DUMAS Le Grand Dictionnaire de Cuisine (02)


Enfin on aperçoit les trois clochers de Saint-Pol, et
presque en même temps, à droite, la mer.
L'un des trois clochers, celui du collège, est une
merveille: il porte à moitié de sa hauteur un renflement
découpé avec la délicatesse d'un bijou chinois.
De Saint-Pol à Roscoff, la route s'étend unie comme un
tapis de billard, quoiqu'il y ait une déclivité sensible vers
Roscoff; de Roscoff à Saint-Pol, la plaine tout entière est
plantée d'artichauts et d'oignons, qui suffisent à un
commerce éternel entre Roscoff et l'Angleterre.
Enfin on arrive à Roscoff par une espèce de forêt. C'est
la propriété du maire du pays, dont le jardin renferme un
figuier phénoménal: on peut mettre cent cinquante
personnes à couvert sous son ombre, et ses branches sont
soutenues par cinquante piliers de granit.
Comme nous ne savions pas où était le logement arrêté
pour nous par M. Corbière, nous allâmes le relancer chez
lui.
Il y était; et il accourut au seuil de sa porte.
M. Corbière, avec ses soixante-quatorze ans, était
encore, comparativement à moi, un jeune homme; il me
reconnut à l'instant même - ce qu'il m'eût été impossible de
faire à son égard - il ne voulut ni monter, ni nous
permettre de descendre, mais il nous conduisit de son pas de
vingt-cinq ans.
Enfin nous arrivâmes chez maître Mironet, boulanger,
habitant une rue qui n'a pas de nom; il n'y a du reste que
deux rues dans le pays, et comme l'une s'appelle la rue de la
Perle, on n'a pas vu la nécessité de chercher un nom à
l'autre.
Nous n'étions qu'à trente pas du port, c'est vrai; mais un
jardin touffu comme le figuier du maire faisait un
magnifique rideau entre la mer et nous, de sorte que nous ne
voyions pas d'eau de la grandeur d'un miroir d'enfant.
M. Mironet consentait à nous céder cinq chambres et
une cuisine, moyennant cent cinquante francs par mois.
Elles n'étaient pas belles, elles étaient désagréables,
d'aucune d'elles on ne voyait la mer; mais enfin nous
étions si ennuyés de chercher sans trouver, que je tirai
sept louis et demi de ma poche et qu'avec un soupir de
soulagement je criai:
«Déchargez les voitures».
Nous avions avec nous une cuisinière nommée Marie;
Vasily me l'avait donnée pour aller, trois mois auparavant,
à Maisons-Laffitte.
Marie avait paru se trouver si bien avec nous, elle nous
avait pris en une si vive amitié, disait-elle, qu'elle ne
pouvait plus se passer de nous.
Mais l'aspect de Roscoff parut bien vite calmer cette
grande ardeur.
A peine y étions-nous arrivés, qu'elle se laissait aller
avec découragement sur un fauteuil, en disant:
«Je préviens monsieur qu'il ne trouvera absolument rien
à manger ici.
- Oh que si, Marie.
- Monsieur verra.
- Comment font les gens du pays?
- Je ne sais pas.
Eh bien, Marie, nous ferons comme eux; d'abord nous
ne mourrons pas de faim, nous sommes chez un
boulanger».
Ce court dialogue avec Marie ne s'était pas terminé sans
me laisser quelques inquiétudes.
Je m'informai. Corbière m'indiqua les trois premiers
pêcheurs du pays, m'annonce qu'il y avait deux marchés par
semaine à Saint-Pol, et que, si ma cuisinière voulait profiter
de sa voiture, qui allait deux fois par semaine aux
provisions, sa voiture était à la disposition de Mlle Marie; sa
cuisinière à lui la conduirait partout où elle
s'approvisionnait elle-même.
Toutes ces avances furent reçues froidement par
Marie, et lorsque je lui demandai, à cinq heures:
«Eh bien, Marie, dînons-nous?» Elle me répondit
tranquillement:
«Je ne sais pas, monsieur.
- C'est pourtant à vous de le savoir, il me semble.
- Ah! monsieur, dit-elle en secouant la tête, c'est un
pays où nous ne pourrons pas rester.
- Il est possible que vous n'y restiez pas, Marie; mais à
coup sûr, moi, j'y resterai».
Sur ces entrefaites, j'avais demandé un homme pour me
faire la barbe.
L'homme vint: il était porteur d'une de ces bonnes
figures qui annoncent la disposition du porteur à vous être
agréable.
«Comment vous appelez-vous, lui demandai-je, mon
bon ami?
- Robineau, monsieur, pour vous servir, dit-il en tirant
ses rasoirs de sa poche.
- Robineau, mon bon ami, il y a quelque chose de plus
pressé aujourd'hui que de me faire la barbe.
- Elle a pourtant bien besoin d'être faite, monsieur.
- C'est vrai, depuis quatre jours elle est en souffrance;
mais elle me dit à une oreille qu'elle peut attendre encore
un jour, tandis que mon estomac me dit à l'autre qu'il ne
peut plus attendre du tout. Robineau, mon ami, je mets ma
vie et celle de mes trois compagnons entre vos mains,
faites-nous dîner, pour l'amour de Dieu!»
Un quart d'heure après, Robineau revenait avec un
poisson de six ou huit livres, six artichauts, un morceau de
veau rôti et un vol-au-vent.
«Voyez, Marie, dis-je à la cuisinière, que le proverbe,
Aide-toi et le ciel t'aidera, n'est pas un mensonge. Aideznous
en mettant le couvert; moi je me charge de la
cuisine».
Le poisson était un aiglefin magnifique. J'en demandai
le prix à Robineau, qui me dit en haussant les épaules:
«Ah! monsieur, ça n'est pas la peine, ça viendra avec
autre chose».
J'insistai pour le poisson et pour les artichauts: les six
artichauts, gros comme des têtes d'enfants, coûtaient quatre
sous les six, le poisson vingt sous; le vol-au-vent était un
don de M. Corbière; le morceau de veau était
l'hommage d'un bienfaiteur inconnu. Il en résultait qu'après
avoir craint de mourir de faim nous étions dans la position,
assez embarrassante, d'être nourris par la commune de
Roscoff.
Après le dîner, tout le monde s'envola pour aller se
promener près de la mer.
Je restai seul, comptant recevoir la visite de M.
Corbière.
Vers huit heures, il arriva en effet.
J'avais, comme je l'ai dit, entre moi et la mer un jardin,
puis une maison, puis un autre jardin.
M. Corbière venait, au nom de M. Bagot, propriétaire
du second jardin, tout aussi beau, tout aussi vert, tout aussi
fleuri que le premier, m'offrir ce jardin pour y passer mes
heures de recréation et même de travail.
J'acceptai, promettant d'aller dès le lendemain faire une
visite au digne homme qui m'offrait ainsi son ombre, son
soleil et ses fleurs.
Mais Corbière me dit que, pour plus grande facilité à
moi et à lui, j'allasse droit au jardin de M. Bagot; il viendrait
m'y rejoindre, sa maison, qu'il faisait réparer, étant sens
dessus sens dessous.
Je promis de suivre les instructions qui m'étaient
données.
Le lendemain, comme je passais de ma chambre à
coucher dans un petit cabinet de travail, je trouvai Marie
qui m'attendait.
«Mon Dieu, monsieur, qu'est-ce que l'on va faire de tout
cela?
- De tout quoi?
- Mais de tout ce qu'on a apporté pour vous; venez voir
dans la cuisine, c'est comme une halle au poisson».
Je descendis, et en effet, je trouvai deux maquereaux,
une sole, un homard et une raie grande comme un
parapluie.
«Et qu'est-ce qu'ont dit les gens qui vous ont
apporté cela?
- Tous la même chose, monsieur. On eût dit qu'ils
s'étaient donné le mot. Ils ont dit qu'hier ils avaient appris
que vous aviez manqué mourir de faim, et, comme ils ne
voulaient pas qu'un pareil malheur vous arrivât à Roscoff,
chacun vous apportait ce qu'il avait pu se procurer.
- Pour aujourd'hui, vous allez mettre la raie au beurre
noir et la sole aux fines herbes; mais demain vous ne
recevrez rien sans le nom de la personne qui envoie.
- Mais, monsieur, si la personne ne veut pas le donner,
son nom?
- Vous refuserez de recevoir, voilà tout».
Marie se prépara à nous faire le déjeuner.
Sur ces entrefaites, la carriole et la cuisinière de M.
Corbière s'arrêtèrent devant la porte, partant pour Saint-Pol.
Marie refusa de l'accompagner, déclarant que nous
avions à manger pour huit jours. Je priai en conséquence la
cuisinière de Corbière de nous acheter un bon pot-au-feu et
une paire de poulets.
Entre neuf et dix heures, Corbière arriva et me révéla
tous les secrets de la cuisine.
La raie venait de mon fidèle Robineau; le homard, de
M. Drouet, sculpteur français, en villégiature à Roscoff; la
sole, d'un peintre nommé Bouquet, qui passe ses six
mois d'été à Roscoff et ses six mois d'hiver à Paris; les
deux maquereaux, du commissaire de la marine.
J'écrivis aussitôt à chacun d'eux, et leur fis porter mes
lettres.
Avant cinq heures du soir, j'avais reçu la visite de tout
le monde, et j'avais fait connaissance avec mes
pourvoyeurs.
Tous mes hommes, quel que fût l'état qu'ils
exerçassent, depuis Robineau, mon coiffeur, jusqu'au
commissaire de la marine, étaient des pêcheurs enragés.
Pendant les grandes marées, ils faisaient leurs pêches les
plus brillantes: on était aux époques des grandes marées,
voilà pourquoi le poisson abondait.
Dans la journée, j'avais été m'asseoir dans le jardin de
mon voisin.
Pour que l'on comprenne la mise en scène, je dirai que
sa maison faisait face à la mer et était bâtie du coté de la
rue qui en était le plus éloigné; mais, sur la façade, il
n'avait qu'une petite grille et ce jardin plein de fleurs,
embaumé de résédas, où il m'invitait à aller faire mes
haltes de paresse.
A peine y fus-je installé, que je le vis arriver avec une
bouteille de Xérès et des petits verres sur un plateau.
Nous fîmes donc connaissance le verre à la main,
excellente manière de faire connaissance! et nous
trinquâmes à notre bonne santé.
Que Dieu la conserve à cet excellent homme, une des
meilleures, des plus franches, des plus excellentes natures
que je connaisse: toujours embarrassé pour vous rendre un
service ou vous offrir un fruit; mais si bon, si franc, si naïf;
que fruit ou service, peu ou beaucoup, il vous faut toujours
accepter ce qu'il vous offre.
Je passai une partie de la journée dans ce jardin, je ne
m'étais pas encore remis sérieusement au travail, et je
profitai de ce reste de repos pour m'élargir l'âme par les
yeux.
Plus tard on sut que j'allais au jardin vers quatre heures.
Alors mes visiteurs abondèrent, et il y eut cercle. La vue
de la mer est la plus propre à mettre tout le monde à son
aise: son immensité porte avec elle une telle étendue de
pensées, qu'on n'a jamais l'idée de tirer de sa rêverie un
homme qui rêve en face de l'Océan.
Nous restions là jusqu'à ce que le jour tombât; alors
nous rentrions chez moi; presque toujours Drouet y avait
fait apporter son dîner, jusqu'à ce que son frère, qui venait
de la Cochinchine, étant arrivé, nous fîmes avec eux table
commune.
Avec notre abondance de poisson, nous manquions à
peu près de tout le reste. Des artichauts durs comme des
boulets, des haricots verts pleins d'eau, absence complète de
beurre frais, voilà les singuliers éléments sur lesquels il
fallait s'appuyer pour écrire un livre de cuisine.
Je n'en travaillai pas moins comme si j'eusse été au
milieu de la plus savoureuse abondance.
Tout cela eût été très tolérable, si nous n'avions pas eu
devant les yeux la figure renfrognée de notre cuisinière,
furieuse que nous eussions trouvé un moyen de vivre et de
manger là où elle espérait nous voir mourir de faim.
Enfin, un beau jour elle éclata, injuria tout le monde, et
demanda son compte.
Le surlendemain, elle partait pour Paris, où je ne
demande qu'une chose, c'est de ne jamais manger de sa
cuisine.
Avez-vous remarqué, cher ami, que, toutes les fois
qu'on se rend au désir d'un inférieur, on paye d'une façon ou
d'une autre la rançon de sa bonté?
Voilà une fille qui se trouvait bien à Maisons-Laffitte,
où elle était logée comme une maîtresse; nous parlons d'un
voyage à l'extrémité de la France; à force de câlineries, elle
nous fait croire qu'elle nous est si attachée qu'il lui sera
impossible de nous quitter.
On se laisse toujours prendre aux paroles de gens qui
vous disent qu'ils vous aiment, fût-ce de ces mercenaires
qui n'aiment personne.
Nous crûmes à celle-là: je la gardai deux mois sans rien
faire; je lui payai ses gages sans qu'elle eût travaillé; je
l'emmenai avec nous. Quinze jours après, espérant me
mettre dans l'embarras, elle me demandait son compte.
Le lendemain de son départ, j'avais quatre cuisinières au
lieu d'une. Alors, dans ce pays où l'on ne trouvait rien en
réalité, mais où la bonne volonté suppléait à tout, nous
eûmes tous les jours un dîner tantôt chez l'un, tantôt chez
l'autre, où cette saine gaieté du coeur eût rappelé les jours de
ma jeunesse, si quelque chose les pouvait rappeler.
C'est là que je vis jusqu'où pouvaient aller les
ressources d'une bienveillante amitié.
Dans ce pays, manquant de tout à mon arrivée,
semblèrent se donner rendez- vous les choses comestibles
les plus délicates, les poulets de grain, le beurre frais, les
pêches les plus fines, des figues comparables à celles de
Marseille et de Naples.
Je crois que nous eûmes un jour une poularde du Mans
et un pâté de Chartres.
Il y avait pour moi, dans cet empressement à me fêter,
quelque chose qui me faisait venir les larmes aux yeux;
puis de petits détails charmants, que nous autres artistes
remarquons seuls.
Il y a à Roscoff un pauvre chien sans maître, qui vit de
la charité publique; tous les ans, un des baigneurs qui
viennent passer la saison le prend sous sa protection et lui
donne le coucher et la nourriture.
On l'appelle Bobinot.
C'était Drouet qui, l'an de grâce 1869, s'était fait le
protecteur de Bobinot.
Tant que Drouet resta chez lui, Bobinot vécut de sa
vie habituelle, mangeant, rue de la Perle, chez Drouet.
Il y avait plus de difficultés pour le coucher, à cause de
trois ou quatre chiens qui, sous prétexte d'antériorité, se
regardaient comme les propriétaires de la maison.
Quand nous réunîmes nos dîners et que Drouet vint
manger chez moi, il se fit une espèce de trouble dans la vie
de Bobinot: allait-il continuer de manger là où mangerait
Drouet? n'allait-il pas se produire pour son dîner les
mêmes difficultés qui s'étaient produites pour son coucher?
Bobinot est plein d'humilité, d'abord parce qu'il est
pauvre: ses repas sans suite et sans ressemblance le lui ont
appris; ensuite il est laid, et il a le bon esprit de le savoir.
Cependant, une chose le rassurait, c'était que
plusieurs fois déjà il était venu dîner avec Drouet, et que
chaque fois il avait été bien reçu.
Lorsque Drouet vint pour en prendre l'habitude,
Bobinot s'arrêta à la porte, et, comme Drouet n'osa pas
prendre sur lui de le faire entrer, il y serait resté, d'autant
plus que la cuisinière, qui n'avait de sympathie pour
personne, avait Bobinot en horreur; mais, sur mon
invitation, Drouet appela Bobinot, qui se glissa sous la
table et qui ne bougea pas plus que s'il était empaillé.
Cette conduite lui réussit à merveille: chacun lui donna
son reste de soupe, son os de poulet, son pain trempé dans la
sauce; et Bobinot fit un excellent dîner.
Le lendemain, il ne jugea pas à propos d'attendre
Drouet, il le précéda, s'assit à l'endroit le plus apparent de la
rue, les yeux fixés sur mes fenêtres, et balayant le pavé avec
sa queue chaque fois que je paraissais.
Cependant toutes mes invitations furent insuffisantes à
faire monter Bobinot; chaque fois que je l'appelais, il
regardait rue de la Perle, et, ne voyant pas venir Drouet,
son véritable introducteur, il secouait la tête, semblant dire:
- Je suis un chien comme il faut, je connais les
manières du monde, et je ne rentrerai chez vous que
conduit par la personne qui m'y a amené la première fois.
