aucun de ses mystères, si ce n'est à un bon et légitime Maçon.
Il promet de s'appliquer de toute son intelligence à la recherche de la Vérité et de consacrer toutes ses forces au triomphe de la Justice.
Il promet d'aimer ses frères et de les secourir selon ses facultés. Il promet enfin de se soumettre aux lois qui régissent la F∴ M∴
Il consent, s'il devient parjure, à subir les peines qu'il aura méritées, et à ne plus être considéré que comme un être vil, sans honneur ni dignité.
Le Néophyte devra toujours avoir présente à l'esprit l'obligation contractée de sa pleine liberté. Il doit être prêt à la renouveler en toute occasion et se sentir la force de l'observer. Sur l'assurance que le serment qu'il vient de prononcer ne lui donne aucune inquiétude, la Lumière lui est accordée. Au signal donné, le bandeau tombe des yeux du Récipiendaire. Le Temple s'illumine d'une soudaine clarté, dont le nouvel initié reste d'abord ébloui. Mais dès que sa vue s'est accoutumée à la lumière, il voit les assistants debout et à l'ordre, pointant leurs glaives contre sa poitrine.
Ce n'est pas une menace. Par leur attitude, les assistants annoncent à leur nouveau frère, qu'ils voleront à son secours dans toutes les circonstances difficiles où il pourrait se trouver. Les lames étincelantes dirigées vers lui figurent, en outre, le rayonnement intellectuel que chaque Maçon projettera désormais vers le Néophyte. — Ces glaives, d'ailleurs, sont tenus de la main gauche, côté du cœur, et font allusion ainsi aux effluves de sympathie qui de toutes parts se concentrent sur le nouveau-né, qu'on accueille avec joie au sein de la famille maçonnique.
Le Tablier
L'Initié, qui vient de recevoir la Lumière, s'approche de l'Orient pour renouveler son obligation.
Le rituel ancien lui fait mettre le genou gauche à terre et la jambe droite en équerre (soumission, respect à tout ce qui est équitable et juste). La main gauche, tenant un Compas ouvert, il dirige l'une des pointes vers le sein gauche (sincérité parfaite des sentiments exprimés). La main droite est posée sur l'épée flamboyante du Vén∴, glaive couché lui-même sur les statuts de l'Ordre, ou, plus anciennement sur l'Evangile, ouvert au premier chapitre de Saint-Jean.
Le Néophyte ayant confirmé ses engagements, le Vén∴ saisit le glaive flamboyant de la main gauche, il l'étend sur la tête du Récipiendaire et prononce la formule de consécration, en frappant trois coups de maillet sur la lame. Il touche ensuite du glaive les épaules du Néophyte et lui donne l'accolade en l'appelant « mon Frère ». C'est la seule appellation que le nouvel Initié recevra désormais.
Il est en même temps revêtu des insignes de son grade, c'est-à-dire d'un tablier, emblème du travail, qui rappelle qu'un Maçon doit toujours avoir une Vie active et laborieuse. — On ne peut pas se présenter en loge sans en être décoré. Aussi les plus grands hommes se sont-ils fait un honneur de ceindre un modeste tablier de peau d'agneau.
Le penseur y voit le symbole du corps physique, de l'enveloppe matérielle, dont l'esprit doit se revêtir pour prendre part à l'œuvre de la Construction universelle. On peut se souvenir à ce sujet des « tuniques de peau » dont il est question dans la Genèse. Le couple adamique les reçut pour vêtement, lorsqu'il fut contraint de renoncer au Paradis (la jouissance, l'inactivité, le repos). Mais si les anciens textes représentent le travail comme un châtiment, il appartient à la Maçonnerie de le glorifier. L'esclave peut maudire son labeur forcé, mais l'homme libre répugne à la mollesse et à l'oisiveté. Il éprouve le besoin de déployer son activité et trouve le summum du bonheur dans une action constante, féconde et utile au plus grand nombre.
Les Gants
Au Moyen-Age, le nouvel Apprenti devait offrir une paire de gants à tous les membres de l'atelier. Dans la Maçonnerie moderne, c'est au contraire le Néophyte qui reçoit une double paire de gants blancs.
L'une lui est destinée. Il évitera d'en souiller la blancheur, car les mains d'un Maçon doivent toujours rester pures. L'autre paire doit être offerte par l'Initié à la femme qu'il estime le plus.
La F∴ M∴ rend hommage ainsi aux vertus d'un sexe, qu'elle refuse d'astreindre à l'aridité de ses travaux ordinaires. La femme est la prêtresse du foyer domestique. Elle veille au dedans, alors que l'homme s'agite au dehors. Lorsque celui-ci rentre meurtri des combats de la vie, il puise de nouvelles forces auprès d'une compagne dévouée, qui panse ses blessures. Intelligente, animée d'un courage d'autre nature que le sien, elle le soutient dans ses défaillances, elle l'encourage dans ses entreprises généreuses et devient ainsi sa collaboratrice incessante. Et si l'homme devait être tenté d'oublier ses devoirs, c'est à la femme qu'il appartient de les lui rappeler. La F∴ M∴ a voulu lui en fournir un moyen puissant. Les gants blancs reçus le jour de son initiation évoquent pour le Maçon le souvenir de ses engagements. La femme qui les lui montrera lorsqu'il sera sur le point de défaillir, lui apparaîtra comme sa conscience vivante, comme la gardienne de son honneur. Quelle mission plus haute pourrait-on confier à la femme que l'on estime le plus ? — Le Rituel fait remarquer que ce n'est pas toujours celle que l'on aime le plus, car l'amour, souvent aveugle, peut tromper sur la valeur morale de celle qui doit être l'inspiratrice de toutes les œuvres grandes et généreuses.
Gœthe, initié à Weimar le 23 juin 1780, s'empressa de faire hommage des gants symboliques à Mme von Stein, en lui faisant remarquer que si le cadeau était infime en apparence, il présentait celle singularité de ne pouvoir être offert par un Franc-Maçon qu'une seule fois dans sa vie.
Restitution des Métaux
Le Néophyte ayant reçu communication des mots, signes et attouchements qui lui permettent de se faire reconnaître comme Apprenti-Maçon, est conduit auprès des surveillants qui le tuilent, en lui faisant exécuter la marche « dans un carré long ». Il est ensuite proclamé membre actif de la loge qui a procédé à sa réception, et désormais tous les Maçons du monde lui devront aide et protection.
L'assemblée acclame le nouvel Initié par la batterie d'usage, puis il est admis à prendre place en tête des frères rangés devant la Colonne du Nord (29).
(29) La première pièce d'un édifice devait être celle de l'angle nord-est.
Le Vén∴ l'exhorte à mériter par son assiduité aux travaux de la loge, et par la pratique des vertus maçonniques, de pénétrer plus avant dans les mystères de l'Ordre.
II fait remarquer au Néophyte que, dans l'espace de quelques heures, on lui a donné de quoi réfléchir pendant toute sa vie. Le langage allégorique de la F∴ M∴ doit, en effet, être médité avec soin. Les symboles généralisent en ce que les mots spécifient. Ils permettent d'exprimer des idées générales qui représentent les lois immuables de la pensée humaine. Ils n'ont pas une valeur déterminée et invariable, mais sont susceptibles, au contraire, d'être envisagés à des points de vue multiples, donnant lieu chaque fois, à des interprétations analogues, mais différentes.
On ne saurait donc exposer tout ce que peut signifier un symbole. Il n'y a jamais dans un signe que ce qu'on sait y voir, Le symbolisme est une écriture qu'il faut apprendre à lire. Celui-là seul, pour qui les symboles ne sont plus lettre morte, peut se dire un Penseur et un réel Initié.
Le cérémonial de réception se termine par où il a commencé : l'Initié rentre en possession des métaux dont le Profane avait été dépouillé. Le faux brillant des choses ne doit plus faire illusion à l'homme qui a été purifié intellectuellement et moralement. Quant aux richesses, il ne s'agit aucunement de les mépriser, mais de ne les rechercher qu'en vue de les employer dans l'intérêt de tous.
L'initiation au premier degré constitue par elle-même un cycle complet : celui des purifications, qui enseignent symboliquement au récipiendaire à se dégager des préjugés et des défectuosités profanes, afin de se mettre en état de voir effectivement la Lumière.
Le nouvel initié ne saurait retenir d'emblée tous les détails rituéliques sur lesquels doivent porter ses méditations. Il ne pourra donc compléter son initiation qu'en participant à celle d'autrui. En s'efforçant d'approfondir le sens du cérémonial, au fur et à mesure qu'il se déroulera devant lui, il contribuera par son attitude à rendre plus profond le recueillement au milieu duquel s'accomplissent les initiations.
Le Profane, l'être qui ne pense pas. Le Fou du Tarot. L'inconscience, l'abandon aux impulsions impliquant absence de toute réelle personnalité. Affublé
d'une défroque bariolée, il porta une besace remplie d’erreurs et de
préjugés. Il marche au hasard, sans discernement et sollicité par ses seules
passions. Le lynx, qui le mord, figure le châtiment de ses vices. Un
crocodile le guette pour l'engloutir.
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CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES
SE RATTACHANT AU RITUÉLISME
DU GRADE D'APPRENTI
Les Traditions
Certaines théories ont exercé une influence prépondérante sur la pensée humaine. Un Initié ne doit pas les ignorer. Nous exposerons donc ici quelques idées des Anciens susceptibles d'éclairer la question : D'où venons-nous ?
Il reste entendu que la F∴ M∴ ne préconise aucune manière de voir déterminée. Elle sollicite la pensée indépendante, et, pour mieux stimuler les intelligences, elle évite de leur jeter en pâture des solutions arbitraires.
Qu'on prenne donc bien garde à ce qui va suivre. C'est à titre de renseignement que nous allons nous efforcer de reproduire les théories des antiques hiérophantes. Notre but est de fournir un aliment aux réflexions de ceux qui veulent penser, et non de soutenir une thèse. La F∴ M∴ repousse tout dogmatisme et ne saurait se faire le champion d'aucune doctrine. Elle refuse de prendre parti et cherche l'accord entre tous les penseurs, car c'est dans cet accord que lui apparaît la Vérité.
