JACQUES DE VORAGINE La Légende dorée (2ème partie)



LA LEGENDE DOREE

DE JACQUES DE VORAGINE

(2ème partie)

NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS
AVEC INTRODUCTION, NOTICES, NOTES ET RECHERCHES SUR LES SOURCES PAR 

L'ABBÉ J.-B. M. ROZE, Chanoine Honoraire de la cathédrale d'Amiens

ÉDOUARD ROUVEYRE, ÉDITEUR
76, RUE DE SEINE, 76


PARIS - MDCCCCII


DEUXIEME PARTIE DE 4         
           
51-SAINT BENOÎT 
52-SAINT PATRICE
53-L'ANNONCIATION      
54-SAINT TIMOTHÉE
55-PASSION DU SEIGNEUR
56-RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR
57-SAINT SECOND
58-SAINTE MARIE L'EGYPTIENNE      
59-SAINT AMBROISE       
60-SAINT GEORGES
61-SAINT MARC
62-SAINT MARCELLIN
63-SAINT VITAL
64-UNE VIERGE D'ANTIOCHE
65-SAINT PIERRE, MARTYR
66-SAINT PHILIPPE
67-SAINTE APOLLONIE
68-SAINT JACQUES LE MINEUR
69-L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX
70-SAINT JEAN
71-LES ROGATIONS         
72-SAINT BONIFACE
73-ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR
74-LE SAINT-ESPRIT
75-SAINTS GORDIEN ET EPIMAQUE  
76-SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE
77-SAINT PANCRACE
78-SAINT URBAIN
79-SAINTE PÉTRONILLE
80-SAINT PIERRE, ET SAINT MARCELLIN
81-SAINT PRIME ET SAINT FÉLICIEN
82-SAINT BARNABÉ
83-SAINT VITUS ET SAINT MODESTE 
84-SAINT CYR ET SAINTE JULITTE
85-SAINTE MARINE
86-SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS        
87-NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE
88-SAINT JEAN ET SAINT PAUL           
89-SAINT LÉON     
90-SAINT PIERRE
91-SAINT PAUL
92-LES SEPT FRÈRES
93-SAINTE THÉODORE   
94-SAINT ALEXIS
95-SAINTE MARGUERITE
96-SAINTE PRAXÈDE
97-SAINTE MARIE-MAGDELEINE
98-SAINT APOLLINAIRE
99-SAINTE CHRISTINE
100-SAINT JACQUES LE MAJEUR


(51) SAINT BENOÎT

Benoît est ainsi nommé ou parce qu'il  a bénit beaucoup, ou parce qu'il a reçu en cette vie beaucoup de bénédictions, ou parce que tous le bénissaient, ou bien parce qu'il a mérité la bénédiction éternelle. Sa vie fut écrite par saint Grégoire.

Benoît était originaire de la province de Nurcie. Ayant été placé à Rome pour faire ses études, tout jeune encore, il abandonna les lettres et résolut de s'en aller au désert. Sa nourrice, qui le chérissait avec une grande tendresse, le suivit jusqu'en un lieu qu'on nomme OEside, où elle demanda à emprunter un crible pour nettoyer du froment, mais en le mettant sans précaution sur une table, le crible tomba et fut cassé en deux. Saint Benoît la voyant pleurer prit les deux parties du crible et se levant, après une prière, il les trouva solidement réunies.

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Peu de temps après, il quitta à la dérobée sa, nourrice et vint en un endroit où il resta trois ans inconnu aux hommes, à l’exception d'un moine appelé Romain, dont les soins assidus lui assuraient le nécessaire. Or, comme de l’antre où Benoît restait, jusqu'au monastère de Romain il n'y avait pas de chemin, celui-ci liait le pain au bout d'une très longue corde et c'est ainsi qu'il avait coutume de le faire passer. A cette corde, il attacha aussi une sonnette, afin que, averti par le son, l’homme de Dieu sût quand Romain lui apportait du pain et pût sortir pour le prendre. Mais l’antique ennemi de l’homme jaloux de la charité du premier et de la manière dont le second se sustentait, jeta une pierre et cassa la sonnette : cela toutefois n'empêcha pas Romain de servir Benoît. Après quoi le Seigneur apparut dans une vision à un prêtre qui se préparait à manger le jour de la solennité de Pâques, et lui dit : « Tu te prépares des friandises et mon serviteur meurt de faim en tel lieu.» Le prêtre se leva incontinent, et étant parvenu à trouver Benoît après de grandes difficultés : « Levez-vous, lui dit-il, et prenons de la nourriture, parce que c'est aujourd'hui la Pâque du Seigneur.» Benoît lui répondit : « Je vois bien qu'il est Pâques, puisque j'ai l’avantage de vous voir. » Placé en effet loin des hommes, il ne savait pas que ce jour fût celui de la solennité de Pâques. Le prêtre lui dit : «Vraiment c'est aujourd'hui le jour de la résurrection de N.-S. : aussi ne, convient-il pas que vous fassiez abstinence; c'est pour cela que je vous ai été envoyé. » Et après avoir béni Dieu, ils prirent de la nourriture.  —

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Un jour un oiseau noir, nommé merle, se mit à voler d'une manière importune autour de la figure de Benoît, de sorte que le saint aurait pu le saisir avec la main; mais il fit le signe de la croix et l’oiseau se retira. Bientôt après, le diable lui ramena devant les yeux de l’esprit une femme qu'il avait vue autrefois, et il alluma dans son coeur une. telle passion pour cette personne, que, vaincu par la volupté, il était près de quitter le désert. Mais rendu subitement à lui-même par la grâce divine, il quitta ses vêtements, et se roula sur les épines et les ronces éparses çà et là, avec tant de violence que son corps en fut tout meurtri, il guérit ainsi par les plaies de sa chair les plaies de sa pensée : il vainquit le péché! en déplaçant l’incendie. A dater de ce moment aucune tentation ne s'éleva. en son corps.

Sa renommée avait grandi; l’abbé d'un monastère étant mort, toute la communauté vint le trouver et lui demander de la gouverner. Il refusa longtemps, et dit d'avance aux moines que leurs moeurs ne s'accordaient point avec les siennes; enfin il fut forcé de donner son consentement. Mais comme il commandait que la règle fût observée selon toute sa rigueur dans le cloître, les moines se reprochaient l’un à l’autre de l’avoir demandé pour leur chef, car leur irrégularité blessait l’amour qu'il avait pour le devoir.

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Quand ils s'aperçurent qu'avec lui il ne leur était plus possible. de faire le mal et que c'était chose pénible de rompre leurs habitudes, ils mêlèrent du poison avec son vin et le lui servirent à table. Mais Benoît fit le signe de la croix, ce qui brisa le verre comme par un coup de pierre. Il comprit. donc qu'il y avait là une boisson de mort, puisqu'elle n'avait pu recevoir le signe de la vie; il se leva aussitôt et il dit avec calme : « Que le Dieu tout-puissant ait pitié de vous, mes frères; ne vous ai-je pas dit que vos moeurs et les miennes ne s'accordaient pas? »

Il revint alors à la solitude qu'il avait quittée; et où ses miracles qui se multipliaient tous les jours le rendirent célèbre. Une foule de personnes étant venues à lui, il bâtit douze monastères. En l’un d'eux, il y avait un moine qui ne pouvait pas vaquer longtemps à la prière, mais pendant que les autres étaient à l’oraison, il allait dehors et se livrait à des distractions terrestres et futiles. L'abbé de ce monastère en ayant instruit saint Benoît, celui-ci s'empressa de venir; il vit qu'un petit enfant noir tirait dehors, par le bord de son habit, ce moine qui ne pouvait pas rester à la prière ; et il dit à l’abbé du monastère et au moine saint Maur : « Est-ce que vous ne voyez pas quel est celui qui le tire ? » Et comme ils répondaient : « Non; » il dit : « Prions pour que vous le voyiez aussi. » Et pendant qu'ils priaient, saint Maur vit, mais l’abbé ne put voir. Un autre jour donc, après la prière, l’homme de Dieu rencontra le moine dehors, et le frappa avec une verge à cause de son aveuglement; depuis ce temps, il resta à la prière, sans plus sortir. Ce fut ainsi que l’antique ennemi de l’homme n'osa plus maîtriser les pensées du moine, comme s'il eût reçu lui-même les coups.

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— De ces monastères il y en avait. trois élevés sur les rochers d'une montagne, et c'était avec un grand labeur qu'on tirait l’eau d'en bas : comme les frères priaient souvent l’homme de Dieu de changer les monastères de lieu, une nuit il alla avec un enfant au haut de la montagne où, après avoir prié longtemps, il mit trois pierres en cet endroit pour servir de signe. Rentré le matin à la maison, les frères vinrent le trouver pour la même causé et il leur dit : « Allez creuser au milieu de la roche sur laquelle vous trouverez trois pierres, car le Seigneur peut vous en faire jaillir de l’eau: » Ils y allèrent et ils trouvèrent cette roche déjà couverte de gouttes; ils y creusèrent un trou et bientôt ils le virent plein d'eau : elle coule encore jusqu'à présent en assez grande quantité pour descendre du sommet de la montagne jusqu'en bas.

— Une fois, un homme coupait des ronces avec une faux autour du monastère de l’homme de Dieu; or, le fer sauta du manche et tomba dans un lac profond; et comme cet homme s'en tourmentait fort, saint Benoît mit le manche sur le lac et un instant après le fer vint nager vers son manche.

— Un jeune moine appelé Placide, en allant puiser de l’eau, tomba dans le fleuve; bientôt l’eau l’emporta et l’entraîna loin de ta terre presque à la distance du jet d'une flèche. Or, l’homme de Dieu qui était assis dans sa cellule vit cela en esprit tout aussitôt; il appela Maur, lui raconta l’accident arrivé à cet enfant et lui commanda d'aller le sauver. Après avoir reçu la bénédiction du saint, Maur, s'empressa d'y aller, et pensant qu'il marchait sur la terre, il vint sur l’eau jusqu'auprès de l’enfant qu'il tira en le prenant par les cheveux : puis il revint rapporter à l’homme de Dieu ce qui lui était arrivé; mais le saint l’attribua non pas à ses mérites, mais à l’obéissance. de Maur.

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— Un prêtre du nom de Florent, envieux du saint, conçut une telle aversion contre lui qu'il envoya à l’homme de Dieu un pain empoisonné pour du pain bénit. Le saint le reçut avec reconnaissance, et le jeta au corbeau qui avait coutume de recevoir du pain de ses mains, en lui disant : « Au nom de J.-C., prends ce pain et jette-le en tel endroit que homme vivant ne le,puisse prendre. » Alors le corbeau ouvrit le bec, étendit les ailes, se mit à courir autour du pain et à croasser avec force, comme s'il eût voulu dire qu'il voulait bien obéir, mais que cependant il ne pouvait faire ce qui lui était commandé. Le saint lui commanda à diverses reprises en disant : « Prends, prends, n'aie pas peur, et jette-le, ainsi que j'ai dit. » Enfin le corbeau prit le pain, ne revint que trois jours après et reçut de la main de Benoît sa ration accoutumée. Florent, voyant donc qu'il ne pouvait pas tuer le corps de son maître; résolut de tuer les âmes des religieux : il fit alors folâtrer et chanter sept jeunes filles toutes nues dans le jardin du monastère, afin d'exciter les moines à la luxure. Le saint ayant vu cela de sa cellule et craignant que ses disciples ne tombassent dans le péché, céda la place a l’envieux et prit quelques frères avec lesquels il alla habiter ailleurs. Mais Florent, qui se trouvait sur une terrasse, le voyant s'en .aller, en conçut de la joie, lorsque tout à coup la terrasse s'affaissa et le tua à l’instant. Alors. Maur courut dire à l’homme de Dieu : « Revenez, parce que celui qui vous persécutait est tué.

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Aussitôt qu'il eut entendu cela, le saint poussa de grands gémissements, soit à cause de la mort de son ennemi, soit parce que son disciple s'en était réjoui. Il lui infligea une pénitence de ce qu'en lui annonçant; un pareil malheur, il avait eu la présomption de se réjouir de la, mort d'un méchant. Quant à Benoît, il n'évita pas l’ennemi en changeant le lieu de sa demeure : car il vint au mont Cassin, et du temple d'Apollon qui s'y trouvait, il fit un oratoire en l’honneur de saint Jean-Baptiste ; et convertit de l’idolâtrie tout le peuple d'alentour. Mais l’antique ennemi, supportant cela avec peine, lui apparaissait visiblement sous une forme hideuse; sa bouche et ses yeux paraissaient jeter des flammes; il l’insultait en disant : «Benoît, Benoît, » mais comme le saint ne lui répondait rien, au lieu de Benoît, Benoit; il disait : « Maudit, maudit, pourquoi me persécutes-tu? »

— Un jour les frères voulaient élever une pierre qui était par terre pour la mettre en oeuvre, mais ils ne pouvaient y parvenir. Des hommes en grand nombre qui étaient là ne pouvaient non plus la soulever, quand l’homme de Dieu arrivant, donna sa bénédiction et la pierre fut, élevée avec la plus grande célérité; ce qui fit juger que le diable était assis dessus et empêchait de la mouvoir. Quand la muraille eut atteint une certaine hauteur, le démon apparut à l’homme de Dieu et lui fit signe d'aller trouver les frères : aussitôt il leur envoya dire par un exprès : « Mes frères, prenez garde à vous, parce que le malin esprit vient vers vous. » A peine le messager, eut-il fini de parler que le démon fait tomber la muraille dont la chute écrasa un jeune religieux. Mais l’homme de Dieu fit apporter le mort tout brisé en un sac, le  ressuscita par une prière et le renvoya à son travail.

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— Un laïc, homme d'honnête vie, avait coutume, chaque année, de venir à jeun visiter saint Benoît. Un jour qu'il. y venait, s'adjoignit à lui un autre personnage, chargé de vivres, pour son voyage : or, comme il se faisait tard, ce dernier dit : « Frère, venez et mangeons pour que nous ne soyons pas fatigués en chemin. » Sur sa réponse qu'il ne goûterait à aucune nourriture en route, l’autre se tut pour l’heure; peu de temps après, il lui fit encore la même invitation, mais le laïc ne voulut pas céder. Enfin une heure entière s'étant écoulée, dans la fatigue du voyage, ils arrivèrent à un pré avec une fontaine, et où l’on pouvait se reposer et se rafraîchir. Alors le voyageur en lui montrant ce lieu le pria de s'y arrêter un instant pour manger, Ces paroles ayant flatté les oreilles du laïc et le lieu ayant charmé ses yeux, il consentit. Lorsqu'il fut arrivé auprès de saint Benoît, l’homme de Dieu lui dit : « Frère, voici que le malin n'a pas pu vous persuader une première fois, ni une seconde fois, mais la troisième il l’a emporté. » Alors le laïc se jeta à ses pieds et pleura sa faute. —

— Totila, roi des Goths, voulant éprouver si l’homme de Dieu avait l’esprit de prophétie, donna à un de ses gardés ses vêtements royaux et l’envoya au monastère avec tout l’appareil d'un souverain. Quand Benoît le vit venir, il dit: « Otez, mon fils, ôtez : ce que vous portez n'est pas à vous. » Celui-ci se jeta à l’instant à terre, et il eut une grande frayeur d'avoir osé vouloir se jouer d'un si, grand homme.

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— Un clerc, tourmenté par le diable, fut amené à Benoît pour en recevoir guérison, et quand le diable eut été chassé de son corps, Benoît dit : « Allez et dorénavant ne mangez pas de viande, et n'approchez pas des saints ordres : car le jour où vous aurez la présomption de les recevoir, vous appartiendrez au démon. » Le clerc garda cette recommandation un  certain temps; mais voyant que l’époque approchait de passer des ordres mineurs aux ordres sacrés, il ne tint pas compte des paroles du saint, comme si un long espace de temps les lui eût fait oublier, et reçut l’ordre sacré. Mais aussitôt le diable, qui l’avait quitté, s'empara de lui et ne cessa de le tourmenter jusqu'à ce qu'il lui eût fait rendre l’âme.

Un homme envoya, par un enfant, à saint Benoît, deux flacons de vin; or, l’enfant en cacha un dans le chemin et porta l’autre; l’homme de Dieu reçut avec reconnaissance cet unique flacon et donna cet avis à l’enfant lors de son départ : « Mon fils, garde-toi de boire de ce flacon que tu as. caché; mais incline-le avec précaution et regarde ce qu'il contient. » Celui-ci se retira tout confus : en revenant, il voulut s'assurer de ce que le saint lui avait dit; et quand il eut incliné le flacon, aussitôt il en sortit un serpent.

— Une fois, l’homme de Dieu soupait alors qu'il faisait nuit; un moine, fils d'un avocat, l’assistait en tenant une lampe, et par esprit d'orgueil se mit à penser à part soi : « Quel est cet homme pendant le repas duquel j'assiste, auquel je tiens une lampe, que je suis réduit à servir? Qui suis-je moi pour que je sois son serviteur? » Aussitôt l’homme de Dieu lui dit : « Fais le signe de la croix sur ton coeur, mon frère, fais le signe de croix sur ton coeur; qu'as-tu à dire? » Et il appela les frères, leur dit de prendre la lampé de ses mains ; pour lui, il le fit aller au monastère et lui commanda de rester en repos.

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— Un Goth appelé Zalla, hérétique arien du temps du roi Totila, exerça avec fureur des actes atroces de cruauté contre les personnes religieuses appartenant à la foi catholique; tout clerc ou tout moine qui venait en sa présence, ne sortait pas de ses mains la vie sauve. Un jour, poussé par l’esprit d'avarice et ne pensant que rapine, ce roi faisait endurer à un habitant de la campagne des tourments cruels, et lui infligeait différentes torturés; vaincu par la douleur, le paysan déclara avoir mis sa personne et ses biens sous la protection du serviteur de Dieu, Benoît. Le bourreau le crut et cessa de tourmenter le patient qui revint à la vie. Mais en cessant de le tourmenter, Zallalui fit lier les bras avec de fortes courroies, et le fit marcher en avant de son cheval pour qu'il lui montrât ce Benoît qui avait reçu son bien. Le paysan marcha donc devant lui, les bras liés, et le mena au monastère du saint homme qu'il trouva seul assis à,la porte de sa cellule et faisant une lecture. Le paysan, dit à Zalla qui le suivait par derrière et qui le tourmentait : « Voici celui dont je vous ai parlé, le Père Benoît. » Zalla; l’esprit échauffé, le regarda avec un air méchant et croyant agi avec lui comme avec les autres, il se mit à crier de toutes ses forces en disant : « Lève-toi, lève-toi; rends les biens de ce rustaud : rends ce que tu as pris. » A cette voix, l’homme de Dieu leva vite les yeux, cessa de lire, puis jeta un coup d'oeil sur Zalla et sur le paysan qu'il remarqua être tenu par des liens.

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Ayant tourné les yeux vers les bras de cet homme, les courroies qui le liaient se détachèrent miraculeusement avec une telle vitesse que personne, tout habile qu'il eût été, n'eût pu le faire en si peu de temps. Le captif ayant été soudain mis en liberté, Zalla, effrayé d'un pareil trait de puissance, se jeta contre terre et baissant sa tête cruelle jusqu'aux pieds du saint, il se recommanda à ses prières. Quant au saint homme, il ne se leva pas, il n'interrompit point sa lecture mais il appela les frères auxquels il enjoignit d'introduire Zalla dans la maison pour y recevoir la bénédiction. A son retour, il l’avertit de ne plus se livrer à de pareils excès de cruauté. Zalla prit une réfection, s'en alla, et ne s'avisa plus de réclamer rien du paysan que l’homme de Dieu avait délié non pas avec les mains, mais de son regard.

— A une époque, la famine exerçait ses ravages sur le pays de la Campanie. On était en proie à la disette et déjà au monastère de saint Benoît le blé manquait ; presque tous les pains avaient été mangés, de sorte qu'il n'y en avait plus que cinq pour la collation des frères. Le vénérable abbé, qui les voyait tous consternés, s'attacha à les reprendre avec modération de leur pusillanimité, et à les encourager peu à peu par des promesses, en disant : « Pourquoi donc votre esprit est-il dans la tristesse de ce qu'il n'y a pas de pain? Aujourd'hui, Il est vrai, il est en petite quantité, mais demain, il y en aura en abondance. » Or, le jour suivant, on trouva devant la porte du couvent deux cents boisseaux de farine dans des sacs que le Dieu tout puissant avait envoyés sans qu'on sache encore à présent par quels moyens. A cette vue, les frères rendirent grâces à Dieu et apprirent qu'il ne fallait s'inquiéter ni de l’abondance ni de la disette.

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— On lit encore, qu'un homme avait un fils attaqué d'un éléphantiasis * en sorte que déjà ses cheveux tombaient, sa peau s'enflait et il n'était plus possible de cacher la sanie qui allait en augmentant. Le père l’envoya à Benoît qui lui rendit, subitement sa santé première. Ils en témoignèrent de grandes grâces à Dieu et dans la suite l’enfant persévéra dans de bonnes oeuvres, et mourut heureusement dans le Seigneur.

— Lé saint avait envoyé un certain nombre de frères en un endroit pour y élever un monastère, et les prévint que tel jour il viendrait les voir pour leur donner le plan des constructions. Or, la nuit qui précédait le jour indiqué, il apparut en songe à un moine qu'il avait mis à la tête de l’oeuvre et à son prévost, et leur désigna en détail chacun des endroits où ils devaient bâtira Mais comme ils n'ajoutaient pas foi à la vision qu'ils avaient eue et qu'ils attendaient le saint, à la fin ils retournèrent le trouver et lui dirent: « Père, nous attendions que vous viendriez comme vous l’aviez promis, et vous n'êtes pas venu. » Il leur dit : « Frères, pourquoi dire cela? Ne vous ai-je point apparu et ne vous ai-je, pas désigné chaque endroit? Allez et disposez tout ainsi que vous l’avez vu. »

* Maladie qui rend la peau rugueuse comme celle de l’éléphant.

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— Non loin du monastère de Benoît, vivaient deux religieuses de noble lignée, qui ne contenaient pas leur langue par leurs propos indiscrets, elles portaient souvent à la colère leur supérieur : celui-ci en informa l’homme de Dieu qui fit donner cet avis aux religieuses : « Réprimez votre langue, autrement je vous excommunierai (excommunication qu'il ne lança pas par ces paroles, mais dont il les menaça). Ces religieuses ne changèrent point et moururent quelques jours après, elles furent ensevelies dans l’église. Mais pendant la messe et quand le diacre dit comme de coutume : « Que celui qui n'est pas de la communion sorte dehors» la nourrice de ces religieuses, qui toujours offrait l’oblation pour elles, les vit sortir de leurs tombes, et sortir de l’église : ceci ayant été rapporté à Benoît, le saint donna de ses propres mains une offrande en disant : « Allez et présentez cette offrande pour elles, et elles ne seront plus excommuniées désormais. » Ce qui ayant été exécuté, lorsque le diacre chantait la formule d'ordinaire, on ne les vit plus quitter l’église.

— Un moine était sorti pour visiter ses parents sans avoir la bénédiction, et le jour qu'il arriva chez eux, il mourut. Quand il fut enterré, la terre le rejeta une première et une deuxième fois. Ses parents vinrent trouver saint Benoît et le prièrent de lui donner sa bénédiction. Il prit alors le corps de N. S. et dit : « Allez poser ceci sur la poitrine du mort et ensevelissez-le ainsi. » On le fit et la terre garda le corps ainsi enseveli et ne le rejeta plus.

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 — Un moine, qui ne voulait pas rester dans le monastère, insista tant auprès de l’homme de Dieu que celui-ci, tout contrarié, lui permit de s'en aller. Mais il ne fut pas plutôt hors du cloître qu'il rencontra en son chemin un dragon, la gueule ouverte. Dans l’intention de s'en garer, il se mit à crier : « Accourez, accourez, il y a un rayon ; il me veut dévorer. » Les frères accoururent, mais ne trouvèrent point de dragon,; alors ils ramenèrent au monastère le moine tout tremblant et ébranlé. Il promit à (instant que jamais il ne sortirait du moustier.

— Une famine extraordinaire ravageait tout le pays et l’homme de Dieu avait donné aux pauvres tout ce qu'il avait pu trouver; en sorte qu'il ne restait, dans le monastère, qu'un peu d'huile dans un vase de verre; il commanda alors au célérier de donner ce peu d'huile à un pauvre. Le célérier entendit bien ce que saint Benoit lui commandait, mais il se décida à faire fi de ses ordres, parce qu'il ne restait plus d'huile pour les frères. Dès que l’homme de Dieu s'en aperçut, il commanda de jeter le vase de verre avec l’huile par la fenêtre afin qu'il ne restât rien dans le monastère contre l’obéissance. On jeta donc le vase qui tomba sur des blocs de pierres, sans que ce vase fût brisé, ni l’huile répandue; alors le saint le fit ramasser et donner en entier au pauvre. Puis il reprocha au moine sa désobéissance et sa défiance ; il se mit ensuite en prières: aussitôt un grand tonneau qui se trouvait là se remplit d'huile ; elle montait en si grande abondance qu'elle paraissait sourdre du pavé.

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—Une fois il était descendu pour, faire visite à sa soeur, et comme il était resté jusqu'à l’heure du souper, elle le pria de passer la nuit chez elle : comme il n'y voulait pas consentir, elle s'inclina, appuya la tête sur ses mains pour prier le Seigneur et quand elle se, releva, il se fit de si grands éclairs et du tonnerre si violent, la pluie tomba avec tant d'abondance, qu'il. n'eût su où poser les pieds, quoique un instant auparavant le ciel fût parfaitement serein. Or, en répandant un torrent de larmes, elle avait fait changer la sérénité de l’air, et attiré la pluie L'homme de Dieu tout contristé lui dit : « Que le Dieu tout puissant vous le pardonne, ma soeur; qu'est-ce que vous avez fait? » Elle lui répondit : « Je vous ai prié et vous n’avez pas voulu m’écouter; j’ai prié le Seigneur et il  m’a bien entendue. Sortez maintenant, si vous le pouvez. » Et il en advint ainsi pour qu'ils pussent passer la nuit toute entière en s'édifiant mutuellement dans de saints entretiens. Trois jours après qu'il fut revenu au monastère, en levant. les yeux, il vit l’âme de sa soeur, sous la forme d'une colombe qui pénétrait jusqu'aux profondeurs du ciel: et bientôt il fit porter son corps au. monastère où il fut inhumé dans un tombeau qu'il avait fait préparer pour lui.

— Une nuit que le serviteur de Dieu regardait par une fenêtre et priait Dieu, il vit se répandre en l’air une lumière qui dissipa toutes les ténèbres de la nuit. Or, à l’instant tout l’univers s'offrit à ses yeux comme s'il eût été rassemblé sous un rayon de soleil et il vit l’âme de saint Germain, évêque de Capoue, portée au ciel : dans la, suite il put s'assurer évidemment que c'était l’heure à laquelle elle, quitta le corps du prélat.

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L'année même de sa mort, il en prédit le jour à ses frères : et avant le sixième qui précéda son trépas, il fit ouvrir son sépulcre. Bientôt il fut saisi de la fièvre, et comme la faiblesse augmentait à chaque instant, le sixième jour, il se fit porter à l’oratoire, où il se prépara à la mort par la réception du corps et du sang de N. S.; alors, soutenant ses membres défaillants sur les mains des frères, il se tint debout, les yeux élevés vers le ciel et rendit son dernier soupir en priant.