Et, en effet, jusqu'au jour où j'ai quitté Roscoff,
Bobinot est toujours arrivé un quart d'heure ou une demiheure
avant Drouet, et n'est jamais entré sans Drouet.
Un autre de mes amis, un des plus humbles, mais non
pas un des moins utiles, était mon barbier Robineau, celui
qui, dans les premiers jours, allait pécher la nuit pour me
nourrir le jour.
Après un mois de soins apportés par lui à ma
barbification, je lui demandai combien je lui devais.
Je ne sais pas jusqu'à quel point cela vous intéresse,
mon cher ami: je donne quinze francs par mois à mon
barbier de Paris.
«Monsieur, me répondit-il tout tremblant, car il sentait
qu’une question importante allait se décider dans sa vie, et
je savais d'avance que le pauvre garçon n'était pas riche,
monsieur, je n'ai pas de prix; chacun me donne selon sa
générosité: les uns vingt sous, les autres quarante sous, les
plus généreux quelquefois trois francs.
- Maintenant, lui demandai-je, combien vous dois-je
pour le produit de vos pêches nocturnes?
- Oh! monsieur, me dit Robineau, vous ne me ferez pas
l'injure de m'offrir de l'argent pour trois malheureux
poissons que je vous ai donnés.
- Soit, mon cher Robineau, je comprends cette
délicatesse de votre part; seulement vous me permettrez de
vous traiter comme mon barbier de Paris, et de vous payer
votre mois quinze francs».
Et je glissai sur la table, à la portée de la main
de Robineau, trois pièces de cinq francs.
Mais Robineau se leva et fit un bond en arrière.
«Oh! non, monsieur, dit-il, non, jamais je n'accepterai
ce prix-là; mais, pensez-y donc, je ne suis qu'un pauvre
barbier de village.
- Mon cher Robineau, je ne fais de différence qu'entre
les barbiers qui me coupent et les barbiers qui ne me
coupent pas; vous ne m'avez pas coupé, je vous traite en
barbier de premier ordre: prenez ces quinze francs, et
entamons notre second mois.
- Monsieur, permettez-moi d'attendre un autre moment,
j'ai la main trop tremblante dans ce moment-ci pour
entreprendre de vous faire la barbe».
Robineau s'élança hors de la chambre.
Huit jours après je partais pour Paris, départ inattendu,
où chacun me donnait de son mieux des preuves de son
amitié: le chien me léchait la main, Robineau pleurait à
sanglots.
«Ah! si j'étais riche, mon pauvre Robineau, je vous
enverrais une paire de rasoirs en or massif».
Pourquoi en ce moment ai-je pensé à vous, mon cher
Janin? Pourquoi vous ai-je embrassé de coeur?
C'est qu'il y a des couchers de soleil qui ressemblent
aux plus belles aurores.
Tout à vous,
ALEXANDRE DUMAS.
CALENDRIER GASTRONOMIQUE
PAR
GRIMOD DE LA REYNIERE.
Janvier.
Ce mois commence glorieusement l'année. Il est signalé
par l’extinction des haines, le rapprochement des familles;
c'est un temps d'amnistie et de jubilation; il partage avec
l'automne l'avantage de rassembler les productions les plus
faites pour exciter et pour satisfaire notre gourmande
sensualité. Dans ce mois on voit arriver en foule à Paris
les boeufs magnifiques de l'Auvergne et du Cotentin,
chargés d'une graisse succulente. Leurs flancs recèlent ces
aloyaux divins dont l'appétit se lasse moins vite que des
mets les plus recherchés; la culotte et plus
particulièrement la pointe, produisent d'admirables bouillis.
Le boeuf offre des ressources inépuisables pour varier
les entrées et même les hors-d'oeuvre d'une table bien
servie; il est une mine inépuisable entre les mains d'un
artiste habile; c'est vraiment le roi de la cuisine. Sans lui,
point de potage, point de jus; son absence seule suffirait
pour affamer et attrister toute une ville. Heureux parisiens!
félicitez-vous, car, s'il faut en croire les voyageurs les plus
gourmands, vous mangez dans vos murs le boeuf le plus
délectable de l'univers. L'Auvergne et la Normandie
fournissent les meilleurs; mais dans le lieu de leur
naissance, ils ne sont pas comparables à ce qu'ils
deviennent à Paris; ils ont besoin du voyage: dans ce long
voyage, leur graisse se fond, et s'identifie avec leur chair.
Février.
Ce mois est le crescendo de son prédécesseur, c'est le
temps du carnaval des indigestions ou, pour parler plus
poliment, des fausses digestions. Que les consciences
timorées se rassurent alors, le péché de gourmandise,
quoique rangé parmi les capitaux de tous, les charge le
moins. De toutes les espèces d'intempérances, c'est celle
dont l'Eglise accorde le plus aisément l'absolution: elle en
connaît mieux que personne l'entraînante séduction.
La viande de boucherie et la charcuterie sont aussi
recherchées que dans le mois de janvier; le gibier, plus rare
ne manque pas encore. Les vagons plient sous le poids des
dindes aux truffes, des pâtés de foie gras , des terrines qui,
du Nord, du Midi, accourent vers la capitale pour devancer
le carême. Nérac, Strasbourg, Troyes, Lyon, Cahors,
Périgueux, rivalisent de zèle et d'activité pour nous
combler de délices. Du Périgord à Paris, les truffes
embaument de leur succulent parfum le train tout entier. Le
carnaval étant la saison d'étiquette des déjeuners, ces
trésors les enrichissent à l'envi; ils se répandent encore à
profusion dans les dîners somptueux dont les noces d'avant
carême sont le prétexte futile; de là un enchaînement
d'indigestions qui ne laissent pas le temps de respirer.
A l'approche des jours gras, la gloire de la volaille est au
comble, c'est alors son plus beau triomphe. Depuis le plus
pauvre ouvrier, le plus étique rentier, jusqu'au financier
opulent, tous veulent atteindre à la plume; cette
concurrence fait monter la volaille à des prix dont ellemême
est étonnée.
Mars.
Nous avons remis à parler dans ce mois des poissons de
mer et d'eau douce; ils appartiennent aussi aux deux mois
précédents. Mais, pendant celui-ci, la marée est dans toute sa
gloire, elle abonde à la halle. On y voit arriver en foule
l'esturgeon, le saumon, le cabillaud, la barbue, le turbot, le
turbotin, les soles, les carrelets, les limandes, les truites de
mer, les huîtres vertes et blanches de Dieppe et du Cancale.
Dans les préparations sans nombre que subit le poisson,
les études d'un cuisinier habile apparaissent avec tout leur
éclat; c'est la gloire des maîtres animés du feu du génie,
c'est l'écueil des cuisiniers vulgaires. Arrière donc les
simples cuiseurs d'aliments, dignes tout au plus du nom de
gâte-sauce!
Avril.
Ce mois, sans être des plus stériles pour la bonne chère,
ne soutient pas, à beaucoup près, la réputation de ses trois
aînés, et l'on peut répéter avec un auteur célèbre: Si cette
partie de l'année est la plus agréable, elle est aussi la plus
ingrate en volaille, gibier, légumes et fruits.
Mai.
Béni soit cet heureux mois qui ouvre la porte aux
maquereaux, aux petits pois et aux aimables pigeonneaux!
C'est un mois cher aux gourmands aussi bien qu'aux
amoureux, avec cette différence pourtant qu'il n'est qu'une
saison courte pour l'amour, et que la vie entière est
l'heureux domaine de la gourmandise.
Juin.
A chaque pas que nous faisons vers l'été, le cercle de
nos jouissances alimentaires se rétrécit; celui de nos
jouissances solides s'étend, car les jouissances végétales
sont au contraire fort multipliées dans cette saison. Peutêtre
serait-il sage de suivre les indications de la
Providence; mais l'estomac civilisé reste sourd à cette voix.
La viande de boucherie continue d'être la base du régime;
le boeuf est moins bon. Le mois nous offre les jeunes
poulets, la poularde nouvelle, le dindonneau, le caneton de
Rouen, les coqs-vierges et les pigeons.
Juillet.
Le gourmand fait son temps d'épreuves et de pénitence
dans ce mois; peu touché de la végétation des potagers et
des vergers, dont les trésors ne sont pour lui que des
moyens de se récurer les dents et de se rafraîchir la bouche,
il se soutient en voyant la croissance rapide des lapereaux,
des perdreaux, des levrauts et d'autres succulents gibiers.
La finesse excellente du veau de Pontoise en ce temps ne le
laisse pas sans émotion, les cailles et les cailleteaux lui font
parfois sentir les joies d'un autre temps.
Août.
La bonne chère languit encore: les riches sont aux
champs, les tables de Paris renversées et les parasites à la
diète. Cependant les gourmands pressés de vivre pourront
déjà, dans ce mois, manger les lapereaux en terrine et à
l'eau-de-vie; les levrauts à la suisse, à la czarienne, etc., les
perdreaux en papillote, en tourte, et aussi les tourtereaux,
les ramerots. Ces conseils une fois donnés, je proteste contre
une telle impatience, je condamne ces infanticides et
change de matière.
Septembre.
Malgré le proverbe connu, nous ne conseillerons à
personne de manger les huîtres avant le mois de décembre.
Le gibier est déjà bon; mais il sera meilleur dans les mois
suivants.
Octobre.
Nos jouissances alimentaires commencent à redevenir
abondantes et vives; le gibier et la volaille y contribuent à
l'envi. Le boeuf a passé l'été à s'engraisser; nous nous en
apercevons à cette époque. Le mouton est aussi plus
succulent; le veau, moins délicat qu'au printemps, n'est
cependant pas à dédaigner. La marée ne redoute plus les
chaleurs.
Novembre.
Les campagnes se dépeuplent, et, dès la Saint-Martin,
tout ce qui appartient à la classe respectable des gourmands
se trouve réuni à la ville. Grand saint Martin! patron de la
Halle et surtout de la Vallée, l'appétit se réveille à votre
approche; les hommes bien portants se préparent à célébrer
votre fête par un jeûne de trois jours!
Une dinde de l'année, attendue suffisamment, cuite a
point, rouvre la carrière glorieuse des indigestions; ses
abatis sont le principe d'une entrée qu'on diversifie d'un
grand nombre de manières.
Elle-même est si sûre de son mérite qu'elle se prête à
toutes sortes de métamorphoses, sans crainte de
compromettre sa réputation. Mais il faut qu'elle soit jeune,
car les honneurs de la daube sont réservés aux douairières.
Ce serait nous répéter que de rappeler ici tout ce qui
constitue la bonne chère dans le mois de novembre. Le
seul avis que nous devions aux amateurs friands a pour
objet de leur annoncer l'arrivée à Paris des harengs frais à
laitances. La manière la plus ordinaire de les servir, c'est
cuit sur le gril, accompagnés d'une sauce au beurre,
aiguisée de moutarde fine.
Décembre.
En tout digne du mois qui le précède et de celui qui le
suit, se recommande par ses fines matelotes. La Râpée a le
monopole des matelotes excellentes; il faut aller faire une
station dans ces guinguettes, où, chose singulière, le simple
fricotier s'élève de beaucoup au-dessus de nos artistes pour
cette spécialité.
La viande de boucherie, le gibier, le poisson et la
volaille ont en décembre le même degré de bonté que dans
les deux mois suivants. Mais la fin de l'année et les
obligations qu'elle entraîne rendent les réunions
gourmandes assez rares encore. Il faut se préparer aux
jouissances qui viendront par les visites faites avec
discernement, surtout par le soin de disposer son coeur
comme il doit l'être pour nos amphitryons. Ce serait un
crime de lèse-gourmandise que de rester sans émotion et
sans sympathie pour l'homme généreux qui vous offre une
chère excellente et vous abreuve de ses meilleurs vins.
Au point où nous en sommes parvenus, l'année
gourmande a parcouru ses phases diverses. Mais, dira-ton,
nous n'avons parlé ni du dessert, ni des crèmes, ni des
pâtisseries. C'est avec intention que nous avons ainsi fait,
notre premier soin était pour les gourmands. Eh bien! pour
les véritables gourmands, ce ne sont là que bagatelles,
affaires de friandise, ils les abandonnent aux dames. Dans un
dîner bien entendu, le gourmand se repose après le rôti. Les
entremets solides ne sont pour lui qu'un amusement et les
autres une superfluité. Quant au dessert, il n'y prise guère
que le fromage et les marrons, en leur qualité d'altérants.
ENCORE UN MOT AU PUBLIC
Lorsque j'eus pris la décision d'écrire ce volume et
d'en faire, pour ainsi dire, dans un moment de délassement,
le couronnement d'une oeuvre littéraire de quatre ou cinq
cents volumes, je me trouvai, je l'avoue, assez embarrassé,
non pas sur le fond, mais sur la forme à donner à mon
ouvrage.
De quelque manière que je m'y prisse, on attendrait de
moi plus que je ne pourrais donner.
Si j'en faisais un livre de fantaisie et d'esprit comme la
Physiologie du Goût de Brillat-Savarin, les gens du métier,
cuisiniers et cuisinières, ne lui accorderaient aucune
attention. Si j'en faisais un livre pratique, comme la
Cuisinière bourgeoise, les gens du monde diraient: C'était
bien la peine d'avoir fait dire à Michelet qu'il était le plus
habile constructeur dramatique qui eût jamais existé depuis
Shakespeare, et à Ourliac que non seulement il avait l'esprit
français mais encore l'esprit gascon, pour venir nous
apprendre dans un livre de 800 pages que le lapin aime à
être dépouillé vif, mais que le lièvre préfère attendre.
Ce n'était pas mon but: je voulais être lu par les gens du
monde et pratiqué par les gens de l'art.
Grimod de la Reynière, au commencement de ce
siècle avait publié avec un certain succès l'Almanach des
Gourmands, mais c'était un simple livre de gastronomie et
non pas un livre de recettes culinaires.
Ce qui me tentait surtout, infatigable, ayant traversé
l'Italie et l'Espagne, pays où l'on mange mal, le Caucase et
l'Afrique, pays où l'on ne mange pas du tout, d'indiquer tous
les moyens de manger mieux dans les pays où l'on mange
mal, et de manger tant bien que mal dans les pays où l’on
ne mange pas du tout; bien entendu que, pour arriver à ce
résultat, il faut être chasseur de sa personne.
Après une longue délibération avec moi-même, voici ce
à quoi je m'arrêtai:
Prendre dans les livres classiques de la cuisine tombés
dans le domaine public, comme le Dictionnaire de l'auteur
des Mémoires de Mme de Créqui, dans l'Art du Cuisinier de
Beauvilliers, le dernier praticien, dans le père Durand, de
Nîmes, dans les grands dispensaires du temps de Louis XIV
et de Louis XV, toutes les recettes culinaires qui ont acquis
droit de cité sur les meilleures tables. Emprunter à Carême,
cet apôtre des gastronomes, ce que MM. Garnier, ses
éditeurs, me permettront de lui prendre; revoir les écrits
si spirituels du marquis de Cussy et m'approprier ses
meilleures inventions, relire Elzéar-Blaz, et, joignant mes
instincts de chasseur aux siens, tâcher d'inventer quelque
chose de nouveau sur la cuisson des cailles et des ortolans;
ajouter à cela des plats inconnus, recueillis dans tous les
pays du monde, les anecdotes les plus inédites et les plus
spirituelles sur la cuisine des peuples et sur les peuples
eux-mêmes; faire la physiologie de tous les animaux et de
toutes les plantes comestibles qui en vaudraient la peine.
Ainsi mon livre, par la science et par l'esprit qu'il
contiendra, n'effrayera pas trop les praticiens et méritera
peut-être la lecture des hommes sérieux et même des
femmes légères dont les doigts ne craindront pas de se
fatiguer en soulevant des pages dont quelques-unes
tiendront de M. de Maistre et d'autres de Sterne.
Ceci posé, je commence tout naturellement par la lettre
A.
P. S. N'oublions pas de dire, car ce serait une
ingratitude, que nous avons consulté pour certaines recettes
à part les grands restaurateurs de Paris et même de la
province, tels que du café Anglais, Verdier, Brébant, Magny,
les Frères-Provençaux, Pascal, Grignon, Peter's, Véfour,
Véry et surtout mon vieil ami Vuillemot.
Partout où ils ont eu la bonté de se mettre à notre
disposition, on trouvera leur nom: qu'ils reçoivent ici nos
remerciements.
A. D.
A
L’homme ne vit pas de ce qu’il
mange, mais de ce qu’il digère.
Abaisse. - Ne pas confondre avec bouillabaisse, nom
d'un potage connu dans le Midi. L'abaisse est une
pâtisserie qui occupe le fond d'une tourte ou d'un vol-auvent.