La Régénération
Rien ne commence et rien ne finit d'une manière absolue. Il n'y a de commencement et de fin qu'en apparence. En réalité tout se tient, tout se continue, pour subir d'incessantes transformations qui se manifestent par une série de modes successifs d'existence.
Ces modes sont variés. Tout ce qui se réalise en acte a précédemment existé en puissance. Les énergies qui se groupent pour donner naissance à un être subsistaient avant son apparition. Tout être a donc ses racines dans l'origine même de toutes choses.
Des considérations de ce genre ont fait envisager la vie terrestre de chaque être comme une phase particulière d'une vie plus étendue. Cette phase n'est même apparue que comme un accident dans la vie permanente de l'être. L'homme a semblé faire son entrée sur la scène du monde comme sur celle d'un théâtre. Il s'introduit transitoirement dans la peau d'une personne (Persona, en latin, signifie masque, et par extension rôle, acteur). L'identification est si parfaite que la plupart des humains prennent leur rôle au sérieux : ils croient, comme on dit familièrement, « que les choses sont arrivées ». Grimés et affublés de costumes assortis, ils prennent le langage, le ton, les gestes, le maintien du personnage qu'ils ont à représenter, puis ils jouent avec une telle conviction, qu'ils oublient totalement qu'à la chute du rideau les acteurs jettent masques et oripeaux pour redevenir eux-mêmes. Les Initiés antiques se prétendaient au-dessus de pareilles illusions, qu'ils jugeaient indispensable de ne pas détruire chez le vulgaire. Pour eux, mystiques raffinés, la vie intégrale de l'homme comportait des phases alternatives d'action et de repos. La vie présente est une période d'activité matérielle. Mais avant de naître, nous avons déjà vécu dans un état imperceptible pour nos sens. Nous étions alors livrés à la vie du rêve, et, selon les souvenirs conservés d'une précédente période active, nous étions en proie au cauchemar du remords, ou nous goûtions la douce satisfaction du devoir accompli. C'était le séjour de l'âme dans le royaume de Pluton (le monde invisible).
Mais les peines du Tartare n'étaient pas éternelles et le repos élyséen n'avait rien de définitif. A un moment donné la partie persistante de l'être se trouvait rappelée à de nouvelles destinées terrestres. Il y avait alors oubli du passé. Le Profane était dépouillé de ses métaux. L'être renonçait à tout ce qu'il avait acquis. Il se reconstruisait lui-même, en se reprenant par la base. Il refaisait toute son évolution, recommençant par le commencement, et repartait d'où il était primitivement venu.
Ce ne sont là que pures extravagances pour qui ne se donne pas la peine d'approfondir. Mais le penseur pourra utilement puiser dans le trésor de ces vénérables traditions, surtout s'il possède quelques notions d'embryologie.
La Genèse individuelle
Les données nébuleuses du mysticisme antique s'éclairent parfois d'une manière nette et précise grâce aux découvertes de la science moderne. Les idées des anciens ne doivent donc pas être dédaignées. — Des méthodes avec lesquelles nous sommes peu familiarisés ont pu les conduire à des solutions qui se rapprochent singulièrement des nôtres.
Rien de surprenant à cela ! Il n'y a qu'une Vérité, et c'est elle qui inspire toutes les méditations.
Mais la Vérité fondamentale s'altère par l'expression. Dès qu'on la revêt d'une forme, son auguste nudité se masque, et les divergences de vue se manifestent. Il appartient dès lors à l'Initié de faire abstraction du signe extérieur. — En matière de formules, de théories, de systèmes, le penseur doit exercer sa pénétration d'esprit, afin de discerner la pensée primitive, qui presque toujours lui apparaîtra comme une éclatante Vérité, enfouie sous, une accumulation d'erreurs.
Les allégories de la Chambre des Réflexions se rapportent pleinement à cette recherche de la pensée pure, saisie dans un état antérieur à toute concrétion, — Cette pensée généralisée, échappant à toute expression, correspond à la Matière Première des Sages, point de départ du Grand Œuvre.
Mais envisageons les choses à un autre point de vue. Considérons l'ovule maternel qui vient de se fixer sur la paroi utérine. C'est une simple vésicule aqueuse au sein de laquelle la fécondation semble avoir allumé un foyer d'initiative (Colonne J), en sorte qu'en elle se marient le Feu et l'Eau, ou la Soufre et le Sel, comme l'ont voulu les anciens rituélistes.
Le Récipiendaire reste censément enfermé pendant neuf jours dans le sein de la terre. Cela rappelle les neuf mois de la gestation humaine. — Tant que durait l'épreuve, le postulant ne se nourrissait que de pain et d'eau ; de plus, il ne parlait à personne. Ces austérités ont pu suggérer l'idée des retraites religieuses et des neuvaines.
Les Épreuves
L'enfant est aveugle moralement et intellectuellement. Il débute dans la vie soutenu par ses proches, qui ne pourront l'abandonner à lui-même que lorsqu'il sera en pleine possession de ses facultés.
Celles-ci se développent peu à peu. L'homme se fait progressivement; ses forces s'accroissent en raison même de leur mise en œuvre : les difficultés qu'il rencontre sont un stimulant. Elles nous obligent à acquérir ce qui nous manque. Si tout se faisait de soi-même, nous n'aurions aucune raison d'être, car, comme tout organe, nous n'existons qu'en vue de la fonction que nous avons à remplir. Si nous n'avions rien à désirer, rien à vaincre et rien à conquérir, notre rôle serait nul. La lutte nous forme, elle préside à notre évolution et nous fait ce que nous sommes.
La vie d’ailleurs est une école. On n'y est pas pour s'amuser, mais pour se faire et pour s’instruire. Nous devons conquérir nos grades dans la hiérarchie de l'existence et gravir un à un les échelons du perfectionnement individuel.
Mais il s'agit en premier lieu d'atteindre l'âge adulte. L'homme, alors, doit avoir appris à gouverner les forces dont il dispose. La construction corporelle est achevée docile aux impulsions volontaires, l'organisme est l’instrument de travail de l'esprit. C'est un vêtement (tablier) que l'homme invisible emploie comme un scaphandre pour plonger dans le domaine des sens, afin d'y accomplir sa tâche.
Le principe intelligent se dégage transitoirement de cet appareil et perd alors tout contact avec le monde sensible. C'est le cas du sommeil ou des états analogues qui interrompent le cours des travaux symbolique : Ceux-ci reprennent force et vigueur dès que nous revenons à nous par le réveil, c'est-à-dire lorsque l'homme invisible s’avise de ceindre à nouveau le tablier allégorique. L'homme parvenu à se posséder entièrement est comparable à l'artiste qui s'est rendu maître de son instrument au point d'en faire strictement ce qu'il veut. Dans cet état d'harmonie et d'accord parfait entre l'esprit qui commande et le corps qui obéit, il arrive que celui-ci bénéficie de l'expérience acquise par la partie transcendante de l'être. L'atavisme, en effet, ne suffit pas à expliquer des talents et des dispositions heureuses que certains individus manifestent à un tel degré, qu'ils semblent se ressouvenir de ce qu'ils auraient pu avoir appris dans une précédente existence. — Ce serait un effet de la restitution des métaux.
Si étranges que puissent paraître ces idées, n'ayons pas la présomption de les repousser avec trop de dédain.
Elles sont susceptibles d'une certaine mise au point, et l'Initié ne peut pas se contenter de penser simplement en homme de son temps et de son pays. Il doit s'appliquer à tout comprendre, pour s'assimiler la pensée de toutes les époques et l'esprit intime de toutes les philosophies.
Tout est vrai lorsqu'on comprend, tout est faux lorsqu'on ne comprend pas.
Pluton règne sur le monde inférieur. Cerbère est le Sphinx des régions infernales. Ses trois têtes posent les trois questions : D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Les enfers
correspondent au monde intérieur que nous portons en nous. Or, l'invisible
n'est concevable que par opposition au visible. Comme l'indique le sceptre
bifurqué du dieu, on ne pénètre dans le domaine de l'ésotérisme qu'en
imaginant ce que suggèrent les contrastes. |
DEVOIRS DE L'APPRENTI-MAÇON
Devoirs généraux de l'Initié
Les rites initiatiques n'ont aucune vertu sacramentelle. Le Profane, qui a été reçu Maçon selon les formes traditionnelles, n'a point acquis, par ce seul fait, les qualités qui distinguent le penseur éclairé de l'homme inintelligent et grossier. Le cérémonial de réception n'a de valeur qu'en tant que mise en scène d'un programme qu'il importe au Néophyte de suivre pour entrer en pleine possession de toutes ses facultés. L'Apprenti-Maçon a donc pour premier devoir de méditer les enseignements du rituel, afin d'y conformer sa conduite. C'est là son devoir par excellence, son seul devoir qui comprend tous les autres.
Mais un débutant réclame des prescriptions plus précises. Elles sont contenues dans l'obligation qu'il a prêtée avant de recevoir la Lumière.
Se taire devant les Profanes.
Chercher la Vérité.
Vouloir la Justice.
Aimer ses frères.
Se soumettre à la Loi.
Discrétion maçonnique
S'interdire de parler, pour s'astreindre à écouter, est d'une excellente discipline intellectuelle, lorsqu'on veut apprendre à penser. Les idées se mûrissent par la méditation silencieuse, qui est une conversation avec soi-même. Les opinions raisonnées résultent de débats intimes, qui s'engagent dans le secret de la pensée. Le sage pense beaucoup et parle peu.
Un jeune Maçon doit donc, d'une manière générale, se montrer très réservé. Tout prosélytisme intempestif lui est interdit. Il n'est pire erreur que la vérité mal comprise. Parler pour se faire mal comprendre est à la fois dangereux et nuisible. Il faut donc toujours nous mettre à la portée de ceux qui nous écoutent. Chercher à étonner, en exposant des idées trop hardies, est essentiellement anti-maçonnique. A quoi bon effaroucher les esprits timides ? Les intelligences ont besoin d'être préparées à recevoir la lumière : une clarté trop brusque aveugle et n'éclaire point. Lorsque le bandeau symbolique est tombé de ses yeux, tout Initié a pu constater que l'éblouissement produit une sensation douloureuse. Soyons donc attentifs à ne heurter aucune conviction sincère. Ecoutons chacun avec bienveillance, sans faire parade de notre manière de voir. Nous avons à former notre opinion, et, dans ce but, il nous est avantageux d'entendre les avocats des causes les plus contradictoires. Apprenons à juger sans le moindre parti-pris, c'est ainsi que nous deviendrons réellement des penseurs indépendants ou des libres-penseurs dans le vrai sens du mot.
