JACQUES DE VORAGINE La Légende dorée (3ème partie)




LA LEGENDE DOREE

DE JACQUES DE VORAGINE

(3ème partie)

NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS
AVEC INTRODUCTION, NOTICES, NOTES ET RECHERCHES SUR LES SOURCES PAR 

L'ABBÉ J.-B. M. ROZE, Chanoine Honoraire de la cathédrale d'Amiens

ÉDOUARD ROUVEYRE, ÉDITEUR
76, RUE DE SEINE, 76


PARIS - MDCCCCII


TROISIEME PARTIE DE 4        

101-SAINT CHRISTOPHE 
102-LES SEPT DORMANTS         
103-SAINTS NAZAIRE ET CELSE          
104-SAINT FÉLIX  
105-SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN
106-SAINTE MARTHE      
107-SAINT ABDON ET SAINT SENNEN          
108-SAINT GERMAIN       
109-SAINT EUSÈBE          
110-LES SAINTS MACCHABÉES
111-SAINT PIERRE AUX LIENS 
112-SAINT ÉTIENNE, PAPE        
113-SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR      
114-SAINT DOMINIQUE  
115-SAINT SIXTE
116-SAINT DONAT
117-SAINT CYRIAQUE    
118-SAINT LAURENT       
119-SAINT HIPPOLYTE    
120-L'ASSOMPTION
121-SAINT BERNARD      
122-SAINT TIMOTHÉE     
123-SAINT SYMPHORIEN           
124-SAINT BARTHÉLEMY          


(101) SAINT CHRISTOPHE *

Christophe, avant son baptême, se nommait Réprouvé, mais dans la suite il fut appelé Christophe, comme si on disait : qui porte le Christ, parce qu'il porta le Christ en quatre manières: sur ses épaules, pour le faire passer; dans son corps, par la macération; dans son coeur, par la dévotion et sur les lèvres, parla confession ou prédication.

Christophe était Chananéen; il avait une taille gigantesque, un aspect terrible, et douze coudées de haut: D'après ce qu'on lit en ses actes, un jour qu'il se trouvait auprès d'un roi des Chananéens, il lui vint à l’esprit de. chercher, quel était le plus grand prince du monde, et de demeurer près de lui. Il se présenta chez un roi très puissant qui avait partout la réputation de n'avoir point d'égal en grandeur.

* L’hymne O beate mundi auctor, du bréviaire mozarabe fait allusion, dans ses seize strophes, à tous les points de cette légende.

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Ce roi en le voyant l’accueillit avec bonté et le fit rester à sa cour. Or, un jour, un jongleur chantait en présence du roi une chanson où revenait souvent le nom du diable ; le roi, qui était chrétien, chaque fois qu'il entendait prononcer le nom de quelque diable, faisait de suite le signe de croix sur. sa figure. Christophe, qui remarqua cela, était fort étonné de cette action, et de ce que signifiait un pareil acte. Il interrogea le roi à ce sujet et celui-ci ne voulant pas le lui découvrir, Christophe ajouta : « Si vous ne me le dites, je ne resterai pas plus longtemps avec vous. » C'est pourquoi le roi fut contraint de lui dire : « Je me munis de ce signe, quelque diable que j'entende nommer, dans la crainte qu'il ne prenne pouvoir sur moi et ne me nuise. » Christophe lui répondit : « Si vous craignez que le diable ne vous nuise, il est évidemment plus grand et plus puissant que vous ; la preuve en est que vous en avez une terrible frayeur. Je suis donc bien déçu dans mon attente ; je pensais avoir trouvé le, plus grand et le plus puissant seigneur du monde ; mais maintenant je vous fais mes adieux, car je veux chercher le diable lui-même, afin de le prendre pour mon maître et devenir son serviteur. » Il quitta ce roi et se mit en devoir de chercher le diable. Or, comme il marchait au milieu d'un désert, il vit une grande multitude de soldats, dont l’un, à l’aspect féroce et terrible, vint vers lui et lui demanda où il allait. Christophe lui répondit: « Je vais chercher le seigneur diable, afin de le prendre pour maître et seigneur. » Celui-ci lui dit: « Je suis celui que tu cherches. »

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Christophe tout réjoui s'engagea pour être son serviteur à toujours et le prit pour son seigneur. Or, comme ils marchaient ensemble, ils rencontrèrent une croix élevée sur un chemin public. Aussitôt que le diable eut aperçu cette croix, il fut effrayé, prit la fuite et, quittant le chemin, il conduisit Christophe à travers un terrain à l’écart et raboteux, ensuite il le ramena sur la route. Christophe émerveillé de voir cela lui demanda pourquoi il avait manifesté tant de crainte, lorsqu'il quitta la voie ordinaire, pour faire un détour, et le ramener ensuite dans le chemin: Le diable ne voulant absolument pas lui en donner le motif, Christophe dit : « Si vous ne me l’indiquez, je vous quitte à l’instant. » Le diable fut forcé de lui dire : « Un homme qui s'appelle Christ fut attaché à la croix; dès que je vois l’image de sa croix, j'entre dans une grande peur, et  m’enfuis effrayé. » Christophe lui dit : « Donc ce Christ est plus grand et plus puissant que toi, puisque tu as une si brande frayeur en voyant l’image de sa croix? J'ai donc travaillé en vain, et n'ai pas encore trouvé le plus grand prince- du monde. Adieu maintenant, je veux te quitter et chercher ce Christ. »

Il chercha longtemps quelqu'un qui lui donnât des renseignements sur le Christ; enfin il rencontra un ermite qui lui prêcha J.-C. et qui l’instruisit soigneusement de la foi. L'ermite dit à Christophe : « Ce roi que tu désires servir réclame cette soumission : c'est qu'il te faudra jeûner souvent.» Christophe lui répondit : « Qu'il me demande autre chose, parce qu'il  m’est absolument impossible de faire cela. » « Il te faudra encore, reprend l’ermite, lui adresser des prières. » « Je ne sais ce que s'est, répondit Christophe, et je ne puis me soumettre à cette exigence.»

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L'ermite lui dit: « Connais-tu tel fleuve où bien des passants sont en péril de perdre la vie? » « Oui, dit Christophe. L'ermite reprit: « Comme tu as une haute stature et que tu es fort robuste, si tu restais auprès de ce fleuve, et si tu passais tous ceux qui surviennent, tu ferais quelque chose de très agréable au roi J.-C. que tu désires servir, et j'espère qu'il se manifesterait à toi en ce lieu. » Christophe lui dit ; « Oui, je puis bien remplir cet office, et je promets que je  m’en acquitterai pour lui. » Il alla donc au fleuve dont il était question, et s'y construisit un petit logement. Il portait à la main au lieu de bâton une perche avec laquelle il se maintenait dans l’eau ; et il passait. sans relâche tous les voyageurs.

Bien des jours s'étaient écoulés, quand, une fois qu'il se reposait dans sa petite maison, il entendit la voix d'un petit enfant qui l’appelait en disant: « Christophe, viens dehors et passe-moi. » Christophe se leva de suite, mais ne trouva personne. Rentré chez soi, il entendit la même voix qui l’appelait. Il courut dehors de nouveau et ne trouva personne. Une troisième fois il fut appelé comme auparavant, sortit et trouva sur la rive du fleuve un enfant qui le pria instamment de le passer. Christophe leva donc l’enfant sur ses épaules, prit son bâton et entra dans le fleuve pour le traverser. Et voici que l’eau du fleuve se gonflait peu à peu, l’enfant lui pesait comme une masse de plomb ; il avançait, et l’eau gonflait toujours, l’enfant écrasait de plus en plus les épaules de Christophe d'un poids intolérable, de sorte que celui-ci se trouvait dans de grandes angoisses et, craignait de périr.

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Il échappa à grand peine. Quand il eut franchi la rivière, il déposa l’enfant sur la rive et lui dit : Enfant, tu  m’as exposé à un grand danger, et tu  m’as tant pesé que si j'avais eu le monde entier sur moi, je ne sais si j'aurais eu plus lourd a porter. » L'enfant lui répondit : « Ne t'en étonne pas, Christophe, tu n'as pas eu seulement tout le monde sur toi, mais tu as porté sur les épaules celui qui a créé le monde : car je suis le Christ ton roi, , auquel tu as en cela rendu service; et pour te prouver que je dis la vérité, quand tu seras repassé, enfonce ton bâton en terre vis-à-vis ta petite maison, et le matin tu verras qu'il a. fleuri et porté des fruits, »

A l’instant il disparut. En arrivant, Christophe ficha. donc son bâton en terre, et quand il se leva le matin, il trouva que sa perche avait poussé des feuilles, et des dattes comme un palmier. Il vint ensuite à Samos, ville de Lycie, où il ne comprit pas la langue que parlaient les habitants, et il pria le Seigneur de lui en donner l’intelligence. Tandis qu'il restait en prières, les juges le prirent pour un insensé, et le laissèrent. Christophe, ayant obtenu ce qu'il demandait, se couvrit le visage, vint à l’endroit où combattaient les chrétiens, et il les affermissait au milieu de leurs tourments. Alors un des juges le frappa. au visage, et Christophe se découvrant la figure : « Si je n'étais chrétien, dit-il, je me vengerais aussitôt de cette injure. » Puis il ficha son bâton, en terre en priant le Seigneur de le faire reverdir pour convertir le peuple. Or, comme cela se fit à l’instant, huit mille hommes devinrent croyants.

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Le roi envoya alors deux cents soldats avec ordre d'amener Christophe par devant lui; mais l’avant trouvé en oraison ils craignirent de lui signifier cet ordre; le roi envoya encore un pareil nombre d'hommes, qui, eux aussi, se mirent à prier avec Christophe. Il se leva et leur dit : « Qui cherchez-vous? » Quand ils eurent vu son visage; ils dirent : « Le roi nous a envoyés pour te garrotter et t'amener à lui.» Christophe leur dit : « Si je voulais, vous ne pourriez. me conduire ni garrotté, ni libre. » Ils lui dirent : « Alors si tu ne veux pas, va librement partout: ou bon te semblera, et nous dirons au roi que nous ne t'avons pas trouvé. » « Non, il n'en sera pas ainsi, dit-il; j'irai avec vous.» Alors il les convertit à la foi, se fit lier par eux les mains derrière le dos, et conduire au roi en cet état. A sa vue, le roi fut effrayé et tomba à l’instant de son siège. Relevée ensuite par ses serviteurs, il lui demanda son nom et sa patrie. Christophe lui répondit : « Avant mon baptême, je  m’appelais Réprouvé, mais aujourd'hui je me nomme Christophe. »

Le roi lui dit : « Tu t'es donné un, sot nom, en prenant celui du Christ crucifié, qui ne s'est fait aucun bien, et qui ne pourra t'en faire. Maintenant donc, méchant Chananéen, pourquoi ne sacrifies-tu pas à nos dieux? » Christophe lui dit : « C'est à bon droit que tu t'appelles Dagnus *, parce que tu es la mort du monde, l’associé du diable; et tes dieux sont l’ouvrage de la main des hommes. Le roi lui dit : « Tu as été élevé au. milieu des bêtes féroces; tu ne peux donc proférer que paroles sauvages et choses inconnues des hommes. Or, maintenant, si tu veux sacrifier, tu obtiendras de moi de grands honneurs, sinon, tu périras dans les supplices. »

* Damné ou danger ? ou plutôt dague, poignard ?

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Et comme le saint ne voulut pas sacrifier, Dagnus le fit mettre en prison; quant aux soldats qui avaient été envoyés à Christophe, il les fit décapiter pour le nom de J.-C. Ensuite il fit renfermer avec Christophe dans la prison deux filles très belles, dont l’une s'appelait Nicée et l’autre Aquilinie, leur promettant de grandes récompenses, si elles induisaient Christophe à pécher avec elles. A cette vue, Christophe se mit tout de suite en prière. Mais comme ces filles le tourmentaient par leurs caresses: et leurs embrassements, il se leva et leur, dit : « Que prétendez-vous et pour quel motif avez-vous été introduites ici? ». Alors elles furent effrayées de l’éclat de son visage et dirent : «Ayez pitié de nous, saint homme, afin que nous puissions croire au Dieu que vous prêchez. » Le roi, informé de cela, se fit amener ces femmes et leur dit : « Vous avez donc aussi été séduites. Je jure par les dieux que si vous ne sacrifiez, vous périrez de malemort. » Elles répondirent : « Si tu veux que nous sacrifiions, commande qu'on nettoie les places et que tout le monde s'assemble au temple. » Quand cela fut fait, et qu'elles furent entrées dans le temple, elles dénouèrent leurs ceintures, les mirent au cou des idoles qu'elles firent tomber et qu'elles brisèrent; puis elles dirent aux assistants :
« Allez appeler des médecins pour guérir vos dieux. » Alors par l’ordre du roi, Aquilinie est pendue; puis on attacha à ses pieds une pierre énorme qui disloqua tous ses membres. Quand elle eut rendu son âme au Seigneur, Nicée, sa soeur, fut jetée dans le feu ; mais comme elle en sortit saine et sauve, elle fut tout aussitôt après décapitée.

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Après quoi sauve, est amené en présence du roi qui le fait fouetter avec des verges de fer; un casque de fer rougi au feu est mis sur sa tête; le roi fait préparer un banc en fer où il ordonne de lier Christophe et sous lequel il fait allumer du feu qu'on alimente avec de la poix. Mais le banc fond comme la cire, et le saint reste sain et sauf. Ensuite le roi le fait lier à un poteau et commande à quatre cents soldats de le percer de flèches : mais toutes les flèches restaient suspendues en l’air, et aucune ne put le toucher. Or, le roi, pensant qu'il avait été tué par les archers, se mit à l’insulter ; tout à coup une flèche se détache de l’air, vient retourner sur le roi qu'elle frappe à l’œil, et qu'elle aveugle. Christophe lui dit : « C'est demain que je dois consommer mon sacrifice; tu feras donc, tyran, de la boue avec mon sang; tu t'en frotteras l’oeil et tu seras guéri. » Par ordre du roi on le mène au lieu où il devait être décapité; et quand il eut fait sa prière, on lui trancha la tête. Le roi prit un peu de son sang, et le mettant sur son oeil, il dit :  « Au nom de Dieu et de saint Christophe. » Et il fut guéri à l’instant. Alors le roi crut, et porta un édit par lequel quiconque blasphémerait Dieu et saint Christophe serait aussitôt puni par le glaive.

— Saint Ambroise parle ainsi de ce martyr dans sa préface :  « Vous avez élevé, Seigneur, saint Christophe, à un tel degré de vertu, et vous avez, donné une telle grâce à sa parole, que par lui vous avez arraché à l'erreur de la gentilité pour les amener à la croyance chrétienne, quarante-huit mille hommes. Nicée et Aquilinie qui depuis longtemps se livraient publiquement à la prostitution, il les porta, à prendre des habitudes de chasteté, et leur enseigna à recevoir la couronne. Bien que lié sur un banc de fer, au milieu d'un bûcher ardent, il ne redouta pas d'être brûlé par ce feu, et pendant une journée entière, il ne put être percé par les flèches de toute une soldatesque. Il y a plus, une de ces flèches crève l’oeil d'un des bourreaux, et le sang du bienheureux martyr mêlé à la terre lui rend la vue et en enlevant l’aveuglement du corps, éclaire son esprit car il obtint sa grâce auprès de vous et il vous a prié avec supplication d'éloigner les maladies et les infirmités*. »

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* Ces derniers mots nous expliquent le motif pour lequel saint Christophe est représenté avec des proportions gigantesques principalement aux portails des églises. On se croyait à l’abri des maladies et des infirmités dès lors qu'on avait vu la statue du saint, de là ces vers :

Christophore sancte, virtutes saut tibi tantae,
Qui te mane vident, nocturno tempore rident.
Christophore sancte, speciem qui eumque tuetur,
Ista nempe die non morte mala morietur.
Christophorum videas, postea tutus eas.


(102) LES SEPT DORMANTS **

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Les sept dormants étaient originaires d'Ephèse. L'empereur Dèce qui persécutait, les chrétiens, étant
venu en cette ville, fit construire des temples dans l’enceinte de cette cité, afin que tous se réunissent à lui pour sacrifier aux idoles. Or, il avait ordonné qu'on cherchât tous les chrétiens ; et quand ils avaient été pris, il les forçait à sacrifier où à mourir ; on éprouva donc généralement une si grande crainte des supplices que l’ami reniait son ami, le père son fils, et le fils son père.

Alors se trouvaient dans cette ville sept chrétiens, qui furent saisis d'une grande douleur quand ils virent ce qui se passait. C'étaient Maximien, Malchus, Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Comme ils étaient les premiers officiers du palais, et qu'ils méprisaient les sacrifices offerts aux idoles, ils restaient cachés dans leur maison, se livrant aux jeûnes et aux oraisons. Accusés et traduits devant Dèce; puis convaincus d'être chrétiens, on leur donna le temps de revenir à résipiscence et ils furent relâchés, jusqu'au retour de l’empereur. Mais dans cet intervalle, ils distribuèrent leur patrimoine entre les pauvres, et prirent la résolution de se retirer sur le mont Célion, où ils se décidèrent à rester cachés.

Pendant longtemps, l’un d'eux se procurait ce qui leur était nécessaire, et chaque fois qu'il entrait dans la ville, il se déguisait en mendiant. Or, quand Dèce fut revenu dans Ephèse, il ordonna de les chercher pour les obliger à sacrifier. Malchus, qui les servait, revint effrayé trouver ses compagnons et leur faire part de la fureur de l’empereur. Ils furent saisis de crainte; alors Malchus leur présenta les pains qu'il avait apportés, afin que, fortifiés par la nourriture, ils en devinssent plus braves pour le combat.

** S. Grégoire de Tours, De gloria martyr., l. I, c. XCV ; Paul diacre, l. t, c. III ; Nicéphore, Cal. 1. XIV, c. XLV, rapportent la légende des Sept Donnants qu'analyse J. de Voragine.

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Après leur repas du soir, ils s'assirent et s'entretinrent avec tristesse et larmes, et à l’instant, par la volonté de Dieu, ils s'endormirent. Quand vint le matin, on les chercha et on ne put les trouver, Or, Dèce était désolé d'avoir perdu de pareils jeunes gens; on les accusa de s'être cachés jusqu'alors sur le mont Célion, et de persister dans leur résolution . On ajouta qu'ils avaient donné leurs biens aux pauvres. Dèce ordonna donc de faire comparaître leurs parents qu'il menaça de mort, s'ils ne déclaraient tout ce qui était venu à leur connaissance au sujet des absents. Leurs parents les accusèrent comme les autres et se plaignirent de ce qu'ils avaient distribué leurs richesses aux pauvres: Alors Dèce réfléchit à la conduite. qu'il tiendrait à leur égard, et par l’inspiration; de Dieu, il fit boucher avec des pierres l’entrée de la caverne afin qu'y étant renfermés, ils y mourussent de faim et de misère. On exécuta ses ordres et deux chrétiens, Théodore et Rufin, écrivirent la relation de leur martyre qu'ils placèrent avec précaution entre les pierres.

Or, quand Dèce, et toute la génération qui existait alors eut disparu, trois cent soixante-douze ans après, la trentième année de l’empire de Théodose, se propagea l’hérésie de ceux qui niaient la résurrection des morts. Théodose, qui était un empereur très chrétien, fut rempli de tristesse de voir la foi indignement attaquée. Il se revêtit d'un cilice; et s'étant retiré dans l’intérieur de son palais, il pleurait tous les jours Dieu, qui vit cela dans sa miséricorde, voulut consoler ces affligés et affermir l’espérance de la résurrection des morts ; il ouvrit les trésors de sa tendresse et ressuscita les sept martyrs, comme il suit.

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Il inspira à un citoyen d'Ephèse l’idée de faire construire sur le mont Célion des étables pour les bergers. Les maçons ayant ouvert la grotte, les saints se levèrent et se saluèrent, dans la pensée qu'ils n'avaient dormi qu'une nuit ; puis se rappelant leur tristesse de la veille, ils demandèrent à Malchus, qui les approvisionnait, ce que Dèce avait décrété à leur égard. Il répondit : « Comme je vous l’ai dit hier soir, on nous a cherchés pour nous contraindre à sacrifier aux idoles : voilà les pensées de l’empereur par rapport à nous.» Maximien répondit : « Et Dieu sait que nous ne sacrifierons pas. » Après avoir encouragé ses compagnons, il dit à Malchus de descendre à-la ville pour acheter du pain, en lui recommandant d'en prendre plus qu'il n'avait fait la veille, et de leur communiquer à son retour les ordonnances de l’empereur.

Malchus prit cinq sols, sortit de la caverne. En voyant les pierres il fut étonné ; mais comme il pensait à autre chose, l’idée des pierres fit peu d'impression sur lui. Alors qu'il arrivait, non sans une certaine appréhension, à la porte de la ville, il fut singulièrement surpris de la voir surmontée du signe de la croix ; de là il alla à une autre porte. Quand il vit le même signe, il fut très étonné de voir une croix au-dessus de toutes les portes, et de trouver la ville changée; il se signa, et revint à la première porte en pensant qu'il rêvait. Enfin il se rassure, se cache le visage et pénètre dans la ville.

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Comme il entrait chez les marchands de pain, il entendit qu'on parlait de il fut stupéfait : « Qu'est ceci, pensait-il ? hier personne n'osait prononcer le nom de J.-C., et aujourd'hui ils se confessent tous chrétiens? Je crois que ce n'est pas là la ville d'Ephèse : d'ailleurs elle est autrement bâtie ; c'est une autre ville, mais je ne sais laquelle. » Alors il prit des informations : on lui répondit que c'était Ephèse. Se croyant le jouet d'une erreur, il songea à venir retrouver ses compagnons. Cependant il entra chez ceux qui vendaient du pain, et ayant donné son argent, les marchands étonnés se disaient l’un à l’autre que ce jeune homme avait trouvé un vieux trésor. Or, Malchus, en les voyant se parler en particulier, pensait qu'ils voulaient le mener à l’empereur, et, dans son effroi, il les pria de le laisser aller et de garder les pains et les pièces d'argent. Mais les boulangers le retinrent et lui dirent : « D'où es-tu ? puisque tu as trouvé des trésors des anciens empereurs; indique-les-nous; nous partagerons avec toi et nous te cacherons, car autrement tu ne peux t'en retirer.» Malchus ne savait quoi leur répondre, tant il avait peur. Alors les marchands, voyant qu'il se taisait, lui jetèrent une corde au cou, le traînèrent par les rues jusqu au milieu de la ville. C'était une rumeur générale qu'un jeune homme avait trouvé des trésors. Tout le monde s'assemblait autour de lui, et le regardait avec admiration.

Malchus voulait faire comprendre qu'il n'avait rien trouvé. Il examinait tout le monde et personne ne pouvait le connaître ; il regardait au milieu: de la foule  pour distinguer quelqu'un de ses parents (il les croyait vraiment encore en vie), et ne trouvant personne, il restait comme un hébété au milieu du peuple de la ville. Le fait vint aux oreilles de saint Martin, évêque; et du proconsul Antipater, nouvellement arrivé dans la ville

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Ils commandèrent aux citoyens de leur mener ce jeune homme avec précaution et d'apporter en même temps son argent. Pendant que les officiers le conduisaient à l’église, il pensait qu'on le menait à l’empereur. L'évêque donc et l’empereur, surpris de voir cet argent; lui demandèrent où il avait trouvé un trésor, inconnu. Il répondit qu'il n'avait rien trouvé, mais qu'il avait en ces deniers dans la bourse de ses parents. On lui demanda alors de quelle ville il était. Il répondit : « Je sais bien que je suis de cette ville, si tant est que cette ville soit Ephèse. » Le proconsul dit : « Fais venir tes parents, afin qu'ils répondent pour toi. » Quand il eut cité leurs noms, personne ne les connaissant, on lui dit qu'il mentait pour pouvoir échapper, n'importe de quelle manière. « Comment te croire, dit le proconsul? tu prétends que cet argent vient de tes parents, et l’inscription a plus de 377 ans ; elle date des premiers temps de l’empereur Dèce, et ces pièces ne sont pas du tout pareilles à celles qui ont cours chez nous. Et comment tes parents vivaient-ils à cette époque, quand tu es si jeune? Tu veux donc tromper les savants et les vieillards d'Ephèse ? Eh bien ! je vais te livrer à la rigueur des lois, jusqu'à ce, que tu fasses l’aveu de ta découverte. »

Alors Malchus se jeta à leurs pieds en disant : « Pour Dieu, seigneurs, dites-moi ce que je vous demande, et je vous dirai ce qui est dans mon coeur. L'empereur Dèce, qui se trouvait dans cette ville, ou est-il à présent?» L'évêque lui répondit : « Mon fils, il n'y a plus aujourd'hui ici-bas d'empereur qui s'appelle Dèce; il y a longtemps qu'il l’était.»

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Mais Malchus dit : « C'est pour cela, seigneur, que je suis bien étonné et que personne ne. me croit : or, suivez-moi, et je vous montrerai mes compagnons qui sont au mont Célion, et vous les croirez. Ce que je sais, c'est que nous avons fui quand Dèce s'est présenté ici ; et, hier soir, j'ai vu entrer Dèce dans cette ville, si tant est que ce soit Ephèse. » Alors l’évêque ayant réfléchi, dit au proconsul : « C'est une vision que Dieu veut montrer par le ministère de ce jeune homme. » Ils le suivirent donc avec une grande multitude de citoyens. Malchus pénétra le premier dans le lieu où étaient, ses compagnons : l’évêque, qui entra après lui, trouva entre les pierres la relation scellée de deux sceaux d'argent. Il assembla le peuple, la lut, à l’admiration de tous ceux qui l’entendirent; et en voyant les saints de Dieu assis dans la caverne avec un visage qui avait la fraîcheur des roses, ils se prosternèrent en glorifiant Dieu. Aussitôt l’évêque et le proconsul envoyèrent prier l’empereur de venir de suite voir les miracles qui venaient de s'opérer. Aussitôt l’empereur quitta le sac qu'il portait, se leva et vint de Constantinople à Ephèse en rendant gloire à Dieu. On alla au-devant de lui et on l’accompagna à la grotte.

Les saints n'eurent pas plutôt vu l’empereur que leur visage brilla,, comme le soleil; ensuite l’empereur entra, se prosterna devant eux en glorifiant Dieu, se leva, les embrassa et pleura sur chacun d'eux en disant : « Je vous vois, comme si je voyais le Seigneur ressuscitant Lazare. » Alors saint Maximien lui dit : « Croyez-nous ; c'est pour vous que Dieu nous a ressuscités avant le jour de la grande résurrection, afin que vous croyiez indubitablement à la résurrection certaine des morts; car nous sommes vraiment ressuscités et nous vivons : or, de même que l’enfant dans le sein de sa mère vit sans ressentir de lésion, de même, nous aussi , nous avons été vivants, reposant, dormant et n'éprouvant pas de sensations. »

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Quand il eut dit ces mots, les sept hommes inclinèrent la tête sur la terre, s'endormirent et rendirent l’esprit selon l’ordre de Dieu. Alors l’empereur se leva, se jeta sur eux avec larmes et les embrassa. Il ordonna ensuite de faire des cercueils d'or pour les renfermer; mais cette nuit-là même, ils lui apparurent et lui dirent que jusqu'alors ils avaient reposé sur la terre et qu'ils étaient ressuscités de dessus la terre, qu'il les y fallait laisser, jusqu'à ce que le Seigneur les ressuscitât la seconde fois. L'empereur ordonna donc qu'on ornât ce lieu. de pierres dorées, et que tous les évêques: qui confessaient la résurrection fussent absous.

Qu'ils aient dormi 377 ans, comme on le dit, la chose peut être douteuse, puisqu'ils ressuscitèrent l’an du Seigneur 418. Or, Dèce régna seulement un an et trois mois, en l’an 252; ainsi, ils ne dormirent que cent quatre-vingt-seize ans:


(103) SAINTS NAZAIRE ET CELSE

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Nazaire vient de Nazaréen qui signifie consacré, pur; séparé, fleuri, ou gardant. Dans l’homme, on trouve cinq facultés : la pensée, l’affection, l’intention, l’action et la parole. Or, la pensée doit être sainte, l’affection pure, l’intention droite, l’action juste, la parole modérée. Toutes ces qualités se sont rencontrées dans le bienheureux saint Nazaire ; sa pensée fut sainte, de là il est appelé consacré; son affection pure, et il est appelé pur ; son intention droite, de là le nom de séparé; car l’intention détermine les oeuvres. Avec un oeil simple et pur tout le corps est éclairé, et avec un oeil mauvais et obscurci tout le corps est ténébreux. Ses actions furent justes, c'est pour cela qu'il est nommé fleuri, car le juste fleurira comme le lys; sa parole fut modérée, de là le nom de gardant, parce qu'il garda ses voies afin de ne point pécher par la langue.

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Celse, excelsus, élevé, parce qu'il s'éleva au-dessus de lui-même; par la force de son courage il s'éleva au-dessus de la faiblesse de son jeune âge. On dit que saint Ambroise trouva la vie et la relation du martyre de ces deux saints dans le livre des saints Gervais et Protais; maison lit dans quelques ouvrages qu'un philosophe plein de dévotion à saint Nazaire a écrit son martyre que Cératius plaça à leur chevet en ensevelissant les corps de ces saints *.

Nazaire était,fils d'un personnage très illustre, mais juif nommé Africanus et de la bienheureuse Perpétue, femme très chrétienne et d'une famille des plus distinguées de Rome. Elle avait été baptisée par l’apôtre saint Pierre. A l’âge de neuf ans, Nazaire était fort étonné de voir son père et sa mère apporter tant de divergence dans leurs pratiques religieuses ; puisque sa mère suivait la loi du baptême et son père la loi du sabbat. Il balançait beaucoup sur le parti auquel il se rattacherait, car l’un et l’autre de ses parents s'efforçaient de l’attirer à sa croyance. Enfin Dieu permit qu'il marchât sur les traces de sa mère, et il reçut le saint baptême du bienheureux Lin, pape.

* Bréviaire romain.

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Son père, en ayant été instruit, tenta de le détourner de sa sainte résolution, en lui exposant, l’un après l’autre, les différents tourments qu'on infligeait aux chrétiens. Quant au fait de son baptême qu'on dit, lui avoir été conféré par le pape saint Lin, l’on veut dire sans doute que celui-ci devait être pape plus tard, car il ne l’était pas encore. Puisque, comme, il sera facile de s'en convaincre par la suite, saint Nazaire vécut nombre d'années après son baptême et fut martyrisé par Néron qui fit crucifier saint Pierre, la dernière année de son règne ; or, saint Lin fut pape après la mort de saint Pierre.

Au lieu de céder aux instances de son père, Nazaire prêchait J.-C. avec la plus grande constance; alors ses parents, qui craignaient beaucoup qu'il ne fût tué, obtinrent par leurs prières qu'il sortirait de la ville de Rome; il prit donc sept sommiers chargés des richesses de ses parents, parcourut les villes d'Italie et donna tout aux pauvres. Dix ans après son départ, il vint à Plaisance et de là à Milan où il trouva détenus en prison saint Gervais et saint Protais. Or, quand on apprit que Nazaire encourageait ces martyrs, on le traîna aussitôt au préfet et comme il persistait à confesser J.-C., il fut battu de verges et chassé de la ville. Tandis qu'il allait d'un lieu à un autre, sa mère, qui était morte, lui apparut et après l’avoir encouragé, elle l’avertit de se diriger, vers les Gaules: Quand il arriva à une ville de la Gaule nommée Gemellus *, il y convertit beaucoup de monde; et une dame lui offrit son fils nommé. Celse qui, était un charmant enfant, avec prière de le baptiser et de l’emmener avec lui.

* Genève.

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Quand le préfet des Gaules apprit cela, il le fit prendre avec Celse ; on lui lia les mains derrière le dos; on lui attacha une chaîne au cou et on le jeta en prison afin que le lendemain il fût tourmenté dans les supplices. Mais la femme du préfet envoya dire à son mari que c'était une injustice de condamner à mort des innocents ; et qu'il ne fallait pas se charger de la vengeance des dieux tout-puissants. Le président se rendit à ces paroles; il renvoya les saints absous, en leur recommandant expressément de ne pas prêcher dans la ville.

Nazaire vint donc à Trèves où le premier il annonça J.-C. Après y avoir converti beaucoup de personnes à la foi, il s'y bâtit une église. Corneille, vicaire de Néron,.instruit de cela, le manda à cet empereur qui envoya cent hommes pour le prendre. Ils le trouvèrent à côté de l’oratoire qu'il s'était construit, lui lièrent les mains et lui dirent : « Le grand Néron t'appelle. » Nazaire leur répondit. « Un roi inconvenant a des soldats inconvenants ; car à votre arrivée pourquoi ne  m’avez-vous pas dit honnêtement : Néron t'appelle ? je serais venu. » Ils le conduisirent donc enchaîné à Néron. Quant au petit Celse qui pleurait, ils lui donnaient des soufflets pour le forcer de suivre. Néron, les ayant vus, les fit mettre en prison, jusqu'à ce qu'il eût réfléchi sur la manière de les faire périr.

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Dans cet intervalle, une fois que Néron avait envoyé des chasseurs pour prendre des bêtes sauvages, une troupe de ces animaux entra subitement dans le verger de ce prince, où elle blessa beaucoup de personnes et en tua nombre d'autres, au point que Néron effrayé prit la fuite et rentra dans son palais, après, s'être fait une blessure au pied. La douleur, le retint de longues journées couché ; enfin il se souvint de Nazaire et de Celse ; il pensa que les dieux étaient irrités contre lui pour avoir laissé vivre si longtemps ces prisonniers. Par l’ordre donc de l’empereur, des; soldats firent sortir Nazaire de la prison, en le chassant à coups de pied, et Celse en le frappant; et ils les amenèrent devant l’empereur. Néron, voyant la figure de Nazaire brillante comme le soleil, su crut le jouet d'une illusion et lui- ordonna de cesser ses sortilèges, puis de sacrifier aux dieux. Nazaire ayant été conduit au temple, pria tout le inonde de se retirer, et pendant qu'il y faisait sa prière, toutes les idoles furent brisées.

A cette nouvelle, Néron ordonna de le précipiter dans la mer, avec ordre de le reprendre, s'il parvenait à s'échapper, de le faire mourir ensuite dans les flammes et de jeter ses cendrés dans la mer. Nazaire donc et le jeune Celse sont embarqués sur un navire, et quand ils eurent atteint la haute mer, ils furent précipités dans les flots. Mais aussitôt il s'éleva autour du bâtiment une tempête extraordinaire, quand le plus grand calme régnait autour des saints. Les matelots craignaient de périr et se repentaient des méchancetés qu'ils avaient commises contre les martyrs, mais voici que Nazaire : avec le petit Celse leur apparaît marchant d'un air gai sur les eaux, et monte sur le navire (Les matelots croyaient déjà en Dieu.) Nazaire par une prière calma les flots, et vint de là avec eux débarquer auprès de la ville de Gênes éloignée de six cents pas.

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Après y avoir, prêché longtemps, il vint enfin à Milan où il avait laissé saint Gervais et saint Prôtais. Lorsque le préfet Anolinus l’eut appris, il l’envoya en exil et Celse resta dans la maison d'une dame. Quant à Nazaire il revint à Rome où il trouva son père déjà parvenu à la vieillesse et chrétien. Il lui demanda comment il avait été converti. Son père lui dit que saint Pierre, apôtre, lui était apparu et lui avait donné le conseil de suivre sa femme et son fils qui l’avaient précédé dans la foi de J,-C. Ensuite Nazaire, après avoir éprouvé de mauvais traitements, à Milan, d'où il avait été envoyé à Rome, est forcé par les prêtres des idoles de revenir et il y fut traduit devant le président avec l’enfant. On le conduisit hors de la porte de Rome dans un lieu appelé les Trois Murs, et il fut décapité avec le jeune Celse.

Les chrétiens enlevèrent leurs corps et les placèrent dans leurs jardins; mais cette nuit-là, même, les martyrs apparurent à un saint homme nommé Cératius et lui recommandèrent d'ensevelir leurs corps dans un endroit retiré de sa maison, par rapport. à l’empereur. Cératius leur dit : « Je vous en prie, mes seigneurs, guérissez auparavant ma fille paralytique. » Et comme elle fut guérie à l’instant, il prit leurs corps et les ensevelit comme ils le lui avaient recommandé. Longtemps après le Seigneur révéla à saint Ambroise ou se trouvaient. leurs restes. Celui-ci laissa Celse où il était. Le corps de Nazaire fut trouvé avec son sang frais comme s'il venait d'etre enseveli, et répandant, une merveilleuse odeur ; il était entier, sans corruption, avec ses cheveux et sa barbe. Il en fit la translation à l’église des apôtres et l’ensevelit avec honneur. Dans la suite il fit aussi l’élévation de saint Celse qu'il plaça dans la même église. Ils souffrirent sous Néron, qui commença, à régner vers l’an du Seigneur 57.

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Au sujet de ce martyr, voici ce que saint Ambroise dit dans la Préface : « Le saint martyr Nazaire, illustre par le sang généreux qu'il a répandu, a mérité de monter au royaume du ciel. En souffrant tout ce que les tourments ont de plus cruel, il surmontait la ragé des tyrans par sa constance et il ne céda jamais devant les menaces des persécuteurs, car il avait pour le soutenir au milieu de ses combats N.-S. J-C. qui combattait avec lui. Alors il est conduit au temple pour immoler aux idoles profanes; mais fort du secours divin, il est à peine entré, que ces simulacres sont réduits par lui en poussière. Pour ce fait, il est conduit au milieu de la mer, et, soutenu par les anges, il marche à pied sec sur les flots. O heureux et noble :combattant du Seigneur qui en attaquant le prince du monde a rendu une multitude innombrable de peuple participante de la vie éternelle ! O grand et ineffable mystère, qu'il y ait plus de joie dans l’Église de ce qu'ils ont mérité le salut, qu'il n'y a d'allégresse dans le monde pour les avoir punis! O bienheureuse mère qui tire de la gloire des tourments de ses enfants qu'elle conduit au tombeau sans pleurs et sans gémissements, et sans cesser de célébrer leurs louanges quand ils sont passés aux royaumes célestes! O témoin merveilleux, resplendissant d'un éclat céleste, dont les vertus répandent une odeur plus pénétrante et plus suave que les aromates de Saba ! »

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— Saint Ambroise, lors de l’invention de ce saint, le proposa comme patron, et médecin, comme le défenseur de la foi, et le champion des combats sacrés.
Elle était cachée depuis longtemps dans la poussière cette dragme trouvée avec la lumière que te prête l’assistance merveilleuse du ciel : afin, ô Jésus que les récompenses que vous accordez à tous vos élus soient manifestées et que l’œil de l’homme puisse voir les visages des anges.


(104) SAINT FÉLIX, PAPE

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Félix fut élu et ordonné pape à la place de Libère, qui, ne voulant pas approuver l’hérésie arienne, fut, par. l’ordre de Constance, fils de Constantin, envoyé en exil, où il resta trois ans. C'est pour cela que tout le clergé romain ordonna Félix à sa place, du vouloir et du consentement de Libère lui-même. Ce Félix, ayant convoqué un concile, condamna, en présence de quarante-huit évêques, Constance empereur arien hérétique et deux prêtres qui le soutenaient. Constance indigné chassa Félix de son évêché et rappela Libère à la condition d'être en communion seulement avec Constantin et les autres que Félix avait condamnés. Libère, accablé par les ennuis de l’exil, souscrivit à l’hérésie; et il en résulta que la persécution augmenta à tel point que beaucoup de prêtres et de clercs furent tués dans l’église sans que Libère s'y opposât. Félix, chassé de son évêché, habitait dans une terre d'où on l’arracha pour le conduire au martyre qu'il subit, en ayant la tête tranchée, vers l’an du Seigneur 340.


(105) SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN

Simplice et Faustin étaient frères ; ils refusèrent de sacrifier, et endurèrent à Rome beaucoup de tourments sous l’empereur Dioclétien. A la fin on porta l’arrêt de leur condamnation; ils furent décapités et leurs corps jetés dans le Tibre mais leur soeur nommée Béatrice retira leurs dépouilles du fleuve et les ensevelit honorablement. Lucrétius qui était préfet et vicaire de Dioclétien passait autour de leur domaine, la fit prendre et lui commanda de sacrifier aux idoles. Sur son refus, Lucrétius la fit étrangler durant la nuit par ses esclaves. La vierge Lucine enleva son cops et l’ensevelit à côté de ses frères.

Après quoi, le préfet Lucrétius s'empara de leur maison, où au milieu d'un repas qu'il donnait à ses amis, il se permit d'insulter les martyrs; alors un petit enfant encore à la mamelle et enveloppé de langes, s'écria, dans les bras de sa mère qui était présente, de sorte que tout le monde l’entendit : « Écoute, Lucrétius, tu as tué, tu as usurpé; voici que tu es livré au pouvoir de l’ennemi. » A l’instant Lucrétius saisi et tremblant est appréhendé par le démon qui le tourmenta si violemment pendant trois heures qu'il mourut au milieu du repas. Les assistants témoins de cela se convertirent à la foi : ils racontaient à tous le martyre de sainte Béatrice qui avait été vengée dans le repas. Or, ils souffrirent vers l’an du Seigneur 287.


(106) SAINTE MARTHE

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[L'interprétation du nomme saincte Marthe. Marthe peut estre dicte ainsi côme sacrifiant ou amaigrissant: elle sacrifia à Ihùcrist quant elle le hostella : et luy administra le pain et le vin de quoy luy-mesme sacrifia son sainct corps : amaigrissant, car elle amaigrit son corps par penitence si dîme il s’ensuit après] *.

Marthe, qui donna l’hospitalité à J.-C., descendait de race royale et avait pour père Syrus et pour mère Eucharie. Son père fut gouverneur de Syrie et de beaucoup de pays, situés le long de la mer. Marthe possédait avec sa soeur, et du chef de sa mère, trois châteaux, savoir Magdalon, Béthanie et une partie de la ville de Jérusalem. On ne trouve nulle part. qu'elle se soit mariée, ni qu'elle ait eu commerce avec aucun homme. Or, cette noble hôtelière servait le Seigneur et voulait que sa soeur le servît aussi; car il lui semblait que ce n'était pas même trop du monde tout entier pour le service d'un hôte si grand. Après l’ascension du Seigneur, quand les apôtres se furent dispersés, elle et son frère Lazare, sa soeur Marie-Magdeleine, ainsi que saint Maximin qui les avait baptisés et auquel elles avaient été confiées par l’Esprit-Saint, avec beaucoup d'autres encore, furent mis par les infidèles sur un navire dont on- enleva les rames, les voiles et les gouvernails, ainsi que toute espèce d'aliment. Sous la direction de Dieu, ils arrivèrent

* Consulter les Monuments de l’apostolat de sainte Madeleine et de sainte Marthe , par M. Faillon et le Bréviaire romain.

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à Marseille. De là ils allèrent au territoire d'Aix où ils convertirent tout le peuple à la foi. Or, sainte Marthe était très éloquente et gracieuse pour tous. Il y avait, à cette époque;- sur les rives du Rhône, dans un bois entre Arles et Avignon, un dragon, moitié animal, moitié poisson, plus épais qu'un boeuf, plus long qu'un cheval, avec des dents semblables à des épées et grosses comme des cornes, qui était armé de chaque côté de deux boucliers; il se cachait dans le fleuve d'où il ôtait la vie à tous les passants et submergeait les navires. Or, il était venu par mer de la Galatic d'Asie, avait été engendré par Léviathan, serpent très féroce qui' vit dans. l’eau, et d'un animal nommé Onachum, qui naît dans la Galatie : contre ceux qui le poursuivent, il jette, à la distance d'un arpent, sa fiente comme un dard et tout ce qu'il touche, il le brille comme si c'était du feu. A la prière des peuples, Marthe alla dans le bois et l’y trouva mangeant un homme. Elle jeta sur lui de l’eau bénite et lui montra une croix. A l’instant le monstre dompté resta tranquille comme un agneau. Sainte Marthe le lia avec sa ceinture et incontinent il fut tué par le peuple à coups de lames et de pierres. Or, les habitants du pays appelaient ce dragon Tarasque et en souvenir de cet évènement ce lieu s'appelle encore Tarascon,au lieu de Nerluc, qui signifie lieu noir, parce qu'il se trouvait là des bois sombres et couverts. Ce fut en cet endroit que sainte Marthe, avec l’autorisation de son maître Maximin et de sa soeur, se fixa désormais et se livra sans relâche à la prière et aux jeunes. Plus tard après avoir rassemblé un grand nombre de soeurs, elle bâtit une basilique en l’honneur de la bienheureuse vierge Marie. Elle y mena une vie assez dure, s'abstenant d'aliments gras, d'oeufs, de fromage et de vin, ne mangeant qu'une fois par jour. Cent fois le jour et autant de fois la nuit, elle fléchissait les genoux.