La manière de confectionner l'abaisse se trouvera à
l'article Pâtisserie).
Abatis. - On appelle abatis les crêtes et les rognons
de coq, les ailerons de poularde, les moelles épinières, les
ailerons, les pattes, le gésier et le cou du dindon, ris et
cervelle de veau, langues de mouton, etc.
Les crêtes et les rognons de coq s'emploient pour la
garniture de tous les grands ragoûts comme aussi pour celle
des pâtes chaudes et des vol-au-vent; mais quand on veut
en faire un plat à part, il faut les faire cuire dans une
casserole avec du bouillon, où l'on ajoutera de la moelle de
boeuf à laquelle on adjoindra des champignons, des
tranches de fonds d'artichauts aux truffes, ou des rouelles
de céleri, selon la saison. On leur fait prendre au moment
de servir une liaison composée de quatre jaunes d'oeufs et
du jus de la moitié d'un citron; ne laissez pas épaissir la
sauce, la substance de ce ragoût étant déjà très
mucilagineuse; il est d'habitude de le servir dans une
casserole au riz ou dans un vol-au-vent, c'est un plat de
famille dont on n'use guère pour les grands repas. Le
véritable abatis populaire est l'abatis de dinde, et c'est un
des meilleurs plats de la cuisine bourgeoise.
Flambez et épluchez une douzaine d'ailerons de
jeunes dindes, ajoutez-y le cou, les pattes et le gésier;
prenez une casserole, coupez- y de gros lardons de jambon,
faites-les roussir de belle couleur; à ce point retirez-les et
jetez dans cette graisse vos ailerons, que vous faites revenir
également jusqu'à ce qu'ils soient bien blonds; puis
assaisonnez de sel, de poivre, de muscade; coupez
quelques gros oignons; et lorsque le tout sera bien revenu et
que vous aurez obtenu une certaine cuisson, ajoutez
quelques cuillerées de farine à laquelle vous faites
également prendre couleur; arrivé à ce point, égouttez vos
abatis de leur graisse, ajoutez un bouquet garni et mouillez
avec quelques cuillerées de consommé jusqu'au niveau de
vos abatis; couvrez d'un papier beurré, passez au four, et à
défaut de four faites cuire feu dessus feu dessous, et laissez
mijoter jusqu'aux trois quarts de leur cuisson. Pendant ce
temps vous aurez épluché des navets bien tendres, vous les
taillerez en grosses gousses d'ail, jetez-les dans un plat à
sauter, faites-leur bien prendre couleur, distribuez-leur le
sel et le poivre, que le poivre domine; un bouquet de
persil; une pointe de sucre; lorsqu'ils seront bien glacés et
à une certaine cuisson, égouttez-les de leur beurre, passez
la cuisson de vos abatis qui doit être arrivée à la cuisson
d'une demi-glace, ajoutez vos navets à vos abatis,
dégraissez bien votre cuisson, passez dessus vos ailerons et
laissez sur un feu doux jusqu'à complet achèvement de
cuire. (Recette de Verdier, Maison d'Or).
Abatis populaires. - Parez proprement les ailerons, le
gésier, les pattes et le cou, dont vous aurez soin d'ôter la
tête; mettez dans une grande casserole et sur un grand feu de
charbon un bon morceau de beurre manié de fleur de
farine; lorsqu'il est en plein roux faites-y revenir et sauter
votre abatis pendant sept à huit minutes; ajoutez-y du
bouillon chaud, ayez soin de ne pas le mêler à votre roux
tout à la fois ni brusquement; mettez-y un bouquet de
persil, thym, laurier, basilic et sauge, joignez à votre
bouquet deux oignons piqués d'un clou de girofle, et vous
laisserez bouillir un quart d'heure et puis vous ajouterez six
navets de Freneuse, quatre fortes rouelles de carottes, six
pommes de terre violettes, un topinambour et un pied de
céleri dans son entier; ne tournez pas vos légumes, il est
suffisant de les ratisser, et la moindre apparence de
recherche aurait l'inconvénient de faire perdre à ce vieux
ragoût son air de simplicité bourgeoise et sa grâce
naturelle; dégraissez bien exactement après une heure et
demie de cuisson mijotée, dressez proprement vos légumes
autour de l'abatis, que vous recouvrirez des ailerons
comme les morceaux d'honneur; puis, comme il est bon
qu'elle reste onctueuse à cause des pommes de terre, passez
votre sauce au simple tamis de crin. (Recette du marquis de
Courchamps).
Abatis de dinde aux navets. - Prenez les abatis de deux
dindes, blanchissez-les, prenez 125 grammes de lard,
coupez-le en carrés, faites-le blanchir également pour
enlever le sel; faites un roux bien blond, passez vos lardons
dedans; rissolez-les, ajoutez vos membres coupés, faites
revenir également avec un bouquet de thym, laurier, persil;
mouillez le tout à l'eau chaude, ajoutez-y une demi bouteille
de vin blanc.
Laissez cuire doucement; prenez un peu de beurre,
passez à la poêle les oignons et les navets comme garniture
avec un peu de sel et de sucre en poudre; faites blondiner
les légumes, jetez le tout dans le ragoût, ajoutez quelques
pommes de terre, tournez, dégraissez à fond et servez
chaud. (Recette Vuillemot).
Abavo. - Maintenant que la facilité des
communications nous entraîne à faire la guerre en Crimée, en
Chine, en Cochinchine, au Mexique, en Ethiopie, il est bon
que chacun sache quand les vivres manquent quelles sont
les ressources que l'on trouve dans chaque pays; de cette
façon, quelque part que l’ on soit on n'aura qu'à étendre
la main et à cueillir.
On appelle abavo un grand arbre que l'on trouve
en Ethiopie et qui produit un fruit bon à manger, ressemblant
à la citrouille et avec lequel on peut faire de la soupe à peu
près semblable à la soupe au potiron.
Abdelavis. - Melon d'Egypte dont la chair est sucrée
et rafraîchissante, fort estimé à cause des quarante degrés de
chaleur sous lesquels il pousse; après avoir mangé sa chair on
fait avec sa graine des boissons qui sont calmantes et qui
tempèrent la soif.
Able. - Espèce de saumon que l'on trouve dans les mers
de Suède, il a les propriétés du saumon et s'accommode
comme lui (V. SAUMON).
Ablette. - Petit poisson de rivière et de lac, plat et
mince, long de trois à six pouces, couvert d'écailles qui
servent à donner aux fausses perles l’éclat des véritables; sa
chair est molle et fade et ne se mange que frite comme celle
du goujon dont elle est loin d'atteindre la saveur.
Abricot. - L'arbre qui porte ce fruit est venu aux
Romains de l'Arménie; aussi l'appelaient-ils prunus
armeniaca; on ne connaissait d'abord que deux espèces
d'abricots, on a obtenu plusieurs variétés; c'est un fruit à
noyau, la peau et la chair tirent sur le chamois, il est
odorant, de bon goût, tient de la pêche et de la prune, et est
si hâtif qu'il y a peu de printemps ou l'on n'entende dire:
«Il n'y aura pas d'abricots cette année, ils ont tous été
gelés».
Outre les diverses espèces d'abricots que nous
récoltons en France, Chardin, dans son voyage en Perse, a
mangé d'excellents abricots dont la chair est rouge, la
saveur délicieuse et que l'on appelle tocmchams, c'est-àdire
oeufs du soleil. C'est à Damas, en Syrie, que l'on
mange les meilleurs abricots, les habitants en font
d'excellentes confitures et des gâteaux qu'ils mangent avec du
pain.
Parmi les différentes d'abricots n'oublions pas l'abricot
de Saint-Domingue et des Iles Françaises; l'arbre qui le
porte est un très bel arbre qui parvient à la hauteur de
soixante à soixante-dix pieds, ses feuilles sont ovales, sa
cime ample, touffue et pyramidale, ses fleurs sont blanches
et d'un pouce et demi de diamètre, exhalant une excellente
odeur; son fruit aussi gros que la tête ressemble à l'abricot,
son écorce épaisse renferme une pulpe plus charnue avec
une grosse amande, sa saveur est douce, aromatique et fort
agréable; on le sert après l'avoir coupé en tranches et l'avoir
fait macérer dans du vin sucré; on a soin d'enlever les deux
premières écorces fort amères, ainsi que la pulpe qui touche
le noyau; comme de l'abricot de France on en fait des
marmelades et des confitures qu'on envoie même en
Europe, ce fruit est lourd et reste longtemps sur l'estomac.
L'esprit de vin distillé sur les fleurs de l'arbre uni au sucre
forme une liqueur aromatique connue dans le pays sous le
nom d'eau de créole.
Maintenant empruntons, pour les préparations que
réclame l'abricot, les recettes que donne l'auteur des
Mémoires de la marquise de Créqui. Ce charmant
gastronome, rival des Brillat-Savarin et des Cussy avec
lesquels il a été souvent en guerre, pour des questions
gastronomiques de la plus haute importance. Bercé des
traditions culinaires de la moitié du dernier siècle et de la
première partie de celui-ci, il est l'homme qu'il faut surtout
consulter dans les questions des entremets sucrés et de tous
les plats que les femmes ont si justement appelés
chatteries.
L'abricot, dit-il, est un des éléments le plus usuellement
et le plus agréablement employés dans la confection des
entremets sucrés, ainsi que pour nos desserts de l'automne et
de l'arrière-saison.
Au moyen de cet excellent fruit on parfume
délicieusement des sorbets, des glaces; on fait d'excellents
gâteaux, des beignets, des tourtes, des flans, des crèmes,
des compotes et des conserves, appelées vulgairement
confitures sèches ou liquides. Parmi les recettes qui
peuvent s'appliquer à l'emploi culinaire de l'abricot, nous
mentionnerons celles de ces prescriptions qui sont le mieux
garanties.
ENTREMETS
Entremets Flan d'abricots à la Metternich. - Foncez
l'abaisse d'une tourte en pâte brisée (V PATISSERIE) avec
douze abricots hâtifs dont vous aurez enlevé la peau et les
noyaux et que vous aurez séparés par moitié. Joignez-y
quarante cerises tardives ou soixante merises dont vous
aurez fait sortir les noyaux et qui doivent être également
crues, succulentes et soigneusement choisies. Vous
entremêlez ces deux espèces de fruits de manière à ce que
chacun de vos morceaux d'abricot se trouve séparé par
quatre cerises, vous saupoudrez le tout avec du sucre en
poudre, en suffisante quantité, d'après le plus ou le moins de
maturité des fruits et vous faites cuire au four d'office ou
bien au four de campagne. Vous aurez eu le soin de
réserver les noyaux de vos fruits rouges auxquels vous
joindrez la moitié des amandes de vos abricots, que vous
pilerez ou ferez piler ensemble au mortier de marbre et
sous pilon de métal autant que possible, attendu que le
pilon de bois reste toujours empreint de quelque goût
antérieurement contracté. Vous sucrez ce mélange et puis
vous y délayez de la crème bien fraîche, de manière à ce
qu'il ait la consistance d'une sauce aux jaunes d'oeufs après
cuisson. Vous le versez sur le flan lorsqu'il est sorti du four,
en ayant soin qu'il ne déborde pas sur les rebords ou
muraille de la tourte, et vous attendez qu'elle soit à moitié
refroidie pour la servir.
Crème aux abricots. - Faites cuire douze abricots
avec 125 grammes de beau sucre, passez-les au tamis et
laissez-les refroidir. Ajoutez ensuite un petit verre de
ratafia des quatre fruits ou de ratafia de noyau, délayez-y
huit jaunes d'oeufs, passez ce mélange à l'étamine, afin
qu'il n'y reste rien des germes, ajoutez-y le sucre
nécessaire et faites cuire au bain-marie dans la même jatte,
ou dans le moule, ou dans les petits pots que vous désirez
servir sur table, en conduisant votre opération comme celle
des autres crèmes analogues. On peut remplacer le ratafia
par un demi-verre de vin blanc; mais il ne faut pas que ce
soit un vin trop savoureux ou trop parfumé, parce qu'il
aurait l'inconvénient de masquer le goût du fruit. La recette
de cette excellente crème est tirée d'un dispensaire
manuscrit du temps de Louis XIV.
Beignets d’abricots. - Faites macérer des moitiés
d'abricots qui ne soient pas trop mûrs, avec du sucre pilé et
un verre de bonne eau-de-vie. Au bout d'une heure et
demie, égouttez vos fruits et plongez-les dans la pâte, en
ayant soin de les faire frire au plus grand feu. Vous les
saupoudrez de sucre bien pilé, après les avoir égouttés de la
friture et vous les glacerez au caramel avec la pelle
rouge. Quelques personnes recherchées font ajouter une
petite rouelle d'angélique confite au milieu des beignets, ce
qu'il est aisé d'opérer en les mettant dans la pâte et s'y
prenant avec attention. Dans quelques hautes cuisines on
ajoute au coeur des beignets, au lieu d'angélique, une sorte de
noyau factice qui se compose de crème sucrée, de jaune
d'oeuf et d'amandes amères pilées, dont on fait une boulette
ou quenelle assortie pour le volume à la grosseur de chaque
beignet. On en trouve la recette dans les anciens
dispensaires de la Régence, et nous n'omettrons pas de la
reproduire, attendu qu'on peut l'employer également pour
les beignets de pêches et de brugnons.
Pudding aux abricots. - Faites éverdumer des
abricots musqués ou des abricots-pêches à moitié mûrs,
dans un sirop où vous ajouterez un peu d'eau-de-vie;
égouttez vos fruits dont vous ôterez les noyaux, que vous
ferez concasser pour en garder les amandes. Prenez ensuite
une casserole d'argent ou une terrine qui puisse paraître sur
la table; foncez-la de tranches de mie de pain légèrement
beurrées (il faut que ce soit du meilleur beurre, le plus frais
et qu'il ne soit pas salé), saupoudrez ladite abaisse avec du
sucre et mettez une couche de vos abricots, que vous
alternerez avec une autre couche de tranches de mie de pain
beurrées jusqu'à plénitude du vase. Vous aurez soin de
semer les moitiés d'amandes de vos noyaux entre les
couches du pudding, où vous ajouterez la valeur d'un plein
gobelet de jus de groseille légèrement framboisé, et qu'il
faudra distribuer exactement par cuillerées entre chaque
assise de votre pudding. Faites cuire au four et découvert
après avoir doré d'un jaune d'oeuf les tranches de pain qui
doivent former la dernière assise, et dont il faut tourner la
partie bourrée en dedans, c'est-à-dire à l'intérieur et du côté
des fruits. Le pudding au prince régent se conduit de la
même manière, mais il se compose de riz à demi cuit et
assaisonné d'un peu de moelle fondue.
Tourte ou gâteau fourré d'abricots à la bonne femme.
- Ayant ouvert et pelé des abricots, faites les cuire au petit
sucre et laissez refroidir cette compote. Dressez- les ensuite
par moitiés sur une abaisse en feuilletage, recouvrez ce
gâteau d'une autre lame de pâte feuilletée qui devra être
tailladée ou découpée, de peur qu'elle ne se boursoufle et
ne se déjette en cuisant. Dorez la calotte et le crénail de la
tourte avec un jaune d'oeuf, et faites cuire au four de
campagne. Le mélange de quelques cerises avec des
abricots produit un excellent effet, et cette combinaison
moderne est généralement adoptée dans les premières
cuisines de Paris.
- Abricots à la Condé - Abricots à la Genevoise -
Abricots à l'orge perlé (V. BRUGNON et PECHE).
Poupelure de Sagou aux abricots, dite à la d'Escars.
- Faites bouillir huit abricots de moyenne grosseur dans un
demi-litre d'eau de rivière ou de fontaine, avec 250
grammes de sucre candi bien pilé; passez à l'étamine après
cuisson, de manière à ce que votre eau d'abricots soit
aussi purement translucide qu'elle sera colorée et parfumée,
faites-y cuire 125 grammes du plus beau sagou, bien
émondé, bien lavé, comme de coutume, et lorsque votre
gelée sera parfaitement cuite et transparente, retirez la du
feu pour y délayer trois verres de liqueur des îles, au noyau.
Immédiatement avant de servir, vous y mettrez douze
moitiés d'abricots confits au sec à mi-sucre, et vous éviterez
de les déformer en les manipulant. Cette préparation, qui
compose un de nos entremets les plus modernes et les plus
distingués, doit être servie chaudement et en casserole.
DESSERTS
Compote d'abricots à la minute. - Faites un sirop où
vous ferez bouillir vos abricots fendus, aussitôt qu'il aura
pris assez de consistance; au bout de trois minutes, écumez
cette compote, ajoutez-y le jus d'une orange et mettez-la
refroidir.