Secret
Un Maçon doit s'abstenir de toute divulgation susceptible de porter préjudice à la F∴ M∴ ou à ses membres.
Tous les membres de l'Ordre sont solidarisés par un contrat formel de réciprocité. Ils ont des obligations les uns envers les autres, et, pour les remplir, il est indispensable que les Initiés puissent se distinguer des Profanes. Les moyens de reconnaissance doivent donc faire l'objet du secret le plus absolu.
Quant au détail des rites qui se pratiquent au sein des temples maçonniques, il est interdit d'en parler au dehors. Les esprits superficiels ne pourraient qu'en prendre prétexte pour ridiculiser la F∴ M∴ Il faut éviter, à ce point de vue, de jeter des perles devant les pourceaux.
Le formalisme du rituel maçonnique n'est point d'ailleurs resté secret. Il a été divulgué dans de nombreux ouvrages parus dès le commencement du siècle dernier. Mais on ne peut faire connaître sous ce rapport que le côté matériel de nos pratiques. L’Ésotérisme n'est pas susceptible de divulgation.
La discipline du silence portait les anciens Maçons à laisser sans réplique les calomnies dont ils étaient l'objet. Ils attendaient stoïquement que la vérité se fît jour. Elle triomphe nécessairement, comme le donne à entendre la vieille maxime : Bien faire et laisser braire.
La pensée, au surplus, est en elle-même une force qui agit au dehors d'une manière mystérieuse. Elle peut influencer la volonté d'autrui, sans même qu'elle soit exprimée par la parole ou par l'écriture. C'est ce que révèle l'étude des lois occultes de la pensée. L'Initié instruit de ces lois s’applique à se taire. Il se concentre afin d'imprimer à ses idées une plus haute tension. C'est un conspirateur qui dispose du plus puissant de tous les moyens d'action : la pensée dirigée en pleine connaissance de cause. Mais il convient en ces matières de joindre l'exemple au précepte et de ne pas enfreindre, plus qu'il n'est permis, la loi du silence.
Tolérance
Il est toujours présomptueux de se faire juge d'une opinion quelle qu'elle soit. Les manières de voir divergentes qui se font jour sont toutes également respectables lorsqu'elles émanent de personnes sincères. Elles expriment la vérité sous les différents aspects qu'elle présente, en raison des points de vue multiples d'où elle est susceptible d'être envisagée.
Il se rencontre donc une part de vrai dans toutes les opinions. Nul n'est dans l'erreur absolue et nul, d'autre part, ne peut se flatter de posséder la vérité parfaite. Soyons donc indulgents et ne demandons pas à chacun de voir les choses comme nous-mêmes.
Les intelligences sont faibles. Elles ne s'approchent de la Vérité qu'en parcourant une série d'étapes qu'il faut gagner une à une. Pour favoriser le progrès des esprits il faut donc tenir compte des phases successives de toute évolution intellectuelle. On obtiendra les meilleurs résultats en intervenant discrètement. On ne saurait trop mettre en application la devise de Rabelais : Noli ire, fac venire. Ne bousculez pas les retardataires pour les obliger à marcher malgré eux ; contentez-vous de les précéder en les encourageant : ils ne manqueront pas de vous suivre. Gardez-vous surtout de procéder par affirmations, par formules et par dogmes. Rien n'est plus contraire à l'esprit maçonnique. Ne cherchez pas à imposer votre manière de voir, mais amenez les autres à découvrir ce que vous avez trouvé vous-mêmes. Pensez et faites penser.
Recherche du Vrai
La F∴ M∴ se distingue des églises par ce fait qu'elle ne se prétend point en possession de la Vérité. L'enseignement maçonnique ne comporte ni dogmes, ni credo d'aucune sorte. Chaque Maçon est appelé à construire par lui-même l'édifice de ses propres convictions. C'est dans ce but qu'il est initié à la pratique de l'Art de la Pensée.
Cet art s'exerce sur des matériaux qu'il faut dégrossir. Il s'agit, en d'autres termes, d'élaguer les erreurs qui défigurent la vérité. Celle-ci est partout ; mais elle est cachée. Elle demande à être extraite de tout ce qui paraît faux et superstitieux. La superstition n'est que la pétrification, l'écorce ou le cadavre d'une notion vraie, qui n'a su être ni saisie, ni exprimée correctement.
Ne repoussons donc rien a priori. Toute prévention, tout parti-pris s'oppose à notre impartialité de jugement. Le véritable ami de la vérité ne saurait être un esprit borné, systématiquement enfermé dans le cercle étroit de son horizon mental. Ce doit être une intelligence largement ouverte à toutes les idées susceptibles de provoquer une modification des convictions présentes. Celui qui a ses idées arrêtées et qui tient à les conserver, n'est pas un homme de lumière et de progrès : c'est un pontife qui croit savoir et qui a foi dans son infaillibilité. Si l'initiation ne parvient pas à le désabuser, c'est qu'il ferme les yeux et qu'il tient à rester Profane.
Réalisation
Si la F∴ M∴ ne se livrait qu'à la spéculation pure, elle resterait dans le domaine abstrait sans compatir aux maux qui accablent l'humanité. Or ces maux ont leur répercussion sensible dans le cœur de tout homme généreux. L'initié, par suite, ne s'isole point du monde. Il se garde d'imiter ces mystiques égoïstes qui cherchent la perfection loin du contact de la corruption générale. Il partage moins encore l'indifférence des satisfaits qui ne visent qu'à jouir de faveurs accordées au petit nombre.
L'homme de cœur se sent lésé par toute iniquité, même lorsqu'il n'en est pas directement victime. Se désintéresser du sort d'autrui, c'est rompre le lien de solidarité qui unit tous les membres de la famille humaine. Or les individus ne tirent leur force que de la collectivité dont ils font partie. Se détacher du tout auquel on est incorporé, c'est se vouer à la mort. L'égoïste qui ne prétend vivre que pour lui-même, cesse de participer à la vie générale. Il se comporte comme un corps étranger au sein de l'organisme humanitaire et devient un élément morbide, une cause de maladie sociale.
La F∴ M∴ est une alliance universelle d'hommes honnêtes, sincèrement dévoués au bien de tous. Par l'union d'un ensemble de volontés fortes une action irrésistible s'exerce sur les volontés faibles. C'est dans ce sens qu'il faut vouloir la Justice, car ce que l'on veut avec persistance et fermeté, on ne peut manquer de l'obtenir.
Fraternité initiatique
La force d'une association réside essentiellement dans la cohésion de ses membres. Plus ils sont unis, et plus ils sont puissants. En Maçonnerie, l'union n'est point l'effet d'une discipline imposée : elle ne peut naître que de l'affection que ressentent les uns pour les autres les Initiés. Il est donc de la plus haute importance de contribuer par tous les moyens à resserrer les liens qui unissent les Maçons.
Il est indispensable, avant toutes choses, de se voir, afin de se connaître, de s'apprécier et de s'estimer. Toutes les réunions maçonniques seront donc suivies avec la plus grande assiduité. On s'y comportera de manière à mériter la sympathie de chacun, et d'autre part, on se montrera plein d'indulgence à l'égard des défauts de ses frères. — L'homme est toujours imparfait. Il faut donc éviter de s'arrêter aux faiblesses d'autrui ; discernons les qualités de nos collaborateurs et passons la truelle sur les rugosités des pierres que doit indissolublement unir le ciment de la plus franche amitié.
Respect de la loi
Au-dessus des lois conventionnelles, il est une Loi idéale, écrite dans le cœur des hommes de bien. C'est à cette règle souveraine que l'Initié se soumet sans réserve.
Quant aux lois positives, si imparfaites qu'elles soient, elles n'en sont pas moins respectables. Elles constituent l'élément fondamental de toute civilisation, elles garantissent contre l'arbitraire, assurent l'ordre et s'imposent comme sanction nécessaire du pacte social.
Un Initié se soumet donc aux lois, alors même qu'elles seraient injustes. Il s'incline devant la volonté générale, même lorsque celle-ci se trompe. — Socrate a préféré boire la ciguë, plutôt que de se soustraire à l'arrêt légal, mais inique, qui le frappait. Robespierre est tombé en refusant d'appeler le peuple à la révolte. Ce sont là de grands exemples.
Les Francs-Maçons se soumettent scrupuleusement à la législation de tous les pays où il leur est permis de se réunir librement, ils ne conspirent contre aucune autorité légalement constituée. Leur action humanitaire ne peut donc porter ombrage qu'aux gouvernements qui ont conscience d'avoir contre eux le droit.
En ce qui concerne la loi maçonnique, les Maçons en observent surtout l'esprit. Les règlements ne s'imposent pas à eux avec une inflexibilité tyrannique. Ils préconisent une ligne de conduite qui a pour elle l'autorité d'une longue expérience. Mais il ne faut jamais perdre de vue que les prescriptions réglementaires s'adressent à des hommes qui pensent et qui se dirigent selon la logique. Or, pour le Penseur, la Raison reste la loi suprême, contre laquelle aucune stipulation écrite ne saurait être invoquée. L'Initié jouit d'une entière liberté, parce qu'il est pleinement raisonnable et que, par suite, il ne peut faire qu'un bon usage de sa volonté. C'est en ce sens que le Maçon doit être libre dans la loge libre. Lorsque Rabelais résumait la règle des Thélémites par : « Fais ce que vouldras », il comprenait « que gens libres, bien nez, bien instruictz, conversant en compagnies honnestes, ont par nature un instinct et aguillon qui tousjours les poulse à faicts vertueux et retire de vice, lequel ils nommaient honneur. Iceulx, quand par vile subjection et contraincte sont déprimez et asservit, détournent la noble affection par laquelle à vertuz franchement tendoient, à déposer et enfraindre ce joug de servitude : car nous entreprenons toujours choses deffendues et convoitons ce que nous est dénié. »
La Justice. L'Arcane VIII du Tarot fait allusion à la loi universelle
d'équilibre qui remet fatalement chaque chose à sa place. |
CATÉCHISME INTERPRÉTATIF DU GRADE D'APPRENTI
A chaque grade maçonnique se rattache une instruction par demandes et réponses.