Le jour même que l’homme de Dieu passa de cette vie au ciel, deux frères, dont un était dans sa cellule, et l’autre fort éloigné, eurent la même révélation : ils virent une traînée de lumière, ornée de tapis et resplendissante d'une quantité innombrable de lampes, qui, partant de la cellule de saint Benoît, se dirigeait vers le ciel du côté de l’orient. L'un d'eux demanda à un personnage vénérable qui parut tout brillant sur cette trace, ce que c'était que ce chemin qu'ils voyaient, car ils ne le savaient pas, et il leur fut dit : «Voilà le chemin par lequel Benoît, l’homme chéri de Dieu, monte au ciel. » II fut inhumé dans l’oratoire de saint Jean-Baptiste qu'il avait construit lui-même sur un autel dédié à Apollon et qu'il avait renversé. Il vécut vers l’an du Seigneur 518, au temps de Justin l’ancien.


(52) SAINT PATRICE *

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Patrice, qui vécut vers l’an du Seigneur 280, prêchait la passion, de J.-C. au roi des Scots, et comme, debout devant ce prince, il s'appuyait sur le bourdon qu'il tenait à la main et qu'il avait mis par hasard sur le pied du roi, il l’en perça avec la pointe. Or, le roi croyant que le saint évêque faisait cela volontairement et qu'il ne pouvait autrement recevoir la foi de J.-C. s'il ne souffrait ainsi, il supporta cela patiemment. Enfin le saint, s'en apercevant, en fut dans la stupeur, et par ses prières, il guérit le roi et obtint qu'aucun animal venimeux ne put vivre dans son pays.

Ce ne fut pas la seule chose qu'il obtint; il y a plus : on prétend que les bois et les écorces de cette province servent de contre-poisons. Un homme avait dérobé à son voisin une brebis et l’avait mangée; le saint homme avait exhorté. le voleur, quel qu'il fut, à satisfaire pour le dommage,, et personne ne s'était présenté : au moment où tout le peuple était rassemblé à l’église, il commanda, au nom de J.-C., que la brebis poussât en présence de tous un bêlement dans le ventre de celui qui l’avait mangée. Ce qui arriva : le coupable fit pénitence, et tous, se gardèrent bien de voler à l’avenir.

Patrice avait la coutume de témoigner une profonde vénération devant toutes les croix qu'il voyait; mais ayant passé devant une grande et belle croix sans l’apercevoir; ses compagnons lui demandèrent pourquoi il ne l’avait ni vue ni saluée : il demanda à Dieu, dans ses prières à qui était cette croix et entendit une voix de dessous terre qui disait: « Ne vois-tu pas que je suis un païen qu'on a enterré ici et qui est indigne du signe de la croix? » Alors il fit enlever la croix de ce lieu.

* Les éditions latines que nous possédons; ne nous donnent pas l’interprétation du nom de ce saint; voici celle que nous trouvons dans une traduction française du XVe siècle :
« Patrice est dict ainsi comme saichant. Car par la voulente de nostre Seigneur, il sceut les secretz de paradis et d'enfer. »

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En prêchant dans l’Irlande, saint Patrice y opérait très peu de bien ; alors il pria le Seigneur de montrer un signe qui portât les pécheurs effrayés à faire pénitence. Par l’ordre donc du Seigneur, il traça quelque part un grand cercle avec son bâton; la terre s'ouvrit dans toute la circonférence et il y apparut un puits très grand et très profond. Il fut révélé au bienheureux Patrice que c'était là le lieu du Purgatoire où quiconque voudrait descendre n'aurait plus d'autre pénitence à faire et n'aurait plus souffrir pour ses péchés un autre purgatoire : Que la plupart n'en sortiraient pas, mais que:ceux qui en reviendraient, devraient y être restés depuis un matin jusqu'à l’autre. Or,beaucoup de ceux qui entraient n'en revenaient pas *. Longtemps après la mort de saint Patrice, un homme noble, appelé Nicolas, qui avait commis beaucoup de péchés, en fit pénitence et voulut endurer le Purgatoire de saint Patrice. Après s'être mortifié, comme tous le faisaient, par quinze jours de jeûne, et avoir

* Thomas de Massingham a publié dans le Florilegium insulae sanctorum, seu vitae et acta sanctorum Hiberniae (Paris, 1624, in-4°) un Traité de Henri de Saltery, moine cistercien irlandais (en 1150) sur le Purgatoire de saint Patrice. Thomas de Massingham ne s'est pas contenté de donner le texte entier de cet auteur, il l’a augmenté en intercalant lies récits d'un certain nombre d'auteurs: anciens et modernes qui ont parlé du Purgatoire de saint Patrice. Il cite des livres liturgiques anciens, Mathieu Paris, Denys le Chartreux, Raoul Hygedem, Césaire d'Hirsterbach, Jean Camers, et un primat d'Irlande nommé David Rotho, ainsi que bien d'autres, qui ont écrit des relations plus ou moins étendues, ou bien encore des appréciations sur ce sujet. La Patrologie de Migne contient cet opuscule, tome CLXXX. Bellarmin parle du Purgatoire de saint Patrice dans ses controversés.

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ouvert la porte avec une clef qui se gardait dans une abbaye, il descendit dans le puits en question et trouva, à son côté, une entrée par laquelle il s'avança. Il y rencontra une chapelle, où entrèrent des moines revêtus d'aubes qui y célébraient l’office. Ils dirent à Nicolas d'avoir de la constance, parce que le diable le ferait passer par bien des épreuves. Il demanda quel aide il pourrait avoir contre cela: les moines lui dirent : « Quand vous vous sentirez atteint par les peines, écriez-vous à l’instant et dites : J.-C., fils du Dieu vivant, ayez pitié de moi qui suis un pécheur. » Les moines s'étant retirés, aussitôt apparurent des démons qui lui dirent de retourner sur ses pas et de leur obéir, s'efforçant d'abord de le convaincre par ses promesses pleines de douceur, l’assurant qu'ils auront soin de lui, et qu'ils le ramèneront sain et sauf en sa maison. Mais comme il ne voulut leur obéir en rien, tout aussitôt il entendit des cris terribles poussés par différentes bêtes féroces, et des mugissements comme si tous les éléments fussent ébranlés. Alors plein d'effroi et tremblant d'une peur horrible, il eut hâte de s'écrier: « J.-C., fils du Dieu vivant, ayez pitié, de moi qui suis un pécheur. » Et à l’instant ce tumulte terrible de bêtes féroces s'apaisa., tout à fait. Il passa outre et arriva en un lieu où il trouva; une foule de démons qui lui dirent : «Penses-tu nous échapper ? pas du tout; mais c'est l’heure où tu vas commencer à être affligé et tourmenté. » Et voici apparaître un feu énorme et terrible; alors les démons lui dirent : « Si tu ne te mets à notre disposition, nous te jetterons dans ce feu pour y brûler. » Sur son refus, ils le prirent et le jetèrent dans ce brasier affreux ; et quand il s'y sentit torturé, il s'écria de suite : « J.-C., fils... etc. » et aussitôt le feu s'éteignit.

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De là il vint en un endroit où il vit des hommes être brûlés vifs et flagellés par les démons avec des lames de fer rouge jusqu'au point de découvrir leurs, entrailles, tandis que d'autres, couchés à plat ventre, mordaient la terre de douleur, en criant : « Pardon! Pardon ! » et les diables les battaient plus cruellement encore. Il en vit d'autres dont les membres étaient dévorés par des serpents et auxquels des bourreaux * arrachaient les entrailles avec des crochets enflammés. Comme Nicolas ne voulait pas céder à leurs suggestions, il fut jeté dans le même feu pour endurer de semblables supplices et il fut flagellé avec des lames pareilles et ressentit les mêmes tourments. Mais quand il se fut écrié : «J.-C., fils du Dieu vivant, etc. » il fut incontinent délivré de ces angoisses.

On le conduisit ensuite en un lieu où les hommes étaient frits dans une poêle; où se trouvait une roue énorme garnie de pointes de fer ardentes sur lesquelles les hommes étaient suspendus par différentes parties du corps ; or, cette roue tournait avec une telle rapidité qu'elle jetait des étincelles. Après quoi, il vit une `immense maison où étaient creusées des fosses pleines de métaux en ébullition, dans lesquelles l’un avait un pied et l’autre deux. D'autres y étaient enfoncés jusqu'aux genoux, d'autres jusqu'au ventre, ceux-ci jusqu’à la poitrine, ceux-là jusqu'au col, quelques-uns enfin jusqu'aux yeux.

* Bufo veut dire crapaud, Buffones au moyen âgé signifiait bouffons ; on ne saurait concevoir comment des crapauds pourraient arracher des entrailles avec des instruments aigus.

Mais en parcourant ces endroits, Nicolas invoquait le nom. de Dieu. Il s'avança encore; et vit un puits très large d'où s'échappait une fumée horrible accompagnée d'une puanteur insupportable de là sortaient des hommes rouges comme du fer qui jette des étincelles; mais les démons les ressaisissaient. Et ceux-ci lui, dirent : « Ce lieu que tu vois, c'est l’enfer, qu'habite notre maître Beelzébut. Si tu ne te mets à notre disposition, nous te jetterons dans ce puits or, quand tu y auras été jeté, tu n'auras aucun moyen d'échapper. » Comme il les écoutait avec mépris, ils le saisirent et le jetèrent dans ce trou : mais il fut abîmé d'une si véhémente douleur qu'il oublia presque d'invoquer le nom du Seigneur cependant en revenant à lui : « J.-C, fils, etc.., » s'écria-t-il du fond du coeur (il n'avait plus de voix), aussitôt il en sortit sans aucun mal; et toute la multitude dés démons s'évanouit comme réellement vaincue.

Il s'avança et vit en un autre endroit un pont sur lequel il devait passer. Ce pont était très étroit, poli et glissant comme une glace, au-dessous coulait un fleuve immense de soufre et de feu. Comme il désespérait absolument de pouvoir le traverser, toutefois il se rappela la parole qui l’avait délivré de tant de maux; il s'approcha avec confiance et en posant un pied sur le pont, il se mit à dire : « J.-C., fils, etc...» Mais un cri violent l’effraya au point qu'il put à peine se soutenir; mais il récita sa prière accoutumée et il demeura rassuré ; après quoi il posa l’autre pied en réitérant les mêmes paroles et passa sans accident. Il se trouva donc dans une prairie très agréable à la vue; embaumée par l’odeur suave de différentes fleurs.

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Alors lui apparurent deux fort beaux jeunes gens qui le conduisirent jusqu'à une ville de magnifique apparence et merveilleusement. éclatante d'or et de pierres précieuses. La porte en laissait transpirer une odeur délicieuse. Elle le délassa si bien qu'il ne paraissait avoir ressenti ni douleur ni puanteur d'aucune sorte; et les jeunes gens lui dirent que, cette ville était le paradis. Comme Nicolas voulait y entrer, ils lui dirent encore qu'il devait d'abord retourner chez ses parents ; que toutefois les démons ne lui causeraient point de mal, mais qu'à sa vue ils s'enfuiraient effrayés; que trente jours après, il mourrait en paix, et qu'alors il entrerait en cette cité comme citoyen à toujours. Nicolas monta donc par où il était descendu, se trouva sur la terre et raconta tout ce qui lui était arrivé. Trente jours après, il reposa heureusement dans le Seigneur.


(53) L'ANNONCIATION DE NOTRE-SEIGNEUR

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L'annonciation du Seigneur, est ainsi appelée parce que, à pareil jour, un ange annonça 1'avénement du Fils de Dieu dans la chair.
Il a été convenable que l’incarnation du Fils de Dieu fût précédée par l’annonciation de l’ange, et cela pour trois raisons : 1° pour conserver un certain ordre, savoir : afin que l’ordre de la réparation correspondît à l’ordre de la prévarication. Car de même que le diable tenta la femme pour l’amener au doute, du doute au consentement, du consentement à la chute, de même l’ange annonça à la Vierge pour l’exciter à la foi, par la foi au consentement et par: le consentement à ce qu'elle conçût le Fils de Dieu ; 2° à raison du ministère de l’ange; car l’ange étant le ministre et le serviteur du Très-Haut, et la bienheureuse Vierge ayant été choisie pour être la mère de Dieu, il est de toute convenance que le ministre serve la maîtresse, il était donc juste que l’annonciation fût faite à la Sainte Vierge par le ministère d'un ange; 3° pour réparer la chute de l’ange.

En effet puisque l’incarnation n'avait pas seulement pour objet de réparer la chute de l’homme, mais aussi de réparer la ruine de l’ange, les anges n'en devaient donc pas être exclus. Et comme la femme. n'est pas exclue de la connaissance du mystère de l’Incarnation et de la résurrection, de même aussi le messager angélique ne le doit pas ignorer. Il y a plus, Dieu a annoncé à la femme l’un et l’autre mystère par le moyen d'un ange, savoir : l’Incarnation à la Vierge Marie et la résurrection à Marie-Madeleine.

—  La bienheureuse Vierge étant donc restée depuis la troisième année de son âge jusqu'à la quatorzième dans le temple avec les autres vierges, et ayant fait voeu de conserver la chasteté, à moins que Dieu n'en disposât autrement, Joseph la prit pour épouse après qu'1l en eut reçu une révélation divine, et que son rameau eut reverdi, ainsi qu'il est rapporté plus au long dans l’histoire de la Nativité de la bienheureuse Marie. Il alla à Bethléem, d'où il était originaire, afin de pourvoir à tout ce qui était nécessaire pour les noces; quant à Marie, elle revint à Nazareth dans la maison de ses parents.

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Nazareth veut dire fleur. « Ainsi, dit saint Bernard, la fleur voulut naître d'une fleur, dans une fleur, et dans la saison des fleurs. » Ce fut donc là que l’ange lui apparut et la salua en disant : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Saint Bernard s'exprime ainsi: « L'exemple de Gabriel nous invite à saluer Marie, comme, aussi le tressaillement de saint Jean; ainsi que le profit que nous retirons du consentement de la Bienheureuse Vierge. » Mais ici, il convient de rechercher les motifs pour lesquels le Seigneur a voulu que sa mère se mariât. Saint Bernard en donne trois raisons : « Il fut nécessaire, dit ce Père, que Marie fût mariée avec Joseph, puisque 1 ° par là le mystère reste caché aux démons; 2° l’époux est le garant de la virginité ; 3° et la pudeur, comme la réputation de la Vierge, est sauve ; 4° c'était afin que l’opprobre fût effacé dans toutes les conditions de la femme, savoir, dans les mariées, les vierges et les veuves : trois conditions dans lesquelles se trouva la Vierge elle-même ; 5° afin qu'elle pût recevoir des services de son époux; 6° pour être une preuve de la bonté du mariage; 7° pour que la suite de sa généalogie fût, établie par son mari. Or, l’ange lui dit Salut, pleine de grâce. Saint Bernard dit en expliquant ces mots : « La grâce de la divinité est dans son sein, la grâce de la charité dans son coeur, la grâce de l’affabilité dans sa bouche : dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » Il ajoute :

« Elle est vraiment pleine; car de sa plénitude tous les captifs reçoivent rédemption; malades, guérison ; tristes, consolation; pécheurs,, pardon; justes, grâce; anges, allégresse ; enfin toute la Trinité, gloire, le Fils de l’homme, substance de la chair humaine. »

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Le Seigneur est avec vous : « Avec vous est le Seigneur qui est Père, qui a engendré celui que vous avez conçu : le Seigneur Saint-Esprit, duquel vous avez conçu; et le Seigneur Fils que vous revêtez de votre chair. » Vous êtes bénie entre les femmes, c'est-à-dire, par dessus toutes les femmes, car en effet vous serez mère et vierge et mère de Dieu. Les femmes étaient sujettes à une triple malédiction d'opprobre, malédiction de péché et malédiction de supplice : la malédiction d'opprobre atteignait celles qui ne concevaient point, ce qui fait dire à Rachel : « Le Seigneur  m’a tirée de l’opprobre où j'ai été ». (Genèse, XXX,  20) ; la malédiction du péché était pour celles qui concevaient : ce qui fait dire à David : « Voilà que j'ai été conçu dans les iniquités » (Ps. L). La malédiction du supplice affligeait celles qui enfantaient : il est dit dans la, Genèse (III) :  « Vous enfanterez dans la, douleur.» Seule la Vierge Marie est bénie entre toutes les femmes; elle dont la virginité est unie, à la fécondité, dont la fécondité est unie à la sainteté dans la conception, et à la sainteté de laquelle vient se joindre la joie dans l’enfantement. Elle est pleine de grâces, au témoignage de saint Bernard; pour quatre raisons, qui brillèrent en son esprit : ce furent la dévotion de l’humilité, le respect de la pudeur, la grandeur de sa foi, et le martyre de son coeur.

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On ajoute : Le Seigneur est avec vous, pour quatre qualités qui resplendirent du ciel  en sa personne (c'est encore la pensée de saint Bernard). Ce sont la sanctification de Marie, la salutation angélique, la venue du Saint-Esprit et l’Incarnation du Fils de Dieu. Il est dit encore : Vous êtes bénie entre les femmes, pour quatre autres privilèges qui, d'après saint Bernard, resplendirent en sa chair : elle fut la reine des vierges, féconde sans corruption, enceinte sans être incommodée, elle mit au monde sans douleur. — Aussitôt qu'elle eut entendu, elle fut troublée du discours de l’ange et elle examinait en elle-même ce que c'était que cette salutation. Elle fut donc troublée du discours de l’ange, mais non de son apparition, parce que la bienheureuse Vierge avait souvent vu des anges, mais elle ne les avait jamais entendu parler de cette manière. « L'ange, dit saint Pierre de Ravenne, était venu doux en apparence, mais terrible en ses paroles. Aussi celui dont la vue l’avait doucement réjouie, la troubla quand    il parla. Le trouble qu'elle ressentit, dit saint Bernard, est l’effet de sa pudeur virginale; si elle ne fut pas troublée outre mesure, elle le dut à sa force d’âme ; en se taisant et en réfléchissant, elle donnait une preuve de prudence et de discrétion.» Et alors l’ange la rassura et lui dit : « Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce auprès du, Seigneur. » « Vous avez trouvé; ajoute saint Bernard, la grâce de Dieu, la paix des hommes, la destruction de la mort, la réparation de la vie. » — Voici que vous concevrez et que vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, c'est-à-dire, de Sauveur, car il sauvera son peuple de ses péchés. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. »

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Ce qui signifie, dit saint Bernard : celui qui est le grand Dieu, sera grand, c'est-à-dire, grand homme, grand docteur, grand prophète. » Alors Marie dit à l’ange : comment cela se pourra-t-il faire, puisque je ne connais point d'homme ? c'est-à-dire, puisque je ne me propose pas d'en connaître: Elle fut donc vierge, d'esprit, de coeur et de propos délibéré. Mais voilà que Marie interroge ; or, qui interroge doute. Pourquoi alors n'y eut-il que Zacharie qui ait été frappé de mutisme? Sur cela saint Pierre de Ravenne apporte quatre raisons : « Celui dit-il, qui connaît les cours, ne considère pas seulement les paroles, mais le fond même des coeurs, il a porté son jugement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais sur ce qu'ils ont pensé. La cause par laquelle ils interrogent n'est pas pareille, leur espérance n'est pas la même. Marie a cru contre la nature, Zacharie a douté pour la nature. Celle-ci s'informe de l’enchaînement des faits ; l’autre prétend impossibles les choses que Dieu veut être faites. Celui-là, malgré les exemples qui l’y poussent, ne parvient pas à la foi ; celle-ci y accourt sans avoir de modèle. Elle admire qu'une vierge enfante et il contesta la conception. Marie ne doute donc pas du fait, mais elle en demande le mode et les circonstances : car comme il y a trois modes de conception, le naturel, le spirituel et le merveilleux, elle s'informe de quel mode elle doit concevoir. Et l’ange lui répondit en disant : Le Saint-Esprit viendra en vous, et lui-même opérera la conception en, vous.

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C'est pour cela que l’on dit : qui a été conçu, du Saint-Esprit, pour quatre raisons.
1° Pour montrer que c'est par l’ineffable charité divine que le Verbe de Dieu s'est fait chair : « Dieu a tellement aimé le monde, dit saint Jean (III), qu'il lui a donné son Fils unique. » C'est la raison qu'en donne le Maître des sentences *. 2° Pour faire voir qu'il y a ici une grâce accordée sans qu'elle eût été méritée, en sorte que quand on dit : qui a été conçu du Saint-Esprit, il reste démontré que c'est l’effet seulement d'une grâce qui n'a été précédée par. aucun mérite de la part des hommes. Cette raison est de saint Augustin. 3° Pour montrer que c'est par la vertu et par l’opération du Saint-Esprit qu'il a été conçu. Cette raison vient de saint Ambroise. 4° Pour le motif de la conception, et cette raison est celle de Hugues de Saint Victor. Il dit que le motif de la conception naturelle, c'est l’amour du mari pour sa femme, et de la femme pour son mari : « Il en fut de même dans la Vierge, dit-il; parce que l’amour du- Saint-Esprit brûlait singulièrement dans son coeur, alors l’amour du Saint-Esprit opérait des merveilles dans sa chair. » Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Ce qui s'explique ainsi d'après la glose: L'ombre se forme ordinairement de la lumière et d'un corps interposé : La vierge, aussi bien qu'un pur homme, ne pouvait prendre la plénitude de la divinité, mais la  vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, alors que dans Marie, la lumière incorporelle de la divinité a pris le corps de l’humanité, afin qu'ainsi il fût possible à Dieu de souffrir.

* Pierre Lombard, évêque de Paris.

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Saint Bernard paraît toucher cette explication quand il dit : « Parce que Dieu est esprit, et que nous sommes l’ombre de son corps, il s'est abaissé jusqu'à nous afin que par le moyen de la chair vivifiée, nous voyions le Verbe dans la chair, le soleil dans le nuage, la lumière dans la lampe, et la chandelle dans la lanterne. » Voici comment saint Bernard explique encore ce passage : « C'est comme si l’ange disait : ce mode par lequel vous concevrez du Saint-Esprit, J.-C., la vertu de Dieu le cachera de son ombre dans son asile le plus secret, afin qu'il soit connu de lui et de vous seulement. C'est comme s'il disait encore : Pourquoi me demandez-vous ce que vous allez éprouver en vous-même? Vous le saurez, vous le saurez, oui, heureusement vous le saurez, mais, ce sera par l'entremise du docteur qui sera en même temps auteur. J'ai été envoyé pour annoncer la conception virginale, mais non pour la créer. Ou bien encore : il vous couvrira de son ombre, c'est-à-dire, il éteindra en vous l’ardeur du vice. » Et voici que votre cousine Elisabeth a conçu un fils dans sa vieillesse. L'ange dit : "voici" pour montrer qu'il avait opéré dans le voisinage une grande nouveauté. Il y a quatre causes pour lesquelles la conception d'Elisabeth est annoncée à Marie; elles sont de saint Bernard.

La première c'est le comble de l’allégresse, la seconde la perfection de la science, la troisième la perfection de la doctrine, la quatrième la condescendance de la miséricorde. Voici en effet les paroles de saint Jérôme : « La conception d'une cousine stérile est annoncée à Marie, afin de causer joie sur joie, alors qu'à un miracle vient se joindre un autre miracle : ou bien c'est qu'il était tout à fait convenable que la vierge apprit de la bouche de l’ange, avant de le connaître par un homme, une parole qui devait être divulguée, en tous lieux, afin que la mère de Dieu ne parût pas écartée des conseils de son fils, si elle restait dans l’ignorance des événements qui arrivaient si près d'elle sur la terre.

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Ou plutôt encore, Marie, instruite et de l’avènement du Sauveur, et de celui du Précurseur, quant au temps et à l’enchaînement des faits, pouvait dans la suite découvrir la vérité aux écrivains et aux prédicateurs de l’Evangile; ou bien, afin que sachant que sa cousine déjà vieille et cependant enceinte, Marie qui était toute jeune encore, pensât à lui être utile, et donner au petit prophète Jean le moyen de faire sa cour au Seigneur et d'opérer, eu présence d'un miracle, un miracle plus admirable encore. » Plus loin saint Bernard dit : « O vierge, hâtez-vous de répondre. O ma dame, répondez une parole et recevez, le verbe, prononcez-vous et recevez la divinité, dites un mot qui ne dure qu'un instant et renfermez en vous l’éternel. Levez-vous, courez, ouvrez. Levez-vous pour prouver votre foi, courez pour montrer votre dévouement; ouvrez pour donner une marque de votre consentement» Alors Marie, étendant les mains et tournant les, yeux vers le ciel : Voici, dit-elle, la servante dit Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard s'exprime ainsi: « On rapporte que les uns ont reçu le Verbe de Dieu dans l’oreille, les autres dans la bouche, et dans la main. Pour Marie elle 1'a reçu dans son oreille, par la salutation angélique; dans son coeur, par la foi; dans sa bouche, par la confession; dans sa main, par le toucher; dans son sein, par l’incarnation; dans son giron, quand elle le tenait; dans ses bras, lorsqu'elle l’offrit: »

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Qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard explique ainsi ce passage : «Je ne veux point qu'il me soit fait en forme de parole vide et déclamatoire, ni en figure, ni en imagination; mais je veux qu'il descende en moi par l’inspiration calme du Saint-Esprit, que sa personnalité prenne chair, et qu'il habite corporellement en mon sein. » Et aussitôt le Fils de Dieu fut conçu en ses entrailles; il réunissait les perfections d'un Dieu et les perfections d'un homme, et dès le premier jour de sa conception,, il avait, la même sagesse, la même puissance que quand il atteignit l’âge de trente ans. Alors Marie partit, s'en alla vers les montagnes de la Judée chez Elisabeth et après qu'elle l’eut saluée, Jean, tressaillit, dans le sein de sa mère. La glose dit : Ne le pouvant faire avec la langue, il tressaille de coeur pour saluer J.-C. et commencer l’office de Précurseur. La sainte Vierge aida sa cousine, pendant trois mois, jusqu'à la naissance de saint Jean qu'elle leva de terre de ses mains; comme on lit dans le Livre des Justes. Ce fut à pareil jour, dit-on, que dans le cours des temps, Dieu opéra quantité de merveilles racontées par un poète dans les beaux vers suivants :

Salve, festa dies, quae vulnera nostra coerces,
Angelus est missus, et passus in cruce Christus.
Est Adam factus et eodem tempore lapsus,
Ob meritum decimae cadit Abel fratris ab ense.
Offert Melchisedech, Ysaac supponitur aris.
Est decollatus Christi baptista beatus.
Est Petrus ereptus, Jacobus sub Herode peremptus.
Corpora Sanctorum cum Christo multa resurgunt.
Latro dolce tamen per Christum suscipit, amen *.

*Voici comme maistre Jean-Batallier traduit cette poésie :

le frère Iehan qui translatay ce liure les vueil aussi mettre en frâcays en la manière qui s’en suit.