Compote d'abricots grillés à la Breteuil. - Fendez
quelques beaux abricots bien mûrs, saupoudrez-les de
sucre candi, et faites-les griller sur une braise ardente. Il
faut toujours éviter que ce soit de la braise de charbon sur
laquelle on fasse griller les fruits, parce que leur
égouttement et la vapeur qui s'ensuivrait pourrait leur
communiquer un goût nauséabond. Il en est ainsi pour les
compotes de poires ou de pommes à la Portugaise, et l'on se
souviendra de ne jamais employer en pareille occasion que
de la braise. Lorsque vos quartiers de fruits sont grillés
suffisamment, vous les dressez dans un compotier, et vous
les arroserez d'un sirop où vous aurez fait consommer des
tranches d'abricots accompagnées de quelques framboises.
Le même sirop doit être passé au tamis de soie, et vous
aurez eu soin de l'avoir remis sur le feu, pour le verser
bouillant sur les abricots dont il pénètre les chairs et dont il
perfectionne la cuisson. Les abricots, apprêtes de cette
manière, ne sauraient fatiguer les estomacs les plus
susceptibles.
Compote d'abricots verts, dite compote au vert pré. -
Pour obtenir l'emploi de cette immense quantité d'abricots
dont on est obligé, presque tous les ans, de décharger les
arbres avant qu'ils n’approchent de la maturité, pelez
soigneusement une vingtaine de ces fruits verts que vous
mettrez au fur et à mesure dans de l'eau froide. Vous les
ferez ensuite dégorger tous ensemble dans de l'eau tiède,
où vous aurez ajouté deux poignées de feuilles d'oseille.
Vous les couvrirez et les mettrez ensuite sur un bon feu de
charbon, et vous les ferez bouillir jusqu'à ce qu'ils vous
paraissent d'une belle couleur verte; alors vous les retirerez
du feu et les mettrez dans une jatte à refroidir avec leur
cuisson. Vous les égoutterez et les roulerez dans du sucre
candi, vous achèverez de les faire cuire dans une grande
poêle, et au moment de la retirer du feu vous y joindrez
deux cuillerées de suc d'épinards avec une cinquantaine de
pistaches bien vertes, afin de leur assurer cette franche
couleur d'un beau vert qui doit justifier le nom de la même
compote.
Confiture d'abricots verts. - Si l'on habitait une
localité où les bons fruits fussent rares, ou si la température
de l'année faisait craindre la disette des fruits, on pourrait
utiliser ses abricots verts en les employant en conserve, et
se conformant à la prescription suivante: Prenez 3 kilos de
ces fruits avant que le bois du noyau soit à l'état solide. Vous
les éverdumerez dans de l'eau froide où vous aurez ajouté
186 grammes de tartre, et vous les y frotterez avec un linge,
afin d'en détacher la bourre à l'extérieur. Vous mettrez
ensuite dans une poêle à confitures 3 kilos de beau sucre
que vous aurez fait réduire à la petite plume avant d'y faire
cuire vos fruits. Une demi-heure de bon feu doit suffire pour
en déterminer la parfaite cuisson. Cette confiture bien faite
est beaucoup plus savoureuse qu'on ne le supposerait dans
nos climats tempérés, fertiles en productions esculentes.
Confiture d'abricots entiers ou par quartiers. -
Commencez par faire blanchir vos fruits à l'eau bouillante,
levez-les ensuite à l'écumoire, et mettez-les sur un tamis de
crin pour égoutter. En supposant que vous ayez disposé de 3
kilos de fruits, prenez 3 kilos de sucre que vous ferez cuire à
la petite plume; vous y mettrez successivement vos abricots
entiers ou coupés, à qui vous ferez prendre seulement deux
ou trois bouillons; après quoi vous les mettrez à refroidir,
afin qu'ils dégorgent et qu'ils prennent sucre. Vous ferez
ensuite revenir votre sirop à la même cuisson de la petite
plume, et vous y remettrez les fruits que vous laisserez
bouillir cinq à six minutes, après quoi vous les placerez
dans leurs pots de conserve, et les couvrirez de leur sirop,
sans les fermer, jusqu'à ce qu'ils soient totalement
refroidis.
Abricots secs à la provençale. - Lorsque les fruits
auront été préparés comme il est indiqué ci-dessus, vous
les égoutterez et les placerez sur des ardoises ou des lames de
grès, suivant la commodité du lieu; quand ils
commenceront à sécher, vous les saupoudrerez de sucre au
travers d'un tamis de soie, vous les mettrez à l’étuve ou bien
dans un four après la sortie du bain. Il est suffisant, pour
les conserver, de les tenir dans un lieu bien sec, enveloppés
dans du papier gris, qu'on aura soin de changer si
l'humidité s'y manifeste.
Marmelade d'abricots à la royale. - Choisissez les
abricots les plus mûrs et les plus sains, faites-les blanchir à
l'eau bouillante et les mettez à égoutter sur un tamis
pour qu'ils jettent le superflu de leur aquosité. Pour 500
grammes de fruits, prenez 500 grammes de sucre royal que
vous aurez fait cuire à la petite plume, et puis laissez tiédir
votre sirop. Vous y jetterez ensuite les abricots que vous
remuerez avec la spatule, afin de les réduire en marmelade,
et vous remettrez un moment sur le feu pour en parachever
l'incorporation. Deux ou trois bouillons suffisent. On y
peut ajouter des pistaches, au lieu du noyau des fruits; c'est
la plus parfaite et la meilleure marmelade dont on puisse se
servir pour garnir les compotiers.
Marmelade d'abricots à la ménagère. - Pour
confectionner les tourtes et les gâteaux, pour garnir les
omelettes au sucre et pour illustrer les charlottes, il est bon de
se trouver pourvu d'une confiture d'abricots moins
dispendieuse et moins recherchée, quoiqu'elle soit d'une
qualité fort estimable. Pour faire la bonne marmelade de
ménagère, il faudra donc prendre 1 kilo de sucre pour 1
kilo 500 de fruits; on y joindra un plein verre d'eau de
rivière ou de fontaine, et l'on fera bouillir le tout ensemble en
ayant soin de bien écumer cette mixtion et de la triturer de
manière à ce qu'il n'y reste aucune partie du fruit en
grumeaux. Comme on profite en y laissant les peaux du
fruit, on est obligé de les faire cuire afin qu'elles se
dissolvent. On y joint ordinairement les amandes des
abricots que l'on sépare en deux et qu'on mêle dans la
confiture après qu'elle est parfaitement cuite; il faut les
avoir fait bouillir à part de la marmelade avec un peu de
sucre, car, sans cette précaution, l'effervescence naturelle à
ces noyaux ferait tourner la confiture en fermentant et ne
manquerait pas de chancir avec âcreté. C'est une
observation sur laquelle on se néglige, ainsi que les
personnes délicates ont souvent l'occasion de le remarquer.
Pour garnir des gâteaux et des tourtes, il est d'un bon effet
de mêler a la marmelade d'abricots la chair de quelques
pommes cuites (au cuit-pomme et non pas en compote); on
ne saurait dire combien cet appendice est d'un bon résultat
pour y donner plus de consistance dans le comestible et
plus de finesse dans la saveur.
Pâté d'Auvergne d'abricots. - Choisissez des abricots
de plein vent, les plus mûrs, et les plus chaudement
colorés. Otez-en les peaux et les noyaux, faites-les
dessécher sur de la cendre chaude et dans une terrine toute
neuve, en les remuant souvent avec une spatule de buis
bien échaudée de bonne lessive. Quand la dessiccation sera
presque totale, et que la pâte aura pris une consistance
assez solide, vous la jetterez dans une poêle à confiture où
vous aurez fait monter du sucre à la cuisson de la grande
plume. Vous la mêlerez fortement, vous la ferez chauffer
sans bouillir, et puis vous la dresserez par cuillerée sur des
lames d'ardoises, afin de la faire étuver à grand feu.
Fromage à la crème aux abricots glacés. - Moudez
et pilez soigneusement douze abricots-pêches, et passez-en
la chair au gros tamis de crin. Délayez-y le jus de 30
grammes de framboises, et que ce soit des blanches, s'il est
possible; ajoutez-y le suc de deux oranges de Malte ou de
Portugal, avec 250 grammes de sucre bien pilé. Tenez ce
mélange à la glace, et joignez-y un demi-litre de la
meilleure crème, la plus fraîche et la plus consistante; il
faut qu'elle soit à moitié glacée d'avance, afin que l'acidité
des fruits ne la fasse pas cailler, et la mixtion doit en être
faite avec promptitude. Mettez le tout dans une sorbetière
avec salpêtre et gros sel, ainsi qu'il est usité pour les glaces
et les sorbets.
Si nous ne donnons ici aucune recette pour
confectionner les abricots à l'eau-de-vie, c'est que cette
préparation vulgaire et surannée n'est plus d'aucun usage,
excepté dans les cafés et les restaurants de province. Il est
universellement convenu que les seules conserves de fruits à
l'eau-de-vie qui ne sont pas indignes de considération ne
sont que les prunes de reine-claude, les merises, les
azeroles et les petits citrons nommés chinois par les
Provençaux. Les abricots, les brugnons, les pêches et les
autres gros fruits préparés à l'eau-de-vie ne paraissent
jamais à Paris sur une bonne table, et, quant à l'instruction
gastronomique, ou plutôt à la direction industrielle de
messieurs les confiseurs ou limonadiers, on doit supposer
qu'ils ont des livres élémentaires avec des recettes
traditionnelles qui suppléeront à cette omission de notre
part, omission que la meilleure partie de nos lecteurs n'aura
pas à nous reprocher, puisque c'est le bon goût qui l'a
prescrite.
Pour compléter cette nomenclature, nous croyons
devoir ajouter ici la prescription d'une tisane aux abricots,
qui est fort usitée dans l'Asie Mineure, et qu'on dit
souveraine en cas d'inflammation de l'estomac et des
entrailles. En voici la recette, ainsi qu'elle est formulée
dans le quatre-vingt-dix-neuvième numéro du Spectateur
ottoman:
«Tu feras cuire et vivement bouillir des abricots, cinq
gros ou six moyens, ou bien dix à douze petits qui soient
dépouillés de leurs robes tigrées, et vidés de leurs coeurs
de bois. Ce sera dans une mesure d'eau purifiée, par le
moyen que tu l'auras fait bouillir d'avance avec quelques
feuilles d'oseille. Tu n'omettras pas d'y joindre une poignée
d'orge, avec sept grains de maïs, et trois pincées de fine
graine de lin d'Europe. Après une demi-heure de cuisson,
tu la retireras de son marc, et tu la feras boire en y délayant
du miel clarifié. Peu de miel, et bonne espérance avec
pleine confiance!»
C'est cet arbrisseau qui fournit les graines rouges
marquées d'un point noir, que vendent les marchands de
curiosités, et avec lesquelles on fait des colliers et des
chapelets aux enfants.
Abrus. - Petit arbre qui croît en Amérique et dans
l'Inde. Sa racine, qui fait une partie de la nourriture des
Indous, a une saveur sucrée; elle est nutritive et
adoucissante. Elle se mange crue.
Absinthe. - Plante vivace, dont les feuilles sont fort
amères; on la trouve dans toute l'Europe; dans le Nord, on en
fait un vin appelé vermouth.
Il y a deux sortes d'absinthe: la grande absinthe,
appelée absinthe romaine, la petite, appelée absinthe
pontique ou petite absinthe; on connaît aussi cette plante
sous le nom d'absinthe marine, on mange avec plaisir celle
qui vient sur le bord de la mer et sur les montagnes, et c'est
à cette dernière surtout que la chair des animaux doit ce
goût si estimé des gourmands connu sous le nom de présalé.
Quoique tous les dispensaires vantent l'absinthe comme
fortifiant l'estomac et aidant la digestion, quoique l'école
de Salerne recommande l’absinthe comme un préservatif du
mal de mer, il est impossible de ne pas déplorer les ravages
que l'absinthe a faits depuis quarante ans, parmi nos
soldats et parmi nos poètes, et il n'y a pas un chirurgien de
régiment qui ne nous dise que l'absinthe a tué plus de
Français en Afrique que la flitta, le yatagan, ou le fusil des
Arabes.
L'absinthe, parmi nos poètes bohèmes, a reçu le nom de
muse verte; plusieurs qui n'étaient pas des derniers, par
malheur, sont morts des embrassements empoisonnés de
cette muse. Hégésippe Moreau, Amédée Roland, Alfred de
Musset, notre plus grand poète, après Hugo et Lamartine,
ont succombé au désastreux effet de cette liqueur.
Cette fatale passion de de Musset pour l'absinthe, qui
peut- être d'ailleurs a donné à ses vers une si amère saveur,
a fait descendre la grave Académie au calembour par
approximation; en effet, de Musset manquait beaucoup de
séances académiques, ne se reconnaissant point en état d'y
assister.
«En vérité, dit un jour à M. Villemain un des quarante,
ne trouvez-vous point qu'Alfred de Musset s'absente un
peu trop?
- Vous voulez dire s'absinthe un peu trop».
Mais l'absinthe a pour elle un défenseur compétent, c'est
l'auteur des Mémoires de la marquise de Créqui, lequel
prétend qu'un petit verre d'absinthe au candi ne peut
qu'aider à la digestion. Voici la recette qu'il donne:
Crème d'absinthe au candi. - Prenez eau-de-vie, 8
litres; sommités d'absinthe rectifiée, 500 grammes; zestes de
4 citrons ou oranges; eau de rivière, 4 litres; sucre, 3 kilos
500.
Vous distillez au bain-marie l'eau-de-vie, l'absinthe et
les zestes, pour retirer quatre litres de liqueur; lorsque le
sucre est fondu, vous opérez le mélange que vous filtrez.
L'absinthe est défendue maintenant dans toutes les
cantines militaires.
Acacie à fruits sucrés. - A Saint-Domingue, on
donne le nom de pois sucrin à des fruits longs et cannelés,
contenant une pulpe spongieuse blanche et sucrée qu'on
mange avec plaisir; c'est un grand arbre qui la produit.
Acacie du Sénégal. - L'arbre fournit une glande très
nourrissante et qui rafraîchit en même temps. Les Maures
et les Arabes la mangent surtout dans les grandes chaleurs.
Cette gomme est plus estimée que celle que l'on nomme
gomme arabique.
Acalot ou corbeau aquatique, espèce de courlis. -
On lui donne ce nom de corbeau aquatique, à cause de la
ressemblance qu'il a avec le corbeau ordinaire; il a environ
trois pieds de longueur, ses nuances donnent en général des
reflets verts et pourprés sur un fond sombre et approchant
du noir, il ne vit que de poissons, et habite le long des lacs.
C'est un oiseau triste et sombre qui porte malheur, diton;
sa chair a une odeur âcre et marécageuse, qui la rend
fort désagréable au goût; quoi qu'il en soit, les Mexicains
qui en mangent quelquefois la trouvent assez bonne.
Acanthe. - Plante fort célèbre dans l'histoire des
Beaux- Arts; et dont les feuilles très grandes, lisses,
agréablement découpées, servaient à couronner les
colonnes corinthiennes à cause de leur beauté et de leur
agrément.
Vitruve raconte de la manière suivante l'origine de
l'introduction des feuilles d'acanthe comme ornement dans
l'ordre corinthien: «Une jeune Corinthienne étant morte
peu de jours avant un heureux mariage, sa nourrice désolée
mit dans une corbeille divers objets que la jeune fille avait
aimés, la plaça sur son tombeau, et la couvrit d'une large
tuile pour préserver ce qu'elle contenait des injures du
temps. Le hasard voulut qu'un pied d'acanthe se trouvât sous
la corbeille. Au printemps suivant, l'acanthe poussa, ses
larges feuilles entourèrent la corbeille, mais arrêtées par les
rebords de la tuile, elles se courbèrent et s'arrondirent vers
leurs extrémités. Callimaque passant près de là, admira
cette décoration champêtre, et résolut d'ajouter à la colonne
corinthienne la belle forme que le hasard lui offrait».
L'acanthe est assez commune en Grèce, en Italie, en
Espagne, et dans la France méridionale, mais il n'y a guère
qu'en Grèce et en Arabie, que l'on mange crues les feuilles
de cette plante.
Acapalti. - C'est cette espèce de poivre long, arrondi
et de couleur rouge qui croît dans la nouvelle Espagne, et
que les Espagnols mêlent à tous leurs ragoûts. Sa propriété
excitante qui est moindre que celle du poivre long ordinaire
se rapproche du paprika hongrois; on le fait sécher au soleil
pour le conserver et l'envoyer en Europe.