Les questions sont posées de manière à stimuler la réflexion. Le penseur doit s'efforcer d'y répondre selon la logique, et ne pas se contenter de retenir simplement les réponses conventionnelles.
Certaines de ces réponses doivent, au tuilage, être données textuellement : elles sont imprimées en caractères spéciaux.
D. — Quel est le lien qui nous unit ?
R. — La Franc-Maçonnerie.
D. — Qu'est-ce que la Franc-Maçonnerie ?
R. — C'est une alliance universelle d'hommes éclairés, unis pour travailler en commun au perfectionnement intellectuel et moral de l'humanité.
D. — La Franc-Maçonnerie est-elle une religion ?
R.— Ce n'est pas une religion dans le sens étroit du mot. Mais, mieux que toute autre institution, elle a pour effet de relier les hommes entre eux ; c'est par ce fait une religion (de religare, relier) dans le sens le plus large et le plus élevé du terme.
D. — Etes-vous Maçon ?
R. — Mes frères me reconnaissent pour tel.
D. — Pourquoi répondez-vous ainsi ?
R. — Parce qu'un Apprenti-Maçon doit se défier de lui-même et craindre de porter un jugement avant d'avoir fait appel aux lumières de ses Frères.
D. — Qu'est-ce qu'un Maçon ?
R. — C'est un homme né libre et de bonnes mœurs, également ami du riche et du pauvre s’ils sont vertueux.
D. — Que veut dire né libre ?
R. — L'homme né libre est celui qui, après être mort aux préjugés du vulgaire, s'est vu renaître à la vie nouvelle que confère l'initiation.
D. — Pourquoi dites-vous qu'un Maçon est également ami du riche et du pauvre s'ils sont vertueux ?
R. — Pour indiquer que la valeur individuelle doit s'apprécier en raison des qualités morales. L'estime ne doit se mesurer que selon la constance et l'énergie que l'homme apporte à la réalisation du bien.
D. — Quels sont les devoirs du Maçon ?
R. — Fuir le vice et pratiquer la vertu.
D. — Comment un Maçon doit-il pratiquer la vertu ?
R. — En préférant à toutes choses la Justice et la Vérité.
D. — Où avez-vous été reçu Maçon ?
R. — Dans une L∴ juste et parfaite.
D. — Que faut-il pour qu'une L∴ soit juste et parfaite ?
R. — Trois la dirigent; cinq l’éclairent; sept la rendent juste et parfaite.
D. — Expliquez cette réponse.
R. — Les trois sont le Vén∴ et les deux Surv∴ — Ces officiers avec l'Orat∴ et le Sec∴, sont les cinq lumières de la L∴ — Mais il faut que sept membre de la L∴ au moins soient réunis pour pouvoir procéder à des Initiations régulières. — Sur ces sept, trois au moins, doivent posséder le grade de Maître et deux le grade de Compagnon.
Trois Maçons, dont l'un au moins est Maître, constituent une loge simple, apte à prendre des délibérations. — La réunion de cinq Maçons, dont trois Maîtres et un Compagnon, forme une loge juste, compétente en matière d'instruction judiciaire. — Enfin la loge parfaite, composée de sept membres, comme il est dit ci-dessus, possède seule la plénitude de la souveraineté maçonnique.
D. — Depuis quand êtes-vous Maçon ?
R. — Depuis que j'ai reçu la lumière.
D. — Que signifie cette réponse ?
R.— Que nous ne devenons réellement Maçons qu'à partir du jour où notre esprit s'est ouvert à l'intelligence des mystères maçonniques.
D. — A quoi reconnaîtrai-je que vous êtes Maçon ?
R. — A mes signes, paroles et attouchements.
D. — Comment interprétez-vous cette réponse ?
R. — Un Maçon se reconnaît à sa façon d'agir, toujours équitable et franche (signes) ; à son langage loyal et sincère (paroles) ; enfin à la sollicitude fraternelle qu'il manifeste pour tous ceux à qui il est rattaché par les liens de la solidarité (serrements de main, attouchements).
D. — Comment se font les signes des Maçons ?
R. — Par équerre, niveau et perpendiculaire.
D. — Expliquez cette réponse.
R. — Le Maçon, dans ses actes, doit s'inspirer des idées de justice et d'équité (Équerre) ; il doit viser au nivellement des inégalités arbitraires (Niveau) ; et contribuer enfin à élever sans cesse le niveau social (Perpendiculaire).
D. — Donnez-moi le signe.
R. — ..... (On le donne).
D. — Que signifie ce signe ?
R. — Que je préférerais avoir la gorge coupée, plutôt que de révéler les secrets qui m'ont été confiés.
D. — Ce signe n'a-t-il pas d'autre signification ?
R — La main droite, placée en équerre sous la gorge, paraît contenir le bouillonnement des passions qui s'agitent dans la poitrine et préserver ainsi la tête de toute exaltation fébrile, susceptible de compromettre notre lucidité d'esprit. — Le signe d'Apprenti signifie à ce point de vue : Je suis en possession de moi-même et je m'attache à juger tout avec impartialité.
D. — Donnez-moi le mot de passe.
R. — N. I. A. C. L. A. B. U. T.
D. — Que signifie ce mot ?
R. — Il fait allusion à des mystères qu'on ne saurait approfondir d'emblée :
La Bible donne ce nom au premier homme qui ait forgé des métaux. Il se rapporte aux Toublaï, peuple de l'Asie Mineure livré dès la plus haute antiquité à l'industrie minière.
Le père de la métallurgie rappelle Vulcain, dieu du travail chez les Romains. Les Alchimistes en ont fait le fondateur de leur science.
En Maçonnerie on a parfois interprété le mot de passe du gr∴ d'app∴ dans le sens de possession du monde, d'où l'idée de la F∴ M∴ exerçant son influence sur tous les peuples de la terre.
D. — Donnez-moi le mot sacré.
R. — Je ne sais ni lire, ni écrire, je ne puis qu'épeler. Dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde.
D. — J.
R. — (On donne le mot lettre par lettre).
D. — Que signifie ce mot ?
R. — Il établit, il fonde. C'est le nom d'une colonne de bronze dressée à l'entrée du temple de Salomon. Les Apprentis recevaient près d'elle leur salaire.
D. — Pourquoi dites-vous : « Je ne sais ni lire ni écrire. » A quoi se rapporte votre ignorance ?
R — Au langage emblématique employé par la F∴ M∴ — Le sens ne s'en discerne que progressivement, et l'Initié, au début de sa carrière, épelle avec difficulté ce qui, plus tard, fera pour lui l'objet d'une lecture courante.
D. — Que vous indique la manière d'épeler le mot sacré ?
R. — La méthode d'enseignement de la F∴ M∴, qui sollicite les efforts intellectuels de chacun, tout en évitant d'inculquer des dogmes. — On met le Néophyte sur la voie de la vérité, en lui donnant symboliquement la première lettre du mot sacré ; il doit trouver lui-même la seconde, puis on lui indique la troisième, afin qu'il devine la quatrième.
D. — Qu'appelle-t-on salaire en Maçonnerie ?
R. — C'est la récompense du travail, le résultat qu'il produit pour l'ouvrier.
D. — Par quoi se traduit le salaire des Maçons ?
R. — Par un perfectionnement graduel de soi-même.
D. — Pourquoi les Apprentis reçoivent-ils leur salaire près de la Colonne J∴ ?
R. — Parce qu'elle symbolise l'énergie productrice, le foyer d'où rayonne l’activité humaine.
D. — Quel est ce foyer ?
R. — C'est le centre conscient auquel se rapporte chez l'individu la conception du moi. — L'Apprenti-Maçon doit s'absorber en lui-même, se replier sur la source initiale de sa pensée, afin de chercher dans la raison pure le point de départ de ses connaissances. C'est pourquoi au début de son initiation il est enfermé dans le sein de la terre, où, rentrant en lui-même, il doit descendre jusque dans les profondeurs du puits où la Vérité se trouve cachée.
D. — Quelle est la forme de votre Loge ?
R. — Un carré long.
D. — Dans quel sens est sa longueur ?
R. — De l’Orient à l'Occident.
D. — Sa largeur ?
R. — Du Midi au Septentrion.
D. — Sa hauteur ?
R. — Du Zénith au Nadir.
D. — Que veulent dire ces dimensions ?
R. — Que la Franc-Maçonnerie est universelle.
D. — Pourquoi votre Loge est-elle située de l'Orient à l'Occident ?
R. — Elle est orientée, comme tous les anciens édifices sacrés, pour rappeler que la Maçonnerie marque à ses adeptes la direction d'où vient la lumière. Il appartient aux Maçons de s'engager dans la voie tracée afin de marcher par eux-mêmes à la conquête du Vrai.
Il est à remarquer que les cathédrales construites par les Francs-Maçons du Moyen-Age ont toujours leur grand axe strictement parallèle à l'équateur terrestre.
D. — Qu'entendez-vous par le mot Loge ?
R. — C'est le lieu secret qui sert d'abri aux Maçons pour couvrir leurs travaux.
D. — Pourquoi les travaux maçonniques doivent-ils, s’accomplir à couvert ?
R. — Parce que toutes les forces, qui sont destinées à se déployer utilement au dehors, doivent tout d'abord être concentrées sur elles-mêmes, afin qu'après s'être mûries par la compression, elles puissent acquérir leur summum d'énergie expansive.
D. — A quoi peut se comparer une loge régulièrement couverte ?
R. — A la cellule organique et plus spécialement à l'œuf qui contient un être en puissance de devenir. Tout cerveau pensant figure en outre un atelier fermé : c'est une assemblée délibérante, abritée contre l'agitation du dehors.
D. — Que dites-vous quand les travaux ne sont pas à couvert ?
R. — Il p...t ! (Cette expression permet aux Maçons de s'avertir entre eux, lorsque leur conversation risque d'être surprise par des oreilles profanes.)