Ie, te salue iour tressait
Qui nez plaies nous restrains.
Lange y fut envoie ce iour
Dieu y souffrit mort ce iour
A ce leur fut fait Adam home :
Et a ce tour mordit en la pomme.
Abel fut occis pour sa disme 
De son propre frère mesmes.
Melchisedech offrit a lautel :
Abraham fist de Ysaac autel,
Et Herode par son meschief
Coppa a Baptiste le chief.
Pierre sa prison renua :
Et Herode iaqs tua.
Avecques Dieu sa compaignie
Suscita corps saintz grant partie,
Le larron qui eut en memoire
Ihesucrist, fust mis en sa gloyre.
           
P382  

Un soldat * riche et noble renonçant au siècle, entra dans l’ordre des Cisterciens et parce qu'il ne savait pas les lettres; les moines n'osant pas renvoyer: chez les laïcs un si noble personnage, lui donnèrent un maître, pour savoir si par aventure il pourrait apprendre quelque chose et, par ce moyen, le faire rester chez eux. Mais après avoir reçu pendant bien du temps les leçons de son maître, il ne put apprendre rien absolument que ces deux mots : Ave Maria. Il les retint avec un tel amour que partout où il allait, en tout ce qu'il faisait, à chaque instant il les ruminait. Enfin il vient à mourir et il est enseveli avec les autres frères dans le cimetière : Or, voici que sur sa tombe pousse un lys magnifique et sur chaque feuille sont écrits en lettres d'or ces mots : Ave Maria. Tout le monde accourut pour contempler un si grand miracle. On retira la terre de la fosse et on trouva que la racine du lys partait de la bouche du défunt. On comprit alors avec quelle dévotion il avait répété ces deux mots, puisque Dieu le rendait illustre par l’honneur d'un si grand prodige **.

* La chronique de Grancey intitulée Roue de fortune, commentée par le P. Viguier; raconte ce fait comme étant arrivé au fils du comte de Blammont lequel épousa la sixième fille de Grancey (Cf. Paulin Paris, Cabinet historique, t. l, p. 135).
** Thomas de Catempée, Denys le Chartreux, etc., rapportent aussi cette merveille.

P383

— Un chevalier, dont le castel était sur un grand chemin, dépouillait sans merci tous les passants. Cependant tous les jours il saluait la Vierge mère,de Dieu et quelque empêchement qui lui survînt, il ne voulut jamais passer un jour sans réciter la salutation angélique. Or, il arriva qu'un saint religieux vint à passer par là et le chevalier dont il est question ordonna de le dépouiller aussitôt. Mais le saint homme pria les brigands de le conduire à leur maître parce qu'il avait quelques secrets à lui communiquer. Amené devant l’homme d'armés, il le pria de faire assembler toutes les personnes de sa famille et de son castel pour leur prêcher la parole de Dieu. Quand on fut réuni, le religieux dit :
« Certainement vous n'êtes pas tous ici; il manque encore quelqu'un. » Comme on l’assurait qu'ils y étaient tous : « Cherchez bien, reprit le voyageur, et vous trouverez qu'il manque quelqu'un. » Alors l’un d'eux s'écria que le camérier seul, n'était pas venu. Le religieux dit : « Oui, c'est lui seul qui manque.» On envoie aussitôt le chercher et il se plaça au milieu des autres. Mais en voyant l’homme de Dieu, il roulait des yeux affreux, agitait la tête comme un fou et n'osait s'approcher de plus près. Alors le saint homme lui dit : « Je t'adjure, par le nom de J.-C., de nous dire qui tu es et de découvrir en présence de l’assemblée le motif qui t'a conduit ici. »

P384  

Et celui-ci répondit « Hélas ! c'est parce que je suis adjuré et bien malgré moi que je suis: forcé de me découvrir : en effet je ne suis pas un homme, mais un démon qui a pris la figure humaine et je suis resté sous cette forme depuis quatorze ans avec ce seigneur : notre prince  m’a envoyé ici pour observer avec le plus grand soin le jour qu'il ne réciterait pas la salutation à sa Marie, afin que je  m’emparasse de lui et l’étranglasses aussitôt en mourant ainsi dans ses mauvaises actions, il aurait été des nôtres : car chaque jour qu'il disait cette salutation, je ne pouvais avoir puissance sur lui : de jour en jour je le surveille avec la plus grande attention et il n'en a passé aucun sans la saluer. » En entendant, cela le chevalier tomba dans une véhémente stupeur, se jeta aux pieds de l’homme de Dieu, demanda pardon et, dans la suite, il changea de manière de. vivre. Alors le saint homme dit au démon : « Je te commande, démon, au nom de N. S. J.-C., de t'en aller d'ici, et de ne- plus revenir. désormais en un lieu où tu auras l’audace. de nuire à quiconque invoquera la glorieuse mère de Dieu.» Immédiatement après cet ordre, le démon s'évanouit et le chevalier laissa aller l’homme de Dieu libre, après lui avoir témoigné respect et remercîments *.

* Un livre intitulé : Fleurs des exemples,  rapporte cette légende comme extraite d’un Anselme qui a écrit un livre de Miracles,  c. XV.


(54) SAINT TIMOTHÉE

P385

A Rome on célèbre la fête de saint Timothée, qui vint d'Antioche en cette ville du temps du pape Melchiade. Il fut reçu par le prêtre Sylvestre, qui devint dans la suite évêque de la ville, et qui le chargea de remplir les fonctions que les souverains pontifes eux-mêmes redoutaient alors d'exercer. Or, Sylvestre ne se faisait pas seulement un bonheur de lui donner l’hospitalité mais, ayant dépouillé toute crainte, il comblait d'éloges la conduite et la doctrine de Timothée qui, pendant un an et trois mois, enseigna la vérité de J.-C. Après avoir converti beaucoup de peuples, étant devenu digne du martyre, il fut pris par les païens et livré à Tarquin, préfet de la ville. Après avoir enduré des tourments cruels et une longue détention, il refusa de sacrifier aux idoles, et, comme un bon athlète de Dieu, il fut tourmenté et enfin décapité avec des assassins. Saint Sylvestre le porta la nuit dans sa maison et y fit venir le saint évêque, Melchiade, qui, avec tous les prêtres et les diacres; passa la nuit entière en actions de grâces et le mit au rang des martyrs. Alors une femme très chrétienne, nommée Théone, pria le saint pape de lui permettre d'élever, à ses frais, dans son jardin, un tombeau à côté de celui de l’apôtre saint Paul; pour y déposer le corps de saint Timothée.

* Il est question au 22 août, dans le Martyrologe romain, d'un Timothée qui souffrit à Rome sur la voie d'Oste ; en outre un ms. du Martyrologe d'Usuard cite, au 2 avril, un saint Timothée, martyr à Antioche.

P386

Tous les chrétiens jugèrent convenable que Timothée eût sa sépulture auprès de celle de saint Paul qui avait eu autrefois pour disciple un saint de ce nom.


(55) LA PASSION DU SEIGNEUR

Dans sa Passion, J -C. souffrit d'amères douleurs : Il fut indignement méprisé; mais nous procura des avantages d'une valeur immense.

La douleur fut produite par cinq causes :

Premièrement, parce que cette passion fut ignominieuse, quant au lieu qui était lui-même ignominieux, puisque c'était au calvaire où les malfaiteurs étaient punis ; quant au supplice qui fut infâme puisque J.-C. fut condamné à la mort la plus honteuse. En effet la croix était le supplice des larrons, et bien que la croix eût été autrefois une grande opprobre, elle est maintenant une immense gloire. Ce qui fait dire à saint Augustin : « La croix qui était le supplice des larrons a passé maintenant sur le front des empereurs. Si Dieu a conféré un pareil honneur à ce qui fut son supplice, que  m’accordera-t-i1 pas à son serviteur ? » Cette passion fut ignominieuse à cause de ceux auxquels J.-C. fut associé, puisqu'il a été placé entre des scélérats, c'est-à-dire, avec des larrons, qui d'abord ont été des scélérats; l’un d'eux, Dismas, s'est converti plus tard; il était à la droite du Sauveur, d'après l’évangile de Nicodème; l’autre à gauche fut damné, c'était Gesmas. A l’un il donna le royaume, à l’autre le supplice.

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Saint Ambroise dit : « Alors qu'il était suspendu à la croix, l’auteur de la miséricorde en partageait les fonctions en différentes classes : il confiait la persécution aux apôtres, la paix à ses disciples, son corps aux Juifs, ses vêtements à ceux qui le crucifiaient, son âme à son père, un paranymphe à une Vierge, le paradis au larron, l’enfer aux pécheurs et la croix aux chrétiens pénitents. Voilà le testament de J.-C. attaché à la croix. »

La 2e cause de douleur, c'est que sa passion fut injuste, parce qu'il n'a pas commis le péché, que le mensonge n'a pas souillé sa bouche, et que la peine qui n'est pas méritée est infiniment regrettable. En effet on l’accusait principalement de trois crimes, savoir : d'empêcher de payer le tribut, de se dire roi, et de se proclamer Fils de Dieu. Contre ces trois accusations, au jour du vendredi saint, nous adressons en la personne du Sauveur trois excuses : Popule meus, quid feci tibi, etc: * «Mon peuple, que t'ai-je fait? » J.-C. y expose trois bienfaits qu'il a accordés aux Juifs: la délivrance de l’Egypte,  leur conduite à travers le désert, la plantation de la vigne dans un lieu très fertile; comme si J.-C. disait, « Tu  m’accuses au sujet du paiement du tribut : tu devrais bien plutôt me remercier, puisque je t'ai délivré du tribut; tu  m’accuses de  m’être dit roi : tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir traité en roi dans le désert; tu  m’accuses de  m’être proclamé le Fils de Dieu: tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir choisi comme ma vigne, et que je t'ai planté dans un lieu très fertile. »

* A l’adoration de la croix.

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3° La douleur vint de ce qu'il souffrit de la part de ses amis. En effet la, douleur serait plus tolérable si elle venait de ceux qui, pour un motif quelconque, devaient être ses ennemis, ou bien de ceux auxquels il aurait porté quelque préjudice, et pourtant, il souffre de ses amis, c'est-à-dire de ceux qui devraient être ses amis. Il souffre de ses proches, savoir: de ceux de la race desquels, il est né. C'est d'eux qu'il est dit dans le Psaume (XXXVII) : « Mes amis et mes proches se sont élevés et déclarés contre moi. » Et dans Job (XIX) : « Mes amis  m’ont fui comme ceux qui  m’étaient les plus étrangers. » Il souffre de ceux auxquels il avait fait du bien (Saint Jean, X) : « J'ai fait devant vous plusieurs bonnes oeuvres. »
Voici les paroles de saint Bernard : « O bon Jésus, quelle douceur fut la vôtre, dans vos rapports avec les hommes ! Que ne leur avez-vous pas donné et avec une bien grande abondance ! Quelles duretés, quelles méchancetés vous avez souffertes pour eux, des paroles rudes, des coups plus rudes encore, les tourments les plus rudes. »

4° A raison de la délicatesse de son corps. C'est de J.-C. que David parle en figure quand il dit : « Il était faible et délicat comme un petit vermisseau de bois » (Rois, II, XXIII) : « O Juifs, dit saint Bernard, vous êtes des pierres, vous frappez une pierre plus tendre; le son qu'elle rend c'est celui de la piété, elle fait jaillir l’huile de la charité. » Saint Jérôme dit aussi : « Jésus a été livré aux Juifs pour être frappé, et ce très sacré corps et cette poitrine qui contenait Dieu, ils l’ont sillonné de coups de fouets. »

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5° Sa douleur fut universelle : il souffrit  dans chacun de ses membres et de ses sens. 1° Il souffrit dans ses yeux, parce qu'il a pleuré, saint Paul le dit en son Epître aux Hébreux (v): Saint Bernard s'exprime de la sorte : « Il a monté haut pour être entendu de plus loin; il criait avec force, pour que personne ne pût s'excuser; a ses cris il joignit les larmes afin d'exciter la compassion des hommes. » Il versa (les larmes deux autres fois, encore; ce fut à la résurrection de Lazare et sur Jérusalem. Les premières furent des larmes d'amour, ce qui a fait dire à ceux qui le virent pleurer : « Voyez comme il l’aimait! » Les secondes furent des larmes de compassion, mais les troisièmes furent des larmes de douleur. 2° Il souffrit dans l’ouïe quand on l’accablait d'opprobres. et de blasphèmes : or, on compte quatre circonstances; où J.-C. entendit des opprobres et des blasphèmes.

Sa noblesse était infinie : quant à sa nature divine, il fut le fils du roi éternel; et quant à la nature humaine, il était de race royale ; comme homme encore, il fut le roi des rois et le seigneur des seigneurs. II annonça une visite ineffable, car c'est lui qui est la voie, la vérité et la vie; aussi dit-il en parlant de soi-même : « Votre parole c'est la vérité, car le Fils c'est la parole ou le verbe du Père. » Il posséda une puissance incomparable car « toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui. »

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Enfin il fut d'une extraordinaire bonté, car « personne n'est bon si ce n'est Dieu seul. » J.-C: entendit des opprobres et des blasphèmes en raison de ces quatre qualités : 1° A raison de sa noblesse. Saint Math. (XII) : « Est-ce que ce n'est pas le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle  pas Marie? etc. » 2° A raison de sa puissance. Saint Math. (XII) : « Il ne chasse les démons que par Béelzébut, prince des démons. » En saint Mathieu encore (XXVII) : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! » Voici qu'ils le disent impuissant, quand, il a été, d'un seul mot, assez puissant pour renverser ses persécuteurs. En effet quand il leur eut demandé : « Qui cherchez-vous ? » qu'ils eurent répondu : « Jésus de Nazareth » ; et qu'il eut dit : « C'est moi », à l’instant ils tombèrent par terre.
« Un mot, dit saint Augustin, adressé à une foule haineuse, féroce, redoutable par ses armes, l’a frappée sans aucun dard, l’a renversée par terre en vertu de la divinité qui se cachait. Que fera-t-il quand il jugera, s'il a fait cela avant d'être jugé? Que pourra-t-il, quand il régnera, celui qui a exercé un pareil pouvoir quand il était près de mourir? » 3° A raison de la vérité. Saint Jean, (VIII) : « Tu te rends témoignage à toi-même; ton témoignage n'est pas véritable. » Les voici qui l’appellent menteur et cependant il. est la voie, la vérité et la vie. Cette vérité Pilate ne mérita ni de la connaître, ni de l’entendre, parce qu'il ne le jugea pas selon la vérité. Il commença son jugement par la vérité, mais il ne resta pas dans la vérité, et c'est pour cela. qu'il mérita de commencer par une question au sujet de la vérité, mais il ne fut pas digne de recevoir une solution. II y a, d'après saint Augustin, une autre raison pour laquelle il n'entendit pas la réponse; car, après avoir adressé cette question, à l’instant même, il se ressouvint de la coutume qu'avaient les Juifs de délivrer un prisonnier au temps de Pâques ; et en raison de cela il sortit aussitôt sans attendre une réponse.

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La troisième raison, d'après saint Chrysostome, est que, sachant cette question difficile, elle exigeait beaucoup de temps, une longue discussion. Or, comme il avait hâte de délivrer J.-C., il sortit aussitôt. On lit pourtant dans l’Evangile de Nicodème que quand Pilate eut demandé à Jésus : « La vérité, qu'est-ce ? » Jésus lui répondit : « La vérité vient du ciel. » Et Pilote dit : « Sur la terre il n'y a donc pas de vérité? » Jésus lui dit : « Comment la vérité peut-elle exister sur la terre, quand elle est jugée par ceux qui ont le pouvoir ici-bas ? » 4° A raison de sa bonté : car ils disaient qu'il était pécheur au fond du coeur. Saint Jean, (IX) : « Nous savons que cet homme est pécheur; qu'il était un séducteur dans ses paroles. » Saint Luc, (XIII) : « Il a soulevé le peuple en enseignant par toute la Judée, en commençant par la Galilée jusqu'ici. » — Qu'il était prévaricateur de la loi dans ses Oeuvres. Saint Jean, (IX) : « Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. » 3° Il souffrit de son odorat : parce qu'il put sentir une grande puanteur dans ce lieu du calvaire où se trouvaient les corps fétides des morts. L'Histoire scholastique dit * que le crâne (calvaria), c'est a proprement parler l’os nu de la tête de l’homme, et parce que les condamnés étaient décapités et que beaucoup de crânes gisaient là pêle-mêle, on disait le lieu du crâne ou le calvaire. 4° Il souffrit dans le sens du goût. Aussi quand il criait : « J'ai soif, » on lui donna du vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel, afin qu'avec le vinaigre, il mourût

* Evang., ch. CLXX.

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plus vite et que ses gardes fussent plus tôt relevés de leur faction : on dit en effet que les crucifiés meurent plus vite quand ils boivent du vinaigre. Ils y mêlèrent de la myrrhe pour qu'il souffrît dans l’odorat et du fiel pour qu'il souffrît dans le goût. Saint Augustin dit : « La pureté est abreuvée de vinaigre au lieu de vin; la douceur est enivrée de fiel ; l’innocence est punie pour le coupable; la vie meurt pour le mort. » 5° Il souffrit dans le toucher, car dans toutes les parties de son corps, « depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui (Isaïe, I). » Sur ce que J.-C. ressentit de la douleur dans tous les sens : « Cette tête, dit saint Bernard, l’objet de la vénération des esprits angéliques, est percée d'une forêt d'épines ; cette face, la plus belle parmi celles des enfants des hommes, est salie par les crachats des Juifs ces yeux plus brillants que le soleil sont éteints par la mort; ces oreilles accoutumées aux concerts des anges; entendent les insultes des pécheurs ; cette bouche qui instruit; les anges est abreuvée de fiel et de vinaigre ; ces pieds dont on adore l’escabeau parce qu'il est saint, sont attachés à la croix avec des clous ; ces mains qui ont construit les cieux sont étendues sur la croix et percées de clous : le corps est fouetté, le coeur est percé d'une lance, que faut-il de plus ? Il ne resta en lui que la langue pour prier en faveur des pécheurs et pour confier sa mère à son disciple. »

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Secondement, dans sa Passion J.-C. fut bafoué et honni : car quatre fois on se moqua de lui: 1° dans la maison d'Anne, où il reçut des crachats et des soufflets, et où on lui couvrit les yeux d'un voile. Saint Bernard dit à ce sujet : « Votre visage, bon Jésus tout aimable, que les anges aiment à regarder, ils. l’ont sali de crachats, ils l’ont frappé avec leurs mains, ils l’ont couvert d'un voile par dérision,ils ne lui ont pas épargné les blessures amères. » 2° Dans la maison de Hérode, qui, le prenant pour un fou et un esprit égaré, parce qu'il n'avait pu en obtenir une réponse, le revêtit d'un habit de dérision. Ce qui fait dire à saint Bernard : « Tu es homme .et tu te couronnes de fleurs ; moi je suis Dieu et j'ai une couronne d'épines; tu as des gants aux mains, et moi j'ai des clous qui percent les miennes; tu danses revêtu d'habits blancs, et moi, pour toi, à la cour d'Hérode, j'ai été couvert d'une robe blanche ; tu danses, et moi, j'ai souffert dans mes pieds : toi, dans tes danses, tu étends les bras, en croix au milieu des transports d'allégresse, et moi, je les ai eus étendus en signe d'opprobre; moi, j'ai été dans la douleur sur .la croix, et. toi, tu tressailles d'aise en croix ; tu as le côté découvert ainsi que la poitrine par vaine gloire et moi, j'ai eu mon côté percé pour toi. Cependant reviens à moi et je le recevrai. »

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Mais pourquoi le Seigneur, au temps de sa Passion, se taisait-il en présence d'Hérode, de Pilate et des Juifs? Il y en a trois raisons. La première, c'est qu'ils n'étaient pas dignes d'entendre sa réponse; la deuxième, parce que Eve avait péché en parlant trop, alors J.-C. a voulu satisfaire en se taisant; la troisième, c'est. parce que n'importe la réponse sortie de sa bouche, ils calomniaient et altéraient tout. Il fut honni et bafoué dans la maison de Pilate, où les soldats le revêtirent d'un manteau d'écarlate, lui donnèrent un roseau dans les mains, placèrent une couronne d'épines sur sa tête et disaient en fléchissant le genou : « Salut, roi des Juifs. » Or, cette couronne d'épines, on dit qu'elle fut tressée de jonc marin dont la pointe est aussi dure que pénétrante; d'où l’on peut penser que ces épines firent jaillir le sang de sa tête. A ce sujet saint Bernard s'exprime ainsi : « Cette divine tête fut percée jusqu'au cerveau par une forêt d'épines. » Il y a trois opinions différentes sur le lieu où l’âme a son siège principal. Les uns disent dans le coeur, à raison de ces paroles: « C'est du coeur que sortent les mauvaises pensées, etc. » Les autres, dans le sang, à cause de ce qui est dit dans le Lévitique (XVII) : « La vie de la chair est dans le sang ; » les troisièmes, dans la tête, d'après ce texte : « Il inclina la tête et rendit l’esprit. » Par le fait, les Juifs paraissent avoir connu ces trois opinions ; car pour arracher son âme de son corps, ils la cherchèrent dans sa tête, lorsqu'ils enfoncèrent les épines jusqu'à la cervelle; ils l’ont cherchée dans le sang, en lui ouvrant les veines des mains et des pieds ; ils l’ont cherchée dans le cœur, quand ils percèrent son côté. Contre ces trois sortes de moqueries, au jour du vendredi Saint, nous faisons trois adorations avant de découvrir la croix, en disant: Dieu saint,  Dieu fort, Dieu immortel, pitié pour nous : agios, etc., comme pour honorer par trois fois celui qui trois fois a été bafoué pour nous: 4° Sur la croix (saint Math., XXVII) : «Les princes des prêtres, se moquant de lui avec les scribes et les anciens, disaient : « S'il est le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. »

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Saint Bernard commente ainsi ce passage : « Pendant ce temps-là; il donne une plus grande preuve de patience, il recommande l’humilité, il fait acte d'obéissance, il accomplit toute charité. Ces perles de vertus ornent les extrémités de la croix : en haut se trouve la charité, à droite l’obéissance, à gauche la patience, et au bas la racine de toutes les vertus qui est l’humilité. Toutes ces souffrances de J.-C. Ont été recueillies brièvement par saint Bernard quand il dit : « J'aurai souvenance, toute ma vie, des labeurs qu'il a supportés, dans ses prédications; de ses fatigues, dans ses courses; de ses veilles, dans la prière; de ses tentations dans son jeûne; de ses larmes de compassion, des pièges qui lui étaient tendus dans ses discours, enfin des outrages, des crachats, des soufflets, des moqueries, des clous, des reproches. »

Troisièmement la Passion de J.-C. fut pour nous la source d'avantages infinis. Son utilité est triple; on y trouve, la rémission des péchés, la collation de la gâte, et l’exhibition de la gloire; et toutes les trois sont indiquées sur le titre de la croix, parce, qu'il y a Sauveur pour la première, de Nazareth * pour la deuxième, et roi, des Juifs pour la troisième, parce que là nous serons. tous rois. Saint Augustin dit en parlant de l’utilité de la Passion : « J.-C. a effacé la coulpe présente, passée et future; il a détruit les péchés passés en les remettant, les péchés présents en y soustrayant les hommes, les péchés futurs en donnant une grâce au moyen de laquelle on' peut les éviter. »
*  Nazareth signifie en hébreu ornement ou couronne.

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Le même Père dit encore à ce sujet : « Admirons, félicitons, aimons, louons, adorons, puisque par là mort de notre Rédempteur nous avons été appelés des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la, corruption à l’incorruption, de l’exil à la patrie, du deuil à la joie. » Quatre raisons démontrent combien fut utile le mode de notre rédemption, savoir : parce qu'il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi; il fut très convenable pour guérir la maladie, très efficace pour attirer le genre humain, très habilement pris pour défaire l’ennemi des hommes. 1° Il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi et réconcilié, parce que, dit saint Anselme en son ouvrage  Cur Deus homo (liv. II, c. II) : « L'homme ne peut, pour l’honneur de Dieu, souffrir volontairement et sans y être obligé, rien de plus redoutable et de plus pénible que la mort, et jamais, l’homme ne put se donner davantage à Dieu que quand il s'est. livré à la mort en son honneur. » C'est ce qui est dit par saint Paul en son épître aux Éphésiens (V) : « Il s'est livré à Dieu comme une oblation et une hostie d'agréable odeur. » Et saint Augustin, au livre De la Trinité, dit comment ce sacrifice apaisa Dieu et le réconcilia avec nous : « Quelle chose pouvait être plus agréablement  reçue que notre chair. devenue une. matière de sacrifice dans le corps de notre prêtre? » Et comme dans tout sacrifice quatre circonstances sont à considérer : à qui il est offert, ce qui est offert, pour qui il est offert, et celui qui offre. Celui-là même qui est seul médiateur entre Dieu et les hommes nous réconcilie par le sacrifice de paix à Dieu avec lequel il ne fait qu'un; et auquel il offrait ce sacrifice, en ne faisant qu'un avec ceux pour lesquels il l’offrait. En sorte que celui qui offrait et ce qui était offert, c'est la même personne.

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Le même saint Augustin dit encore, sur la manière par laquelle nous avons été réconciliés par J.-C., que J.-C. est prêtre et sacrifice, comme il est Dieu et temple tout à la fois. Prêtre, par l’entremise duquel nous sommes réconciliés; sacrifice, par lequel nous sommes réconciliés, Dieu auquel nous sommes réconciliés, temple dans lequel nous sommes réconciliés. Le même Père adresse dans la personne de J.-C. ces reproches à ceux qui faisaient peu de cas de cette réconciliation : « Comme vous étiez l’ennemi de mon Père,, à vous a réconciliés par' moi; comme vous étiez loin de lui, je. suis venu pour vous racheter; comme vous erriez par les montagnes et les forêts, je vous ai cherchés, et c'est au milieu des pierres et du bois que je vous ai trouvés; et de crainte que vous ne fussiez déchirés sous la dent vorace des loups et des bêtes féroces, je vous ai recueillis, je vous ai portés sur mes épaules, je vous ai rendus à mon Père. J'ai travaillé, j'ai sué, j'ai présente ma tète pour qu'on y mît la couronne d'épines; j'ai placé mes mains sous les clous,, j'ai ouvert mon côté avec la lance; j'ai été déchiré non par des injures, mais par des tourments sauvages ; j'ai versé mon sang, j'ai donné mon âme pour vous unir à moi, et vous vous arrachez de mes bras! »

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2° Le mode de notre rédemption fut très convenable pour guérir notre maladie. Or, la convenance se tire du temps, du lieu et du mode. 1° Du temps, parce qu'Adam fut créé et commit le péché au mois de mars, le vendredi, et à la sixième heure, et c'est pourquoi J.-C. a voulu souffrir dans le mois de mars, car il fut annoncé et souffrit le même jour, comme ce fut encore le vendredi et à la sixième heure. 2° Du lieu : or, le lieu de la Passion peut-être entendu en trois manières, savoir : le lieu commun, le lieu particulier et le lieu singulier.: Le lieu commun fut la terre de promission, le particulier, celui du calvaire et le lieu singulier, la croix. Dans le lieu commun fut formé le premier homme parce qu'on dit qu'il a été créé près de Damas et sur le territoire de cette ville. Il fut enseveli dans le lieu particulier, parce que ce fut dans l’endroit où J.-C. a souffert qu'Adam fut, dit-on, enseveli; toutefois ceci n'est pas authentique, puisque, d'après saint Jérôme, Adam a été enseveli sur le mont Hébron, selon ce qui est expressément rapporté au livre de Josué (XIV). Il. fut déçu au lieu singulier, non! pas que ce soit sur le bois où J.-C. a souffert qu'Adam fut déçu, mais pourtant il est dit que de même que Adam fut déçu dans le bois, de même J.-C. souffrit sur le bois. Il est rapporté dans une histoire des Grecs que ce fut sur un bois de la même espèce. 3° Du mode de guérir, lequel fut par les semblables et par, les contraires ; par les semblables, parce que d'après saint Augustin en son livre de la Doctrine chrétienne; l’homme séduit par la femme, né de la femme, a délivré, comme étant homme, les autres hommes, comme . mortel, les mortels et les morts, par la mort.