Acarné. - Poisson du genre de la dorade, écailleux et
de couleur blanche, mais lui ressemblant tellement qu'à
Rome on le vend sous ce nom. La chair en est tendre, de
bon goût et de digestion facile. Suivre pour la manière de le
servir toutes les prescriptions de la dorade.
Accioca. - Herbe qui remplace le thé du Paraguay
au Pérou et qui se prépare comme lui.
Accola. - Poisson plus petit que le thon (V. pour les
préparations culinaires Thon). On le pêche surtout aux
environs de l'île de Malte, la chair en est fort blanche et fort
délicate. On en mange beaucoup dans cette île.
Acéline. - Poisson qui ressemble à la perche et qui
demande les mêmes préparations culinaires (V. PERCHE).
Acéto-dolcé. - Conserve de certains fruits et de petits
légumes. On les fait confire au vinaigre comme les
cornichons, puis on y ajoute un résidu de vin nouveau et
cuit qu'on a fait bouillir jusqu'à réduction à la consistance de
sirop. Le meilleur acéto-dolcé se confectionne avec des
quartiers de coings et du moult de raisin muscat ou du miel
de Narbonne; le miel de Corse vaut mieux, mais il est un
peu plus amer.
Achanaca. - Cactus qui n'a encore été décrit que par le
professeur Aulagnier. Il pousse dans la province de Potoxi au
Pérou; sa racine épaisse et charnue, de forme conique, est
également bonne cuite et crue; on la trouve sur tous les
marchés.
Achards. - Composition bien connue qui nous vient
des Indes orientales et qui porte le nom de son inventeur.
Les meilleurs achards se tirent de l'île Bourbon. Il ne
s'agit donc que d'émincer finement des tranches de courge et
des lames de cardes poirées, vous y ajouterez des oignons
blancs, des champignons, des choux palmistes, des chouxfleurs,
du maïs au tiers de sa maturité, etc.; on colore le tout
avec du safran, et l'on fait confire au sel et au vinaigre
d'Orléans, en salant, en poivrant et en conduisant ce
mélange à la manière des cornichons. Vous le compléterez
avec de la racine de gingembre et quelques piments rouges.
On mange les achards de trois façons, en les tirant tout
simplement de leur bocal, en les coupant par morceaux, et en
les mêlant à toute sorte de viande rôtie ou bouillie.
En les faisant égoutter, en les étanchant à la serviette,
et en les imprégnant ensuite de bonne huile verte.
Enfin, en les accommodant au lieu d'huile verte avec
de la double crème de lait de chèvre, c'est ce qu'on appelle
dans les colonies à la cucoco; cette dernière recette a été
communiquée aux gastronomes européens par M. le
marquis de Sercey, vice-amiral et ancien gouverneur des
Indes françaises, auquel nous devons l'aya-pana qu'il a
apportée le premier en France.
Achiar. - Espèce de confiture au vinaigre, faite avec
des rejetons de bambous encore verts; les Hollandais qui
en font un très grand usage pour assaisonner leurs mets
l'apportent des Indes orientales où elle se fabrique dans des
urnes de terre. Ce condiment est très âcre, très échauffant,
et ne peut convenir qu'aux tempéraments phlegmatiques et
aux vieillards.
Acoho. - Petit coq de Madagascar, dont la chair ainsi
que celle de la poule est assez bonne à manger, et approche
comme goût de celle du canard sauvage. Les oeufs de la
poule ne sont pas bons à manger, mais ils sont tellement
petits qu'elle peut en couver une trentaine à la fois.
Actinie. - Vulgairement appelée ortie de mer, anémone
de mer, à cause de sa ressemblance avec l'ortie et
l'anémone. Elle se compose d'une masse charnue très
contractile, couronnée à son sommet par un grand nombre de
tentacules; au centre est une ouverture qui sert à la fois de
bouche et d'anus. L'actinie se fixe par la base, soit sur le
sable, soit aux rochers qui bordent les côtes à une faible
profondeur, et son adhérence y est si forte qu'on la déchire
plutôt que de l'arracher. Les actinies sont très nombreuses
sur les rivages de France où leurs brillantes couleurs
variées les font prendre souvent pour des fleurs.
L'odeur et la saveur de l'actinie approchent de celles des
crabes et des crevettes dont elle a les propriétés, et les
habitants des côtes du midi de la France la recherchent et en
mangent avec délices.
Adane. - Poisson monstrueux et ressemblant
beaucoup à l'esturgeon. On en a pêché souvent qui pesaient
plus de 500 kilos. Ce poisson ne vit que dans le Pô, et
Pline dit que l'oisiveté l'engraisse. Sa chair ne vaut pas
celle de l'esturgeon; elle a un assez bon goût, quoique molle,
et est en outre de fort difficile digestion.
Aeglefin. - Espèce de poisson du genre des gades qui
ressemble à la morue; il fréquente nos côtes où on le pêche
de la même manière que la morue. Sa chair varie selon son
âge, selon le parage où on le pêche, selon son sexe, et
selon l'époque de l'année. Il est ordinairement de 6 à 7
mètres de long et du poids de 5 à 7 kilos. Il fraye en mer, et
on le trouve à certaines époques en nombre si considérable
que, dans l'espace d'un mille d'Angleterre, trois pêcheurs
peuvent en remplir leurs barques deux fois par jour.
Agami. - Genre d'oiseau de l'ordre des échassiers. On
le trouve sur les montagnes arides et dans les hautes forêts;
à l'état sauvage, cet oiseau vit en troupes nombreuses dans
les forêts de la Guyane, mais on le réduit facilement à la
domesticité, et alors son intelligence, ses qualités, lui
assignent le premier rang parmi les oiseaux de basse-cour.
Daubenton dit que «l'Agami est le plus intéressant de
tous les oiseaux par les éloges que l'on en fait: on le
compare au chien pour l'intelligence et la fidélité; on lui
donne une troupe de volailles et même un troupeau de
moutons à garder, et il se fait obéir, quoiqu'il ne soit guère
plus gros qu'une poule. L'agami est aussi curieux qu'utile; il
mérite de trouver place dans toutes les basses-cours».
L'agami, en effet, n'a pas plus de six décimètres
environ de hauteur et sept décimètres de longueur; son bec
conique est d'un vert sale, ses yeux, dont l'iris est jaune brun,
sont entourés d'un cercle nu et rougeâtre, des plumes
courtes et frisées lui recouvrent la tête et les deux tiers
supérieurs du cou, dont le tiers inférieur est garni de
plumes plus grandes, non frisées et d'un violet noir. La
gorge et le haut de la poitrine présentent une sorte de
plastron brillant des plus riches reflets métalliques, le reste
de la poitrine, le ventre, les flancs et les cuisses sont noirs
ainsi que la queue et les ailes.
Me trouvant un jour à dîner chez un de mes amis à la
campagne, nous vîmes entrer peu après que la cloche
annonçant l'heure du dîner avait sonné, un de ces oiseaux
qui, à peine entré dans la salle à manger, se mit à en
chasser les chiens et chats, en les poursuivant à coups de
bec sans que ni chiens ni chats osassent lui résister; cela
fait, il vint à chacun de nous, nous regarda, et satisfait sans
doute de son examen il se dirigea vers le maître de la maison
et lui présenta sa tête et son cou que le maître s'empressa;
de gratter.
Peu habitués à voir un oiseau, gros tout au plus comme
un canard, agir de cette façon, avec les chiens et les chats, et
désireux d'apprendre quel était ce curieux animal, nous
priâmes notre ami de nous donner quelques
renseignements à cet égard.
Il nous raconta alors que pendant qu'il voyageait dans
la Guyane française, il avait remarqué à Cayenne plusieurs
de ces oiseaux précédant ou suivant des colons avec des
marques de profonde satisfaction; puis il en avait remarqué
d'autres conduisant et gardant des troupes de canards et de
dindons, faisant rentrer à l'heure habituelle les oiseaux qui
leur étaient confiés, et allant ensuite se percher sur le toit
ou sur quelque arbre voisin. Alors la curiosité l'avait pris,
et désirant s'attacher deux de ces précieux animaux, il avait
prié un de ses amis de les lui céder, il les avait ramenés en
France après avoir craint pour eux une traversée toujours
dangereuse, et arrivé dans sa campagne, il avait été tout
étonné de voir que ses nourrissons lui étaient déjà très
fortement attachés et le suivaient partout. Il les avait fait
mettre dans la basse-cour avec les autres volailles où ils
n'avaient pas tardé à régner en maîtres. Puis tous les soirs,
au moment où la cloche du dîner sonnait, on voyait arriver
les deux agamis qui poursuivaient impitoyablement les
chiens jusque dans leur chenil, et revenaient ensuite se faire
gratter la tête et le cou par leur maître, caresse à laquelle ils
sont très sensibles.
Notre ami finit en nous disant d'une façon très triste
qu'il avait perdu, il y avait quelques jours à peine, un de
ses agamis qui s'était cassé les reins en tombant du toit, et
qu'il avait eu la gourmandise de goûter à sa chair; il l'avait
trouvée délicieuse et bien certainement préférable à celle de
la plupart de nos poulets.
La chair de l'agami est en effet très délicate et très
recherchée.
Agaric. - Genre de plante appartenant à la famille des
champignons; il y en a de différentes espèces, et il faut bien
se garder de confondre avec les vénéneux dont on se sert
pour assaisonner les sauces.
Parmi les espèces d'agarics les plus recherchées
comme aliment, nous citerons: L'agaric comestible:
champignon de couche, dont le pédicule est blanc, court et
charnu; il soutient un chapeau de couleur fauve, couvert
d'une pellicule qui s'enlève facilement. Ses lames sont
rougeâtres à la naissance, puis pourpres ou noires, sa chair
ferme et cassante; c'est la seule espèce qu'il soit permis de
vendre sur le marché de Paris.
L'agaric mousseron est d'un blanc jaunâtre à sa
surface, son chapeau est presque sphérique et large de
quatre centimètres. Il est très commun au printemps et
pendant une partie de l'été dans les bois découverts, les
friches, les prés secs. On le préfère jeune et frais; il entre
dans les ragoûts comme assaisonnement. Pour le conserver,
on l'enfile par le pied et on le laisse dessécher. Jusqu'à
présent, on a essayé inutilement de le cultiver.
L'agaric faux mousseron se reconnaît à sa couleur d'un
jaune pâle, tirant sur le roux, à son pédicule très grêle, à
son chapeau convexe mamelonné au centre, large de quatre
à cinq centimètres. Sa chair est dure, mais assez
savoureuse, et d'une odeur agréable.
L'oronge est d'une odeur et d'un goût très agréables;
malheureusement, on peut très facilement la confondre
avec l'agaric moucheté ou fausse oronge qui est
extrêmement vénéneux. En Allemagne ce dernier sert à
tuer les mouches.
L'agaric du houx qui croît en été sous les buissons de
houx est, suivant Persoon, un de nos meilleurs
champignons.
L'agaric élevé est l'espèce la plus haute du genre; son
pédicule est très long, son chapeau roussâtre un peu panache;
il croit en été dans les bois et les champs sablonneux; on le
mange en beaucoup d'endroits.
Il y a encore une quantité considérable d'agarics,
servant à la nourriture de l'homme, mais il est préférable de
s'en tenir à ceux que nous venons d'indiquer, les autres
étant peu savoureux ou très difficiles à distinguer des
mauvaises espèces.
Parmi les agarics vénéneux, on distingue: l'agaric
meurtrier; il en découle un suc laiteux, âcre et caustique.
Dans le cas d'empoisonnement le remède le plus usité est
l'huile d'olive, prise en lavement et en boisson; on
administre aussi le vinaigre comme antidote; l'agaric
caustique, qui croît dans les bois; sa couleur est d'un jaune
livide terreux; l'agaric âcre, blanc, à lames jaunâtres et
rougeâtres, distillant un suc laiteux très âcre, ce qui
n'empêche pas qu'il soit souvent rongé par les lièvres et les
lapins, etc.
On a distingué parmi les agarics un groupe assez
remarquable par la propriété de se fondre en une eau noire à
l'époque de sa destruction. La plupart de ces champignons
croissent dans des lieux infects, sur les substances putrides;
leur existence est d'ordinaire de courte durée: par exemple,
l'agaric éphémère, qui ne dure qu'un jour.
Il existe encore des agarics caractérisés par des qualités
particulières. L'agaric styptique, lorsqu'on le mâche,
produit, au bout de quelques instants, un étranglement
analogue à celui du vitriol. La saveur de l'agaric fétide est
poivrée.
Nous avons, enfin, l'agaric laciniatus qui croît sur le
tronc des palmistes qui pourrissent en terre et qui, selon
Commerson, donne un goût de morille aux aliments.
L'agaric hépatique, substance molle, superficie
gluante rouge brun, un peu velue, pores d'un blanc sale
tirant sur le jaune; il a la forme d'un foie de boeuf, on le
trouve au pied des arbres; il est très vénéneux et
susceptible de se gonfler dans l'estomac.
L'agaric du peuplier de bois, qui ressemble beaucoup
à la truffe visqueuse quoique plus charnu, plus sec et plus
relevé. A peine est-il cueilli ou même en pleine maturité,
que le dessus de son écusson devient d'un blanc sale. Si on
le casse, sa chair prend une couleur blanche à laquelle
succède bientôt une teinte bleue. Si on exprime le suc
aqueux, à l'instant il prend une teinte bleuâtre qui colore la
toile. Cet agaric est très recherché en Russie, où l'on mange
impunément les plus pernicieux.
Agave. - Genre de plante à feuilles épaisses, allongées,
à bords épineux, et qu'on a longtemps confondue avec
l'aloès.
Cette plante est très abondante à Cuba et au Mexique,
et ses tiges contiennent une sève sucrée avec laquelle on
prépare un vin qu'on nomme pulque, dont les propriétés
sont toniques et restaurantes, mais dont le goût est peu
agréable et donne une odeur fétide à l'haleine de ceux qui
en boivent immodérément. Les peuples de Cuba et du
Mexique aiment si fort cette espèce de vin, qu'ils s'en
procurent aux dépens de leurs subsistances et même de
leurs vêtements.
Les fibres des feuilles de l'agave sont longues, fortes
et délices; on en fabrique des cordes, des filets de
pêcheurs, des tapis, des toiles d'emballage, des pantoufles,
du papier et divers autres ouvrages. On dégage les fibres en
faisant rouir les feuilles, comme du chanvre, dans une eau
stagnante ou dans du fumier; on les écrase entre deux
cylindrés. On les lave, on les bat et on les peigne à
plusieurs reprises pour les nettoyer et leur donner de la
souplesse.
On retire encore des feuilles de l'agave par la trituration,
un suc que l'on passe à la chaux et que l'on fait épaissir par
l'évaporation après y avoir ajouté une certaine quantité de
cendres. C'est une sorte de savon qu'on emploie pour laver
le linge.
On se sert aussi des feuilles de l'agave pour couvrir les
toits.
Agneau. - C'est du mois de décembre au mois d'avril
que la chair d'agneau est bonne; il faut que l'agneau ait au
moins cinq mois et qu'il n'ait été nourri que de lait.
On donne au nom de cette charmante petite bête une
origine toute poétique: selon les étymologistes bucoliques, il
viendrait du verbe agnoscere, reconnaître, parce que, tout
petit, il reconnaît sa mère.
En effet, à peine peut-il marcher qu'il la suit en
chancelant et en bêlant. Inutile de dire que c'est le petit de la
brebis et du bélier.
L'agneau, de toute antiquité et aujourd'hui encore, a été
et est le mets le plus recherché d'orient. Les Grecs
l'estimaient fort et ils donnaient peu de festins sans qu'un
agneau rôti en fût le plat le plus important. L'abus de cette
chair était l'un des excès gourmands qu'un prophète
reprocha aux Samaritains. Sa chair est blanche, mais
muqueuse, et dans la suite cette chair fut détendue aux
Athéniens.
Dans les temps primitifs, alors que les échanges
commerciaux servaient souvent de monnaie, Abraham
donna sept agneaux au roi Abimeleck, en témoigne de son
alliance. Jacob, pour un champ qu'il acheta aux enfants
d'Hémor, leur en donna deux cents.