D. — Qu'est-ce qui soutient votre Loge ?
R. — Trois grands piliers qu'on nomme Sagesse, Force et Beauté, et qui sont symboliquement représentés par le Vén∴ et les deux Surv∴
D. — Comment ces piliers allégoriques peuvent-ils soutenir votre Loge, c'est-à-dire présider au travail constructif des Maçons ?
R. — La Sagesse invente, la Force exécute et la Beauté orne.
D. — Pourquoi vous êtes-vous fait recevoir Franc-Maçon ?
R. — Parce que j'étais dans les ténèbres et que j’ai désiré la lumière.
D. — Expliquez cette réponse.
R. — La société au milieu de laquelle nous vivons n'est qu'à demi civilisée. Les vérités essentielles y sont encore entourées d'ombres épaisses, les préjugés et l'ignorance la tuent, la force y prime le droit. La plus grande somme de vérités et de lumières ne saurait donc mieux se rencontrer que dans les Temples maçonniques, consacrés au travail et à l'étude par des hommes éprouvés et choisis.
D. — Dans quel état étiez-vous quand on a procédé à votre initiation ?
R. — Ni nu, ni vêtu, mais dans un état décent et dépourvu de tous métaux.
D. — Pourquoi dans cet état ?
R. — Dépouillé d'une partie de mes vêtements, pour rappeler que la vertu n'a pas besoin d'ornements. Le cœur à découvert, en signe de sincérité et de franchise.
Le genou droit mit à nu, pour marquer les sentiments d'humilité qui doivent présider à la poursuite du Vrai.
Le pied gauche déchaussé, à l'imitation d'une coutume orientale, et par respect pour un lieu qui est saint, parce qu'on y recherche la Vérité.
Dépourvu de tous métaux, comme preuve de désintéressement, et pour apprendre à se priver sans regret de tout ce qui peut nuire à notre perfectionnement.
D. — Comment avez-vous été introduit en Loge ?
R. — Par trois grands coups.
D. — Quelle est leur signification ?
R. — Demandez et vous recevrez (la Lumière) ; cherchez et vous trouverez (la Vérité) ; frappez et on vous ouvrira (les portes du Temple).
D. — Que vous est-il arrivé après votre introduction dans le Temple ?
R. — Après avoir subi diverses épreuves et du consentement de mes frères, le Maître de la Loge m'a reçu Maçon.
D. — Quelles sont ces épreuves et que signifient-elles ?
R. — Ces épreuves ont consisté en trois voyages destinés à m'enseigner la route qui conduit à la Vérité.
D. — Qu'avez-vous fait après avoir subi les épreuves ?
R. — J'ai promis de garder les secrets de l'Ordre et d'agir en toutes circonstances comme un bon et loyal Maçon.
D. — En quoi consistent les secrets de l'Ordre ?
R. — Dans la connaissance des vérités abstraites, dont le symbolisme maçonnique est la traduction sensible.
D. — Qu'avez-vous aperçu en entrant en Loge ?
R. — Rien que l'esprit humain puisse comprendre : un voile épais me couvrait les yeux.
D. — Comment expliquez-vous cette réponse ?
R. — Il ne suffit pas à l'homme d'être mis en présence de la Vérité pour qu'elle lui soit intelligible. La lumière n'éclaire l'esprit humain que lorsque rien ne s'oppose à son rayonnement. Tant que l'illusion et les préjugés nous aveuglent, l'obscurité règne en nous et nous rend insensibles à la splendeur du Vrai.
D. — Qu'avez-vous vu en recevant la lumière ?
R. — Le Soleil, la Lune et le Maître de la Loge.
D. — Quel rapport symbolique y a-t-il entre ces astres et le M∴ de la L∴ ?
R. — Le Soleil représente la raison qui éclaire les intelligences, la Lune figure l'imagination qui revêt les idées d'une forme appropriée, et le Maître de la Loge symbolise le principe conscient qui s'illumine sous la double influence du raisonnement (Soleil) et de l'imagination (Lune).
D. — Où se tient le Maître de la Loge ?
R. — A l'Orient.
D. — Pourquoi ?
R. — De même que le soleil apparaît à l'Orient pour ouvrir la carrière du jour, de même aussi le Maître se tient à l'Orient pour ouvrir la L∴ et mettre les ouvriers à l'œuvre.
D. — Où se tiennent les Surveillants ?
R. — A l'Occident, pour aider le M∴ de la L∴ dans ses travaux, payer les ouvriers et les renvoyer contents.
D.- Que signifie l'Occident par rapport à l'Orient ?
R. — L'Orient marque la direction d'où provient la lumière, et l'Occident la région sur laquelle elle s'arrête. L'Occident figure par suite le monde visible qui tombe sous les sens, et, d'une manière générale, tout ce qui est concret. L'Orient, au contraire, représente le monde intelligible, qui ne se révèle qu'à l'esprit : en d'autres termes, tout ce qui est abstrait.
D. — Où se tiennent les Apprentis ?
R. — Au Septentrion, qui représente la région la moins éclairée, parce qu'ils n'ont encore reçu qu'une instruction élémentaire en Maçonnerie et que, par suite, ils ne sont pas en état de supporter un trop grand jour.
D. — A quelle heure les Maçons ouvrent-ils et ferment-ils leurs travaux ?
R. — Allégoriquement les travaux s'ouvrent à Midi et se ferment à Minuit.
D. — Que signifient ces heures conventionnelles ?
R. — Elles indiquent que l'homme atteint la moitié de sa carrière, le midi de sa vie, avant de pouvoir être utile à ses semblables, mais que, dès cet instant jusqu'à sa dernière heure, il doit travailler sans relâche au bonheur commun.
D. — Que nous apprend la coutume de s'informer de l'heure avant d'agir ?
R. — L'action n'est utile que si elle vient à propos. Les conquêtes du progrès ne s'accomplissent qu'à leur heure. En se montrant trop impatient, on risque de faire avorter ce qui est en voie de préparation. Il faut savoir attendre le moment psychologique : agir trop tôt ou trop tard entraîne un égal insuccès.
D. — Quel âge avez-vous ?
R. — Trois ans.
D. — Que signifie cette réponse ?
R. — S'informer de l'âge maçonnique d'un F∴, c'est lui demander quel est son grade. L'Apprenti-Maçon a trois ans, parce qu'il doit être initié aux mystères des trois premiers nombres.
D. — Quels sont ces mystères ?
R. — Ce sont les conséquences logiques qui se déduisent des propriétés intrinsèques des nombres. La raison se base sur ces notions abstraites lorsqu'elle s'applique à résoudre le problème de l'existence des choses.
D. — Qu'avez-vous appris par l'étude du nombre Un ?
R. — Que tout est Un, vu qu'il ne saurait rien exister en dehors du Tout.
D. — Comment formulez-vous les principes que vous révèle le nombre Deux ?
R. — L'intelligence humaine assigne artificiellement des bornes à ce qui est Un et sans limites. L'Unité est ainsi renfermée entre deux extrêmes, qui ne sont que de pures abstractions, auxquelles les mots seuls prêtent une fausse apparence de réalité.
D. — Que concluez-vous de là ?
R. — Que l'Être, la Réalité ou la Vérité a pour symbole le nombre Trois.
D. — Pourquoi ?
R. — Parce que l'Être ou Ce qui est nous apparaît comme un troisième et moyen terme, en qui les extrêmes opposés se concilient.
D. — A quoi travaillent les Apprentis ?
R. — A dégrossir la pierre brute, afin de la dépouiller de ses aspérités et la rapprocher d'une forme en rapport avec sa destination.
D. — Quelle est cette pierre brute ?
R. — C'est le produit grossier de la, nature, que l'art doit polir et transformer.
D. — Quels sont les outils de l'Apprenti ?
R. — Le Ciseau et le Maillet.
D. — Que figurent-ils ?
R. — Le Ciseau représente la pensée arrêtée, les résolutions prises, et le Maillet la volonté qui les met à exécution.
D. — Que signifie la marche des Apprentis ?
R. — Le zèle que nous devons montrer en marchant vers celui qui nous éclaire.
D. — Avez-vous quelque ambition ?
R. — Une seule, j'aspire à l'honneur d'être reçu parmi les Compagnons.
TRAVAILLEZ ET PERSÉVÉREZ !
La Tri-unité
Nordique. Les Scandinaves symbolisaient l'Esprit universel par un
triangle dessinant une tête à triple face animée d'un perpétuel mouvement
rotatoire. |
PREMIERS ÉLÉMENTS DE PHILOSOPHIE INITIATIQUE
Le Sphinx. L'énigme des choses réside dans l'intelligence (tête
humaine) et dans la sentimentalité (seins de femme), qui s'unissent à un
corps de bœuf (pesanteur, aptitude à labourer la terre), allégé par des ailes
d'aigle (sublimation, spiritualité) et armé de griffes de lion (ardeur,
férocité). Cette synthèse de l'hominalité et de l'animalité correspond à
l'âme de la planète, qui détermine les destinées (glaive justicier). |
Les Mystères
La Science était jadis l'apanage du petit nombre. Elle ne se transmettait que sous le sceau du secret, à des hommes choisis dont on exigeait de rares qualités morales.
Ces élus étaient mis en présence d'emblèmes et de symboles, car le langage manquait primitivement de termes pour exprimer les choses abstraites. Force était donc de revêtir les conceptions philosophiques d'un voile imagé, qui devait être transparent pour les esprits perspicaces.
La science ne s'adressait ainsi qu'à des intelligences d'élite. Pour acquérir les connaissances propres aux anciens sages, il ne suffisait pas d’exercer la mémoire et de mettre en jeu une certaine facilité d'assimilation. Il fut un temps où on ne s'instruisait qu'en parvenant à résoudre des énigmes.
Les vérités que l'on découvrait ainsi n'avaient rien de commun avec les connaissances usuelles que l'on cherche si largement à répandre de nos jours. — La Sagesse des anciens s'attachait aux plus hautes spéculations : elle recherchait les causes et surtout la Cause des causes. — La science moderne étudie, au contraire, les effets : elle observe et elle calcule ; mais trop souvent, elle se dispense de penser. — L'antiquité tendait à produire des sages, alors que nous n'avons plus aujourd'hui que des savants.