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Elle prêchait un jour auprès d'Avignon, entré la ville et le fleuve du Rhône, et un jeune homme se trouvait de l’autre côté du fleuve, jaloux d'entendre ses paroles, mais dépourvu de barque pour passer, il se dépouilla de ses vêtements et se jeta à la nage ; tout à coup il est emporté par la force du courant et se noie aussitôt. Son corps fut à peiné retrouvé, deux jours après ; on l’apporta aux pieds de sainte Marthe pour qu'elle le ressuscitât. Elle se prosterna seule, les bras étendus en forme de croix sur la terre et,fit cette prière : « O Adonay, Seigneur J.-C., qui avez autrefois ressuscité mon frère Lazare, votre ami, mon cher hôte, ayez égard à la foi de ceux qui  m’entourent et ressuscitez cet enfant. » Elle, prit,parla main ce jeune homme qui se leva aussitôt et reçut le saint baptême. Eusèbe rapporte au VIIe livre de son Histoire ecclésiastique *, que l’Hémorrhoïsse, après avoir, été guérie, fit élever dans sa cour ou son verger, une statue à la ressemblance de J.-C., avec une robe et sa frange, comme elle l’avait- vu, et elle avait pour cette tarage une grande vénération. Or, les herbes croissant aux pieds de la statue et qui n'étaient bonnes à rien auparavant, dès lors qu'elles atteignaient à la frange,

* Il revient sur ce récit dans son commentaire sur saint Luc, mais sans prétendre que c'est Marthe. - Cf. Nicéphore Callixte, Iib. X, XXX.

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acquéraient une telle vertu que beaucoup d'infirmes qui en faisaient usage étaient guéris. Cette Hémorrhoïsse que le Seigneur guérit; saint Ambroise dit * que ce fut sainte Marthe, Saint Jérôme de son côté rapporte, et l’Histoire tripartite confirme**, que Julien l’apostat fit enlever la statue élevée par l’Hémorrhoïsse et,y substitua la sienne; mais la foudre la brisa.
Or, le Seigneur révéla un an d'avance à sainte Marthe le moment de sa mort : et pendant toute cette année, la fièvre ne la quitta point. Huit jours avant son trépas, elle entendit les choeurs des anges qui portaient l’âme de sa soeur au ciel. Elle rassembla de suite `sa communauté de frères et de soeurs : « Mes compagnons et très doux élèves, leur dit-elle, je vous en prie, réjouissez-vous avec moi, parce que je vois les choeurs des anges portant en triomphe l’âme de ma soeur au trône qui lui a été promis. O très belle et bien-aimée soeur ! vis avec ton maître et mon hôte dans la demeure bienheureuse! » Et aussitôt sainte Marthe, pressentant sa mort prochaine, avertit ses gens d'allumer des flambeaux autour d'elle et de veiller jusqu'à son trépas. Au milieu de la nuit qui précéda le jour de sa mort, ceux qui la veillaient s'étant laissé appesantir par le sommeil, un vent violent s'éleva et éteignit toutes les lumières, et la sainte qui vit une foule d'esprits malins, prononça cette prière : « O Dieu, mon père, mon hôte chéri, mes séducteurs se sont rassemblés pour me dévorer ; ils tiennent écrites à la main les méchancetés que j'ai commises : mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi, mais venez à mon aide. »

* Sermon XLVI.
** Lib. VI, c. XLI.

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Et voilà qu'elle vit sa soeur venir à elle; elle tenait à la main une torche avec laquelle elle alluma les flambeaux et les lampes : et tandis qu'elles s'appelaient chacune par leur nom, voici que J.-C. vint et dit : Venez, hôtesse chérie, et où je suis, vous y serez avec moi. Vous  m’avez reçu dans votre maison, et moi je vous recevrai dans mon paradis ; ceux qui vous invoqueront, je les exaucerai par amour pour vous. » L'heure de sa mort approchant, elle se fit transporter dehors, afin de pouvoir regarder le ciel ; et elle ordonna qu'on la posât par terre sur de la cendre; ensuite qu'on lui tînt une croix devant elle : et elle fit cette prière : « Mon cher hôte, gardez votre pauvre petite servante ; et comme vous avez daigné demeurer avec moi, recevez-moi de même dans votre céleste demeure. » Elle se fit ensuite lire la Passion selon saint Luc, et quand on fut arrivé à ces mots : « Mon père, je remets mon âme entre vos mains », elle rendit l’esprit. Le jour suivant qui était un dimanche, comme on célébrait les laudes auprès de son: corps, vers l’heure de tierce, Notre-Seigneur apparut à saint Front qui célébrait la messe à Périgueux, et qui, après l’épître, s'était endormi sur sa chaire: « Mon cher Front, lui dit-il, si vous voulez accomplir ce que vous avez autrefois promis à notre hôtesse, levez-vous vite et suivez-moi. »

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Saint Front ayant obéi à cet ordre, ils vinrent ensemble en un instant à Tarascon où ils chantèrent des psaumes autour du corps de sainte Marthe et firent tout l’office, les autres leur répondant; ensuite ils placèrent de leurs mains son corps dans le tombeau. Mais à Périgueux, quand on eut terminé ce qui était à chanter, le diacre qui devait lire l’évangile, ayant éveillé l’évêque en lui;demandant la bénédiction, celui-ci répondit à moitié endormi : « Mes frères, pourquoi me réveillez-vous? Notre-Seigneur J.-C.  m’a conduit où était le corps de Marthe, son hôtesse, et nous lui avons donné la sépulture: envoyez-y vite des messagers pour nous rapporter notre anneau d'or et nos gants gris que j'ai ôtés afin de pouvoir ensevelir le corps; je les ai remis au sacriste et les ai laissés par oubli, car vous  m’avez éveillé si vite! » On envoya donc des messagers qui trouvèrent tout ainsi que l’évêque avait dit; ils rapportèrent l’anneau et un seul gant, car le sacriste retint l’autre comme preuve de ce qui s'était passé. Saint Front ajouta encore : « Comme nous sortions de l’église après l’inhumation, un frère de ce lieu, qui était habile dans les lettres, nous suivit pour demander au Seigneur de quel nom il l’appellerait. Le Seigneur ne lui répondit rien, mais il lui montra un livre qu'il tenait tout ouvert. à la main, dans lequel rien autre chose n'était écrit que ce verset : « La mémoire de mon- hôtesse qui a été pleine de justice sera éternelle; elle n'aura pas à craindre d'entendre des paroles mauvaises au dernier jour (Ps. III). » Le frère, qui parcourut chaque feuillet du livre, y trouva ces mots écrits à chaque page.

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Or, comme il s'opérait beaucoup de miracles au tombeau de sainte Marthe, Clovis, roi des Francs, qui s'était fait chrétien et qui avait été baptisé par saint Remy, souffrait d'un grand mal de reins; il vint donc au tombeau de la sainte et y obtint une entière guérison. C'est pourquoi il dota ce lieu, auquel il donna une terre d'un espace de trois milles à prendre autour sur chacune des rives du Rhône, avec les métairies et les châteaux, en affranchissant le tout. Or, Manille, sa servante, écrivit sa vie; ensuite elle alla dans l’Esclavonie où, après avoir prêché l’évangile, elle mourut en paix dix ans après le décès de sainte Marthe.


(107) SAINT ABDON ET SAINT SENNEN *

Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous l’empereur Dèce, qui, après avoir soumis la Babylonie avec d'autres provinces, et y avoir trouvé des chrétiens, les emmena avec lui à la ville de Cordoue où il les fit mourir par différents supplices. Deux vice-rois, Abdon et Sennen, prirent leurs corps et les ensevelirent. On les accusa de cette action auprès de Dèce qui les fit comparaître devant lui. On les chargea de chaînes et on les conduisit à Rome, où ils comparurent devant l’empereur et devant le Sénat; on leur dit qu'ils avaient ou à sacrifier et qu'alors ils rentreraient libres dans leurs états, ou à se voir condamnés à être la pâture des bêtes féroces.

Ils ne manifestèrent que du mépris pour les idoles sur lesquelles ils crachèrent; après quoi ils furent traînés à l’amphithéâtre où on lâcha sur eux deux lions et quatre ours, qui, loin de toucher ces saints, en furent même les gardiens.

* Bréviaire, romain. Ce récit est conforme aux actes publiés par les Bollandistes.

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On les fit donc mourir par le glaive, après quoi on leur lia les pieds et on les traîna jusqu'à l’idole du soleil devant laquelle on les jeta. Au bout de trois jours, le sous-diacre Quirinus vint les recueillir et les ensevelit dans sa maison. Ils souffrirent vers l’an du Seigneur 253. Du temps de Constantin, ces martyrs révélèrent oit étaient leurs corps que les chrétiens transférèrent dans le cimetière de Pontien. Par leur mérite Dieu y accorde de nombreux bienfaits au peuple.


(108) SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE

Germain vient de germe, et ana, qui veut dire en haut, c'est donc un germe d'en haut. On trouve en effet trois qualités dans le blé qui germe, savoir une chaleur naturelle, une humidité nutritive, et un principe de semence. De là vient que saint Germain est appelé une semence en germe : car il posséda une chaleur produite par l’ardeur de son amour, une humidité qui développa sa dévotion, et un principe de semence puisque, par la force de sa prédication, il engendra beaucoup de monde à la foi et aux bonnes mœurs. Le prêtre Constantin écrivit sa vie qu'il adressa à saint Cinsurius, évêque d'Auxerre*.

Germain naquit à Auxerre d'une famille des plus nobles. Après de longues études consacrées aux arts libéraux, il partit pour Rome afin de se former à la science du droit. Il s'y acquit tant de considération que le Sénat l’envoya dans les Gaules pour remplir les fonctions de gouverneur de toute la Bourgogne.

* Héricus, moine d'Auxerre, a écrit sa vie en vers et ses miracles en prose.

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A Auxerre qu'il affectionnait, il possédait, au milieu de la ville, un pin aux branches duquel il suspendait; pour qu'on les admirât, les têtes des bêtes fauves tuées par lui à la chasse. Mais saint Amateur, évêque de cette ville, le gourmandait souvent de cette vanité, et lui conseillait même de faire abattre cet arbre dans la crainte de quelque mauvais résultat pour les chrétiens. Or, Germain n'y voulait absolument pas consentir. Mais un jour qu'il était absent, saint Amateur fit couper et brûler ce pin.

Quand Germain l’apprit, il oublia les sentiments que lui inspirait la religion chrétienne et, revint à la ville avec des soldats, dans le dessein de faire mourir l’évêque: mais celui-ci, qui avait appris par révélation que Germain devait un jour lui succéder, céda devant sa fureur et gagna Autun. Peu après, il revint à Auxerre et ayant attiré Germain dans l’église, il le tonsura en lui prédisant qu'il devait être son successeur. Ce qui eut lieu: car quelque temps après l’évêque mourut en saint et. le peuple demanda à l’unanimité Germain pour évêque. Il distribua tous ses biens aux pauvres, traita sa femme comme si elle eût été sa soeur, et pendant trente ans, il mortifia tellement son corps que jamais il n'usa de pain de froment, ni de vin, ni d'huile, ni de légumes, ne mangeant même rien qui fût accommodé avec du sel.

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Deux fois l’an cependant, savoir : à Pâques et à Noël, il prenait du vin, encore il y mêlait tant d'eau qu'il n'y avait plus goût de vin. Il commençait ses repas en prenant d'abord de la cendre; ensuite il mangeait du pain d'orge. Son jeûne était continuel, car il ne mangeait jamais . que sur le soir. L'été comme l’hiver, il avait pour tout vêtement un cilice et une coule. Et quand il ne lui arrivait pas de donner cet habit à quelqu'un, il le portait jusqu'à ce qu'il fût tout usé et en lambeaux. Les ornements de son lit, c'était la cendre, un cilice et un sac :  il n'avait pas de coussin pour tenir sa tête plus élevée que les épaules; mais toujours dans les,gémissements, il portait à son cou des reliques des saints; jamais il ne quittait son vêtement, rarement sa chaussure et sa ceinture. Tout dans sa conduite était au-dessus des forces d'un homme. Sa vie fut telle en effet qu'il eût été incroyable de la concevoir salis miracles ; mais ils furent si nombreux qu'on les croirait imaginés à plaisir, si les mérites qu'il avait acquis n'avaient précédé ces prodiges.

Un jour qu'il avait reçu l’hospitalité dans un endroit, il fut étonné de voir, après le souper, apprêter la table, et il demanda pour qui ou préparait un second repas. Comme on lui disait que c'était pour les bonnes femmes qui voyagent pendant la nuit, saint Germain prit la résolution de veiller cette nuit-là; et il vit une foule de démons qui venaient se mettre à table sous 1a forme d'hommes et de femmes. Il leur défendit de s'en aller, réveilla tous les membres de la maison et leur demanda s'ils connaissaient ces personnes. On lui répondit que c'étaient tous les voisins et voisines ; alors en commandant aux démons de ne pas s'en aller, il envoya au domicile de chacun d'eux; et on les trouva tous dans leur lit. Saint Germain les conjura ; et ils dirent qu'ils étaient des démons qui se jouaient ainsi des hommes.

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En ce temps-là, florissait le bienheureux saint Loup, évêque de Troyes. Quand Attila attaquait cette ville, le bienheureux Loup lui demanda de dessus la porte à haute voix qui il était pour venir fondre ainsi sur eux. « Je suis, lui répondit-il, Attila, le fléau de Dieu. » L'humble prélat lui répliqua avec gémissement: « Et moi je suis Loup; hélas! je ravage le troupeau de Dieu et j'ai besoin d'être frappé par le fléau de Dieu. » Et à l’instant il fit ouvrir les portes. Mais Dieu aveugla les ennemis qui passèrent d'une porte à l’autre, sans voir personne et sans faire aucun mal. Le bienheureux Germain prit avec lui saint Loup et partit pour les îles Britanniques où pullulaient les hérétiques; et comme ils étaient sur la ruer, une tempête extraordinaire s'éleva; mais à la prière de saint Germain, il se fit aussitôt un grand calme. Ils furent reçus avec de grands honneurs par le peuple; leur arrivée avait été annoncée par les démons que saint Germain avait chassés des obsédés. Après qu'ils eurent convaincu les hérétiques, ils retournèrent en leur propre pays.

Germain était couché malade dans un endroit, quand soudain un incendie embrasa toute la bourgade. On le priait de se laisser emporter pour échapper à la flamme, mais il voulut rester exposé à l’incendie, et le feu, qui consuma tout à droite et à gauche, ne toucha pas à l’habitation où il se trouvait. Comme il retournait une seconde fois en Bretagne pour confondre les hérétiques, un de ses disciples, qui l’avait; suivi en toute hâte, tomba malade à Tonnerre et y mourut: Saint Germain, revenant sur ses pas, fit ouvrir le sépulcre et demanda au mort, en l’appelant par son nom, ce qu'il faisait, s'il désirait encore combattre avec lui.

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Celui-ci se leva sur son séant et répondit qu'il goûtait des douceurs infinies et qu'il ne voulait pas être rappelé désormais sur la terre. D'après le consentement que lui donna saint Germain de rester dans le repos, il déposa sa tète et se rendormit de nouveau dans le Seigneur *. Pendant le cours de ses prédications, le roi de la Bretagne lui refusa l’hospitalité aussi bien qu'à ses compagnons. Le porcher du roi, qui revenait de faire paître ses bêtes, en rapportant à sa chaumière des provisions qu'il avait reçues au palais, vit le bienheureux Germain et ses compagnons accablés de faim et de froid; il les accueillit avec bonté dans sa maison, et commanda qu'on tuât pour ses hôtes le seul veau qu'il possédât. Après le souper, saint Germain fit disposer tous les os du veau sur sa peau et à sa prière le veau se leva tout aussitôt. Le lendemain, Germain se hâta de se, rendre chez le roi et lui demanda avec force, pourquoi i1 lui avait refusé l’hospitalité. Le roi grandement saisi ne put lui répondre ; alors Germain lui dit: « Sors et cède le royaume à meilleur que toi. » Et par un ordre qu'il reçut de Dieu, Germain fit venir le porcher avec sa femme et en présence de la multitude étonnée, il le constitua roi; et depuis lors ce sont les descendants du porcher qui gouvernent la nation des Bretons

* Héricus, moine d'Auxerre, qui a écrit la vie et, les miracles du saint.
** Ibid., c. VIII.

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Les Saxons étaient en guerre avec les Bretons et se voyaient inférieurs en nombre, ils appelèrent alors les saints qui passaient par là; ceux-ci les instruisirent et tous accoururent à l’envi pour recevoir le baptême. Le jour de Pâques, transportés par la ferveur de leur foi, ils jettent leurs armes de côté et se proposent de combattre avec grand courage; les ennemis, à cette nouvelle, se ruent avec audace contre des gens désarmés; mais Germain, qui se tenait caché avec les siens, les avertit tous, que quand il crierait lui-même Alleluia, ils lui répondissent ensemble en poussant le même cri. Et quand ils l’eurent fait, une terreur tellement grande s'empara des ennemis qui se précipitaient sur eux, qu'ils jetèrent leurs armes, dans la persuasion que non seulement les montagnes, mais encore le ciel s'écroulaient sur leur tète; alors ils prirent tous la fuite*.

Une fois qu'il passait par Autun, il vint au tombeau de saint Cassien, évêque, auquel il demanda comment il se trouvait. Celui-ci lui répondit de son cercueil ces mots qui furent entendus de tous les assistants: « Je jouis d'un doux repos, et j'attends la verne du rédempteur. » Et Germain lui dit: « Reposez encore longtemps en J.-C., et intercédez pour nous avec ferveur, afin que nous méritions d'obtenir les joies de la sainte résurrection. »

A son arrivée à Ravenne, il fut reçu avec honneur par l’impératrice Placidie et par son fils Valentinien. Quand vint l’heure du repas, la reine lui envoya un magnifique vase d'argent rempli de mets exquis; il le reçut, mais ce fut pour distribuer les mets à ceux qui l’accompagnaient et pour donner aux pauvres l’argent du vase qu'il garda par devers lui. Pour tenir lieu de présent, il envoya à l’impératrice une écuelle de bois dans laquelle était un pain d'orge; ce qu'elle reçut de bonne grâce et dans la suite elle fit enchâsser cette écuelle dans de l’argent.

*Ibid.

P320

Une fois encore, l’impératrice l’invita à un dîner que le saint accepta avec bonté. Or, comme il était exténué par les jeûnes,, la prière et les travaux, il se fit conduire sur un âne depuis son logement jusqu'au palais : mais pendant le repas, l’âne de saint Germain mourut. La reine, qui l’apprit, fit offrir à l’évêque un cheval extrêmement doux. Quand le saint l’eut vu, il dit : « Qu'on  m’amène mon âne, parce que, comme il  m’a amené, il me ramènera. » Et allant vers le cadavre :
« Lève-toi, dit-il, âne, retournons au logis. Aussitôt l’âne se leva, se secoua, et comme s'il n'avait éprouvé aucun mal, il porta Germain à son hôtellerie. Mais avant de sortir de Ravenne, Germain prédit qu'il n'avait plus longtemps à rester sur la terre. Peu de temps après, la fièvre le saisit et le septième jour il s'endormit dans le Seigneur : son corps fut transporté dans les Gaules, selon qu'il l’avait demandé à l’impératrice. Il mourut vers l’an du Seigneur 430.

Saint Germain avait promis à saint Eusèbe de consacrer à sa place, quand il reviendrait, une église que le saint évêque de Verceil avait fondée. Mais quand il eut appris le trépas du bienheureux Germain, saint Eusèbe fit allumer des cierges pour consacrer lui-même son église. Or, plus on les allumait, plus ils s'éteignaient. Eusèbe comprit par là que la dédicace devait être remise à une autre époque, ou bien qu'elle devait être faite par un autre évêque. Mais lorsque le corps de saint Germain fut amené à Verceil, et qu'on l’eut fait entrer dans l’église, à l’instant tous les cierges s'allumèrent par miracle.

P321

Alors saint Eusèbe se souvint de la promesse du bienheureux Germain, et il comprit qu'il avait exécuté, après sa mort, ce qu'il avait promis de faire étant en vie. Il ne faut pas croire qu'il soit ici question du grand Eusèbe de Verceil ; celui-ci mourut du temps de l’empereur Valens, et il s'écoula plus de 50 ans depuis sa mort jusqu'à celle de saint Germain. Ce fut sous un autre Eusèbe, qu'arriva ce qui vient d'être raconté.


(109) SAINT EUSÈBE

Eusèbe est ainsi appelé de eu, qui veut dire bien et, sebe, qui signifie éloquence ou poste. Eusèbe s'interprète encore bon culte. En effet il fut rempli de bonté, en se sanctifiant, d'éloquence en défendant la foi, il resta à son poste en souffrant le martyre avec constance ; et il rendit à Dieu un bon culte par le respect qu'il eut pour lui.

Eusèbe, qui conserva sa virginité, :n'était encore que catéchumène quand il fut baptisé par le pape Eusèbe qui lui donna son nom. A son baptême, on vit les mains des anges le lever des fonts sacrés. Une dame, qui s'était éprise de sa beauté, voulut entrer dans sa chambre, mais elle en fut empêchée par les anges qui le gardaient : alors elle vint le lendemain matin se jeter à ses pieds et lui demander pardon .

P322

Après avoir été ordonné prêtre, il brilla par une sainteté telle que dans la solennité de la messe, on voyait les anges qui le servaient. En ce temps-là, comme l’hérésie d'Arius infectait l’Italie entière de ses poisons, favorisée qu'elle était par l’empereur Constance, le pape Julien sacra Eusèbe évêque de Verceil : c'était alors une des principales villes de l’Italie. A cette nouvelle, les hérétiques firent fermer, toutes les portes de l’église; mais Eusèbe étant entré dans la ville, se mit à genoux à la porte de l’église principale dédiée à la bienheureuse Marie, et à l’instant toutes les portes ouvrirent à sa prière. Il chassa de son siège Maxence, évêque de Milan, qui était gâté par le poison de l’hérésie, et il établit en sa place Denys, fervent catholique.

C'est ainsi qu'Eusèbe en Occident et Athanase en Orient purgeaient l’Eglise de la peste des Ariens. Cet Arius était un prêtre d'Alexandrie : il prétendait que le Christ était une pure créature : il avançait ce qu'il était, quand il n'était pas, et qu'il a été fait pour nous, afin que Dieu se servît de lui comme d'un instrument pour notre création. Alors le grand Constantin fit célébrer le concile de Nicée où cette erreur fut condamnée. Arius finit, quelque temps après, d'une mort misérable, car il rendit dans le lieu secret toutes ses entrailles et ses intestins.* Constance, fils de Constantin, se laissa corrompre aussi par l’hérésie; c'est pour cela qu'irrité grandement contre Eusèbe, il convoqua en concile beaucoup d'évêques, et y manda Denys : il adressa mainte et mainte lettres à Eusèbe qui, sachant que la malice prévaut dans la multitude, refusa de venir et s'excusa sur son grand âge.

* Ruffin, Hist. Eccl. liv. X; — Vincent de B., liv. XV, c. XII, an 330.

P323

Alors pour lui enlever ce prétexte, l’empereur décida que le concile serait célébré à Milan. qui était tout proche. Quand il vit que Eusèbe faisait encore défaut, il ordonna aux Ariens de mettre par écrit leur croyance, il força Denys, évêque de Milan, et trente-trois autres évêques de souscrire à cette doctrine. Quand Eusèbe apprit cela, il se décida à quitter sa ville pour venir à Milan et il prédit qu'il v serait exposé à souffrir beaucoup *.

Comme il était sur le chemin de Milan, il arriva sur le bord d'un fleuve ; une barque, qui était sur la rive opposée, vint à lui, sur l’ordre qu'il lui, en. donna ; elle le transporta à l’autre rive, lui et ses compagnons, sans qu'il y eût aucun timonier. Alors Denys, dont il vient d'être question, alla à sa rencontre et se jeta à ses pieds pour lui demander pardon. Or, comme Eusèbe ne se laissait fléchir ni par les menaces ni par les flatteries de l’empereur, il dit en présence de toute l’assemblée : «Vous avancez que le Fils est inférieur au Père ; comment se fait-il donc que vous  m’avez fait passer après mon fils et mon disciple? Or, le disciple n'est pas au-dessus du maître ni l’esclave plus que son seigneur, ni le fils au-dessus du père. » Frappés par cette raison, ils lai présentèrent l’écrit qu'ils avaient fait et que Denys avait signé. Et il dit : « Je ne souscrirai pas après mon

* Bréviaire romain.

P324  

fils sur lequel je l’emporte en autorité ; mais brûlez cet écrit, et faites-en un autre que je signerai, si vous le voulez. » Et ce fut par une inspiration divine que fut brûlé l’écrit que Denys et, trente-trois autres évêques avaient signé. Les Ariens écrivirent donc une autre pièce, et la donnèrent à Eusèbe et aux autres évêques pour la signer : mais sur les exhortations d'Eusèbe ils s'y refusèrent entièrement, et ils se félicitèrent de ce que la première pièce qu'ils avaient été forcés de souscrire eût été totalement brûlée. Constance irrité abandonna Eusèbe au bon plaisir des Ariens. Alors ceux-ci le saisirent au milieu des évêques, l’accablèrent de coups, et le traînèrent sur les degrés du palais, du haut en bas, et depuis le bas jusqu'en haut. Quoiqu'il perdît beaucoup de sang de sa tête meurtrie, il n'en persista pas moins dans ses refus; alors, ils lui lièrent les mains derrière le dos et le tirèrent par une corde attachée au cou. Quant à lui, il rendait grâces à Dieu, et disant qu'il était prêt à mourir pour confesser la foi catholique. Alors Constance fit conduire en exil le pape Libère, Denys, Paulin et tous les autres évêques qui avaient été entraînés par l’exemple d'Eusèbe. Scylopolis, ville de la Palestine, fut le lieu où les Ariens menèrent Eusèbe : ils le renfermèrent dans une pièce si étroite qu'elle était plus courte que. sa taille, et. plus- resserrée que son corps, en. sorte qu'il était courbé au point de ne pouvoir ni étendre les pieds, ni se tourner d'un côte ou d'un autre. Sa tête restait baissée; et il pouvait seulement remuer les épaules et les bras.

P325

Mais Constance étant mort, Julien, son successeur, désirant plaire à tout le monde, fit rappeler les évêques exilés, rouvrir les temples des dieux, et voulut que chacun jouit de la paix sous la loi qu'il préférait choisir. Ce fut ainsi que Eusèbe, délivré de son cachot, vint trouver Athanase et lui exposer toutes les souffrances qu'il avait endurées: A la mort de Julien et sous l’empire de Jovinien, les Ariens restant calmes, Eusèbe revint à Verceil où le peuple le reçut avec dès témoignages d'une vive allégresse. Mais sous le règne de Valens, les Ariens, qui s'étaient multipliés de nouveau, entourèrent la maison d'Eusèbe, l’en arrachèrent et après l’avoir traîné sur le dos, ils,l’écrasèrent sous des pierres.

I1 mourut de cette manière dans le Seigneur et fut enseveli dans l’église qu'il avait construite. On rapporte encore que Eusèbe obtint de Dieu par ses prières pour sa ville qu'aucun Arien n'y pourrait vivre. D'après la chronique, il Vécut au moins 88 ans. Il florissant vers l’an du Seigneur 350.


(110) LES SAINTS MACCHABÉES

Les Macchabées furent sept frères, qui, avec; leur révérende mère et leur père Eléazar, n'ayant pas voulu, par respect pour la loi, manger de la viande de pourceau, souffrirent des supplices inouïs, dont on peut trouver un plus ample récit au IIe livre des Macchabées.

P326

Il faut remarquer que l’Eglise d'Orient célèbre la fête des saints de l’un et de l’autre Testament, tandis que l’église d'Occident ne fait pas la fête des saints de l’Ancien, par la raison qu'ils sont descendus aux enfers. Il faut en excepter , les Innocents, parce que J.-C. a été tué dans chacun d'eux, et les Macchabées.

Il y a quatre raisons pour lesquelles 1'Eglise fait la mémoire solennelle de ces derniers, bien qu'ils fussent descendus aux enfers:

La première est qu'ils ont la prérogative du martyre. Ayant en effet enduré des supplices inouïs parmi les saints de l’Ancien Testament, il était juste qu'on célébrât la mémoire de leur martyre. Cette raison est donnée dans l'Histoire scholastique.

La deuxième est pour rappeler un mystère. Le nombre septennaire est le nombre Universel *. Dans les Macchabées sont représentés tous les pères de d'Ancien Testament qui sont dignes de réputation. En effet, bien que l'Eglise ne célèbre pas leur fête, tant parce qu'ils sont descendus dans les limbes, que parce qu'il est survenu une multitude de nouveaux saints, cependant, dans ces sept martyrs, elle montre le respect qu'elle a pour tous les autres, puisque ce nombre sept, ainsi qu'il vient d'être dit, est un nombre universel et général.

La troisième est pour offrir un exemple dans les tribulations. On les propose comme un modèle aux fidèles, afin que la constance de ces saints les anime de zèle pour la foi, et les porte à souffrir pour la foi de l’Évangile, comme les Macchabées ont valeureusement combattu pour la loi de Moïse.

* Voici ce que,dit saint Augustin au sujet du nombre septennaire (Cité de Dieu, lib. II, ch. XXXI). On pourrait s'étendre. beaucoup sur la perfection du nombre septennaire... Le premier nombre tout impair est trois, et le premier tout pair est quatre; la somme des deux forme le nombre sept, qui est souvent pris pour la généralité des nombres.

P327

La quatrième est tirée du motif de leur martyre; car ce fut pour la défense de leur loi qu'ils endurèrent de pareils supplices, comme c'est pour la défense de la loi évangélique que souffrent les chrétiens. Ces trois; dernières raisons sont celles que Me Jean Beleth assigne dans sa Somme des offices, chapitre V.


(111) SAINT PIERRE AUX LIENS

La fête qui est appelée de saint Pierre aux Liens fut, dit-on, instituée pour quatre raisons : 1° la délivrance de saint Pierre ; 2° la délivrance d'Alexandre ; 3° pour rappeler la destruction du rite des gentils et 4° pour demander d'être délivré des liens spirituels.

I. La délivrance de saint Pierre. D'après l’Histoire scholastique **, Hérode Agrippa alla à Rome où il vécut dans l’intimité de Caius, neveu de Tibère César. Or, un jour, Hérode étant avec Caius sur un char, dit en levant les mains au ciel : « Quel désir j'aurais de voir mourir ce vieillard, pour que tu sois le maître de tout l’univers! » Paroles qui furent entendues du cocher d'Hérode et rapportées tout aussitôt par lui à Tibère.

* Sur l’authenticité des chaînes de saint Pierre, conservées à Rome dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens, consulter Cancellieri, dans son ouvrage intitulé: De carcere Tulliano,
oie sont consignés tous les témoignages sur lesquels repose cette tradition.
** Actes, ch. LVII.

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Tibère indigné fit en conséquence jeter Hérode en prison. Et un jour qu'il était appuyé contre un arbre sur le feuillage duquel était perché un hibou, un de ses compagnons de captivité, habile dans la science des augures, lui dit : « Ne crains rien car bientôt tu seras délivré, et tu seras élevé si haut que, tu exciteras contre toi l’envie de tes amis et tu mourras dans cet état de prospérité. Mais quand tu verras au-dessus de toi un animal de cette espèce, tu sauras dès lors qu'il ne te reste que cinq jours à vivre*. »

Quelque temps après Tibère meurt et Caius, élevé à l’empire, délivra Hérode qu'il honora de la dignité de roi de Judée. Quand celui-ci fut arrivé dans ce pays, il employa son pouvoir à maltraiter quelques membres de l’Église. D'abord il  fit mourir par l’épée Jacques, frère de Jean, avant les jours de l’octave de Pâques, où I'on ne mangeait que des pains azymes. Et voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit encore prendre Pierre, dans le même temps, et le mit en prison, avec le dessein de le faire mourir devant tout le peuple, après la fête de Pâques. Mais l’ange du Seigneur apparut miraculeusement à Pierre, le délivra des chaînes qui le liaient et lui ordonna d'aller remplir en toute liberté le ministère de la prédication: Le lendemain, à l’occasion de l’évasion de saint Pierre, Hérode manda les gardes afin de les punir rigoureusement. Il ne pût cependant le faire, car la délivrance de cet apôtre ne devait être pour qui que ce fut, la cause d'aucun mal .

* Histoire scholastique.

P329

En effet, il fut obligé d'aller tout de suite à Césarée, où il expira, sous le coup d'un Josèphe rapporté au XIXe livre des Antiquités Judaïques, ch. VIII, qu'arrivé à Césarée, où s'étaient réunis les habitants de toute la province, Hérode, revêtu d'un habillement magnifique, tissu d'or et d'argent, se rendit le lendemain au théâtre.

Or, quand les rayons du soleil vinrent frapper sur son vêtement tout couvert d'argent, l’éclat du métal étincelant faisait vibrer, par la répercussion, sur les spectateurs, une double lumière qui devait remplir d'effroi ceux qui l’apercevaient, et par le moyen de cette artificieuse: erreur, on était porté à croire qu'il y avait en lui quelque chose au-dessus de la nature humaine. A l’instant, la foule des  flatteurs se mit à s'écrier : « Jusqu'à présent, nous vous avions pris pour un homme, mais aujourd'hui nous déclarons que vous êtes au-dessus de la nature humaine. » Or, tandis qu'il ose repaissait de ces flatteries, et qu'il acceptait sérieusement les honneurs divins qu'on lui voulait rendre, il leva la tête et vit assis sur une ficelle, au-dessus de sa tête un ange, c'est-à-dire un hibou, qui n'était que le messager de sa mort prochaine. Alors il se tourna vers le peuple et dit : « Moi, qui suis votre Dieu, voici que je vais mourir. » Car il savait, d'après la prédiction de l’augure, qu'il mourrait dans cinq jours. Alors il fut frappé, et pendant ces cinq jours, il fut rongé par les vers et expira.

Ce fut donc en mémoire de la délivrance, si miraculeuse du prince des apôtres, et de la vengeance si terrible qui fut infligée immédiatement à ce tyran, que l’Église solennise la fête de saint Pierre aux Liens. De là vient qu'à la messe on chante l’épître où se trouve le récit de cette délivrance ; il paraîtrait donc par là que l’on devrait donner à cette fête le nom de saint Pierre des Liens (c'est-à-dire délivré des liens).

P330

Venons au second motif de l’institution de cette fête.

II. Le pape, Alexandre qui gouverna l’Église, le sixième après saint Pierre, et Hermès, préfet de la ville de Rome, converti à la foi par Alexandre, étaient détenus par le tribun Quirinus qui les enfermait en des lieux différents  : or, le tribun dit au préfet Hermès : « Je  m’étonne qu'un homme, prudent comme toi, renonce à l’honneur d'être préfet et rêve une autre vie. » Hermès lui, répondit :
« Et moi aussi, il y a quelques années, je me moquais de tout cela, et pensais que cette vie est la seule.», Quirinus lui dit : « Prouve-moi que tu es sûr d'une autre vie et à l’instant, je serai un disciple de ta croyance. »
Hermès lui répondit : « Saint Alexandre, que tu retiens en prison, t'enseignera cela lui-même beaucoup mieux. » Alors Quirinus se mit à maudire Hermès et il ajouta : Je viens de te dire que tu me donnes des preuves de ce que tu avances, et voici que tu me renvoies à Alexandre que je retiens en prison à cause de ses crimes. Pourtant, je doublerai le nombre de tes gardes et de ceux d'Alexandre, et si je puis le trouver avec toi ou bien toi avec lui; alors j'ajouterai, certainement foi aux paroles et aux discours que vous me tiendrez l’un et l’autre. »

Il fit ce qu'il avait dit: or, Hermès en prévint incontinent Alexandre. Celui-ci se mit donc en prière; alors un ange. vint et le conduisit dans la prison. d'Hermès.

P331

Quand Quirinus les trouva ensemble, il fut singulièrement surpris. Et Hermès racontant à Quirinus comment Alexandre avait ressuscité son fils qui était mort, Quirinus dit à Alexandre : « Ma fille Balbine est goîtreuse, eh bien ! je te promets de me soumettre à ta croyance, si tu peux obtenir la guérison de ma fille. » « Va vite, lui répliqua Alexandre, et amène-la-moi dans ma prison. » Quirinus lui dit : « Puisque tu es ici, comment pourrai-je te trouver dans ta prison? » « Va vite, répartit Alexandre, parce que celui qui  m’a amené ici  m’y ramènera lui-même à l’instant. » Quirinus alla donc mener sa fille à la prison d'Alexandre, et en l’y trouvant, il se prosterna à ses pieds.
Alors, sa fille se mit à baiser avec dévotion les chaînes de saint Alexandre, afin qu'elle reçût guérison. Alexandre lui dit: « Ma fille, cesse d'embrasser mes chaînes, mais cherche avec empressement les carcans de saint Pierre et en les baisant avec dévotion, tu seras guérie.» Quirinus fit donc chercher avec soin les carcans dans la prison où saint Pierre avait été détenu, et quand il les eut trouvés, il les donna à baiser à sa fille. Elle ne l’eut pas plus tôt fait qu'elle eut le bonheur d'être entièrement guérie. Quirinus demanda pardon à Alexandre qu'il délivra de prison, puis il reçut le baptême lui, sa famille et beaucoup d'autres encore.

Saint Alexandre institua donc cette fête aux calendes d'août, et il fit bâtir en  l’honneur de saint Pierre une église, où il déposa les chaînes et la nomma l’église de Saint-Pierre-aux-Liens. En cette solennité, il se fait un grand concours de peuple à ladite église et on y baise ces chaînes.

P332

III. D'après Bède, telle serait la troisième cause de l’institution de cette fête. L'empereur Octave et Antoine, qui étaient unis ensemble par alliance, se partagèrent entre eux l’empire du monde entier; à Octave échut, dans l’Occident, l’Italie, la Gaule et l’Espagne, et Antoine, en Orient, en l’Asie, le Pont et l’Afrique. Or, Antoine qui était lascif et débauché, après avoir épousé la soeur d'Octave, la répudia, pour épouser Cléopâtre, reine d'Égypte. Octave indigné de cette conduite, s'avança à main armée contre Antoine en Asie et le défit partout. Alors Antoine et Cléopâtre, vaincus, prirent la fuite, et poussés par le chagrin, ils se donnèrent la mort eux-mêmes.

Octave abolit donc le royaume d'Égypte-et en fit une province romaine. De là il alla à Alexandrie : il dépouilla cette ville de toutes ses richesses et les fit transporter à Rome ; ce qui apporta un tel bien-être dans la république que l’on donnait pour un denier ce qui en valait quatre auparavant. Et parce que les guerres civiles avaient dévasté extraordinairement la ville, il la renouvela au point qu'il dit: « Je l’ai trouvée de briques, je la laisse de marbre.» Il agrandit tellement la république que ce fut le premier qui fut appelé Auguste, nom que retinrent ses successeurs à l’empire; comme ce fut encore de son oncle Jules-César que les empereurs furent nommés César.

Le peuple appela aussi de son nom le mois d'août, qui, auparavant se nommait Sextilis, car c'était le sixième mois depuis celui de mars. Ce fut donc en mémoire et en l’honneur de la victoire qu’Auguste remporta le premier août que tous les Romains solennisaient ce jour, jusqu'à l’époque de l’empereur Théodose qui commença à régner l’an du Seigneur 426.

P333

Eudoxie, fille de ce Théodose et épouse de Valentinien, se rendit à Jérusalem pour accomplir un voeu. Ce fut là qu'un Juif lui offrit, pour une somme importante, les deux chaînes dont saint Pierre avait été lié sous Hérode. Revenue à Rome aux calendes d'août, et voyant le Romains célébrer une fête en l’honneur d'un empereur qui était idolâtre, elle fut affligée de ce qu'on rendait de si grands honneurs à un homme damné : elle reconnut qu'il ne serait pas facile d'abolir cette espèce de culte passé en coutume; alors elle pensa à laisser subsister cet état de choses, mais dans le but que. la solennité aurait lieu en l’honneur de saint Pierre, et que tout le peuple nommerait ce jour la fête de saint. Pierre aux Liens. Après en avoir conféré avec le saint pape Pélage, ils unirent leurs efforts pour porter le peuple, par des exhortations flatteuses, à laisser dans l’oubli la mémoire du prince des païens, pour faire une mémoire solennelle du prince des apôtres.

La proposition ayant, obtenu l’assentiment universel, Eudoxie fit connaître qu'elle avait rapporté de Jérusalem les chaînes de saint Pierre et les montra au peuple. Le pape, de son côté, produisit la chaîne dont le même apôtre avait été lié sous Néron. On les mit ensemble et alors eut lieu ce miracle par lequel de ces trois chaînes, il s'en forma une seule, comme si elle n'eût pas été composée de différentes pièces*. En même temps, le pape, et la reine décidèrent que l’honneur rendu à un païen, qui était damné, serait attribué à plus juste titre au prince des apôtres.

* Bréviaire romain.

P334

Le pape donc avec la reine plaça les chaînés dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens. Il l’enrichit de grands privilèges et institua que ce jour serait fêté en tous lieux. Voilà ce que dit Bède. Sigebert rapporte la même chose *. On vit en l’an du Seigneur 969 combien grande était la puissance de cette chaîne car un comte, proche parent de l’empereur Othon; fut saisi, aux yeux de tout le monde, par le diable d'une façon si cruelle, qu'il se déchirait avec les dents. L'empereur ordonna alors qu'on le menât au pape Jean, afin de lui entourer le cou avec la chaîne de saint Pierre. On lui mit d'abord au cou une autre chaîne qui ne délivra pas le possédé, car il n'y avait en elle aucune vertu ; enfin on prend la chaîne de saint Pierre et on la met au cou du furieux : mais le diable ne put supporter le poids d'une si grande puissance, et se retira aussitôt en jetant un cri affreux eu, présence de tous les assistants**. Alors. Théodose, évêque de Metz, se. saisit de la chaîne et assura qu'il ne la lâcherait qu'autant qu'on lui couperait les mains. Comme il s'élevait à ce sujet une grave contestation entre l’évêque, et le pape avec les autres clercs, l’empereur vint a bout d'apaiser le débat: en demandant au pape un anneau de cette chaîne pour l’évêque***.

Miletus raconte en sa  chronique et le même fait se trouve rapporté dans l'Histoire tripartite. ****, qu'en ce temps là, apparut en Épire un dragon énorme que Donat, évêque d'une haute vertu tua en lui crachant dans la gueule : mais auparavant, le prélat avait fait avec les doigts une forme de croix qu'il présenta aux yeux du monstre. Huit paires de boeufs purent à peine traîner le cadavre pour être brûlé; car on craignait que l’air se fût infesté par sa putréfaction.

* Paul, diacre, fait aussi le même récit dans une homélie.
** Bréviaire romain.
*** Sigebert, Chronique.
**** Lib. IX, C. XLVI.

P335

Le même auteur, rapporte au même endroit et on trouve aussi dans l’Histoire tripartite que le diable se montra dans la Crète sous la figure de Moïse: Il rassembla de tous Cités les Juifs qu'il conduisit vers un précipice affreux auprès de la mer. Il leur promit qu'en se mettant à leur tête, il allait les conduire à pied sec dans la terre promise, et en fit périr un nombre infini. D'où l’on conjecture que le diable indigné se vengea ainsi d'eux, parce que le Juif avait donné la chaîne de saint Pierre à l’impératrice Eudoxie, et que les réjouissances faites en l’honneur d'Octave avaient été abolies. Bon nombre de ceux qui échappèrent reçurent avec empressement la grâce du baptême. Car comme ils roulaient les uns sur les autres du haut en bas de la montagne, les premiers, déchirés sur les rochers à pic, furent suffoqués en tombant dans la mer; quant aux autres qui voulaient les suivre, dans l’ignorance de ce qui était arrivé aux premiers, des pêcheurs passant par là leur apprirent l’accident qui avait fait périr leurs frères, et alors ils se convertirent. Ces faits sont tirés de l’Histoire tripartite.

P336

IV. On peut encore assigner ici une quatrième cause de l’institution de cette fête. Le Seigneur délia miraculeusement saint Pierre de ses liens, et lui donna le pouvoir de lier et de délier: or, nous aussi nous sommes mes retenus dans les liens du péché et nous avons. besoin d'être déliés. C'est la raison pour laquelle nous honorons le prince des Apôtres en cette solennité qui est dite aux liens, afin que comme il a mérité d'être délié de ses chaînes, et comme il a reçu du Seigneur le pouvoir de délier, de même aussi il nous délie des chaînes du péché. On peut se convaincre que ce fut là une raison de l’institution de cette fête pour peu qu'on remarque que l’épître de la messe rappelle cette délivrance, et que l’Évangile qu'on récite fait mémoire du pouvoir accordé à saint Pierre de délier et d'absoudre. En outre, dans l’oraison de la messe, on demande, par l’intercession de cet apôtre, que cette absolution nous soit accordée. Par ce pouvoir des clefs qu'il reçut, on voit qu'il délivre quelquefois ceux qui mériteraient d'être damnés, ainsi que le rapporte le livre des Miracles de la sainte Vierge.