Agneau à la hongroise. - Coupez une douzaine de gros
oignons d'Espagne en rouelles, joignez-y un morceau de
beurre en rapport avec la masse des oignons; faites un roux
avec un peu de farine, votre beurre et vos oignons. Ayez
soin que les oignons roussissent, mais ne brûlent pas;
mettez-y un bouquet assorti, salez et poivrez, ajoutez- y une
bonne pincée de poivre rouge hongrois, à défaut duquel
vous mettrez quelques atomes de poivre de Cayenne;
pendant ce temps vous avez taillé votre poitrine d'agneau en
morceaux grands comme des tablettes de chocolat et vous
l'avez fait revenir dans du beurre frais. Quand vous le
jugez bien revenu, vous versez sur votre agneau et sur
votre beurre frais le contenu de la casserole où vous avez
fait votre roux d'oignons avec votre bouquet assorti. Puis,
comme les oignons ne cuisent que mouillés d'eau ou de
bouillon et que, dans le beurre, ne feraient que rissoler, vous
versez, de quart d'heure en quart d'heure, un quart de verre à
boire de bon consommé; laissez mijoter cinq quarts d'heure
et servez.
C'est un des meilleurs plats que j'aie mangés en
Hongrie.
Pascaline d'agneau à la royale. - L'habitude de servir
un agneau entier le jour de Pâques s'est conservée en
France jusque sous Louis XIV et même sous Louis XV.
Voici comment on confectionnait ce plat qui nous venait
directement des agapes des premiers chrétiens.
On désossait le collet d'un agneau de six mois. On
brisait la poitrine dans laquelle on ajustait les épaules
bridées avec des ficelles; on brisait les deux manches des
gigots qu'on assujettissait de même. On le remplissait d'une
farce composée de chair d'agneau pilée, de jaunes d'oeufs
durs, de mie de pain rassis et de fines herbes hachées et
assaisonnées des quatre épices. On lardait finement la chair
de l'agneau, on le faisait rôtir à grand feu et on le servait
tout entier pour gros plat, en relevé de potage, soit sur une
sauce verte avec des pistaches, soit sur un ragoût de truffes,
au coulis de jambon. L'usage de servir cet ancien plat pour
les dîners royaux du jour de Pâques s'est, comme nous
l'avons dit, perpétué longtemps à la cour de France et est
encore suivi dans les grandes maisons qui ont conservé les
traditions aristocratiques et religieuses du XVIIIe siècle.
Grosse pièce d'agneau aux tomates farcies. - Prenez
la moitié d'un agneau, la partie inférieure, retroussez-la, et
enveloppez- la de papier beurré, faites rôtir à point,
décrochez, dressez et glacez, mettez des papillotes au
manche du gigot, garnissez votre moitié d'agneau de
tomates farcies et servez à part une sauce à la Uxelles.
Ce qui a valu à M. le maréchal d'Uxelles l'honneur de
donner son nom à une sauce, ce n'est pas d'avoir perdu la
bataille de Rosbach comme M. de Soubise, ou d'avoir
gagné la bataille de Fontenoy comme M. de Richelieu,
c'est tout simplement une anecdote racontée je crois par
Saint- Simon. Mlle Choin, maîtresse du grand Dauphin,
avait un petit chien qu'elle adorait, et qui estimait tout
particulièrement les têtes de lapins rôties; tous les jours
Mlle Choin recevait de M. le maréchal d'Uxelles
une visite, à la fin de laquelle il tirait de sa poche un
mouchoir de batiste d'une blancheur éclatante dans lequel
étaient renfermées deux têtes de lapins rôties.
La bonne Mlle Choin était on ne peut plus sensible à
cette marque d'attention, et elle n'avait pas peu servi à
remettre M. le maréchal d'Uxelles en faveur, après la
reddition de la ville de Mayence.
Un beau jour, le grand Dauphin mourut; le lendemain,
le surlendemain et les jours suivants, elle attendit
vainement le maréchal: elle ne revit jamais ni le marquis
d'Uxelles, ni ses mouchoirs de batiste, ni ses têtes de lapin.
Ce n'était point au chien de Mlle Choin qu'il les apportait,
mais au grand Dauphin.
Agneau entier, sauce poivrade. - Troussez un agneau
entier, embrochez-le, enveloppez-le de feuilles de papier
beurré, quelques instants avant de servir retirez le papier
pour lui laisser prendre une jolie couleur, débrochez-le,
dressez-le sur son plat, et mettez deux papillotes au
manche du gigot.
Epigramme d'agneau aux pointes d'asperges. -
Achetez un quartier de devant d'agneau, détachez-en
l'épaule que vous ferez rôtir. Lorsqu'elle sera cuite, faites
cuire la poitrine dans une braise, puis mettez- la à la presse
entre deux couvercles de casserole avec un poids pour
l'aplatir, retirez tous les os et réservez seulement ceux qui
vous seront nécessaires pour faire des manches à vos
côtelettes, taillez les côtelettes et parez-les; disposez les dans
un sautoir, saupoudrez-les d'un peu de sel, saucez les
légèrement avec du beurre fondu ou, ce qui vaudrait mieux,
avec de l'allemande réduite. Votre poitrine d'agneau
découpée de manière à imiter des côtelettes, trempez-les
dans une panure composée de mie de pain, d'huile et de
pain rassis que vous aurez passé à travers le tamis de
laiton, assaisonnez.
Passez les côtelettes dans le beurre clarifié, rangez-les
dans le plat à sauter, faites frire les poitrines et égouttezles.
Mettez dans chaque bout de poitrine la moitié d'un os
taillé en pointe, de manière à former un manche à vos
fausses côtelettes.
Dressez autour d'une croustade poitrine frite et
côtelettes sautées en alternant, garnissez la croustade de
pointes d'asperges et servez à part une légère béchamel.
Vous pouvez, en suivant le même procédé et en servant
toujours votre béchamel ou votre demi-glace ou enfin votre
sauce à part, garnir la croustade de petits pois, d'une
macédoine de légumes, de haricots verts, d'une purée de
cardons, etc.
Veloutez à part le tout réduit avec essence de
champignons ou, enfin, avec une garniture de concombres.
L'allemande doit être servie à part.
Selle d'agneau rôtie à l'anglaise. - Les doubles filets
réunis sont la meilleure partie de l'agneau. On la rôtit, on la
sert en relevé de potage ou en flanc de table.
On l'accompagne d'une sauce à l'anglaise très goûtée
de ceux des gourmets parisiens à qui nos deux cent dix-sept
ans de guerre avec l'Angleterre n'ont point inspiré une
horreur invincible pour tout ce qui vient de l'autre côté de
la Manche.
Mettez un quart de litre de consommé dans une
casserole, avec une pincée de sauge verte hachée, faites
bouillir cinq minutes, ajoutez-y deux échalotes pilées, deux
ou trois cuillerées de vinaigre d'Orléans, 60 grammes de
sucre et un peu de poivre noir; salez, passez à l'étamine et
servez à part dans une saucière.
L'auteur des Mémoires de la marquise de Créqui, de qui
nous tenons cette recette, saisit cette occasion de tomber
sur ces gourmands exclusifs qui, par patriotisme, ne
veulent pas sur la table française l'introduction des cuisines
étrangères. «On trouve encore, dit-il dans un mouvement
d'indignation, de prétendus gourmets qui déclament contre
l'emploi du sucre en mélange avec des acides ou des chairs
salées, mélange infiniment agréable en certains cas. Rien
n'est encore aussi commun que de rencontrer des
retardataires obstinés dans la marche du progrès culinaire,
tandis que ce progrès ne pourrait s'établir que si chaque
peuple abjurait ses préjugés nationaux dans un sentiment
de cosmopolitisme».
Après cette invitation à l'éclectisme, l'auteur des
Mémoires de Mme la marquise de Créqui, en véritable
gastronome aristocrate qu'il est, s'indigne contre le préfet du
palais, M. le comte de Bausset, qui fait servir, au château
des Tuileries, pour le dîner de l'empereur, un gigot
d'agneau comme plat de rôti au second service.
«Tout le monde a vu, dit-il avec surprise, dans la
première édition des Mémoires de M. le comte de Bausset,
préfet du palais et chambellan de l'empereur Napoléon,
deux tableaux d'un menu, d'où il résulte que ce fonctionnaire
impérial faisait servir aux Tuileries, pour le dîner de son
maître, un gigot d'agneau au second service et comme plat
de rôti. Voilà ce qu'un maître d'hôtel du troisième ordre
n'aurait eu garde de souffrir de l'autre côté de la rivière de
Seine ou dans le faubourg Saint-Honoré, qui n'est pas
moins bien habité que le quartier Saint- Germain. Il est à
noter que le reste et l'ensemble de cet étrange menu
publié par M. le comte de Bausset est tellement vulgaire et
si dépourvu d'aucun usage du beau monde, que les
habitudes de cette famille impériale et le savoir-vivre de
ses principaux officiers en ont beaucoup souffert dans
l'estime et la considération publique. La divulgation, très
indiscrète et tout à fait inutile, avait produit un étonnement
si général et eut un effet tellement fâcheux, que M. le préfet
du palais impérial a cru devoir retrancher ce document
dans la dernière édition de ses Mémoires, et c'est en vérité
ce qu'il y avait de mieux à faire pour la réputation d'un si
grand homme, ainsi que pour l'honneur de ses employés du
palais».
Courchamps était un homme de l'ancienne cour qui ne
plaisantait avec aucune étiquette et surtout l'étiquette
culinaire.
Quartier d'agneau rôti à la maître d'hôtel. - Tirez
votre quartier d'agneau de la broche, soulevez-en les côtes et
introduisez dans la gerçure une boule froide du mélange
appelé maître d'hôtel, dont voici, à ce que nous croyons, la
meilleure recette:
Prenez 125 grammes d'excellent beurre, ajoutez-y du
sel en quantité suffisante, une demi- pincée de muscade
râpée, trois fortes pincées de fines herbes, savoir: un
quart de cerfeuil, une moitié de persil, un quart de cresson
alénois, un quart de pimprenelle et deux ou trois feuilles
d'estragon. Mettez toutes ces herbes finement hachées avec
le beurre froid, en les triturant et en les mélangeant avec le
jus d'un fort citron et le jaune cru d'un oeuf frais. Tenez
cette sauce froide en réserve, à la cave, et servez- vous en
selon vos besoins.
Gigot d'agneau. - Faites rôtir, et présentez en entrée de
broche sur une purée d'oseille, sur une sauce aux tomates
ou sur une ravigote verte, appelée communément sauce au
vert-pré.
Issue d'agneau. - Depuis que chaque partie des abatis
d'agneau a été annexée aux principales portions de la tête, on
les a reconnues susceptibles de recevoir un assaisonnement
spécial et un apprêt particulier; cependant, comme certains
gourmets ont une religion particulière pour les plats de nos
aïeux, l'issue d'agneau se composait autrefois de la tête, du
coeur, du mou, des ris, du foie et des pieds de l'agneau que
l'on faisait étuver, ensemble, dans un blanc, et que l'on
servait avec une liaison de jaunes d'oeufs crus et de jus de
citron dans le même pot à oille, en façon de potage et
quelquefois d'entrée. C'était un ancien ragoût très salutaire
dans certains cas d'inflammation des entrailles et de
l'estomac.
Poitrine d'agneau aux groseilles vertes. - Prenez deux
poitrines d'agneau que vous braisez avec quelques tranches
de maigre de veau et de jambon cru; au bout d'une heure et
demie de cuisson, vous les retirez, vous les déficelez, vous
les mettez refroidir entre deux couvercles, puis vous les
trempez dans du beurre tiède et vous les pannez. Vous
les faites griller à petit feu et les colorez à l'aide d'un four
de campagne; puis vous servez cette entrée sur un ragoût de
groseilles vertes, assaisonné de muscat et de verjus. (Recette
de Chevriot, cuisinier du roi Stanislas Leckzinski).
Galantine d'agneau. - Désossez un agneau entier,
prenez une partie des chairs de gigot, autant de panne de
cochon, de la mie de pain trempée dans du lait et bien
égouttée; hachez et pilez le tout pour en faire une farce,
dans laquelle vous mettrez deux oeufs, poivre, sel, un peu de
quatre épices. La galantine d'agneau demande au moins
une bonne heure pour la cuisson.
Tendrons d'agneau aux pointes d'asperges. - Coupez
et parez les tendrons de deux poitrines d'agneau, couchezles
dans un sautoir, avec un peu de consommé, faites-les
mijoter jusqu'à ce qu'ils se glacent; ayez des asperges aux
petits pois les plus tendres, blanchissez-les à l'eau
bouillante, légèrement salée, écumez, laissez bouillir un
quart d'heure, mettez dans l'eau froide, égouttez-les sur un
tamis, apprêtez à la poulette ou au consommé lié de jaunes
d'oeufs, où vous ferez fondre une demi-cuillerée de sucre;
vous verserez ce ragoût d'asperges au milieu du plat et vous
dresserez à l'entour les tendrons glaces au feu.
Tendrons d'agneau aux petits pois. - Opérez comme
ci-dessus, mais ne blanchissez ni ne rafraîchissez. Vous
ajouterez à ce ragoût quelques feuilles de sarriette, dont le
goût s'allie bien à celui des pois verts.
Filets d'agneau à la Condé. - Parez des filets d'agneau
depuis les carrés jusqu'au collet, après les avoir piqués
d'anchois, de truffes et de cornichons; faites-les mariner
dans du beurre mêlé de bonne huile, et assaisonnez avec
champignons, ciboule, échalotes, câpres, hachez le plus fin
possible, ajoutez-y sel, poivre, quatre épices basilic en
poudre, chapelure, deux jaunes d'oeufs durs. Des morceaux
de crépine vous serviront à envelopper les morceaux de
filets sous une couche de cette farce. Mettez les à la broche
avec des attelles, et enveloppés d'un papier huile.
Lorsqu'ils seront cuits, retirez-les, passez- les et versez
sur le tout une sauce au blond de veau avec tranches de
citron et muscade râpée. Cette sauce devra prendre sur le
feu une consistance suffisante.
Tranches d'agneau à la Landgrave. - Coupez un filet
d'agneau par tranches, salez, mettez des quatre épices et un
peu de paprika, faites-les frire, puis maintenez-les chaudes,
versez dans une casserole 125 grammes de bouillon où
vous avez jeté une demi -cuillerée de farine de seigle,
ajoutez-y un peu de saumure de noix et un peu de catchup,
essence de champignons, joignez-y 30 grammes de beurre
frais, faites bouillir le tout en remuant avec assiduité,
mettez-y alors vos tranches d'agneau que vous servirez
après avoir passé la sauce.
Cromesquis d'agneau. - (ragoût polonais). Parez de la
chair d'agneau à moitié rôtie et refroidie, coupez-la par
petits morceaux carrés, coupez de la même manière des
champignons cuits au blanc et de la tétine de veau, mettez
dans une casserole gros comme un oeuf de pigeon de glace
de viande avec un peu de consommé, faites chauffer,
ajoutez-y gingembre et gros poivre, liez avec des jaunes
d'oeufs et puis mettez dedans la tétine ainsi que les
champignons et la chair d'agneau, le tout étant refroidi,
divisez par petites parties, moulées comme pour des
croquettes; après quoi vous enveloppez chacune de ces
petites parties dans des bardes de tétine de veau; trempez- les
dans une pâte croquante et jetez-les dans la poêle; quand
elles seront bien colorées, vous les servirez sur une sauce
piquante ou avec persil frit.
Agouti. - Genre de mammifères rongeurs. Cet animal
est de la grosseur d'un lièvre; il a la rudesse de poil, le
grognement et la voracité du cochon.
L'agouti se rencontre dans les Antilles et les parties
chaudes de l'Amérique. C'est un équivalent de nos lapins.
Les chasseurs le poursuivent constamment et, dès 1789,
l'espèce en était déjà détruite à Saint-Domingue. Il
s'apprivoise très aisément et il est très facile à élever, car il
est omnivore, pourvu qu'on le mette à l'abri du froid.
La chair des agoutis gras et bien nourris est assez bonne
à manger, quoiqu'elle ait un peu le goût sauvage; on la
prépare comme celle du cochon de lait, dont elle a les
propriétés alimentaires.
Aigle. - La grandeur, la noblesse et la fierté du roi des
oiseaux ne lui donnent pas pour cela une chair tendre et
délicate, car tout le monde sait qu'elle est dure, fibreuse et de
mauvais goût, et fut défendue aux Hébreux.
Laissons-le donc planer et défier le soleil, mais ne le
mangeons pas.
Aigre de cèdre ou Aigre au Cédrat. - Fort à la
mode sous le règne de Louis XIII, fort abandonné depuis,
mais que les Mémoires de Tallemant des Réaux viennent
de remettre à la mode. Orangeade aiguisée de citron
vert, édulcorée de miel épuré de Narbonne, au suc de
mûres blanches, et puis légèrement aromatisée avec de
l'écorce de cédrat rouge. Le cardinal de Richelieu faisait le
plus grand cas de l'aigre de cèdre et il en consommait,
pendant les deux mois caniculaires, au moins trois à quatre
litres par jour.