Le triomphe très légitime de l'expérimentalisme ne doit pas, néanmoins, nous faire perdre de vue l'ordre de ces vérités qui sont en nous et non en dehors de nous. — La pensée est soumise à des lois, dont la connaissance peut seule nous faire distinguer en toutes choses la réalité de l'apparence.
L'homme qui ignore ces lois est le jouet de perpétuelles illusions, car il ne sait ni contrôler, ni rectifier les données de ses sens.
Le penseur, au contraire, qui est initié aux Mystères de l'Être, conçoit les conditions nécessaires de toute existence et ne saurait être dupe d'aucun mirage trompeur.
Lorsqu'on a su conquérir cette initiation, on cesse de s'agiter en aveugle au sein des ténèbres du monde profane, on l'éclaire d'un flambeau qui dissipe l'obscurité que l'on porte en soi, on tient le fil d'Ariane qui permet de pénétrer sans s'égarer dans le labyrinthe des choses incomprises.
L’Ésotérisme
La science qui s’enseigne dans nos universités ne tient compte que de ce qui frappe les sens. Elle n'envisage que le côté extérieur des choses et repousse les notions d'ordre purement intelligible. Cette science du dehors, de l'apparent, du visible, c'est la Science profane de pro fanum, devant le Temple. Nul ne songe à la mépriser, mais elle ne doit pas faire négliger ce qu'on appelait jadis la Science sacrée, c'est-à-dire la science de ce qui est caché, de ce qui est invisible ou intérieur.
Un exemple fera nettement saisir les caractères distinctifs de ces deux sciences.
Supposons un volume imprimé, et prions un savant de l'examiner selon les méthodes qui lui sont propres. — Il envisagera le livre comme un objet doué de propriétés physiques, qu'il déterminera, avec une merveilleuse exactitude. Il pourra mesurer les dimensions du volume à un dix-millième de millimètre près. Le poids en sera indiqué en tenant compte de la moindre fraction de milligramme. Les caractères du texte seront comptés. On cherchera la règle de leur répartition. La science, en outre, fournira l'analyse chimique du papier et de l'encre d'imprimerie. Ses investigations iront sous ce rapport jusqu'aux plus extrêmes limites de la minutie.
Mais tous ces renseignements ne vous intéressent que d'une manière secondaire et la chose essentielle pour vous serait de connaître la pensée que l'auteur a voulu exprimer. Gardez-vous cependant d'interroger à ce sujet l'homme aux instruments de précision. Il vous répondrait non sans une certaine suffisance, qu'il lui appartient de rester sur le terrain des faits, et qu'il doit s'interdire de compromettre la dignité de la science en la livrant au hasard des spéculations métaphysiques !
Cette réponse n'étant guère de nature à satisfaire la curiosité humaine, il faut en conclure que les connaissances profanes sont insuffisantes.
D'aucuns se complaisent, il est vrai, dans cette ignorance savante qu'on nomme l'agnosticisme. Ils s'obstinent à rester en arrêt devant la façade du Temple et se contentent de la vue extérieure des choses, dont l'essence intime leur échappera toujours, tant qu'ils n'auront pas pénétré dans l'intérieur du sanctuaire.
Les Nombres
Ce qui n'est pas visible se révèle à qui sait regarder au dedans de soi. Cette vue renversée sur elle-même, fait découvrir un vaste domaine de connaissances indépendantes de toute observation matérielle. Ce sont des notions qui s'imposent parleur propre évidence. Elles se rapportent à ce qui est nécessairement et constituent ainsi la science de l'absolu, qui ne souffre pas plus d'incertitude que les mathématiques.
Cette science qui est la plus importante de toutes, est renfermée dans notre esprit, qui la découvre comme un trésor ignoré, dès qu'il parvient à se percevoir lui-même. — C'est ainsi que la connaissance de soi-même devient le point de départ de toute philosophie.
Mais il est impossible de se connaître directement soi-même sans le secours d'un miroir. Les abstractions qui sont en nous ne deviennent perceptibles que lorsqu'elles se reflètent dans un signe extérieur. Ces symboles interviennent donc pour nous rendre manifestes les vérités qui sont en nous. Ils nous présentent l'image fidèle de ce que contient notre esprit. Lorsque celui-ci est vide, ils n'ont, par suite, aucune signification. La faute n'en est pas aux symboles, mais à celui qui ne sait rien y voir. On ne peut rien sortir d'une intelligence creuse.
Les symboles, néanmoins, ne parlent pas d'eux-mêmes. Pour les rendre éloquents, il faut avoir ouvert le sanctuaire des vérités abstraites, grâce à la clef que nous fournit l'étude des propriétés intrinsèques des Nombres.
Toutes les écoles initiatiques ont préconisé cette étude. — Les anciens en ont fait la base de leur science sacrée ; aussi les nombres jouent-ils un rôle prépondérant dans le symbolisme de toutes les religions. — Pythagore prétendait que les nombres régissent le monde. — Dans leur correspondance particulière, les Maçons se saluent « par les nombres qui leur sont connus » (P∴ L∴ N∴ Q∴ V∴ S∴ C∴). La F∴ M∴, au surplus, n'agit en toutes choses, que d'après des nombres déterminés et rattache les connaissances spéciales de chaque grade à la philosophie numérale des anciens.
Pour l'apprenti, le programme se limite aux nombres Un, Deux, Trois et Quatre, qu'il doit examiner au point de vue des déductions logiques qui se dégagent de la notion de l'Unité, du Binaire, du Ternaire et du Quaternaire.
L'Unité
Pour faciliter l'étude des nombres, la F∴ M∴ fait usage d'emblèmes attirant l'attention sur leurs propriétés essentielles. Le nouvel Initié, néanmoins, ne discerne tout d'abord aucun symbole se rapportant au nombre Un.
Il doit en être ainsi, car rien de ce qui est sensible ne peut être admis à représenter l'Unité. Nous ne percevons, en dehors de nous, que diversité et multiplicité. Rien dans la nature n'est simple : tout y est complexe.
Mais si l'Unité ne nous apparaît pas dans ce qui nous est extérieur, elle semble, par contre, résider en nous. Tout être pensant a le sentiment qu'il est Un.
Cette Unité qui est en nous se manifeste à la fois dans notre manière de penser, d'agir et de sentir. — Nos idées, ramenées à l'idée d'un tout harmonique, font naître en nous la notion du Vrai. — Nos actes, rapportés à une loi établie pour tous, se règlent sur cette unité morale qui correspond au Juste et au Bien. — Nous sommes enfin portés à coordonner nos sensations, et c'est de ce besoin d'unité esthétique que naissent les arts qui réalisent le Beau. — Le Vrai, le Juste et le Beau traduisent donc, dans des domaines différents, un même principe d'Unité, qui est l’Idéal, le pôle unique vers lequel tendent toutes les aspirations.
Indra Le
Principe pensant universel, représenté par Indra, divinité védique
dispensatrice de la pluie spirituelle, animatrice du monde. Cette divinité
védique correspond au Jupiter pluvius des Latins. Cependant l'eau céleste que
fait tomber « celui qui pleut » féconde, non les champs, mais les
intelligences. Elle émane de l'Océan de la Sagesse suprême, personnifiée par
Ea chez les Chaldéens. |
L'Unité n'a rien d'objectif. C'est une abstraction qui se rapporte au Centre insaisissable auquel nous ramenons notre moi.
Ce Centre, qui n'est localisé nulle part, semble être en chacun de nous. Mais ce n'est qu'une illusion. La pensée est une. Il n'y a qu'un seul principe pensant commun à tous les êtres. C'est le Centre omni présent, qui est à la fois en nous et hors de nous. (Brahma, Osiris, Dieu le Père, l'Ancien des jours, etc).
Tout centre suppose une circonférence. L'unité abstraite est donc indissolublement lié à la Multiplicité concrète.
Le Père universel (Osiris) est uni à la Mère universelle (Isis ou la Nature). Cela veut dire que les effets sont inséparables des causes, qui se ramènent toutes à une Cause primitive simple.
Quelle est cette Cause ? Quel est le principe premier dont dérivent toutes choses ?
L'Unité absolue, qui englobe toute existence passée, présente et future, a été symbolisée jadis par un serpent qui se mord la queue, le fameux Ouroboros, qu'accompagnait la légende :
EN TO PAN, UN LE TOUT
L'Ouroboros Le circuit incessant de la vie universelle. Le courant qui simultanément
crée, dévore et reconstitue. |
Cet Un-Tout échappe nécessairement à notre compréhension. C'est le Mystère par excellence, l'Arcane des Arcanes. L'existence ne s'explique pas, elle se constate. l'Être, ou Ce qui est, se révèle à nos sens sous son aspect de multiplicité, de même qu'il se montre à la raison dans son caractère d'unité. — A la fois un et multiple, il a été représenté dans la Bible par le mot Ælohim, pluriel qui régit un verbe au singulier. (Beraeschith bara Ælohim. Dans le principe Lui-les-Dieux créa...)
Pour les alchimistes tout provient de la Matière première des Sages, substance non différenciée qui ne saurait frapper nos sens. Cette entité mystérieuse n'est pas pour le vulgaire, mais elle est tout pour les philosophes. — Les sots ne la voient nulle part, tandis qu'elle est partout pour les sages.
La substance une est d'ailleurs pour nous comme si elle n'existait pas. Nous ne percevons les choses qu'en raison des contrastes, qui font nécessairement défaut dans ce qui est un et uniforme. — L'Unité absolue ne pouvant être distinguée ou séparée d'autre chose, se conçoit donc comme le Vide ou le Néant. C'est l'Abîme, la Nuit ou le Chaos des différentes cosmogonies. — Hiéroglyphiquement c'est un disque noir, qui représente le Tout-Rien ou Etre-Non-Etre des Kabbalistes.
Le Globe
ailé des Egyptiens La
matière animée (serpents) qui se volatilise (ailes) pour remplir l'immensité
sans limites. |
Le Binaire
Nous ne pouvons comprendre, c'est-à-dire prendre mentalement, que ce qui donne prise à nos facultés intellectuelles. Or, celles-ci ne peuvent saisir l'Être dans son unité radicale. L'infini échappe à notre entendement, tout en s'imposant à notre raison, qui est tenue de s'incliner devant les vérités transcendantes en reconnaissant son impuissance. (Le Récipiendaire se courbe jusqu'à terre en franchissant le seuil du Temple).