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Saint Ambroise dit : « Adam fut formé d'une terre vierge, J.-C. naquit d'une vierge. Adam fut fait à l’image de Dieu, J.-C. est l’image de Dieu. De la femme est  venue la folie, par la femme est venue la sagesse ; Adam était nu, J.-C. fut nu; la mort vint par l’arbre ; la vie par la croix ; Adam resta dans le désert, J.-C. resta au désert. » Par les contraires : parce que le premier Homme, selon saint Grégoire, avait péché par orgueil, par désobéis sauce. et par gourmandise; car il voulut s'assimiler à Dieu par la sublimité de la science, transgresser les limites du commandement de Dieu et goûter la suavité de la pomme : et comme la guérison doit s'opérer par les contraires, ce mode de satisfaction fut très convenable; car il s'opéra par l’humiliation, par l’accomplissement de la volonté divine et par, l’affliction. Ces trois modes sont indiquées dans la 2° Epitre aux Philippiens : « Il s'est humilié », c'est le premier mode, « en se faisant obéissant», c'est le second, « jusqu'à la mort », c'est le troisième.
3° Ce mode fut très efficace pour attirer le genre humain. Car jamais il ne put attirer le genre humain davantage à son amour et à la confiance, tout en sauvant le libre arbitre. Or, voici: ce que dit saint Bernard, pour démontrer comment il nous, attire par, là à son amour : « O bon Jésus, ce calice que vous avez bu, cette oeuvre de notre rédemption vous rend aimable par-dessus tout. C'est absolument cela qui vous assure facilement tout notre amour pour-vous, c'est-à-dire qui. provoque notre amour avec plus de douceur, qui l’exige, avec plus de droit, qui l’assujettit plus vite et qui l’affecte avec plus de force. En effet où vous vous êtes anéanti, où vous vous êtes. dépouillé de l’éclat qui vous est naturel, c'est là que votre dévouement brille le plus, là que votre charité s'est répandue avec plus de profusion, là que votre grâce a projeté ses plus grands rayons. »

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Quant à la confiance que ce mode- nous inspire, il est dit dans l’Épître aux Romains (VIII) :

« Puisque Dieu n'a pas épargné son propre fils, mais qu'il l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses? Là-dessus saint Bernard s'exprime ainsi : « Qui ne sera pas entraîné à l’espoir d'obtenir la confiance, quand il considère la disposition de son corps, savoir : sa tête inclinée pour nous baiser, ses bras étendus pour nous embrasser, ses mains percées pour nous octroyer des largesses, son côté ouvert pour nous aimer, ses pieds attachés pour rester avec nous, son corps étendu pour se sacrifier tout entier à nous. »

Quatrièmement : Le mode de notre rédemption fut très convenable pour détruire l’ennemi du genre humain. (Job, XXVI.) « Sa sagesse a dompté l’orgueil » (et XL) : « Pourrez-vous enlever Léviathan avec l’hameçon ? » J.-C. avait caché l’hameçon de sa divinité sous la nourriture de son humanité et le diable voulant saisir la nourriture de la chair fut pris par l’hameçon de la divinité. Saint Augustin parle ainsi de cette capture adroite : « Le rédempteur est venu et le trompeur a été vaincu : et qu'a fait le Rédempteur à celui qui nous tenait captifs? il tendit un piège qui fut sa croix et pour amorce il y mit son sang. Quant à lui, il ne. voulut pas répandre le sang de son débiteur : c'est pourquoi il s'éloigna des débiteurs. »  C’est cette dette que l’apôtre appelle la cédule que J.-C. a abolie en l’attachant à la croix.

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Et saint Augustin dit à propos de cette cédule : « Eve a emprunté le péché au démon; elle a écrit la cédule; elle a donné un garant et l’usure court pour sa postérité : or, elle a emprunté le péché au démon, quand, malgré le précepte de Dieu, elle a consenti à sa mauvaise jussion ou à sa suggestion : elle a écrit la cédule quand elle. a étendu la main vers le fruit défendu; elle a donné un garant, quand elle a fait consentir Adam au péché et de cette manière l’usure court pour sa race. » Saint Bernard met dans la bouche de J.-C. ces reproches adressés à ceux qui méprisent cette rédemption par laquelle nous avons été affranchis de la puissance de notre ennemi : « Mon peuple, dit le Seigneur, qu'ai-je pu te faire que je n'aie fait? Quelle raison as-tu de plutôt servir ton ennemi que moi ? Il ne vous a pas créés, lui, il ne vous nourrit pas. Si c'est peu aux yeux des ingrats, ce n'est pas lui, c'est moi qui vous ai rachetés. A quel prix ? Ce n'a pas été avec de l’Or ou de l’argent qui se corrompt; ce n'a pas été avec le soleil, ni avec la lime ; ce n'a pas été quelqu'un des anges, mais c'est moi qui vous ai rachetés de mon propre sang. Au reste si je n'ai pas une foule de droits à ce que vous vous mettiez à mon service, oubliez tout, mais au moins convenez avec moi d'un denier par jour. » Maintenant, comme J.-C. a été livré à la mort par l’avarice de Judas, par la jalousie des juifs, parla peur de Pilate,il reste à voir quel châtiment Dieu infligea à chacun d'eux à raison de ce péché. Vous trouverez dans la légende de saint Mathias le châtiment et l’origine de Judas, dans la légende de saint Jacques le mineur, le châtiment et la ruine des Juifs. Voici ce que rapporte une légende apocryphe touchant le châtiment et l’origine de Pilate.

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Un roi nommé Tyrus connut charnellement une fille nommée Pila, dont le père appelé Atus était meunier; il en eut un fils. Or, Pila composa un nom du sien et de celui de son père qui s'appelait Atus, et le donna à son fils qui fut Pilate. Celui-ci, dès l’âge de trois ans, fut envoyé au roi par Pila. Ce roi avait un fils de la reine son épouse qui paraissait du même âge à peu près que Pilate. Devenus un peu plus grands, souvent ces deux enfants jouaient ensemble à la lutte, à la fronde et à d'autres ébats. Mais le fils légitime du roi, comme plus noble de race, était toujours plus adroit que Pilate, et plus habile en toute sorte d'exercice, d'où il résulta que Pilate, poussé par une basse jalousie, et entraîné par une douleur amère, tua son frère en cachette. Le roi en conçut un grand désespoir; il assembla son conseil pour savoir ce qu'il ferait de cet enfant, scélérat et homicide. Tous les membres du conseil s'écrièrent à l’unanimité qu'il était digne de mort : mais le roi, ayant repris du calme, ne voulut pas ajouter iniquité sur iniquité, il l’envoya donc en otage pour le tribut qu'il devait annuellement aux Romains; voulant par là n'avoir point à se reprocher la mort de ce fils, et de plus espérant être quitte du tribut payé aux Romains.

Or, il y avait en ce temps-là, à Rome, un fils du roi de France envoyé aussi à Rome pour les tributs. Pilate s'attacha à lui, et le voyant meilleur que soi dans ses moeurs et son esprit, aiguillonné par la jalousie, il le tua. Les Romains cherchant ce qu'on en pourrait faire, se dirent : « Si on laisse vivre celui qui a tué son frère, qui a égorgé un otage, il sera utile en bien des choses à la république, et avec la férocité qui le caractérise, il domptera la férocité des ennemis. » Ils ajoutèrent « Puisqu'il est digne de mort, qu'on le mette dans l’île de Pontos avec la qualité de juge chez un peuple qui: ne veut en souffrir aucun, voyons si, par aventure, il parvient à dompter leur méchanceté habituelle; s'il ne réussit pas, il serai puni comme il l’a mérité»

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Pilate fut donc envoyé chez cette nation féroce, bien informé du mépris qu'elle professait pour ses juges : en réfléchissant sur sa mission et en considérant qu'une sentence de mort était suspendue sur sa tête, il voulut conserver sa vie, et par menaces, par promesses, par supplices et par dons, il subjugua cette nation méchante. Or, pour avoir dompté un pays pareil, il reçut le nom de Ponce de l’île de Pontos. Hérode entendit parler de l’adresse de cet homme; émerveillé de ses ruses et rusé lui-même, il parvint, par ses présents et ses messages, à l’attirer auprès de soi et lui confia sa place et sa puissance sur la Judée et sur Jérusalem. Comme Pilate avait amassé des sommes immenses, il partit pour Rome, à l’insu d'Hérode, offrit à Tibère de l’argent à l’infini. Au moyen de ces largesses, il parvint à faire accepter par l’empereur ce qu'il tenait d'Hérode. Ce fut la cause de l’inimitié entre Pilate et Hérode, inimitié qui dura jusqu'à la Passion de J.-C., époque à laquelle ils se réconcilièrent parce que Pilate lui envoya le Seigneur. L'Histoire scholastique assigne d'autres causes à leur inimitié.

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Un homme, qui se faisait passer pour le Fils de Dieu, avait séduit beaucoup de Galiléens : les ayant menés en Garizim, où il avait dit qu'il monterait au ciel, Pilate survint et le fit tuer avec tous ceux qu'il avait séduits, dans la crainte qu'il n'en fît autant des Juifs. C'est pour cela qu'ils devinrent ennemis parce que Hérode avait le gouvernement de la Galilée. L'une et l’autre causes peuvent être vraies. Alors quand Pilate eut livré aux Juifs le Seigneur afin de le crucifier, il craignit le ressentiment de Tibère-César pour avoir fait verser le sang innocent, et envoya à César un de ses familiers lui offrir ses excuses. Or, sur ces entrefaites Tibère souffrait d'une grande maladie on lui apprit qu'il se trouvait à Jérusalem un médecin qui guérissait toutes sortes de maux, par une seule parole ; mais on ignorait que Pilate et les Juifs l’eussent crucifié. Tibére s'adressant à Volusien, un de ses intimes : « Va vite, lui dit-il, outre mer, et dis à Pilate de  m’envoyer ce médecin qui me rendra la santé. » Quand Volusien fut arrivé auprès de Pilate, et lui eut communiqué les ordres de l’empereur, Pilate effrayé, demanda un délai de quatorze jours. Dans ce laps de temps, Volusien s'informa auprès d'une dame, nommée Véronique, qui avait été amie avec J.-C., où l’on pourrait trouver le Christ Jésus : Véronique lui dit : « Ah ! c'était mon Seigneur et mon Dieu : trahi par jalousie, il fut condamné à mort par Pilate, qui l’a fait attacher à la croix. » Alors Volusien fut très chagriné : « Je suis bien en peine, lui dit-il, de ne pouvoir exécuter les ordres de mon maître. » Véronique répondit : « Alors que mon Seigneur parcourait le pays en prêchant, comme j'étais privée, bien malgré moi, de sa présence, je voulus faire exécuter son portrait, afin que lorsqu'il ne me serait plus donné de le voir, je pusse au moins me consoler en regardant son image alors je portai de la toile au peintre, quand le Seigneur vint au-devant de moi et me demanda où j'allais. Lorsque je lui eus exposé le sujet de ma course, il me demanda la toile, et me la rendit avec l’empreinte de sa face vénérable.

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Si donc votre maître regarde avec dévotion les traits de cette image, à l’instant il aura l’avantage de recouvrer la santé. » Volusien lui répartit : « Peut-on se procurer ce portrait à prix d'or ou à prix d'argent ? » « Non, répondit-elle, mais seulement au prix d'une ardente dévotion. Je partirai avec vous : je montrerai ce portrait à César pour qu'il le voie et je reviendrai. » Volusien revint alors à Rome avec Véronique et dit à l’empereur Tibère : « Jésus, que vous aviez grand désir de voir, a été livré à la mort par Pilate et par les Juifs qui l’ont attaché à une croix par jalousie. Or, est venue avec moi une dame qui porte l’image de ce même Jésus ; si vous regardez ce portrait avec dévotion, vous obtiendrez,à l’instant votre guérison et la santé. » Alors César fit étendre des tapis de soie sur le chemin et commanda qu'on lui présentât le portrait : il ne veut pas plutôt regardé qu'il recouvra sa santé première. Ponce Pilate fut donc pris par l’ordre de César et conduit à Rome. L'empereur apprenant que Pilate était arrivé, le fit venir par devant lui et il était furieusement irrité à son encontre. Mais Pilate apporta avec lui la tunique sans couture de Notre-Seigneur, qu'il revêtit au moment de paraître devant l’empereur.

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Tout aussitôt que l’empereur l’eut vu, il fut entièrement dépouillé de sa colère et se leva à l’instant, sans oser lui adresser le moindre reproche ; et lui, qui en l’absence de Pilate, était si cruel et si terrible, devint extraordinairement doux quand celui-ci fut en sa présence. Après l’avoir congédié, il fut aussitôt enflammé d'une terrible manière contre Pilate, s'accusant d'être un misérable de ne pas lui avoir découvert toute la fureur de son coeur, et tout de suite il le fit rappeler, jurant et protestant que Pilate était digne de mort, et qu'il ne méritait pas de vivre sur terre. Mais dès qu'il le vit, à l’instant il le salua et toute la fureur de son âme avait disparu. On est dans l’admiration partout; l’empereur lui-même s'étonne de ce que quand Pilate est absent, il est outré de colère, et que, quand il est devant lui, il ne peut lui dire rien de désagréable. Enfin par inspiration divine, ou bien peut-être, par le conseil de quelque chrétien, il le fait dépouiller de cette tunique et à l’instant il reprend contre lui sa première férocité d'âme : ce qui émerveilla de plus en plus l’empereur, mais on lui dit que cette tunique avait appartenu au Seigneur Jésus. Alors l’empereur fit renfermer Pilate dans une prison, jusqu'à ce qu'il eût délibéré sur son sort d'après le conseil des sages. On porta contre Pilate une sentence qui le condamnait à la mort la plus honteuse. A cette nouvelle, Pilate se perça avec son couteau et ce fut ainsi qu'il mourut. César informé de la mort de. Pilate : « Vraiment, dit-il, il est mort de la façon la plus honteuse, puisqu'il a choisi lui-même sa main pour se punir. » On attache donc son corps à une meule énorme et il est noyé dans le Tibre : mais les esprits malins et sordides se réjouirent d'avoir en leur puissance le corps malin et sordide de ce sordide, et le saisissant tantôt dans l’eau, tantôt dans l’air ils produisaient des inondations étranges, causaient foudres, tempêtes, tonnerres, grêles terribles dans les airs, au point que tout le monde était sous l’influence d'une crainte horrible.

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C'est pourquoi les Romains le retirèrent du Tibre et par dérision ils le portèrent à Vienne où ils le jetèrent au fond du Rhône. Or,Vienne a pour étymologie voie de la géhenne, parce que c'était autrefois un lieu de malédiction : elle serait mieux nommée Bienne par ce qu'on dit qu'elle fut bâtie dans l’espace de deux ans (bisannus). Mais là encore il y eut des esprits qui opérèrent les mêmes prodiges : les habitants ne pouvant supporter d'être si grandement vexés par les démons, portèrent loin d'eux ce vase de malédiction et J'envoyèrent ensevelir au territoire de la ville de Lausanne. Les citoyens de ce pays, tourmentés à l’excès par les vexations qui s'étaient produites ailleurs, l’ôtèrent du territoire et le plongèrent dans un puits tâché au fond des montagnes, où, d'après certaines relations, des machinations diaboliques paraissent fomenter. Ce qui est rapporté jusqu'ici est tiré d'une histoire apocryphe. On laisse au lecteur à juger de la valeur de ce récit. Notez pourtant que l’Histoire scholastique rapporte que Pilate fut accusé, par-devant Tibère, par les juifs, du massacre affreux des Innocents ; de placer, malgré les réclamations des juifs, les images des gentils dans le Temple; d'employer à son usage l’argent du trésor de Corban avec lequel il avait fait construire un aqueduc pour sa maison, et que, pour tons ces méfaits, il fut déporté en exil à Lyon, d'où il était originaire, afin qu'il y mourût au milieu des opprobres de sa race. Cela peut être, si cependant l’Histoire scholastique dit vrai, car d'abord il y avait déjà eu un édit par lequel il devait être déporté à Lyon en exil, et ce fut avant le retour de Volusien qu'il fut envoyé à César et qu'il fut déporté à Lyon. Mais dans la suite Tibère apprenant de quelle manière il avait fait mourir le Christ, le rappela de l’exil et l’amena à Rome.

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Eusèbe et Bède en leurs chroniques ne disent pas qu'il fut relégué en exil, mais seulement qu'après avoir éprouvé malheurs sur malheurs, il se tua de sa propre main.


Des Fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation.

Après avoir, parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de la déviation, lequel commence à Adam et finit à Moise et que l’Eglise représente depuis la Septuagésime jusqu'à Pâques, il reste à s'occuper des fêtes qui tombent dans le temps de la Réconciliation, depuis Pâques jusqu'à l’octave de la Pentecôte.


(56)LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR

La Résurrection de J.-C. eut lieu trois jours après sa Passion. Par rapport à cette Résurrection du Seigneur, il y a sept considérations à faire chacune en son; ordre: 1° Comment il est vrai que J.-C. resta trois jours et trois nuits dans le sépulcre et ressuscita au troisième-jour; 2° Pourquoi il n'est pas ressuscité aussitôt après sa' mort, mais il a attendu jusqu'au troisième jour; 3° comment il ressuscita; 4° pourquoi il avança sa résurrection et ne la remit pas, à l’époque de la résurrection générale ; 5° pourquoi il ressuscita ; 6° combien de fois il apparut étant ressuscité ; 7° la manière avec laquelle il tira les saints pères qui étaient dans les limbes, et ce qu'il y fit.

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Quant à la première considération, il faut savoir que selon saint Augustin c'est par sinecdoche si l’on dit que J.-C. est resté trois jours et trois nuits dans le sépulcre, car il faut compter le soir du premier jour, le second jour tout entier, et la première partie du troisième : alors on a bien trois jours et chacun d'eux a eu sa nuit qui l’a précédé : car alors, selon Bède, fut changé l’ordre ainsi que le cours des jours et des nuits : auparavant en effet c'étaient les jours qui précédaient et les nuits qui suivaient, mais après la Passion cet ordre a été interverti, eu sorte que les nuits précèdent et les jours suivent : or, ceci est bien en rapport avec ce mystère, parce que l’homme tomba premièrement du jour de la grâce dans la nuit de la faute, mais parla Passion et la résurrection de J.-C., il sortit de la nuit de la faute pour rentrer dans le jour de la grâce. Par rapport à la seconde considération qui est celle par laquelle on trouve convenable que J.-C. ne soit pas ressuscité de suite après sa mort, mais qu'il attendît jusqu'au troisième jour, il y en a cinq raisons. 1° C'est une figure qui signifie que la lumière de sa mort a pris soin de notre double mort : aussi fut-il dans le tombeau un jour entier et deux nuits, afin que le jour figurât la lumière de sa mort et les deux nuits notre double mort : c'est la raison qu'en apporte la glose sur le passage de saint Luc (XXIV) : « Il a fallu que J.-C. souffrît et entrât ainsi dans sa gloire. » 2° C'est une preuve; car puisque tout se juge sur le témoignage de deux ou trois témoins, de même, dans ces trois jours, chacun peut acquérir la preuve de tout ce qui s'est passé : c'est donc pour donner une preuve convaincante de sa mort et pour en offrir lui-même la preuve, qu'il a voulu reposer trois jours dans le tombeau. 3° C'est une marque de sa puissance : car s'il était ressuscité aussitôt, il n'aurait pas paru avoir la puissance de quitter la vie comme non plus celle de ressusciter. Et cette raison est indiquée dans la première aux Corinthiens (XV), où il est dit : « Que J.-C. est mort, pour nos péchés, et qu'il est ressuscité. »

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Il est d'abord question, dit saint Paul, de la mort de J.-C. afin que l’on fût certain qu'il s'agit là d'une mort véritable comme d'une résurrection véritable. 4° C'est la figure de tout ce qu'il y avait à restaurer. Cette raison est de saint Pierre de Ravenne : « J.-C., dit-il a voulu trois jours de sépulcre pour signifier ce qu'il avait à restaurer dans le ciel, ce qu'il avait à réparer sur la terre, et ce qu'il avait à racheter dans les enfers. » 5° C'est afin de représenter les trois états des justes. Saint Grégoire donne cette raison dans son explication d'Ezéchiel : « Ce fut, dit-il, la sixième férie que J.-C. souffrit; ce fut le samedi qu'il reposa dans le sépulcre, et ce fut le dimanche qu'il ressuscita de la mort. Or, la vie présente, c'est polir nous encore la sixième férie, puisque nous sommes au milieu des angoisses et des douleurs ; mais, au samedi, nous paraissons reposer dans le sépulcre, parce que, après la mort, nous trouvons le repos de l’âme : au jour du dimanche nous changeons de condition; nous ressuscitons, au jour de cette octave, avec le corps, des liens de la mort, et avec notre chair, nous nous réjouissons dans la gloire de l’âme. Dans le sixième jour nous avons la douleur, dans le septième le repos et dans l’octave la gloire (Saint Grégoire). »

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La troisième considération est celle-ci : comment J.-C. ressuscita. Il faut observer : 1° qu'il ressuscita avec puissance; car ce fut par sa propre vertu, selon ce qui est dit dans saint Jean (X) : « J'ai la puissance de quitter la vie et de la reprendre ensuite. » (II) : « Détruisez ce temple et en trois jours je le réédifierai. » 2° Il (412) ressuscita bienheureusement, car il se dépouilla de toute misère. (Saint Math., XXVI). « Quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » Galilée veut dire transmigration. Or, quand J.-C. ressuscita, il alla en avant en Galilée, parce qu'il passa de la misère à la gloire, et de la corruption à l’incorruption. « Après la Passion de J.-C., dit saint Léon, pape, les liens de la mort ayant été rompus, l’infirmité fit place à la force, la mortalité à l’éternité, la honte à la gloire. » 3° Il ressuscita avec profit, car il tint sa proie : et Jérémie dit au IVe chapitre : « Le lion s'est élancé hors de sa tanière, le vainqueur des nations s'est élevé. » Saint Jean dit aussi (XXVI) : « Lorsque je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi, » c'est-à-dire : quand j'aurai fait sortir mon âme du limbe et mon corps du tombeau, j'attirerai tout à moi. 4° Il ressuscita miraculeusement, car le sépulcre resta clos. Comme il est sorti du sein de sa mère sans lésion de son intégrité, et de même qu'il est entré où étaient ses disciples les portes closes, de même aussi. a-t-il pu sortir du sépulcre qui resta clos. A ce propos on lit en l’Histoire scholastique *  qu'un moine de Saint-Laurent hors des murs, l’an MCXI de l’Incarnation du Seigneur, s'émerveillait de voir la ceinture qu'il portait, la jeta loin de lui . sans qu'elle eût été déliée, quand une voix venant d'en haut lui dit : « Ainsi J.-C. a pu sortir du sépulcre qui resta clos. » 5° Il ressuscita véritablement, parce que ce fut en son vrai et propre corps. Il donna six preuves de la vérité de sa résurrection : 1° par un

* Chap. CLXXXIV; — Rupert, De divinis offfic., 1. VIII; c. IV.

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ange, qui ne ment point ; 2° par de fréquentes apparitions. Et en ces deux circonstances il montra qu'il était ressuscité véritablement. 3° Par le manger, il prouva ainsi qu'il n'était pas ressuscité par art magique. 4° Par le toucher, en quoi il prouva que c'était en un vrai corps. 5° Par la démonstration de ses plaies, il montra alors que ce fut en ce même corps avec lequel il était mort. 6° Par son entrée dans la maison dont les portes étaient closes; c'était la preuve qu'il était ressuscité tout glorifié. Or, tous ces doutes, sur la résurrection de J.-C. paraissent avoir existé dans les apôtres. 7° Il ressuscita immortel pour ne mourir plus désormais. Il est écrit dans l’Épître,aux Romains (VI) et J.-C. est ressuscité d'entre les morts pour ne plus mourir. » Cependant saint Denis rapporte dans une lettre à Démophile (8e) que J.-C. même après son ascension, dit à un saint homme, nommé Carpus : « Je suis prêt à souffrir de nouveau pour sauver les hommes. » Par oit l’on voit que, s'il était possible, il aurait encore été disposé à mourir pour les hommes. Ce même Carpus, personnage d'une admirable sainteté, raconta à saint Denis, comme la même lettre en fait foi,-qu'un infidèle ayant perverti un chrétien, Carpus en fut chagriné au point d'en tomber malade. (Sa sainteté était si grande qu'il ne célébrait jamais la sainte messe,à moins d'avoir eu une vision du ciel.) Mais ayant eu à prier pour la conversion de l’un et de l’autre, il demandait cependant tous les jours à Dieu qu'il leur ôtât la vie en les faisant brûler sans miséricorde.

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Et voici que vers le milieu de la nuit, comme il était éveillé et qu'il faisait cette prière, tout à coup la maison où il était se divisa en deux et une fournaise immense apparut au milieu : en portant ses regards en haut, il vit le ciel ouvert et Jésus qui y était environné d'une multitude d'anges. Ensuite vis-à-vis de la fournaise, il voit les deux pécheurs qu'il avait maudits, tout tremblants, et entraînés avec violence par les morsures et les replis. de serpents qui sortaient de cette fournaise où ils étaient poussés encore par d'autres hommes. Carpus se complaisait tellement à la vue de leur châtiment qu'il dédaignait de porter les yeux sur ce qui apparaissait en haut et qu'il restait tout attentif à contempler cette vengeance, de sorte qu'il était très contrarié de ne pas les voir plus tôt tomber dans la fournaise. Enfin après avoir pris la peine de regarder au ciel et avoir vu ce qu'il avait remarqué auparavant, voici que Jésus, qui avait pitié de ces hommes, se leva de son trône céleste, et descendant jusqu'à eux avec une multitude d'anges, il étendit les mains et les ôta de là en disant à Carpus : « Levez la main; frappez sur moi de nouveau, car je suis prêt à souffrir encore une fois pour sauver les hommes: c'est ce que j'ai de plus à coeur, si l’on pouvait me crucifier sans crime. » Nous avons relaté ici cette vision rapportée par saint Denis, pour preuve de ce que nous avons dit en dernier lieu.