(Tirée du Thresor des receptes au lit des malades,
ouvrage de Mme Fouquet, mère du surintendant).
Aiguillat. - Espèce de poisson appelé vulgairement
chien de mer. Il a la forme d'un congre; on le trouve sur les
côtes de l'Océan, où on en a péché qui pesaient plus de 10
kilos. Sa chair est filamenteuse, dure et d'une saveur peu
agréable.
Lorsque j'étais encore à Roscoff, mon secrétaire étant
allé un matin à la pêche avec mon barbier, ils trouvèrent
dans le filet, qui avait été tendu la veille, quarante-deux de
ces poissons dont le plus léger pesait plus de 5 kilos et
deux ou trois rougets à moitié mangés par leurs voraces
compagnons de captivité; cette pêche, qui au premier
abord paraît assez bonne, ne servit cependant à rien,
puisque, ne sachant que faire de ces poissons et ne pouvant
les manger, on fut obligé de les porter au vivier où ils firent
les délices des quinze ou dix huit mille homards qui
l'habitent.
Ail au singulier, aulx au pluriel. - Plante potagère
bulbeuse dont les gousses sont employées comme
assaisonnement.
Tout le monde connaît l'ail, et surtout les conscrits, qui
l'emploient à se faire réformer. Son bulbe contient un suc
âcre et volatil qui attire les larmes aux yeux. Appliqué sur la
peau, il la rougit et l'escorie même.
Tout le monde connaît l'odeur de l'ail, excepté celui qui
en a mangé et qui ne se doute pas pourquoi chacun se
détourne à son approche. Athénée raconte que ceux qui
mangeaient de l'ail n'entraient point dans les temples
consacrés à Cybèle. Virgile en parle comme d'une plante
utile aux moissonneurs pour augmenter leurs forces dans
les grandes chaleurs, et le poète Macer, pour les empêcher
de s'endormir dans la crainte des serpents. Les Egyptiens
l'adoraient, les Grecs, au contraire, le détestaient, les
Romains en mangeaient avec plaisir. Horace qui, le jour
même de son arrivée à Rome, avait pris une indigestion
d'une tête de mouton à l'ail, l'avait en horreur.
Alphonse, roi de Castille, l'avait en si grande
aversion, qu'en 1330 il institua un ordre dont les statuts
portaient que ceux des chevaliers qui auraient mangé de
l'ail ou de l'oignon ne pourraient paraître à la cour ni
communiquer avec les autres chevaliers, au moins pendant
un mois.
La cuisine provençale est basée sur l'ail. L'air, en
Provence, est imprégné d'un parfum d'ail qui le rend très sain
à respirer. Il entre pour principal condiment dans la
bouillabaisse et dans les principales sauces. On en fait,
écrasé avec de l'huile, une espèce de mayonnaise que l'on
mange avec du poisson et des escargots. Le déjeuner des
Provençaux des classes inférieures, se compose souvent
d'un croûton de pain, arrosé d'huile et frotté d'ail.
Aile. - C'est le nom que porte la partie, nous ne dirons
pas précisément la plus sapide, mais la plus honorable de
l'oiseau. C'est l'aile du poulet, du faisan, du perdreau, que
l'on offre en général aux femmes et aux convives à qui l'on
veut faire honneur. Cette portion commence au haut de
l'estomac et, en se déchirant sous le couteau, s'étend
presque sous les cuisses. Il y a trois morceaux dans l'aile
des gros oiseaux, comme le dindon ou l'oie: le haut, le bas et
le bout. L'aile des jeunes oiseaux bien nourris est délicate
et nourrissante, et elle convient à tous les estomacs. L'aile
des vieux, au contraire, est comme le reste du corps,
maigre, sèche, dure, peu substantielle et peu estimée.
Airelle. - L'airelle veinée et l'airelle myrtile. Les
feuilles de l'airelle veinée sont ovales et veinées; son fruit
est savoureux, surtout en Amérique, dont elle semble
originaire.
On mange ce fruit fraîchement cueilli ou on le sert avec
du petit lait ou de la crème aromatisée.
L'airelle myrtile est un arbrisseau des bois, donnant de
petits fruits rouges d'abord, puis tournant au bleu foncé en
mûrissant; leur goût est agréable. Les Suédois les
emploient pour assaisonner certains aliments; les
marchands de vins s'en servent pour colorer les vins blancs.
On fait, avec le fruit, du sirop et une espèce de conserves
agréables à boire et à manger.
Ajaque (d'après M Olagnier). - Au Siam, on donne ce
nom à un fruit beaucoup plus gros que le durion Il est
couvert d'une peau chagrinée; l'arbre qui le produit est fort
élevé et d'un port majestueux. On extrait de ses feuilles un
lait abondant. Le fruit ne sort que des grosses branches ou du
corps de l'arbre. Plus l'ajaque vient près du tronc, plus il est
gros. On le dépouille de sa peau épineuse, on le coupe
par morceaux qu'on fait cuire en fricassée. Avec sa chair et
du sucre, on fait aussi une marmelade qu'on peut conserver
toute l'année. Quand ce fruit est parvenu à sa maturité, on
trouve sous son bois mince et poli cinquante châtaignes
renfermées dans un sac de chair jaune très sucrées et d'une
odeur très forte. Ces châtaignes, grillées ou bouillies, ont à
peu près le goût de nos marrons, mais elles sont plus
petites; elles sont venteuses.
Alalunga. - Poisson qui se trouve sur les côtes de la
Méditerranée; à Malte on l'appelle thon blanc; il pèse de 6
à 8 kilos. Sa chair est agréable, mais de difficile digestion.
Albacore. - Poisson des mers occidentales, baptisé
ainsi par les Portugais, à cause de sa blancheur. C'est une
bonite gigantesque atteignant le poids de 30, 40 et même
45 kilos.
Albatros. - De tous les oiseaux d'eau, les albatros sont
les plus grands et les plus massifs; l'envergure de leurs
ailes est de trois à quatre mètres; le plumage est d'un beau
blanc, le dos et l'extrémité des ailes sont gris; sa voix est,
dit-on, aussi forte que celle de l'âne; il fait un nid de terre
élevé et pond des oeufs nombreux bons à manger.
Les diverses espèces de ce genre habitent les mers
australes et vivent de poissons volants, de frai de poisson et
de mollusques. Malgré leur grande taille et leur force, ils
sont très lâches, se laissent battre par les goélands et les
mouettes, et leur abandonnent alors leur proie.
La chair de l'albatros est bardée d'une graisse
excellente dont on se sert comme aliment; mais cette chair
est dure, coriace, de difficile digestion. Chez les jeunes, au
contraire, elle est aussi tendre que celle de l'agneau.
Alberen. - En Suisse, où on le pêche, surtout aux
environs de Genève, on le nomme lavaret. C'est une espèce
de saumon dont la chair est excellente et que les étrangers
ne manquent jamais de demander lorsqu'ils arrivent à
Genève, Lausanne et Chambéry. (Voyez, pour
l'assaisonnement du lavaret, celui du saumon et des
truites).
Alberge. - Espèce de pêche qu'on prépare en Touraine
et dont la chair jaune et très compacte est légèrement
acidulée. Je me rappelle avoir lu dans les Lettres de Paul-
Louis Courier qui faisait peu de cas de ce fruit, que sa
femme était devenue rêche et coriace comme une alberge.
Si le lecteur n'est pas dégoûté de l'alberge par la
comparaison qu'en fait le célèbre pamphlétaire, il pourra
employer les conserves d'alberge en les coupant en petits
morceaux de forme carrée et en garnissant le fond d'un
plum-pudding à la moelle et aux tranches de citrons
confits.
Albran. - Le jeune canard qui se chasse à la fin d'août,
s'appelle albran. En septembre, il devient canardeau et
passe définitivement canard au mois d'octobre. Les
albrans, qui sont au canard ordinaire ce que la perdrix est à
la poule, se cuisent à la broche et se servent couchés sur des
rôties onctueusement imbibées de leur jus, auquel l'on ajoute
un suc d'oranges amères, avec un peu de soya des Indes et
des grains de mignonnette. C'est un plat de rôt délicat et
distingué. Aussi est-il honoré de cette note de l'auteur des
Mémoires de la marquise de Créqui:
«Quand les chasseurs ou les pourvoyeurs en fournissent
en grand nombre à la campagne, et quand on veut en faire
une entrée, on peut les mettre en salmis ou les servir sur
un ragoût d'olives, aussi bien que sur une béchamel de
mousserons. Nous n'admettons pas qu'on puisse les faire
cuire aux navets, ainsi qu'il est conseillé dans l'Almanach
des gourmands. C'est un apprêt trop vulgaire, pour être
appliqué convenablement à des albrans, des canardeaux, et
même à des canards sauvages, il ne convient que pour des
canards de ferme et pour leurs canetons. Nous suivons ici le
précepte et la décision de M. Brillat- Savarin, notre illustre
devancier:
«L'adjonction d'un pareil légume à ce noble gibier
serait pour les albrans un procédé malséant et même
injurieux, une alliance monstrueuse, une dégradation
flétrissante».
Alcool. - Mot arabe qui désigne une substance solide
ou un liquide volatil. On ne donne aujourd'hui
vulgairement ce nom qu'au produit volatil et inflammable
de la liqueur fermentée appelée esprit-de-vin.
Sa découverte remonte au XIVe siècle. Elle est due à
un célèbre alchimiste de Montpellier, Arnault de Villeneuve.
Elle est le produit des substances sucrées. On peut la
tirer du vin, de la bière, du cidre, du riz, du sucre et
généralement des fruits, grains ou résines qui contiennent du
sucre.
Faible, l'alcool s'appelle eau-de-vie; fort, c'est l'esprit -
de-vin inflammable, de saveur vigoureuse, causant l'ivresse
et affaiblissant les facultés intellectuelles. Cette saveur est
d'autant plus forte que l'alcool a été plus rectifié ou privé
d'eau. Il se dissout parfaitement dans l'eau avec laquelle il
s'unit, et forme l'eau-de-vie.
Il y a un tel rapport entre ces deux liquides, que nous
dirons tout de suite, à propos de l'alcool, ce que nous avons
à dire de l'eau-de-vie.
L'eau-de-vie, liqueur alcoolique très aqueuse, contient
un peu d'acide acétique; on l'obtient par la distillation du
vin, des grains, des pommes de terre, des marcs de raisin, du
poivre, du cidre, de la mélasse, de la lie de vin, du riz, des
cerises, des prunes, des carottes, des groseilles, du lait des
dattes, du coco, du genièvre, des pois, des haricots, des
betteraves et de l'érable. C'est toujours à Arnault de
Villeneuve, médecin-alchimiste à Montpellier, qu'on doit
les premiers essais réguliers sur la distillation du vin pour en
obtenir de l'eau-de-vie, qui est la base de toutes les
liqueurs de table et qui même en fait partie.
C'est un liquide limpide, incolore, transparent, volatil,
de saveur forte, de densité variable, suivant la quantité
d'eau qu'il contient; inflammable, en raison directe de sa
densité, ayant la propriété de dissoudre les résines et les
principes aromatiques; enfin de préserver de la putréfaction
les substances végétales et animales. (Dictionnaire des
Boissons, par M. F. Olagnier).
Alcyon. - Peu de personnes savent que cet oiseau, au
doux nom qui rappelle les malheureuses amours de Cex et
Alcyon, n'est autre que l'hirondelle des rivages de la
Cochinchine, que l'on nomme salangane, et dont les
Chinois mangent les nids avec tant de volupté. On en
trouve la première variété aux îles de France et de
Bourbon, aux Moluques et aux Philippines; elles
produisent des nids gélatineux de la forme d'un petit
bénitier; ces nids sont composés d'une substance blanche
demi-transparente, dure comme la corne et mêlée
intérieurement de légères couches de coton. A l'extérieur,
cette substance ressemble à une gélatine très blanche,
desséchée par filaments soigneusement accolés. Cet oiseau,
qui s'appelait en grec Alcyon, s'appelle Chim au Tong-
King et Salangane aux îles Manille, qu'il enrichit avec la
seule vente de son nid. Ces nids se composent d'une résine
inconnue en Europe et qu'on appelle Calambac. Cette
résine, qui est le Timbach des Indiens, est une substance
qui s'écrase sous les dents et dont la saveur est délicieuse.
En Chine, on la vend au poids de l'or à cause de son
parfum; on la brûle sur des charbons dans les plus
fameuses pagodes, dans les occasions solennelles et chez
les grands du Céleste-Empire. Le prix de ces nids est
extrêmement élevé; on les appelle Sacaïpouka. On sait
aujourd'hui que plusieurs espèces d'hirondelles produisent
de ces nids gélatineux; les blancs sont les plus recherchés,
parce qu'ils sont glanés. Sumatra en expédie à Canton de
nombreuses pacotilles, dont les Chinois sont enthousiastes.
On les trouve entre les anfractuosités des montagnes, pris à
de petites coupes attachées le long des murailles. On en fait
deux récoltes par an. Les hirondelles mettent plus d'un
mois à les construire.
On a cru longtemps que ces nids n'étaient autre chose
que l'écume de la mer mêlée au frai du poisson. J'ai vu
beaucoup de ces nids, je dois dire que j'en ai même mangé
plus qu'aucun Français, peut- être, étant lié avec le beau-fils
du gouverneur de Java, qui en recevait tous les ans des
caisses entières. Il les faisait récolter dans une caverne
creusée non loin de Java, parmi les rochers battus par la mer.
La substance dont ils étaient composés, et que nous
essayâmes d'analyser, ressemblait à de la colle forte à demi
délayée; ils avaient deux ou trois pouces de diamètre,
quelques-uns contenaient encore des oeufs qui y avaient
été déposés; ils ne pesaient pas plus de 10 grammes. Ils
coûtent là-bas huit à dix piastres le demi- kilo.
Voici comment, sur la recette qui nous était envoyée de
Java, nous les faisions cuire: après les avoir nettoyés, nous
les laissions tremper, pour en ramollir les filaments qui se
séparent. On les met ensuite sous une volaille rôtie dont ils
absorbent le jus, ou bien on les fait cuire avec un chapon
pendant vingt-quatre heures, et à petit feu, dans un pot de
terre hermétiquement fermé. Nous en faisions aussi des
bouillons, des soupes et des ragoûts très rapides et très
nourrissants.
Agal ou Alhagi. - Mot arabe servant à désigner une
espèce de manne qu'on recueille sur une variété de
sainfoin, qui pousse abondamment en Syrie, en
Mésopotamie, et en Perse; elle est onctueuse pendant le
jour, mais se condense pendant la nuit. Son goût est le
même que celui de la manne de Calabre; on croit que c'est
elle qui alimenta les Israélites qui traversèrent le désert
avec Moïse.
Ale. - Ce mot anglais, qui veut dire tout, désigne, pour
les Anglais, une boisson qui, selon eux, peut remplacer
toutes les autres. C'est une liqueur qu'on obtient par
l'infusion du moult et qui ne diffère de la bière qu'en ce
que le houblon n'y entre qu'en petite quantité. Cette
boisson est agréable, mais enivrante; bue à dose
raisonnable, elle rafraîchit.
Alénois (Cresson). - Plante potagère la plus saine des
fines herbes. Elle se trouve rarement sur les marchés des
grandes villes, attendu qu'elle se fane aussitôt qu'elle est
cueillie, et que d'ailleurs, sur la couche, elle monte en
graine trop rapidement. Les enfants et les vieilles filles
s'amusent à faire pousser ce joli gramen sur du coton
mouillé.
Aliment. - Qu'entend-on par aliment?
Réponse populaire : - L'aliment est tout ce qui nous
nourrit.
Réponse scientifique : - On entend par aliment les
substances qui, soumises à l'estomac, sont assimilables par
la digestion et propres à réparer les pertes que fait le corps
humain.
Donc la première qualité de l'aliment est d'être aisément
digestif. De là l'épigraphe de notre livre:
«On ne vit pas de ce que l'on mange, mais de ce que
l'on digère».
Les trois règnes de la nature concourent à
l'alimentation de l'homme: le règne animal et le règne
végétal, plus abondamment que le troisième, le règne
minéral, qui ne fournit que des assaisonnements et des
remèdes. L'air même porte avec lui un principe plus ou
moins nourrissant, selon qu'il est plus chaud ou plus froid.
On croit généralement que l'humanité est originaire de
l'Inde, tant l'air indou est chargé de principes nutritifs. On
attribue la fraîcheur des bouchers et des bouchères aux
émanations des viandes fraîches dont ils sont
continuellement enveloppés.
Démocrite vécut trois jours sans manger, et cependant
sans ressentir la faim, en respirant la vapeur du pain chaud.