Nous ne percevons un objet, que lorsqu'il se différencie de son milieu ambiant. La différenciation est donc indispensable à la connaissance, et c'est ce qui fait de Deux le nombre de la Science.
Dans le symbolisme ancien, celle-ci était représentée par une femme assise entre deux colonnes, images du Binaire dans ses différents aspects.
Isis,
déesse du mystère Elle
est assise sur la pierre cubique et enseigne à deviner ce qui est caché. |
Cette femme est noire, pour indiquer le caractère mystérieux et secret de la science antique. Ses mains font le signe de l'ésotérisme (ce qui est intérieur, inaccessible aux sens et d'ordre purement intelligible). La droite est dirigée vers le ciel, la gauche vers la terre. Cela signifie : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». C'est le principe de l'analogie universelle, base de l'interprétation de tous les symbolismes.
Des deux colonnes, l'une est rouge (J∴) et l'autre blanche (B∴). Elles correspondent aux antithèses suivantes :
Sujet |
Objet |
Agent |
Patient |
Actif |
Passif |
Positif |
Négatif |
Mâle |
Femelle |
Père |
Mère |
Donner |
Recevoir |
Créer, produire |
Développer, conserver |
Agir |
Sentir |
Raison |
Imagination |
Inventer |
Comprendre |
Commander |
Obéir |
Mouvement |
Repos |
Esprit |
Matière |
Osiris |
Isis |
Soleil |
Lune |
Abstrait |
Concret |
Les colonnes symboliques rappellent les obélisques couverts d'hiéroglyphes qui se dressaient devant les temples égyptiens. On les retrouve dans les deux tours du portail des cathédrales gothiques. Ce sont les colonnes d'Hercule qui marquent les limites entre lesquelles se meurt l'esprit humain. Ce domaine de ce qui nous est connu a pour image le voile d'Isis, tendu de l'une des colonnes à l'autre.
Le
Monde Lame
XXI du Tarot de Paris (1650). La Vérité soulevant le voile de Maya. Le Monde,
soutenu par les quatre vents de l'Esprit, supporte la révélatrice de l'Absolu
qui a soulevé le voile des apparences sensibles. |
Ce rideau nous dérobe la vue de la Réalité vraie, qui se renferme dans le mystère de l'Unité. Nous prêtons une objectivité décevante aux qualités contraires que nous attribuons aux choses. Nous sommes ainsi le jouet de Maya, la déesse de l'Illusion, qui nous tient fascinés sous le charme de ses enchantements.
Pour se soustraire à l'empire de l'éternelle magicienne, le penseur ne doit accorder qu'une valeur purement relative aux entités antagonistes que nous imaginons, par un abus du langage autant que de la pensée. — Le Vrai et le Faux, le Bien et le Mal, le Beau et le Laid, etc., se rapportent à des extrêmes qui n'existent que dans notre esprit. Ce sont les bornes factices du monde qui nous est connu, lambeau bien exigu, mais qui nous séduit par les reflets chatoyants des soies dont il est tissé. Ce voile, suspendu entre les colonnes du Temple, en masque l'entrée, et doit être soulevé par le penseur qui veut y pénétrer. Le récipiendaire le laisse derrière lui, lorsqu'il a subi les épreuves et que la lumière lui est accordée. L'Initié se tient alors entre les deux colonnes, debout sur le pavé mosaïque, qui est un assemblage de dalles alternativement blanches et noires.
Ces couleurs contraires nous apprennent comment, dans le domaine de nos sensations, tout se compense avec une rigoureuse exactitude. Nos perceptions se plient à la loi des contrastes. Nous ne jouissons du repos qu'en tant qu'il répare une fatigue. Nous n'apprécions le plaisir qu'en le comparant à la douleur qui nous est connue. La joie se proportionne à la peine ou à l'anxiété qui l'a précédée. L'erreur manifeste la vérité. Le bien nous attire dans l'exacte mesure ou le mal nous repousse. Le beau nous plaît en proportion de l'horreur que nous inspire le laid. La lumière ne se conçoit que par opposition aux ténèbres, et le bonheur ne peut être goûté que lorsqu'il nous sauve de l'infortune. L'existence n'acquiert de prix que par la lutte contre les difficultés qu'on parvient à vaincre. La jouissance ne réside que dans le triomphe.
La sirène
royale de Basile Valentin Ses
mamelles répandent du sang (colonne J∴) et du lait (colonne B∴). Elle nage dans l'Océan dont elle est la source (la
Matière première dont tout se forme). La Sirène
est la grande séductrice qui fait aimer la vie.
Elle attire les êtres dans l'agitation des flots,
où ils auront à se débattre sans jamais trouver le repos. |
La vie résulte d'un perpétuel conflit. C'est l'opposition qui engendre toutes choses, de même que la révolte crée l'individu, car il faut s'insurger pour être. Tel est le sens du mythe de la chute adamique. Un foyer d'initiative individuelle ne se constitue que sous l'inspiration de l'égoïsme radical, (Serpent de la Genèse), qui incite l'automatisme physiologique à se rendre conscient et à vouloir être semblable à Lui les Dieux (Ælohim) connaissant le bien et le mal !
Le Ternaire
Deux est le nombre du discernement, qui procède par analyse, en établissant des distinctions incessantes, sur lesquelles rien ne saurait se baser. L'esprit qui refuse de s'arrêter dans cette voie se condamne à la stérilité du doute systématique, à l'opposition impuissante, à la contestation perpétuelle. Ce Binaire est celui de Méphistophélès, le contradicteur qui toujours nie.
Méphistophélès Le
tentateur de Faust détruit toute certitude et oblige l'esprit à chercher
constamment une vérité qui lui échappe. |
L'Initié sait conjurer le démon après l'avoir évoqué, car l'Unité radicale ne se dédouble à ses yeux que pour se reconstituer trinitairement. Deux révèle Trois et le Ternaire n'est qu'un aspect plus intelligible de l'Unité.
La Tri-Unité de toutes choses est le mystère fondamental de l'Initiation intellectuelle. Le Maçon qui pare sa signature de trois points en triangle donne à entendre qu'il sait ramener par le Ternaire le Binaire à l'Unité. Si réellement il s'est élevé à la hauteur du point qui domine les deux autres, il ne se perdra jamais en de vaines discussions, car il percevra sans difficulté la solution qui se dégage d'un débat contradictoire. Jugeant de haut sans le moindre parti pris et en toute liberté d'esprit, il fera jaillir la lumière du choc de l'affirmation et de la négation.
Le vulgaire discute communément avec une partialité pleine de candeur. Loin de peser en chaque chose le pour et le contre, il ne veut connaître que le pour de ce dont il est partisan, de même qu'il ne s'attache qu'au contre de ce qu'il combat. Les victimes de l'esprit de parti sont ainsi hors d'état de voir clair, parce qu'elles restent prisonnières d'un point de vue unique. Le penseur ne craint pas de se déplacer afin d'épouser l'optique de son adversaire, car il ne saurait parvenir autrement à planer au-dessus du débat.
C'est en raison de l'importance exceptionnelle du Ternaire que la Franc-Maçonnerie en rappelle la loi dans ses principaux symboles. L'un des plus frappants est à cet égard le Delta lumineux.
On distingue trois parties dans l'ensemble de l'emblème :
1° Un triangle, qui porte en son centre l'œil de l'intelligence ou du principe conscient;
2° des rayons exprimant l'activité, l'expansion constante de l'Être, en vertu de laquelle le point mathématique sans dimensions, qui est partout, remplit l'immensité sans limites ;
Le Delta
rayonnant Les
Alchimistes reconnaissaient en cet emblème la réunion de leurs trois
principes : Soufre, Mercure et Sel, qui se distinguent nécessairement en tout
être et en toute chose. |
3° un Cercle de nuages figurant le retour sur elles-mêmes des émanations expansives, plus exactement, leur condensation sous la pression de leur rencontre, puisqu'il s'agit de vibrations provenant d'une infinité de foyers.
Le tout est un schéma de l'Être dans la multiplicité infinie de ses manifestations, car tout est à la fois triple et un. Pour s'en convaincre, il suffit d'envisager un acte quel qu'il soit, qui n'est concevable qu'en tant qu'action exercée sur quelque chose pour obtenir un résultat. En tout ce qui se fait, donc en tout ce qui existe, interviennent ainsi trois termes : 1° un agent qui agit ; 2° un patient qui subit l'action ; 3° un effet produit par celle-ci.
Le mystère de la Trinité s'applique ainsi universellement, si bien que, sous diverses formes, il se retrouve dans les systèmes de nombreuses écoles, comme l'indiquent les rapprochements suivants :
Dans ce tableau, le premier terme est actif, la second est passif par rapport au premier, mais actif par rapport au troisième, qui est pleinement passif.
D'autres ternaires mettent en présence deux contraires (I et II, Positif et Négatif) dont la combinaison engendre le troisième terme (III Neutre ou Equilibré)»
Les bijoux distinctifs des trois premiers officiers sont une illustration frappante de la loi du Ternaire.
Le Niveau du 1er Surv∴ veut, en effet, que nul ne domine sur autrui ; or, la Perpendiculaire du 2e Surv∴ sollicite au contraire chacun à s'élever aussi haut que possible, en même temps qu'à descendre jusque dans les abîmes les plus profonds de la pensée. Il y a donc conflit entre l'horizontale égalitaire et la verticale hiérarchique ; mais tout se concilie dans l’Équerre qui décore le Maître de la Loge. Celui-ci accorde à tous les ouvriers une même estime en raison du zèle égal que tous apportent au travail, ce qui ne l'empêche pas d'apprécier chacun selon ses capacités particulières, si bien qu'il demande à l'un ce qu'il ne saurait exiger d'un autre. L'équité, dont l’Équerre est l'emblème, préside ainsi aux rapports des Maçons, qui se taillent d'ailleurs symboliquement eux-mêmes en blocs équarris avec soin, car seuls des matériaux rectangulaires peuvent s'ajuster entre eux sans solution de continuité, condition indispensable à la cohésion de l'édifice. Mais la solidité de celui-ci dépend de la stricte horizontalité des assises que contrôle le niveau. Quant à la construction en hauteur, elle se stabilise à l'aide de la Perpendiculaire, qui assure qu'aucun mur ne penche ni d'un côté ni de l'autre.