« Dans la ville de Cologne, il y avait, au monastère de saint Pierre, un moine léger, débauché et lascif. Une mort subite le surprit, et les démons l’accusaient en faisant connaître ouvertement toutes les espèces de péchés qu'il avait commis.

P337

Voici ce que l’un d'eux disait: « Je suis la cupidité, par laquelle tu as souvent convoité contre les commandements de Dieu. » Un autre criait : « Je suis la vaine gloire par laquelle tu t'es élevé avec jactance parmi les hommes. » Un autre : «Je suis le mensonge et tu as commis le péché de mentir. » Et ainsi des autres. D'un autre côté, quelques bonnes oeuvres qu'il avait faites l’excusaient en disant : « Je suis l’obéissance que tu as témoignée à tes supérieurs spirituels; je suis le chant des psaumes que tu as souvent chantés pour Dieu. »

Alors saint Pierre, dont il était le moine, vint trouver Dieu et intercéder pour lui Le Seigneur lui répondit : « Est-ce que ce n'est pas moi qui ai inspiré le prophète lorsqu'il a dit: « Seigneur, qui est-ce qui habitera dans votre tabernacle ? C'est « celui qui entre sans avoir de taches, etc. » Comment celui-ci peut-il être sauvé, puisqu'il n'est pas entré ici sans tache, puisqu'il n'a pas pratiqué la justice ? » Alors saint Pierre se mit à prier pour lui avec la vierge Mère, et le Seigneur porta cette sentence qu'il retournerait dans son corps et qu'il y ferait pénitence.

Aussitôt donc, saint Pierre avec la clef qu'il tenait à la main effraya le diable; et le mit en fuite. Il remit ensuite l’âme de cet homme dans la main de quelqu'un qui avait été moine dans le susdit monastère, avec l’ordre de la reconduire à son corps. Le moine lui demanda comme récompense de ce qu'il ramenait son âme; de réciter chaque jour le psaume Miserere mei, Deus; et de nettoyer souvent son tombeau des ordures qui s'y trouvaient. Or, le moine, revenu à la vie, raconta à tout le monde ce qui lui était arrivé.


(112) SAINT ÉTIENNE, PAPE

Saint Étienne, pape, après avoir converti beaucoup de gentils par ses discours et par -ses exemples, et avoir donné la sépulture à beaucoup de corps de martyrs, fut recherché avec grand soin par Valérien et Gallien, l’an du Seigneur 260, afin qu'on le forçât lui et les clercs ou de sacrifier aux idoles, ou, dans. le cas contraire, à être puni par divers supplices.

* Bréviaire romain.

P338

Il y eut un édit de rendu par lequel il était déclaré que celui qui les livrerait jouirait de toute leur fortune. En conséquence, dix de ses clercs furent pris et décapités sans forme de procès. Le lendemain on se saisit,d'Etienne, il fut mené au temple de Mars, ou pour y adorer l’idole, ou pour y subir, la sentence capitale. Mais quand il fut entré; et qu'il eut prié Dieu de détruire ce temple, à l’instant il s'en écroula une grande partie; toute la multitude s'enfuit alors pleine d'effroi. Quant à Étienne, il se retira au cimetière de sainte Lucie. Lorsque Valérien l’eut appris, il envoya vers lui des soldats en plus grand nombre qu'il ne l’avait fait. En arrivant, ils le trouvèrent célébrant la messe : Il les attendit sans trouble, acheva avec dévotion les saints mystères ; après quoi ils le décapitèrent sur son siège.


(113) L'INVENTION DE SAINT ÉTIENNE, PREMIER MARTYR

L'invention du corps du premier martyr saint Étienne est rapportée: à l’année 447, la septième du règne d'Honorius. On distingué son invention, sa translation et sa réunion.

* Cf. la relation de cette invention au septième tome dés Oeuvres de saint Augustin. Appendice.

P339

Son invention eut lieu comme il suit *: Un prêtre du territoire de Jérusalem, appelé Lucien, cité par Gennade (ch. XLVI) au nombre des hommes illustrés, écrit lui-même qu'un vendredi, comme il reposait à moitié endormi dans son lit, lui apparut un vieillard, haut  de taille, beau de visage, avec une longue barbe, revêtu d'un manteau blanc semé de petites pierres précieuses enchâssées dans l’or en formé de croix, portant une chaussure recouverte d'or à la surface. Il tenait à la main une baguette d'or dont il toucha Lucien en disant: « Hâte-toi de découvrir nos tombeaux, car nous avons été renfermés dans un endroit fort indécent. Va dire à Jean, évêque de Jérusalem; qu'il nous place dans un lieu honorable; car, puisque la sécheresse et la tribulation désolent la terre, Dieu, touché de nos prières a décidé de pardonner au monde. » Le prêtre Lucien lui dit : « Seigneur qui êtes-vous ? » 
« Je suis, dit-il, Gamaliel qui ai nourri saint Paul; et qui lui ai enseigné la loi à mes pieds. A mon côté repose saint Étienne, qui a été lapidé par les Juifs, hors de la ville, afin que son corps fut dévoré par les bêtes féroces et les oiseaux. Mais celui. pour la foi duquel ce saint martyr a versé son sang ne l’a pas permis; je l’ai recueilli alors avec grand respect et l’ai enseveli dans un tombeau neuf que j'avais fait creuser pour moi. L'autre qui est avec moi, c'est Nicodème, mon neveu; qui alla une nuit. trouver Jésus, et reçut le baptême sacré des mains de saint Pierre et de saint Jean. Les princes des prêtres; indignés de son action l’auraient tué, si les égards qu'ils avaient pour nous ne les eussent retenus.

* Bréviaire romain.

P340

Cependant ils lui ravirent tous ses biens le dépouillèrent de sa principauté du sacerdoce et le laissèrent, à demi mort des coups dont ils l’accablèrent. Alors je le menai dans ma maison où il survécut quelques jours et quand il fut mort, je le fis ensevelir; aux pieds de saint Étienne. Il y en a encore un troisième avec moi ; c'est Abibas, mon propre fils, qui, à l’âge de 20 ans, reçut le baptême en même temps que moi, il vécut dans la virginité, et se livra à l’étude de la loi avec Paul, mon disciple. Quant à ma, femme Athéa et à mon fils Sélémias qui ne voulurent pas croire en J.-C. ils n'ont pas été dignes de partager notre sépulture; mais vous les trouverez ensevelis autre part, et leurs tombeaux sont vides et nus. » A ces mots, Gamaliel disparut.

Alors Lucien s'éveillant pria le Seigneur que si cette vision avait un fondement de vérité, elle se renouvelât une seconde et une troisième fois. Or, le vendredi suivant, Gamaliel lui apparut comme la première fois, et lui demanda pourquoi il avait négligé de faire ce qu'il lui avait recommandé: « Non, seigneur, répondit-il, je ne l’ai pas négligé, mais j'ai prié le Seigneur que si cette vision venait de Dieu, elle se renouvelât  trois fois. » Et Gamaliel lui dit: : « Puisque vous avez réfléchi à quel signe, si vous nous trouviez, vous pourriez distinguer les reliques de chacun en particulier, je vais, vous donner un emblème au moyen duquel vous reconnaîtrez nos cercueils et nos reliques. »

P341

Et il lui montra trois corbeilles d'or et une quatrième d'argent, dont l’une était pleine de roses rouges et deux autres de roses blanches. Il lui montra aussi la quatrième pleine de safran. Alors Gamaliel ajouta : Ces corbeilles sont nos cercueils et ces rasés sont nos reliques. La corbeille pleine de roses rouges est le cercueil de saint Étienne qui, seul d'entre nous, a mérité la couronne du martyre; les deux autres pleines de roses blanches sont les cercueils de Nicodème et de moi, comme ayant persévéré d'un coeur sincère dans la confession de J.-C. Pour la quatrième d'argent qui est pleine de safran, c'est le cercueil d'Abibas, mon fils, dont la virginité fut éclatante et qui sortit pur de ce monde. »

Ayant dit ces paroles, il disparut de nouveau. Le vendredi de la semaine suivante, Gamaliel lui apparut avec un visage irrité et le réprimanda gravement de ses délais et de sa négligence. Aussitôt Lucien alla à Jérusalem et raconta à l’évêque Jean l’ensemble de tout ce qu'il, avait vu. On fit, venir d'autres évêques et on se dirigea vers l’endroit indiqué à Lucien ; et dès qu'on se fut mis en train de fouiller, la terre trembla et l’on ressentit une odeur très suave, dont l’admirable parfum guérit, par les mérites des saints, soixante et dix hommes affligés de diverses maladies. Or, ce fut ainsi que l’on porta en l’église de Sion de Jérusalem, et où saints Etienne avait exercé ses fonctions d'archidiacre; les reliques de ces saints au milieu de la joie publique, et qu'on les ensevelit avec les plus grands honneurs. A cette heure-là même, il tomba une grande pluie.

P342

Bède, en sa chronique, fait mention de cette vision et de cette invention.
Cette invention de saint Étienne eut lieu le jour même qu'on célèbre son martyre et l’on dit que ce martyre arriva aujourd'hui. Mais ces fêtes furent chantées de jour par l’Eglise, pour deux motifs.

Le premier, parce que J.-C. naquit ici-bas, afin que l’homme naquit au. ciel. Or, il était convenable que la nativité de J.-C. fût suivie du natalice de saint Étienne qui le premier souffrit le martyre pour J.-C., ce qui n'est autre chose que, naître au ciel, afin de montrer par là que l’un était la conséquence de l’autre : aussi c'est la raison pour laquelle l’Église chante dans l’office de ce jour *: «Hier le Christ est né sur la terre, afin qu'aujourd'hui Étienne naquît dans le ciel. »

Le, second motif est que le jour de l’Invention se fêtait plus solennellement que celui de son martyre, et cela par respect pour le jour de Noël, et à cause des miracles nombreux que le Seigneur opéra lors de l’Invention, Mais parce que le martyre l’emporte sur l’Invention, et qui doit être célébré plus solennellement, c'est pour, cela que l’Eglise a transféré la fête du martyre à cette époque où l’on pourrait lui rendre de plus grands honneurs.

Saint Augustin rapporte que sa translation eut lieu comme il suit. Alexandre, sénateur de Constantinople, alla avec sa femme, à Jérusalem et fit construire un oratoire magnifique en l’honneur de saint Étienne, premier martyr ; il voulut y être enterré auprès du corps de ce saint. Sept ans après sa mort, Julienne, sa femme, ayant résolu de revenir dans sa patrie à cause de certaines injures qu'elle endurait des princes, voulut remporter le corps de son mari; Après bien des instances auprès de l’évêque, celui-ci lui montrai deux cercueils d'argent et lui dit : «Je ne sais quel est celui de votre mari. » « Je le sais, répondit-elle. » Et elle se jeta pour l’embrasser, mais elle embrassa le corps de saint Étienne, qu'elle prit pour celui de son mari.

* Leçons du 2ème nocturne.

P343

Lorsqu'elle se fut embarquée avec le corps, les anges font entendre des cantiques, une odeur suave se répand, les démons crient et suscitent une tempête  affreuse en disant : «Malheur à nous, car le premier martyr Étienne passe et nous fait endurer un feu cruel! » Or, comme les matelots craignaient un naufrage, on invoqua saint Étienne qui apparut et dit : « C'est moi, ne craignez point. » A l’instant, un grand calmé s'ensuivit. Alors on entendit les voix des démons qui criaient: «Prince impie, monte sur ce vaisseau, parce que notre adversaire Étienne y est.» Alors le prince des démons envoyai cinq démons pour mettre le feu au vaisseau; mais l’ange du Seigneur les engloutit au fond de la mer. Quand on fut arrivé à Chalcédoine les démons se mirent à crier : « Il arrive le serviteur de Dieu, qui a été lapidé par les méchants Juifs. » On arriva sain et sauf à Constantinople, et on ensevelit avec grand respect le corps de saint Etienne dans une église. (Saint Augustin.) *

— La réunion du corps de saint Étienne avec celui .de saint Laurent se fit comme il suit : Eudoxie, fille de l’empereur,Théodose, fut cruellement tourmentée par le démon. Or, ce malheur fut annoncé à son père comme il était à Constantinople, et il s'y fit amener sa fille, afin qu'on la touchât aux reliques du très saint Étienne, premier martyr. Mais le démon criait en elle : « Si Étienne ne vient à Rome, je ne sortirai pas, car telle est la volonté de l’apôtre. »

* Martyrologe romain; au 7 mai.

P344

Quand l’empereur apprit cela, il obtint du clergé et du peuple de C. P. qu'ils donneraient aux Romains le corps de saint Étienne et qu'ils recevraient eux-mêmes le corps de saint Laurent. Alors l’empereur écrivit à ce sujet au pape Pélage, qui, de l’avis des cardinaux, consentit à la demande de l'empereur. On envoya donc des cardinaux à C. P. pour y porter le corps de saint Étienne, et des Grecs vinrent à Rome pour recevoir celui de saint Laurent. Le corps de saint Étienne arriva à Capoue, et sur  les pieuses prières des Capouans, on leur donna le bras droit du saint en l’honneur, duquel on bâtit l’église métropolitaine. Quand on, fut arrivé à Rome, et qu'on voulut porter le saint corps à l’église de Saint-Pierre-aux-liens, les porteurs s'arrêtent et ne peuvent avancer plus loin ; alors le démon se mit à crier dans la jeune fille : «Vous avez beau faire, ce n'est pas là, mais c'est auprès de son frère Laurent qu'il a choisi sa placé. » On y porta donc le corps ; et quand Eudoxie l’eut touché, elle fut délivrée du démon. Mais saint Laurent, comme s'il se fut félicité de l’arrivée de son frère, lui sourit et se retira de l’autre côté du tombeau dont il laissa le milieu vide pour faire place à son frère. Quand les Grecs se furent approchés pour emporter saint Laurent, ils tombèrent par terre comme s'ils eussent été privés de vie : alors le pape, le clergé et le peuple prièrent pour eux, et ce ne fut qu'à peine si le soir, ils revinrent à eux-mêmes, tous cependant moururent dans les dix jours suivants. Les Latins eux mêmes, qui avaient consenti à cela, tombèrent en frénésie et ne purent être guéris qu'après que les corps des saints eussent été ensevelis ensemble.

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Alors cette voix du ciel se fit entendre : « O bienheureuse Rome, qui possèdes, dans un même mausolée, ces précieux restes, les corps de saint Laurent l’Espagnol, et de saint Étienne de Jérusalem. » Cette réunion se fit aux nones de mai, vers l’an du Seigneur 425.

Saint Augustin, au livre XXII de la Cité de Dieu, rapporte la résurrection de six morts due à l’invocation de saint. Étienne. C'est d'abord un homme gisant mort, on lui avait déjà, lié les pouces : on invoque sur lui le nom de saint Étienne, et à l’instant il ressuscite. C'est encore un enfant écrasé par un char : sa mère le porte à l’église de saint Étienne et elle le reçoit vivant et sans trace de blessure. C'est une religieuse qui étant à l’extrémité avait été portée à l’église de saint Étienne; elle y rendit le dernier soupir; et voici qu'aux yeux de tout le monde effrayé; elle ressuscite guérie. A Nippone,: c'est une jeune fille dont le père avait apporté la robe à l’église de saint Étienne ; quelques instants après il jette cette robe sur le corps de cette jeune fille qui était morte; et tout à coup elle est rendue à la vie. C'est un jeune homme, dont le corps, après avoir été oint dans de l’huile de saint Étienne, ressuscite aussitôt. C’est un enfant qui fut porté mort à l’église de saint Étienne et quand on,.eut invoqué le saint, à l’instant il est rendu à la vie. Voici comment s'exprime saint Augustin au sujet de ce saint: « Gamaliel, à la brillante étole, révéla le corps de ce martyr;  Saul converti le loua, J.-C. enveloppé de langes l’enrichit et lui mit une couronne de pierres précieuses. »

P346  

Il dit ailleurs : « Dans Étienne brilla la beauté du corps, la fleur de l’âge, l’éloquence de l’orateur, la sagesse éclatante de l’esprit et l’opération divine. » Il dit encore : « Cet homme de Dieu fort comme une colonne, alors qu'il était retenu comme avec des tenailles au milieu de ceux qui le lapidaient de leurs mains, était fortifié par la foi; et brûlait pour elle; on le frappait et il s'élevait ; on l’étreignait, et il grandissait ; on le meurtrissait et ne se laissait pas vaincre. » Sur ces paroles Dura cervice (Actes) : « Il ne flatte pas, mais il invective; il ne touche pas, il provoque ; il ne tremble pas, mais il excite », c'est encore saint Augustin qui élit : «Considérez saint Étienne serviteur de Dieu au même titre que vous : c'était un homme comme vous : il était de la race des pécheurs comme vous ; il fut racheté au même prix que vous ; et quand il fut diacre et qu'il lisait l’Évangile, le même que vous lisez ou que vous écoutez il y trouva, ces mots : « Aimez vos ennemis » maxime que l’étude lui apprit et que l’obéissance lui fit pratiquer. »


(114) SAINT DOMINIQUE*

P347

Dominique signifie gardien du Seigneur, ou bien gardé par le Seigneur. Ou bien il s'appelle, Dominique; selon l’étymologie naturelle de ce nom qui est dominus, seigneur. Or, il est, appelé gardien du Seigneur, en trois manières : il fut gardien de l’honneur du Seigneur, et ceci regarde Dieu, il fut le gardien de la vigne, ou du peuple du Seigneur et cela regarde le prochain; et il fut le gardien de la volonté du Seigneur, ou des préceptes du Seigneur, ce qui le regarde lui-même. En second lieu, il est appelé Dominique, c'est-à-dire gardé par le Seigneur, car le Seigneur le garda dans les trois états où il vécut. D'abord laïc, en second lieu, chanoine régulier; et en troisième lieu, homme apostolique : car dans le premier état, il fut gardé de Dieu qui le fit commencer de manière à mériter des louanges ; dans le second, il le fit avancer dans la ferveur, et dans le troisième, il le fit atteindre à la perfection. En troisième lieu, Dominique vient de Dominus, selon l’étymologie naturelle. Or, Dominus, signifie qui donne des menaces, ou qui donne moins, on qui donne avec munificence. De même saint Dominique donna, c'est-à-dire, pardonna les menaces en ne tenant pas compte, des injures qu'on lui adressait ; il donna moins, en se macérant le corps, parce qu'il donna toujours à son corps moins que le nécessaire. Il donna avec munificence, en engageant sa liberté, car non seulement il donna tous ses biens aux pauvres, mais encore il voulut se vendre lui-même plusieurs fois.

* La vie de saint Dominique est rapportée ici telle que l’ont écrite cinq auteurs contemporains. Ce sont Thierry d'Apolda, Constantin, évêque d'Orvietto, Barthélemi, évêque de Trente, le père Humbert, etc. Le père Mamachi a réuni dans le livre des Annales de son ordre les preuves des miracles racontés en cette légende.

Dominique, chef et fondateur illustre de l’ordre des Frères-Prêcheurs, naquit en Espagne, dans la ville de Calaruega, au diocèse d'Osma. Son père se nommait Félix et sa mère Jeanne. Avant sa naissance sa mère vit en songe, qu'elle portait dans son sein: un petit chien tenant dans sa gueule une torche allumée avec laquelle il embrasait tout l’univers. Quand elle l’eut mis au monde, une dame qui l’avait levé des fonts sacrés du baptême crut voir sur le front du petit Dominique une étoile très brillante qui éclairait toute la terre.

P348

Tout petit enfant et confié aux soins d'une nourrice, on le surprit souvent quitter son lit et se coucher sur la terre nue. Envoyé à Palerme pour faire ses études, par amour de la science qu'il devait acquérir, il ne goûta pas de vin pendant dix ans. Une famine affreuse ravageant le pays, il vendit ses livres ainsi que ses meubles et en donna l’argent aux pauvres. Sa renommée était déjà grande, quand l’évêque d'Osma le fit chanoine régulier dans son, église, et peu de temps après, devenu miroir de vie pour tous ses confrères le nommèrent sous-prieur. Or, le jour et la nuit, il vaquait à la lecture et à l’oraison, priant assidûment le Seigneur de daigner lui donner la grâce de s'employer, tout entier au salut du prochain. Il lisait avec le plus grand zèle les conférences des Pères, et atteignit par là au comble d'une haute perfection. En allant à Toulouse avec son évêque, il trouva son hôte infecté du poison de l’hérésie, et il le convertit à la. foi de J.-C. Ce fut, pour ainsi dire, la première gerbe de la moisson qu'il présenta au Seigneur.

On lit dans les Gestes du comte de Montfort *, qu'une fois saint Dominique, ayant prêché contre les hérétiques, mit par écrit le texte des autorités qu'il avait exposées, et donna ce papier à l’un d'eux afin qu'il pût examiner les objections. Or, cette nuit-là, les hérétiques s'étant réunis auprès du feu, cet homme leur montra le papier qu'il avait reçu. Ses compagnons lui dirent de le jeter au feu, que s'il arrivait qu'il brûlât, leur créance, Ou plutôt leur perfidie serait véritable, et que si le feu l’épargnait, ils proclameraient que la foi de l’Eglise romaine est vraie. Le papier est donc jeté au feu; quand il fut resté quelques moments sur le brasier, il en rejaillit de suite sans avoir été brûlé.

* Pierre de Vaux-Cernay, c. VII ; — Thierry d'Apolda.

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Au milieu de la surprise causée par ce prodige, un plus opiniâtre que tous les autres dit ; « Qu'on le jette une seconde fois, de cette manière l’expérience sera pleinement confirmée et nous saurons sûrement de quel côté se trouve la vérité. » On jette le papier une seconde fois, et une seconde fois il rejaillit sans avoir été brûlé. Le même auteur dit encore : « Qu'on le jette de nouveau, et alors nous connaîtrons un résultat qui ne laissera plus place au doute. » On le jette une troisième fois, et il rejaillit de nouveau entier et sans trace de feu.

Mais ces hérétiques restèrent dans leur endurcissement et s'engagèrent, par les serments les plus stricts, à ne pas publier le fait. Cependant, un soldat qui se trouvait là et qui avait un certain attachement pour notre foi; raconta ce miracle plus tard: Or, ceci se paissait à Montréal. On raconte que quelque chose de semblable arriva à Fangeaux, après une discussion solennelle qui y eut lieu contre les hérétiques.

Les autres retournèrent chez eux, et l’évêque d'Osma mourut; saint Dominique resta donc presque seul à annoncer la parole de Dieu avec constance contre les hérétiques*. Or, les adversaires de la vérité l’insultaient, en jetant sur lui de la boue, des crachats et autres ordures, et lui . attachant par derrière de la paille en signe de dérision. Et comme ils menaçaient de le tuer, il répondit avec intrépidité : « Je ne suis pas digne de la gloire du martyre; je n'ai pas encore mérité ce genre de mort.»

* Vincent de Beauvais, Hist., liv. XXX, c. X; — Constantin d'Orviète, Vie, n° 42.

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C'est pourquoi il passa par le lieu où on lui avait dressé des embûches, et il marchait, non seulement sans crainte, mais en chantant et avec, un visage gai. Ses ennemis, étonnés, lui dirent : « Tu n'as donc pas peur de mourir ? Qu'aurais-tu fait si nous nous étions saisis de ta personne ? » Dominique, répondit : « Je vous aurais prié de ne pas me porter, du premier coup, des blessures mortelles; mais de me mutiler tous les membres, un à un, ensuite de placer sous mes yeux chacun des morceaux que vous  m’auriez coupés ; puis de  m’arracher les yeux, et en dernier lieu de laisser mon corps, à moitié mort et tranché en lambeaux, se rouler dans son sang; ou bien encore de me faire mourir comme il vous aurait plu. » Ayant rencontré un homme qui, pressé par une grande détresse, s'était uni aux hérétiques, il résolut de se vendre lui-même, afin qu'avec cet argent, qu'il aurait tiré de sa personne, il mît fin à cet état de détresse, en même temps qu'il délivrerait cet homme vendu à l’erreur. Et il eût exécuté son dessein, si la miséricorde divine n'eût pourvu d'une autre manière au soulagement de cette misère*.

Une autre fois encore, une femme vint lui exposer avec larmes que son frère était retenu captif chez les Sarrasins, en lui faisant l’aveu qu'il ne lui restait aucun moyen de le délivrer. Alors saint Dominique, touché d'une vive compassion, s'offrit lui-même pour être vendu afin de racheter le captif; mais Dieu ne le permit pas.

* Ibid.

P351

Il avait prévu qu'il était plus nécessaire pour le rachat spirituel d'un grand nombre de captifs: Il était logé dans les environs: de Toulouse, chez certaines femmes, qui, sous, prétexte de paraître dévotes, s'étaient laissé séduire par les hérétiques ; alors Dominique, afin de rabattre un clou par un autre clou, jeûna, avec le compagnon qui lui était adjoint, pendant tout le carême, au pain et à l’eau fraîche, se levant la nuit, et quand il était accablé par la fatigue, se couchant sur une table nue. Il réussit, par ce moyen, à ramener ces femmes à la connaissance de la vérité. Peu après, il commença à songer à l’institution de son ordre, dont la mission devait être de parcourir le monde en prêchant et de protéger la foi catholique contre les attaques de l’hérésie. Après être resté dans la province de Toulouse l’espace de dix ans, à compter de l’époque où il quitta l’évêque d'Osma; jusqu'au concile de Latran, il alla à Rome pour ce concile général avec Foulques; évêque de Toulouse, et demanda au souverain pontife Innocent III, pour lui, et, ses successeurs; la confirmation de l’ordre qui serait, appelé et qui serait effectivement les Prêcheurs.

Le pape se montra d'abord un peu difficile; mais une nuit, il vit en songe l’église de Latran menacée d'une ruine soudaine. Comme il regardait cela avec effroi, voilà saint Dominique qui se présente de l’autre côté ; soutenant avec les épaules tout cet édifice chancelant. A son l’éveil, le pontife comprit le sens de la vision et accueillit avec joie la demande de l’homme de Dieu; puis il l’exhorta, quand il serait de retour auprès de ses frères, à choisir une des règles déjà approuvées, qu'après cela il revînt le trouver et qu'il en obtiendrait, la confirmation, comme il le désirait.

P352

A son retour, Dominique communiqua, à ses frères ce que lui avait dit le Souverain Pontife. Or, les Frères étaient environ au nombre. de seize; ils invoquèrent l’Esprit-Saint et choisirent, à l’unanimité, la règle de saint Augustin, docteur et prédicateur éminent, puisque eux-mêmes devaient être des prédicateurs d'effet et de nom ; ils y ajoutèrent quelques pratiques de vie plus sévères, qu'ils résolurent d'observer sous forme de constitution. Sur ces entrefaites, Innocent mourut, et Honorius, son successeur au souverain pontificat, confirma l’ordre, l’an du Seigneur 1216. Comme saint Dominique priait à Rome dans une église de saint Pierre, pour la dilatation de son ordre, il vit venir à lui les glorieux princes des apôtres Pierre et Paul; le premier, c'est-à-dire saint Pierre, semblait lui donner un bâton, et saint Paul un livre, en lui disant : « Va prêcher, parce que tu as été choisi de Dieu pour remplir ce ministère. » Et il lui sembla, en un clin d'œil, qu'il voyait ses fils dispersés par tout l’univers, et marchant deux à deux *. C'est pour cela qu'à son retour à Toulouse, il envoya ses frères de côté et d'autre, les uns en Espagne, quelques-uns à Paris, et d'autres à Bologne. Quant à lui, il revint à Rome.
Avant l’institution de l’ordre des Prêcheurs; un moine fut ravi en extase et vit la sainte Vierge à genoux, les mains jointes, priant soin Fils pour le genre humain.

* Humbert, Vie, n°26

P353

Il repoussait bien souvent sa pieuse mère ; enfin comme elle insistait, il lui parla ainsi : « Ma Mère, que puis-je et que dois-je faire de plus? J'ai envoyé des patriarches et des prophètes, et peu d'hommes se sont amendés. Je suis venu vers eux, ensuite j'ai envoyé des apôtres, et ils  m’ont tué et les apôtres aussi. J'ai envoyé des martyrs, des confesseurs et des docteurs, et ils n'ont point eu confiance en eux: cependant comme il n'est pas juste que je vous refuse quoi que ce soit, je leur donnerai mes Prêcheurs, par lesquels ils pourront s'éclairer et se purifier ; sinon, je viendrai contre eux. » Un autre eut une vision semblable, dans le temps que douze abbés de l’ordre, de Cîteaux furent envoyés à Toulouse contre les hérétiques. Car le, Fils ayant répondu à sa mère comme il vient d'être rapporté ci-dessus, la sainte Vierge dit: « Mon bon Fils, ce n'est pas d'après leur malice; mais d'après votre miséricorde que vous devez agir.» Alors le Fils vaincu par ces prières dit : « Je leur accorderai encore cette miséricorde selon votre désir; je leur enverrai mes Prêcheurs pour les avertir et les former; et s'ils ne se corrigent point, je ne les épargnerai plus davantage.»

Un frère Mineur, qui avait été longtemps le compagnon de saint François, raconta ce qui suit à plusieurs frères de l’ordre des Prêcheurs : A l’époque où saint Dominique était à Rome en instance auprès du pape pour obtenir la confirmation de son ordre, une nuit qu'il était en oraison, il vit en esprit J.-C. dans les airs, tenant à la main trois lances qu'il brandissait contre le monde. Sa mère s'empressa d'accourir, et lui demanda ce qu'il voulait faire. Et il dit : « Ce monde que voici est rempli tout entier de trois vices: l’orgueil, la concupiscence et l’avarice; voilà pourquoi je veux le détruire avec ces trois lances. »

P354

Alors la Vierge lui dit en se jetant à ses genoux : «Très cher Fils, ayez pitié et tempérez votre justice par votre miséricorde. » . J.-C. reprit: « Est-ce que vous ne voyez pas toutes les injures dont on  m’outrage?» Elle lui dit : «Apaisez votre fureur, mon fils, et attendez un peu : car j'ai un fidèle serviteur, un champion intrépide qui parcourra le monde, le vaincra et le soumettra à votre domination. Je lui donnerai aussi un autre serviteur pour l’aider et pour combattre fidèlement avec lui. » Le Fils lui répondit: « Voici que je suis apaisé ; j'ai reçu favorablement votre requête; mais je voudrais bien voir ceux que vous voulez destiner à une si grande entreprise. » Alors elle présenta à J.-C. saint Dominique. J.-C.: lui dit : « Vraiment, c'est un bon et intrépide champion, et il s'acquittera avec zèle de ce que vous avez dit. » Elle lui présenta en même temps saint François et J.-C. lui accorda les mêmes éloges qu'au premier. Or, saint Dominique regarda attentivement son compagnon durant sa vision, et le lendemain l’ayant trouvé dans l’église, sans l’avoir jamais vu, sans le secours de personne pour le lui indiquer, il le reconnut d'après son rêve. Alors se jetant dans ses bras, il l’embrassa avec piété en disant: « Vous êtes mon compagnon ; vous courrez la même carrière que moi ; restons unis ensemble, et aucun adversaire ne triomphera. » Saint François lui raconta qu'il avait eu exactement la même vision : et depuis cet instant, il n'y eut plus en eux qu'un seul coeur et une seule âme ; union qu'ils recommandèrent à leurs descendants d'observer à perpétuité *.

P355

Il avait reçu dans l’ordre un novice de la Pouille: Quelques-uns des compagnons de ce novice le pervertirent au point, qu'ayant résolu de rentrer dans le siècle, il demandait ses habits de toutes les manières, qu'il pouvait. Saint Dominique, qui en fut informé, se mit aussitôt en prière. Or, comme on avait dépouillé ce jeune homme de ses habits religieux et qu'on l’avait déjà revêtu de sa chemise; il se mit à pousser de grands cris et à dire: « Je brûle, je suis enflammé, je suis tout en feu; ôtez, ôtez cette chemise maudite qui me brûle de toutes parts. » Il n'eut aucun repos qu'il ne se fût dépouillé de la chemise et qu'il n'eût revêtu ses habits de religieux, enfin qu'il ne fût rentré dans le cloître. Saint Dominique était à Bologne quand, après la rentrée du frère au dortoir, le diable se mit à tourmenter un convers. Frère Reynier de Lausanne son maître en ayant été informé, s'empressa d'en faire part à saint Dominique. Alors celui-ci fit mener le frère à l’église devant l’autel. Ce fut à peine si dix frères purent le transporter. Saint Dominique lui dit: « Je t'adjure, misérable, de me dire pourquoi tu tourmentes une créature de Dieu; et pour quel motif, et comment tu es entré ici. » Il répondit: « Je le tourmente parce qu'il l’a mérité : car hier, il a bu dans la ville, sans la permission du prieur, et avant de faire le signe de la croix. Alors je suis entré en lui sous la forme d'un moucheron ou plutôt il  m’a avalé avec le vin. » Or, le fait est que cet homme avait vraiment bu.

* Gérard de Frachet, 1. I, c. 1.

P356

Sur ces entrefaites sonna le premier coup de matines. En l’entendant, le diable, qui parlait en lui, dit : « Maintenant je ne puis rester plus longtemps ici, puisque voici les encapuchonnés qui se lèvent. » Ce fut ainsi qu'il fut forcé de sortir par la prière de saint Dominique.

Un jour, il passait un fleuve dans les environs de Toulouse; ses livres, que personne ne soignait, tombèrent dans l’eau. Trois jours après, un pêcheur, qui avait jeté son hameçon au même endroit, croyant avoir pris un gros poisson, ne ramena que ces livres ; mais ils étaient intacts comme s'ils eussent été gardés avec le plus grand soin dans une armoire.

Il arriva à un monastère alors que les frères reposaient, il ne voulut pas les troubler,  mais il fit une prière et il entra avec son compagnon, dans le monastère, les portes étant fermées*. La même chose eut lieu une autre fois, qu'il allait avec un convers cistercien pour combattre les hérétiques. Arrivés sur le soir à une église, dont les portes étaient fermées, saint Dominique ayant fait une prière, ils se trouvèrent subitement dans l’intérieur de l’église, où ils passèrent toute la nuit en oraison. Après une longue marche, avant; d'entrer dans l’hôtellerie, il avait coutume d'apaiser sa soif à quelque fontaine, afin qu'on ne remarquât point dans la maison, de son hôte qu'il ait trop bu.

* Rodrigue de Cerrat, n° 91.

P357

Un écolier d'un tempérament porté au péché de la chair vint, un jour de fête, pour entendre la messe dans la maison des Frères de Bologne. Or, c'était saint Dominique qui célébrait. Quand on fut arrivé à l’offrande, cet écolier s'approcha et baisa la main du saint avec grande dévotion. Et quand il l’eut baisé, il sentit qu'il s'exhalait de cette main une si bonne odeur, que jamais il n'en avait rencontré une si grande en sa vie : et dès ce moment, 1e feu de la passion s'éteignit en lui merveilleusement, en sorte que ce jeune homme, qui jusqu'alors avait été adonné à la vanité et à là luxure, devint, dans la suite, continent et chaste. Oh! la grande pureté qui régnait dans ce corps dont l’odeur purifiait d'une manière si admirable les souillures de l’âme !

— Un prêtre, témoin de la ferveur avec laquelle saint Dominique et ses frères s'adonnaient à la prédication, conçut le projet de se joindre à eux, dans le cas où il pourrait se procurer un Nouveau-Testament qui lui était nécessaire pour la prédication. Au moment où il pensait à cela, se présenta un jeune homme qui avait sous son habit un Testament à vendre : le prêtre l’acheta avec une grande joie; mais comme il hésitait encore un peu, il fit une prière, et ayant tracé le signe de la croix sur le couvert du livre, il l’ouvrit et jeta les yeux sur le premier chapitre qui se présenta; il tomba sur cet endroit des Actes des apôtres où il est dit à saint Pierre : « Lève-toi, descends et va avec eux sans hésiter, car c'est moi qui les ai envoyés (XX). » A l’instant, il alla s’adjoindre à eux.

P358

— Un maître de théologie, qui enseignait à Toulouse avec talent et réputation, préparait ses matières un matin avant le jour; accablé de sommeil, il inclina légèrement la tête sur sa chaire et il lui sembla qu'on lui présentait sept étoiles. Comme il s'extasiait devant un pareil présent, tout. aussitôt ces étoiles augmentèrent en lumière et en grandeur, à tel point qu'elles éclairaient le monde entier. A son réveil, il s'étonnait beaucoup de ce que cela voulait dire ; et voici qu'en entrant dans l’école et, en enseignant sa leçon, saint Dominique et six frères avec lui, qui portaient le même habit, s'approchèrent, avec humilité, du maître et lui déclarèrent qu'ils avaient pris la résolution de suivre son cours. Alors se rappelant la vision qu'il avait eue, il ne fit pas difficulté de croire que c'étaient là les sept étoiles qui lui étaient apparues *.

— Saint Dominique était à Rome, quand y arriva avec l’évêque d'Orléans, pour s'embarquer, maître Reinier, doyen de Saint-Aignan d'Orléans, qui avait enseigné à Paris le Droit Canon pendant cinq ans. Depuis longtemps déjà il se proposait de tout quitter. pour se livrer à la prédication, mais il n'avait pas encore pris son parti sur le moyen à employer par lui pour exécuter son projet. Un cardinal auquel il avait fait part de son voeu, lui avait parlé de l’Institut des Prêcheurs ; il avait donc fait appeler saint Dominique auquel il manifesta ses intentions: ce fut alors qu'il se décida à entrer dans son ordre; mais aussitôt une violente fièvre le saisit et mit ses jours en danger.

* Humbert, Vie, n° 27.

P359

Alors saint Dominique ne cessa de faire des prières et de s'adresser à la sainte Vierge, à laquelle il avait confié, comme à une patronne spéciale, tout le soin de son ordre, en lui demandant de daigner lui accorder cet homme, ne serait-ce que pour un court espace de temps, quand Reinier qui veillait et qui attendait la mort, voit tout à coup, à n'en pas douter, la Reine de miséricorde venir à lui en compagnie de deux jeunes personnes remarquablement belles, et lui adresser ces paroles d'un visage caressant : « Demande-moi ce que tu veux et je te le donnerai. » Il cherchait quoi demander quand une des jeunes filles lui suggéra de ne demander rien, mais de s'en remettre entièrement à la reine de miséricorde. Ce qu'il fit. Alors la sainte Vierge étendant sa main virginale, lui fit des onctions aux oreilles, aux narines, aux mains et aux pieds avec une huile qu'elle avait apportée, en prononçant une formule appropriée à chaque onction. Aux reins, elle dit: « Soient étreints ces reins du cordon de chasteté.» Aux pieds: « Joins tes pieds pour qu'ils soient préparés à porter l’Evangile de paix. » Et elle ajouta: « Dans trois jours, je te remettrai une ampoule qui te rendra une parfaite santé. » Alors elle lui montra un habit de l’ordre : « Voici, lui dit-elle, un habit; c'est celui de ton ordre. » Or, saint Dominique qui, était en prières eut une vision tout à fait semblable. Quand le matin fut arrivé, saint Dominique vint le voir et le trouva guéri : ensuite il écouta le récit que lui fit Reinier de sa vision: après quoi celui-ci prit l’habit que la Vierge lui avait montré, car auparavant les Frères se servaient de surplis. Trois jours après, la mère de Dieu revint et fit sur le corps de Reinier des onctions qui éteignirent non seulement l’ardeur de la fièvre, mais encore le feu de  la concupiscence, à tel point que, d'après ce qu'il confessa lui-même dans la suite, il ne s'éleva pas en lui le moindre mouvement désordonné.

P360

La même vision fut renouvelée, vis-à-vis saint Dominique, en faveur d'un religieux de l’ordre des hospitaliers qui en fut stupéfait. Après la mort de Reinier, saint Dominique raconta cette apparition à un grand nombre de frères. Reinier fut donc envoyé à Bologne, où il se livra avec ardeur à la prédication, et où le nombre des frères prit de l’accroissement. Ensuite on l’envoya à Paris, où il mourut peu de jours après dans le Seigneur *.

Un jeune homme, qui était neveu du cardinal Etienne de Fosse-Neuve, tomba avec son cheval dans un précipice, et on en retira mort. On le présenta à saint Dominique qui fit une prière et lui rendit la vie **.

—  Un architecte, conduit par les frères sous une crypte de l’église de Saint-Sixte, fut écrasé par un pan de mur qui s'écroula, et il fut étouffé sous les décombres; mais l’homme de Dieu, Dominique, fit enlever le corps de la crypte, se le fit apporter et par le suffrage de ses prières, il lui rendit la vie avec la santé ***.

— Dans  le même couvent de saint Sixte, où restaient environ quarante frères, il ne se trouva un jour qu'une très petite quantité de pain; alors saint Dominique commanda qu'on la partageât et qu'on la servît sur la table; et pendant que chacun mangeait avec joie cette petite bouchée de pain, voici que deux jeunes gens tout à fait ressemblants par leur habit et leur figure entrèrent au réfectoire, portant des pains dans des tabliers qui leur pendaient au cou. Ils les posèrent sans rien dire au bout de la table du serviteur de Dieu Dominique, et se retirèrent si vite que personne ne put savoir dans la suite d'où ils étaient venus, ni comment ils étaient sortis. Alors saint Dominique étendit les mains çà et là sur la communauté et dit : « Maintenant, mes frères, mangez. »

* Thierry d'Apolda, n° 92.
** Histoire de sa vie, passim,
*** Relation de la soeur Cécile, n. 3.

P361

— Un jour, saint Dominique était en chemin et il tombait une très forte pluie; il fit le signe de la croix et il écarta la pluie toute entière de lui et de son compagnon, de sorte que ce fut comme s'il s'était couvert d'un pavillon avec la croix : et alors crue toute la terre était couverte d'eau, il n'en tombait pas une goutte autour d'eux, à une distance de trois coudées*.

—  Une fois que dans les environs de Toulouse; il venait de traverser une rivière dans une barque, le batelier lui demanda un denier pour prix de son passage. Comme l’homme de Dieu lui promettait le royaume dés cieux pour récompense, en ajoutant qu'il était le disciple de J.-C. et qu'il ne portait avec lui ni or, ni argent, le batelier le saisit par sa chape et lui dit : « Tu me donneras ta chape ou un denier. » Alors l’homme de Dieu leva les yeux au ciel, fit intérieurement une petite prière, et regardant à terre, et y voyant un denier qui, sans aucun doute, lui était envoyé par le bon Dieu :
« Voici, dit-il, mon frère, ce que vous me demandez, prenez et laissez-moi aller en paix. »

* Humbert, VIe, n° 39.

P362

— Il arriva un jour que saint Dominique étant en voyagé s'associa avec un religieux qui lui était bien connu par sa sainteté, mais dont il n'entendait ni le langage ni l’a langue. Contrarié de ce qu'il ne pouvait        as conférer avec lui des choses du ciel, il obtint de Dieu que l’un parlât la langue de l’autre, de manière à se comprendre pendant les trois jours qu'ils avaient à voyager ensemble.

— On lui présenta une fois un homme obsédé d'un grand nombre de démons ; il prit une étole qu'il se mit au cou, ensuite il la serra autour du cou du démoniaque en lui ordonnant de ne plus faire souffrir cet homme désormais. Alors ces démons commencèrent à être tourmentés dans le corps de l’obsédé, et crièrent: «Laisse-nous sortir, pourquoi nous forces-tu à être tourmentés ici? » Et saint Dominique dit: « Je ne vous laisserai point partir, à moins que vous ne me donniez des garants qui me répondront que vous ne rentrerez plus désormais. » « Quels garants, répondirent-ils, pourrons-nous te donner? » Et il reprit : « Les saints martyrs dont les corps reposent en cette église. » Et ils dirent: « vous ne le pouvons, car nos mérites sont en contradiction. » « Il faut, vous dis-je, les donner, autrement je ne vous délivrerai jamais du tourment que vous endurez. » Alors ils répondirent à cela qu'ils s'en occuperaient et peu après ils dirent: « Eh bien, nous avons obtenu, quoique nous ne le méritions pas, que les saints martyrs soient nos garants. » Or, saint Dominique leur, demandant un signe par lequel il pourrait s'assurer de cela, les démons lui dirent : « Allez à la châsse qui renferme les têtes des martyrs et vous la trouverez renversée. » On y alla et l’on trouva qu'il en était comme ils l’avaient assuré *.