Viterby, Corse condamné à mort par le jury de
Bastia, résolut de se laisser mourir de faim, mais, soutenu
par l'air nourricier de son pays, il ne mourut que le
quarante-huitième jour. Il est vrai que le quarantetroisième,
ne pouvant résister à l'étranglement de la soif, il
avait bu un demi- verre d'eau.
Le régime végétal convient aux pays chauds, le régime
animal aux pays froids où l'homme a besoin de faire
beaucoup de carbone. Les nations les plus guerrières et les
plus cruelles sont les nations essentiellement carnivores.
Comparez le pacifique Indou vivant de racines et de fruits
avec le farouche Tatare qui boit le sang de son cheval et
mange sa chair crue.
Alizier. - Arbre de la famille des poiriers et des néfliers,
fort répandu dans les bois de la Haute-Marne, du Jura et
des Hautes-Alpes. Son fruit se rapproche de la nèfle; il est de
la grosseur d'une petite poire rouge et se mange, quoique
acerbe, quand on a pris le soin, comme on fait pour les
nèfles, de le laisser quelque temps sur la paille, où il
parvient à un état intermédiaire entre la pourriture et la
maturité, état qu'on appelle blet.
Ce fruit est fort agréable quand il est mûr, et on en fait
dans certains pays une espèce de cidre qui rafraîchit.
Alkermesse de Florence. - Une des liqueurs les plus
pâteuses et les plus affadissantes qui existent, quoique
jouissant d'une assez bonne réputation. Elle est faite par les
mains des dames de Santa Maria la Noella, qui joignent à
ce commerce celui de la pharmacie. C'est un intéressant
établissement que ne manquent pas de visiter les touristes
qui s'arrêtent à Florence.
Aloès. - Plante du genre des Liliacées. On compte un
grand nombre de variété dans l'aloès, remarquables en
général par l'épaisseur charnue de leurs feuilles, par la
forme singulière de quelques-unes d'entre elles et surtout
par la beauté de leurs épis de fleurs dont les couleurs,
différemment nuancées, produisent le plus bel effet dans
un jardin.
Les aloès sont originaires de l'Afrique et de l'Inde, et ne
se plaisent que dans les lieux chauds, secs, et sur les
rochers. Les habitants de la Cochinchine retirent de l'aloès
perfolié une fécule agréable au goût, qu’ils mangent avec du
sucre ou avec des viandes. Pour l'obtenir, ils font macérer
les feuilles d'abord dans une eau alumineuse et ensuite dans
l'eau froide.
On donne aussi le nom d'aloès à une préparation faite
avec le suc épaissi ou l'extrait des plantes de ce nom. On
emploie différents procédés pour cette préparation.
Dans l'un, on exprime tout le suc de la plante après
l'avoir pilée; on le laisse déposer dans un vase pendant une
nuit, puis on le décante. On expose ensuite la portion
décantée au soleil dans des espèces d'assiettes, et on la
réduit ainsi à consistance d'extrait; le sédiment du premier
vase est desséché à part et regardé comme un aloès de
qualité inférieure; il n'est employé que dans la médecine
vétérinaire; on l'appelle aloès caballin. D'après un autre
procédé, on coupe la pointe des feuilles de la plante qu'on
suspend sens dessus dessous et le suc s'écoule
spontanément peu à peu dans des vases disposés à cet effet.
Ce suc est filtré et évaporé ensuite à une douce chaleur et il
devient peu à peu si dur, qu'on peut le réduire en poudre;
celui-ci est la première qualité d'aloès ou aloès succotrin.
L'aloès est tonique, échauffant, fortifiant et purgatif.
Alose. - L'alose est un excellent poisson de mer qui
remonte les rivières à une certaine époque de l'année; c'est
pendant ce voyage qu'il perd sa trop forte salaison et
s'engraisse. On les emploie pour rôts ou pour entrées. Si on
les emploie pour rôtis, on ne les écaille pas, on les fait cuire
dans le court-bouillon comme le saumon et la carpe du
Rhin; on les sert alors sur une assiette garnie de persil vert
et de raifort râpé. Si on s'en sert comme entrée, on les écaille
et on les sert à différentes sauces: à l'oseille, aux tomates,
aux câpres. La meilleure manière de les préparer est celle
que nous allons mettre sous les yeux du lecteur:
Alose à l'oseille. - Ecaillez, videz, lavez votre alose
enveloppez-la dans un papier beurré, après l'avoir garnie
de fines herbes, faites cuire sur le gril et servez sur une
farce d'oseille ou sur une copieuse maître d'hôtel.
Alose à la broche. - Si vous pêchez ou si vous trouvez
à acheter une alose de forte taille, ce qui arrive souvent à la
fin de l'été, il est mieux de la mettre à la broche que sur le
gril, où elle cuit plus facilement et plus également. Il faut
l'inciser et la faire mariner dans l'huile avec du sel fin, du
persil en branche et quelques ciboules coupées. Incisez-la
sur le dos légèrement et en biais, retournez-la plusieurs fois
dans son assaisonnement, mettez-la à la broche, arrosez -la
soigneusement et servez-la comme plat de rôti pour être
mangé à l'huile ou au vinaigre, ainsi que les grands
poissons cuits au bleu.
Alose à la marinière. - Maniez 125 grammes de beurre
et une pincée de fécule, trempez avec du consommé, faites
cuire quelques aloses coupées en tranches avec de petits
oignons, et masquez avec une sauce tamisée, garnissez de
sardines fraîches bouillies pendant trois minutes.
Filets d'alose sautés. - Lavez et coupez les filets de
l'alose, mettez les sur un sautoir avec du beurre clarifié,
salez, mettez le beurre sur un feu ardent. Retournez les
filets, ne les laissez cuire que peu d'instants, égouttez,
dressez en couronne et servez avec une sauce à votre gré.
Alose à la hollandaise. - N'écaillez pas, videz par les
ouïes, bouillir deux ou trois fois avec de l'eau salée,
retirez; mettez pendant une demi-heure sur un feu doux, de
façon à maintenir chaud sans laisser bouillir. Servez sur
une serviette avec des pommes de terre et la sauce à part.
Alouette. - Les alouettes ont le double avantage d'être
aimées par les gourmands et chantées par les poètes.
Juliette dit à Roméo qui veut la quitter avant le jour:
- Ne t'en vas pas encor, reste, mon Roméo:
C'était le rossignol et non pas l'alouette
Dont le chant a frappé ton oreille inquiète;
Caché dans les rameaux d'un grenadier en fleurs,
A la nuit qui l'écoute il chante ses douleurs:
C'était le rossignol, crois-en ta Juliette!
Roméo
Non! c'est bien le matin et c'est bien l'alouette.
Regarde, mon amour, à l'horizon rougi
Monter de pourpre et d'or ce rayon élargi;
Ce nuage qui s'ouvre et laisse passer l'aube,
C'est l'aurore levant un des plis de sa robe.
Tandis que, repoussée à l'occident obscur,
Phoebé fuit éteignant ses flambeaux dans l'azur,
Vois-tu le gai matin, éclairant nos campagnes,
Poser son pied joyeux sur le front des montagnes?
Vois-tu comme un torrent la lumière accourir?
Il faut partir et vivre, ou rester et mourir.
Juliette
Tu te trompes, ami, non ce n'est pas l'aurore,
C'est quelque éclair furtif, c'est quelque météore
Que le soleil, touché de notre amour si beau,
Place sur ton chemin comme un porte-flambeau.
Reste donc, du départ ce n'est pas encor l'heure;
Demeure, ô Roméo! je t'aime tant, demeure!
Roméo
Veux-tu que l'on me trouve et qu'on me tue ici?
Oh! moi, je suis content si tu le veux aussi.
Avec toi je dirai: ce n'est pas la lumière
Que verse le matin en ouvrant sa paupière:
C'est le pâle reflet de la soeur d'Apollon
Dont le char argenté glisse sur le vallon.
Ce chant qui dans le ciel éclate sur ma tête,
Non ce n'est pas ton chant, matinale alouette!
Oh! moi, je ne fais pas de l'amour un remords,
Juliette le veut, je reste.- Viens, ô mort!
Je t'attends dans ses bras, ô sublime inconnue,
Pâle soeur du sommeil, mort, sois la bienvenue!
Juliette
Oh! non, je me trompais, Roméo! c'est le jour!
Pas un instant à perdre. Oh! fuis! fuis! mon amour.
C'était bien l'alouette aux notes discordantes
Dont le chant menaçait nos amours imprudentes;
C'était bien le soleil, brûlant vainqueur des nuits,
Qui montait sur son char; fuis! mon Roméo! fuis!
Les alouettes étaient recherchées sur les tables des
Athéniens; elles étaient sacrées à Lemnos, parce qu'elles
avaient délivré l'île des sauterelles. L'alouette est fort
délicate et estimée pour son goût. Elle n'est réellement
bonne qu'au mois de novembre et les mois qui suivent
jusqu'à février. Elle s'engraisse par le brouillard avec une
rapidité surprenante; elle a cela de commun, du reste, avec
ses fournisseurs, mais elle maigrit plus promptement
qu'eux.
Rôties et bardées, les alouettes sont très agréables, mais
à la suite d'un dîner solide. L'avis de Grimod de la
Reynière est que l'alouette la plus grosse, ainsi que le
meilleur rouge-gorge, ne sont, sous les doigts d'un homme de
bon appétit, qu'un petit paquet de cure-dents, plus propres
à nettoyer la bouche qu'à la remplir.
L'illustre gourmet ajoute:
«Les pâtés d'alouettes de Pithiviers sont l'un des plus
délicieux mangers que puisse vergeter le palais d'un galant
homme; la croûte en est excellente et l'assaisonnement
inimitable».
Plumée, dressée, troussée, prête à mettre à la broche,
enfin, l'alouette change de nom et s'appelle mauviette,
Lister, médecin gourmand d'une reine gourmande, établit
comme un principe que si douze mauviettes ne pèsent pas
30 grammes chacune, elles ne sont pas mangeables; que si
elles pèsent ce poids, elles sont passables; mais que si elles
pèsent ensemble 400 grammes ou plus, elles sont
excellentes.
Ayez donc soin de faire peser vos mauviettes avant de
les mettre à la broche.
Alouettes à la casserole. - Prenez une ou deux
douzaines d'alouettes, cela dépend du nombre de vos
convives, plumez-les (vos alouettes et non pas vos
convives), videz-les, flambez-les. Ensuite vous les mettrez
dans la casserole avec un peu de beurre et vous les ferez
cuire à moitié. Quand ce sera fini retirez vos oiseaux du
feu pour les égoutter, videz-les et ôtez les gésiers que vous
jetterez. Pilez tout le reste ensemble en y ajoutant quelques
foies de volailles ou des foies gras et quelques truffes;
faites-en une farce bien fine que vous assaisonnerez
convenablement avec sel, poivre, muscades, etc.; bourrez
l'abdomen de vos alouettes avec cette farce. Garnissez-en
le fond d'un plat d’argent, enterrez-y vos oiseaux de
manière qu'on les aperçoive à peine, et couvrez-les d'une
barde de lard et d'un papier beurré. Mettez votre plat sur
les cendres chaudes, placez un four de campagne au-dessus
et laissez cuire pendant une demi- heure. Au moment de
servir, ôtez le papier et le lard, égouttez le plat,
saupoudrez-le de chapelure bien fine et soyez tranquille sur
les résultats.
Ce mets divin peut se manger avec une sauce
quelconque. Je m'en suis souvent régalé avec de la gelée de
groseille, en avalant à chaque fois une demi- bouchée de
l'un et de l'autre. (Méthode d'Eléazar Blaze).
Aloyau. - Pièce de boeuf prise le long des vertèbres
supérieures du dos. Il se divise en trois morceaux. Le
premier est le plus estimé, comme contenant une plus
grande partie du filet. On le cuit à la broche quand il est
gras et tendre. Parez- le en supprimant la graisse et les
peaux, faites-le mariner au moins douze heures dans de
bonne huile, avec sel, poivre, laurier et tranches d'oignons,
embrochez-le et faites-le cuire une heure ou deux si sa
grosseur le nécessite. On le sert dans son jus avec une
sauce faite de ce jus, filet de vinaigre, échalotes, sel et
poivre. servez dans une saucière une sauce préparée ainsi,
ou faites un petit roux que vous mouillez de bouillon ou
d'eau et jus; ajoutez poivre, sel, échalotes, cornichons,
persil, le tout haché très fin, et filet de vinaigre.
Vous pouvez encore servir l'aloyau garni de petits pâtés
ou bien entouré de raifort ou sur du céleri, des concombres
ou des laitues farcies. Servi au premier service il peut tenir
lieu de gros plat. Servez en fricandeau, à la Godard, à la
braise, à l'allemande.
Aloyau à la Godard. - Empruntons la recette à celui-là
même qui l'a trouvée. Otez le dos de l'échine à votre aloyau
sans le désosser tout à fait; lardez-le de gros lardons bien
assaisonnés, ficelez-le de manière à lui donner une belle
forme; mettez-le dans une braisière avec un bouquet garni
de fines herbes, oignons et carottes en suffisante quantité;
mouillez-le avec du bon bouillon et une bouteille de vin de
Madère; mettez-y sel et gros poivre, faites-le cuire à petit
feu et de manière que son fond soit réduit presque en glace,
retirez- le de sa braise et servez-le avec le ragoût énoncé ciaprès:
Mettez quatre cuillerées à dégraisser de glace de
viande dans une casserole; ajoutez-y la cuisson de votre
aloyau, que vous aurez fait passer et dégraisser; coupez
quelques ris de veau en tranches, des champignons tournés,
des fonds d'artichauts en quartiers, des petits oeufs;
dégraissez le ragoût avant de servir et saucez votre aloyau
avec ce ragoût.
Aloyau rôti. (d'après la prescription de M.
Beauvilliers, ancien cuisinier de Monsieur, frère du roi). -
Ayez un aloyau de première ou de seconde pièce; ôtez-en
l'arête, sans endommager ses filets; mettez-le sur un plat,
saupoudrez-le d'un peu de sel fin, arrosez-le d'un peu
d'excellente huile d'olive, en y joignant quelques tranches
d'oignons et de feuilles de laurier; laissez-le mortifier deux ou
trois jours, si le temps le permet, et ayez soin de le
retourner deux ou trois fois par jour; lorsque vous voudrez le
faire cuire, embrochez-le ou couchez-le sur fer, de la
manière suivante: Passez votre broche dans le gros filet en
suivant l'arête ou les os de l'échine; gardez-vous, dirai-je
encore, d'endommager le filet mignon; attachez-y, du côté du
gros filet un attelet, ou petite broche en fer, liez-le avec de la
ficelle fortement des deux bouts, afin que votre aloyau ne
tourne pas sur la broche; roulez le flanc en dessous,
pour mieux présenter le filet mignon et la graisse de votre
aloyau que vous dégraissez légèrement; assujettissez ce
flanc avec des petits attelles, en les passant d'outre en outre
dans le gros filet; enveloppez de papier fort cet aloyau et
mettez-le à un feu vif, afin qu'il concentre son jus.
Filet d'aloyau braisé à la royale. (D'après la tradition
de Vincent de la Chapelle, premier cuisinier du roi Louis
XV, reproduite par l'auteur des Mémoires de la marquise de
Créqui). - On lève le filet d'un aloyau dont on tire toute
la graisse; on aura soin de le ficeler pour lui donner la
forme qu'on jugera la plus convenable, car il est bon de
calculer si l'on aura besoin de le servir comme relevé sur
un grand plat ovale ou comme entrée sur un moyen plat
rond. Dans tous les cas, on mettra au fond d'une braisière
des bardes de lard et des tranches de veau, cinq ou six
oignons, deux clous de girofle avec un bouquet garni. On
place ensuite le filet dans la braisière, on le couvre de lard, et
l'on y verse 750 grammes d'excellent bouillon où l'on
ajoute un peu de sel; on commence par faire bouillir la
braise sur un fourneau bien ardent et on la met ensuite
cuire à petit feu pendant six heures. Au bout de ce temps, on
prend le fond du ragoût que l'on fait réduire et clarifier; on le
dégraisse exactement et l'on en forme une demi- glace
bien claire que l'on sert sous le même filet de boeuf, après lui
avoir donné une belle couleur. Si l'on veut que le filet de
boeuf ait encore une plus belle apparence, on doit le laisser
refroidir pour le parer avec plus de goût; on le fait
réchauffer dans une partie du mouillement où il a été cuit.
On pourrait également le servir à la gelée, en ayant eu soin
d'ajouter dans la braisière un pied de veau, avec 30
grammes de corne de cerf.

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