Tout dépend en cela de la taille correcte des pierres. Il faut qu'elles soient normales, c'est-à-dire en concordance, avec l’Équerre (Norma en latin), autrement aucun art n'intervient et tout se borne à un grossier entassement de blocs informes. L’Équerre est donc en Maçonnerie l'instrument primordial, car elle dirige le dégrossissement de la pierre brute, autrement dit la formation de l'individu en vue de l'exact accomplissement de sa fonction humanitaire et sociale.
Les Trilogies
Les anciens Maçons faisaient reposer leur œuvre sur trois grands piliers nommés SAGESSE, FORCE et BEAUTÉ, en l'honneur d'antiques déesses auxquelles les imagiers du Moyen-Age ont consacré trois des vingt-deux compositions allégoriques du Tarot.
La Sagesse nous apparaît ainsi sous les traits d'une Impératrice céleste, ailée comme la Vierge zodiacale ou Vénus-Uranie. C'est la Sophia des Gnostiques, la mère virginale des idées génératrices des formes.
Elle est l'Intelligence qui conçoit le projet de l'édifice et en arrête le plan.
La Force exécute les conceptions en domptant les énergies rebelles. Ce n'est point un athlète, mais une femme gracieuse et frêle qui maîtrise en souriant un lion rugissant, emblème des passions qu'il faut soumettre et discipliner dans l'intérêt du Grand Œuvre à poursuivre.
Tout comme la Vérité, la Beauté se montre nue. Elle arrose la terre aride, qui aussitôt se pare de verdure et de fleurs. C'est l'Idéalité, la fée qui embellit la vie et la fait aimer en dépit de ses misères et de sa cruauté.
Le triangle maçonnique est parfois commenté par les mots :
BIEN PENSER - BIEN DIRE - BIEN FAIRE
Mais aux yeux de la Maçonnerie latine, il évoque la devise :
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
Sagesse,
Force et Beauté Les
trois piliers de la construction maçonnique, correspondent aux Arcanes III,
XI et XVII du Tarot, qui figurent l'intelligence théorique la plus haute,
l'énergie pratique appliquée judicieusement et le sens esthétique qui sait
tout idéaliser. |
En politique, cette formule a pu réserver des déceptions; il n'en est pas de même en initiation.
La vraie Liberté appartient à l'homme affranchi de la tyrannie des vices et des passions, aussi bien que de la servitude des erreurs et des préjugés. Elle n'est le propre que de l'Initié qui reste libre, fût-il chargé de fers par les ennemis du bien. La Liberté réelle et inaliénable : l'homme la porte en lui-même et nul despote ne peut y attenter
L'Égalité n'est effective qu'aux yeux du philosophe qui envisage le monde comme un théâtre où chacun joue un rôle convenu. Bien ridicule serait l'acteur déguisé en prince, s'il méprisait son camarade appelé à contrefaire le mendiant. Ne sont-ils pas comédiens au même titre ? Et si l'un est supérieur à l'autre, n'est-ce pas celui qui aura le mieux su se conformer aux intentions du dramaturge ? La Fraternité découle aux yeux des Anglo-Saxons de la persuasion que nous sommes tous enfants d'un même Dieu. Faisant abstraction de toute théologie, les Latins puisent dans le sentiment de la solidarité humaine la conviction qu'il y a entre les hommes des liens plus puissants que ceux de la simple consanguinité. Le genre humain est beaucoup plus uni que ne saurait l'être une grande famille, car il constitue un corps unique, dont nous sommes les cellules animées d'une même vie générale. Faire du tort à autrui, c'est se frapper soi-même par le dommage causé à la collectivité. Se dévouer au bien de tous se traduit, au contraire, par un développement bénéfique de la valeur individuelle, et le bien réalisé se répercute sur son auteur.
Le Quaternaire
Le
Quaternaire Les
Animaux kabbalistiques de la vision d'Ezéchiel et de l'Apocalypse se
retrouvent dans le symbolisme hindou. L’Aigle, dont le regard pénètre toutes
choses, y représente l'ubiquité, alors que le Taureau figure le pouvoir
générateur dans sa plus haute acception ; le Lion est d'autre part l'image de
la force active illimitée de l'Univers et l'Ange sa rapporte à la fécondité
intellectuelle. Quant au Serpent Amanta, il correspond au Fleuve Océan de la
Vie universelle dont le courant entraîne les individualités jusqu'à ce
qu'elles aient conquis leur liberté en s'unissant à Brahma (le Grand
Architecte). |
La quadruple purification subie par l'Initié doit lui enseigner à surmonter les attractions élémentaires. Celles-ci s'exercent en s'opposant deux par deux. On fait correspondre la première à la Terre, qui symbolise la lourdeur, l'opacité, le positivisme matériel, l'inertie, etc.
Cette tendance vers le bas est combattue par le dégagement en hauteur, figuré par l'Air, élément léger, subtil, transparent, mais inconsistant et peu saisissable.
L'Eau remplit ce qui est creux ; elle a ainsi donné l'idée d'une matière universelle se pliant à toutes les formes. Elle cherche d'ailleurs le repos, l'horizontalité ; elle calme, elle éteint, d'où la propulsion à la langueur et à la paresse qu'on lui attribue.
A sa passivité, à son indifférence, à sa froideur s'oppose le Feu, dont l'activité stimule toutes les énergies. Modéré il vivifie, mais trop violent, il dessèche et tue.
L'Initié doit se maintenir au centre de la croix dont les extrémités correspondent aux termes du quaternaire.
Les Pythagoriciens expliquaient par la Tétrade les mystères de la création et la Bible représente l'Être des êtres par un hiérogramme de quatre lettres :
...mot sacré qui ne devait pas être prononcé.
Ces indications doivent suffire ici, car l'étude plus approfondie du Quaternaire rentre dans le programme du grade de Compagnon.
Le Temple
La décoration et l'arrangement intérieur d’un lien de réunion exercent une influence marquée sur l'esprit de ceux qui s'y rassemblent. Un temple maçonnique doit donc être autre chose qu'une simple salle de conférences.
Nul besoin cependant que ce soit un local luxueux. Il suffît que certaines données symboliques soient constamment rappelées aux Maçons, afin qu'elles s'imposent à leurs méditations.
C'est ainsi qu'à l'imitation de l'Univers sensible, tel que se le figuraient les anciens, l'atelier sera plus long que large et conventionnellement orienté selon les quatre points cardinaux.
La porte s'ouvrira à l'Occident, entre deux colonnes creuses, aux chapiteaux ornés de lys égyptiens et couronnés de pommes de grenade entr'ouvertes ; ces fruits aux grains symétriquement rangés rappellent la famille maçonnique, dont tous les membres sont harmonieusement reliés par l'esprit d'ordre et de fraternité.
La Colonne du Sud (J∴) est rouge ; elle marque la place du 2ème Surveillant, dont l'insigne est la Perpendiculaire.
La Colonne du Nord (B∴) est blanche; près d'elle siège le 1er Surveillant que décore le Niveau.
(Note de L.A.T. : Cette disposition des colonnes et des surveillants concerne le Rite Ecossais Ancien et Accepté. Au Rite Français, colonnes et surveillants sont inversés).
Ces deux colonnes se dressent sur le pavé mosaïque composé de dalles alternativement blanches et noires.
L'Orient est occupé par une estrade élevée de trois marches, sur laquelle prend place le Maître de la Loge, dit Vénérable Maître ou simplement Vénérable (30), assisté de l'Orateur (Sud) et du Secrétaire (Nord).
(30) Le Vénérable porte aussi le titre de Maître en chaire de l'anglais chair Master qui le distingue des Autres Maîtres, ses égaux en grade.
Le plafond est parsemé d'étoiles. De même que les tentures, il est bleu comme la voûte céleste qui enveloppe de toutes parts la terre, figurée par le parquet du local.
Un lambrequin dentelé forme frise et porte une corde terminée par des houppes qui se rejoignent près des Colonnes J∴ et B∴ Cet ornement a été appelé improprement houppe dentelée. La corde se noue en entrelacs, dits lacs d'amour et représente ainsi la chaîne d'Union reliant tous les Maçons. Les noeuds peuvent être au nombre de douze pour correspondre aux signes du zodiaque.
L'initiation se conférait primitivement dans des grottes naturelles, puis dans des cryptes taillées dans le flanc des montagnes. C'est en souvenir de ces sanctuaires que la Loge n'est éclairée par aucune fenêtre. On a également voulu rappeler ainsi que l'Univers n'est visible que du dedans, puisqu'il n'y a pas à supposer l'aspect extérieur au Tout qui remplit l'immensité sans limites. Un éclairage artificiel s'impose ainsi en Loge : il est fourni par un minimum de cinq lumières placées près des cinq premiers officiers.
Le Trésorier siège près de l'Orateur (Sud) et l'Hospitalier près du Secrétaire (Nord).
Les assistants prennent place au Nord et au Sud en se faisant face. Les Apprentis se tiennent au Nord et demandent la parole au 2ème Surveillant. Ils ne sauraient s'expliquer d'emblée tous les symboles qui les frappent en Loge, mais les Maîtres ont mission de les instruire et les aideront a déchiffrer l'énigme des choses.
L'Apprenti se considère comme une Pierre brute non encore dégrossie à souhait. Il est à la fois le sujet et l'objet de son travail, puisqu'il est appelé à se transformer lui-même en bloc rectangulaire, capable de tenir exactement sa plaça dans l'édifice à construire. Ses outils sont à cet égard le Ciseau et le Maillet. Quand il aura prouvé qu'il sait en faire usage en vue de son perfectionnement intellectuel et moral, il sera proposé pour le grade de Compagnon.
Le
Carré long renfermant les symboles essentiels du grade d'Apprenti. Il se
traçait jadis sur le plancher de la Loge au moment de l'ouverture des travaux
et toute trace en était effacée lors de la clôture. |
FIN DU "LIVRE DE L'APPRENTI"
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