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La quatrième considération est celle-ci : pourquoi J.-C. n'a-t-il pas attendu à ressusciter avec les autres, c'est-à-dire au jour de la résurrection générale? Il faut savoir qu'il ne voulut point la différer pour trois raisons : 1° Par dignité pour son corps. Car comme ce corps était d'une éminente dignité depuis qu'il avait été déifié, ou bien uni à la divinité, il ne fut pas convenable qu'il restât si longtemps dans la poussière. Aussi le psaume dit : « Vous ne laisserez pas votre saint, c'est-à-dire, votre corps sanctifié, déifié, éprouver la corruption. » Le Psalmiste dit encore (CXXXI) : « Levez-vous, Seigneur; venez dans le lieu de votre repos, vous et l’arche de votre sainteté. » Ce qui est appelé ici l’arche de sainteté, c'est ce corps auquel fut unie la divinité. 2° Pour l’affermissement de la foi : car s'il n'était pas ressuscité alors, la foi eût péri, et personne n'aurait cru qu'il est véritablement Dieu. Or, ceci devient évident par ce qui arriva lors de la Passion, où tous, excepté la Sainte Vierge, perdirent la foi qu'ils ne recouvrèrent qu'après avoir connu la résurrection. C'est ce que dit saint Paul dans sa première Épître aux Corinthiens (XV) : « Si J.-C. n'est pas ressuscité, notre foi est vaine. » 3° Pour être le modèle de notre résurrection. Il eût été rare en effet de trouver quelqu'un° qui eût espéré la résurrection future, s'il n'eût eu pour modèle la résurrection de N.-S. C'est pour cela que l’apôtre dit : « Si J.-C. est ressuscité, nous aussi, nous ressusciterons, » car sa résurrection est la cause et le modèle de la nôtre. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, a montré par son exemple ce qu'il nous a promis en récompense, afin que, les fidèles sachant tous qu'il est ressuscité, espérassent posséder eu eux-mêmes, à la fin du monde; les récompenses de la résurrection. Le même saint dit encore : « J.-C. ne voulut pas être mort plus de trois jours ; car si sa résurrection eût été différée, nous n'aurions pu l’espérer pour nous. «

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La cinquième considération est : pourquoi J.-C. ressuscita. Il faut savoir que ce fut pour quatre grands profits que nous en retirons. En effet sa résurrection opère la justification des pécheurs, elle nous enseigne une manière de vie nouvelle, elle engendre l’espérance de recevoir la rémunération, et elle signifie la résurrection de tous. Quant au premier profit saint Paul dit en l’Épître aux Romains (IV) : « Il a été livré pour nos péchés et il est ressuscité pour notre justification. » Quant au second. Il est dit en la même épître (VI) : « Comme J.-C. est ressuscité d'entre les morts pour la gloire de son père, de même aussi nous devons marcher dans une nouvelle vie. » Quant au troisième. La première épître de saint Pierre (II) porte : « Dieu nous a ressuscités par sa grande miséricorde pour nous donner l’espérance de la vie par la résurrection de J.-C. » Quant au quatrième. La première aux Corinthiens (XV) dit : « J.-C. notre Seigneur est ressuscité d'entre les morts comme les prémices de ceux qui dorment : car c'est par un homme que la mort est venue et c'est par un homme qu'est venue la résurrection. » D'où il faut conclure que J.-C. a eu quatre propriétés qui lui furent particulières dans sa résurrection. La première que notre résurrection est remise à la fin du monde, mais que la sienne arriva au troisième jour. La 2e que nous ressuscitons par lui, mais qu'il est ressuscité, par lui-même. Ce qui fait dire à saint Ambroise : « Pourquoi aurait-il cherché quelqu'un qui l’ait aidé à ressusciter son corps, lui qui a ressuscité les autres? » La 3e que notre corps devient cendre, mais que le sien ne le put devenir. La 4e que la résurrection est la cause efficiente, exemplaire et sacramentelle de la nôtre.

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 Par rapport à la première propriété, la glose du Psaume dit sur ces mots : « Ad vesperum dernorabitur fletus et ad matutinum laetitia (XXIX). Le soir on est dans les larmes et le matin dans la joie. » La résurrection de J.-C.,est la cause efficiente de la résurrection de l’âme dans le temps présent et du corps dans le temps futur. Par rapport à la deuxième, on lit en l’Épître première aux Corinthiens : « Si J.-C. est ressuscité... » Quant à la troisième : et comme J.-C. est ressuscité d'entre les morts par la gloire du père, etc. » (Rom., VI).

La cinquième considération est celle-ci : combien de fois J.-C. est-il apparu après sa résurrection; Le jour même de la résurrection J.-C. est apparu cinq fois, et les autres jours suivants, cinq fois encore. 1° Il a apparu à Marie-Magdeleine (saint Jean, XX; saint Marc, XVI) qui est le type des pénitents, car il voulut apparaître en premier lieu à Marie-Magdeleine pour cinq motifs. a. Parce qu'elle l’aimait plus ardemment, comme le dit saint Luc (VII) : « Beaucoup de péchés lui sont remis parce qu'elle a beaucoup aimé. » b. Pour montrer qu'il était mort; pour les pécheurs. « Je ne suis pas venu, dit J.-C. en saint Mathieu (IX), appeler les justes, mais, les pécheurs. » c. Parce que les courtisanes précèdent les sages dans le royaume des cieux (Math., XXI). « En vérité, je vous dis que les courtisanes vous précéderont dans le royaume des cieux. » d. Parce que comme la femme avait annoncé la mort, elle devait aussi annoncer la vie (Glose). e. Afin que là où avait abondé l’iniquité, abondât aussi la grâce. (Romains, V). 2° Il apparut aux femmes qui revenaient du sépulcre, quand il leur dit : « Salut » : qu'elles s'approchèrent et lui tinrent les pieds (saint Math., XXVIII).

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Elles sont le type des humbles auxquels le Seigneur se montre à raison de leur sexe, et de leur attachement, parce qu'elles tinrent ses pieds. 3° Il apparut à Simon, mais on ne sait où ni quand ; à moins peut-être que ce ne fût en revenant du sépulcre avec Jean : car il peut échoir que Pierre ne se soit pas trouvé au lieu où était Jean, quand Jésus lui apparut (saint Luc, XXIV) ; ou bien, ce fut quand il entra seul dans le monument, ou bien encore, dans la cave ou grotte où Pierre habitait, ainsi que le dit l’Histoire scholastique *. En effet. on y lit que quand Pierre eut renié J.-C., il s'enfuit dans une cave, qu'on appelle encore Galli cantes, le chant du coq, où. il passa trois jours à pleurer son péché, et que ce fut là que le Sauveur lui apparut et le conforta. Pierre signifie obéissant, c'est, donc le type des obéissants auxquels se montre le Seigneur. 4° Il apparut aux disciples à Emmaüs. Emmaüs veut. dire désir de conseil, et signifie les pauvres de J.-C. qui veulent accomplir ce conseil : « Allez, vendez ce que vous avez et le donnez aux pauvres, etc. » 5° Il apparut aux disciples rassemblés. Ce qui signifie les religieux qui tiennent closes les portes de leurs cinq sens (saint Jean, XX). Ces apparitions eurent lieu le jour même de la résurrection : et à la messe le prêtre les représente en se tournant cinq fois vers le peuple.

* Sur l’Évangile, c. CLIX.

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Mais la troisième fois qu'il se retourne, il le fait en silence pour figurer la troisième apparition à saint Pierre dont on ne sait ni le lieu ni le moment. 6° Il apparut huit jours après à tous ses disciples réunis, et Thomas étant présent, lui qui avait dit qu'il ne croyait pas s'il . ne voyait : c'est la figure de ceux qui hésitent dans la foi (saint Jean, XX). 7° A ses disciples occupés à la pêche (saint Jean, XXI): c'est la figure des prédicateurs qui sont des pêcheurs d'hommes. 8° A ses disciples sur le mont Thabor (saint Math., XXVIII) : c'est la figure (les contemplatifs parce qu'il fut transfiguré sur cette même montagne. 9° Aux onze disciples qui étaient à table dans le cénacle, et ce fut là qu'il leur reprocha la dureté de leurs coeurs et leur incrédulité (saint Math., XXVIII) Nous entendons par eux les pécheurs qui sont placés dans le nombre. onzième de la transgression et que le Seigneur visite quelquefois dans sa miséricorde. 10° Enfin, il apparut aux disciples qui se trouvaient sur la montagne des Oliviers (saint Luc, XXIV) : c'est la figure des miséricordieux et de ceux qui aiment l’huile de la miséricorde. C'est de ce lieu qu'il monta au ciel, parce que, dit saint Paul en l’épître première à Timothée (IV) : « La piété ,est utile à tout; et c'est à elle que les biens de la vie présente et ceux de la vie future ont été promis. »

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Trois autres apparitions eurent encore lieu en ce même jour de la résurrection ; mais le texte des livres saints ne les raconte pas. La première par laquelle il apparut à saint Jacques le Juste, c'est-à-dire à Jacques fils d'Alphée; vous la trouverez dans la légende de ce saint. La seconde, quand, en ce même jour, J.-C. apparut à Joseph; elle est racontée ainsi dans 1'Evangile de Nicodème. Les Juifs ayant appris que Joseph avait demandé à Pilate le corps de Jésus, l’avait placé dans son propre tombeau, furent remplis d'indignation contre lui, se saisirent de sa personne et l’enfermèrent avec grand soin dans un lieu bien clos et scellé, avec l’intention de le tuer après le jour du sabbat; mais voici que Jésus, la nuit même de la résurrection, enleva par les quatre angles la maison dans les airs, entra auprès de Nicodème, essuya son visage, l’embrassa, et le faisant sortir, sans: que les sceaux fussent rompus, l’amena à sa maison d'Arimathie. La troisième, par laquelle on croit que J.-C: apparut avant tous es autres à la- Vierge Marie, quoique les évangélistes gardent le silence sur ce point. L'Eglise romaine paraît approuver cette opinion puisque; au jour de Pâques, la station a lieu à Sainte-Marie-Majeure. Or, si on ne le croit pas en raison qu'aucun des évangélistes n'en fait mention, il est évident qu'il n'apparut jamais à la sainte Vierge après être ressuscité, parce qu'aucun évangéliste n'indique ni le lieu ni le temps de cette apparition. Mais écartons cette idée qu'une telle mère ait reçu un pareil affront d'un tel Fils. Peut-être cependant les évangélistes ont-ils passé cela sous silence parce que leur but était seulement de produire des témoins de la Résurrection; or, il n'était pas convenable qu'une mère fût appelée pour rendre témoignage à son Fils : car si les paroles des autres femmes, à leur retour du sépulcre, parurent des rêveries, combien plus aurait-on cri que sa mère était dans le délire par amour pour son fils.

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Ils ne l’ont point écrit, il est vrai, mais ils l’ont laissé pour certain : car J.-C. a dû procurer à sa mère la première joie de sa résurrection; il est clair qu'elle a souffert plus que personne de la mort de son Fils; il ne devait donc pas oublier sa mère, lui qui se hâte de consoler d'autres personnes. C'est l’opinion de saint Ambroise dans son troisième livre des Vierges : « La mère, dit-il, a vu la résurrection; et ce fuit la première qui vit et qui crut, Marie-Magdeleine la vit malgré son doute. » Sedulius s'exprime comme il suit en parlant de l’apparition de J.-C. :

Semper virgo manet, hujus se visibus astans
Luce palan Dominus prius obtulit, ut bona mater,
Grandia divulgans miracula, quae fuit olim
Advenientis iter, haec sit redeuntis et index *.

Quant à la septième et dernière considération, savoir : comment J.-C. fit sortir les saints pères du limbe où ils se trouvaient, et ce qu'il y fit, l’évangile ne l’explique pas ouvertement. Saint Augustin cependant dans un de ses sermons et Nicodème, dans son évangile (ch. XVIII) en disent quelque chose. Voici, les paroles de saint Augustin : « Aussitôt que J.-C. rendit l’esprit, son âme unie à sa divinité descendit au fond des enfers, et quand il eut atteint les dernières limites des ténèbres, en spoliateur resplendissant et terrible, les légions impies de l’enfer le regardèrent avec épouvanté,
et elles se mirent à demander : « D'où vient celui-ci qui est si fort, si terrible, si resplendissant et si noble?

* Le Seigneur apparaît à Marie toujours vierge tout aussitôt après sa Résurrection, afin qu'en pieuse et douce mère, elle rendit témoignage du miracle. Celle qui lui avait ouvert les portes de la vie dans sa naissance, devait aussi prouver qu'il mail. quitté les enfers. (Carmen Paschale, v, p. 361.)

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Le monde qui nous fut soumis ne nous a jamais envoyé pareil mort ; jamais il n'a destiné aux enfers de pareils présents. Quel est-il donc celui qui entre sur nos domaines avec cette intrépidité ? et il ne redoute pas nos supplices seuls, mais il a délié les autres de nos chaînes: Les voyez-vous ceux qui ne vivaient que dans nos tourments, les voyez-vous nous insulter après avoir été sauvés ? et ils ne se contentent, pas de ne craindre rien, ils ajoutent encore des menaces. Les morts d'ici n'ont jamais été si pleins d'orgueil, et des captifs n'ont jamais ressenti une semblable joie. Pourquoi l’avoir amené ici? O notre prince, ton allégresse a passé, tes joies se sont changées en deuil ! Pendant que tu suspends J.-C. sur le bois; tu ne sais pas tous les dommages que tu éprouves en enfer. » Et quand les voix. infernales de ces cruels se furent fait entendre, le Seigneur dit et toutes les portes de fer furent brisées : voici un peuple innombrable de saints du Seigneur qui se prosternent et qui font entendre ces cris mêlés de larmes : « Vous voici arrivé, Rédempteur du monde, vous voici arrivé; vous que nous attendions tous les jours avec tant d'ardeur: vous êtes descendu pour nous aux enfers ; ne nous abandonnez point quand vous serez retourné aux cieux: Remontez, Seigneur Jésus, dépouillez l’enfer, enchaînez l’auteur de la mort dans ses propres liens; rendez bientôt la joie au monde; secourez-nous, ajoutent-ils, éteignez ces tourments affreux, et dans votre pitié délivrez des captifs ; pendant que vous êtes ici absolvez les coupables, et quand vous remonterez, défendez ceux qui sont les vôtres » (saint Aug.).

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Voici ce qu'on lit dans I'Evangile de Nicodème : « Carinus et Leucius, fils du vieillard Siméon, ressuscitèrent avec J.-C., ils apparurent à Anne, à Caïphe, à Nicodème, à Joseph et à Gamaliel qui les conjurèrent de leur raconter ce que J.-C. a fait aux enfers : Nous étions, dirent-ils, avec tous nos pères les Patriarches placés au fond des ténèbres, quand tout à coup surgit une lumière qui avait l’éclat doré du soleil, et une couleur de pourpre royale nous illumina. Aussitôt Adam, le père du genre humain, a tressailli en disant : « C'est la lumière éternelle qui a promis de nous envoyer une lumière qui lui est coéternelle. » Isaïe s'écria : « C'est la lumière du Père, le Fils de Dieu, comme je l’ai prédit en ces termes, alors que j'étais vivant sur la terre : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu la grande lumière: » Alors survint notre père Siméon qui dit en tressaillant de joie : «Glorifiez le Seigneur, car c'est moi qui ai reçu dans mes mains, au temple, le Christ nouvellement né, et qui ai dit sous l’influence de l’Esprit-Saint :  « Maintenant mes yeux ont vu votre salut que vous avez envoyé, vous l’avez préparé à la face de tous les peuples » (Luc, I). Après Siméon, survint un habitant du désert et comme nous lui demandions qui il était il dit : « Je suis Jean; j'ai baptisé J-C., j'ai marché devant la face du Seigneur, pour lui préparer ses voies, et je l’ai montré du doigt, eu disant : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde; je suis descendu vous annoncer que le Christ va venir à l’instant nous visiter. »

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En ce moment Seth s'écria : «Quand je suis allé aux portes du paradis prier le Seigneur de  m’envoyer son ange pour me donner de l’huile de l’arbre de la miséricorde afin de pouvoir oindre le: corps de mon père Adam, accablé par la maladie, l’ange Michel apparut et dit : « Ne te consumes pas en larmes pour demander l’huile du bois de la miséricorde; car tu ne pourras en obtenir qu'après cinq mille cinq cents ans accomplis *. » Tous les Patriarches et les prophètes qui entendirent ces exclamations tressaillirent d'une grande joie. Alors Satan, le prince et le chef de la mort, dit à l’enfer : « Prépare-toi à recevoir Jésus qui se glorifie d'être le Christ, Fils de Dieu. Toutefois c'est un homme qui eut peur de mourir car il a dit : « Mon âme est triste jusqu'à la mort; » grand nombre d'hommes que j'avais rendus sourds, il les a guéris et il a redressé les boiteux. » L'enfer répondit : « Si tu es puissant; quel est donc cet homme, ce Jésus qui, tout en craignant la mort, résiste à ta puissance ? Car s'il dit qu'il craint la mort, c'est pour te tromper et il n'y aura pour toi qu'un vah ! dans l’éternité des siècles. » Satan répondit . « Je l’ai tenté ; j'ai soulevé le peuple contre lui, j'ai déjà aiguisé la lance, mêlé le fiel et le vinaigre, préparé le bois de la croix : sa mort est prochaine et je te l’amènerai. » L'enfer lui demanda : « Est-ce donc lui qui a ressuscité Lazare que je tenais.» Satan répondit : « C'est lui-même. »

* Au lieu de 500; quelques éditions mettent 200.

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L'enfer s'écria : «Je te conjure, par les puissances et par les miennes, ne me l’amène pas; car aussitôt que j'ai eu entendu le commandement de sa parole, j'ai frémi, et n'ai pu retenir Lazare lui-même, qui, se secouant comme un aigle essayant son agilité, s'est échappé de nos mains. » Comme il parlait ainsi, une voix semblable à un tonnerre se fit, entendre, et dit : « Enlevez vos portes, Princes; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. » A cette voix tous les démons accoururent et fermèrent les portes d'airain avec des verrous de fer. Alors David s'écria : « N'ai-je pas été prophète quand j'ai dit : « Que les miséricordes du Seigneur soient le sujet de ses louanges, parce qu'il a brisé les portes d'airain et rompu les verrous de fer (CVI). » Et une voix extraordinaire se fit entendre qui dit : « Enlevez vos portes... etc. » L'enfer, voyant qu'on avait crié par deux fois, dit comme s'il était dans l’ignorance : « Quel est ce roi de gloire? » David lui répondit : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat, c'est lui qui est le roi de gloire. » Le roi de gloire survint; alors il éclaira les ténèbres éternelles ; et le Seigneur étendant la main prit Adam par sa droite et lui dit : « Paix à toi et à tous tes fils, mes justes. » Et le Seigneur s'élança des enfers et tous les saints le suivirent. Le Seigneur, tenant toujours Adam par la main, le confia à l’archange Michel qui les introduisit dans le paradis. Ils rencontrèrent deux hommes, anciens des jours, et les saints leur demandèrent : « Qui êtes-vous, vous qui êtes pas descendus avec cous dans les enfers, qui n'êtes pas morts encore ; et qui avez été placés avec votre corps dans le paradis? »

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Et l’un répondit : « Je suis Enoch qui ai été transporté ici ; celui-là est Elie qui a été enlevé jusqu'ici sur un char de feu; et nous n'avons point encore goûté la mort, mais nous sommes réservés pour jusqu'à l’avènement de l’antéchrist afin de combattre contre lui; il nous tuera et après trois jours et demi nous serons enlevés dans les nuées. » Tandis qu'il parlait, survint un autre homme portant sur ses épaules le signe de la croix. On lui demanda qui il était, et il dit : « Je fus larron et j'ai été crucifié avec Jésus; j'ai cru qu'il est le créateur, et l’ai prié en disant : « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous serez venu dans votre royaume. » Alors il  m’a répondu : « En vérité, je te le dis; aujourd'hui tu seras avec moi en paradis . » Et il  m’a donné ce signe de la croix en disant : « Porte cela en allant dans le paradis et si l’ange qui est préposé à sa garde ne te laisse pas entrer, montre-lui le signe de la croix, et tu lui diras: C'est le Christ crucifié eu ce moment-ci qui  m’a envoyé. » Quand je l’eus fait et que j'eus ainsi parlé à l’ange, à l’instant il  m’ouvrit,  m’introduisit et me plaça à la droite dans le paradis. » Carin et Leucius après avoir fait ce récit, furent subitement. transfigurés; et on ne les vit plus. Saint Grégoire de Nisse ou bien saint Augustin, d'après certains livres; dit en traitant le même sujet : « Tout à coup la nuit éternelle des enfers devint resplendissante, quand J.-C. descendit; alors les portiers bardés de fer se murmurèrent les uns aux autres ces paroles, sous le voile du silence, tant la crainte les avait saisis : « Quel, est donc celui-ci qui est si terrible et si brillant d'une lumière étrange ?

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Notre tartare n'en accueillit jamais un, semblable; le monde n'a jamais vomi son pareil dans notre caverne. C'est un usurpateur, ce n'est pas quelqu'un qui paie sa dette ; c'est un voleur; un destructeur; ce n'est pas un pécheur mais un pillard. Nous voyons un juge et non un suppliant. Il vient combattre et non succomber; il vient ravir et non rester. »


(57) SAINT SECOND, MARTYR *

Second, peut venir de se couvrant, se composant en honnêteté de moeurs ; ou bien de secondant qui obéit aux ordres du Seigneur; ou bien il vient de secum dux, chef de lui-même, car il commanda à ses sens et il leur fit produire toutes sortes de bonnes oeuvres. Ou bien Second se rapporte à premier : en effet il y a deux chemins qui conduisent à la vie : Le premier, c'est celui de la pénitence et des larmes; le second, c'est celui du martyre. Or, ce précieux martyr parvint à la vie non pas seulement par le premier chemin , mais encore par le second.

Second fut un soldat intrépide, et un athlète de J.-C. fort distingué; il fut un glorieux martyr du Seigneur. Il reçut la couronne du martyre dans la ville d'Asti. Cette cité est illustre par sa présence et se fait gloire de l’avoir pour patron. Il fut instruit dans la foi de J.-C., par Calocérus, détenu dans la prison d'Asti par l’ordre de Sapritius, préfet de cette cité. Or, comme le bienheureux Martien était en prison dans la ville de Tardonne, Sapritius y voulut aller pour le forcer à sacrifier ; Second partit avec lui, sous prétexte de distraction, et avec le désir de voir le bienheureux Marcien.

* Le Martyrologe romain annonce ainsi cette fête : A Asti, de saint Second, martyr. Bivar, dans ses commentaires sur Detter, cite des passages textuels de cette légende qu'il avait prise aux sources.

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Sortis de la ville d'Asti; une colombe descendit sur Second et se plaça sur sa tête. Alors Sapritius lui dit : « Vois, Second, comme nos dieux t'aiment puisqu'ils t'envoient des oiseaux du ciel te visiter. » Etant parvenus près du fleuve Tanaro, Second vit un ange du Seigneur se promenant sur l’eau :

« Second, lui dit-il, aie la foi, et tu marcheras ainsi sur les fauteurs des idoles. »

Sapritius lui dit :

« Mon frère Second, j'entends les dieux qui te parlent. » Second lui répondit: « Marchons selon les désirs de notre cœur. » Quand ils arrivèrent au fleuve Bormida, un ange lui apparut encore, et lui dit : « Second, crois-tu en Dieu, ou bien aurais-tu des doutes? » Second répondit: « Je crois la vérité de sa passion et de sa résurrection. » Sapritius dit alors : « Qu'est-ce que j'entends de ta bouche? » Or, quand il entra dans Tardonne, Marcien; par l’ordre de l’ange, sortit de sa prison et apparut à Second : « Entre, Second, lui dit-il, dans la voie de la vérité ;  marche pour recevoir la palme de la foi. » Sapritius dit : « Quel est donc cet homme qui nous parle comme s'il songeait? » Second lui répondit : « C'est songe pour vous, mais pour moi c'est un avis et un encouragement. » Après quoi Second alla à Milan; et un ange du Seigneur conduisit au-devant de lui, hors de la ville, Faustin et Jovitas, qui étaient gardés en prison. Il en reçut le baptême, une nuée leur ayant fourni de l’eau. Et voici que tout à coup une colombe descendit du ciel et apporta le corps et le sang de N. S. qu'elle donna à Faustin et à Jovitas ; mais Faustin donna le corps et le sang du Seigneur à Second afin qu'il le portât à Marcien.

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En revenant, Second arriva quand il faisait nuit sur la rive du Pô; alors l’ange du Seigneur prit son cheval par la bride et lui fit passer le fleuve. L'ayant accompagné jusqu'à Tardonne, il l’introduisit dans la prison de Marcien et Second donna à Marcien le trésor de Faustin. Marcien dit en le recevant : « Que le corps et le sang du Seigneur soit avec moi pour la vie éternelle. » Puis par l’ordre de l’ange, Second sortit de la prison et alla en son hôtel. Après quoi Marcien fut condamné à avoir la tête tranchée et Second enleva son corps qu'il ensevelit.

En apprenant cela, Sapritius le manda auprès de lui et lui dit : « Autant que je puis voir, tu fais profession d'être chrétien. » Second lui répondit : « C'est vrai, je  m’avoue chrétien. » Sapritius lui dit : « Tu désires donc mourir de mal mort? » Second répondit : « C'est à toi plutôt qu'elle est due. » Or, comme il ne voulait pas sacrifier, Sapritius le fit dépouiller; mais aussitôt l’ange du Seigneur vint pour lui préparer un vêtement. Alors Sapritius le fit si longtemps tourmenter sur un chevalet que ses bras étaient disloqués ; mais ayant été guéri par le Seigneur, il fut reconduit en prison. Pendant qu'il y était, l'ange du Seigneur vint lui dire : « Lève-toi, Second ; suis-moi, et je te conduirai à ton créateur. » Alors il le mena jusqu'à la ville d'Asti et le mit dans une prison où était renfermé Calocérus et le Sauveur avec lui. A sa vue, Second se jeta à ses pieds : « Ne crains pas, lui dit le Sauveur, car je suis le Seigneur ton Dieu qui te délivrerai de tous les maux. » Puis il les bénit et monta au ciel.

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Or, le matin, Sapritius envoya à la prison qu'on trouva fermée, sans que Second y fût. Alors Sapritius quitta Tardonne et vint à Asti, pour au moins punir Calocérus qu'il se fit amener. Mais voici qu'on lui apprit que Second était avec Calocérus. Il les fit donc comparaître devant lui et leur dit : « Puisque nos dieux savent que vous les méprisez, ils veulent que vous mouriez aussi tous les deux. » Or, comme ils ne voulaient pas sacrifier, il fit fondre de la poix avec de la résine qu'il commanda de verser sur leur tête et de jeter dans leur bouche. Mais ils buvaient cela comme l’eau la plus exquise et avec grande ardeur en s'écriant à haute voix: « Que vos paroles sont douces à la bouche, Seigneur ! » Alors Sapritius porta une sentence par laquelle Second devait être décapité à Asti et Calocérus envoyé à Albinganum pour y être puni.

Or, quand saint Second fut décollé, les anges du Seigneur vinrent prendre son corps et lui donnèrent la sépulture en chantant des actions de grâces. Il souffrit le 3 des calendes d'avril.


(58) SAINTE MARIE L'EGYPTIENNE*

Marie Egyptienne appelée Pécheresse passa 47 ans au désert dans une austère pénitence. Elle y entra vers l’an du Seigneur 270, du temps de Claude.

* La vie de sainte Marie Egyptienne se trouve in extenso dans les Vies des Pères du désert. Elle fut écrite par Sophrone, évêque de Jérusalem. Jacques de Voragine l’a abrégée considérablement.