* Thierry d’Apobla.

P363

Pendant une de ses prédications, des femmes qui s'étaient laissé corrompre par les hérétiques vinrent se jeter à ses pieds en lui disant : « Serviteur de Dieu, venez à notre aide; si ce que vous avez prêché aujourd'hui est vrai, depuis longtemps l’esprit d'erreur a aveuglé nos coeurs. » Saint Dominique leur dit: « Soyez constantes et attendez un peu afin de voir à quel maître vous vous êtes attachées. » Aussitôt elles virent sauter du milieu d'elles un chat affreux qui avait les proportions d'un grand chien avec des yeux gros et flamboyants, une langue longue et large, injectée de sang et qui allait jusqu'à son nombril; sa queue courte et relevée laissait voir toute la turpitude de son derrière, de quelque côté qu'il se tournât; et il s'en exhalait une puanteur insupportable. Après qu'il eut tourné pendant un certain temps çà et là, autour de ces femmes, il grimpa dans le clocher par la corde de la cloche et disparut, laissant: après lui des traces dégoûtantes. Alors ces femmes, après avoir remercié Dieu, se convertirent à la foi catholique *.

— Il avait convaincu dans la province de Toulouse un certain nombres d'hérétiques condamnés au bûcher; et il vit au milieu d'eux un homme appelé Raymond ; alors il dit aux bourreaux : « Conservez celui-ci, et qu'on ne le brûle pas avec les autres. » Puis se tournant vers lui : « Je sais, lui dit-il avec bonté, je sais, mon fils, que vous serez un jour, quoique ce ne soit pas de sitôt, lut homme de bien, et un saint. » On relâcha donc cet homme qui, pendant vingt ans encore, resta dans l’hérésie ; enfin s'étant converti, il entra dans l’ordre des frères Prêcheurs oit il vécut saintement jusqu'à sa mort.

* Thierry d'Apolda, ch.  IV, n° 54.

P364

— Comme saint Dominique était en Espagne, en compagnie de quelques frères, il lui apparut un dragon épouvantable, qui s'efforçait d'engloutir les frères dans sa gueule. L'homme de Dieu, qui comprit le sens de cette vision, exhortait ses compagnons à résister courageusement. Peu de temps après ils le quittèrent tous à  l’exception de frère Adam et de deux convers. Il demanda donc à l’un d'eux s'il voulait s'en aller comme les autres: « A Dieu ne plaise, mon père, répondit-il, qu'en quittant la tête, je suive les pieds. » Alors saint Dominique se mit en prière, et presque tous furent convertis peu de temps après, par le mérite de cette prière.

— Comme il se trouvait à Rome, au couvent de saint Sixte, l’esprit de Dieu vint sur lui soudainement et il rassembla les frères au chapitre alors il leur annonça que quatre d'entre eux devaient mourir bientôt, deux de la mort du corps, et deux de la mort de l’âme. En effet peu après deux frères s'endormirent dans le Seigneur et deux autres se retirèrent de l’ordre    * .

— Lorsqu'il était à Bologne, se trouvait en cette ville maure Conrad, Allemand, gaie les frères souhaitaient fort de voir entrer dans l’ordre. Or, saint Dominique étant en conversation, la veille de la fête de l’Assomption de la sainte Vierge, avec le prieur du monastère de Casa-Maria de l’ordre de Cîteaux, il lui dit entre autres choses en forme de confidence : « Je vous avoue, prieur, une chose que je n'ai jamais découverte à personne jusqu'à présent, et que vous ne révélerez pas vous-même à d'autres, de mon vivant ; c'est que je n'ai jamais rien demandé ici-bas que je ne l’aie obtenu selon mes désirs. »

* Humbert, n° 50

P365

Comme le prieur lui disait que peut-être il mourrait avant lui, saint Dominique lui dit en esprit prophétique qu'il vivrait longtemps après lui. La prédiction se réalisa. Alors le prieur ajouta :
« Demandez donc, mon père, que Dieu vous donne pour votre ordre maître Conrad, que vos frères paraissent désirer tant être des vôtres. » Mais saint Dominique lui répondit : « Mon bon frère, vous avez demandé là une chose difficile. » Après complies, les frères étant allés se reposer, Dominique resta dans l’église où il passa la nuit en prière comme c'était sa coutume. Or : quand on vint chanter prime, au moment où le chantre entonnait l’hymne Jam lucis orto sidere, voici que celui qui devait être un nouvel astre d'une nouvelle lumière, maître Conrad, vient tout à coup se prosterner. aux pieds de saint Dominique, et lui demander instamment l’habit de l’ordre. Il persévéra dans sa demande et fut reçu. Ce fut un zélé religieux qui enseigna dans l’ordre à la grande satisfaction de tous. Il était près de mourir et avait déjà fermé les yeux, de sorte qu'on le croyait mort, quand. il regarda les frères qui étaient autour de lui et dit Dominus vobiscum. Quand on eut répondu : Et cum spiritu tuo, il ajouta: Fidelium animae per misericordiae Dei requiescant in pace *. Et aussitôt il reposa en paix dans le Seigneur.

* Ce sont les paroles par lesquelles l’Eglise termine tous ses offices : elles signifient : Que par la miséricorde de Dieu, les âmes des fidèles reposent en paix.

P366

Le serviteur de Dieu saint Dominique était doué d'une égalité d'âme que rien n'ébranlait, sinon quand il était troublé par la compassion et par la miséricorde ; et parce qu'un coeur content épanouit le visage on voyait, à sa douceur extérieure, la paix qui régnait au dedans de lui. Dans la journée, personne n'était plus simple que lui avec les frères et ses compagnons, tout en observant les règles de la bienséance; la nuit personne n'était plus exact aux offices et à la prière. Il consacrait le jour au prochain et la nuit à Dieu. Il avait fait de ses yeux comme une fontaine de larmes. Souvent quand on levait le corps du Seigneur à la messe, il était ravi en esprit comme s'il avait vu présent
J.-C. incarné : c'est pour cela que pendant longtemps, il n'assista pas à la messe avec les autres. Il avait aussi la coutume de passer très souvent, la nuit, dans l'église, en sorte qu'il semblait n'avoir pas ou presque pas de lieu fixe pour prendre son repos : et quand la nécessité de dormir le surprenait à la suite de ses fatigues, il se reposait ou bien devant l'autel, ou bien la tète inclinée sur une pierre. Chaque nuit il prenait lui-même trois fois la discipline avec une chaîne de fer : une fois pour soi-même, une seconde fois pour les pécheurs qui vivent dans le monde, et une troisième fois pour ceux qui souffrent dans le purgatoire. Élu, un jour, à l'évêché de Couserans, d'autres disent de Comminge, il refusa nettement, protestant devoir plutôt quitter la terre que de consentir jamais à une élection dont il serait l'objet.

P367

— On lui demandait un jour pourquoi il ne restait pas à Toulouse, ou dans le diocèse de cette ville, plutôt que dans le diocèse de Carcassonne, il répondit : « C'est parce que, dans le diocèse de Toulouse, je rencontre bon nombre de personnes qui m'honorent, et que à Carcassonne, au contraire, tout le monde me fait la guerre. » Quelqu'un lui demandait dans quel livre il avait le plus étudié : « C'est, dit-il, dans le livre de la charité. »

— Une fois qu'étant â Bologne il passait la nuit, dans l'église, le diable lui apparut sous la figure d'un frère. Saint Dominique, croyant que c'en était un, lui faisait signe d'aller se reposer comme les autres. Or, celui-là lui répondait par signes comme s'il se moquait de lui. Lors saint Dominique ne voulant savoir quel était celui qui méprisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle à la lampe et regardant sa figure reconnut tout de suite, que c'était le diable. Le saint l'accabla de reproches et le diable se mit à l'insulter pour avoir rompu le silence ; alors saint Dominique lui déclarant qu'il lui était permis de parler en sa qualité de maître des frères, il le força de lui déclarer en quoi il tentait les frères au choeur. Le diable lui répondit : « Je les fais arriver tard et sortir tôt. » Il le conduisit ensuite au dortoir et lui demandant de quoi il y tentait les frères. Il dit : « Je les fais trop dormir, se lever tard, et de cette manière, ils y restent pendant l'office et de temps en temps, je leur suggère de mauvaises pensées. »

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Puis il le mena au réfectoire, et lui demanda de quoi il y tentait les frères; alors le démon se met à sauter sur les tables, en répétant souvent ces paroles : « Plus et moins, plus et moins. » Et comme saint Dominique lui demandait ce qu'il voulait dire par là, il répondit : « Il y a quelques frères que je tente de manger plus; et par conséquent de manquer souvent à la règle en mangeant trop, d'autres, de manger moins, afin qu'ils deviennent sans force dans le service de Dieu et dans la pratique de leurs règles. » De là il le conduisit au parloir, en s'informant de quoi il y tentait les frères. Alors le diable se mit à tourner la langue dans sa bouche avec vitesse et faisait entendre un bruit confus étrange. Saint Dominique lui demandant ce que cela voulait dire, le diable répondit : « Ce lieu est tout à moi : car quand les frères se rassemblent pour parler, je  m’applique à les tenter de parler sans ordre, d'entremêler des paroles inutiles et de telle façon que l’un n'attende pas l’autre. » Enfin saint Dominique conduisit le diable au chapitre, mais quand il fut arrivé à la porte, le démon n'y voulut absolument pas entrer : « Ici, dit-il, je n'entrerai jamais; c'est pour moi un lieu de malédiction et un enfer. Je perds ici tout ce que j'ai gagné ailleurs : car quand j'ai fait tomber un frère en quelque négligence, il s'en purifie de suite dans ce lieu de malédiction et s'avoue coupable devant tout le mondé : c'est ici qu'on leur donne des avis, ici qu'ils se confessent, ici qu'ils s'accusent, ici qu'ils sont frappés, ici qu'ils sont absous; et de cette manière, je vois avec douleur que j'ai perdu tout ce que je me réjouissais d'avoir gagné ailleurs. » Après avoir dit ces mots, il disparut *.

* Thierry d'Apolda, c. XV.

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Enfin le terme de son pèlerinage approchant, Dominique, qui était à Bologne, commença à tomber en langueur et en grande faiblesse; la dissolution de son corps lui fut montrée dans une vision : un jeune homme d'une grande beauté lui apparut, et l’appela en disant : « Viens, mon bien-aimé, viens à la joie, viens *. » Alors il fit venir douze des frères du couvent de Bologne, et pour. ne pas les laisser déshérités et orphelins, il fit son testament en ces mots : « Voici ce que je vous laisse comme à mes enfants, afin que vous le possédiez à titre héréditaire : Ayez la charité, gardez l’humilité, et possédez la pauvreté volontaire **. » Mais ce qu'il défendit le plus expressément qu'il put, c'est que personne ne fit jamais entrer dans son ordre des biens temporels, menaçant de la malédiction du Dieu tout-puissant et de la sienne celui qui attenterait de salir l’ordre des Prêcheurs, de la poussière des richesses terrestres.

Comme ses frères se désolaient de sa perte, il leur dit avec bonté pour les consoler : « Mes enfants, que ma mort corporelle ne vous trouble pas; et soyez certains que je vous serai plus utile mort que vif. » Arriva ensuite son heure dernière et il s'endormit dans le Seigneur, l’an 1221. Le jour et l’heure de son trépas furent révélés, ainsi qu'il suit, à frère Guali, alors prieur des frères Prêcheurs de Brescia et par la suite évêque de la même ville. Il dormait d'un léger sommeil, la tête appuyée sur le clocher des frères, quand il vit le ciel ouvert et deux échelles blanches qui en descendaient sur la terre ; J.-C. avec la mère en tenait le haut, et les anges y montaient et descendaient en poussant des acclamations de joie.

* Barthélemy de Trente, n° 13.
** Humbert, n° 53.

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En bas, entre les deux échelles était placé un siège sur lequel se trouvait assis un frère dont la tête était couverte d'un voile. Or, Jésus et sa mère tiraient les échelles en haut, jusqu'à ce que le frère eut été élevé au ciel dont l’ouverture fut alors refermée *. Le frère Guali étant venu de suite à Bologne, apprit que c'était, en ce jour et à cette heure-là même que le Père était trépassé.

— Un frère, nommé Raon qui restait à Tibur, était à l’autel pour célébrer la messe au jour et à l’heure du trépas du Père. Comme il avait appris que le saint était malade à Bologne, quand il fut arrivé à l’endroit du canon où l’on a coutume de faire mention des vivants, et qu'il voulait prier pour sa guérison, il tomba tout à coup en extase, et il vit l’homme de Dieu Dominique ceint d'une couronne d'or, et tout resplendissant de lumière ; deux personnages vénérables l’accompagnaient sur la route royale hors de Bologne. Il prit note du jour et de l’heure. et il trouva que c'était alors que le serviteur de Dieu Dominique était mort. Son corps étant resté sous terre pendant un long espace de temps; et les miracles qui s'opéraient à chaque instant devenant de plus en plus nombreux, sa sainteté était devenue évidente ; alors la piété des fidèles, les porta à transporter son corps dans un lieu plus élevé. Quand, après avoir brisé le mortier avec des instruments de fer, on eut soulevé la pierre, et ouvert le monument, il s'en échappa une  odeur tellement suave que c'était à croire qu'on n'avait pas ouvert un tombeau, mais une chambre pleine d'aromates**.

* Auteur de sa vie.
** Jourdain de saxe.

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Et cette odeur qui l’emportait sur celle de tous les parfums ne semblait avoir rien de pareil dans la nature : ce n'était pas seulement aux ossements ou à la poussière de ce saint corps qu'elle était inhérente, ou même à la chasse, mais encore à la terre d'alentour, de sorte que transportée dans des pays éloignés elle gardait son parfum pendant longtemps. Les mains des frères qui avaient touché quelque chose des reliques, se trouvèrent tellement embaumées qu'on avait beau les laver et les frotter, elles conservèrent longtemps cette preuve de bonne odeur.

Dans la province de Hongrie, un homme de noble race vint avec sa femme et son fils encore tout jeune pour visiter les reliques de saint Dominique qu'on avait à Silon ; mais ce fils y tomba malade et mourut. Alors: le père porta son corps devant l’autel de saint Dominique et se mit à se lamenter et à dire : « Bienheureux Dominique, je suis venu vers vous plein de joie et je  m’en retourne plein de tristesse ; je suis venu avec mon fils et j'en suis privé pour  m’en aller; rendez-moi, je vous en prie, rendez-moi mon fils; rendez-moi la joie de mon coeur.» Et voici que vers le milieu de la nuit, l’enfant ressuscita et se promena par l’église.

— Un jeune homme au service d'une dame noble s'occupait à pêcher dans la rivière; il tomba dans l’eau, y fut suffoqué et disparut. Ce fut longtemps après que son corps fut retiré du fond de la rivière. Sa maîtresse invoqua saint Dominique pour qu'il fût ressuscité, et promit d'aller pieds nus à ses reliques et de rendre la liberté à cet esclave s'il ressuscitait. A l’instant ce jeune homme, qui était mort, fut rendu à la vie et se leva au milieu de tout le monde qui se trouvait présent. Sa maîtresse accomplit son voeu ainsi qu'elle l’avait promis.

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— Dans cette même province de Hongrie, un homme versait des larmes amères sur le cadavre de son fils, et priait saint Dominique pour obtenir sa résurrection. Environ au moment où les coqs chantent, celui qui, avait été mort ouvrit les yeux et dit à son père : « Comment se fait-il, mon père, que j'aie la figure ainsi mouillée? » « Ce sont, lui répondit-il, les larmes de ton père, car tu étais mort et j'étais resté seul privé de toute joie. » Son fils lui dit : « Vous avez beaucoup pleuré,mon père,mais saint Dominique, compatissant à votre désolation, a obtenu par ses mérites que je vous sois- rendu vivant.»

— Un homme, languissant et aveugle depuis dix-huit ans, avait le désir de visiter les reliques de saint Dominique ; il essaya de sortir de son lit, se leva, et ressentit venir en lui subitement une force assez grande pour se mettre à marcher à pas pressés; sa faiblesse de corps et sa cécité diminuaient à mesure qu'il faisait chaque jour du chemin, jusqu'à ce qu'enfin, parvenu au lieu qu'il avait pris pour but, il reçut le bienfait d'une double guérison complète.

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— En la même province de Hongrie, une dame qui avait l’intention de faire célébrer une messe en l’honneur de saint Dominique ne trouva pas de prêtre à l’heure qu'elle voulait ; alors elle enveloppa dans un litige propre les trois chandelles qu'elle avait destinées pour la messe et les serra dans un vase; elle s'en alla pour un instant. et en revenant lui moment après elle vit les chandelles brûler à grandes flammes. Tout le inonde accourut pour voir ce spectacle étrange, et resta tremblant et priant jusqu'au moment où les chandelles furent entièrement, brûlées sans que le lime soit endommagé.

— A Bologne, un écolier nommé Nicolas souffrait d'une telle douleur aux reins et aux genoux  qu'il ne pouvait se lever de son lit; sa cuisse gauche s'était desséchée au point qu'il n'y avait plus pour lui aucun espoir de guérison. Se vouant à Dieu et à saint Dominique, il se mesura de toute sa longueur avec un fil dont on devait faire une chandelle; après quoi il se mit à se ceindre le corps, le cou et la poitrine. Au moment où il entourait son genou du fil, comme il invoquait, à chaque fois qu'il faisait un tour, le nom de Jésus et de saint Dominique, aussitôt il se sentit soulagé et s'écria : « Je suis délivré. » Il se lève en pleurant de joie et vient sans l’aide de personne à l’église où reposait le corps de saint Dominique. Dans la même ville de Bologne, Dieu opéra un nombre infini de miracles par son serviteur.

— En la ville d'Augusta en Sicile, une jeune fille, qui avait la pierre, devait être taillée. La mère, à raison du péril que courait son enfant, la recommanda à Dieu et, à saint Dominique. La nuit suivante saint Dominique apparut à la jeune fille pendant son sommeil, lui mit dans la main la pierre qui là faisait, souffrir. La jeune fille, à son réveil, se trouvant guérie, donna cette pierre à sa mère et lui raconta la vision qu'elle avait eue ; la mère prit alors la pierre et il la porta au couvent des frères où elle la suspendit devant l’image de saint Dominique, en mémoire d'un si grand miracle.

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— Dans la ville d'Augusta, des dames qui avaient assisté, en l’église des frères, à la messe solennelle le jour de la fête de la translation de saint Dominique, virent en revenant chez elles une femme occupée à filer devant la porte de sa maison; elles se mirent à la, tancer de ce qu'elle n'avait pas interrompu son travail au jour de la fête de ce grand saint. Cette femme indignée leur répondit : « Vous qui êtes les bigotes * des frères, faites la fête de votre saint. » A l’instant ses yeux s'enflèrent, et il en sortit de la pourriture et des vers ; de sorte qu'une de ses voisines en compta dix-huit qu'elle lui ôta. Alors remplie de componction elle vint à l’église des frères, y confessa ses péchés et fit voeu de ne jamais parler mal de saint Dominique et de célébrer sa fête avec dévotion. A l’instant elle récupéra sa première santé.

— Une religieuse nommé Marie, au monastère de la Magdeleine, à Tripoli, souffrait des douleurs cuisantes. Ayant reçu un coup à la jambe, elle était tourmentée affreusement depuis cinq mois; on attendait à chaque instant l’heure de son trépas. Elle se recueillit en elle-même et fit cette prière:
« Mon Seigneur, je ne suis digne ni de vous prier, ni d'être exaucée; mais je prie mon seigneur saint Dominique d'être médiateur entre vous et moi, et de  m’obtenir le bienfait de la santé. »
* Le texte porte Bizotae et Brixotae, mot qui ne se trouve dans aucun dictionnaire.

P375

Or, comme elle priait longtemps en répandant des larmes, elle tomba en extase et vit saint Dominique entrer avec deux frères, soulever le rideau qui était devant son lit, et lui dire: «Pourquoi désirez-vous tant d'être guérie? » « Seigneur, répondit-elle, c'est afin de pouvoir mieux servir, Dieu.» Alors saint Dominique tira de dessous sa chape un onguent d'une admirable odeur avec lequel il fit des onctions à sa jambe et elle fut guérie à l’instant; puis il lui dit: « Cette onction est bien précieuse, douce, et difficile.  Et comme cette femme lui demandait de lui expliquer le sens de ces paroles ; il répondit: « Cette onction est le signe de l’amour, qui est précieux, parce qu'on ne peut l’acheter avec de l’argent; et parce que de tous les dons de Dieu il n'y en a point de préférable à son amour; elle est douce, car il n'y a rien de plus doux que la charité; elle est difficile parce qu'elle se perd vite si on ne la conserve avec précaution.» Cette nuit-là même, il apparut à sa sœur qui reposait au dortoir et lui dit: « J'ai guéri ta soeur. » Celle-ci accourut et trouva sa soeur guérie. Or, comme Marie sentait qu'elle avait reçu une onction réelle, elle l’essuya très respectueusement avec de la soie. Quand elle eut raconté tout à l’abbesse et à son confesseur et qu'elle leur eut montré l’onction qui était sur la soie elles furent frappées de sentir une odeur si grande et si nouvelle pour eux qu'ils ne pouvaient la comparera aucun parfum ; et ils conservèrent cette onction avec le plus grand esprit.

P376

— Pour prouver combien est agréable à Dieu l’endroit où repose le très saint corps du bienheureux Dominique, il suffira de choisir ici, entre mille, un miracle qui s'y opéra.

Maître Alexandre, évêque de Vendôme *, se rapporte dans ses Apostilles sur ces paroles. Misericordia et veritas obviaverunt sibi (Ps. LXXXIV) qu'un écolier de Bologne, adonné aux vanités du siècle, eut la vision suivante : II lui semblait être dans un vaste champ, et une tempêté extraordinaire allait fondre sur lui. Il se mit a fuir pour l’éviter et arriva à une maison qu'il trouva fermée. Il frappa à la porte en priant qu'on lui ouvrît. La personne qui habitait la maison lui répondit : « Je suis la justice ; c'est ici que j'habite, cette maison est à moi; or, parce que tu n'es pas juste, tu ne peux y habiter. » En entendant ces paroles, il se retira tout triste, et voyant plus loin une autre maison, il y vint, et frappa en demandant qu'on l’y reçût. Mais la personne qui restait à l’intérieur lui répondit « Je suis la vérité ; c'est ici que j'habite; cette maison est à moi ; mais je ne te donnerai pas l’hospitalité, parce que la vérité ne préserve pas celui qui ne l’aime pas. » Alors il s'éloigna et vit une troisième maison plus loin. Quand il y arriva, il supplia comme auparavant qu'on l’y mît à l’abri de la tempête. La maîtresse qui était à l’intérieur lui répondit: « Je suis la paix et j'habite ici; or, il n'y a pas de paix pour les impies, mais pour les hommes de bonne volonté. Cependant comme mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction, je te donnerai un avis salutaire. Plus loin. habite ma soeur; elle secourt toujours les misérables; va la trouver et fais ce qu'elle te dira. »

* Il y a une variante dans le texte; l’une porte Vindonicensis et l’autre Vindoniensis.

Quand il y fut arrivé, celle qui était à l’intérieur lui répondit : « Je suis la miséricorde, c'est ici ma maison. Si donc tu désires être à l’abri contre la tempête qui te menace, va à la maison qu'habitent  les frères prêcheurs, tu y trouveras l’étable de la pénitence, la crèche de la continence, l’herbe de la doctrine, l’âne de la simplicité avec le boeuf de la discrétion, Marie qui t'éclairera, Joseph qui te parfera, et l’enfant Jésus qui te sauvera. » A son réveil l’écolier vint à la maison des frères, et raconta l’ensemble de sa vision; ensuite il prit et reçut l’habit de l’ordre *.


* Gérard de Frachet, l. I, c. III


(115) SAINT SIXTE, PAPE

Sixte vient de Sion qui veut dire Dieu, et de status, état comme on dirait état de Dieu. Ou bien sixtus vient de sisto, assis; fixe, ferme dans la foi, dans son martyre et ses bonnes oeuvres **.

Le pape Sixte était d'Athènes; d'abord il fut philosophe, et dans la suite disciple de J.-C. Ela souverain Pontife, il fut traduit devant Dèce et Valérien avec ses deux diacres Félicissime et Agapit. Comme Dèce ne pouvait, le faire céder par aucune considération; il le fit conduire au temple de Mars, afin de l’y forcer à sacrifier, sinon. il serait enfermé dans la prison Mamertine.

* Gérard de Frachet, 1. I, c. III.
** Bréviaire romain.

P378

Or, il refusa, et comme on le menait en prison, le bienheureux Laurent le suivait et lui disait: « Où allez vous sans votre fils, mon père ? saint prêtre, où allez-vous sans votre ministre? » Sixte lui répondit : « Je ne te quitte pas, mon fils, je ne t'abandonne pas : mais tu es réservé à de plus grands supplices pour la foi de J.-C. Dans trois jours tu me suivras; le lévite suivra le prêtre. D'ici là prends les trésors de l’Eglise et partage-les à qui tu le jugeras à propos. » Quand il les eut distribués aux chrétiens pauvres, le préfet Valérien donna l’ordre de mener Sixte sacrifier au temple de Mars : s'il refusait, il devait avoir la tête tranchée. Pendant qu'on l’y conduisait, le bienheureux Laurent, qui était derrière lui se mit à crier et à dire : « Soyez assez bon, lui dit-il, pour ne pas  m’abandonner, père saint, parce que j'ai déjà dépensé les trésors que vous  m’avez confiés. Alors les soldats, entendant parler de trésors, se saisirent de Laurent, et tranchèrent la tète à saint Sixte ainsi qu'à Félicissime et à Agapit.

C'est aujourd'hui la fête de la Transfiguration du Seigneur. Dans certaines églises on consacre le sang de J.-C. avec du vin nouveau, si on peut en faire et en trouver; ou du moins on exprime, dans le calice, un peu de jus d'une grappe de raisin mûr. En ce jour encore, on bénit des grappes de raisin et le peuple en prend (comme du pain bénit *). La raison en est que Notre-Seigneur dit à ses disciples le jour qu'il fit la Cène: « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne jusqu'à ce jour où je le boirai de nouveau avec vous dans le royaume de mon père. » (Matt., XXVI)

* C'est une des significations liturgiques de communico.

P379

Or, cette Transfiguration, et ces mots vin nouveau, que J.-C. prononça, rappellent le glorieux renouvellement qui s'opéra dans le Sauveur après sa résurrection. C'est pour cela qu'en ce jour de la Transfiguration qui représente la résurrection, on se sert de vin nouveau mais ce n'est pas parce que, selon quelques auteurs; la Transfiguration eut lieu en ce jour, mais bien parce que ce fut en ce jour que les Apôtres en donnèrent connaissance. Car la Transfiguration eut lieu, dit-on, vers le commencement du printemps; et ce fut par respect pour la défense que les apôtres reçurent de la publier, qu'ils la cachèrent si longtemps et qu'ils la rendirent publique à pareil jour. C'est ce qu'on lit dans le livre intitulé : Mitrale * (Lib. IX, c. XXXVIII).

* Cet ouvrage a été publié par M. le comte de l’Escalopier dans la Patrologie de Aligne. Il est de Sicardi, évêque de Crémone.

(116) SAINT DONAT**

Donat, vient de Né de Dieu, et cela par régénération, par infusion de grâce et par glorification ; celle-ci est triple, par génération, par esprit, et par Dieu. Car quand les saints meurent, on dit qu'ils naissent; c'est pour cela que leur trépas n'a pas le nom de mort, mais de natalice. En effet l’enfant aspire à naître afin de recevoir plus d'espace pour sa demeure une nourriture plus. substantielle pour le manger, un air plus spacieux pour respirer, et de la lumière, pour voir. Les saints, par leur mort, sortent des entrailles de l’Eglise, reçoivent ces quatre avantages à leur manière: c'est pour cela qu'on dit qu'ils naissent. Ou bien il est appelé Donat, ce qui signifierait donné par don de Dieu.

** Saint Grégoire de Tours; — Sozomène; — Bréviaire Romain.

P380  

Donat fut élevé et nourri avec l’empereur Julien, jusqu'au moment oit il fut ordonné sous-diacre : mais quand Julien fut élevé à l’empire, il tua le père et la mère de saint Donat. Alors Donat s'enfuit dans la ville d'Arezzo, oit il demeura avec le moine Hilaire et fit beaucoup de miracles: car le préfet de la ville ayant son fils démoniaque, il l’amena à Donat et l’esprit immonde se mit à crier et à dire : « Au nom du Seigneur J.-C., ne me tourmente pas pour que je sorte de ma maison, ô Donat; pourquoi me forces-tu par des tourments de sortir d'ici? » Mais saint Donat fit une prière et l’enfant fut délivré aussitôt.

— Un homme nommé Eustache, receveur du fisc en Toscane, laissa une somme d'argent qui appartenait au trésor public, à la garde de sa femme nommée Euphrosine. Comme la province était ravagée par les ennemis, cette femme cacha l’argent; mais prévenue par une maladie, elle mourut. Le mari, à son retour, n'ayant pas trouvé son dépôt, était sur le point d'être traîné au supplice avec ses enfants; il eut alors recours à saint Donat. Or, celui-ci alla au tombeau de la femme avec le mari, et après avoir fait une prière, il dit à intelligible vois. « Euphrosine, je t'adjure par le Saint-Esprit de nous dire oit tu as déposé telle somme d'argent. » Et une voix sortant du sépulcre dit: « A L'entrée de ma maison, c'est là que je l’ai enterrée. » On y alla et on l’y trouva comme elle avait dit. Quelques jours après, l’évêque Satire s'endormit dans le Seigneur et tout le clergé élut Donat pour lui succéder.

P381

Saint Grégoire rapporte *, qu'un jour, après la célébration de la messe, le peuple recevant la communion, et le diacre présentant la coupe où était le sang de J.-C., les païens se ruèrent dans l’église, renversèrent le diacre qui brisa le saint calice. Comme il en était fort affligé ainsi que tout le peuple, Donat recueillit les fragments du calice, et ayant fait une prière, il le rétablit dans sa forme première. Mais le diable en cacha un morceau qui manqua au calice, c'est toutefois un témoignage du miracle. Les païens, à cette vue, se convertirent et furent baptisés au nombre de quatre-vingts. Il y avait une `fontaine tellement infectée que quiconque en buvait, mourait, aussitôt. Or, comme saint Donat allait, monté sur son âne, rendre cette eau saine par ses prières, un dragon terrible s'élança de l’eau, enroula sa queue autour. des pieds de l’âne et se dressa aussitôt contre Donat. Le saint le frappa avec un fouet, ou, selon qu'on le lit autre part, lui cracha dans la gueule; ce qui le tua à l’instant : ensuite il fit une prière et détruisit tout le venin de la fontaine **. Un jour que Donat et ses compagnons étaient pressés par la soif, il fit jaillir une autre fontaine; à l’endroit où ils se trouvaient.

La fille de l’empereur Théodose était tourmentée par le démon, et on l’amena à saint Donat : « Sors, lui dit-il, esprit immonde, et cesse d'habiter dans une créature de Dieu. » Le démon lui répondit : «Donne-moi un passage par où sortir et un endroit où je puisse aller. »

* Dialogues, 1. I, c. VII.
** Sozomène, Hist. Trip., l IX, c. XLVI.

P382

Donat lui dit : « D'où es-tu venu ici?» « Du désert, répondit le démon. » « Retournes-y, reprit le saint. » Alors le démon lui dit : « Je vois sur toi le signe de la croix d'où sort un feu contre moi, et j'ai si peur que je ne sais où aller. Mais laisse-moi sortir et je sors. » Donat lui dit: « Voici un passage, retourne dans le lieu qui t'appartient. » Et il sortit en ébranlant toute la maison.

— On portait un mort en terre, quand arriva quelqu'un avec un billet, attestant que le mort lui devait 200 sols; et il ne permettait pas qu'on l’ensevelisse. La veuve éplorée vint informer saint Donat de ce qui se passait, en ajoutant que cet homme avait été payé intégralement. Alors saint Donat se leva pour venir au cercueil, et touchant la main du mort, il lui dit : « Ecoute-moi. » Le défunt répondit :
« Me voici. » Alors saint Donat lui dit « Lève-toi, et vois ce que tu as à faire avec cet homme, qui s'oppose à ce qu'on t'ensevelisse. » Alors le mort se mit sur son séant, et en présence de tous les assistants, il convainquit cet homme qu'il lui avait payé sa dette; puis prenant le billet avec la main, il le déchira. Ensuite il dit à saint Donat : « Laissez-moi, mon père, dormir de nouveau. » Saint Donat lui répondit : « Va maintenant te reposer, mon fils. »

— Vers le même temps, il y avait trois ans qu'il n'avait plu, et la stérilité était grande ; alors les infidèles vinrent trouver l’empereur Théodose et lui demandèrent de leur livrer Donat, qui, par ses sortilèges, était l’auteur du mal. Sur les instances de l’empereur, Donat étant sorti de sa maison, se mit en, prières et le Seigneur envoya une pluie abondante, et il. rentra chez lui sans recevoir une goutte de pluie, tandis que tous les autres avaient leurs habits trempés.

P383

— A cette époque, les Goths ravageaient l’Italie et beaucoup abandonnaient la foi de J.-C. Evadracien, gouverneur, fut repris de son apostasie par saint Donat et Hylarin ; il les condamna à immoler à Jupiter. Mais s'étant refusés à le faire, le gouverneur fit dépouiller Hylarin et ordonna qu'on le fouettât jusqu'à ce qu'il eût rendu l’esprit. Pour Donat, il le fit mettre en prison et décapiter ensuite, vers l’an du Seigneur 380 *.


(117) SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS **

Cyriaque, ordonné diacre par le pape Marcel; fut pris et amené devant Maximien qui le condamna, avec ses compagnons, à creuser la terre et à la porter sur leurs épaules en un lieu où on construisait les Thermes ; là se trouvait le saint vieillard Saturnin, que Cyriaque et Sésumius aidaient à porter la terre. Enfin le gouverneur fit amener devant lui Cyriaque, qui avait été jeté au cachot. Au moment où Apronianus le faisait sortir, tout à coup une voix, suivie d'une lumière, vint du ciel et dit : « Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde. » (Matt., XXV.)

** Bréviaire romain.

P384

Alors Apronien crut, se fit baptiser et vint confesser J.-C. devant le gouverneur. Celui-ci lui dit : « Est-ce que tu as été fait chrétien? » Apronien répondit « Malheur à moi, parce que j'ai perdu mes jours ! » Le gouverneur reprit. : « Vraiment oui, tu perdras tés jours. » Et il l’envoya décapiter. Pour Saturnin et Sisimius qui ne voulaient pas sacrifier, on leur fit subir différents supplices, enfin ils furent décapités. Or, la fille de Dioclétien, nommée Arthémie, était tourmentée par le démon * qui criait en elle: « Je ne sortirai pas à moins que le diacre Cyriaque ne vienne. » On lui amena donc Cyriaque, qui après avoir donné ses ordres au démon, en reçut cette réponse : « Si tu veux que je sorte, donne-moi un vase dans lequel je me mette. » Cyriaque répondit : « Voici mon corps, si tu peux, entres-y. » Le démon lui dit : « Je ne puis entrer dans ce vase, parce que il est scellé et clos; mais si tu me chasses, je te ferai venir dans la Babylonie. » Et quand il eut été contraint de sortir, Arthémie s'écria qu'elle voyait le Dieu que Cyriaque prêchait. Alors Cyriaque baptisa Arthémie. Comme il vivait tranquille dans une maison qu'il tenait de la générosité de Dioclétien et de son épouse Sérène, un ambassadeur vint demander, au nom du roi des Perses, à Dioclétien de lui envoyer Cyriaque, parce que sa fille était tourmentée par le démon **. Or, à la prière de Dioclétien, Cyriaque s'embarqua avec Largue et Samaraque sur un navire qui avait été pourvu du nécessaire, et alla avec joie dans la Babylonie.

* Bréviaire romain.
** Ibid..

P385

Quand il fut arrivé auprès, de la jeune fille, le démon lui cria par la bouche de cette personne : « Es-tu fatigué, Cyriaque ? » Cyriaque lui répondit : « Je ne suis point fatigué, mais je me laisse mener en tout lieu par la droite de Dieu. » Le démon dit : « Enfin, pour moi, je l’ai amené où j'ai voulu. » Alors Cyriaque dit au démon : « Jésus te commande de sortir. ». Le démon sortit à l’instant et dit : «Oh! nom terrible, qui me force de sortir! » Alors la jeune fille, guérie, fut baptisée avec son père, sa mère et beaucoup d'autres. Comme on offrait de nombreux présents à Cyriaque, il ne les voulut pas accepter ; mais après être resté en ce lieu quarante-cinq jours, jeûnant au pain et à l’eau, il revint enfin a Rome. Deux mois après mourut Dioclétien, auquel succéda Maximien, lequel, irrité contre sa soeur Arthémie, fit saisir Cyriaque, qui fut lié tout nu avec des chaînes, et traîné au devant de son char. (Ce Maximien peut être appelé le fils de Dioclétien, en tant qu'il fut son successeur et qu'il épousa sa fille nommée Valériane). Il ordonna à Carpasius, son vicaire, de forcer le saint à sacrifier, ou de le faire mourir dans les supplices. Carpasius, après, lui avoir fait verser de la poix sur la tête,  le fit suspendre au chevalet, ensuite il ordonna qu'on lui tranchât la tête ainsi qu'à tous ses compagnons. Après quoi, Carpasius obtint la maison de Cyriaque, et comme, par mépris pour les chrétiens, il se baignait dans le lieu où ce saint administrait le baptême, et qu'il donnait un grand festin à dix-neuf de ses amis, ils moururent tous subitement. Depuis ce moment on ferma ces bains et les gentils commencèrent à craindre et à vénérer les chrétiens.


(118) SAINT LAURENT, MARTYR

P386

Laurent viendrait de tenant un laurier. C'est un arbre avec les branchés duquel on tressait autrefois des couronnes dont on ceignait lés vainqueurs. Il est l’emblème de la victoire; il réjouit la vue par sa verdeur constante ; il répand une odeur agréable, et possède beaucoup de propriétés. Or, saint Laurent est ainsi nommé de laurier, parce qu'il remporta la victoire dans son martyre; ce qui força Dèce à avouer avec confusion: « Je pense que nous voici vaincus *. »

Il posséda la verdeur dans la netteté et la pureté de son corps ; ce qui lui a fait dire: « Ma nuit n'a plus rien d'obscur, etc. » Il eut l’odeur parce que sa mémoire sera éternelle: de la ces mots du Psaume III qui lui ont été appliqués: « Il a répandu. des biens sur les pauvres ; sa justice demeurera dans tous les siècles. » Saint Maxime dit : « Comment sa justice n'aurait-elle pas de durée, ses oeuvres étaient animées par cette vertu qui lui a fait consommer son martyre. » Sa prédication fut efficace, puisqu'il convainquit Lucille, Hippolyte et Romain. Le laurier a la propriété de guérir de la pierre qu'il écrase, de remédier à la surdité, et de détourner la foudre. De même saint Laurent brise les coeurs endurcis,rend l’ouïe spirituelle, et protège contre la foudre des sentences de la réprobation **.

* Il existe un poème sur saint Laurent dont tous les mots commencent par L.
** La vie de saint Laurent est tirée des actes anciens et reproduits dans son office au Bréviaire romain.

P387

Laurent, martyr et diacre, Espagnol de nation, fut amené à Rome par saint Sixte. Car ainsi que le dit
Me Jean Beleth *, Sixte, dans un voyage en Espagne, rencontra deux jeunes gens, Laurent et Vincent, son cousin, distingués par leur honnêteté et remarquables dans toute leur conduite : il les amena à Rome avec lui. L'un d'eux, c'était Laurent, demeura à Rome auprès de sa personne, et Vincent retourna en Espagne où il termina sa vie par un glorieux martyre. Mais cette opinion de Me Jean Beleth a contre elle le temps du martyre de ces deux saints ; car Laurent souffrit sous Dèce et Vincent, qui était jeune, sous Dioclétien et Dacien. Or, entre Dèce et Dioclétien, il s'écoula environ 40 ans et il y eut entre eux sept empereurs, en sorte que saint Vincent n'aurait pu être jeune. Saint Sixte ordonna Laurent son archidiacre.

En ce temps-là, l’empereur Philippe et son fils, qui portaient le même nom, avaient reçu la foi et après être devenus chrétiens, ils s'efforçaient de donner beaucoup d'importance à l’Eglise. Ce Philippe fut le premier empereur qui reçut la fondé J.-C. ; ce fut, dit-on, Origène qui le convertit, quoiqu'on lise ailleurs que ce fut saint, Pontius. Il régna l’an mille de la fondation de Rome, afin que cette millième année fut consacrée à J.-C. plutôt qu'aux idoles. Or, les Romains célébrèrent cet anniversaire avec un grand appareil de jeux et de spectacles.

L'empereur Philippe avait auprès de sa personne un soldat nommé Dèce qui était courageux et renommé dans les combats. Vers cette époque, la Gaule s'étant révoltée, l’empereur y envoya Dèce afin de soumettre à la domination romaine les Gaulois rebelles.

* C. CXLV.

P388

Dèce mena tout à bien et revint à Rome après avoir remporté la victoire au gré de ses désirs. L'empereur apprenant son arrivée. voulut lui rendre de grands honneurs et alla au-devant de lui jusqu'à Vérone. Mais comme l’esprit des méchants s'enfle d'un orgueil d'autant plus grand qu'ils se sentent honorés davantage, Dèce exalté par l’ambition en vint jusqu'à aspirer à l’empire et à comploter la mort de son maître. Il choisit le moment où l’empereur reposait sous son pavillon pour y entrer en cachette et l’égorger pendant qu'il dormait. Quant à l’armée venue avec l’empereur, il se l’attacha par ses prières, par l’argent, par des largesses et par des promesses, et alors il se hâta d'aller à la capitale de l’empire à marches forcées.

A cette nouvelle, Philippe le jeune fut saisi de craintes, et au rapport de Sicard dans sa chronique, il confia les trésors, entiers de son père et les siens à saint Sixte et à saint Laurent, afin que, s'il venait à être tué lui-même par Dèce,ils donnassent ces trésors aux églises et aux pauvres. N'allez pas vous étonner si les trésors distribués par saint Laurent ne sont pas appelés les trésors de l’empereur, mais bien ceux de l’Église, car il put se faire qu'avec ces trésors de l’empereur Philippe, il eût distribué en même temps quelques trésors appartenant à l’Église : ou bien encore, on peut les appeler les trésors de l’Église, parce que Philippe les avait laissés à l’Église pour qu'ils fussent partagés entre les pauvres, quoique l’on doute avec certaine raison que ce fuît Sixte qui existât alors, comme il sera dit plus bas.

P389

Ensuite Philippe s'enfuit et, pour ne point tomber entre les mains de Dèce, à son retour, il se cacha. Le Sénat alla donc au-devant de Dèce et le confirma dans la possession de l’empire. Or, afin de paraître avoir tué son maître non par trahison, mais par zèle pour le culte des idoles, il commença à persécuter les chrétiens avec la plus affreuse cruauté, donnant l’ordre de les égorger sans aucune miséricorde.

Dans cette persécution périrent plusieurs milliers de martyrs, parmi lesquels fut couronné Philippe le jeune. Ensuite, Dèce se mit à la recherche du trésor de son maitre. Sixte lui fut présenté comme adorant J.-C. et comme possédant les trésors de l’empereur. Or, saint Laurent qui le suivait par derrière lui criait: « Où allez-vous, sans votre fils, ô mon père ? saint prêtre, où allez-vous sans votre diacre? Jamais vous n'aviez coutume d'offrir le sacrifice sans ministre. Qu'y a-t-il en moi qui ait pu déplaire à votre coeur de père? Avez-vous des preuves que j'aie dégénéré? Éprouvez de grâce, si vous avez fait choix d'un assistant capable, quand vous  m’avez confié le soin de distribuer le sang du Seigneur. » Ce n'est pas moi qui te quitte mon fils, ni qui t'abandonne, reprit le saint Pontife ; mais de plus grands combats pour la foi de J.-C., te sont réservés. Pour nous, en qualité de vieillard, nous n'avons à affronter que de faibles dangers, toi qui es jeune, tu remporteras sur le tyran un plus glorieux triomphe. Dans trois jours, tu me suivras, c'est, la distance qui doit séparer le prêtre et le lévite. Et il lui remit tous les trésors, en lui ordonnant d'en faire la distribution aux églises et aux pauvres.