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Or, un abbé, nommé Zozime, ayant passé le Jourdain et parcouru un grand désert pour trouver quelque saint père, vit un personnage qui se promenait et dont le corps nu était noir et brûlé par l’ardeur du soleil. C'était Marie Egyptienne. Aussitôt elle prit la fuite et Zozime se mit à courir au plus vite après elle. Alors Marie dit à Zozime : « Abbé Zozime, pourquoi courez-vous après moi ? Excusez-moi, je ne puis tourner mon visage vers vous, parce que je suis une femme ; et comme je suis nue, donnez-moi votre manteau, pour que je puisse vous voir sans rougir. » En s'entendant appeler par son nom, il fut saisi : ayant donné son manteau, il se prosterna par terre et la pria de lui accorder sa bénédiction. « C'est bien plutôt à vous, mon père, lui dit-elle, de me bénir, vous qui êtes orné de la dignité sacerdotale. » Il n'eut pas plutôt entendu qu'elle savait son nom et son ministère, que son admiration s'accrut, et il insistait pour être béni. Mais Marie lui dit : « Béni soit le Dieu rédempteur de nos âmes. » Comme elle priait les mains étendues, Zozime vit qu'elle était élevée de terre d'une coudée. Alors le vieillard se prit à douter si ce n'était pas un esprit qui fît semblant de prier. Marie lui dit: « Que Dieu vous pardonne d'avoir pris une femme pécheresse pour un esprit immonde ! » Alors Zozime la conjura au nom du Seigneur de se faire un devoir de lui raconter sa vie. Elle reprit: « Pardonnez-moi, mon père, car si je vous raconte ma situation, vous vous enfuirez de moi tout effrayé à la vue d'un serpent. Vos oreilles seront souillées de mes paroles et l’air sali par des ordures. »

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 Comme le vieillard insistait avec force, elle dit: « Mon frère,je suis née en Egypte; à l’âge de 12 ans, je vins à Alexandrie, où, pendant 17 ans, je me suis livrée publiquement au libertinage, et je ne me suis jamais refusée à qui que ce fût: Or, comme les gens de ce pays s'embarquaient pour Jérusalem afin d'y aller adorer la sainte Croix, je' priai les matelots de me laisser partir avec eux. Comme ils me demandaient le prix du passage, je dis: « Je n'ai d'autre argent à vous donner que de vous livrer mon corps pour mon passage. » Ils me prirent donc et ils eurent mon corps en paiement. Arrivée à Jérusalem, j'allai avec les autres jusqu'aux portes de l’église pour adorer la croix; mais tout à coup, je me sens repoussée par une main invisible qui  m’empêche d'entrer. J'avançai plusieurs fois jusqu'au seuil de la porte, et à l’instant j'éprouvais la honte d'être repoussée; et cependant tout le monde entrait sans difficulté, et sans rencontrer aucun obstacle. Rentrant alors en moi-même, je pensai que ce que j'endurais avait pour cause l’énormité de mes crimes. Je commençai à me frapper la poitrine avec les mains, à répandre des larmes très amères, à pousser de profonds soupirs du fond du coeur, et comme je levais la tête, j'aperçus une image de la bienheureuse Vierge Marié. Alors je la priai avec larmes de  m’obtenir le pardon de mes péchés, et de me laisser, entrer pour adorer la sainte Croix, promettant de renoncer au monde et de mener à l’avenir une vie chaste. Après cette prière, éprouvant une certaine confiance au nom de la bienheureuse Vierge, j'allai encore une fois à la porte de l’église, où je suis entrée sans le moindre obstacle.

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Quand j'eus adoré la sainte Croix avec une grande dévotion, quelqu'un me donna trois pièces d'argent avec lesquelles j'achetai trois pains; et j'entendis une voix qui me disait: « Si tu passes le Jourdain, tu seras sauvée. » Je passai donc le Jourdain, et vins en ce désert où je suis restée quarante-sept ans sans avoir vu aucun homme. Or, les sept pains que j'emportai avec moi devinrent à la longueur du temps durs comme les pierres et suffirent à ma nourriture pendant quarante-sept ans ; mais depuis bien du temps mes vêtements sont pourris. Pendant dix-sept ans que je passai dans ce désert, je fus tourmentée par les tentations de la chair, mais à présent je les ai toutes vaincues par la grâce de Dieu. Maintenant que je vous ai raconté toutes mes actions, je vous prie d'offrir pour moi des prières à Dieu. » Alors le vieillard se prosterna par terre, et bénit le Seigneur dans sa servante. Elle lui dit : « Je vous conjure de revenir aux bords du Jourdain le jour de la cène du Seigneur , et d'apporter avec, vous le corps de J.-C. : quant à moi j'y viendrai à votre rencontre et je recevrai de votre main ce sacré corps; car à partir du jour où je suis venue ici, je n'ai pas reçu la communion du Seigneur. » Le vieillard revint donc à son. monastère, et , l’année suivante, à l’approche du jour de la cène, il. prit le corps du Seigneur, et vint jusqu'à la rive du Jourdain. Il vit à l’autre bord une femme debout qui fit le signe de la croix sur les eaux, et vint joindre le vieillard.

* Le jeudi saint.

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A cette vue, celui-ci fut frappé de surprise et se prosternahumblement à ses pieds : « Gardez-vous, lui dit-elle, d'agir ainsi, puisque vous avez sur vous les sacrements du Seigneur, et que vous êtes décoré de la dignité sacerdotale; mais, mon père, je vous supplie de daigner revenir vers moi l’an prochain. » Alors après avoir fait le signe de la croix, elle repassa sur les eaux du Jourdain pour gagner la, solitude de son désert. Pour le vieillard il retourna à son monastère et l’année suivante, il vint à l’endroit où. Marie lui avait parlé la première fois, mais il la trouva morte. Il se mit à verser des larmes, et n'osa la toucher, mais il se dit en lui-même : « J'ensevelirais volontiers le corps de cette sainte, je crains cependant que cela ne lui déplaise. » Pendant qu'il y réfléchissait, il vit ces mots gravés sur la terre, auprès de sa tête : «Zozime, enterrez le corps de Marie ; rendez à la terre sa poussière, et priez pour moi le Seigneur par l’ordre duquel j'ai quitté ce monde le deuxième jour d'avril. » Alors le vieillard acquit la certitude, qu'aussitôt après avoir reçu le sacrement du Seigneur et être rentrée au désert, elle termina sa vie.

Ce désert que Zozime eut de la peine à parcourir dans l’espace de trente jours, Marie le parcourut en une heure, après quoi elle alla à Dieu. Comme le vieillard faisait une fosse, mais qu'il n'en pouvait plus, il vit un lion venir à lui avec douceur, . et il lui dit : « La sainte femme a commandé d'ensevelir là son corps, mais. je ne puis creuser la terre, car je suis vieux et n'ai. pas d'instruments : creuse-la donc, toi, afin que nous puissions ensevelir son très saint corps. » Alors le lion commença à creuser la terre et à disposer une fosse convenable:

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Après l’avoir terminée, le lion s'en retourna doux comme un agneau et le vieillard revint à son désert en glorifiant Dieu.


(59) SAINT AMBROISE *
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Ambroise vient de ambre, qui est une substance odoriférante et précieuse. Or, saint Ambroise fut précieux à l’Eglise et il répandit une bonne odeur par ses paroles et ses actions. Ou bien Ambroise vient de ambre et de sios, qui veut dire Dieu, comme l’ambre de Dieu; car Dieu par Ambroise répand partout une odeur semblable à celle de l’ambre. Il fut et il est la bonne odeur de J.-C. en tout lieu. Ambroise peut venir encore de ambor, qui signifie père des lumières et de sior, qui veut dire petit; parce qu'il fut le père de beaucoup de fils par la génération spirituelle, parce, qu'il fut lumineux dans l’exposition de la sainte Ecriture, et parce qu'il fut petit dans ses, habitudes humbles. Le glossaire dit : ambrosius signifie odeur ou saveur de J.-C. ; ambroisie céleste, nourriture des anges; ambroise, rayon céleste de miel. Car saint Ambroise fut une odeur céleste par une réputation odoriférante; une saveur, par la contemplation intérieure; il fut un rayon céleste de miel par son agréable interprétation des Ecritures; et une nourriture angélique, parce qu'il mérita de jouir de la gloire. Sa vie fut écrite à saint Augustin par saint Paulin, évêque de Nole.

Ambroise était fils d'Ambroise, préfet de Rome. Il avait été mis en son berceau dans la salle du prétoire; il y dormait, quand un essaim d'abeilles survint tout a coup et couvrit de telle sorte sa figure et sa bouche qu'il semblait entrer dans sa ruche et en sortir. Les abeilles prirent ensuite leur vol et s'élevèrent en l’air à une telle hauteur que oeil humain n'était capable de les distinguer.

* Tiré de la vie du saint, par Paulin, son secrétaire.

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Son père fut frappé de ce fait et dit : «Si ce petit enfant vit, ce sera quelque chose de grand. Parvenu à l’adolescence, en voyant sa mère, et sa soeur qui avait consacré à Dieu sa virginité, embrasser la main des prêtres, il offrit en se jouant sa droite à sa soeur en l’assurant qu'elle devait en faire autant. Mais elle le lui refusa comme à un enfant et à quelqu'un qui ne sait ce qu'il dit. Après avoir appris les belles lettres à Rome, il plaida avec éclat des causes devant le tribunal, et fut envoyé par l’empereur Valentinien pour prendre le gouvernement des provinces de la Ligurie et de l’Emilie. Il vint à Milan alors que le siège épiscopal était vacant ; le peuple s'assembla pour choisir un évêque : mais une grande sédition s'éleva entre les ariens et les catholiques sur le choix du candidat ; Ambroise y vint pour apaiser la sédition, quand tout à coup se fit entendre la voix d'un enfant qui s'écria : « Ambroise évêque. » Alors à l’unanimité; tous s'accordèrent à acclamer Ambroise évêque. Quand il eut vu cela, afin de détourner l’assemblée de ce choix qu'elle avait fait de lui, il sortit de l’église, monta sur son tribunal et, contre sa coutume, il condamna à des tourments ceux qui étaient accusés. En le voyant agir ainsi, le peuple criait néanmoins : « Que ton péché retombe sur nous. » Alors il fut bouleversé et rentra chez lui. Il voulut faire profession de philosophe : mais afin qu'il ne réussît pas on le fit révoquer. Il fit entrer chez lui publiquement des femmes de mauvaise vie, afin qu'en les voyant le peuple revînt sur son élection; mais considérant qu'il ne venait pas à ses fins,  et que le peuple criait toujours : « Que ton péché retombe sur nous, » il conçut la pensée de prendre la fuite au milieu de la nuit. Et au moment où il se croyait sur le bord du Tésin, il se trouva, le matin, à une porte de Milan, appelée la porte de Rome.

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Quand on l’eut rencontré, il fut gardé à vue par le peuple. On adressa un rapport au très clément empereur Valentimen, qui apprit avec la plus grande joie qu'on choisissait pour remplir les fonctions du sacerdoce ceux qu'il avait envoyés pour être juges. Le préfet Probus était dans l’allégresse de voir accomplir en saint Ambroise la parole qu'il lui avait dite alors qu'il lui donnait ses pouvoirs lors de son départ : « Allez, agissez comme un évêque plutôt que comme un juge. » Le rapport était encore chez l’empereur, quand Ambroise se cacha derechef, mais on le trouva. Comme il n'était que catéchumène, il fut baptisé et huit jours après il fut installé sur la chaire épiscopale. Quatre ans après, il alla à Rome, et comme sa soeur, qui était religieuse, lui baisait la main, il lui dit en souriant : « Voilà ce que je te disais ; tu baises la main du prêtre. »

Etant allé dans une ville pour ordonner un évêque, à l’élection duquel l’impératrice Justine et d'autres hérétiques s'opposaient, en voulant que quelqu'un de leur secte fût promu, une vierge du parti des Ariens, plus insolente que les autres, monta au tribunal et saisit saint Ambroise par son vêtement, dans l’intention de l’entraîner du côté où étaient les femmes, afin que, saisi par elles, il fût chassé de l’église honteusement.

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Ambroise lui dit: «Encore que je, sois indigne d'être revêtu de la dignité sacerdotale, il ne vous appartient cependant point de porter les mains sur tel prêtre que ce soit. Et, vous devez craindre le jugement de Dieu de peur :qu'il né vous en arrive malheur. » Ce mot se trouva vérifié, car, le jour suivant, cette fille mourut. Saint Ambroise accompagna son corps jusqu'au lieu de la sépulture, rendant ainsi un bienfait pour un affront. Cet événement jeta l’épouvante partout. Après cela, il revint à Milan oit l’impératrice Justine lui tendit une foule d'embûches, en excitant le peuple contre le saint par ses largesses et par les honneurs qu'elle accordait. On cherchait tous les moyens de l’envoyer en exil, au point qu'un homme plus malheureux que les autres s'était laissé emporter à un degré de fureur telle qu'il avait loué une maison auprès de l’église et y tenait un char tout prêt pour, sur l’ordre de Justine, le traîner plus rapidement en exil. Mais, par un jugement de Dieu, le jour même qu'il pensait se saisir de lui, il fut emmené de la même maison lui-même en exil avec le même char. Ce qui n'empêcha pas saint Ambroise de lui fournir tout ce qui était nécessaire à sa subsistance, rendant ainsi le bien pour le mal. Il composa le chant et' l’office de l’église de Milan. En ce temps-là il y avait à Milan un grand nombre de personnes obsédées par le démon, criant à haute voix qu'elles, étaient tourmentées par saint Ambroise. Justine et bon nombre d'Ariens qui vivaient ensemble disaient qu'Ambroise se procurait des hommes à prix d'argent pour dire faussement qu'ils étaient maltraités par des esprits immondes, et qu'ils étaient tourmentés par Ambroise.

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Alors tout à coup, un arien qui se trouvait là fut saisi par le démon et se jeta au milieu de l’assemblée en criant: « Puissent-ils être tourmentés comme je le suis, ceux qui ne croient pas à Ambroise. » Mais les ariens confus tuèrent cet homme en le noyant dans une piscine. Un hérétique, homme très subtil dans la dispute, dur, et qu'on ne pouvait convertir à la foi, entendant prêcher saint Ambroise, vit un ange qui disait à l’oreille du saint les paroles qu'il adressait au peuple. A cette vue, il se mit à défendre la foi qu'il persécutait. Un aruspice conjurait les démons et les envoyait pour nuire à saint Ambroise; mais les démons revenaient en disant qu'ils ne pouvaient approcher de sa personne, ni même avancer auprès des portes de sa maison, parce qu'un feu infranchissable entourait l’édifice entier en sorte qu'ils étaient brûlés quoiqu'ils se plaçassent au loin. Il arriva que ce même devin étant condamné aux tourments par le juge pour divers maléfices, criait qu'il était tourmenté davantage encore par Ambroise. Le démon sortit d'un démoniaque qui entrait dans Milan, mais il rentra en lui quand il quitta la ville. On en demanda la cause au démon: il répondit qu'il craignait Ambroise. Un autre, entra une nuit dans la chambre du saint pour le tuer avec une épée : c'était Justine qui l’y avait poussé par ses prières et par son argent ; mais au moment qu'il levait l’épée pour le frapper, sa main se sécha. Les habitants de Thessalonique avaient insulté l’empereur Théodose, celui-ci leur pardonna à la prière de saint Ambroise; mais la malignité des courtisans s'emparant de l’affaire, beaucoup de personnes furent tuées par l’ordre du prince, à l’insu du saint.

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Aussitôt qu'Ambroise en eut eu connaissance, il refusa à Théodose l’entrée de l’église. Comme celui-ci lui disait que David avait commis un adultère et un homicide, le saint répondit : « Vous l’avez imité dans ses. fautes, imitez-le dans son repentir. » Ces paroles furent reçues de si bonne grâce par le très clément empereur qu'il ne refusa pas de se soumettre à une sincère pénitence. Un démoniaque se mit à crier qu'il était tourmenté par Ambroise. Le saint lui dit: «Tais-toi, diable, car ce n'est pas Ambroise qui te tourmente, c'est ton envie, tu vois des hommes monter d'où tu as été précipité honteusement mais Ambroise ne sait point prendre d'orgueil. » Et le possédé se tut à l’instant.

Une fois que saint Ambroise allait par la ville, quelqu'un tomba et resta étendu par terre ; un homme qui le vit se mit à rire. Ambroise lui dit: « Vous qui êtes debout, prenez garde' de tomber aussi. » A ces mets cet homme fit une chute et regretta bien de s'être moqué de l’autre. Une fois, saint Ambroise vint intercéder en faveur de quelqu'un, Macédonius, maître dis offices; mais ayant trouvé fermées les portes de son palais et ne pouvant entrer, il dit: « Tu viendras à ton tour à l’église et tu ne pourras y entrer, quoique les portes n'en soient pas fermées, et qu'elles soient toutes grandes ouvertes. » Après un certain laps de temps, Macédonius, par crainte de ses ennemis, s'enfuit à l’église, mais il ne put en trouver l’entrée, quoique les portes fussent ouvertes. L'abstinence du saint évêque était si rigoureuse qu'il jeûnait tous les jours, excepté le samedi, le dimanche et les principales fêtes.

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Il faisait de si abondantes largesses qu'il donnait tout ce qu'il pouvait avoir aux églises et aux pauvres, et ne gardait rien pour lui. Il était rempli d'une telle compassion que si quelqu'un venait lui confesser ses péchés, il pleurait avec une amertume telle, que le pécheur était forcé lui-même de pleurer. Son humilité et son amour du travail allaient au point de lui faire écrire lui-même de sa propre main les livres qu'il composait, à moins qu'il n'eût été malade gravement. Sa piété et sa douceur étaient si grandes que quand on lui annonçait la mort d'un saint prêtre ou d'un évêque, il versait des larmes tellement amères qu'il était presque inconsolable. Or, comme on lui demandait pourquoi il pleurait ainsi les saints personnages qui allaient au ciel, il disait: «Ne croyez pas que je pleure de les voir partir, mais de les voir me prévenir: en outre, il est difficile de trouver quelqu'un digne de remplir de pareilles fonctions. » Sa constance et sa force d'âme étaient telles qu'il ne flattait ni l’empereur, ni les princes, dans leurs désordres, mais qu'il les reprenait hautement et sans relâche. Un homme avait commis un crime énorme et avait, été amené à saint Ambroise qui dit: « Il faut le livrer à Satan pour mortifier sa chair, de peur qu'il n'ait l’audace de, commettre encore de pareils crimes. » Au même moment, comme il avait encore ces mots à la bouche l’esprit immonde le déchira. On rapporte qu'une fois saint Ambroise allant à Rome reçut l’hospitalité dans une maison de campagne en Toscane, chez un homme excessivement riche, auprès duquel il s'informa avec intérêt de sa position.

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« Ma position, lui répondit cet homme, a toujours été accompagnée de bonheur et de gloire. Voyez en effet, je regorge de richesses, j'ai des esclaves et des domestiques en grand nombre, je possède une nombreuse famille de fils et de neveux, tout  m’a toujours réussi à souhait; jamais d'adversité, jamais de tristesse. » En entendant cela Ambroise fut saisi de stupeur et dit à ceux qui l’accompagnaient: «Levons-nous, fuyons d'ici au plus vite; car e Seigneur n'est pas dans cette maison. Hâtez-vous, mes . enfants, hâtez-vous; n'apportez aucun retard dans votre fuite; de crainte que la vengeance divine ne nous saisisse ici et qu'elle ne nous enveloppe tous dans leurs péchés. » Ils sortirent et ils n'étaient pas encore éloignés que la terre s'entr'ouvrit subitement, et engloutit cet homme avec tout ce qui lui appartenait, jusqu'à n'en laisser autan vestige. A cette vue saint Ambroise dit: « Voyez, mes frères, comme Dieu traite avec miséricorde quand il donne ici-bas des adversités, et comme il est sévère et menaçant quand il accorde une suite ininterrompue de prospérités. » On raconte qu'en ce même lieu, il reste une fosse très profonde existant encore aujourd'hui comme témoignage de ce fait.

Saint Ambroise voyant l’avarice, qui est la racine de tous les maux, s'accroître de plus en plus dans les hommes et surtout dans ceux qui étaient constitués en dignité, chez lesquels tout était vénal, comme aussi dans ceux qui exerçaient les fonctions du saint ministère, il pleura beaucoup et pria avec les plus grandes instances d'être délivré des embarras du siècle:.

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Dans la joie,qu'il ressentit d'avoir obtenu ce qu'il demandait, il révéla à ses frères qu'il serait avec eux jusqu'au dimanche de la Résurrection. Peu de jours avant d'être forcé à garder le lit, comme il dictait à son secrétaire l’explication du Psaume XLIIIe, tout à coup à la vue de ce secrétaire, une manière de feu léger couvrit sa tête et peu à peu entra dans sa bouche comme un propriétaire entre dans sa maison. Alors sa figure devint blanche comme la neige ; mais bientôt après elle reprit son teint accoutumé. Ce jour-là même il cessa d'écrire et de dicter, en sorte qu'il ne put terminer le Psaume. Or, peu de jours après, sa faiblesse augmenta ; alors le comte d'Italie, qui se trouvait à Milan, convoqua tous les nobles en disant qu'après la mort d'un si grand homme, il y avait lieu de craindre que l’Italie ne vînt à déchoir, et il pria l’assemblée de se transporter auprès du saint pour le conjurer d'obtenir du Seigneur de vivre encore l’espace d'une année. Quand saint Ambroise les eut entendus, il leur répondit : « Je n'ai point vécu parmi vous de telle sorte que j'aie honte de vivre, ni ne crains point de mourir, car nous avons un bon maître. » Dans le même temps quatre de ses diacres, qui s'étaient réunis ensemble, se demandaient l’un à l’autre quel serait celui qui mériterait d'être évêque après sa mort: ils se trouvaient assez loin du lit ou le saint était couché, et ils avaient prononcé tout bas le nom de Simplicien; c'était à peine s'ils pouvaient s'entendre eux-mêmes. Ambroise tout éloigné qu'il fût cria par trois fois : « Il est vieux, mais il est bon. » En entendant cela les diacres effrayés prirent la fuite, et après la mort d'Ambroise ils n'en choisirent pas d'autre que Simplicien.

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Il vit, auprès du lieu où il était couché, J.-C. venir à lui et lui sourire d'un regard agréable. Honoré, évêque de Verceil, qui s'attendait à la mort de saint Ambroise, entendit, pendant son sommeil, une voix lui criant par trois fois : « Lève-toi, car il va trépasser. » Il se leva aussitôt, vint à Milan et administra à saint Ambroise le sacrement du corps de Notre-Seigneur; un instant après, le saint étendit, les bras en formé de croix et rendit lc dernier soupir: il proférait encore une prière. Il mourut l’an du Seigneur 399. Ce fut dans la nuit de Pâques que son corps fut porté à l’église et beaucoup d'enfants qui venaient d'être baptisés le virent les uns dans la chaire, les autres le montraient du doigt à leurs parents, montant dans la chaire; quelques autres enfin racontaient qu'ils voyaient une étoile sur son corps. Un prêtre, qui assistait à un repas avec beaucoup de convives, se mit à parler mal de saint Ambroise ; il fut à l’instant frappé d'une maladie mortelle, et il passa de la table à son lit pour y mourir bientôt après. En la ville de Carthage, trois évêques étaient à tablé et l’un d'eux ayant dit du mal de saint Ambroise, on lui rapporta ce qui était arrivé au prêtre qui l’avait calomnié ; cet évêque se moqua de cela; mais aussitôt il fut frappé à mort et expira à l’instant.

Saint Ambroise fut recommandable en bien des points. 1° Dans sa libéralité, car tout ce qu'il avait appartenait aux pauvres; aussi rapporte-t-il en parlant de soi-même que l’empereur lui demandant une basilique il lui répondit ainsi (et cette réponse se trouve dans le Décret Convenior, XXIII question 8) : «S'il me demandait quelque chose qui fût à moi, comme mes biens-fonds, mon argent, et choses semblables qui sont ma propriété, je ne ferais pas de résistance, quoique tout ce qui est à. moi appartienne aux pauvres. » 2° Dans la pureté et l’innocence de sa vie, car il fut vierge.

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Et saint Jérôme rapporté qu'il disait : « Non seulement nous louons la virginité, mais aussi nous la conservons. » 3° Dans la fermeté de sa foi, qui lui titi dire, alors que l’empereur lui demandait une basilique (ces mots se trouvent au chapitre cité plus haut) : « Il  m’arrachera plutôt l’âme que la foi. » 4° Par son désir du martyre. On lit à ce propos, dans sa lettre, De basilica non tradenda, que le ministre de l’empereur Valentinien lui fit dire : « Tu méprises Valentinien, je te coupe la tête. » Ambroise lui répondit : « Que Dieu vous laisse faire ce dont vous me menacez, et plaise encore à Dieu qu'il daigne détourner les fléaux dont l’Eglise est menacée afin que ses ennemis tournent tous leurs traits contre moi et qu'ils étanchent leur soif dans mon sang. » 5° Par ses prières assidues. On lit sur ce point au XIe livre de l’Histoire ecclésiastique : Ambroise, dans ses démêlés avec une reine furieuse, ne se défendait ni avec la main; ni avec des armes, mais avec des jeûnes, des, veilles continuelles, à l’abri sous l’autel, par ses obsécrations, il se donnait Dieu pour défenseur de sa cause à lui et de son Eglise. 6° Par ses larmes abondantes : il en eut pour trois causes. a) Il eut des larmes de compassion pour les fautes des autres, et saint Pantin rapporte de lui, dans sa légende, que quand quelqu'un venait lui confesser sa faute, il pleurait si amèrement qu'il faisait pleurer son pénitent ; b) il eut des larmes de dévotion dans la vue. des biens éternels.

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On a vu plus haut qu'il dit à saint Paulin quand celui-ci lui demandait pourquoi il pleurait de la sorte la mort des saints : « Je ne pleure pas, répondit-il, parce qu'ils sont décédés; mais parce qu'ils  m’ont précédé à la gloire. » c) Il eut des larmes de compassion pour les injures qu'il recevait d'autrui. Voici comme il s'ex prime en parlant de lui-même, et ces paroles sont encore rapportées dans le décret mentionné plus haut « Mes armes contre les soldats goths, ce sont mes larmes. C'est le seul rempart derrière lequel peuvent s'abriter des prêtres, je ne puis ni ne dois résister autrement.

7° Il fut recommandable pour sa constance à toute épreuve. Cette vertu brille eu lui : 1° Dans la défense de la vérité catholique. On lit à ce sujet, dans le Livre XIe de l’Histoire ecclésiastique que Justine, mère de l’empereur Valentinien, disciple des Ariens, entreprit de jeter le trouble dans l’Église, menaçant les prêtres de les chasser en exil, s'ils ne voulaient consentir à révoquer les décrets du concile de Rimini ; par ce moyen elle se débarrassait d'Ambroise qui était le mur, et la tour de l’Église. Voici les paroles que l’on chante dans la Préface de la messe de ce saint: « Vous avez (le Seigneur) affermi Ambroise dans une si grande vertu, vous l’avez orné du haut du ciel d'une si admirable constance, que par lui les démons étaient tourmentés et chassés, que l’impiété arienne était confondue, et que la tête des princes séculiers s'abaissait humblement pour porter votre joug. » 2° Dans la défense de la liberté de l’Église.

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L'empereur voulant s'emparer d'une basilique, Ambroise résista à l’empereur, ainsi qu'il l’atteste lui-même, et ses paroles sont rapportées dans le Décret XXIII, quest. 6 : « Je suis, dit-il, circonvenu parles comtes, afin de faire un abandon libre de la basilique; ils me disaient que c'était l’ordre de l’empereur, et que je devais la livrer, car il v avait droit. J'ai répondu : Si c'est mon patrimoine qu'il demande, emparez-vous-en; si c'est mon corps, j'irai le lui offrir. Me voulez-vous dans les chaînes? Qu'on  m’y mette. Voulez-vous ma mort? Je le veux encore. Je ne me ferai pas un rempart de la multitude, je n'irai pas me réfugier à l’autel, ni le tenir de mes mains pour demander la vie, mais je me laisserai immoler de bon coeur pour les autels. On  m’envoie l’ordre de livrer la basilique. D'un côté, ce sont des ordres royaux qui nous pressent, mais d'un autre côté, nous avons pour défense les paroles de l’Écriture qui nous disent : Vous avez parlé comme une insensée. Empereur, ne vous avantagez pas d'avoir, ainsi que vous le pensez, aucun droit sur les choses divines; à l’empereur les palais, aux prêtres les églises. Saint Naboth défendit sa vigne de son sang ; et s'il ne céda pas sa vigne, comment nous, céderons-nous l’église de J.-C. ? Le tribut appartient à César: qu'on ne le lui refuse pas; l’église appartient à Dieu, par la même raison qu'elle pie soit pas livrée à César. Si on me forçait; si on me demandait, soit terres, soit maison, soit or, ou argent, enfin quelque chose qui  m’appartînt, volontiers je l’offrirais, je ne puis rien détacher, rien ôter du temple de Dieu; puisque je l’ai reçu pour le conserver, et non pour le dilapider. » 3° Il fit preuve de constance en reprenant le vice et toute espèce d'iniquité.

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En effet on lit cette chronique dans l’Histoire tripartite * : Une sédition s'étant élevée à Thessalonique, quelques-uns des juges avaient été lapidés par le peuple. L'empereur Théodose indigné fit tuer tout le monde, sans distinguer les coupables des innocents. Le nombre des victimes s'éleva à cinq mille. Or, l’empereur vint à Milan et voulut entrer dans l’église, mais Ambroise alla à sa rencontre jusqu'à la porte, et lui en refusa l’entrée en disant : « Pourquoi, empereur, après un pareil acte de fureur, ne pas comprendre l’énormité de votre présomption ? Peut-être que la puissance impériale vous empêche de reconnaître vos fautes. Il est de votre dignité due la raison l’emporte sur la puissance. Vous êtes prince, ô empereur, mais vous commandez à des hommes comme vous. De quel oeil donc regarderez-vous le temple de notre commun maître? avec quels pieds foulerez-vous son sanctuaire? comment laverez-vous des mains teintes encore d'un sang injustement répandu? Oseriez-vous recevoir son sang adorable en cette bouche qui, dans l’excès de votre colère, a commandé tant de meurtres? Relevez-vous donc, retirez-vous, et n'ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez déjà commis. Recevez le joug que le Seigneur vous impose aujourd'hui est la guérison assurée et le salut pour vous. » L'empereur obit et retourna à son palais en gémissant et en pleurant.

* Liv. IX, ch. XXX.

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Or, après avoir longtemps versé des larmes, Rufin, l’un de ses généraux, lui demanda le motif d'une si profonde tristesse. L'empereur lui dit : « Pour toi, tu ne sens pas mon mal; aux esclaves et aux mendiants les temples sont ouverts mais à moi l’entrée en est interdite. » En parlant ainsi chacun de ses mots était entrecoupé par des sanglots. « Je cours, lui dit Rufin, si vous le voulez, auprès d'Ambroise, afin qu'il vous délie des liens dans lesquels il vous a enlacé. » « Tu ne pourras persuader Ambroise, repartit Théodose, car la puissance impériale ne saurait l’effrayer au point de lui faire violer la loi divine. » Mais Rufin lui promettant de fléchir l’évêque, l’empereur lui donna l’ordre d'aller le trouver. et quelques instants après il le suivit. Ambroise n'eut pas plutôt aperçu Rufin, qu'il lui dit : « Tu imites les chiens dans leur impudence, Rufin, toi, l’exécuteur d'un pareil carnage; il ne te. reste donc aucune honte, et tu ne rougis pas d'aboyer contre la majesté divine. » Comme Rufin suppliait, pour l’empereur et disait que celui-ci allait venir lui-même, Ambroise enflammé d'un zèle surhumain : « Je te déclare, lui dit-il, que je l’empêcherai d'entrer dans les saints parvis; s'il vent employer la force et agir en tyran, je suis prêt à souffrir la mort. » Rufin ayant rapporté ces paroles à l’empereur : « J'irai, lui dit celui-ci, j'irai le trouver, pour recevoir moi-même les reproches que je mérite. » Arrivé près d'Ambroise, Théodose lui demanda d'être délié de son interdit, alors Ambroise alla à sa rencontre, et lui refusa l’entrée de l’église en disant : « Quelle pénitence avez-vous faite après avoir commis de si grandes iniquités ? »

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Il répondit : « C'est à vous à me l’imposer et à moi à me soumettre. » Alors comme l’empereur alléguait que David aussi avait commis un adultère et un homicide, Ambroise lui dit : « Vous l’avez imité dans sa faute, imitez-le dans son repentir. » L'empereur reçut ces avis avec une telle gratitude qu'il ne se refusa pas à faire une pénitence publique. Quand il fut réconcilié, il vint à l’église et resta debout au chancel; Ambroise lui demanda ce qu'il attendait là : l’empereur lui ayant répondu qu'il attendait pour participer aux, saints mystères, Ambroise lui dit : « Empereur, l’intérieur de l’église est réservé aux prêtres seulement; sortez donc, et attendez les mystères avec les autres; la pourpre vous fait empereur et non pas prêtre. » A l’instant Théodose lui obéit. Revenu à Constantinople, il se tenait hors du chancel, l’évêque alors lui commanda d'entrer, et Théodose répondit : «J'ai été longtemps à savoir la différence qu'il y a entre un empereur et un évêque; c'est à peine si j'ai trouvé un maître qui  m’ait enseigné la vérité, je ne connais au monde de véritable évêque qu'Ambroise. »

Il fut recommandable, 8° par sa saille doctrine qui atteint à une grande profondeur. Saint Jérôme dans son livre sur les Douze Docteurs dit: « Ambroise plane au-dessus des profondeurs comme un oiseau qui s élance dans les airs; c'est dans le ciel qu'il cueille ses fruits. » En parlant de sa fermeté: il ajouta : «Toutes ses sentences sont des colonnes sur lesquelles s'appuient la foi, l’Eglise et toutes les vertus. » Saint Augustin dit en parlant de la beauté de son style, en son livre des Noces et des Contrats : «

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L'hérésiarque Pélage donne ces éloges à saint Ambroise : Le saint évêque Ambroise, dont les livres contiennent la doctrine romaine, brilla comme une fleur au milieu des écrivains latins. » Saint Augustin ajoute : « Sa foi et ses explications très exactes de l’Ecriture n'ont même pas été attaquées par un seul ennemi. » Sa doctrine jouit d'une grande autorité, puisque les écrivains anciens, comme saint Augustin, tenaient grand cas de ses paroles.

A ce propos saint Augustin rapporte à Janvier que sa mère s'étonnait de ce qu'on ne jeunât pas le samedi à Milan, saint Augustin en demanda la raison à saint Ambroise qui lui répondit : « Quand je vais à Rome, je jeûne le samedi. Eh bien! quand vous vous trouvez dans une église, suivez ses pratiques, si vous ne voulez scandaliser, ni être scandalisé. » Saint Augustin dit à ce propos : « Plus je réfléchis sur cet avis, plus je trouve que c'est pour moi comme un oracle du ciel. »


(60) SAINT GEORGES

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Georges est ainsi appelé de Geos, qui veut dire terre, et orge, qui signifie cultiver, cultivant la terre, c'est-à-dire sa chair. Saint Augustin au livre de la Trinité avance que la bonne terre est placée sur les hauteurs des montagnes, dans les collines tempérées et dans les plaines des champs. La première convient aux herbes verdoyantes, la seconde aux vignes, la troisième aux blés. De même saint Georges s'éleva en méprisant les choses basses; ce qui lui donna la verdeur de la pureté : il fut tempéré en discernement, aussi eut-il le vin de l’allégresse intérieure. Il fut plein d'humilité ce qui lui fit produire des fruits de bonnes oeuvres. Georges pourrait encore venir de gerar, sacré, degyon, sable, sable sacré; or, Georges fut comme le sable, lourd par la gravité de ses mœurs, menu par son humilité, et sec ou exempt de volupté charnelle. Georges viendrait de gerar, sacré, et gyon, lutte, lutteur sacré, parce qu'il lutta contre le dragon et contre le bourreau. On pourrait encore le tirer de Gero, qui veut dire pèlerin, gir, précieux *, et ys, conseiller; car saint Georges fut pèlerin dans son mépris du monde, précieux (ou coupé) dans son martyre, et conseiller dans la prédication du royaume.

Sa légende est mise au nombre des pièces apocryphes dans les actes du concile de Nicée, parce que l’histoire de son martyre n'est point authentique : on lit, dans le calendrier de Bède, qu'il souffrit en Perse dans la ville de Diaspolis, anciennement appelée Lidda, située près de Joppé. On dit ailleurs qu'il souffrit sous, les empereurs Dioclétien et Maximien : on voit autre part que ce fut sous l’empire de Dioclétien, en présence de 70 rois de son empire; d'autres enfin prétendent que ce fut sous le président Dacien, sous l’empire de Dioclétien et de Maximien.

Georges **, tribun, né en Cappadoce, vint une fois à Silcha, ville de la province de Lybie. A côté de cette cité était un étang grand comme une mer, dans lequel se cachait un dragon pernicieux, qui souvent avait fait reculer le peuple venu avec des armes pour le tuer; il lui suffisait d'approcher des murailles de la ville pour détruire tout le monde de son souffle.

* D'après D'après les premières éditions, ce serait tranché, praecisus.
**Cette légende se compose d'une première vie de saint Georges que J. de Voragine reconnaît apocryphe. La seconde lui paraît meilleure. Papebroch a donné les actes de ce saint et il les a longuement et savamment discutés. Tous les martyrologes s'accordent à attribuer au culte de saint Georges une grande importance. Fortunat (liv. II, carm. XV) raconte les différents supplices que le saint, eut à souffrir.

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Les habitants se virent forcés de lui donner tous les jours deux brebis, afin d'apaiser sa fureur; autrement, c'était comme s'il s'emparait des murs de la ville; il infectait l’air, en sorte que beaucoup en mouraient. Or, les brebis étant venues à manquer et ne pouvant. être fournies en quantité suffisante, on décida dans un conseil qu'on donnerait une brebis et qu'on y ajouterait un homme. Tous les garçons et les filles étaient désignés par le sort, et il n'y avait d'exception pour personne. Or, comme il n'en restait presque plus, le sort vint à tomber sur la fille unique du roi, qui fut par conséquent destinée au monstre. Le roi tout contristé dit : « Prenez l’or, l’argent, la moitié de mon royaume, mais laissez-moi ma fille, et qu'elle ne meure pas de semblable mort. » Le peuple lui répondit avec fureur : « O Roi, c'est toi, qui as porté cet édit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille ? Si tu ne fais pour ta fille ce que tu as ordonné pour les autres, nous te brûlerons avec ta maison.» En entendant ces mots, le roi se mit à pleurer sa fille en disant:

« Malheureux que je suis! ô ma tendre fille, que faire de toi? que dire? je ne verrai donc jamais tes noces? » Et se tournant vers le peuple : « Je vous en prie, dit-il, accordez-moi huit jours de délai pour pleurer ma fille. » Le peuple y ayant consenti, revint en fureur ait bout de huit jours, et il dit au roi : « Pourquoi perds-tu le peuple pour ta fille ? Voici que nous mourons tous du souffle du dragon. »

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Alors le roi, voyant qu'il ne pourrait délivrer sa fille, la fit revêtir d'habits royaux et l’embrassa avec larmes en. disant : « Ah que je suis malheureux ! ma très douce. fille, de ton sein j'espérais élever des enfants de race royale, et maintenant tu vas être dévorée par le dragon. Ah ! malheureux que je suis ! ma très douce fille, j'espérais inviter des princes à tes noces, orner ton palais de pierres précieuses, entendre les instruments et les tambours, et tu vas être dévorée par le dragon. » Il l’embrassa et la laissa partir en lui disant : « O ma fille, que ne suis-je mort avant toi pour te perdre ainsi ! » Alors elle se jeta aux pieds de son père pour lui demander sa bénédiction, et le père l’ayant bénie avec larmes, elle se dirigea vers le lac.

Or, saint Georges passait par hasard par là : et la voyant pleurer, il lui demanda ce qu'elle avait. » Bon jeune homme, lui répondit-elle, vite, monte sur ton cheval ; fuis, si tu ne veux mourir avec moi. » N'aie pas peur, lui dit Georges, mais dis-moi, ma fille, que vas-tu faire en présence de tout ce monde? » Je vois, lui dit la fille, que tu es un bon jeune homme; ton coeur est généreux : mais pourquoi veux-tu mourir avec moi? vite, fuis! » Georges, lui dit : « Je ne  m’en irai pas avant que tu ne  m’aies expliqué ce que tu as. » Or, après qu'elle l’eut instruit totalement, Georges lui dit : « Ma fille, ne crains point, car au nom de J.-C., je t'aiderai. » Elle lui dit : « Bon soldat ! mais hâte-toi de te sauver, ne péris pas avec moi ! C'est assez de mourir seule; car tu ne pourrais me délivrer et nous péririons ensemble. » Alors qu'ils parlaient ainsi, voici que le dragon s'approcha en levant la tête au-dessus du lac. La jeune fille toute tremblante dit : « Fuis, mon seigneur, fuis vite. « A l’instant Georges monta sur son cheval, et se fortifiant du signe de la croix, il attaque avec audace le dragon qui avançait sur lui : il brandit sa lance avec vigueur, se recommande à Dieu, frappe le monstre avec force et l’abat par terre .

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 « Jette, dit Georges à la fille du roi, jette ta ceinture au cou du dragon ; ne crains rien, mon enfant. » Elle le fit et le dragon la suivait comme la chienne la plus douce. Or, comme elle le conduisait dans la ville, tout le peuple témoin de cela se mit à fuir par monts et par vaux en disant :

« Malheur à nous, nous allons tous périr à l’instant! » Alors saint Georges leur fit signe en disant : « Ne craignez rien, le Seigneur  m’a envoyé exprès vers vous afin que je vous délivre des malheurs que vous causait ce dragon, seulement croyez en J.-C., et que chacun de vous reçoive le baptême, et je tuerai le monstre. » Alors le roi avec tout le peuple reçut le baptême, et saint Gorges, ayant dégainé son épée, tua le dragon et ordonna de le porter hors de la ville. Quatre paires de boeufs le traînèrent hors de la cité dans une vaste plaine. Or, ce jour-là vingt mille hommes furent baptisés, sans compter les enfants et les femmes.

Quant au roi, il fit bâtir en l’honneur de la bienheureuse Marie et de saint Georges une église d'une grandeur admirable. Sous l’autel, coule une fontaine dont l’eau guérit tous les malades : et le roi offrit à saint Georges de l’argent en quantité infinie; mais le saint ne le voulut recevoir et le fit donner aux pauvres. Alors saint Georges adressa au roi quatre avis fort succincts. Ce fut d'avoir soin des églises de Dieu, d'honorer les prêtres, d'écouter avec soin l’office divin et de n'oublier jamais les pauvres. Puis après avoir embrassé le roi, il s'en alla.

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Toutefois on lit en certains livres que, un dragon allait dévorer une jeune fille, Georges se munit d'une croix, attaqua le dragon et le tua. En ce temps-là, étaient empereurs Dioclétien et Maximien, et sous le président Dacien, il v eut une si violente persécution contre les chrétiens, que dans l’espace d'un mois, dix-sept mille d'entre eux reçurent la couronne du martyre. Au milieu des tourments, beaucoup de chrétiens faiblirent et sacrifièrent aux idoles. Saint Georges à cette vue fut touché au fond du coeur; il distribua tout ce qu'il possédait, quitta l’habit militaire, prit celui des chrétiens et s'élançant au milieu des martyrs, il s'écria : « Tous les dieux des gentils sont des démons; mais c'est le Seigneur qui a fait les cieux! » Le président lui dit en colère : « Qui t'a rendu si présomptueux d'oser appeler nos dieux des démons ? Dis-moi ; d'où es-tu et quel est ton nom? » Georges lui répondit : « Je  m’appelle Georges, je suis d'une noble race de la Cappadoce ; j'ai vaincu la Palestine par la faveur de J.-C. mais j'ai tout quitté pour servir plus librement le Dieu du ciel. » Comme le président ne le pouvait gagner, il ordonna de le suspendre au chevalet et de déchirer chacun de ses membres avec des ongles de fer; il le fit brûler avec des torches, et frotter avec du sel ses plaies et ses entrailles qui lui sortaient du corps. La nuit suivante, le Seigneur apparut au saint, environné d'une immense lumière et il le réconforta avec douceur. Cette bonne vision et ces paroles l’affermirent au point qu'il comptait ses tourments pour rien. Dacien voyant qu'il ne pouvait, le vaincre par les tortures, fit venir un magicien auquel il dit : « Les chrétiens, par leurs maléfices, se jouent des tourments et font peu de cas de sacrifier à nos dieux. »

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Le magicien lui répondit : « Si je ne réussis pas à surmonter leurs artifices, je veux perdre la tête. » Alors il composa ses maléfices, invoqua les noms de ses dieux, mêla du poison avec du vin et le donna à prendre à saint Georges. Le saint fit dessus le signe de la croix et but : mais il n'en ressentit aucun effet. Le magicien composa une dose plus forte, que le saint, après avoir fait le signe de la croix, but toute entière sans éprouver le moindre mal. A cette vue, le magicien se jeta aussitôt aux pieds de saint Georges, lui demanda pardon en pleurant d'une façon lamentable et sollicita la faveur d'être fait chrétien. Le juge le fit décapiter bientôt après.

Le jour suivant, il fit étendre Georges sur une roue garnie tout autour d'épées tranchantes des deux côtés:, mais à l’instant la roue se brisa et Georges fut trouvé complètement sain. Alors le juge irrité le fit jeter dans une chaudière pleine de plomb fondu. Le saint fit le signe de la croix, y entra, mais par la vertu de Dieu, il y était ranimé comme dans un bain. Dacien, à cette vue, pensa l’amollir par des caresses, puisqu'il ne pouvait le vaincre par ses menaces : « Mon fils Georges, lui dit-il, tu vois de quelle mansuétude sont nos dieux, puisqu'ils supportent tes blasphèmes si patiemment, néanmoins, ils sont disposés à user d'indulgence envers toi, si tu veux te convertir. Fais donc; mon très cher fils, ce à quoi je t'exhorte ; abandonne tes superstitions pour sacrifier à nos dieux, afin de recevoir d'eux et de nous de grands honneurs. »

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Georges lui dit en souriant : « Pourquoi ne pas  m’avoir parlé avec cette douceur avant de me tourmenter ? Me voici prêt à faire ce à quoi tu  m’engages. » Dacien, trompé par cette concession, devient tout joie., fait annoncer par le crieur public qu'on ait à s'assembler auprès de lui pour voir Georges, si longtemps rebelle, céder enfin et sacrifier. La cité toute entière s'embellit de joie. Au moment où Georges entrait dans le temple des idoles pour sacrifier, et quand tous les assistants étaient dans l’allégresse, il se mita genoux et pria le Seigneur, pour son honneur et pour la conversion du peuple, de détruire tellement de fond en comble le temple avec ses idoles qu'il n'en restât absolument rien. A l’instant le feu du ciel, descendit sur le temple, le brûla avec les dieux et leurs prêtres : la terre s'entr'ouvrit et engloutit tout ce qui en restait. C'est à cette occasion que saint Ambroise s'écrie dans la Préface du saint : « Georges très fidel soldat de J.-C. confessa seul parmi les chrétiens, avec intrépidité, le Fils de Dieu, alors que la profession qu'il faisait du christianisme était protégée sous le voile du silence. Il reçut de, la grâce divine une: si grande constance qu'il méprisait les ordres d'un pouvoir tyrannique et qu'il ne redoutait point les tourments de supplices innombrables. O noble et heureux guerrier du Seigneur! que la promesse flatteuse d'un royaume temporel ne séduisit pas, mais qui, en trompant le persécuteur, précipita dans l’abîme les simulacres des fausses divinités! » (Saint Ambroise.)

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Dacien, en apprenant cela, se fit amener Georges auquel il dit : « Quelle a été ta malice, ô le plus méchant des hommes, d'avoir commis un pareil crime? » Georges lui répondit : « O roi, n'en crois rien; mais viens avec moi et tu me verras encore une fois immoler. » « Je comprends ta fourberie, lui dit Dacien; car  tu veux me faire engloutir comme tu as fait du temple et de mes dieux. » Georges lui répliqua :«Dis-moi, misérable, tes dieux qui n'auront pu s'aider eux-mêmes, comment t'aideront-ils?» Alors le roi outré de colère dit à Alexandrie, son épouse : « Je suis vaincu et je mourrai, car je me vois surmonté par cet homme. » Sa femme lui dit : « Bourreau et cruel tyran, ne t'ai-je pas dit trop souvent de ne pas inquiéter les chrétiens, parce que leur Dieu combattrait pour eux? Eh bien ! apprends que je veux me faire chrétienne. » Le roi stupéfait dit : « Ah! quelle douleur! serais-tu aussi séduite? » Et il la fit suspendre par les cheveux et battre très cruellement avec des fouets. Pendant son supplice, elle dit à Georges : « Georges, lumière de vérité, où penses-tu que je parvienne, puisque je n'ai pas encore été régénérée par l’eau du baptême? » « N'appréhende rien, ma fille, lui répondit le saint, le sang que tu vas répandre te servira de baptême et sera ta couronne. » Alors elle rendit son âme au Seigneur en priant. C'est ce qu'atteste saint Ambroise en disant dans la préface :  C'est pourquoi la reine des Perses, qui avait été condamnée par la sentence de son cruel mari, quoiqu'elle n'eût pas reçu la grâce du baptême, mérita la palme d'un martyre glorieux aussi ne pouvons-nous douter que la rosée de son sang; ne lui ait ouvert les portes du ciel, et qu'elle n'ait mérité de posséder le royaume des cieux. » (Saint Ambr.)

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Or, le jour suivant, saint Georges fut condamné à être traîné par toute la ville et à avoir la tète tranchée. Il pria alors le Seigneur de vouloir bien accorder suite à la prière de quiconque implorerait son secours; et une voix du ciel se fit entendre et lui dit qu'il serait fait comme il avait demandé. Son oraison achevée, il consomma son martyre en ayant la tête coupée, sous Dioclétien et Maximien qui régnèrent vers l’an de N.-S. 287. Or, comme Dacien revenait du lieu du supplice à son palais, le feu du ciel descendit sur lui et le consuma avec ses gardes. Grégoire de Tours raconte * que des personnes portant des reliques .de saint Georges qui avaient été hébergées dans un oratoire, ne purent au matin mouvoir sa châsse en aucune manière, jusqu'à ce qu'ils eussent laissé là une parcelle des reliques. — On lit dans l’Histoire d'Antioche, que les chrétiens allant au siège de Jérusalem, un très beau jeune homme apparut à un prêtre et lui donna avis que saint Georges était le général des chrétiens, qu'ils eussent à porter avec eux ses reliques à Jérusalem où il serait lui-même avec eux. Et comme on assiégeait la ville et que la résistance des Sarrasins ne permettait pas de monter à l’assaut, saint Georges, revêtu d'habits blancs et armé d'une croix rouge, apparut et fit signe aux assiégeants de monter sans crainte après lui, et qu'ils se rendraient maitres de la place. Animés par cette vision, les chrétiens furent vainqueurs et massacrèrent les Sarrasins.

* De gloria martyrum, cap. CI.


 (61) SAINT MARC, ÉVANGÉLISTE

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Marc veut dire sublime en commandement, certain, abaissé et amer. Il fut sublime en commandement par la perfection de sa vie, car non seulement, il observa les commandements qui sont communs à tous, mais encore ceux qui sont sublimes, tels que les conseils. Il fut certain en raison de la certitude de la doctrine dans son évangile, parce que cette certitude a pour garant saint Pierre, son maître, de qui il l’avait appris. Il fut abaissé, en raison de sa profonde humilité, qui lui fit, dit-on, se couper le pouce, afin de ne pas être trouvé capable d'être prêtre. Il fut amer en raison de l’amertume du tourment. qu'il endura lorsqu'il fut traîné par la ville, et, qu'il rendit l’esprit au milieu des supplices. Ou bien Marc vient de Marco, qui est une masse, dont le même coup aplatit le fer, produit la mélodie, et affermit l’enclume. De même saint Marc, par l’unique doctrine de son évangile, dompte la perfidie des hérétiques, dilate la louange divine et affermit l’Eglise.

Marc, évangéliste, prêtre de la tribu de Lévi, fut, par le baptême, le fils de saint Pierre, apôtre, dont, il était le disciple en la parole divine. Il alla à Rome avec ce saint. Comme celui-ci v prêchait la bonne nouvelle, les fidèles de Rome prièrent saint Marc de vouloir écrire l’Evangile, pour l’avoir toujours présent à la mémoire. Il le leur écrivit loyalement, tel qu'il l’avait appris de la bouché de son maître saint Pierre, qui l’examina avec soin, et après avoir vu qu'il était plein de vérité, il l’approuva et le jugea digne d'être reçu par tous les fidèles**.

* Ordéric Vital raconte (Hist. Eccl., part. I, liv. II, c. XX) chacun des faits consignés dans la légende de saint Marc.
**Saint Jérôme, Vir. illustr., c. VIII; — Clément d'Alexandrie, dans Eusèbe, l. II, c. XV.

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Saint Pierre, considérant que Marc était constant dans la foi, le destina pour Aquilée, où après avoir prêché la parole de Dieu, . il convertit des multitudes innombrables de gentils à J.-C. On dit que là aussi, il écrivit son évangile que l’on montre encore à présent dans l’église d'Aquilée, où on le garde avec grand respect. Enfin saint Marc conduisit à Rome, auprès de saint Pierre, un citoyen d'Aquilée, nommé Ermagoras, qu'il avait converti à la foi afin que l’apôtre le consacrât évêque d'Aquilée. Ermagoras, après avoir reçu la charge du pontificat, gouverna avec zèle cette église : il fut pris ensuite par les infidèles et reçut la couronne du martyre. Pour saint Marc, il fut envoyé par saint Pierre à Alexandrie, où il prêcha le premier la parole de Dieu *. A son entrée dans cette ville, au rapport de Philon, juif très disert, il se forma une assemblée immense qui reçut la foi et pratiqua la dévotion et la continence. Papias, évêque de Jérusalem, fait de lui le plus grand éloge en très beau langage ; et voici ce que Pierre Damien dit à son sujet : « Il jouit d'une si grande influence à Alexandrie, que tous ceux qui venaient en foule pour être instruits dans la foi, atteignirent bientôt au sommet de la perfection, par la pratique de la continence; et de toutes sortes de bonnes.. oeuvres, en sorte que l’on eût dit une communauté de moines. On devait ce résultat moins aux miracles extraordinaires de saint Marc et à l’éloquence de ses prédications, qu'à ses exemples éminents. »

* Eusèbe, c. XVI ; Epiphan., LI, c. VI; saint Jér., ibid.