P390 

Le bienheureux Laurent se mit donc nuit et jour à la recherche des chrétiens et donna à chacun selon ses besoins. Il vint à la maison d'une veuve qui avait caché un grand nombre de chrétiens chez elle : depuis longtemps elle souffrait de maux de tête. Saint Laurent lui imposa les mains et elle fut guérie de sa douleur; ensuite il lava les pieds des pauvres et leur donna l’aumône. La même nuit, il vint chez un chrétien et y rencontra un homme aveugle ; par un signe de croix, il lui rendit la vue.

Or, comme le bienheureux Sixte ne voulait pas entrer dans les vues de l’empereur, ni sacrifier aux idoles, il fut condamné à avoir la tête tranchée. Accourut alors saint Laurent qui se mit à crier à saint Sixte : « Veuillez ne pas m’abandonner, père saint, parce que déjà j'ai dépensé vos trésors que vous  m’aviez confiés. » Alors les soldats, en entendant parler de trésors, se saisirent de Laurent et le livrèrent entre les mains du tribun Parthénius. Celui-ci le présenta à Dèce. Le césar Dèce lui dit: « Où sont les trésors de l’Église que nous savons, avoir été déposés chez toi? ». Or, comme Laurent ne fui répondait pas, il le livra à Valérien qui était préfet, afin de le forcer à livrer les trésors et à sacrifier ensuite aux idoles, ou bien de le faire périr dans des supplices et des tourments divers. Valérien, de son côté, le mit entre les mains d'un officier nommé Hippolyte afin qu'il le gardât; et Laurent fut enfermé en prison avec beaucoup d'autres. Il y avait là sous les verrous un gentil nommé Lucillus qui, à force de pleurer, avait perdu la vue.

P391

Comme Laurent lui promettait de lui rendre l’usage de ses yeux, s'il croyait en J.-C. et s'il recevait le baptême, cet homme demanda avec instance. à être baptisé. Laurent prit donc de l’eau et lui dit: « Tout est lavé dans la confession. » Et quand Laurent l’eut interrogé avec précision sur les articles de foi et que Lucillus eut confessé qu'il les croyait tous, il lui versa de l’eau sur la tête et le baptisa au nom de J.-C. C'est pour cela que beaucoup d'aveugles venaient trouver Laurent et s'en retournaient guéris. Quand Hippolyte vit cela; il lui dit : « Montre-moi les trésors. » Laurent lui répondit : « O Hippolyte, pour peu que tu croies en Notre-Seigneur J.-C., je te montre des trésors et je te promets une vie éternelle. » Hippolyte lui dit: « Si tu fais ce que tu dis; je ferai aussi ce à quoi tu  m’exhortes. » A la même heure, Hippolyte crut et reçut le saint baptême avec sa famille. Quand il fut baptisé il dit « J'ai vu les âmes des innocents tressaillir de joie. » Peu après, Valérien donna ordre à Hippolyte de lui présenter Laurent. Celui-ci dit à Hippolyte : « Allons tons les deus ensemble, car la gloire nous est réservée à toi et à moi. » Ils viennent donc tous deux devant le tribunal, et l’on s'enquiert encore du trésor. Laurent demanda un délai de trois jours, ce à quoi Valérien consentit' en le laissant sous la garde d'Hippolyte. Pendant ces trois jours,, Laurent rassembla les pauvres, les boiteux et les aveugles et les présentant dans le palais de Salluste- à Dèce : « Ce sont là, lui dit-il, les trésors éternels quine diminuent jamais, mais qui s'accroissent; ils sont répartis entre chacun et trouvés entre les mains de tous; et ce sont leurs mains qui ont porté les trésors dans le ciel. » Valérien dit devant Dèce qui était présent: « Pourquoi tous ces détours? Hâle-toi de sacrifier et renonce à la magie. »

P392

Laurent lui dit : « Quel est celui qu'on doit adorer? Est-ce le créateur ou la créature? » Dèce irrité le fit frapper avec des fouets garnis de plomb, appelés scorpions, et on lui mit devant les yeux tous les genres de tortures. Comme l’empereur lui commandait de sacrifier afin qu'il échappât à ces tourments, Laurent répondit : « Malheureux! ce sont des mets que j'ai toujours désirés. » Dèce lui dit: « Si ce sont des mets, fais-moi connaître les profanes qui te ressemblent afin qu'ils partagent ce festin avec toi. » Laurent répondit: « Ils ont déjà donné leurs noms dans les cieux et c'est pour cela que tu n'es pas digne de les voir. » Alors par l’ordre de Dèce, il est dépouillé, battu de coups de fouets et des lames ardentes lui sont appliquées sur les côtés. « Seigneur J.-C., dit alors Laurent, Dieu de Dieu, ayez pitié de votre serviteur, puisque quand j'ai été accusé, je n'ai pas renié votre saint nom, quand j'ai été interrogé, je vous ai confessé comme mon Seigneur. » Et Dèce lui dit : « Je sais que c'est par les secrets de la magie que titi te joues des tourments, mais tu ne sauras te jouer longtemps de moi. J'en atteste les dieux et les déesses; si tu ne sacrifies, tu périras dans des tourments sans nombre. » Alors il commanda qu'on le frappât très longtemps avec des fouets garnis de balles de plomb. Mais Laurent se mit' à prier en disant : « Seigneur Jésus, recevez mon esprit. » Alors il se fit entendre une voix du ciel que Dèce ouït aussi : « Tu as encore bien des combats à soutenir. » Dèce rempli de fureur s'écria: « Romains, vous avez entendu les démons consolant ce sacrilège, qui n'adore pas nos dieux, ne craint pas les tourments et ne s'épouvante pas de la colère des princes. »

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Il ordonna une seconde fois qu'on le battît avec des scorpions. Laurent se mit à sourire, remercia Dieu et pria pour les assistants. Au même instant, un soldat, nommé Romain, crut et dit à saint Laurent: « Je vois debout en face de toi un très beau jeune homme qui essuie fies membres avec un linge. Je t'en conjure, au nom de Dieu, ne me délaisses pas, mais hâte-toi de me baptiser, » Et Dèce dit à Valérien: « Je pense que nous voici vaincus par la magie. » Il ordonna donc de le détacher de la cathaste * à laquelle il était attaché et de le renfermer sous la garde d'Hippolyte. Alors Romain apporta un vase plein d'eau, se jeta aux pieds de saint Laurent et reçut de ses mains le saint baptême. Aussitôt que Dèce en fut informé, il fit battre de verges Romain qui, s'étant déclaré chrétien de plein gré, fut décapité par l’ordre de l’empereur. Cette nuit-là, Laurent fut amené à Dèce. Or, comme Hippolyte pleurait et criait qu'il était chrétien, Laurent lui dit : « Cache plutôt J.-C. au-dedans de ton coeur, et quand j'aurai crié, prête l’oreille et viens. » On apporta donc, des instruments de supplices de tous les genres. Alors Dèce dit à Laurent: « Ou tu vas sacrifier aux dieux, ou cette nuit finira avec tes supplices. »

* La cathasta, d'après Rich, est tout simplement un gril de fer au-dessous duquel on mettait du feu pour torturer les criminels. Cet instrument était distingué du chevalet Eculeus et avait la forme d'une échelle d'après ce passage de Salvien : Lit. III, De Gubernat. Dei : Ad caelestis regiae januam..... ascendentes scalas sibi quodam modo de eculeis catastisque fecerunt. Iso Magister in Glossis catastae, genus tormenti, id est, lecti ferrei.

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Laurent lui répondit : « Ma nuit n'a pas d'obscurités, mais tout pour moi est plein de lumière. » Et Dèce dit : « Qu'on apporte un lit de fer afin que l’opiniâtre Laurent s'y repose. » Les bourreaux se mirent donc en devoir de le dépouiller et l’étendirent sur un gril de fer sous lequel on mit des charbons ardents et ils foulaient le corps du martyr avec des fourches de fer. Alors Laurent dit à Valérien: « Apprends, misérable, que tes charbons sont pour moi un rafraîchissement, mais qu'ils seront pour toi un supplice dans l’éternité, parce que le Seigneur lui-même sait que quand j'ai été accusé, je ne l’ai pas renié; quand j'ai été interrogé, j'ai confessé J.-C. ; quand j'ai été rôti, j'ai rendu des actions de grâces. » Et il dit à Dèce d'un ton joyeux : « Voici misérable, que tu as rôti un côté, retourne l’autre et mange. » Puis remerciant Dieu : « Je vous rends grâce, dit-il, Seigneur, parce que j'ai mérité, d'entrer dans votre demeure. » C'est ainsi qu'il rendit l’esprit. Dèce, tout confus, s'en alla avec Valérien au palais de Tibère, laissant le corps sur le feu. Le matin, Hippolyte l’enleva et, de concert avec le prêtre Justin, il l’ensevelit avec des aromates au champ Véranus. Les chrétiens jeûnèrent, et pendant trois jours célébrèrent ses vigiles, au milieu des sanglots et en versant des torrents de larmes.

Est-il certain que saint Laurent ait souffert le martyre sous cet empereur Dèce ? Le fait est douteux pour beaucoup de monde, puisque dans les chroniques, on lit que Sixte vécut longtemps avant Dèce. C'est le sentiment d'Eutrope quand il dit : Dèce qui suscita une persécution contre les chrétiens fit tuer entre autres le bienheureux lévite et martyr Laurent.

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Il est rapporté dans une chronique assez authentique que ce ne fut pas sous l’empereur Dèce, successeur de Philippe, mais sous un Dèce qui fut César, et non pas empereur, que saint Laurent souffrit le martyre. Car entre l’empereur Dèce et Dèce le jeune, sous lequel on dit que saint Laurent fut martyrisé, il y eut plusieurs empereurs et plusieurs souverains pontifes intermédiaires. En effet, il est dit dans le même livre que après Gallus et Volusien son fils, successeur de Dèce à l’empire, régnèrent Valérien et Gallien, et que ces deux derniers créèrent César, Dèce le jeune, mais sans le. faire empereur. Car anciennement les empereurs donnaient à quelques-uns la qualité de Césars, sans cependant lés créer Augustes ou empereurs; ainsi on lit dans les chroniques que Dioclétien fit César Maximien, et que, dans la suite, de César il le créa Auguste. Or, du temps de ces empereurs, c'est-à-dire de Valérien et de Gallien, c'était Sixte qui siégeait à Rome. Ce fut donc ce Dèce simple César, mais non pas empereur qui martyrisa saint Laurent. C'est pour cela que dans la légende de ce saint, Dèce n'est pas appelé empereur, mais Dèce-César seulement. Car l’empereur Dèce ne régna que deux ans, et martyrisa le pape saint Fabien. A, Fabien succéda Corneille qui souffrit sous Volusien et Gallus. Après Corneille vint Lucien, et. Lucien eut pour successeur Etienne qui souffrit sous Valérien et Gallien dont le règne dura quinze ans. A Etienne succéda Sixte. Ce qui précède est tiré de la chronique qui a, été citée , ci-dessus. Cependant toutes les chroniques, tant d'Eusèbe, que de Bède et d'Isidore s'accordent à, dire que le pape Sixte ne vécut pas du temps de l’empereur Dèce, mais bien de Gallien.

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Mais on lit encore dans une autre chronique que ce Gallien eut deux noms, qu'il fut appelé Gallien et Dèce, et ce fut sous lui que souffrirent Sixte et Laurent, vers l’an du Seigneur 257. Geoffroy avance aussi dans son livre intitulé Panthéon que Gallien se nomma Dèce et que ce fut sous lui que souffrirent saint Sixte et saint Laurent. Et si cet auteur est exact, ce qu'avance Jean Beleth pourrait être véritable.

— Saint Grégoire rapporte au livre de ses Dialogues qu'une religieuse, nommée Sabine, conserva la continence sans pouvoir modérer l’intempérance de sa langue. Elle fut enterrée dans l’église de saint Laurent, devant l’autel du martyr; mais une partie de son corps fut coupée parle démon et resta intacte, tandis que l’autre partie fut brûlée : ceci fut constaté le lendemain matin.

— Grégoire de Tours rapporte * qu'un prêtre réparant une église de saint Laurent, une poutre se trouvait être trop courte; il pria le saint martyr qui avait soutenu les pauvres. de venir au secours de son indigence ; la poutre s'allongea de telle sorte qu'elle était beaucoup trop longue : le prêtre coupa alors cet excédent en petites parties et s'en servit pour guérir beaucoup d'infirmités. Ce fait est attesté par le bienheureux Fortunat, et il eut lieu à Brione, château d'Italie.

— Un homme avait mal aux dents : on le toucha avec un morceau de cette poutre et sa douleur disparut.

* De Gloria Martyr., l. I, c. XLII ; — Fortunat, l. IX, c. XIV.

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— Au rapport de saint Grégoire dans ses Dialogues **,
un autre prêtre appelé Sanctutus, voulant réparer une église de saint Laurent brûlée par les Lombards, loua grand nombre d'ouvriers. Or, un jour qu'il n'avait rien à leur donner à manger, il se mit en prière et en regardant dans le four il y trouva un pain très blanc qui ne paraissait cependant pas devoir suffire à un repas pour trois personnes. Or, saint Laurent, qui ne voulait pas gîté ses ouvriers manquassent de rien, multiplia ce pain de telle sorte qu'il y en eut assez pendant dix jours pour tous les ouvriers.

— Vincent de Beauvais rapporte, dans sa chronique, qu'il y avait à Milan dans une église de saint Laurent un calice de cristal d'une merveilleuse beauté. Dans une solennité le diacre qui le portait à l’autel le laissa échapper de ses mains, et en tombant, par terre ce calice se brisa en morceaux. Mais le diacre affligé en rassembla les- fragments, les mit sur l’autel, fit une prière à saint Laurent, et il reprit le calice entier et très solide.

On lit encore dans le livré des Miracles de la sainte Vierge, qu'il y avait à Rome un juge nommé Etienne, gui recevait volontiers des présents de grand nombre de personnes, et violait souvent la justice. Il usurpa par force trois maisons de l’église de saint Laurent et, un jardin de sainte Agnès, et resta en possession de ce qu'il avait acquis injustement. Or, il arriva qu'il mourut et qu'il fut mené au jugement de Dieu. Saint Laurent s'approcha alors de lui, plein d'indignation, et par trois fois il lui serra le bras pendant longtemps et lui fit souffrir de cruelles douleurs. Mais sainte Agnès avec les autres vierges ne voulut pas le voir et détourna la tête.

** L. III, c. XXXVII.
* Grég. de Tours; De Gloria Martyr., l. I, c. XLVI.

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Alors le juge rendit son arrêt en ces termes : « Parce qu'il a soustrait le bien d'autrui, et qu'en recevant des présents, il a vendu la vérité, qu'il soit traîné au lieu où est Judas le traître. » Alors saint Proeject pour lequel Etienne avait eu beaucoup de dévotion pendant sa vie, s'approchant de saint. Laurent et de sainte Agnès, demandait pardon pour ce juge. Il fut donc accordé à leurs prières unies à celles de la sainte Vierge que son âme retournerait à son corps pour y faire pénitence pendant trente jours. En outre il reçut pour pénitence, de la part de la sainte Vierge, de réciter chaque jour de sa vie le Psaume CXVIII, Beati immaculati in via. Quand il revint à la vie, son bras était noir et brûlé comme s'il eût réellement souffert dans on corps, et cette marque resta sur lui tant qu'il vécut. Il restitua donc le bien mal acquis et fit pénitence, mais il trépassa dans le Seigneur le trentième jour.

—  On lit dans la vie de l’empereur saint Henri et de sainte Cunégonde, sa femme, qu'ils vécurent ensemble dans la virginité; mais à l’instigation du diable, l’empereur conçut des soupçons sur son épouse par rapport à un soldat, et il la fit marcher nu-pieds l’espace de 15 marches sur des socs de charrue rougis au feu. En montant dessus elle dit : « De même, Seigneur Jésus, que vous avez connaissance que ni Henri ni aucun autre ne  m’a touchée, de même aussi venez à mon aide. »

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Mais Henri poussé par la honte la frappa au visage : et une voix se fit entendre à Cunégonde en lui disant : « La Vierge Marie t'a prise sous sa protection, car tu es vierge. » Elle marcha donc sur cette masse incandescente sans ressentir aucune douleur.

L'empereur venait de mourir quand une multitude infinie de démons passant devant la cellule d'un ermite, celui-ci ouvrit sa fenêtre et demanda au dernier passant qui ils étaient. Et il répondit: « Nous sommes une légion de démons qui nous hâtons d'aller à la mort du César afin de voir si nous pourrons trouver en lui quelque chose qui nous appartienne en propre. » L'ermite adjura le diable de revenir et celui-ci lui dit à son retour: « Nous n'avons rien trouvé, car bien que le soupçon injuste qu'avait conçu l’empereur, et ses autres péchés aient été mis ainsi que ses bonnes œuvres dans la balance, Laurent le grillé apporta un pot d'or d'un poids énorme, quand nous pensions emporter César; cette chaudière ayant été jetée sur la balance, l’autre côté l’emporta; alors, je fus irrité et j'arrachai une oreille de ce pot d'or. II donnait le nom de pot à un calice que cet empereur avait fait ciseler pour l’église d'Eichstat en l’honneur de saint Laurent envers lequel il avait une dévotion particulière. A cause de sa grandeur, ce calice avait deux anses. Et il se trouva qu'au même moment l’empereur mourut et une anse du calice fut brisée *.

* Ce fait se trouve sculpté en relief sur le tombeau qui renfermait les reliques de saint Henri et de sainte Cunégonde avant leur canonisation. On y voit un ange tenant d'une main une épée dégainée, de l’autre, une balance sur l’un des plateaux de laquelle est posé un calice. Chronic. Casin., l. II, c. XLIV.

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Saint Grégoire rapporte dans son Registre *, qu'un de ses prédécesseurs voulait, soulager quelqu'un auprès du corps de saint Laurent, mais qu'il ne savait où le corps reposait ; quand tout a coup et sans le savoir on découvre le tombeau, et tous ceux qui se trouvaient là **, aussi bien les moines que ceux, qui étaient attachés à l’église, et qui avaient vu ces saintes reliques, moururent dans l’espace de dix jours.

Il faut observer que le martyre de saint Laurent paraît l’emporter sur ceux des autres saints martyrs par quatre caractères qui lui sont propres et qu'on trouve exposés dans les paroles de saint Maxime, évêque, et de saint Augustin. Le premier, c'est la rigueur de ce martyre; le second, c'est le résultat ou l’utilité qu'il eut; le troisième, c'est la constance et le courage du patient; le quatrième, c'est le combat admirable en lui-même et le mode de sa victoire.

I. Le martyre de saint Laurent l’emporte sur les autres par l’extrême rigueur des tourments. Voici comment s'en exprime le bienheureux évêque Maxime, ou selon certains textes saint Ambroise: « Mes frères, ce n'est pas un martyre ordinaire et de quelques instants que saint Laurent eut à souffrir: car celui qui est frappé du glaive, meurt une fois, celui qui est plongé dans un brasier de flammes, est délivré à l’instant; mais saint Laurent est tourmenté par des supplices longs et nombreux, en sorte que la mort ne ralentit pas sa souffrance, et lui manqua à la fin. Nous lisons que dès bienheureux enfants se promenaient, au milieu des flammes apprêtées pour les faire souffrir et qu'ils foulèrent aux pieds des masses de feu.

* Ep. l. V, c. XXX.
** Le texte porte Mansionarii. On appelait ainsi les tenanciers d'une maison. Quand il s'agit de personnes religieuses, c'étaient des chanoines vivant en communauté.

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Et cependant saint Laurent leur est supérieur en gloire, parce que ceux-là se promenaient dans les flammes, et que lui fut couché sur le feu même qui faisait on supplice. Ils foulèrent le feu de leurs pieds, tandis que lui en éteignit l’ardeur par la position qu'on avait fait prendre à son corps étendu sur ses flancs. Ceux-là étaient debout et adressaient leurs prières en levant les mains vers le Seigneur ; celui-ci étendu sur le gril priait pour ainsi dire le Seigneur avec chacun de ses membres. Il faut noter encore que saint Laurent vient le premier de tous les martyrs après saint Etienne, non pas pour avoir supporté de plus grands tourments que les autres martyrs puisque beaucoup souffrirent des tourments égaux et quelquefois plus violents, mais c'est pour six motifs qui se trouvent ici réunis :
1° En raison du lieu où il a souffert, c'est à Rome, la capitale du monde et où se trouve le siège apostolique.
2° En raison de sa prédication, car il s'y livra avec ardeur.
3° En raison des trésors qu'il distribua tout entiers , avec sagesse aux pauvres. Ces trois raisons sont celles de maître Guillaume d'Auxerre.
4° Parce que son martyre est authentique et certain : car bien qu'on lise que les autres aient souffert de plus grands supplices, cependant cela n'est pas authentique et quelquefois il y a lieu. d'en douter; mais le martyre de saint Laurent est très solennel dans l’église qui l’a approuvé, ainsi que nombre de saints dans leurs discours.
5° Par la dignité à laquelle il fut élevé ; car il fut archidiacre du siège apostolique, et après lui, il n' v eut plus à Rome d'archidiacre.
6° Pour la cruauté, des tourments qui furent des plus atroces, puisqu'il fut rôti sur un gril de fer. Ce qui a fait dire de lui par saint Augustin : « On commanda d'exposer sur le feu ses membres déchirés et coupés par les nombreux coups de fouet qu'il avait reçus, afin que sur ce gril de fer sous lequel était entretenu un feu violent, le tourment fût plus atroce et la souffrance plus longue puisque l’on retournait l’un après l’autre chacun de ses membres.

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II. Le martyre de saint Laurent l’emporte sur les autres par ses résultats et son utilité. D'après saint Augustin ou saint Maxime, l’âpreté du supplice a couvert saint Laurent de gloire, l’a rendu célèbre dans l’opinion publique, excite à la dévotion envers lui, et en fait un modèle remarquable.

1° Elle le couvrit de gloire : ce qui fait dire à saint Augustin : « Tyran, tu as sévi contre ce martyr ; tu as tressé, tu as embelli sa couronne en accumulant les tourments. » Saint Maxime ou saint Ambroise ajoute: «Quoique ses membres se disloquent sous l’ardeur de la flamme, cependant la force de sa foi n'est pas ébranlée. Il perd son corps, mais il gagne le salut. » Saint Augustin dit : « O le bienheureux corps, dont les angoisses ne purent lui faire perdre la foi, mais que la religion couronna dans le ciel.»

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2° Elle le rendit célèbre dans l’opinion publique. Saint Maxime ou saint Ambroise dit: « Nous pouvons comparer le bienheureux martyr Laurent au grain de sénevé qui, broyé de toutes manières, a mérité de répandre par tout l’univers une odeur mystérieuse. Quand il était en vie, il fut humble, inconnu, méprisé. A peine a-t-il été tourmenté, déchiré, brûlé, qu'il répandit sur toutes les églises du monde un parfum de noblesse. » Plus loin on lit: « C'est chose sainte et agréable à Dieu que nous honorions avec une piété toute particulière le jour de la naissance de saint Laurent : l’Église victorieuse de J.-C. brille en ce jour du reflet de son bûcher, aux regards de l’univers. Ce généreux martyr a acquis une telle gloire dans son martyre qu'il en éclaire le monde entier. »

3° Le martyre de saint Laurent nous excite a la dévotion pour lui. Saint Augustin donne trois motifs que nous avons de le louer et de lui témoigner notre dévotion. Nous devons mettre toute notre confiance dans ce bienheureux martyr, d'abord parce qu'il a répandu son précieux sang. pour Dieu, ensuite parce qu'il a le privilège infini de nous montrer quelle doit être la foi du chrétien puisqu'il a eu tant d'imitateurs; enfin, parce que toute sa vie fut si sainte qu'il mérita d'obtenir la couronne du martyre dans un temps de paix.

4° Le martyre a fait de saint Laurent un modèle proposé à notre imitation.

Là-dessus saint Augustin s'exprime ainsi : « La cause pour laquelle ce saint homme a été dévoué à la mort, n'est que pour porter les autres a être ses imitateurs. » Or, nous avons trois motifs de l’imiter:

1° la force avec laquelle il souffrit : « Le peuple de Dieu, dit saint Augustin, n'est jamais instruit d'une manière plus profitable que par l’exemple des martyrs. Si l’éloquence . entraîne, le martyre persuade. Les exemples l’emportent sur les paroles, et les actions instruisent mieux que les discours. Les persécuteurs de saint Laurent ont pu apprécier eux-mêmes quelle dignité possédaient les martyrs dans cette excellente manière d'instruire, puisque cette admirable force d'âme ne faiblissait pas, mais fortifiait encore les autres en leur donnant un modèle dans ses souffrances. »

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2° La grandeur et l’ardeur de sa foi: « En surmontant par la foi, dit saint Maxime ou saint Ambroise, les flammes du persécuteur, il nous montre que, par le feu de la foi, on peut surmonter les flammes de l’enfer, et avec l’amour de J.-C., on n'a plus à craindre le jour du jugement. »

3° Son ardente dévotion: « Saint Laurent, dit encore le même auteur, a illuminé le monde entier avec cette lumière qui le brûla lui-même, et de ces flammes dont il supporta l’ardeur, il échauffa les coeurs de tous les chrétiens. Sur l’exemple de saint Laurent, nous sommes excités à souffrir le martyre, nous sommes enflammés pour la foi, et nous sommes échauffés par la dévotion »

III. Le troisième caractère qui distingue excellemment son martyre, c'est sa constance, ou son courage. Voici comme en parle saint Augustin : « Le bienheureux Laurent demeura en J.-C. au milieu de ses épreuves, pendant son inique interrogatoire, jusqu'aux atroces menaces qu'on lui fit, et jusqu'à la mort. Dans cette longue mort, il avait bien mangé, bien bu, il était rassasié de cette nourriture, et ivre; de ce calice de Dieu ; alors il ne ressentit pas les tourments, il ne fut pas abattu, mais il monta au ciel. Il fut si constant et si ferme que non seulement, il ne succomba pas aux tourments, mais, que par ces tourments eux-mêmes, il devint plus parfait dans la crainte, plus fervent dans l’amour et plus joyeux en ardeur. »

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1° « On l’étend, dit saint Maxime, sur des charbons ardents, on ne cesse de le tourner sur lui-même; mais plus il souffre de douleur, plus grande est la patience avec laquelle il craint N.-S. J.-C. »
2° « Le grain de sénevé, dit saint Maxime ou bien saint Ambroise, quand il est broyé, s'échauffe. Laurent au milieu de ses supplices s'enflamme. Chose admirable! celui-ci tourmente Laurent, ceux-là plus cruels encore perfectionnent les tortures, mais plus les supplices sont atroces plus ils rendent Laurent parfait dans son dévouement. 

3° Son coeur était tellement fortifié par la foi dans J.-C., que ne tenant aucun compté des tortures infligées à son propre corps; tout joyeux de son triomphe sur les flammes qui le brûlaient, il insultait à la cruauté de son bourreau.

IV. Le quatrième caractère de son martyre fut sa lutte admirable et la manière dont il remporta la victoire. Car, on peut recueillir des paroles de saint Maxime et de saint Augustin, que saint Laurent eut à endurer en quelque sorte extérieurement cinq sortes de feu, qu'il supporta avec courage et qu'il éteignit. Le premier fut le feu de l’enfer, le second le matériel de la flamme, le troisième fut celui de la concupiscence de la chair; le quatrième fut celui d'une violente avarice, le cinquième fut le feu d'une rage insensée.
1° « Pouvait-il faiblir, dit saint Maxime, parce que son corps était momentanément brûlé, celui dont la foi éteignait le feu éternel de l’enfer? Il passa à travers un feu d'un instant de durée, et tout terrestre, mais il échappa à la flamme de la géhenne qui brûle sans cesse. »

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2° « Son corps est brûlé, dit saint Maxime ou saint Ambroise, mais l’amour divin éteignit cette combustion matérielle. Un roi méchant mettra lui-même le bois, il activera le foyer, mais le bienheureux Laurent n'en sentira pas les effets, parce que l’ardeur de sa foi est encore plus vive. » « La charité de J.-C., dit saint Augustin, ne fut pas vaincue,par la flamme, et le feu qui brûle à l’extérieur est moins ardent que celui qui brûle à l’intérieur. »

3° Saint Maxime dit en parlant de l’extinction du feu de la concupiscence : « Voici un feu par lequel saint Laurent passa, sans en être brûlé, puisqu'il en eut horreur; mais il n'en brillé pas moins d'un grand éclat: il a brûlé pour n'être point enflammé, et pour ne point être brûlé, il endura d'être brûlé. »

4° L'avarice de ceux qui convoitaient des trésors a été déçue, selon ces paroles de saint Augustin : « Il s'arme d'une double torche cet homme cupide d'argent et ennemi de la vérité: c'est l’avarice pour ravir de l’or, c'est l’impiété pour faire disparaître J.-C. : mais tu ne gagnes rien, tu ne retires aucun profit, homme cruel, ce qui n'est que matière est soustrait à tes recherches Laurent monte au ciel, et tu péris avec tes flammes. »

5° La folie furieuse des persécuteurs a été frustrée et annihilée, comme le dit saint Maxime : quand il eut vaincu les bourreaux qui attisaient le foyer, il éteignit' l’incendie allumé par la folie qui débordait de toutes parts. Jusque-là le démon n'a obtenu qu'un résultat; c'est que cet homme fidèle montât plein de gloire jusqu'au trône de son maître, et que la cruauté de ses persécuteurs confondus fût engourdie avec leurs feux. » Il montre combien fut ardente la folie des bourreaux en disant : « La fureur enflammée des gentils prépare un gril ardent, afin de venger dans les flammes l’ardeur de leur indignation. »

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Il n'y a rien d'étonnant que saint Laurent ait surmonté ces cinq sortes de feu extérieur, puisque d'après les paroles de saint Maxime, il y eut trois choses qui le rafraîchirent intérieurement, et il porta dans son cœur trois feux au moyen desquels il adoucit et modéra entièrement le feu extérieur, qui fut ainsi vaincu par une ardeur plus forte. Ce furent :

1° Le désir du royaume du ciel,
2° la méditation de la loi de Dieu,
3° la pureté de conscience.

Il refroidit et éteignit ainsi tout feu extérieur.

1° le désir de la patrie céleste. Saint Maxime ou saint Ambroise dit : « Le bienheureux Laurent ne pouvait ressentir les tourments du feu puisqu'il possédait dans ses membres le désir du paradis qui refroidissait les flammes. — Aux pieds du tyran, gît une chair brûlée, un corps inanimé : mais il n'a rien perdu sur la terre, puisque son âme demeure dans le ciel.

2° La méditation de la loi divine. Le même, auteur s'exprime ainsi : « Tandis que son esprit est occupé dans la méditation des commandements de J.-C., tout ce qu'il souffre est froid pour lui. »

3° La pureté de conscience. Il est dit à ce propos : « Ce n'est que feu autour des membres de ce généreux martyr, mais il ne pense qu'au royaume de Dieu, et sa conscience rafraîchie le fait sortir vainqueur du supplice. »

Il posséda néanmoins trois feux intérieurs qui lui firent surmonter la violence des flammes extérieures. Le premier fut la grandeur de sa foi, le second, son ardente charité, et le troisième, une véritable connaissance de Dieu, qui l’a éclairé comme une flamme.

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« Plus sa foi est ardente, dit saint Ambroise, plus la flamme qui le brûle perd de sa force. La ferveur de la foi c'est le feu du Sauveur qui dit dans 1'Evangile : «Je suis venu vous apporter le feu sur la terre.» Saint Laurent en était embrasé, il n'a donc pas ressenti l’ardeur des flammes. »

2° Saint Ambroise dit de sa charité : « Il brûlait au dehors ce saint martyr, parce que le, tyran l’avait mis sur un foyer violent, mais la flamme de l’amour de Dieu qui le consumait était plus forte encore.»

3° Le même père parle ainsi de la connaissance de Dieu : « Les flammes les plus cruelles n'ont pu vaincre cet invincible martyr, parce qu'il avait l’esprit éclairé des rayons les plus pénétrants de la vérité. Enflammé de, haine pour le mal, et d'amour pour la vérité, ou il ne sentit pas, ou il vainquit la flamme qui le brillait au dehors.

L'office de saint Laurent a trois privilèges dont ne jouissent pas les autres martyrs. Le premier c'est la vigile ; c'est le seul des martyrs qui en ait une. Mais les vigiles des saints ont été remplacées en ce jour par le jeûne à cause de certains désordres. Me Jean Beleth rapporte que c'était autrefois la coutume; qu'aux fêtes des saints, les hommes, avec leurs femmes, et les filles venaient à l’église où ils passaient la nuit à la lumière des flambeaux ; mais parce qu'il en résultait des adultères, il fut statué que la vigile serait convertie en jeûne. Cependant on a conservé l’ancienne dénomination, et on dit encore vigile et non pas jeûne. Le second, c'est qu'il a une octave. C'est le seul des martyrs avec saint Etienne qui ait une octave, comme saint Martin parmi les confesseurs. Le troisième, c'est que les antiennes ont des réclames *, cela ne lui est commun qu'avec saint Paul.

* Voyez le Sacramentaire de saint Grégoire. Dans la réforme du Bréviaire romain, cet usage a disparu.

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Saint Paul a ce privilège en raison de l’excellence de sa prédication et saint Laurent en raison de l’excellence de son martyre.


(119) SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS **

Hippolyte vient de hyper, au-dessus, et lithos, pierre, comme si on disait fondé sur la pierre, qui est J.-C. Ou bien de in, dans, et polis, ville, ou bien il veut dire très poli. Il fut en effet fondé solidement sur J.-C. qui est la pierre, en raison de sa constance et de sa fermeté. Il fut de la cité d'en haut par le désir et l’avidité : il fut bien poli par l’âpreté des tourments.

Hippolyte, après avoir enseveli le corps de saint. Laurent, vint à sa maison, et en donnant la paix à ses esclaves et à ses servantes, il les communia *** tous du sacrement de l’autel que le prêtre Justin avait offert. Et quand on eut mis la table; avant qu'ils eussent touché aux mets, vinrent des soldats qui l’enlevèrent. et le menèrent au César. Quand Dèce le vit, il lui dit en souriant: « Est-ce que tu es devenu magicien aussi, toi, qui as enlevé le corps de Laurent. » Hippolyte lui répondit : « Je n'ai pas fait cela comme magicien, mais en qualité de chrétien. »

** Bréviaire romain ; — Actes anciens de aces saints.
*** Ce ne fut que vers le XIe siècle qu'on cessa de donner les saintes espèces de l’Eucharistie aux fidèles qui se communièrent alors de leurs propres mains.

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Alors Dèce rempli de fureur commanda qu'on le dépouillât de l’habit qu'il portait en sa qualité de chrétien *, et qu'on lui meurtrît la bouche à coups de pierres. Hippolyte lui dit : « Tu ne  m’as pas dépouillé, mais tu  m’as mieux vêtu. » Dèce lui répliqua: « Comment es-tu devenu fou au. point de ne pas rougir de ta nudité ? Sacrifie donc maintenant et tu vivras au lieu de périr avec ton Laurent. » Que ne mérité-je, reprit Hippolyte, de devenir l’imitateur du bienheureux Laurent dont tu as osé prononcer le nom de ta bouche impure! » Alors Dèce le fit fouetter et déchirer avec des peignes de fer. Pendant ce temps-là, Hippolyte confessait à haute voix qu'il était chrétien ; et comme il se riait des tourments qu'on lui infligeait, Dèce le fit revêtir des habits de soldat qu'il portait auparavant, en l’exhortant à rentrer dans son amitié et à reprendre son ancienne profession de militaire. Et comme Hippolyte lui disait qu'il était le soldat de J.-C., Dèce outré de colère le livra au préfet Valérien avec ordre de se saisir de tous ses biens et de le faire périr dans les tourments les plus cruels. On découvrit aussi que tous ses gens étaient chrétiens; alors on les amena devant Valérien. Comme on les contraignait de sacrifier, Concordia, nourrice d'Hippolyte, répondit pour tous les autres : « Nous aimons mieux mourir chastement avec le Seigneur notre Dieu que de vivre dans le désordre. »
* Hippolyte portait donc encore la robe blanche dont on revêtait les nouveaux baptisés.

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Valérien dit: « Cette race d'esclaves ne se corrige qu'avec les supplices. » Alors en présence d'Hippolyte rempli de joie, il ordonna qu'on la frappât avec des fouets garnis de plombs jusqu'à ce qu'elle rendît l’esprit : «' Je vous rends grâces, Seigneur, dit Hippolyte, de ce que vous avez envoyé ma nourrice la première. dans l’assemblée des saints. » Ensuite Valérien fit mener Hippolyte avec les gens de sa maison hors de la porte de Tibur. Or, Hippolyte les raffermissait tous : « Mes frères, leur disait-il, ne craignez rien, parce que vous et moi, nous avons un seul Dieu. » Et Valérien ordonna de leur couper la tête à tous sous les yeux d'Hippolyte, et ensuite il le fit lier par les pieds au cou de chevaux indomptés afin qu'il fût traîné à travers les ronces et les épines, jusqu'au moment où il rendit l’âme, vers l’an du Seigneur 256. Le prêtre Justin put soustraire leurs corps et les ensevelir à côté de celui de saint Laurent Quant aux restes de Concordia, il ne put les trouver, car ils avaient été jetés dans un cloaque. Or, un soldat nommé Porphyre, qui croyait que Concordia avait dans ses vêtements de l’or et des pierres précieuses, alla trouver un cureur de cloaques appelé Irénée, qui était chrétien, sans être connu comme tel, et lui dit : « Garde-moi le secret, et retire Concordia, car mon espoir est qu'elle avait de l’or ou des perlés dans ses habits. » Irénée lui dit : « Montre-moi l’endroit et je garde le secret; alors si je trouve quelque chose, je t'en informerai. »

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Lors donc que le corps eut été retiré, et qu'ils n'eurent rien trouvé, le soldat s'enfuit aussitôt et Irénée, ayant appelé un chrétien nommé Habondus, porta le corps à saint Justin. Celui-ci ci le prit avec respect et l’ensevelit à côté de saint Hippolyte et des autres martyrs. Quand Valérien apprit cela, il fit prendre Irénée et Habondus qu'il ordonna de jeter tout vivants dans le cloaque : saint Justin enleva aussi leurs corps et les ensevelit avec les autres.

Après cela, Dèce monta avec Valérien sur un char doré et ils allèrent tous deux à l’Amphithéâtre pour tourmenter les chrétiens. Alors Dèce fut saisi par le démon et se mit à crier : « O Hippolyte, tu me tiens lié avec des chaînes bien rudes. » Valérien criait de son côté. « O Laurent, tu me traînes enlacé dans des chaînes de feu. » Et à l’instant Valérien expira. Dèce rentra chez lui, et pendant trois jours qu'il fut tourmenté par le démon, il criait: « Laurent, je t'en conjure, cesse un instant de me tourmenter. » Et il mourut ainsi misérablement. Triphonie, sa femme, qui était d'un caractère cruel, quand elle vit cela, quitta tout pour venir trouver saint Justin avec sa fille Cyrille, et se fit baptiser par lui avec beaucoup d'autres personnes. Le jour suivant, comme Triphonie était en prières, elle rendit l’esprit. Son corps fut enseveli par le prêtre Justin à côté de celui de saint Hippolyte. Quand on apprit que l’impératrice et sa fille s'étaient faites chrétiennes, quarante-sept soldats vinrent avec leurs femmes chez le prêtre Justin afin de recevoir le baptême. Denys, qui succédait à saint Sixte, les baptisa tous. Mais Claude, qui était empereur, fit égorger Cyrille qui ne voulait pas sacrifier, et avec elle les autres soldats. Leurs corps furent ensevelis avec les autres dans le champ Véranus.

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Il faut remarquer qu'il est ici expressément question de Claude comme successeur de Dèce qui fit martyriser saint Laurent et saint Hippolyte. Or, Claude ne succéda pas à Dèce; il y a plus: d'après les chroniques, à Dèce succéda Volusien, à Volusien Gallien, et à celui-ci Claude. Il paraît donc ici plausible de dire ou bien que Gallien porta deux noms, et qu'il s'appela Gallien et Dèce, d'après Vincent dans sa chronique et Geoffroi dans son livre, ou bien que Gallien a pris pour coadjuteur un homme nommé Dèce qu'il aura fait César, sans que pourtant ce dernier ait été empereur, selon le récit de Richard dans sa chronique. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la préface de saint Hippolyte : « Le bienheureux martyr Hippolyte, regardant J.-C. comme son véritable chef, aima mieux être son soldat que d'être le chef des soldats. Il ne persécuta pas saint Laurent qui avait été confié à sa garde, mais il le suivit. En cherchant les trésors de l’Eglise, il en trouva un que le tyran ne lui ravirait point, mais que la piété pouvait seule posséder. Il trouva un trésor d’où découlaient toutes les richesses; il méprisa la fureur d'un tyran, afin d'être éprouvé avec la grâce du roi éternel ; il ne craignit point d'avoir les membrés disloqués, afin de ne pas être broyé dans les liens éternels.

— Un bouvier nommé Pierre avait attelé ses bœufs à son char, le jour de la fête de sainte Marie-Magdeleine ; il pressait son attelage en proférant des malédictions, quand tout à coup ses bœufs et son char furent consumés par la foudre. Quant au bouvier, qui avait proféré ces imprécations, il était en proie à des douleurs atroces; un feu le rongeait de telle sorte que les chairs et les nerfs de sa jambe tout entière ayant été consumés, ses os paraissaient à découvert; enfin sa jambe finit par se séparer de sa jointure.

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Il alla alors à une église dédiée à Notre-Dame, et cacha sa jambe dans un trou de cette église en priant avec larmes la Sainte Vierge de lui obtenir sa guérison.

Or, une nuit, la Sainte Vierge lui apparut avec saint Hippolyte auquel elle demanda de guérir Pierre. Aussitôt saint Hippolyte prit la jambe dans le trou où elle était et en un instant il la replaça comme une greffe qu'on ente sur un arbre. Mais au moment où le saint fit cela, Pierre ressentit des douleurs si vives que par ses cris il réveilla tous les gens de sa maison. Ils se lèvent, allument de la lumière et trouvent Pierre avec ses deux jambes et ses deux cuisses. Se croyant le jouet d'une illusion, ils le palpaient de toutes les manières et reconnaissaient qu'il avait des membres véritables. A peine peuvent-ils l’éveiller; enfin ils s'informent auprès de lui comment cela lui est arrivé. Il pense lui-même qu'on se moque de lui; mais enfin après avoir vu, il finit par se convaincre de ce qui existait ; il en resta stupéfait. Cependant sa cuisse nouvelle; plus faible que l’autre pour supporter son corps, était en même temps plus courte. Comme témoignage du miracle, il boita pendant un an. Alors la Sainte Vierge lui apparut une seconde fois avec saint Hippolyte auquel elle dit qu'il devait achever cette cure. Il s'éveilla et se trouvant entièrement guéri, il se fit reclus. Le diable lui apparaissait très fréquemment sous la forme d'une femme nue qui le portait au crime; plus il opposait de résistance, plus l’impudence de cette femme augmentait. Or, une fois qu'elle le tourmentait beaucoup, Pierre enfin prit une étole de prêtre et la mit au cou du démon qui, en se retirant, ne laissa là qu'un cadavre en putréfaction dont l’odeur était tellement infecte que de tous ceux qui le virent, il n'y eut personne qui ne pensât que ce fût le corps d'une femme morte que le diable avait pris.


(120) L'ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE

Un livre apocryphe, attribué à saint Jean l’évangéliste, nous apprend les circonstances de l’Assomption de la bienheureuse vierge Marie.

Tandis que les apôtres parcouraient les différentes parties du monde pour y prêcher, la bienheureuse Vierge resta, dit-on,  dans une maison près de la montagne de Sion. Elle visita, tant qu'elle vécut, avec une grande dévotion, tous les endroits qui lui rappelaient son Fils, comme les lieux témoins de son baptême, de son jeûne, de sa prière, de sa passion, de sa sépulture, de sa résurrection et de son ascension, et d'après Epiphane, elle survécut de vingt-quatre ans à l’ascension de son Fils. Il rapporte donc que la Sainte Vierge était âgée de quatorze ans quand elle conçut J. C., qu'elle le mit au monde à quinze, et qu'elle vécut avec lui trente-trois ans, et vingt-quatre autres après la mort de J.-C. D'après cela, elle avait soixante-douze ans quand elle mourut. Toutefois ce qu'on lit ailleurs parait plus probable, savoir, qu'elle survécut de douze ans à son Fils, et qu'elle était sexagénaire, lors de son assomption, puisque les apôtres employèrent douze ans à prêcher dans la Judée et les pays d'alentour, selon le récit de l’Histoire ecclésiastique.

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Or, un jour que le coeur de la Vierge était fortement embrasé du regret de son Fils, son esprit enflammé s'émeut et elle répand une grande abondance de larmes. Comme elle ne pouvait facilement se consoler de la perte de ce fils qui lui avait été soustrait pour un temps,  voici que lui apparut, environné d'une grande lumière, un ange qui la salua en ces termes, avec révérence, comme la mère du Seigneur : « Salut, Marie qui êtes bénie ; recevez la bénédiction de celui qui a donné le salut à Jacob. Or, voici une branche de palmier que je vous ai apportée du paradis comme à ma dame; vous la ferez porter devant le cercueil; car dans trois jours, vous serez enlevée de votre corps ; votre Fils attend sa révérende mère. » Marie lui répondit : « Si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, je vous conjure de daigner me révéler votre nom. Mais ce que je demande plus instamment encore, c'est que mes fils et frères les apôtres soient réunis auprès de moi, afin de les voir des yeux du corps, avant que je meure, et d'être ensevelie par eux après que j'aurai rendu en leur présence mon esprit au Seigneur. Il est encore une autre chose que je réclame avec instance, c'est que mon âme, en sortant du corps, ne voie aucun mauvais esprit, et que pas une des puissances de Satan ne se présente sur mon passage. »

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L'ange lui dit : « Pourquoi, ô dame, désirez-vous savoir mon nom qui est admirable et grand ? Quant aux apôtres, ils viendront tous et seront réunis auprès de vous; ils feront de magnifiques funérailles lors de votre trépas qui aura lieu en leur présence. Car celui qui autrefois a porté en un clin d'oeil, par un cheveu, le prophète de la Judée à Babylone, celui-là assurément pourra en un instant amener les apôtres auprès de vous. Mais pourquoi craignez-vous de voir l’esprit malin, puisque vous lui avez entièrement brisé la tête et que vous l’avez dépouillé de toute sa puissance ? soit faite cependant votre volonté, afin que vous ne les voyiez pas. » Après avoir dit ces mots, l’ange monta aux cieux au milieu d'une grande lumière. Or, cette palme resplendissait d'un très grand éclat, et par sa verdure elle était en tout semblable à une branche; mais ses feuilles brillaient comme 1'étoile du matin. Or, il arriva que, comme Jean était à prêcher à Ephèse, un coup de tonnerre éclata tout à coup, et une nuée blanche l’enleva, et l’apporta devant la porte de Marie. Il frappa, entra dans l’intérieur de la maison, et avec grande révérence, l’apôtre vierge salua la Vierge. L'heureuse Marie en le voyant fut saisie d'une grande crainte et ne put retenir ses larmes, tant elle éprouva de joie.

Alors elle lui dit: « Jean, mon fils, aie souvenance des paroles de ton maître, quand il  m’a confiée à toi comme un fils, et quand il t'a confié à moi comme à une mère. Me voici appelée par le Seigneur à payer le tribut à la condition humaine, et je te recommande d'avoir un soin particulier de mon corps. J'ai appris que les Juifs s'étaient réunis et avaient dit : « Attendons, concitoyens et frères, attendons jusqu'au moment où celle qui a porté « Jésus subira la mort, aussitôt nous ravirons son corps « et nous le jetterons pour être la pâture du feu. » Tu feras porter alors cette palme devant mon cercueil, lorsque vous porterez mon corps au tombeau. »

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Et Jean dit : « Oh ! plût à Dieu que tous les apôtres mes frères fussent ici, afin de pouvoir célébrer convenablement vos obsèques et vous rendre les honneurs dont vous êtes digne. » Pendant qu'il parlait ainsi, tous les apôtres sont enlevés sur des nuées, des endroits où ils: prêchaient et sont déposés devant la porte de Marie. En se voyant réunis tous au même lieu, ils étaient remplis d'admiration : « Quelle est, se disaient-ils, la cause pour laquelle le Seigneur nous a rassemblés ici en même temps? » Alors Jean sortit et vint les trouver pour les prévenir que leur dame allait trépasser ; puis il ajouta: « Mes frères, quand elle sera morte, que personne ne la pleure, de crainte que le peuple témoin de cela ne se trouble et dise : « Voyez comme, ils craignent la mort, ces hommes qui prêchent aux autres la résurrection. »

Denys, disciple de saint Paul, raconte les mêmes faits dans son livre des Noms divins (ch. III). Il dit qu'à la mort de la Vierge, les apôtres furent réunis et y assistèrent ensemble; ensuite que chacun d'eux fit un discours en l’honneur de J.-C. et de la Vierge. Et voici comme il s'exprime en parlant à Timothée : « Tu as appris que nous et beaucoup de saints qui sont nos frères, nous nous réunîmes pour voir le corps qui a produit la vie et porté Dieu. Or, se trouvaient là Jacques, le frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et chef suprême des théologiens.

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Ensuite il parut convenable que toutes les hiérarchies célébrassent, chacune selon son pouvoir, la bonté toute-puissante de Dieu qui s'était revêtu de notre infirmité. » Quand donc la bienheureuse Marie eut vu tous les apôtres rassemblés, elle bénit le Seigneur, et s'assit au milieu d'eux, après qu'on eut allumé des lampes et des flambeaux. Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus arriva avec les anges, l’assemblée des patriarches, la troupe des martyrs, l’armée des confesseurs et les choeurs des vierges. Tous se rangent devant le trône de la Vierge et chantent à l’envi de doux cantiques. On apprend dans le livre attribué à saint Jean quelles ont été les funérailles qui furent alors célébrées. Jésus commença le premier et dit : « Venez, vous que j'ai choisie, et je vous placerai sur mon trône parce que j'ai désiré votre beauté. » Et Marie répondit : « Mon coeur est prêt, Seigneur, mon coeur est prêt. » Alors tous ceux qui étaient venus avec Jésus entonnèrent ces paroles avec douceur :
« C'est elle qui a conservé sa couche pure et sans tache; elle recevra la récompense qui appartient aux âmes saintes. » Ensuite la Vierge chanta en disant d'elle-même :

« Toutes les nations  m’appelleront bienheureuse ; car le Tout-Puissant a fait de grandes choses en ma faveur : et son nom est saint. » Enfin le chantre donna le ton à tous en prenant plus haut: « Venez du Liban, mon épouse, venez du Liban, vous serez couronnée. » Et Marie reprit :
« Me voici, je viens; car il est écrit de moi dans tout le livre de la loi : que je ferais votre volonté, ô mon Dieu; parce que mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur. »

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C'est ainsi que l’âme de  Marie sortit de son corps et s'envola dans les bras de son Fils. Elle fut affranchie de la douleur de la chair, comme elle avait été exempte de la corruption. Et le Seigneur dit aux apôtres :« Portez le corps de la Vierge-Mère dans la vallée de Josaphat et renfermez-le dans un sépulcre neuf que vous y trouverez. Après quoi, pendant trois jours, vous  m’attendrez jusqu'à ce que je vienne. »

Aussitôt les fleurs des roses l’environnèrent; c'était l’assemblée des martyrs, puis les lys des vallées qui sont les compagnies des anges; des confesseurs et des vierges. Les apôtres se mirent à s'écrier en s'adressant à elle: « Vierge pleine de prudence, où dirigez-vous vos pas? Souvenez-vous de nous, ô notre Dame! » Alors les chœurs de ceux qui étaient restés au ciel, en entendant le concert de ceux qui montaient, furent remplis d'admiration et s'avancèrent à leur rencontre; à la vue de leur roi portant dans ses bras l’âme d'une femme qui s'appuyait sur lui, ils furent stupéfaits et se mirent à crier : « Quelle est celle-ci qui monte du désert, remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé ? » Ceux qui l’accompagnaient leur répondirent : « C'est celle qui est belle au-dessus des filles de Jérusalem. Vous l’avez déjà vue pleine de charité et d'amour. » Ainsi fut-elle reçue toute pleine de joie dans le ciel et placée à la droite de son Fils sur un trône de gloire. Quant aux apôtres ils virent son âme éclatant d'une telle blancheur qu'aucune langue humaine ne le pourrait raconter.

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Trois vierges qui se trouvaient là, dépouillèrent le corps de Marie pour le laver. Aussitôt ce corps resplendit d'une si grande clarté qu'on pouvait bien le toucher, mais qu'il était impossible de le voir : cette lumière brilla jusqu'à ce que le corps eût été entièrement lavé par les vierges. Alors les apôtres prirent ce saint corps avec révérence et le placèrent sur un brancard. Et Jean dit à Pierre : « Pierre, vous porterez cette palme devant le brancard; car le Seigneur vous a mis à notre tête et vous a ordonné le pasteur et le prince de ses brebis. » Pierre lui répondit : « C'est plutôt à vous à la porter ; vous avez été élu vierge par le Seigneur, et il est digne que celui qui est vierge porte la palme d'une vierge. Vous avez eu l’honneur de reposer sur la poitrine du Seigneur, et vous y avez puisé plus que les autres des torrents de sagesse et de grâce, il paraît juste qu'ayant reçu plus de dons du Fils, vous rendiez plus d'honneur à la Vierge. Vous donc, devez porter cette. palme de lumière aux obsèques de la sainteté, puisque vous vous êtes enivré à la coupe de la lumière, de la source de l’éternelle clarté. Pour moi, je porterai ce saint corps avec le brancard et nos autres frères qui seront à l’entour célébreront la gloire de Dieu. » Alors Paul dit: « Et moi qui suis le plus petit d'entre vous tous, je, le porterai avec vous. » C'est pourquoi Pierre et Paul enlevèrent  la bière ; Pierre se mit à chanter :
« Israël sortit de l’Egypte, alleluia. » Puis les autres apôtres continuèrent ce chant doucement. Or, le Seigneur enveloppa d'un nuage le brancard et les apôtres, en sorte qu'on ne voyait rien, seulement on les entendait chanter. Des anges aussi unirent leurs voix à celle des apôtres et remplirent toute la terre d'une mélodie pleine de suavité.

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Tous les habitants furent réveillés par ces doux sons et cette mélodie : ils se précipitèrent hors de la ville en demandant avec empressement ce qu'il y avait. Les uns dirent : « Ce sont les disciples de Jésus qui portent Marie décédée. C'est autour d'elle qu'ils chantent cette mélodie que vous entendez.» Aussitôt ils courent aux armes, et s'excitent les uns les autres en disant : « Venez, tuons tous les disciples et livrons au feu ce corps qui a porté ce séducteur. » Or, le prince des prêtres, en voyant cela, fut stupéfait et il dit avec colère: « Voici le tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et dans notre race. Quelle gloire il reçoit en ce moment ! » Or, en parlant ainsi il leva les mains vers le lit funèbre avec la volonté de le renverser et de, le jeter par terre. Mais aussitôt ses mains se séchèrent et s'attachèrent au brancard, en sorte qu'il y était suspendu : il poussait des hurlements lamentables, tant ses douleurs étaient atroces, Le reste du peuple fut frappé d'aveuglement par les anges qui étaient dans la nuée. Quant au prince des prêtres, il criait en disant : « Saint-Pierre, ne  m’abandonnez pas dans la tribulation où je me trouve; mais je vous en conjure, priez pour moi, car vous devez vous rappeler qu'autrefois je vous suis venu en aide et, que je vous ai excusé lors de l’accusation de la servante. » Pierre lui répondit : « Nous sommes retenus par les funérailles de Notre-Dame et nous ne pouvons nous occuper de votre guérison : néanmoins si vous vouliez croire en Notre-Seigneur J.-C. et en celle qui l’a engendré et qui l’a porté, j'ai lieu d'espérer que vous pourriez être guéri de suite. » Il répondit : « Je crois que le Seigneur Jésus est vraiment le Fils de Dieu et que voilà sa très sainte mère. »

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A l’instant ses mains se détachèrent du cercueil ; cependant ses bras restaient desséchés et la douleur violente ne disparaissait pas. Alors Pierre lui dit : «Baisez le cercueil et dites : « Je crois en Dieu Jésus-Christ que celle-ci a porté dans ses entrailles tout en restant vierge après l’enfantement.»
Quand il l’eut fait, il fut incontinent guéri. Alors Pierre lui; dit : « Prenez cette palme des mains de notre frère Jean et vous la placerez sur ce peuple aveuglé quiconque voudra croire recouvrera la vue; mais celui qui ne voudra pas croire ne verra plus jamais. » Or; les apôtres qui portaient Marie la mirent dans le tombeau, autour duquel ils s'assirent, ainsi que le Seigneur l’avait ordonné. Le troisième jour, Jésus arriva avec une multitude d'anges et les salua en disant: « La paix soit avec vous. » Ils répondirent: « Gloire à vous, ô Dieu, qui seul faites des prodiges étonnants. » Et le Seigneur dit aux apôtres: « Quelle grâce et quel, honneur vous semble-t-il que je doive conférer aujourd'hui à ma mère ? » « Il paraît juste, Seigneur, répondirent-ils, à vos serviteurs que, comme vous qui régnez dans les siècles après avoir vaincu la mort, vous ressuscitiez, ô Jésus, le corps de votre mère et que vous le placiez à votre droite pour l’éternité. » Et il l’octroya: alors l’archange Michel se présenta aussitôt et présenta l’âme de Marie devant le Seigneur. Le Sauveur lui parla ainsi: « Levez-vous, ma mère; ma. colombe, tabernacle de gloire, vase de vie, temple céleste; et de même que, lors de ma conception, vous n'avez pas été souillée par la tache du crime, de même, dans le sépulcre, vous ne subirez aucune dissolution du corps. »

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Et aussitôt l’âme de Marie s'approcha de son corps qui sortit glorieux du tombeau. Ce fut ainsi qu'elle fut enlevée au palais céleste dans la compagnie d'une multitude d'anges. Or, Thomas n'était pas là, et quand il vint, il ne voulut pas croire, quand tout à coup, tomba de l’air la ceinture qui entourait la sainte Vierge; il la reçut tout entière afin qu'il comprît ainsi qu'elle était montée  tout entière au ciel.

Ce qui vient d'être raconté est apocryphe en tout point; et voici ce qu'en dit saint Jérôme dans sa lettre, ou autrement dit, son discours à Paul et à Eustochium : « On doit regarder ce libelle comme entièrement apocryphe, à l’exception de quelques détails dignes de croyance, paraissant jouir de l’approbation de saints personnages et qui sont au nombre de neuf, savoir : que toute espèce de consolation a été promise et accordée à la Vierge; que les apôtres furent tous réunis; qu'elle trépassa sans douleur ; qu'on disposa sa sépulture dans la vallée de Josaphat ; que ses funérailles se firent avec dévotion ; que J.-C. et toute la cour céleste vint au-devant d'elle; que les Juifs l’insultèrent; qu'il éclata dès miracles en toute circonstance convenable; enfin qu'elle fut enlevée en corps et en âme. Mais il y a, dans ce récit, beaucoup de circonstances controuvées et qui s'éloignent de la vérité, comme par exemple, l’absence et l’incrédulité de saint. Thomas, et autres semblables, qu'il faut rejeter et taire. On dit que les vêtements de la sainte Vierge restèrent dans son tombeau pour servir de  consolation aux fidèles, et qu'une partie opéra le miracle qui suit :

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Lors du siège de la ville de Chartres par un général normand, l’évêque de cette ville attacha à une lance, en forme de drapeau, la tunique de la sainte Vierge, qui s'y conserve, et suivi de tout le peuple, il s'avança sans crainte contré l’ennemi. Aussitôt, l’armée des Normands fut frappée de démence et d'aveuglement, et, elle restait tremblante; son coeur et son courage étaient paralysés. A cette vue, les habitants de la ville entrent dans les vues du jugement de Dieu, et font un horrible massacre des ennemis. Ce qui parut déplaire à la bienheureuse Marie; car aussitôt cette tunique disparut, et à l’instant les Normands recouvrèrent la vue.

— On lit dans les révélations de sainte Elisabeth qu'un jour, étant ravie en esprit, elle vit, dans un lieu fort éloigné, un sépulcre environné d'une grande lumière, et au-dedans, comme l’apparence d'une femme entourée d'une foule d'anges ; et peu d'instants après, elle fut enlevée du sépulcre et élevée en l’air avec toute la multitude qui se trouvait là. Et voici qu'un personnage admirable et plein de gloire vint du ciel à sa rencontre, portant en sa droite l’étendard de la croix, et avec lui, des milliers d'anges. Ce fut au milieu des concerts d'allégresse qu'ils la conduisirent jusqu'au ciel. Peu de temps après, sainte Elisabeth demandait à un ange, avec lequel elle avait de fréquents entretiens, l’explication de cette vision. L'ange lui répondit : « Il t'a été montré alors comment Notre Dame a été enlevée au ciel en corps et en âme. ».

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Elle dit encore dans le même livre, qu'il lui fut révélé que la sainte Vierge fut portée au ciel en son corps, quarante jours après son trépas. Car la bienheureuse Marie lui dit en s'entretenant avec elle :
« Après l’ascension du Seigneur; j'ai vécu un an entier et tant de jours qu'il y en a, depuis l’ascension jusqu'à mon assomption. Or, tous les apôtres assistèrent à mon trépas et ensevelirent honorablement mon corps; mais quarante jours après, je ressuscitai. » Et comme sainte Elisabeth lui demandait si elle découvrirait ou si elle célerait cela, la sainte, Vierge lui dit : « Il ne faut pas le révéler, aux hommes charnels et aux incrédules, et il ne faut pas le cacher aux personnes dévotes et fidèles. »

Observons que la glorieuse vierge Marie fut transportée et élevée au ciel intégralement, honorablement, joyeusement et, excellemment. Elle fut transportée intégralement en corps et en âme, selon une pieuse croyance de l’Eglise. Un grand nombre de saints ne se contentent pas de l’avancer, mais ils s'attachent à en donner une quantité de preuves. Voici celle de saint Bernard : « Dieu s'est plu singulièrement à honorer les corps des saints. Ainsi, il a rendu les dépouilles de saint Pierre et de saint Jacques tellement vénérables, et il les a décorées d'honneurs si étonnants, qu'il a choisi, pour leur rendre des hommages, un lieu vers lequel accourt le monde entier. Si donc on disait que le corps de Marie fût sur la terre sans . que la dévotion des fidèles s'y portât avec affluence, et que ce, lieu ne jouit d'aucun honneur, on pourrait croire que J.-C. ne se serait point intéressé à la gloire de sa mère, quand il honore ainsi sur la terre les corps des autres saints. » Saint Jérôme avance de son côté que la sainte Vierge monta au ciel le 18 des calendes de septembre.

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Quant à l’assomption corporelle de Marie, il dit que l’Eglise se contente de rester en suspens sans se prononcer. Plus loin, il s'attache à en prouver la croyance de cette manière « S'il en est qui disent que dans ceux dont la résurrection a coïncidé avec celle de J.-C., la résurrection soit accomplie pour toujours à leur égard, et s'il en est un certain nombre qui croient que saint Jean, le gardien de la: sainte Vierge, jouisse du bonheur du ciel avec J.-C. et dans sa chair qui a été glorifiée, à plus forte raison doit-on le croire de la mère du Sauveur? Car celui qui a dit : « Honore ton père et ta « mère; », et qui, a dit encore : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir » ; celui-là, certainement, a honoré sa mère, et ce n'est pas pour nous le sujet d'une ombre de doute. » Saint Augustin ne l'affirme pas seulement, mais il en donne trois preuves. La première, c'est que la chair de J. C. et celle de la Vierge ne font qu'une : « Puisque, dit-il, la nature humaine est condamnée à la pourriture et aux vers, et que d'ailleurs J.-C. ne fut pas exposé à cet outrage, la nature de Marie en est donc exempte, car dans elle, J.-C. a pris la sienne. » La seconde raison qu'il en donne est tirée de la dignité de son corps « C'est, dit-il, le trône de Dieu, le lit nuptial du Seigneur, le tabernacle de J.-C. doit être où il est lui-même. Il est plus digne de conserver ce trésor dans le ciel que sur la terre. » La troisième raison, c'est la parfaite intégrité de sa chair virginale.

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Voici ses paroles : « Réjouissez-vous, ô Marie, d'une joie ineffable, dans votre corps et dans votre âme, en J.-C. votre propre fils, avec votre propre fils et par votre propre fils : La peine de la corruption n'est pas le partage de celle qui n'a pas éprouvé de corruption dans son intégrité; quand elle a engendré son divin fils. Toujours elle sera à l’abri de la corruption, celle qui a été comblée de tant de grâces ; il faut qu'elle vive dans toute l’intégrité de sa nature, celle qui a mis au monde l’auteur de la perfection et de la plénitude dans la vie; il faut qu'elle demeure auprès de celui qu'elle a porté dans ses entrailles; il faut qu'elle soit à côté de celui qu'elle a engendré, qu'elle a réchauffé, qu'elle a nourri. C'est Marie, c'est la mère de Dieu, c'est la nourrice, c'est la servante de Dieu. Je n'oserais penser autrement, et ce serait présomption de ma part de dire autre chose. » Un poète élégant s'en exprime comme il suit:

Scandit ad Aethera
Virgo puerpera,
Virgula Jesse.
Non sine corpore
Sed sine tempore,
Tendit ad esse.

Elle monte au ciel
La Vierge mère,
La Vierge de Jessé.
C'est avec son corps
Et pour l’éternité,      
Qu'elle s'élève jusqu'à celui qui est.



Secondement. Elle fut transportée au ciel au milieu de la joie. Gérard, évêque et martyr, dit à ce propos : « En ce jour, les cieux ont reçu la bienheureuse Vierge. avec joie. Les Anges se réjouissent, les Archanges jubilent, les Trônes s'animent, les Dominations la célèbrent dans les cantiques, les Principautés unissent leurs voix, les Puissances accompagnent de leurs instruments de musique, les Chérubins et les Séraphins entonnent des hymnes. Tous la conduisent jusqu'au souverain tribunal de la divine Majesté. »

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Troisièmement elle fut élevée au ciel au milieu de grands honneurs. Jésus lui-même et la milice céleste vinrent au-devant d'elle. « Qui pourrait s'imaginer, dit saint Jérôme, quelle fut la gloire dont la Reine du monde fut environnée lors de son passage ? Quel respect affectueux! Quelle multitude de légions célestes allant à sa rencontre ! Qu'ils étaient beaux les cantiques qui l’accompagnèrent jusqu'à son trône ! Quelle majesté, quelle grandeur dans les divins embrassements de son Fils qui la reçoit et l’élève au-dessus de toutes les créatures ! » « Il est à croire, dit ailleurs le même Père, gaze la milice des cieux alla en triomphe au devant de la mère de Dieu,         et qu'elle l’environna d'une immense lumière, qu'elle la conduisit en chantant ses louanges et des cantiques jusqu'au trône de Dieu. La milice de la Jérusalem céleste tressaille d'une joie ineffable : elle est fière de tant d'amour et de reconnaissance. Cette fête; qui n'arrive qu'une fois pour nous dans le cours de l’année, ne doit point avoir eu de terme dans les cieux. On croit encore que le Sauveur vint au-devant d'elle de sa personne, dans cette fête, et qu'il la fit asseoir plein de joie auprès de lui sur le trône. Autrement il n'eût point accompli ce que lui-même a ordonné par cette loi : « Honore ton père et ta mère. » Quatrièmement: Elle fut reçue avec magnificence. » C'est le jour, dit saint Jérôme, où la mère sans souillure : la Vierge s'avança jusqu'à son trône élevé, où elle s'assit glorieuse auprès de J.-C. »

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Voici comment le bienheureux Gérard montre en ses homélies à quel degré de gloire et d'honneur elle fut élevée: « N.-S. J.-C. a pu seul la grandir comme il l’a fait pour qu'elle reçût de la majesté elle-même la louange et l’honneur à toujours. Elle est environnée des choeurs angéliques, entourée des troupes archangéliques, accompagnée des Trônes pleins d'allégresse, au milieu de l’enthousiasme des Dominations; les Principautés la vénèrent : les. Puissances lui applaudissent : elle est honorée par les Vertus, chantée par les Chérubins et louée par les hymnes des Séraphins. La très ineffable Trinité lui applaudit elle-même avec des transports qui n'ont point de fin, et la grâce dont elle l’inonde tout entière fait que tous ne pensent qu'à cette Reine. L'illustre compagnie des Apôtres l’élève au-dessus de toute louange, la multitude des martyrs est toute en suppliante autour d'une si grande Maîtresse: l’innombrable armée des confesseurs lui adresse des chants magnifiques, le choeur, des Vierges aux vêtements blancs célèbre sa gloire avec des accents ineffables : L'enfer lui-même hurle de rage, et les démons insolents l’acclament *. » Un; clerc très dévot à la Vierge Marie voulait pour ainsi dire consoler Notre-Dame au sujet des cinq plaies de N.-S. J.-C., en: lui adressant tous les jours cette prière: « Réjouissez-vous, Mère de Dieu, Vierge immaculée; réjouissez-vous, puisqu'un ange vous apporte la joie; réjouissez-vous puisque vous avez enfanté la clarté de la lumière éternelle; réjouissez-vous, Mère; réjouissez-vous, Sainte Vierge, Mère de Dieu. Vous seule êtes la Mère-Vierge: toutes créatures vous louent: O mère de lumière, je vous en prie, ne cessez d'intercéder pour nous. »

* Saint Pierre Damien, op. XXXIV.

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Atteint d'une grave maladie ce clerc, réduit à l’extrémité, fut troublé par la frayeur. La sainte Vierge lui apparut et lui dit : « Mon fils, pourquoi une si grande crainte de ta part ? toi qui si souvent  m’as annoncé la réjouissance. Réjouis-toi aussi toi-même et pour te réjouir éternellement, viens avec moi *. » Un soldat fort puissant et riche avait dissipé tout son bien en libéralités mal entendues. Il devint si pauvre qu'après avoir donné avec profusion, il. fut réduit à manquer des moindres choses. Or, il avait une femme très honnête et fort dévote à la bienheureuse Vierge Marie.

* On voyait dans l’église de l’abbaye de Marsilly (baronnie de Bourgogne), où les seigneurs de Noyers avaient leur sépulture, une inscription ainsi conçue : « En l’an mil deux cent, sous le reigne de Philippe Dieu donné, un nommé Geoffroy Lebrun, maistre d'hostel du roy, estant disgracié de la cour et sans aucun moyen, comme il passait au travers. de la, forêt Darnois, autrement Darnaux, le diable lui apparut qui luy promit de grandes richesses, à condition qu'il luy livreroit sa femme: ce que, ledit Lebrun luy promit, et. à cet effet luy en donna une cédule signée de son sang. Ce que voulant exécuter il monta à cheval, mit sa ditte femme en trousse, et se mit en chemin pour s'en aller au rendez-vous, qui estoit dans la susditte forêt; et comme son chemin estoit de passer au-devant de l’église de Nostre-Dame de Marsilly, la veille de l’Assomption de N.-D., la ditte femme entendit sonner une messe et demanda à son mari d'entrer dans l’église, et comme ledit Lebrun voulut sortir pour achever son voyage, la Vierge prit la figure, de sa femme, monta sur la croupe de son cheval derrière luy : — et estant au rendez-vous, on entendit un grand bruit qui se faisoit dans la forêt, et en mesme temps la Vierge enleva dans les bras du diable la cédule dudit Lebrun et la rendit à sa femme, laquelle fut trouvée dans laditte église où elle s'estoit endormie, et la Vierge lui ayant apparu luy ordonna de prier pour la conversion de son mari, et disparut. » (Cabin. hist., t. I, P. 158).

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A l’approche d'une solennité; où il avait coutume de distribuer de grandes largesses, comme il n'avait plus rien à donner, il fut poussé par la honte et la confusion à se retirer, jusqu'à ce que cette solennité fût passée, dans un lieu désert où il pourrait soulager sa tristesse, pleurer les inconvénients de sa, position, et éviter la honte: tout à coup paraît un cheval fougueux sur lequel était monté un homme terrible qui s'approche de lui et lui demande le motif d'une tristesse si profonde. Le soldat lui ayant fait le récit détaillé de tout ce qui lui était arrivé, le cavalier lui dit : « Si tu veux te soumettre à un léger acte d'obéissance, tu auras de la gloire et des richesses en plus grande abondance que par le passé. » Il promet au prince des ténèbres d'exécuter volontier ce qu'il lui commandera, pourvu qu'il accomplisse à son égard ce qu'il a promis lui-même. Et le diable lui dit: « Va-t'en chez toi, cherche dans tel endroit de la maison, tu y trouveras des masses d'or et d'argent en telle quantité et tant de pierres précieuses : Mais aie soin tel jour de m'amener ici ta femme. » Sur cette promesse le soldat retourne à sa maison, et dans l’endroit désigné, il trouve tout ce qui lui avait été annoncé. Il achète aussitôt des palais, il répand des largesses, il rachète ses biens, il se procure des esclaves. Or, le jour fixé étant proche, il appela sa femme et lui dit: « Montez à cheval, car il vous faut aller avec moi en un lieu assez éloigné. »

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La dame tremblante et effrayée, n'osant pas aller contre ses ordres, se recommanda bien dévotement à la bienheureuse Vierge Marie et suivit son époux. Parvenus assez loin, ils rencontrèrent une église sur leur chemin; la femme descendit de son cheval et entra, pendant que son mari attendait dehors. Elle se recommandait avec dévotion à la bienheureuse Marie, quand tout à coup elle s'endormit et la glorieuse Vierge, semblable en tout à cette dame dans ses habits et dans ses manières, s'avança de l’autel; sortit et monta à cheval pendant que la dame elle-même restait endormie dans l’église. Le mari persuadé que c'était sa femme continua son chemin. Quand ils furent arrivés au lieu convenu, le prince des ténèbres accourut de son côté avec grand fracas. A peine s'est-il approché que tout d'un coup il frémit et tremblant de stupeur il n'osa avancer. Alors il dit au soldat: « O le plus félon des hommes, pourquoi  m’as-tu joué ainsi et pourquoi te comportes-tu de cette manière quand je t'ai comblé de bienfaits? Je t'avais bien dit de  m’amener ta femme et tu  m’as amené la mère du Seigneur. Je voulais ta femme et tu as amené Marie. Car ta femme ne cesse de me faire tort; je voulais me venger sur elle, et tu  m’as amené celle-là pour qu'elle me tourmentât et qu'elle  m’envoyât dans l’enfer. » En entendant ces paroles, cet homme était stupéfait, la crainte et l’étonnement l’empêchaient de parler. La bienheureuse Vierge Marie dit alors : « Quelle a été ta témérité, esprit méchant, d'oser nuire à une personne pleine de dévotion pour moi ? Tu ne l’auras pas fait impunément. Voici maintenant la sentence que je lance contre toi: c'est que tu descendes en enfer, et que tu n'aies plus désormais la présomption de nuire à quiconque  m’invoquera avec dévotion. »

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Et le diable se retira en poussant de grands hurlements. Alors le mari, sautant à bas de son cheval, se prosterna aux pieds de la sainte Vierge, qui le réprimanda et lui ordonna de retourner vers sa femme encore endormie dans l’église et de se dépouiller de toutes les richesses du démon. Et quand il revint, il trouva sa femme qui dormait encore, la réveilla et lui raconta ce qui lui était arrivé. Revenus chez eux, ils jetèrent toutes les richesses du démon, ne cessèrent d'adresser des louanges en l’honneur de la sainte Vierge qui leur accorda dans la suite une grande fortune.

Un homme accablé sous le poids du péché fut ravi en vision au jugement de Dieu *. Et voilà que Satan vint dire : « Il n'y a rien en cette âme qui vous appartienne en propre; elle est plutôt de mon domaine, d'ailleurs j'ai un titre authentique. » Et le Seigneur lui dit : « Où est ton titre ? » Satan reprit:  « J'ai un titre; vous l’avez dicté de votre propre bouche, et vous lui avez donné une sanction éternelle. Vous avez dit en effet: « En même temps que vous en mangerez, « vous mourrez très certainement. » Comme donc il est de la race de ceux qui ont mangé le fruit défendu, à ce titre authentique il doit être condamné à mourir avec moi. » Alors le Seigneur dit : « O homme, il t'est permis de te défendre. » Or, l’homme se tut. Le démon ajouta: « D'ailleurs je l’ai par prescription, depuis trente ans je possède son âme, et il  m’a servi comme un esclave qui est ma propriété. « Cet homme continua à se taire. Le démon reprit : « Cette âme est à moi, car quand elle aurait fait quelque bien, ses mauvaises actions l’emportent incomparablement sur les bonnes. »

* Saint Antonin rapporte dans sa Somme un fait qui n'offre qu'une légère variante avec le texte de la Légende. Summa, 4, hart., tit. XV, c. V. § 1.

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Mais le Seigneur qui ne voulait pas porter de suite une condamnation contre ce pécheur lui assigna un délai de huit jours, afin que, ce terme expiré, il comparût devant lui et s'expliquât sur tout ce qui lui était reproché. Or, comme il s'en allait de devant le Seigneur, tout tremblant et pleurant, il rencontra une personne qui lui demanda la cause d'une tristesse aussi vive. Et comme il lui eut raconté tout en détail, l’autre lui dit : « Ne crains rien, n'appréhende rien, car sur le premier point je t'aiderai fortement. » Le pécheur lui ayant demandé comment il s'appelait, il lui fut répondu : « La Vérité est mon nom. » Il en trouva une seconde qui lui promit de l’aide sur la deuxième accusation. Il lui demanda comment elle s'appelait et il lui fut répondu : « Je suis la Justice. » Or, le huitième jour, il comparut en jugement et le démon lui objecta le premier chef d'accusation ; la Vérité répondit : « Nous savons qu'il y a deux sortes de mort,, celle du corps et celle de l’enfer : Or, démon, ce titre que tu invoques. en ta faveur ne parle pas de la mort de l’enfer, mais de celle du corps. Ce qui est évident, puisque tout le monde subit cette sentence, c'est-à-dire que tous meurent corporellement, sans cependant que tous meurent des feux de l’enfer. Quant à la mort du corps, oui, elle aura toujours lieu ; mais quant à la mort de l’âme, l’arrêter a été révoqué par le sang de J.-C. »

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Alors le démon, voyant qu'il avait succombé sur le premier chef, se mit à lui objecter le second. Mais la Justice se présenta et répondit ainsi pour cet homme : « Quoique tu aies possédé cet homme comme ton esclave pendant nombre d'années, cependant toujours la raison voulait le contraire; toujours la raison murmurait de servir un si cruel maître. » A la troisième objection, il n'eut personne pour le défendre. Et, le Seigneur dit : « Qu'on apporte une balance et qu'on pèse les bonnes actions et toutes les mauvaises. Alors la Vérité et la Justice dirent au. pécheur : « Voici la mère de miséricorde assise auprès du Seigneur, aie recours à elle de toute ton âme et essaie de l’appeler à ton aide. » Quand il l’eut fait, la sainte Vierge Marie vint à son secours et elle mit la main sur la balance du côté où se trouvait le plateau de bien; mais le diable s'efforçait de faire baisser l’autre plateau ; cependant la mère de miséricorde l’emporta et délivra le pécheur. Celui-ci, revenu alors à lui, se corrigea.

Dans la ville de Bourges*, vers l’an du Seigneur 527, comme les chrétiens communiaient le jour de Pâques, un enfant juif s'approcha de l’autel avec les enfants des chrétiens et reçut comme eux le corps du Seigneur. Revenu chez lui, son père lui ayant demandé d'où il venait, l’enfant répondit qu'il avait été à l’église avec les enfants chrétiens, écoliers comme lui, et qu'il avait communié avec eux. Alors le père, rempli de fureur, prit l’enfant et le jeta dans une fournaise ardente qui se trouvait là.

* Evagre, Histoire ecclés., l. IV, c. XXXV, rapporte un fait semblable arrivé à C. P.

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A l’instant la mère de Dieu se présenta à l’enfant sous les traits d'une image qu'il avait vue sur l’autel, et le protégea contre le feu dont il ne reçut aucune atteinte. Alors la mère de l’enfant rassembla par ses clameurs un grand nombre de chrétiens et, de juifs. En voyant dans la fournaise l’enfant qui n'avait éprouvé aucun accident, ils l’en retirèrent et lui demandèrent comment il avait pu en échapper. Il répondit : « C'est que cette révérende Dame qui était sur l’autel  m’a prêté du secours et a écarté de moi tout le feu. » Les chrétiens, qui comprirent que c'était de l’image de la sainte Vierge que l’enfant parlait, prirent le père. de l’enfant et le jetèrent dans la fournaise où il fut brûlé aussitôt et consumé entièrement.

— Quelques moines étaient avant le jour auprès d'un fleuve et s'entretenaient de bagatelles et de discours oiseux. Et voici qu'ils entendent des rameurs qui passaient sur le fleuve avec une grande rapidité. Les moines leur dirent : « Qui êtes-vous ? » Et ils répondirent : « Nous sommes des démons, et nous portons en enfer l’âme d'Ebroïn, prévôt du roi des Francs qui a apostasié du monastère de Saint-Gall. » En entendant cela, les moines furent saisis d'une très violente peur, et s'écrièrent de toutes leurs forces: « Sainte Marie, priez pour nous. » Et les démons leur dirent :
« Vous avez bien fait d'invoquer Marie, car nous voulions vous démembrer et vous noyer, parce que nous vous trouvons à une heure indue vous livrant à des conversations déréglées. » Alors les moines rentrèrent au couvent et les démons se hâtèrent d'aller en enfer *.

* Gauthier de Cluny, Miracles de la sainte Vierge, c. IV.

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— Il y avait un moine fort lubrique, mais fort dévot à la bienheureuse Vierge Marie. Une nuit qu'il allait commettre son crime habituel, il passa devant un autel, salua la sainte Vierge, et sortit de l’église. Comme il voulait traverser un fleuve, il tomba dans l’eau et mourut. Or, comme les démons s'étaient saisis de son âme, vinrent des anges pour la délivrer. Les démons leur dirent : « Pourquoi êtes-vous venus ici? vous n'avez rien en cette âme. » Et aussitôt la bienheureuse Vierge Marie se présenta et les reprit de ce qu'ils avaient osé ravir l’âme du moine. Ils lui répondirent qu'ils l’avaient trouvé au moment où il finissait sa vie dans de mauvaises oeuvres. La sainte Vierge leur dit : « Ce que vous dites est faux, car je sais que s'il allait quelque part, il me saluait d'abord et à son retour, il en faisait autant; que si vous dites que l’on vous fait violence, posons la question au tribunal du souverain Juge. » Et comme on discutait devant le Seigneur, il lui plut que l’âme retournerait à son corps et ferait pénitence de ses actions.
Pendant ce temps-là, les frères voyant que l’heure des matines s'écoulait sans qu'on les sonnât * cherchent le sacristain; ils vont jusqu'à ce fleuve et le trouvent noyé. Après avoir retiré le corps de l’eau, ils s'émerveillaient de cet accident, quand tout à coup le moine revint à la vie et raconta ce qui était arrivé. Il passa le reste de sa vie dans de bonnes oeuvres.

* Le moine était sonneur.

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— Une femme souffrait une foule d'importunités de la part du démon qui lui apparaissait visiblement sous la forme d'un homme : elle employait quantité de moyens de se préserver; tantôt c'était de l’eau bénite, tantôt une chose, tantôt une autre, sans que le démon cessât de la tourmenter. Un saint homme lui conseilla, quand le démon s'approcherait d'elle, de lever les mains et de crier aussitôt : « Sancta Maria, adjuva me. Sainte Marie, aidez-moi. » Et quand elle l’eut fait, le diable, comme s'il eût été frappé d'une pierre, s'arrêta effrayé; après quoi il dit « Qu'un mauvais diable entre dans la bouche de celui qui t'a enseigné cela. » Et aussitôt il disparut et il ne s'approcha plus d'elle dans la suite.

(120) MODE DE L'ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE

Le mode de l’Assomption de la très sainte Vierge Marie est rapporté dans un sermon compilé de divers écrits des saints, qu'on lit solennellement dans plusieurs églises, et où l’on, trouve, ce qui suit : «Tout ce que j'ai pu rencontrer dans les récits des saints Pères, du monde entier, touchant le vénérable trépas de la Mère de Dieu, j'ai pris soin d'en faire mémoire en son honneur. Saint Côme, surnommé Vestitor, rapporte des choses qu'il a apprises par une relation certaine de la bouche des descendants de ceux qui en ont été les témoins. Il faut en tenir compte. Voici ses paroles : Quand
J.-C. eut décidé de faire venir auprès de soi la Mère de la vie, il lui fit annoncer par l’ange qu'il lui avait déjà envoyé, comment elle devait s'endormir *, de crainte que la mort survenant inopinément ne lui apportât quelque trouble.

* On s'est servi depuis les premiers siècles de l’église, tant chez les Latins que chez les Grecs de l’expression dormitio pour signifier le trépas, et même la fête de l’Assomption de la sainte Vierge. On donna encore à ce jour le nom de depositio, pausatio, transitus. L'Eglise d'orient n'emploie que le mot koirèsis; dormitio, sommeil.

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Elle avait conjuré son fils face à face, alors qu'il était encore sur la terre avec elle, de ne lui laisser voir aucun des esprits malins. Il envoya donc en avant un ange avec ordre de lui parler ainsi : « Il est temps, ma mère, de vous prendre auprès de moi. De même que vous avez rempli la terre de joie, de même vous devez réjouir le ciel. Rendez agréables les demeures de mon Père; consolez les esprits de mes saints ; ne vous troublez pas de quitter un monde corruptible avec toutes ses vaines convoitises, puisque vous devez habiter le palais céleste. O ma Mère, que votre séparation de la chair ne vous effraie pas, puisque vous êtes appelée à une vie qui n'aura pas de fin, à une joie sans bornes, au repos de la paix, à un genre de vie sûr, à un repos qui n'aura aucun terme, à une lumière inaccessible, à un jour qui n'aura pas de soir, à une gloire inénarrable, à moi-même votre Fils, le créateur de l’univers! Car je suis la vie éternelle, l’amour incomparable, la demeure ineffable, la lumière sans ombre, la bonté inestimable. Rendez sans crainte à la terre ce qui lui appartient. Jamais personne ne vous ravira de ma main, puisque la terre, dans toute son étendue, est en ma main. Donnez-moi votre corps, parce que j'ai mis ma divinité dans votre sein. La mort ne tirera aucune gloire de vous, parce que vous avez engendré la vie.

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L'obscurité ne vous enveloppera point de ses ombres parce que vous avez mis au monde la lumière ; vous ne subirez ni meurtrissure, ni brisure, car vous avez mérité d'être le vaisseau qui  m’a reçu. Venez à celui qui est né de vous afin de recevoir la récompense qui vous est due pour l’avoir porté dans votre sein, pour l’avoir nourri de votre lait; venez habiter avec votre Fils unique; hâtez-vous de vous réunir à lui. Je sais qu'aucun autre amour que celui de votre Fils ne vous tourmente. C'est comme vierge-mère que je vous ai présentée; je vous présente comme le mur qui soutient le monde entier, comme l’arche de ceux qui doivent être sauvés, la planche du naufragé, le bâton des faibles, l’échelle de ceux qui montent au ciel, et la protectrice des pécheurs. Alors j'amènerai auprès de vous les apôtres qui vous enseveliront de leurs mains comme si c'était des miennes. Il convient en effet que les enfants de ma lumière spirituelle, auxquels j'ai donné le Saint-Esprit, ensevelissent votre corps et me remplacent à vos admirables funérailles. » Après ce récit l’ange donne pour gage à la Vierge une palme, cueillie dans le paradis, afin de la rendre assurée de sa victoire contre la corruption de la mort, il y ajoute des vêtements funèbres; ensuite il regagne le ciel d'où il était venu.
La Bienheureuse Vierge Marie convoqua ses amis et ses parents et leur dit : « Je vous apprends qu'aujourd'hui je dois quitter la vie temporelle; il faut donc veiller, car au trépas de tout le monde, viennent auprès du lit du mourant la vertu divine des anges et les esprits malins. »

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A ces mots, tous se mirent à pleurer et à dire : « Vous craignez, vous la présence des esprits; quand vous avez été digne d'être la mère de l’auteur de toutes choses, quand vous avez engendré celui qui a dépouillé l’enfer, quand vous avez mérité d'avoir un trône préparé au-dessus des chérubins et des séraphins! Que ferons-nous donc, nous autres? comment fuirons-nous? » Il y avait là une multitude de femmes qui pleuraient et lui demandaient de ne pas les laisser orphelines. Alors la sainte Vierge leur dit pour les consoler : « Si vous qui êtes les mères d'enfants soumis à la corruption, vous ne pouvez supporter d'en être séparées pour un peu de temps, comment donc moi qui suis mère et vierge ne désirerais-je pas d'aller trouver mon fils, le Fils unique de Dieu le Père? Si chacune de vous quand elle a perdu quelqu'un de ses fils, se console en celui qui survit ou dans celui qui doit naître, moi qui n'ai que ce fils, et qui reste pure, comment ne me hâterai-je pas de mettre fin à mes angoisses en allant à lui qui est la vie de tous ? » Or, pendant que ceci se passait, saint Jean arrive et s'informe de ce qui a lieu. Quand la Vierge lui eut annoncé son départ pour le ciel, il se prosterna par terre et s'écria en pleurant : « Que sommes-nous, Seigneur, puisque vous nous réservez de si grandes tribulations ? Pourquoi plutôt ne  m’avez-vous dépouillé de mon corps? J'aurais mieux aimé être enseveli par la mère de mon Seigneur, que d'être obligé d'assister à ses funérailles. » Alors la sainte Vierge le mena tout en pleurs dans sa chambre et lui montra la palme et les vêtements ; après quoi elle s'assit sur le lit qui avait été préparé pour sa sépulture.

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Et voici qu'on entend un violent coup de tonnerre; un tourbillon semblable à une nuée blanche se forme, et les apôtres sont déposés, comme la pluie qui tombe, devant la porte de la maison de la sainte Vierge. Ils s'étonnent de ce qui arrive, mais saint Jean vient à eux et leur révèle ce qui a été annoncé par l’ange à la sainte Vierge: comme ils pleuraient tous, saint Jean les consola. Ils essuyèrent donc leurs larmes, entrèrent, et après avoir salué la Bienheureuse Vierge avec. respect, ils l’adorèrent. Et elle dit : « Salut, les enfants de mon Fils unique. » Après avoir écouté le récit qu'ils lui firent de leur arrivée, elle leur manifesta tout. Les apôtres lui dirent : « C'est en tournant nos regards vers vous, très honorable Vierge comme vers notre maître lui-même et notre Seigneur, que nous nous consolions ; c'était là notre seule ressource d'espérer que nous vous avions pour médiatrice auprès de Dieu. » Après qu'elle eut salué Paul en l’appelant par son nom, celui-ci lui dit
« Je vous salue, reine de ma consolation ; car bien que je n'aie pas vu J.-C. dans sa chair, cependant, quand je vous vois, je suis consolé comme si je le voyais lui-même. Jusqu'à ce jour je prêchais aux nations que vous aviez engendré Dieu, maintenant j'enseignerai que vous êtes allée à lui. » Après quoi la sainte Vierge montra ce que l’ange lui avait apporté, et les avertit de ne point éteindre les lampes jusques après son trépas. Il y avait là cent vingt vierges occupées à la servir. Après quoi elle revêtit ses vêtements funèbres et en disant adieu à tous, elle place son corps sur son lit pour mourir; saint Pierre était placé à la tête, saint Jean à ses pieds, les autres apôtres autour du lit, adressant des louanges à la mère de Dieu.

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Alors saint Pierre prit la parole en ces termes : « Réjouissez-vous, épouse du lit céleste, candélabre à trois branches de la lumière éclante, par qui a été manifestée la clarté éternelle. » Saint Germain, archevêque de Constantinople atteste aussi que les apôtres se rassemblèrent pour le sommeil de la très sainte Vierge, quand il dit : « O sainte Mère de Dieu, quoique vous ayez été soumise à la mort que ne saurait éviter aucune créature humaine, cependant votre oeil qui nous garde ne s'assoupira point ni ne s'endormira point : car votre trépas n'eut pas lieu sans témoins et votre sommeil est certain. Le ciel raconte la gloire de ceux qui chantèrent sur votre dépouille; la terre rend hommage à la véracité; les nuages proclament les hommages que vous en avez reçus. Les anges, célèbrent les bons offices qui vous ont été rendus, en ce que les apôtres se rassemblèrent auprès de vous dans Jérusalem. » Le grand Denys l’aréopagite atteste aussi la même chose en disant : « Ainsi que tu le sais bien, nous nous sommes rassemblés avec beaucoup de nos frères pour voir le corps de celle qui a reçu le Seigneur.-» Or, se trouvaient là Jacques, frère de Dieu, avec Pierre le souverain chef des Théologiens. Ensuite il sembla bon, après ce qu'on avait, vu, que tous les souverains prêtres chantassent des hymnes, selon que chacun avait en soi d'énergie, de bonté vivifiante ou de faiblesse.

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Saint Cosme poursuit ainsi sa narration : « Après cela, un fort coup de tonnerre ébranla la maison entière, et un vent doux la remplit d'une odeur si suave, qu'un sommeil profond s'empara de ceux qui s'y trouvaient, à l’exception . des apôtres et de trois vierges qui portaient des flambeaux; car le Seigneur descendit avec une multitude d'anges et enleva l’âme de sa mère. Or, l’éclat de cette âme était si resplendissant qu'aucun des apôtres ne la pouvait regarder. Et le Seigneur dit à saint Pierre :
« Ensevelissez le corps de ma mère avec le plus grand respect, et gardez-le soigneusement pendant trois jours, car je viendrai alors, et le transporterai dans le lieu où n'existe point la corruption; ensuite je le revêtirai d'une clarté semblable à la mienne, afin qu'il y ait union et accord entre ce qui a été reçu et ce qui' a reçu. » Saint Cosme rapporte encore un mystère étrange et merveilleux, et qui ne souffre ni investigation curieuse, ni discussion ordinaire : puisque tout ce qu'on dit de la mère de Dieu est surnaturel, admirable, redoutable, plutôt que sujet à discussion. « Car, dit-il, quand l’âme sortit de son corps, ce corps prononça ces mots : « Je vous rends grâces, Seigneur, car je suis digne de votre gloire. Souvenez-vous de moi puisque je suis votre oeuvre, et que j'ai conservé ce que vous  m’avez confié. » Quand ceux qui dormaient furent éveillés, continue saint Cosme, et qu'ils virent sans vie le corps de la Vierge, ils se livrèrent à une grande tristesse et poussèrent des gémissements. Les apôtres prirent donc le corps qu'ils portèrent au monument, en même temps que saint Pierre commença le Psaume : In exitu Israël de Aegypto. Les choeurs des anges louaient la Vierge de telle sorte que Jérusalem fut émue à l’occasion de cette grande gloire.

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Alors les grands-prêtres envoient une multitude de gens armés d'épées et de bâtons. Un d'eux se rue sur le grabat, avec l’intention de jeter par terre le corps de Marie, mère de Dieu. Mais parce qu'il l’ose toucher avec impiété, il mérite d'être privé de l’usage de ses mains; elles s'arrachent toutes les deux de ses bras; et restent suspendues au lit funèbre ; en même temps, il éprouve des tourments horribles. Cependant, il implore son pardon, et promet de s'amender. Pierre lui dit : « Tu ne pourras jamais obtenir le pardon, si tu n'embrasses le corps de celle qui a toujours été vierge, et si tu ne confesses que J.-C., qui est né d'elle, est le Fils de Dieu. » Quand il l’eut fait, ses mains se rejoignirent aux coudes d'où elles avaient été arrachées. Et saint Pierre prit une datte de la palme et lui dit : « Va, rentre dans la ville, et pose-la sur les infirmes, et tous ceux qui croiront recevront la santé*. » Quand les apôtres arrivèrent au champ de Gethsémani, ils y trouvèrent un sépulcre semblable au glorieux sépulcre de J.-C.; ils y déposèrent le corps avec beaucoup de respect, sans oser toucher au très saint vaisseau de Dieu, mais ils le prirent par les coins du suaire et le placèrent dans le sépulcre, qu'ils scellèrent. Pendant ce temps, les apôtres et les disciples du Seigneur restèrent autour du tombeau, selon l’ordre qu'ils en avaient reçu de leur maître. Le troisième jour, une nuée toute resplendissante l’environne, les voix angéliques se font entendre, une odeur ineffable se répand, tous sont dans une immense stupeur; alors, ils voient que le Seigneur est descendu, et qu'il transporte le corps de la Vierge avec une gloire ineffable.

* Nicéphore Calliste., Hist., l. II ; c. XXI.

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Les apôtres embrassèrent le sépulcre et retournèrent chez saint Jean l’évangéliste et le théologien, en le louant d'avoir été le gardien de la sainte Vierge. Or, il y eut un des apôtres qui n'assista pas à cette solennité. Dans l’admiration où le jetait le récit de choses si merveilleuses, il suppliait qu'on ouvrît le tombeau pour s'assurer de la vérité. Les apôtres s'y refusaient sous le prétexte que ce qu'ils lui racontaient devait suffire, dans la crainte que si les infidèles en avaient connaissance, ils publiassent que le corps avait été volé. Mais l’apôtre contristé disait : « Pourquoi me privez-vous de partager un trésor qui nous est commun, quand je suis autant que vous? » Enfin, ils ouvrirent le tombeau, où ils ne trouvèrent pas le corps, mais seulement les vêtements et le suaire.

Au livre III, chap. XL de l’Histoire Euthimiata, saint Germain, archevêque de Constantinople, dit avoir découvert, et le grand Damascène l’atteste comme lui, que du temps de l’empereur Marcien, l’impératrice Pulchérie, de sainte mémoire, après avoir fait bâtir à C. P. beaucoup d'églises, en éleva entre autres une admirable auprès des Blaquermes, en l’honneur de la sainte Vierge. Elle convoqua Juvénal, archevêque de Jérusalem, et d'autres évêques de la Palestine, qui restaient alors dans le capitale pour le concile qui se tint à Chalcédoine, et leur dit : « Nous avons appris que le corps de la très sainte Vierge fut enterré dans le champ de Gethsémani; nous voulons donc, pour garder cette ville, y transporter ce corps avec un respect convenable. »

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Or, comme Juvénal lui eut répondu que ce corps, d'après ce qu'il en avait appris dans les anciennes histoires, avait été transporté dans la gloire et qu'il n'était resté dans le tombeau que les vêtements avec le suaire, le même Juvénal envoya ces vêtements à C. P., où ils sont placés avec honneur dans l’église dont on vient de parler *. » Et que personne ne pense que j'aie forgé ce récit à l’aide de mon imagination, mais j'ai raconté ce que j'ai connu par l’enseignement, et d'après les recherches de ceux qui ont appris ces faits de leurs devanciers, par une tradition digne de toute créance. Ce qui est rapporté jusqu'ici, se trouve dans le discours dont il a été question plus haut. Or, saint Jean Damascènes:, Grec d'origine, raconte plusieurs circonstances merveilleuses au sujet de la très sainte assomption de la sainte Vierge. Il dit donc dans ses sermons :

« Aujourd'hui la très sainte Vierge est transportée dans le lit nuptial du ciel ; aujourd'hui cette arche sainte et vivante qui a porté en soi celui qui l’a créée, est placée dans un temple que n'a pas construit la main des hommes; aujourd'hui la très sainte colombe pleine d'innocence et de simplicité, s'est envolée de l’arche, c'est-à-dire de ce corps qui a reçu Dieu ; elle a trouvé où poser les pieds; aujourd'hui l’immaculée Vierge que n'ont pas souillée les passions terrestres, mais au contraire qui a été instruite par les intelligences célestes, ne s'en est pas allée dans la terre, mais appelée à juste raison, un ciel animé, elle habite dans les tabernacles célestes.

* Nicéphore Calliste, Hist., l. XV, ch. XIV.

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Bien que votre bienheureuse âme soit séparée d'après la loi de la nature de votre glorieux corps, et que ce corps soit confié à la sépulture, cependant il ne reste pas la propriété de la mort, et il n'est pas dissous par la corruption : car dans celle qui a enfanté, la virginité est restée intacte ; dans celle qui meurt, le corps reste toujours indissoluble, et il passe à une meilleure et plus sainte vie ; la mort ne le détruit pas, car il doit même durer éternellement. De même que ce soleil éclatant, qui verse la lumière, paraît s'éclipser un instant quand il est caché par un corps sublunaire, sans pourtant perdre rien de sa lumière intarissable, de même, vous, fontaine de vraie lumière, trésor inépuisable de vie, quoique condamnée à subir la mort corporelle pour un court espace de temps, vous versez cependant sur nous avec abondance la clarté d'une lumière qui ne s'altère jamais. De là vient que votre sommeil ne doit pas recevoir le nom de mort, mais de passage, de retraite, ou mieux encore d'arrivée. En quittant votre corps, vous arrivez au ciel. Les anges et les archanges viennent au-devant, de vous : les esprits immondes redoutent votre ascension. Bienheureuse Vierge, vous n'avez pas été enlevée au ciel, comme Elie, vous n'êtes pas montée comme Paul jusqu'au troisième ciel, mais vous avez atteint au trône royal de votre Fils. On bénit la mort des autres saints parce qu'elle démontre qu'ils sont heureux, mais cela n'existe pas chez vous. Ni votre mort, ni votre, béatitude, ni votre trépas, ni votre départ, pas même votre retraite n'ajoutent rien à la sécurité de votre bonheur; car vous êtes le principe, le moyen et la fin de tous les biens que ne saurait comprendre l’intelligence de l’homme.

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Votre sécurité, votre avancement réel, votre conception surnaturelle s'expliquent : vous êtes l’habitation de Dieu. Aussi avez-vous dit avec vérité que ce n'est pas à dater de votre mort, mais du moment de votre conception que toutes les générations vous béniraient. La mort ne vous a pas rendue heureuse, mais vous-même vous avez ennobli la mort; nonobstant la tristesse qui l’accompagne,-vous l’avez changée en joie. En effet si Dieu a dit : De crainte que le premier homme n'étende la main et ne cueille du fruit de l’arbre de vie et qu'il ne vive pour toujours; comment celle qui a porté la vie elle-même, la vie qui n'a pas eu de commencement, la vie qui n'aura point de fin, comment ne vivrait-elle point dans le Siècle qui doit durer toujours? Dieu autrefois a chassé du paradis les auteurs du genre humain endormis dans la mort du péché, ensevelis dans les profondeurs de la désobéissance; et qui déjà étaient gâtés par l’infection du péché ; il les a exilés; mais aujourd'hui celle qui a apporté la vie à tout le genre humain, qui a donné des preuves de son obéissance à Dieu le Père, qui a chassé toutes les impressions du vice, comment le paradis ne la recevrait-il pas ? comment le ciel joyeux ne lui ouvrirait-il pas ses portes ? Eve a prêté l’oreille au serpent; elle a avalé la coupe empoisonnée; elle se laisse allécher par la volupté ; elle enfante dans la douleur: elle est condamnée avec Adam.

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Mais celle qui est véritablement bienheureuse, qui prêta l’oreille à la voix de Dieu, qui. fut remplie du Saint-Esprit, qui porta la miséricorde du Père en son sein, qui conçut sans l’entremise de l’homme, qui enfanta sans douleur, comment la mort en fera-t-elle sa proie ? comment la corruption osera-t-elle quelque chose sur un corps qui a porté la vie elle-même? »

Le Damascène dit encore dans ses sermons : « Il est vrai que, dispersés par toute la terre et occupés à pêcher des hommes, jetant le filet de la parole pour les amener hors des ténèbres où ils étaient ensevelis à la table céleste et aux noces solennelles du Père, les apôtres furent rassemblés et réunis par l’ordre de Dieu, et furent apportés des confins du monde à Jérusalem, enveloppés dans une nuée comme dans un filet. En ce moment nos premiers parents Adam et Eve s'écrièrent : « Venez à nous, ô sacrée et salutaire nourriture, vous avez comblé notre joie ! » De son côté la compagnie des saints qui se trouvait corporellement présente disait : a Demeurez avec nous ; vous êtes notre consolation ; ne nous laissez pas orphelins ; vous êtes notre soutien dans nos travaux, notre rafraîchissement dans nos fatigues; c'est notre gloire de vivre ou de mourir avec vous : car la vie n'est rien pour nous, si nous sommes privés de votre présence. » Je pense que ce furent ces paroles ou d'autres semblables que les apôtres exprimaient au milieu des sanglots de tous ceux qui composaient l’assemblée. Marie se tournant vers son fils: « Soyez vous-même, lui dit-elle, le consolateur de ceux qu'il vous a plu appeler vos frères et qui sont dans la douleur à cause de mon départ; et ajoutez bénédiction sur bénédiction à l’imposition des mains que je vais faire sur eux. »

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Ensuite elle étendit les mains et bénit le collège des fidèles, puis elle ajouta : « Seigneur, je remets mon esprit entre vos mains : recevez mon âme qui vous est si chère et que j'ai conservée pure. C'est à vous et non à la terre que je confie mon corps ; conservez-le entier puisqu'il vous a plu l’habiter; Transportez-moi auprès de vous, afin que là où vous êtes, vous, le fruit de mes entrailles, j'y sois et j'y habite avec vous. » Ce fut alors que les fidèles entendirent ces paroles : « Levez-vous, venez, ô ma bien-aimée, ô la plus belle des femmes ; vous êtes belle, mon amie, et il n'y a pas de tache en vous. » En entendant ces paroles, la Vierge recommande son esprit aux soins de son Fils. Alors les apôtres répandent dés torrents de larmes, et couvrent de baisers le tabernacle du Seigneur : le contact de ce sacré corps les remplit de bénédiction et de sainteté. Les maladies disparaissent, les démons s'enfuient, l’air et le ciel sont sanctifiés par la présence de son esprit qui s'élève, la terre l’est à son tour, parce que son corps y est déposé; comme aussi l’eau, par l’ablution de son corps. En effet, ce corps sacré est lavé dans une eau très limpide qui n'a pu le nettoyer, mais qui en a été sanctifiée. Ensuite le saint corps enveloppé d'un suaire blanc est placé sur un lit, les lampes resplendissent, les parfums répandent leur douce odeur, et l’air retentit du chant des hymnes angéliques. Ce fut au milieu du concert que les apôtres et les autres saints qui se trouvaient là, faisaient entendre, en chantant des cantiques divins, que l’arche du Seigneur, soutenue sur les tètes sacrées des apôtres, est amenée de la montagne à la sainte terre de Gethsémani.

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Les anges la précèdent et la suivent, les autres étendent des voiles sur le précieux corps, toute l’Eglise l’accompagne. Il s'y trouva aussi des Juifs endurcis par le vieux levain de la méchanceté. On raconte encore que comme ceux qui portaient le corps sacré de la mère de Dieu descendaient de la montagne de Sion, un hébreu, un instrument du diable, poussé par un mouvement téméraire et conduit par une inspiration infernale s'approcha, en courant, du saint corps auprès duquel les anges eux-mêmes tremblaient de s'approcher, et comme un furieux, prit de ses deux mains le lit funèbre qu'il renversa à terre. Mais on dit qu'une de ses mains se sécha comme bois et tomba. C'était merveille de le voir semblable à un tronc inutile, tant que la foi n'eut changé son coeur, et ne l’eut fait repentir avec larmes de son crime. Alors ceux qui portaient le cercueil s'arrêtèrent, jusqu'à ce que le misérable mettant sa main sur le très saint corps, reçut une guérison complète à l’instant qu'il l’eut touché. De là on arrive à Gethsémani, où le saint corps est déposé dans un tombeau vénérable, après qu'il eut reçu les baisers, les embrassements, les larmes des fidèles couverts de sueur et chantant des hymnes sacrés. Mais votre âme ne fut pas laissée dans l’enfer et votre corps n'a pas été atteint par la corruption. Il convenait que le sein de la, terre ne retînt pas le sanctuaire de Dieu, la fontaine qui n'a pas été creusée, le champ vierge, la vigne qui n'avait pas reçu la rosée, l’olivier fécond.

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Il fut convenable que la Mère fût élevée par le Fils, afin qu'elle montât vers lui comme il était descendu en elle, afin que celle qui a conservé sa virginité dans son enfantement n'éprouvât pas les atteintes de la corruption en son corps, et que celle qui a porté son créateur, dans son sein habitât les divins tabernacles.. Le Père l’avait prise pour épouse, elle doit être gardée dans le palais céleste : la mère doit jouir de ce qui appartient au Fils. » (Saint Jean Damascène.)

Saint Augustin s'étend aussi fort longuement dans un sermon sur la très sainte Assomption de Marie toujours vierge: « Avant, dit-il, de parler du très saint corps de celle qui toujours a été vierge, et de l’assomption de sa bienheureuse âme, nous commençons par dire que l’Ecriture ne parle pas d'elle après que le Seigneur l’eut recommandée sur la croix au disciple, si ce n'est ce que saint Luc rapporte dans les Actes des apôtres: « Ils étaient tous, dit-il, persévérants unanimement dans la prière avec Marie, mère de Jésus (Actes, I). » Que dire donc de sa mort? Que dire de son assomption? Puisque l’Ecriture se tait, il ne faut demander à la raison que ce qui est conforme à la vérité. Que la vérité donc soit notre autorité puisque sans elle il n'y a même pas d'autorité. Nous nous basons sur la connaissance que nous avons de la condition humaine quand nous n'hésitons pas à dire qu'elle a souffert la mort temporelle *; mais si nous disons qu'elle fut la pâture de la pourriture, des vers et de la cendre, il faut examiner si cet état convient à la sainteté qui la distingue et aux prérogatives qui appartiennent à cette merveilleuse habitation de Dieu.

* Il paraît par ce passage que l’oraison Veneranda qui se récitait dans les liturgies modernes au jour de la fête de l’Assomption, est d'une très haute antiquité.

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Nous savons bien qu'il a été dit à notre premier père : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » La chair de J.-C. ne subit pas cette condamnation puisqu'elle ne fut pas soumise à la corruption, Donc elle fut exceptée de la sentence générale la nature qui fut prise de la Vierge. Le Seigneur dit aussi à la femme: « Je t'affligerai de nombreuses misères : tu enfanteras dans la douleur.» Marie a bien enduré les angoisses, puisqu'un glaive perça son âme ; cependant elle enfanta sans douleur. Donc Marie, quoique partageant les angoisses d'Eve, ne les partagea pas en enfantant avec douleur. Donc celle qui jouit d'une prérogative immense est exceptée de la règle générale. Si donc l’on dit qu'elle a souffert la mort sans cependant que la mort l’ait retenue dans ses liens, serait-ce une impiété de dire qu'il n'ait pas voulu préserver sa mère contre les horreurs de la pourriture, quand il a voulu conserver intacte la pudeur de sa virginité? Est-ce qu'il n'appartenait pas à la bonté du Seigneur de conserver l’honneur de sa mère, lui qui était venu non pour détruire la loi, mais pour l’accomplir ? S'il -1'a honorée pendant sa vie plus que toute autre par la grâce qu'il lui fit de le concevoir, c'est donc chose pieuse de croire qu'il l’honora dans sa mort d'une préservation particulière et d'une grâce spéciale. La pourriture et les vers, c'est la honte de la condition humaine.

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Or, comme J.-C. est exempt de cet opprobre, Marie en est exempte aussi, puisque J.-C-. est né d'elle. Car la chair de Jésus, c'est la chair de Marie, qu'il éleva au-dessus des astres, honorant par là la nature humaine, mais plus encore celle de sa mère. Si le fils a la nature de la mère, il est de toute convenance que la mère possède la nature du Fils, non pas quant à l’unité de la personne, mais quant à l’unité de la nature corporelle. Si la grâce peut faire qu'il y ait unité sans qu'il y ait communauté de nature, à plus forte raison quand il y a unité en grâce et naissance corporelle en particulier. Il y a unité de grâce comme celle des disciples avec J.-C., selon qu'il en parle lui-même quand il dit : « Afin qu'ils soient un comme nous sommes un » et ailleurs : « Mon père, je veux qu'ils soient avec moi partout où je suis. » Si donc J.-C. veut avoir avec soi ceux qui, réunis par la foi en lui, sont censés' ne faire qu'un avec lui, que penser, par rapport à sa mère, du lieu où elle soit digne de se trouver, sinon en présence de son Fils? Autant que je puis le comprendre, autant que je puis le croire, l’âme de Marie est, honorée par son Fils d'une prérogative plus excellente encore, puisqu'elle possède en J.-C. le corps de ce Fils qu'elle a engendré avec les caractères de la gloire. Et pourquoi ce corps ne serait-il pas le sien, puisqu'elle le conçut par lui ? S'il n'a pas été au-devant d'elle, je ne reconnais pas là son autorité. Oui, je crois que c'est par lui qu'elle a engendré; car une si grande sainteté est plus digne du ciel que de la terre. Le trône de Dieu, le lit de l’époux, la maison du Seigneur et le tabernacle de J.-C. a le droit d'être où il est lui-même. Le ciel est plus digne que la terre de conserver tin si précieux trésor.

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L'incorruptibilité et non la dissolution causée par la pourriture est la conséquence directe d'une si grande intégrité. Que ce très saint corps ait été abandonné aux vers comme à leur pâture, je rougirais de le penser, j'aurais honte de le dire! Les grâces incomparables qui lui ont été départies sont de nature à me faire rejeter cette pensée. Plusieurs passages de l’Écriture viennent à l’appui de ce que j'avance. La vérité a dit autrefois à ses ministres : « Où je suis, là aussi sera mon ministre.; » Si cette sentence générale regarde tous ceux qui servent J.-C. par leur croyance et leurs oeuvres, elle s'applique bien mieux encore à Marie qui, sans le moindre doute, l’a aidé par toutes ses œuvres. Elle l’a porté dans ses entrailles, elle l’a mis au monde, elle l’a nourri, elle l’a réchauffé, elle l’a couché dans la crèche, dans la fuite en Egypte elle l’a caché, elle a guidé les pas de son enfance, elle l’a suivi jusqu'à la croix. Elle ne pouvait douter qu'il fût Dieu, puisqu'elle savait l’avoir conçu non par les voies ordinaires, mais par l’aspiration divine. Elle n'hésite pas à croire à sa puissance comme à la puissance d'un dieu quand elle dit, lorsque le vin manquait: « Ils n'ont pas de vin. » Il accueillit sa demande par un miracle; elle savait qu'il le pouvait faire. Donc, il est clair que Marie par sa foi et par ses oeuvres a aidé J.-C. Mais si elle n'est pas où J.-C. veut que soient ses ministres, où donc sera-t-elle ? Et si elle y est, serait-ce à titre égal ? Et si c'est à titre égal, où est l’égalité devant Dieu s'il ne rend à chacun selon ses mérites? Si c'est avec justice que la sainte Vierge a reçu pendant sa vie une plus grande abondance de grâces que les autres, pourquoi donc lui soustraire cette grâce quand elle est morte? Non certes! car si la mort de tous les saints est précaire, la mort de Marie est évidemment très précieuse.

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Je pense donc qu'il faut déclarer que Marie, élevée aux joies de l’éternité par la bonté de a été reçue avec plus d'honneur que les autres, puisqu'il l’a honorée de sa grâce plus que les autres : et qu'elle n'a point eu à subir après sa mort ce que les autres hommes subissent, la pourriture, les vers et la poussière, puisqu'elle a engendré son Sauveur et celui de tous les hommes. Si la divine volonté a daigné conserver intacts au milieu des flammes les vêtements des enfants, pourquoi ne garderait-elle pas, dans sa propre mère, ce qu'il a gardé dans les vêtements des autres? La miséricorde seule a voulu conserver vivant Jonas dans le ventre de la baleine, et la grâce ne conservera pas Marie contre la corruption ? Daniel fut conservé malgré la faim dévorante des lions, et Marie ne se serait pas conservée après que ses mérites l’ont élevée à une si haute dignité? Puisque dans ce que nous venons de dire, nous reconnaissons que tout a été fait contre les. lois de la nature, nous sommes certains aussi que la grâce a plus fait que la nature pour l’intégrité de Marie. Donc J.-C.; comme fils de Marie, fait qu'elle tire sa joie de lui-même dans son âme et dans son corps. Il ne la soumet pas au supplice de la corruption, puisqu'en enfantant ce divin fils, elle ne fut pas soumise à la perte de sa virginité; en sorte qu'elle est incorruptible en raison des grâces qui l’ont inondée, qu'elle vit intégralement parce qu'elle a mis au monde celui qui est la vie entière de tous.

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O Jésus, si j'ai parlé comme je l’ai dû, approuvez-moi, vous et les vôtres. Si j'ai parlé autrement que je ne le dois, je vous en conjure, vous et les vôtres, pardonnez-le moi. »


(121) SAINT BERNARD

Bernard vient de ber, puits, fontaine, et de nard, plante, d'après la Glose sur le Cantique des Cantiques. Humble, d'une nature échauffante et odoriférante. En effet saint Bernard fut échauffé d'un fervent amour ; il fut humble dans ses habitudes et odoriférant par la suavité de sa réputation. Sa vie fut écrite par Guillaume, abbé de Saint-Thierry, compagnon du saint, et par Hernold, abbé de Bonneval *.

Saint Bernard naquit au château de Fontaine, en Bourgogne, de parents aussi nobles que religieux. Son père Técelin était un chevalier plein de valeur et non moins zélé pour Dieu; sa mère s'appelait Aaleth. Elle eut sept enfants, six garçons et une fille; les sept garçons devaient tous être moines et la fille religieuse. Aussitôt qu'elle en avait mis un au monde, elle l’offrait à Dieu de ses propres mains. Elle refusa toujours de faire nourrir ses enfants du lait d'une étrangère, comme si avec le lait maternel, elle dût les remplir de tout ce qui pouvait se trouver de bon en elle. Quand ils avançaient en âge, tout. le temps qu'elle les eut sous la main, elle les élevait pour le désert plutôt que pour la cour, leur donnant à manger des nourritures communes et des plus grossières, comme s'ils devaient partir d'un instant à l’autre pour la solitude.

* Jacques de Voragine a écrit cette vie d'après le livre de Guillaume, de Saint-Thierry.

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Etant enceinte de Bernard, son troisième fils, elle eut un songe qui était un présage de l’avenir. Elle vit dans son sein un petit chien blanc, tout roux sur le dos et qui aboyait. Elle déclara son rêve à un homme de Dieu. Celui-ci lui répondit d'une voix prophétique: « Vous serez la mère d'un excellent petit chien, qui doit être le gardien de la maison de Dieu; il jettera de grands aboiements contre les ennemis de la foi ; car ce sera un prédicateur distingué, qui guérira beaucoup de monde par la vertu de sa langue. » Or, comme Bernard était encore tout petit, et qu'il souffrait d'un grand mal de tête, il repoussa et chassa, en criant avec une extrême indignation, une femme qui venait pour soulager sa douleur par des charmes; mais la miséricorde de Dieu ne manqua pas. de récompenser le zèle du petit enfant ; en effet il se leva aussitôt et se trouva guéri. Dans la très sainte nuit de la naissance du Seigneur, comme le jeune Bernard attendait dans l’église l’office des Matines, il désira savoir à quelle heure de la nuit J.-C. était né. Alors le petit enfant Jésus lui apparut comme s'il venait de naître du sein de sa mère. Ce qui lui fit penser, tant qu'il vécut, que c'était l’heure de la naissance du Seigneur. Dès ce moment il lui fut donné, pour ce mystère, une intelligence plus profonde et une éloquence plus riche. Aussi dans la suite, il mit au jour, en l’honneur de la mère et du Fils un opuscule remarquable parmi tous ses autres traités, dans lequel il expliqua l’évangile Missus est Angelus Gabriel.

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L'antique ennemi voyant des dispositions si saintes dans cet enfant fut jaloux de la résolution  qu'il avait prise de garder la chasteté, et il tendit une infinité de pièges pour le faire succomber à la tentation. En effet une fois que Bernard avait arrêté quelque temps les yeux sur une femme, à l’instant il rougit de lui-même et exerça sur son corps une vengeance très sévère; car il se jeta dans un étang dont les eaux étaient glacées; où il resta jusqu'à être presque gelé, et par la grâce de Dieu, il éteignit en soi toutes les ardeurs de la concupiscence de la chair.

Vers le même temps, une fille poussée par le démon se glissa nue dans le lit où il dormait. En la sentant, il lui céda en toute paix et silence le côté du lit où elle s'était placée, et se retournant de l’autre côté, il s'endormit. Alors cette misérable resta quelques instants tranquille et attendit; enfin elle se mit à le toucher et à le remuer; enfin comme il restait immobile, cette fille tout impudente qu'elle fût, se prit à rougir et pleine d'une crainte étrange et d'admiration, elle se leva et s'enfuit. Une autre fois, il avait reçu l’hospitalité chez une dame qui, en voyant un si beau jeune homme, conçut pour lui des désirs brûlants. Comme elle lui avait fait préparer un lit à l’écart, elle se leva au milieu du silence de la nuit, et eut l’impudence de venir le trouver. Bernard ne l’eut pas plutôt sentie, qu'il se mit à crier: « Au voleur, au voleur. » A ce cri que la femme fait; on allume une lampe; on cherche le voleur, mais il n'y a pas moyen de le trouver. Chacun retourne à son lit, et repose, la misérable seule ne repose pas, car elle se lève une seconde fois, va au lit de Bernard qui s'écrie de nouveau:
« Au voleur, au voleur. » On cherche encore le larron, qui ne fut pas découvert par celui-là seul qui le connaissait.

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Cette méchante femme ainsi rebutée ne laissa pas de revenir, une troisième fois ; enfin vaincue par la crainte ou le désespoir, elle cessa à peine ses tentatives. Or, le lendemain, quand Bernard se fut remis en route, ses compagnons de voyage lui demandèrent, en lui adressant des reproches, pourquoi il avait tant rêvé voleurs. Il leur dit : « Véritablement cette nuit, j'ai été attaqué par un voleur; car l’hôtesse essayait de  m’enlever le trésor de la chasteté qui ne se peut recouvrer. » Réfléchissant donc qu'il n'est pas sûr de demeurer avec un serpent, il pensa à s'enfuir, et dès lors il résolut d'entrer dans l’ordre de Citeaux. Lorsque ses frères en furent instruits, ils voulurent le détourner de toutes les manières d'exécuter son dessein; mais le Seigneur lui accorda une si grande grâce que non seulement rien ne s'opposa à sa conversion mais il gagna au Seigneur pour entrer en religion tous ses frères et beaucoup* d'autres encore. Gérard, son frère, militaire vaillant, regardait comme vaines les paroles de Bernard, et rejetait absolument ses conseils ; alors Bernard, animé d'une foi toute de feu, et transporté du zèle de la charité pour le salut de son frère, lui dit : « Je sais, mon frère, je sais qu'il n'y aura que le malheur qui puisse donner à tes oreilles de comprendre. Puis mettant le doigt sur son côté : « Le jour viendra dit-il, et il viendra bientôt, qu'une lance perçant ce côté fera arriver jusqu'à ton coeur l’avis que tu rejettes. » Peu de jours après Gérard, qui avait reçu un coup de lance à l’endroit où son frère avait posé le doigt, est fait prisonnier et jeté dans les fers. Bernard vint pour le voir, et comme on ne lui permettait pas de lui parler, il lui cria : « Je sais, mon frère Gérard, que dans peu nous devons aller pour entrer au monastère. »

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Cette nuit-là même, les chaînes qui retenaient Gérard par les pieds tombèrent; la porte de la prison s'ouvrit et il s'enfuit plein de joie. Alors il fit connaître à son frère qu'il avait changé de résolution. et qu'il voulait se faire moine.

L'an de l’Incarnation 1112, la quinzième année depuis l’établissement de la maison des cisterciens, le serviteur de Dieu Bernard, âgé d'environ vingt-deux ans, entra dans l’ordre de Citeaux avec plus de trente de ses compagnons. Or, comme il sortait avec ses frères de la maison paternelle, Guidon, l’aîné, voyant Nivard, son tout petit frère, qui jouait sur la place avec des enfants, lui dit : « Allons, mon frère Nivard, c'est à toi seul qu'appartient toute la terre de notre héritage. » Et l’enfant lui répondit non pas comme un enfant : « Vous aurez donc le ciel, et à moi vous me laissez seulement la terre? Ce partage n'a pas été fait ex aequo. » Nivard resta donc quelque peu de temps avec son père; mais dans la suite, il alla rejoindre ses frères. Le serviteur de Dieu Bernard étant entré dans cet ordre, s'adonna tellement à la contemplation spirituelle et fut tellement occupé du service de Dieu, qu'il ne se servait déjà plus d'aucun de ses sens corporels ; car il y avait un an qu'il était dans la cellule des novices, qu'il ignorait encore si la maison avait une voûte. Bien qu'il entrât souvent dans l’église et qu'il en sortît, il pensait qu'il n'y avait qu'une fenêtre au chevet, où il s'en trouvait trois.

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L'abbé de Citeaux envoya des frères pour fonder la maison de Clairvaux, et ce fut Bernard qu'il leur proposa pour abbé. Il y vécut longtemps dans une pauvreté excessive, et souvent il n'avait que des feuilles de hêtre pour confectionner le potage. Le serviteur de Dieu veillait au delà de ce que peut la force d'un homme : et il avait coutume de dire que le temps qu'il regrettait le plus était celui qu'il passait à dormir; il trouvait que la comparaison qu'on fait entre le sommeil et la mort était assez juste, puisque ceux qui sont morts semblent. dormir aux yeux des hommes comme ceux qui dorment semblent morts aux yeux de Dieu. C'est pourquoi, s'il entendait un frère ronfler trop fort, ou bien s'il le voyait couché avec peu de bienséance, il le supportait avec peine, et prétendait qu'il dormait comme un homme charnel ou bien comme un séculier. Il n'était porté à manger par aucun plaisir de contenter son appétit; c'était la crainte de défaillir qui le faisait se mettre à table, comme à un lieu de supplice. Après le repas, il avait constamment la coutume de penser à la quantité de nourriture qu'il avait prise, et s'il s'apercevait avoir excédé seulement d'un peu sa ration ordinaire, il ne laissait pas passer cela impunément. II avait tellement dompté les attraits de la friandise qu'il avait perdu en grande partie le sens dit goût; car un jour qu'on lui avait versé de l’huile par mégarde, il la but sans s'en apercevoir : et le fait serait resté ignoré, si quelqu'un n'eût remarqué avec étonnement qu'il avait les lèvres couvertes d'huile. On sait que pendant plusieurs jours, il fit usage de sang caillé qui lui avait été servi pour du beurre.

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Il ne trouvait de saveur qu'à l’eau, parce que, en la prenant, disait-il, elle lui rafraîchissait la bouche et la gorge. Il disait ingénument que tout ce qu'il avait appris dans l’Écriture sainte, il l’avait acquis par la méditation et la prière dans les forêts et dans les champs; et il répétait souvent à ses amis qu'il n'avait jamais eu d'autres maîtres que les chênes et les hêtres. Enfin il avoua que c'était souvent dans la méditation et la prière que toute la Sainte Écriture s'était présentée à lui sous son véritable sens, et toute sa clarté. A une époque, rapporte-t-il dans le 82° sermon sur le Cantique des Cantiques, pendant qu'il parlait, il voulait retenir quelque chose que le Saint-Esprit lui suggérait, et se le réserver pour une autre fois où il serait obligé de traiter le même sujet, il lui sembla entendre une voix qui lui disait : « Tant que vous retiendrez cela, vous ne recevrez pas autre chose. » Il est certain qu'il ne le faisait pas par un sentiment d'infidélité, quoiqu'il témoignât manquer d'un peu de foi.

Dans ses vêtements la pauvreté lui plut toujours, mais jamais la malpropreté, qu'il disait être la marque d'un esprit négligent, ou plein d'un sot orgueil, ou bien convoitant la gloire humaine. Souvent il citait ce proverbe, que toujours il avait dans le cœur : « Qui veut être remarqué, agit autrement qu'un autre. » C'est pour cela qu'il porta un cilice plusieurs années, tant que la chose put rester secrète ; mais quand il s'aperçut qu'elle était découverte, il s'en dépouilla et fit comme la communauté. S'il riait, c'était toujours de telle sorte qu'il lui fallait faire des efforts pour rire plutôt que pour réprimer des ris : il fallait qu'il les excitât plutôt qu’il ne les retint.

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Comme il avait coutume de dire qu'il y avait trois genres de patience, savoir : 1° patience pour les paroles injurieuses, 2° patience pour le dommage dans les biens, et 3° patience dans les maladies du corps, il prouva qu'il les possédait tous par les exemples qui suivent : Il avait écrit une lettre dans laquelle il donnait des avis à un évêque en termes affectueux. L'évêque outré de colère lui répondit en style des plus amers et commença ainsi sa lettre: « Salut et non par esprit de blasphème »,comme si saint Bernard lui eût écrit poussé par l’esprit de blasphème; mais celui-ci lui écrivit de nouveau en disant : « Je ne crois pas avoir l’esprit de blasphème, et je ne sache pas avoir maudit personne, ni avoir l’envie de le faire à l’égard de qui que ce soit, mais surtout envers le prince de mon peuple. » Un abbé lui envoya 600 marcs d'argent pour construire un monastère ; or, toute la somme fut ravie en route par des voleurs. A cette nouvelle, Bernard se contenta de dire : « Béni soit Dieu, qui nous a délivrés de ce fardeau; il faut toutefois avoir pitié de ceux qui l’ont enlevé; car, d'une part, c'était la cupidité humaine qui les poussa; et d'ailleurs cette grosse somme d'argent avait été l’occasion d'une grande tentation. Un chanoine régulier vint le prier instamment de le recevoir au nombre des moines. Comme Bernard n'acquiesçait pas à sa demande et lui conseillait de retourner à son église :
« Pourquoi donc, lui dit le chanoine, recommandez-vous si fort la perfection dans vos écrits, si vous ne l’offrez pas à ceux qui la désirent ?

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Que ne puis-je les tenir dans mes mains, vos livres, afin de les mettre en morceaux! » Bernard reprit: « Vous n'avez lu dans aucun d'eux que vous ne pouviez pas être parfait dans votre cloître : c'est la correction des moeurs, ce n'est pas le changement de lieux que j'ai recommandé dans tous mes livres.» Alors cet insensé se jeta sur lui et le frappa si grièvement à la joue, que la rougeur succéda au coup, et l’enfle à la rougeur. Déjà ceux qui se trouvaient là se levaient contre le sacrilège, mais le serviteur de Dieu les prévint en criant et en les conjurant au nom de J.-C. de ne point le toucher et de ne lui faire aucun mal. Il avait coutume de dire aux novices qui voulaient entrer en religion : « Si vous voulez avoir part à. tout ce qui se fait dans l’intérieur de cette maison, laissez à la porte le corps que vous avez amené du siècle: l’esprit seul entre ici; on n'y a pas besoin de la chair. » Son père, qui était resté seul à la maison, vint au monastère et y mourut après un court espace de temps, dans une belle vieillesse.

Sa soeur, qui s'était mariée, vivait exposée au danger au sein des richesses et des délices du monde. Or, elle vint une fois au monastère faire une visite à ses frères. Et comme elle était arrivée avec une suite et un appareil magnifique, Bernard en eut horreur comme du filet dont se sert le diable pour prendre les âmes; il refusa absolument de sortir pour la voir. Comme aucun de ses frères ne venait à sa rencontre, mais que l’un d'eux, qui pour lors était portier, l’appelait fumier habillé, elle fondit toute en larmes. « Bien que je sois une pécheresse, dit-elle, c'est pour les gens de cette sorte que J.-C. est mort: c'est parce que je sens être une pécheresse que je recherche les avis et l’entretien des personnes de bien; et si mon frère, méprise mon corps, que le serviteur de Dieu ne méprise pas mon âme.

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Qu'il vienne, qu'il ordonne, et tout ce qu'il ordonnera, je l’accomplirai. » Ce ne fut qu'après cette promesse que saint Bernard vint la trouver avec ses frères ; et parce qu'il ne pouvait pas la séparer de son mari, il lui interdit d'abord toute la vaine gloire du monde, et il lui proposa, pour modèle à imiter, la conduite de sa mère; après quoi il la congédia. A son retour, il s'opéra en elle un changement si soudain, qu'au milieu de la gloire du monde, elle menait une vie érémitique et qu'elle se rendait absolument étrangère à tout ce qui tenait du siècle. Enfin à force de prières, elle gagna son mari, et après avoir reçu l’autorisation de son évêque, elle entra dans un monastère. L'homme de Dieu tomba malade, et on croyait qu'il allait rendre le dernier soupir, quand il fut ravi en esprit et il lui parut qu'il était présenté au tribunal de Dieu: Satan y fut aussi de son côté, et le pressait d'accusations injustes. Quand il eut tout articulé et que ce fut au tour de l’homme de Dieu à parler, celui-ci dit sans se troubler et sans s'effrayer : « Je l’avoue, je suis un indigne, et je ne saurais, par mes propres mérites, obtenir le royaume des cieux. Au reste mon Seigneur qui le possède à double titre, savoir par héritage de son père, et par le mérite de sa passion, se contente de l’un et me donne l’autre, ce don, je ;le revendique pour moi, et je ne saurais être confondu. » A cette parole l’ennemi fut confus, l’assemblée dissoute, et l’homme de Dieu revint à lui.

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Il atterra son corps par une abstinence excessive, par le travail, par les jeûnes, à tel point qu'il était continuellement malade et languissant, la fièvre le dévorait, et c'était à peine s'il pouvait suivre les exercices du couvent. Une fois, il était très gravement malade; ses frères firent des prières pour lui, et il se sentit revenir à la santé. Alors il convoqua la communauté et dit : « Pourquoi retenez-vous un misérable homme ? vous êtes plus forts et vous l’avez emporté. Grâce, je vous en prie, grâce, laissez-moi  m’en aller. » Plusieurs villes élurent l’homme de Dieu pour évêque: ce furent en particulier Gênes et Milan. A ceux qui le demandaient, il disait sans consentir, comme aussi sans refuser avec dureté, qu'il ne s'appartenait pas, mais qu'il était consacré au service des autres. Au reste, les frères, d'après le conseil de l’homme de Dieu, s'étaient pourvus et munis de l’autorité du souverain Pontife pour que personne ne pût leur ravir leur joie. A une époque ayant visité les frères Chartreux, Bernard les édifia beaucoup en tous points. Il n'y eut qu'une chose qui frappa le prieur de la Chartreuse, c'est que la selle qui portait le saint abbé n'était pas sans quelque élégance et n'annonçait pas la pauvreté. Le prieur en fit l’observation à un des frères qui rapporta cela à l’homme de Dieu. Celui-ci n'en fut pas moins étonné et s'informa de ce qu'était cette selle : car de Clairvaux, il était venu à là Chartreuse sans savoir comment elle pouvait être. Pendant toute une journée, il chemina auprès du lac de Lausanne sans le voir, ou bien il ne remarqua pas qu'il le voyait. Le soir, comme ses compagnons parlaient de ce lac, Bernard leur demanda où il se trouvait. En entendant cela, ils restèrent dans l’admiration.

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L'humilité de son coeur l’emportait en lui sur la gloire de son nom, et le monde entier ne parvenait pas autant à l’élever qu'il se rabaissait lui-même. Tous le regardaient comme un homme extraordinaire, et lui se considérait comme le dernier de tous : personne ne lui trouvait son égal et lui-même ne se préférait â personne. Enfin, d'après ses propres aveux, au milieu des plus grands honneurs, et quand il recevait des hommages universels, il se croyait être un personnage d'emprunt, ou bien il pensait rêver : mais où il rencontrait des frères plus simples; il était joyeux de se trouver jouir d'une humilité qui lui était chère, et d'être rendu à lui-même. Or, toujours on le rencontrait ou priant, ou lisant, ou écrivant, ou méditant, ou bien édifiant les frères par sa parole. Une fois qu'il prêchait au peuple et que tous l’écoutaient avec attention et dévotion, cette tentation se glissa dans son esprit : « Vraiment tu parles aujourd'hui admirablement ; les hommes t'écoutent volontiers et tu passes généralement pour un savant! » Mais l’homme de Dieu, qui se sentait pressé par cette tentation, s'arrêta un instant, et se mit à penser, s'il devait continuer ou finir son discours. Et aussitôt, fortifié par le secours de Dieu, il répondit tout bas au tentateur : « Ce n'est pas par toi que j'ai commencé, ce n'est pas par toi que je cesserai. » Et, sans se troubler, il poursuivit sa prédication jusqu'à la fin. Un moine qui, dans le siècle, avait été ribaud et joueur, fut tenté par le malin esprit de rentrer dans le monde. Or, comme Bernard ne le pouvait retenir, il lui demanda de quoi il vivrait. Celui-ci lui répondit : « Je sais jouer aux dés et avec cela je pourrai vivre. »

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Bernard lui dit : « Si je te confie un capital, veux-tu revenir tous les ans et partager avec moi le bénéfice?» Quand le moine entendit cette proposition, il fut tout joyeux, et promit qu'il y viendrait volontiers. Bernard commanda donc de lui donner vingt sols et cet homme s'en alla avec cet argent. Or, le saint homme agissait ainsi afin de pouvoir le faire revenir une seconde fois, comme cela eut lieu plus tard. Ce malheureux s'en alla donc, et perdit tout : puis il revint fort confus à la porte. Quand l’homme de Dieu eut appris son arrivée, il alla plein de joie vers lui, et tendit son giron afin de partager le gain ensemble. Et l’autre dit: « Rien, mon père, je n'ai rien gagné; mais j'ai encore perdu le capital: si vous voulez, recevez-moi pour notre capital. » Bernard lui répondit avec bonté : « S'il en est ainsi, dit-il, mieux vaut encore recevoir cela que tout perdre ». Une fois saint Bernard voyageait monté sur une jument; il rencontra un paysan, avec lequel il vint à parler et à gémir de la légèreté du coeur dans la prière. Quand cet homme Peut entendu, il le méprisa aussitôt, et lui dit que quant à lui, dans, ses prières, il avait, le coeur ferme et solide. Mais saint Bernard voulant le convaincre et réprimer sa témérité lui dit : « Eloignez-vous un peu de nous, et commencez l’oraison dominicale avec toute l’attention dont- vous pouvez être capable. Si vous l’achevez sans aucune distraction et sans vous tromper, je vous donne bien certainement la jument sur laquelle je suis assis. Mais vous allez me promettre consciencieusement aussi, que si vous avez en même temps une distraction, vous vous garderez bien de me le cacher. »

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Le paysan enchanté et qui se croyait déjà avoir gagné la jument, fut assez téméraire pour se retirer, et après s'être recueilli, il commença à réciter l’oraison dominicale. Il avait à peine achevé la moitié du Pater, qu'une pensée le tourmente : c'est de savoir s'il aura la selle avec la jument. Alors s'étant aperçu de sa distraction, il revint vite trouver saint Bernard auquel il déclara ce qu'il avait été inquiété pendant sa prière, et dans la suite, il fut moins présomptueux de soi-même.

Frère Robert, moine et parent de saint Bernard, trompé dès son enfance par les discours de certaines personnes, s'en était allé à Cluny. Or, le vénérable Père, après avoir gardé le silence à ce sujet pendant un certain temps; prit la résolution de. lui écrire pour le faire rentrer. Et comme il était en plein air, et qu'un autre moine écrivait en même temps sous la dictée du saint, tout à coup, et sans qu'on s'y attendît, la pluie tomba avec impétuosité. Or, celui qui écrivait voulait plier la feuille. « C'est oeuvre de Dieu, lui dit Bernard, écrivez, et ne craignez rien. » Il écrivit donc la lettre au milieu de la pluie, sans en recevoir une goutte, car bien qu'il eût plu de tout côté, cependant la force de la charité suffit pour éloigner l’incommodité de l’orage.

— L'homme de Dieu avait bâti un monastère, qui était envahi par une multitude incroyable de mouches, en sorte que c'était une grande gêne pour tout le monde. Saint Bernard dit : « Je les excommunie. » Et le matin, on les trouva toutes mortes.

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— Ayant été envoyé par le souverain pontife à Milan, pour en réconcilier les habitants avec l’Église, il était déjà de retour à Pavie, quand un homme lui amena sa femme, qui était possédée. Aussitôt le diable se mit à vomir contre le saint mille injures par la bouche de cette misérable. Il disait : « Ce mangeur de poireaux, cet avaleur de choux, ne me chassera point de ma petite vieille. » Mais l’homme de Dieu l’envoya à l’église de saint Syr. Saint Syr voulut le céder à son hôte et ne fit aucun bien à cette femme. On l’amena donc de nouveau à saint Bernard. Alors le diable, par la bouche de la possédée, se mit à plaisanter et à dire : « Ce ne sera pas Sirule, ce ne sera pas Bernardinet qui me chassera. » A cela, le serviteur de Dieu répondit : « Ni Syr, ni Bernard ne te chassera, mais ce sera le Seigneur J.-C: » Et il ne se fut pas plutôt mis en oraison, que le malin esprit dit : « Que je sortirais volontiers de cette petite vieille! Combien j'y suis tourmenté! Que je sortirais volontiers! mais je ne le puis; le grand Seigneur ne le veut pas. » Le saint lui dit : « Et quel est le grand Seigneur? » « C’est Jésus de Nazareth », répondit le diable. « L'as-tu jamais vu ? » reprit Bernard. « Oui, » répondit le malin. « Où? » dit Bernard. L'autre lui répondit : « Dans la gloire. » « Tu as donc été dans la gloire ? » repartit Bernard. « Certainement, » dit le démon. « Et comment en es-tu sorti ? » lui demanda le saint. « C'est avec Lucifer que nous fûmes précipités en grand nombre. » Or, l’esprit méchant disait cela d'une voix lugubre, par la bouche de la vieille, en présence de tout le monde qui l’entendait. Et l’homme de Dieu lui dit : « Est-ce que tu ne voudrais pas retourner dans cette gloire? » Et le démon se mit à ricaner d'une certaine façon et dit : «C'est un peu tard, à présent.»

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Alors, l’homme de Dieu fit une prière, et le démon sortit de la femme. Mais quand saint Bernard se fut retiré, le diable s'en empara de nouveau. Alors son mari accourut dire à saint Bernard ce qui était arrivé. Celui-ci ordonna de lier au cou de la femme un papier sur lequel étaient écrits ces mots : « Au nom de N.-S: J.-C., je te commande, démon, de ne plus oser toucher cette femme à l’avenir. » Après quoi, le diable n'osa plus s'approcher d'elle*.

— Il y avait, dans l’Aquitaine, une misérable femme tourmentée par un démon impudent et incube. Pendant six ans, il abusa d'elle et la vexa par des débauches incroyables. Quand l’homme de Dieu vint en ce pays, le démon défendit à la possédée, avec des menaces horribles, de s'approcher du saint, parce qu'il ne pourrait lui rien faire de bien, et qu’après son départ, celui qui était son amant serait pour elle un persécuteur acharné. Mais cette femme alla trouver avec assurance l’homme de Dieu, et lui raconta avec beaucoup de sanglots ce qu'elle souffrait. Saint Bernard lui dit : « Prenez mon bâton que voici, mettez-le dans votre lit, et s'il peut faire quelque chose, qu'il le fasse. » La femme le fit et se coucha; mais aussitôt l’autre vint et n'osa pas s'approcher du lit, ni entreprendre ce qu'il avait coutume de faire. Alors i1 la menace vivement qu'aussitôt après le départ du saint, il se vengera d'elle d'une manière atroce.

* Ripamoulins rapporte ce fait; dans la 2e partie des Historiarum Ecelesiae mediolauensis, page 57 (oeuvre de Loup de Ferr., page 518.)

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Ceci fut rapporté à saint Bernard qui rassembla le peuple, commanda que chacun tint une chandelle allumée à la main, et, avec toute l’assemblée qui se trouvait là, il excommunia le démon; ensuite il lui interdit tout accès, soit auprès de cette femme, soit auprès d'aucune autre. Ce fut ainsi qu'elle ut délivrée entièrement d'une semblable illusion.

Dans la même province, le saint homme remplissait les fonctions de légat, pour réconcilier à l’Église le duc d'Aquitaine, qui refusait absolument de le faire. Alors, l’homme de Dieu s'approcha de l’autel pour célébrer les saints mystères, et le duc attendait à la porte de l’église, comme excommunié. Quand saint Bernard eut dit Pax Domini il mit le corps de N.-S. sur la patène et le prit avec lui, et alors, la figure embrasée et les yeux flamboyants, il sort de l’église et adresse au duc ces paroles terribles : « Nous t'avons, prié, dit-il, et tu nous as méprisés: Voici le Fils de la Vierge qui vient à toi; c'est lui qui est le seigneur de l’Église que, tu persécutes. C'est ici ton juge au nom duquel tout genou fléchit. C'est ici ton juge dans les mains duquel ton âme viendra un jour. Est-ce que tu le mépriseras aussi; lui, comme tu as méprisé ses serviteurs ? Résiste-lui, si tu l’oses. » Et aussitôt le duc fut glacé, et 'comme si tous ses membres eussent été disloqués, il se laissa tomber à l’instant aux pieds du saint, qui, le poussant du talon, lui ordonna de se lever et d'écouter la sentence de Dieu. Le duc se leva tout tremblant, et accomplit de suite ce que le saint homme lui commandait. — Le serviteur de Dieu étant venu en Allemagne pour apaiser une grande discorde, l’archevêque de Mayence envoya au-devant de lui un clerc vénérable.

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Celui-ci lui disait qu'il avait été envoyé au-devant de lui par son seigneur, et l’homme de Dieu répondit : «C'est un autre Seigneur qui vous a envoyé. » Celui-ci, étonné, lui assurait qu'il avait été envoyé par l’archevêque, son maître. De son côté, le serviteur de J.-C. disait : « Vous vous trompez, mon fils, vous vous trompez; c'est un plus grand maître qui vous a envoyé; c'est J.-C. » Le clerc, qui comprit : « Vous pensez, dit-il, que je veux me faire moine ? Dieu  m’en garde ! Je n'y ai pas pensé; et cela n'entre pas dans mes goûts. » Cependant, dans le même voyage, il dit adieu au siècle et reçut l’habit des mains de l’homme de Dieu. — Le saint homme avait accueilli dans son ordre un militaire d'une famille très noble, lequel, étant resté un certain temps avec saint Bernard, fut aux prises avec une tentation très grave. Un des frères, qui le vit si triste, lui en demanda la causé. Il lui répondit : « Je sais, dit-il, je sais que désormais il n'y aura plus de joie pour moi. » Le frère rapporta cette parole au serviteur de Dieu, qui pria pour le militaire avec plus de ferveur. A l’instant, ce frère, qui avait été si grièvement tenté et qui était si triste, parut aux frères aussi joyeux et aussi gai qu'il avait paru désolé auparavant. Le frère lui . rappela le mot triste qu'il avait prononcé, alors, il répondit : « Bien, que j'aie dit alors, je ne serai plus jamais gai, je dis maintenant, je ne serai plus jamais triste. »

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Saint Malachie, évêque d'Irlande, dont saint Bernard a écrit la vie pleine de vertus, étant trépassé heureusement à J.-C. dans son monastère, l’homme de  Dieu offrit pour lui l’hostie salutaire; il connut alors sa gloire par une révélation divine, et par inspiration * il changea la formule de la postcommunion en disant avec une voix toute joyeuse : Deus qui Beatum Malachiam sanctorum tuorum meritis coaequasti, tribue, quaesumus, ut qui pretiosae mortis ejus festa agimus, vitae quoque imitemus exempla. Per Dominum... ***. Le chantre lui faisant signe qu'il se trompait : « Non, dit-il, je ne me trompe pas ; je sais ce que je dis. » Ensuite il alla baiser les précieux restes du saint.

— A l’approche du carême, il reçut la visite d'un grand nombre d'étudiants qu'il pria de s'abstenir, au moins dans ces saints jours, de leurs vanités et de leurs débauches. Comme ils n'acquiesçaient pas à sa prière, il leur fit servir du vin en disant : « Buvez 1a boisson des âmes. » Quand ils eurent bu ils furent subitement changés; ils avaient tout à l’heure refusé de servir Dieu pendant un peu de temps, et ils lui consacrèrent toute leur vie.

— Enfin, saint Bernard approchant heureusement de la mort, dit à ses frères « Je vous laisse trois points à observer, et dans tout le cours de ma vie je les ai pratiqués autant qu'il a été en moi : je n'ai voulu donner de scandale à personne et s'il y en a eu, je l’ai caché comme je l’ai pu. J'ai toujours cru moins à mon sentiment qu'à celui d'autrui. Quand j'ai été offensé je n'ai jamais cherché à me venger. Voici donc que je vous laisse la charité, l’humilité et la patience. »

* Guill. de S. Th., l. IV, c. XXI.
** C’est la postcommunion de la messe de saint Grégoire Ier, pape, telle qu'elle se trouve dans le Romain actuel, à l’exception du mot mortis qui est remplacé par commemorationis.

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Enfin après avoir opéré un grand nombre de miracles, construit 160 monastères, composé beaucoup de livres et de traités, et avoir vécu environ 63 ans, il s'endormit dans les bras de ses frères, l’an du Seigneur 1153. Après son décès, il manifesta sa gloire à beaucoup de personnes. Il apparut en effet à l’abbé d'un monastère et l’engagea à le suivre. Comme cet abbé le suivait, l’homme de Dieu lui dit: « Voici que nous allons à la montagne du Liban. Pour vous, vous demeurerez ici et moi j'y monterai.» L'abbé lui demanda pourquoi il voulait monter? « C'est que je veux apprendre », dit-il.

« Et que voulez-vous apprendre, mon Père, reprit l’abbé étonné, vous dont nous ne connaissons pas aujourd'hui le pareil sur la terre en ce qui concerne la science? » Le saint lui répondit: « Il n'y a pas de science ici-bas, il n'y a aucune connaissance du vrai. C'est là-haut qu'est la plénitude de la science, c'est là-haut qu'est la véritable connaissance de la vérité. » Et en disant ces mots, il disparut. L'abbé nota le jour, et il trouva que c'était celui où saint Bernard était mort. Dieu opéra par son serviteur beaucoup d'autres miracles, qu'il est presque impossible de compter.


(122) SAINT TIMOTHÉE

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Timothée viendrait de timorem tenens, tenant peur, ou de timor, et Théos, crainte de Dieu. Et selon le mot de saint Grégoire, le saint est pris de peur en considérant où il a été, où il sera, où il est et où il n'est pas. Où il a été, c'est-à-dire dans le péché; où il sera, au jugement; où il est, dans la misère; où il n'est pas, dans la gloire.

Timothée fut tourmenté à Rome sous Néron par le préfet de la ville; ses plaies furent arrosées de chaux vive: * et pendant qu'il souffrait ces supplices affreux, il rendait grâces à Dieu. Deux anges lui apparurent alors et lui dirent : « Lève la tête aux cieux et vois. » En regardant il vit lés cieux ouverts et J.-C. tenant une couronne ornée de pierres précieuses qui lui disait « Tu la recevras de ma main. » Un homme nommé Apollinaire, voyant cela, se fit baptiser. C'est pourquoi le président ordonna que tous deux fussent décapités, puisqu'ils persévéraient dans leur confession. Ce qui arriva vers l’an du Seigneur 57.

* Bréviaire romain.


(123) SAINT SYMPHORIEN

Symphorien vient de symphonie.. Car il fut comme un instrument de musique qui rend des sons harmonieux de vertu. Dans un instrument de musique il y a trois choses, comme elles existèrent dans Symphorien. D'après Averroès, l’objet qui résonne doit être dur à la résistance, doux pour la prolongation des sons et large quant à leur ampleur. De même Symphorien fut comme un instrument de musique ; il fut dur à lui-même par austérité, doux aux autres par mansuétude et large à tous par grandeur de charité.

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Symphorien était originaire de la ville d'Autun. Dès sa jeunesse, il excellait par une telle gravité de moeurs qu'il semblait prévenir la vieillesse. Les païens célébraient une fête de Vénus et l’on portait sa statue devant le préfet Héraclius. Symphorien qui s'y trouva ne voulut pas l’adorer; alors il fut battu longtemps et jeté en prison. On le fit sortir ensuite du cachot et comme on le forçait à sacrifier et qu'on lui promettait de grandes récompenses, il dit : « Notre Dieu sait récompenser le mérite comme il sait punir les péchés. Cette vie que nous avons à payer à Dieu comme une dette, payons-la en dévouement. On se repent, trop tard, d'avoir tremblé devant son juge. Vos présents trompeurs qui paraissent avoir la douceur du miel ne sont que poison à ceux dont l’esprit est assez crédule pour les accepter. Votre cupidité, en voulant tout posséder, ne possède rien, parce que enlacée dans les artifices du démon, elle est retenue dans les entraves d'un misérable gain : et vos joies, semblables à une eau glacée, se brisent dès qu'elles reçoivent les rayons du soleil. » Alors le juge, rempli de colère, porta une sentence de mort contre Symphorien. On le conduisait à l’endroit de l’exécution, quand sa mère lui cria de dessus le mur: « Mon fils, mon fils, souviens-toi de la vie éternelle: regarde en haut, et vois celui qui règne dans le ciel. Ta vie n'est point détruite, puisqu'elle est changée en une meilleure * ». Bientôt après il fut décapité, et son corps enlevé par les chrétiens fut enseveli honorablement. Il s'opérait tant de miracles à son tombeau que les païens l’avaient en grand honneur.

* Bréviaire romain.

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Grégoire de Tours rapporte * qu'un chrétien ramassa trois pierres à l’endroit où son sang avait été répandu et qu'il les renferma dans une boîte d'argent revêtue de bois. Il la déposa dans un château qu'un incendie dévora tout entier; mais la boîte fut retirée intacte et entière dit milieu du foyer. Il pâtit vers l’an du Seigneur 270.


* De Glor. Mart., l. IV, c. LII.


(124) SAINT BARTHÉLEMY

Barthélemy signifie fils de celui qui suspend les eaux, ou fils de celui qui se suspend. Ce mot vient de Bar, qui veut dire fils, de thelos, sommité, et de moys, eau. De là Barthélemy, c'est-à-dire, le fils de celui qui,suspend les eaux de Dieu ; donc, qui élève l’esprit des docteurs en haut, afin. qu'ils versent 'en bas les eaux de la doctrine. C'est un nom Syrien et non pas Hébreu, il v a trois manières d'être suspendu, que notre saint posséda. En effet il fut suspendu, c'est-à-dire élevé au-dessus de l’amour du monde, porté à l’amour des choses du ciel, entièrement appuyé sur la grâce et le secours de Dieu, de sorte que toute sa vie dépendit non de ses mérites mais de l’aide de Dieu. Par la seconde étymologie,est indiquée la profondeur de sa sagesse dont saint Denys dit ce qui suit dans sa Théologie mystique *: « Le divin Barthélemy avance que la Théologie est tout ensemble développée et briève, l’évangile ample, abondant et néanmoins concis. » Saint Barthélemy veut insinuer par là, , d'après l’opinion de Denys, que la nature suprême de Dieu s'élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation, comme de toute affirmation.

Saint Barthélemy, apôtre, en venant dans l’Inde **, qui est située aux extrémités du monde, entra dans un temple où se trouvait une idole nommée Astaroth, et il s'y arrêta comme ferait un voyageur.

* Chapitre I, 3
** Bréviaire romain.

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Dans cette idole habitait un démon qui prétendait faire du bien aux malades; or, il ne les guérissait pas, mais il suspendait seulement leurs souffrances. Cependant comme le temple était rempli de malades et que, malgré les sacrifices offerts tous les jours pour les infirmes des pays les plus éloignés, on ne pouvait avoir aucune réponse d'Astaroth, les malades allèrent à une autre ville où l’on adorait une idole nommé Bérith. Ils demandèrent à Bérith pourquoi Astaroth ne donnait pas de réponse, et il dit: « Notre Dieu est lié dans des chaînes de feu ; il n'ose ni respirer, ni parler, à dater du moment où est: entré l’apôtre de Dieu Barthélemy.» Ils lui disent: « Et quel est ce Barthélemy ? » Le démon répondit : « C'est l’ami du Dieu tout-puissant; il est venu en cette province pour chasser tous les dieux de l’Inde. » Et ils dirent : « Dis-nous à quels signes nous pourrions le trouver. » Le démon reprit: « Il a les cheveux crépus et noirs, le teint pâle, les yeux grands, le nez régulier et droit, la barbe longue et mêlée de quelques poils blancs, la taille bien prise; il est revêtu d'une robe sans manches avec des noeuds couleur de pourpre, son manteau est blanc, garni de pierres précieuses couleur de pourpre à chaque coin. Depuis vingt ans qu'il les porte, ses habits et ses sandales ne s'usent ni ne se salissent. Chaque jour il fléchit les genoux cent fois pour prier, et autant pendant la nuit. Les anges voyagent avec lui, et ils ne le laissent pas se fatiguer, ni avoir faim. Son visage , est toujours le même, toujours il est joyeux et gai.

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Il prévoit tout, il sait tout. Il connaît et comprend les langues de tous les pays, et ce que je vous dis en ce moment, il le sait, déjà; quand vous le cherchez, s'il le veut, il se montrera à vous, mais, s'il ne le veut pas, vous ne pourrez le trouver. Or, je vous prie, quand vous l’aurez rencontré, conjurez-le de ne pas venir ici de peur que ses anges ne me fassent ce qu'ils ont déjà fait à mon compagnon. »

Après donc qu'on l’eut cherché avec soin pendant deux jours sans le trouver, un démoniaque s'écria « Apôtre de Dieu, Barthélemy, tes prières me brûlent. » L'apôtre lui dit: « Tais-toi, et sors de cet homme. » A l’instant le possédé fut délivré. En apprenant cela, le roi de ce pays, nommé Polimius, qui avait une fille lunatique, envoya prier l’apôtre de venir chez lui et de guérir, sa fille. L'apôtre étant venu chez le roi, et voyant sa fille enchaînée, parce qu'elle déchirait par ses morsures ceux qui l’approchaient, ordonna de la délier; et comme les serviteurs n'osaient l’approcher, il dit:
« Déjà je tiens enchaîné le démon qui était en elle, et vous craignez ? » On la délia et elle fut délivrée. Alors le roi fit charger des chameaux d'or, d'argent et de pierres précieuses, et fit chercher l’apôtre qu'on ne put rencontrer nulle part. Le lendemain matin, cependant, le roi étant seul dans sa chambre, l’apôtre lui apparut et lui dit: «Pourquoi  m’as-tu cherché toute la journée avec de l’or, de l’argent et des pierres précieuses? Ces présents sont utiles à ceux qui sont avides des biens de la terre; quant à moi, je ne désire rien de terrestre, rien de charnel. »

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Alors saint Barthélemy se mit à lui apprendre beaucoup de choses sur la manière dont nous avons été rachetés ; il lui montra, entre autres, que J.-C. avait vaincu le diable par convenance prodigieuse, par puissance, par justice et par sagesse.

1° Il fut convenable en effet que celui qui avait vaincu le fils d'une vierge, c'est-à-dire, Adam créé de la terre, alors qu'elle était encore vierge, fût vaincu par le fils de la Vierge.

2° Il le vainquit par puissance : comme le diable, en faisant tomber l’homme, avait usurpé l’empire de Dieu, J.-C. l’en chassa avec sa toute-puissance. Et comme le vainqueur d'un tyran envoie ses compagnons de victoire pour arborer ses drapeaux partout et pour abattre ceux du tyran, de même J.-C. vainqueur envoie partout ses messagers afin de renverser le culte du diable et établir à la place le culte de J.-C.

3° Il le vainquit avec justice. Il était juste en effet que celui qui avait vaincu l’homme par le manger, et qui le tenait encore sous sa puissance, fût vaincu par le jeûne d'un homme, et dépouillé de son usurpation.

4° Il le vainquit par sagesse, puisque les artifices du diable furent déjoués par l’habileté de J.-C. Tel fut l’artifice du diable: comme un épervier qui saisit un oiseau, il devait saisir J.-C. dans le désert; si en jeûnant J.-C. n'avait pas faim, il n'y aurait plus de doute qu'il fût Dieu; mais s'il avait faim, il l’aurait vaincu lui-même par la gourmandise comme il avait fait du premier homme; mais Dieu ne se fit pas connaître, parce qu'il eut faim; il ne put pas être vaincu, car il résista à sa tentation. Quand donc il eut enseigné au roi les mystères de la foi, il ajouta que s'il voulait recevoir le baptême, il lui montrerait son Dieu, chargé de chaînes.

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Le lendemain, les pontifes offraient, vis-à-vis du palais du roi, un sacrifice à l’idole, quand le démon se mit à crier en disant : « Cessez, misérables, de m'offrir des sacrifices, de peur que vous ne souffriez pire encore que moi qui suis lié de chaînes de feu par l’ange, de J.-C., que les Juifs ont crucifié, avec la pensée qu'il serait retenu par la mort : au lieu qu'il a enchaîné la mort elle-même, notre reine, et qu'il retient captif, dans des chaînes de feu, notre prince, l’auteur de la mort. » Aussitôt tous se mirent en oeuvre d'attacher des cordes pour renverser l’idole, mais ils ne le purent. Alors l’apôtre commanda au démon de sortir de l’idole en la brisant : et à l’instant le démon sortit et brisa lui-même toutes les idoles du temple. Puis l’apôtre fit une prière et tous les infirmes furent guéris. Alors saint Barthélemy consacra le temple à Dieu et ordonna au démon de s'en aller dans le désert. L'ange du Seigneur apparut en cet endroit, et en volant autour, du temple, il grava le signe de la croix avec le doigt aux quatre angles en disant: « Voici ce que dit le Seigneur : Comme je vous ai purifiés de votre infirmité, de même aussi ce temple sera purifié de toute souillure, et de la présence de celui qui l’habitait, puisque l’apôtre l'a fait s'en aller au désert. Mais auparavant, je vous le ferai voir. Ne craignez pas en le regardant, mais faites sur votre front un signe pareil à celui que j'ai sculpté sur ces pierres. » Et il leur montra un Éthiopien plus noir que la suie, à la figure anguleuse, avec une longue barbe, et des cheveux qui lui tombaient aux pieds, des yeux enflammés et jetant des étincelles comme le fer rouge; des flammes couleur de soufre lui sortaient de la bouche et des yeux, et il avait les mains liées derrière le dos avec des chaînes de feu.

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Et l’ange lui dit : « Puisque tu as entendu l’ordre de l’apôtre, et que tu as brisé toutes lés idoles en sortant du temple, je te délierai afin que tu puisses aller en tel endroit où aucun homme n'habite, et que tu y restes jusqu'au jour du jugement. » Quand il fut délié il disparut en hurlant et faisant un grand bruit : mais l’ange du Seigneur s'envola vers le ciel à la vue de tous les assistants. Alors le roi avec son épouse, ses enfants et tout le peuple reçut le baptême après quoi il quitta son royaume pour se faire le disciple de l’apôtre.

Tous les pontifes des temples s'assemblèrent et allèrent trouver le roi Astyage, son frère. Ils portèrent contre l’apôtre des plaintes concernant la perte de leurs dieux, la profanation du temple et la séduction magique qu'on avait exercée contre le roi *. Alors le roi Astyage indigné fit partir mille hommes armés pour prendre l’apôtre. Quand il eut été amené au roi, celui-ci lui dit : « Es-tu celui qui a perverti mon frère ? » L'apôtre répondit : « Je ne l’ai pas perverti, mais je l’ai converti. » Le roi lui dit : « De même que tu as fait que mon frère abandonnât son Dieu pour croire au tien, de même aussi je te ferai abandonner ton Dieu pour sacrifier au mien. » L'apôtre repartit: « Le Dieu qu'adorait ton frère, je l’ai lié, et je l’ai fait voir lié; après quoi je l’ai forcé à briser la statue de l’idole : si tu parviens à en faire autant à mon Dieu, alors tu pourras  m’inviter à adorer la statue, sinon, de mon côté, je briserai tes dieux et tu croiras au mien. »

* Bréviaire romain.

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Comme l’apôtre parlait encore, on annonce au roi que son dieu Baldach s'était renversé et brisé en morceaux. A cette nouvelle, le roi déchira la robe, de pourpre dont il était revêtu ; ensuite il fit fouetter l’apôtre avec des verges, et commanda qu'on l’écorchât vif. Mais les chrétiens enlevèrent son corps, et l’ensevelirent avec honneur. Quant au roi Astyage, et aux pontifes des temples, ils furent saisis par les démons et ils moururent : mais le roi Polimius fut ordonné évêque et après avoir rempli avec honneur pendant vingt ans, le ministère épiscopal, il mourut en paix et plein de vertus.

— Il y a différentes opinions sur le genre de la passion de saint Barthélemy car le bienheureux Dorothée dit qu'il fut crucifié. Voici ses paroles : « Barthélemy prêcha aux Indiens et il traduisit dans leur langue l’Évangile selon saint Mathieu. Il s'endormit à Albane,ville de la grande Arménie, et fut crucifié la tête en. bas.» Mais saint Théodore dit qu'il fut écorché. Cependant, dans beaucoup de livres, on lit qu'il fut seulement décapité. On peut concilier ces opinions différentes, en disant qu'il fut d'abord crucifié, ensuite qu'il fut descendu de la croix avant de mourir, et que pour ajouter à ses tortures, il fut écorché et, qu'en dernier lieu, il eut la tête tranchée.

L'an du Seigneur 831, les Sarrasins, qui envahirent la Sicile, ravagèrent l’île de Lipard,  où reposait le corps de saint Barthélemy, et brisant son tombeau, ils dispersèrent ses ossements. Or, voici comme on rapporte que son corps fut transporté, de l’Inde dans cette île. Ces païens voyant que son corps était en grande vénération à cause de la quantité de miracles qu'il opérait, en furent remplis d'indignation et ils le renfermèrent dans un coffre de plomb qu'ils jetèrent dans la mer.

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Dieu permit qu'il abordât dans l’île susdite* ; et comme les Sarrasins avaient dispersé ses os, quand ils se furent retirés, le saint apparut à un moine et lui dit : « Lève-toi, rassemblé mes os qui ont été dispersés. » Le moine lui répondit : « Pour quelle raison devons-nous ramasser vos os ou vous rendre quelque honneur, quand vous nous avez laissé exterminer sans nous secourir? » L'apôtre reprit :
« Pendant un long espace de, temps, le Seigneur a épargné ce peuple en vue de mes mérites; mais ses péchés s'augmentant de plus en plus et criant jusqu'au ciel, je n'ai plus pu obtenir pardon pour lui. » Comme le moine lui demandait comment il pourrait jamais trouver ses os qui étaient confondus avec beaucoup d'autres, l’apôtre lui dit : « La nuit, tu iras pour les rassembler, et ceux que tu verras briller comme du feu, tu les enlèveras. » Le moine trouva tout ainsi que l’apôtre lui avait dit :  il enleva les os, et, s'embarquant sur un vaisseau, il les transporta à Bénévent, métropole de la Pouilles.

Maintenant on dit qu'ils sont à Rome, quoique les Bénéventins assurent les posséder encore.

— Une femme avait apporté un vase plein d'huile qu'elle voulait verser dans la lampe de saint Barthélemy. Mais de quelque façon que l’on penchât le vase sur la lampe, il ne pouvait rien en sortir, quoique en touchant l’huile avec les doigts on la trouvât liquide. Alors quelqu'un s'écria : « Je pense qu'il n'est pas agréable à l’apôtre qu'on verse de cette huile dans sa lampe.» C'est pourquoi on versa dans une autre lampe cette huile qui coula aussitôt.

* Grég. de Tours, De Glor. Martyr., l. I, c. XXXVIII.

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Quand l’empereur Frédéric détruisit Bénévent, il donna l’ordre de raser toutes les églises ; car son intention était de transporter la ville entière dans un autre endroit. Alors un homme rencontra quelques personnages revêtus d'aubes blanches, et resplendissants, qui, paraissaient parler ensemble et discuter entre eux une question. Cet homme, rempli d'étonnement, demanda qui ils étaient, et l’un d'eux répondit : « Voici l’apôtre Barthélemy avec les autres saints dont il se trouvait des églises. dans la ville : ils se sont réunis pour chercher et discuter quelle peiné devra subir celui qui les a chassés de leurs demeures : déjà ils ont décidé entre eux et leur sentence est inviolable, que le coupable sera traduit sans retard au tribunal de Dieu, devant lequel il aura à répondre de tout cela.».Et de vrai, peu après, ledit empereur mourut misérablement.

— On lit dans un livre des Miracles des Saints, qu'un Docteur célébrait solennellement chaque année la fête de saint Barthélemy. Un jour qu'il prêchait, le diable lui apparut sous l’apparence d'une jeune fille remarquablement belle : Le prédicateur jeta les yeux sur elle et l’invita à dîner. Pendant le repas, elle faisait tous ses efforts pour lui inspirer de l’amour. Saint Barthélemy vint à la porte sous la figure d'un pèlerin qui demanda avec instance qu'on le fit entrer pour l’amour de saint Barthélemy.
La jeune fille s'y opposa et on envoya au pèlerin un pain que celui-ci refusa d'accepter.

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Alors, par le messager il envoya prier le maître de lui dire ce qui était plus particulièrement propre à l’homme. Le maître prétendait que c'était le rire, mais la jeune fille répondit : « Dites plutôt le péché, avec lequel l’homme est conçu, naît et vit.» Barthélemy répondit que le maître avait bien parlé, mais que la femme avait donné une réponse renfermant un sens plus profond.

En second lieu, le pèlerin envoya demander au maître de lui indiquer un endroit n'ayant qu'un pied d'étendue où Dieu avait manifesté les plus grandes merveilles. Comme le maître disait que, c'était l’endroit de la croix dans lequel Dieu a opéré des miracles, la femme dit : « C'est plutôt la tête de l’homme, dans laquelle existe comme un petit monde. » L'apôtre approuva la sentence de l’un et de l’autre.

Troisièmement il demanda quelle distance il y avait depuis le haut du ciel, jusqu'au bas de l’enfer. Comme le maître avouait qu'il ne le savait pas, la femme dit : « Je vois maintenant que je suis surpassée : mais je le sais, moi, qui suis tombée de l’un dans l’autre; et il faut que je te montre cela. » Alors le diable en poussant un grand hurlement se précipita dans l’abîme. Or, quand on chercha le pèlerin, on ne le trouva pas. On lit quelque chose d'à peu près semblable de saint André.

Saint Ambroise dans la préface qu'il a composée pour cet apôtre raconte ainsi sa légende en abrégé. « O Jésus, vous avez daigné manifester d'une manière admirable votre majesté à ceux que vous avez chargés de prêcher votre Trinité qui forme une seule divinité.. Parmi eux, c'est sur saint Barthélemy que vous avez daigné jeter les yeux pour l’envoyer prêcher un peuple éloigné. Aussi l’avez-vous orné de toutes sortes de vertus.

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Ce peuple, bien que séparé du reste du monde, vous a été acquis, et a été rapproché de vous par les mérites de la prédication de votre apôtre. De quelles louanges n'est pas digne cet homme merveilleux! Ce n'est pas assez pour lui de gagner à la foi les cœurs de ceux qui l’environnent; il vole plutôt qu'il ne marche vers les extrémités du monde habitées par les Indiens: Une multitude innombrable de malades le suit dans le temple du démon et, à l’instant ce père du mensonge ne donne plus de réponses. Oh! combien furent merveilleux les prodiges de sa vertu! Un sophiste veut argumenter contre lui; l’apôtre ordonne et le sophiste reste, muet et épuisé. La fille du roi que le démon tourmentait, il la délivre et la rend guérie à son père. Oh ! prodige de sainteté! il force le démon à réduire en poudre les idoles sous lesquelles l’antique ennemi du genre humain se faisait adorer. Il peut bien être compté dans l’armée du ciel celui auquel apparut un ange envoyé de la cour céleste afin de rendre un témoignage certain à la vérité! Cet ange montre, le démon enchaîné, et grave sur la pierre le signe de la croix qui a sauvé les hommes. Le roi et la reine sont baptisés avec leur peuplé, et les habitants de douze villes vous confessent de corps et de coeur. Enfin, sur la dénonciation des pontifes païens, un tyran, le frère de Polémius encore néophyte, fait battre de verges l’apôtre, et le fait écorcher et périr de la mort la plus atroce. » Le bienheureux Théodore *, abbé et docteur, dit entre autres ces paroles, au sujet de saint Barthélemy : « L'apôtre Barthélemy prêcha premièrement en Lycaonie, ensuite dans l’Inde, enfin dans Albane, ville de la grande Arménie où il fut d'abord écorché et enfin décapité; il y fut aussi enseveli.

* Cf. Anastase le Biblioth., t. III, p. 732.

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Quand il reçut du Seigneur la mission de prêcher, je pense qu'il entendit qu'on lui adressait ces mots : « Mon disciple, va prêcher, va au combat : affronte les périls; j'ai achevé l’oeuvre de mon père; j'ai été témoin le premier; accomplis la tâche qui t'est imposée;  marche sur les pas de ton maître; donne sang pour sang, chair pour chair; endure ce que j'ai enduré pour toi dans ma passion. Que tes armes soient la bénignité au milieu de tes fatigues, et la douceur vis-à-vis des méchants, et la patience dans cette vie qui passe. » L'apôtre accepta, et comme un serviteur fidèle, il acquiesça à l’ordre de son Seigneur; il s'avance plein de joie comme la lumière du monde, afin d'éclairer ceux qui vivaient dans les ténèbres : c'est le sel de la terre qui conserve les peuples énervés; c'est le laboureur qui met la dernière main à la culture des cœurs. L'apôtre saint Pierre enseigne aussi les nations, saint Barthélemy en fait autant : Pierre opère de grands prodiges ; Barthélemy fait des miracles éclatants ; Pierre est crucifié la tête en bas ; Barthélemy, après avoir été écorché vif, est décapité. Autant Pierre conçoit de mystères, autant en pénètre Barthélemy. Il féconde l’Eglise comme le prince des apôtres; les grâces qu'ils ont reçues tous les deux se balancent. De même que la harpe produit des accords harmonieux, de même Barthélemy, qui tient le milieu dans le mystérieux nombre douze, s'accorde avec ceux qui le précèdent comme avec ceux qui le suivent pour produire des sons mélodieux au moyen de la parole divine.

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Tous les apôtres, en se partageant l’univers, ont été établis les pasteurs du Roi des rois. L'Arménie qui s'étend de Ejulath jusqu'à Gabaoth est la partie qui lui échoit; aussi voyez-le se servir de sa langue comme d'un soc pour labourer le champ de l’esprit des hommes, dans les coeurs desquels il enfouit la parole de sa foi; il plante les jardins et les vignes du Seigneur; il greffe les remèdes qui guériront les passions de chacun; il extirpe les épines nuisibles, il coupe le bois de l’impiété; il entoure le dogme de défenses. Mais qu'ont-ils gagné pour l’offrir au Créateur ! Au lieu des honneurs, ils n'ont que déshonneur, au lieu. de bénédiction, malédiction, au lieu des récompenses, .des tourments; au lieu d'une vie de repos, la mort la plus amère: car après avoir subi des supplices intolérables, Barthélemy ;fut écorché par les impies comme s'ils avaient prétendu en faire un sac et après sa sortie de ce monde, il ne méprisa pas ceux qui l’avaient tué ; mais ceux qui se perdaient, il les attirait par des miracles, ceux qui étaient des adversaires, il les gagnait par des prodiges. Cependant il n'y avait rien qu'il n'employât pour calmer leur fureur aveugle, et pour les éloigner du mal. Or, comment se comportent-ils ensuite? Ils s'acharnent contre le corps du saint. Les malades méprisent celui qui les voulait guérir; les orphelins, celui qui les menait parla, main, les aveugles, leur conducteur, les naufragés, leur pilote, les morts, celui qui leur rendait la vie. Et comment cela? En jetant ce corps saint dans la mer. »

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« Le flot poussa des rivages de l’Arménie le coffre où étaient les ossements du saint avec quatre autres coffres d'os de martyrs qui avaient été jetés aussi dans la mer. Pendant tout le trajet, les quatre coffres précédaient celui de l’apôtre auquel ils semblaient faire cortège. Ils abordèrent ainsi, auprès de la Sicile, dans une île appelée Lipari. Le prodige fut révélé à l’évêque d'Ostie qui se trouvait présent. Ce trésor inestimable vint dans un lieu très pauvre. Cette pierre des plus précieuses vint aborder sur un rocher ; cette lumière resplendissante se répandit dans un lieu obscur. Les quatre autres coffres allèrent dans différents pays et laissèrent le saint apôtre dans l’île citée plus-haut. En effet l’apôtre laissa les quatre martyrs par derrière et envoya l’un, savoir: Papinus, dans une ville de Sicile nommée Milas, un autre qui s'appelait Lucien, à Messine; les deux autres, il les fit aller dans la Calabre, savoir: Grégoire dans la cité de Colonne, et Achatius dans la cité de Chale où jusque aujourd'hui ils brillent par les faveurs qu'ils accordent. Le corps de saint Barthélemy fut reçu au chant des hymnes, au milieu des louanges ; on alla au-devant de lui avec des flambeaux, et on éleva en son honneur un temple magnifique.

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— Le mont Volcano, voisin de l’île, causait: des dommages aux habitants parce qu'il jetait du feu : il s'éloigna de sept stades sans qu'on le vît, et s'arrêta au milieu de la mer, en sorte qu'aujourd'hui encore on n'en aperçoit plus que comme l’apparence d'un feu qui s'échappe. Maintenant donc, salut, ô bienheureux des bienheureux! Trois fois heureux Barthélemy, qui êtes la splendeur de la lumière divine, le pêcheur de la sainte Eglise, l’homme habile à prendre les poissons doués de raison, le doux fruit du palmier vivace, l’exterminateur du diable occupé à blesser le monde par ses violences ! Gloire à vous, soleil qui éclairez tout ce qu'il y a sur la terre, bouche de Dieu, langue de feu qui répand la sagesse, fontaine intarissable de santé, qui avez sanctifié la mer dans votre course, qui avez, rougi la terre de la pourpre de votre sang, qui êtes monté aux cieux, où vous brillez dans l’armée divine, qui êtes environné d'un éclat, d'une gloire incorruptible; et qui nagez dans des transports d'un bonheur sans fin ! * »


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