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Le même Pierre Damien ajoute qu'après sa mort, son corps fut ramené en Italie, afin que la terre où il lui avait été donné d'écrire son Evangile, eût l’honneur de posséder ses dépouilles sacrées. « Tu es heureuse, ô Alexandrie, d'avoir été arrosée de son sang glorieux, comme toi, en Italie, tu ne l’es pas moins de posséder un si rare trésor. »

On rapporte que saint Marc fut doué d'une si grande Humilité qu'il se coupa le pouce afin que l’on ne songeât pas à l’ordonner prêtre *. Mais par une disposition de Dieu et par l’autorité de saint Pierre, il fut choisi pour évêque d'Alexandrie: A son entrée dans cette ville, sa chaussure se rompit et se déchira subitement; il comprit intérieurement ce que cela signifiait, et dit : « Vraiment, le Seigneur a raccourci mon chemin, et Satan ne sera pas un obstacle pour moi, puisque le Seigneur  m’a absous des oeuvres de mort. » Or, Marc voyant un savetier qui cousait de vieilles chaussures, lui donna la sienne à raccommoder : mais en le faisant, l’ouvrier se blessa. grièvement à la main . gauche, et se mit à crier : « Unique Dieu. » En l’entendant, l’homme de Dieu dit : « Vraiment le Seigneur a rendu mon voyage heureux. » Alors il fit de la boue avec sa salive et de la terre, l’appliqua sur la main du savetier qui fut incontinent guéri. Cet homme, voyant le pouvoir extraordinaire de Marc, le fit entrer chez lui et lui demanda qui il était, et d'où il venait. Marc lui avoua être le serviteur du Seigneur Jésus.

* Isidore de Sév., Vies et morts illustres, ch. LIV.

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L'autre lui dit : « Je voudrais bien le voir. » Je te le montrerai, lui répondit saint Marc. » Il se mit alors à lui annoncer l’Evangile de J.-C. et le baptisa avec tous ceux de sa maison. Les habitants de la ville ayant appris l’arrivée d'un Galiléen, qui méprisait les. sacrifices de leurs dieux, lui tendirent des pièges. Saint Marc, en ayant été instruit, ordonna évêque Anianus, cet homme-là même qu'il avait guéri *, et partit pour la Pentapole, où il resta deux ans, après lesquels il revint à Alexandrie. Il y avait fait élever une église sur les rochers qui bordent la mer, dans un lieu appelé Bucculi ** ; il y trouva le nombre des chrétiens augmenté. Or, les prêtres des temples cherchèrent à le prendre; et le jour de Pâques, comme saint Marc célébrait la- messe, ils s'assemblèrent tous au lieu où était le saint, lui attachèrent une corde au cou et le traînèrent par toute la ville en disant : « Traînons le buffle au Bucculi ***. » Sa chair et son sang étaient épars sur la terre et couvraient les pierres, ensuite il fut, enfermé dans une prison où un ange le fortifia. Le Seigneur J.-C. lui-même daigna le visiter et lui dit pour, le conforter : « La paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste; ne crains rien car je suis avec toi pour te délivrer. » Le matin arrivé, ils lui jettent encore une fois une corde au cou, et le traînent çà et là en criant : « Traînez le buffle au Bucculi. »

* Actes de saint Marc.
** Probablement: l’abattoir.
*** A l’abattoir.

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Au milieu de ce supplice, Marc rendait grâces à Dieu en disant : « Je remets mon esprit entre vos mains. » Et en prononçant ces mots, il expira. C'était sous Néron, vers l’an 57. Comme les païens le voulaient brûler, soudain, l’air se trouble, une grêle s'annonce, les tonnerres grondent, les éclairs brillent, tout le monde s'empressa de fuir, et le corps du saint reste intact. Les chrétiens le prirent et l’ensevelirent dans l’église en toute révérence. Voici le portrait de saint Marc * : Il avait le nez long, les sourcils abaissés, les yeux beaux, le front un, peu chauve, la barbe épaisse. Il était de belles manières, d'un âge moyen ; ses cheveux commençaient à blanchir, il était affectueux, plein de mesure et rempli de la grâce de Dieu. Saint Ambroise dit de lui : « Comme le bienheureux Marc brillait par des miracles sans nombre, il arriva qu'un cordonnier auquel il avait donné sa chaussure à raccommoder, se perça la main gauche dans son travail, et en se faisant la blessure, il cria: «ô Dieu!» Le serviteur de Dieu fut tout joyeux de l’entendre : il prit de la boue qu'il fit avec sa salive, en oignit la main de l’ouvrier qu'il guérit à l’instant et avec laquelle cet homme put continuer son travail. Comme le Sauveur il guérit aussi un aveugle-né.

* Un ms. de la Bibliothèque de Saint-Victor, coté 28 et cité par Ducange donne en ces termes le portrait du saint : « La forme de saint Marc fu tele, lonc nés, sourciz yautis, biaus par iex, les cheveux cercelés, longe barbe, de très bele composition de cors, de moien eaige » Gloss. ° Eagium.

L'an de l’Incarnation du Seigneur 468, du temps de l’empereur Léon, des Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d'Alexandrie à Venise, où fut élevée, en l’honneur du saint, une église d'une merveilleuse beauté.

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— Des marchands vénitiens, étant allés à Alexandrie; firent tant par dons et par promesses auprès de deux prêtres, gardiens du corps de saint Marc, que ceux-ci le laissèrent enlever en cachette et emporter à Venise. Mais comme on levait le corps du tombeau, une odeur si pénétrante se répandit dans Alexandrie que tout le,monde s'émerveillait d'où pouvait venir une pareille suavité. Or; comme les marchands étaient en pleine mer, ils découvrirent aux navires qui allaient de conserve avec eux qu'ils portaient le corps de saint Marc; un des gens dit : « C'est probablement le corps de quelque Egyptien que l’on vous a donné, et vous pensez emporter le corps de saint Marc. » Aussitôt le navire qui portait le corps de saint Marc vira de bord avec une merveilleuse célérité et se heurtant contre le navire où se trouvait celui. qui venait de parler, il en brisa un côté. Il ne s'éloigna point avant que tous ceux qui le montaient n'eussent acclamé qu'ils croyaient que le corps de saint Marc s'y trouvât.

Une nuit, les navires étaient emportés par un courant très rapide, et les nautoniers; ballottés par la tempête et enveloppés de ténèbres, ne savaient où ils allaient; saint Marc apparut au moine gardien de son corps, et lui dit : « Dis à tout ce monde de carguer vite les voiles, car ils ne sont pas loin de la terre. » Et on les cargua. Quand le matin fut. venu, on se trouvait vis-à-vis une île. Or, comme on longeait divers rivages, et qu'on cachait à tous le saint trésor, des habitants vinrent et crièrent : « Oh! que vous êtes heureux, vous qui portez le corps de saint Marc ! Permettez que nous lui rendions nos profonds hommages. »

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— Un matelot encore tout à fait incrédule est saisi par le démon et vexé jusqu'au moment où, amené auprès du corps, il avoua qu'il croyait que c'était celui de saint Marc. Après avoir été délivré, il rendit gloire à Dieu et eut par la suite une grande dévotion au saint.

Il arriva que, pour conserver avec plus de précaution le corps de saint Marc, on le déposa au bas d'une colonne de marbre, en présence d'un petit nombre de personnes; mais par le cours du temps, les témoins étant morts, personne ne pouvait savoir, ni reconnaître, à aucun indice, l’endroit où était le saint trésor. Il y eut des pleurs dans le clergé, une grande désolation chez les laïcs, et un chagrin profond dans tous. La peur de ce peuple dévot était en effet qu'un patron si recommandable n'eût été enlevé furtivement. Alors on indique un jeûne solennel, on ordonne une procession plus solennelle. encore ; mais voici que, sous les yeux et à la surprise de tout le monde, les pierres se détachent de la colonne et laissent voir à découvert la châsse où le corps était caché. A l’instant on rend des actions de grâces au Créateur qui a daigné révéler le saint patron ; et ce jour, illustré par la gloire d'un si grand prodige, fut fêté dans la suite des temps *.

P468  

— Un jeune homme, tourmenté par un cancer dont les vers lui rongeaient la poitrine, se mit à implorer d'un coeur dévoué les suffrages de saint Marc; et voici que, dans son sommeil, un homme en habit de pèlerin lui apparut se hâtant dans sa marche. Interrogé par lui qui il était et où il allait en marchant si vite, il lui répondit qu'il était saint Marc, qu'il courait porter secours à un navire en péril. qui l’invoquait. Alors il étendit la main, en toucha le malade qui, en se réveillant le matin, se sentit complètement guéri. Un instant après le navire entra dans le port de Venise et ceux qui le montaient racontèrent le péril dans lequel ils s'étaient trouvés et comme saint Marc leur était venu en aide. On rendit grâces pour ces deux miracles et Dieu fut proclamé admirable dans Marc, son saint.

* Au 23 juin.

— Des marchands de Venise qui allaient à Alexandrie sur un vaisseau sarrasin, se voyant dans un péril imminent, se jettent dans une chaloupe, coupent la corde, et aussitôt le navire est englouti dans les flots qui enveloppent tous les Sarrasins. L'un d'eux invoqua saint Marc et fit comme il put, voeu de recevoir le baptême et de visiter son église, s'il lui prêtait secours. A l’instant, un personnage éclatant lui apparut, l’arracha des flots et le mit avec les autres ans la chaloupe. Arrivé à Alexandrie, il fut ingrat envers son libérateur et ne se pressa ni d'aller à l’église de saint Marc, ni de recevoir les sacrements de notre foi. Derechef saint Marc lui apparut et lui reprocha son ingratitude. Il rentra donc en lui-même, vint à Venise, et régénéré dans les fonts sacrés du baptême, il reçut le nom de Marc. Sa foi en J.-C. fut parfaite et il finit sa vie dans les bonnes oeuvres.

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— Un homme qui travaillait au haut du campanile de saint Marc de Venise, tombe tout à coup à l’improviste; ses membres sont déchirés par lambeaux; mais, dans sa chute, il se rappelle saint Marc, et implore son patronage alors il rencontre une poutre qui le retient. On lui donne une corde et il s'en relève sans blessure; il remonte ensuite à son travail avec dévotion pour le terminer.

— Un esclave au service d'un noble habitant de la Provence, avait fait voeu de visiter le corps de saint Marc; mais il n'en pouvait obtenir la permission : enfin il tint moins de compte de la peur, de son maître temporel que de son maître céleste. Sans prendre congé;, il partit avec dévotion pour accomplir son voeu. A son retour, le maître, qui était fâché, ordonna de lui arracher les yeux. Cet homme cruel fut favorisé dans son dessein par des hommes plus cruels encore qui jettent, par terre, le serviteur de Dieu, lequel invoquait saint Marc, et s'approchent avec des poinçons pour lui crever les yeux : les efforts qu'ils tentent sont inutiles, car le fer se rebroussait et se cassait tout d'un coup. Il ordonne donc que ses jambes soient rompues et ses pieds coupés à coups de haches, mais le fer qui est dur de sa nature s'amollit comme le plomb. Il ordonne qu'on lui brise la figuré et les dents avec des maillets de fer; le fer perd sa force et s'émousse par la puissance de Dieu. A cette vue son maître stupéfait demanda pardon et alla avec son esclave visiter en grande dévotion le tombeau de saint Marc.

— Un soldat reçut au bras dans une bataille une blessure telle que sa main restait pendante. Les médecins et ses amis lui conseillaient de la faire amputer; mais ce soldat qui était preux, honteux d'être manchot, se fit remettre la main à sa place et l’assujettit avec des bandeaux sans aucun médicament. Il invoqua les suffrages de saint Marc et sa main fut guérie aussitôt : il n'y resta qu'une cicatrice qui fut un témoignage d'un si grand miracle et un monument d'un pareil bienfait.

* Est-ce le sujet d'un tableau du Tintcret ?

P470  

— Un homme de la ville de Mantoue, faussement accusé par des envieux, fut mis en une prison, où, après être resté 40 jours dans le plus grand ennui, il se mortifia par un jeûne de trois jours en invoquant le patronage de saint Marc. Ce saint lui apparaît et lui commande de sortir avec confiance de sa prison. Cet homme, que l’ennui avait endormi, ne se mit pas en peine d'obéir aux ordres du saint, tout en se croyant le jouet d'une illusion. Il eut une seconde et une troisième apparitions du saint qui lui renouvela les mêmes ordres. Revenu à soi, et voyant la porte ouverte, il sortit avec confiance de la prison et brisa ses entraves comme si c'eût été des liens d'étoupes. Il marchait donc en plein jour au milieu des gardes et des autres personnes présentes, sans être vu, tandis que lui voyait tout le monde. Il vint au tombeau de saint Marc pour s'acquitter dévotement de sa dette de remerciements.

L'Apulie entière était en proie à la stérilité, et pas une goutte de pluie n'arrosait cette terre. Alors il fut révélé que c'était un châtiment de ce qu'on ne célébrait pas la fête de saint Marc. Donc on invoqua ce saint et on promit de fêter avec solennité le jour de sa fête. Le saint fit cesser la stérilité. et renaître l’abondance en donnant un air pur et une pluie convenable.

P471

— Environ l’an 1212, il y avait à Pavie, dans le, couvent des Frères Prêcheurs, un frère de sainte et religieuse vie, nommé Julien, originaire de Faënza, jeune de corps, mais vieux d'esprit; dans sa dernière maladie il s'inquiéta de sa position auprès du prieur, qui lui répondit que sa mort était prochaine. Aussitôt la figure du malade devint resplendissante de joie et il se mit à crier en applaudissant des mains et de tous ses membres : « Faites place, mes frères, car ce sera dans un excès d'allégresse que mon âme va sortir de mon corps, depuis que j'ai entendu d'agréables nouvelles. » Et en élevant les mains au ciel, il se mit à dire : « Educ de custodia animam meam, etc. Seigneur, tirez mon âme de sa prison. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? » Il s'endormit alors d'un léger sommeil, et vit venir à lui saint Marc qui se plaça à côté de son lit : et une voix qui s'adressait au saint, lui dit : « Que faites-vous, ici, ô Marc? » Celui-ci répondit : « Je suis venu trouver ce mourant, parce que son ministère a été agréable à Dieu. » La voix se fit encore entendre : « Comment se fait-il que de tous les saints, ce soit vous de préférence qui soyez venu à lui? » «C'est, répondit-il, parce qu'il a eu pour moi une dévotion spéciale et qu'il a visité avec une dévotion toute particulière le lieu où repose mon corps. C'est donc pour cela que je suis venu le visiter à l’heure de sa mort. » Et voici que des hommes couverts d'aubes blanches remplirent toute la maison. Saint Marc leur dit : « Que venez-vous faire ici ? » « Nous venons, répondirent-ils, pour présenter l’âme de ce religieux devant le Seigneur. » A son réveil, ce frère envoya chercher aussitôt le prieur qui  m’a lui-même raconté ces faits, et lui rendant compte de tout ce qu'il avait vu, il s'endormit heureusement et en grande joie dans le Seigneur *.

* La traduction française de M. Jehan Batallier intercale ici un miracle que le texte latin ne fournit pas, et que nous copions :

« Si côe ung autre chevalier chevauchoist tout arme dessus un pont, le cheval cheut sur le pont, et le chevalier cheut, ou parfont de leaue en bas. Et si côme il vit qu'il nistroit iamais de la par force ppre, il reclama le benoit Marc : et le sainct luy tendit une lance et le mist hors de leaue et doncqs il vît a Venise et racôta le miracle et acôplit son voeu devotemêt. »


(62) SAINT MARCELLIN, PAPE *

P 373

Marcellin gouverna l’Eglise romaine neuf ans et quatre mois. II fut pris par l’ordre de Dioclétien et de Maximien et conduit pour sacrifier. Comme il n'y voulait pas consentir et qu'alors il avait à s'attendre de souffrir divers supplices, cédant à la peur du tourment, il mit deux grains d'encens dans le sacrifice **. La joie des infidèles fut grande, mais une tristesse immense s'empara des fidèles. Toutefois les membres sains reprennent de la vigueur sous un chef affaibli et comptent pour rien les menaces des princes: Alors les fidèles viennent trouver le souverain Pontife et lui; adressent. de graves reproches. Marcellin voyant celasse soumit au jugement d'un concile des évêques ***.

* « Voici l’interpretatiô du nom , sait Marcellin, qui ne se trouve pas dans le texte latin :
« Marcellin vault autant adire côme amaigrissant : car il amaigrit le fust dur de sa charnelete ou vault autât adire côe amaigri par paour du fust du tirât. »
** Anastase le Bibl., Vit. Pont., XXX; — Bréviaire romain ; — Epître du pape Nicolas Ier à Michel, empereur de C. P.
*** A Sessa en Campanie, ou Sinuesse.

A Dieu ne plaise, dirent-ils, qu'un souverain pontife soit jugé par personne; mais vous-même, instruisez votre cause dans votre conscience, et jugez-vous de votre propre bouche *. » Alors il se repentit beaucoup, pleura et se déposa lui-même; cependant, toute la foule le réélut encore. Les Césars, qui apprirent cela, firent saisir Marcellin une seconde fois, et comme il ne voulait absolument pas sacrifier, ils commandèrent de le décapiter. La fureur des ennemis se ralluma, en sorte que dans l’espace d'un mois, dix-sept mille chrétiens furent mis à mort. Pour Marcellin qui devait être décapité, il s'avoua indigne de la sépulture chrétienne ; en conséquence il excommunia tous ceux qui auraient la présomption de l’ensevelir. C'est pourquoi son corps resta 35 jours sans sépulture. Après ce temps, saint Pierre, apôtre, apparut à Marcel, son successeur **, et lui dit : « Frère Marcel, pourquoi ne  m’ensevelis-tu pas? » Seigneur, lui répondit Marcel, n'êtes-vous pas déjà enseveli? » L'apôtre lui dit : « Je me répute non enseveli, tant que je verrai Marcellin sans sépulture.» « Mais, Seigneur, lui répartit Marcel, est-ce que vous ne savez pas qu'il a anathématisé tous ceux qui l’enseveliraient ? » Pierre dit : « N'est-il pas écrit : celui qui s'humilie sera élevé? C'est à cela qu'il fallait faire. attention; allez donc l’ensevelir à mes pieds. » Il y alla aussitôt et accomplit honorablement les ordres de saint Pierre.

*Ciaconius, Notes sur Anastase, Vie de saint Marcellin.
** Idem, ibid.


(63) SAINT VITAL *

P474

Vital signifie vivant tel, car, tel il a vécu extérieurement en œuvres, tel il a vécu intérieurement dans son cœur. Ou Vital vient de vie, ou vital vivant par les ailes. En effet il fut comme un des animaux divins que vit Ezéchiel, ayant sur le corps quatre ailes, savoir l’aile de l’espérance, avec laquelle il volait au ciel, l’aile de l’amour avec laquelle il volait vers Dieu, l’aile de la crainte avec laquelle il volait en enfer, l’aile de la connaissance par laquelle il volait en soi-même. On pense que sa passion fut trouvée dans le livre des saints Gervais et Protais.

Vital, soldat consulaire, engendra de Valérie, sa femme, Gervais et Protais. Etant venu à Ravenne avec le juge Paulin, il vit un médecin chrétien nommé Ursicin, condamné à être décapité après avoir subi de nombreux tourments, mais saisi d'une trop grande frayeur. Alors Vital lui cria: «,Prenez garde, mon frère Ursicin, vous qui exercez la médecine et qui avez souvent guéri les autres, de vous tuer vous-même d'une mort éternelle. Puisque vous êtes arrivé à la palme **, ne perdez pas la couronne que Dieu vous a préparée. » A ces mots Ursicin reprit courage; et se repentant de sa frayeur, il reçut de plein gré le martyre. Saint Vital alors le fit ensevelir honorablement, après quoi il se refusa à accompagner son maître Paulin.

* Tiré du Martyrologe d'Adon.
** Il y avait dans ce lieu un vieux palmier.

Celui-ci fut excessivement indigné, d'abord de ce que Vital ne voulait pas venir avec lui, ensuite, de ce qu'il empêcha Ursicin de sacrifier alors qu'il le voulait faire, enfin de ce qu'il se montra ouvertement chrétien, et il ordonna qu'on le suspendît au chevalet. Vital lui dit : « Tu es bien insensé si. tu penses me tromper, moi qui me suis appliqué à délivrer les autres. » Alors Paulin dit à ses bourreaux : « Conduisez-le au palmier, et s'il refuse de sacrifier, creusez-y une fosse si profonde que vous arriviez jusqu'à l’eau et vous l’y enterrerez vif et couché sur le dos. » Les bourreaux le firent et enterrèrent en cet endroit saint Vital tout vif; ce fut sous Néron, qui commença d régner vers l’an du Seigneur 52. Un prêtre des idoles, qui avait suggéré ce conseil, fut aussitôt saisi par le démon et pendant sept jours qu'il fut hors de sens, il s'écriait sur le lieu où était enseveli saint Vital : « Tu me brûles, saint Vital. » Et le septième jour, il fut précipité par le démon dans un fleuve où il périt misérablement. La femme de saint Vital, retournant à Milan, rencontra des gens gui sacrifiaient aux idoles. Ils l’exhortèrent à manger de ce qui avait été immolé : « Je suis chrétienne, répondit-elle, il ne  m’est pas permis de manger de vos sacrifices. »

L'entendant parler de la sorte ils la frappèrent si cruellement, que les personnes de sa maison, qui l’accompagnaient, la conduisirent demi-morte à Milan, où elle trépassa heureusement dans le Seigneur, trois jours après.


TOME II


(64) UNE VIERGE D'ANTIOCHE*

Au IIe livre des Vierges, saint Ambroise raconte en ces termes le martyre d'une vierge d'Antioche : Il y eut naguère à Antioche une vierge qui évitait de se montrer en public; mais plus elle se cachait, plus elle enflammait les coeurs. La beauté dont on a entendu parler mais qu'on n'a pas vue est recherchée avec plus d'empressement à cause des deux stimulants des passions, l’amour et la connaissance, car quand on ne voit rien, rien ne saurait plaire; mais quand on connaît une beauté, on pense qu'elle aura d'autant plus à plaire. L'oeil ne cherche pas à juger de ce qu'il ne connaît pas, mais un coeur qui aime conçoit des désirs. C'est pour cela, que. cette sainte vierge, afin de ne point nourrir trop longtemps des espérances coupables, décidée qu'elle était à sauvegarder sa pudeur, mit de telles entraves aux passions des méchants qu'elle attira l’attention avant même d'être aimée.

* Cette légende est copiée mot à mot dans saint Ambroise au IIe livre des Vierges, ch. IVe.

P2

Voici la persécution. Une jeune fille incapable de fuir, timide par son âge, afin de ne pas tomber entre les mains de ceux. qui auraient attenté à sa pudeur, arma son coeur de courage. Elle fut attachée à la religion au point de ne pas craindre la mort; chaste au point de l’attendre : car le jour vint où elle devait recevoir la couronne, jour attendu impatiemment par tous; on fait comparaître une jeune fille qui déclare vouloir défendre à la fois sa chasteté et sa religion. Mais quand on. vit sa constance dans son dessein, ses craintes pour sa pudeur, sa résolution à souffrir les tortures, la rougeur qui lui montait au front dès qu'elle était regardée, on chercha comment on pourrait lui ôter la religion en lui laissant entrevoir qu'elle garderait sa chasteté : car dès lors qu'on réussissait à lui ôter sa religion, regardée comme ce qu'il y avait de plus important, on pourrait lui faire perdre encore ce qu'on lui laissait.

On commanda à la vierge de sacrifier ou d'être exposée dans un mauvais lieu. Quelle manière d'honorer les dieux que de les venger ainsi ! Ou comment vivent-ils ceux qui portent de semblables arrêts? La jeune vierge, non pas parce qu'elle chancelait dans sa foi, mais parce qu'elle tremblait pour sa pudeur, se dit à  elle-même : « Que faire aujourd'hui? Ou martyre ou vierge ; on veut me ravir une double couronne. Mais celui-là ne connaît pas même le nom de vierge qui renie l’auteur de la virginité : en effet, comment être vierge et honorer une prostituée? comment être vierge et aimer des adultères? comment être vierge et rechercher l’amour ?

P3

Mieux vaut garder son coeur vierge que sa chair. Conserver l’un et l’autre, c'est un bien, quand on le peut, mais puisque cela devient impossible, soyons chaste aux yeux de Dieu et non par rapport aux hommes. Raab fut une prostituée, mais après avoir eu foi au Seigneur; elle trouva le salut. Judith s'orna pour plaire à un adultère ; mais parce que le mobile de sa conduite était la religion et non l’amour, personne ne la regardait comme une adultère. Ces exemples se présentent heureusement : car si celle qui s'est confiée à la religion a sauvé sa pudeur et sa patrie, moi aussi, peut-être, en conservant ma religion, conserverai-je encore ma chasteté. Que si Judith eût voulu préférer sa pureté à sa religion, en perdant sa patrie, elle eût encore perdu son honneur. » Alors éclairée par ces exemples, et gardant dans le fond du coeur ces paroles du Seigneur : « Quiconque perdra son âme à cause de moi, la retrouvera », elle pleura, et se tut, afin qu'un adultère ne l’entendît même pas parler. Elle rie préféra pas sacrifier sa pudeur, mais en même temps elle ne prétendit point faire injure à J.-C. Jugez si elle pouvait être coupable d'adultère, en son, corps, celle qui ne le fut pas même dans le ton de sa voix.

Depuis longtemps déjà je mets une grande réserve dans mes paroles, comme si je tremblais en entrant dans l’exposition d'une suite de faits honteux. Fermez les oreilles, vierges de Dieu ! La jeune fille est conduite au lupanar. Ouvrez maintenant les oreilles, vierges de Dieu. Une vierge peut être livrée à la prostitution, et peut ne point pécher.

P4

En quelque lieu que soit une vierge de Dieu, là est toujours le temple de Dieu. Les mauvais lieux rie diffament pas la chasteté, mais la chasteté ôte à pareil lieu son infamie. Tous les débauchés accourent en foule au lieu de prostitution. Vierges saintes, apprenez les miracles des martyrs, mais oubliez le lavage de ces lieux. La colombe est enfermée; les oiseaux de proie crient au dehors c'est à qui sera le premier pour se jeter sur la proie. Alors elle leva les mains au ciel comme si elle était entrée dans un lieu de prière et non dans l’asile de la débauche : « Seigneur Jésus, dit-elle, en faveur de Daniel vierge, vous avez dompté des lions féroces, vous pouvez encore dompter des hommes au coeur farouche; le feu tomba sur les Chaldéens; par un effet de votre miséricorde, et non pas par sa propre nature, l’eau resta suspendue pour fournir un passage aux Juifs. Suzanne se mit à genoux en allant au supplice et triompha des vieillards impudiques ; la main qui osait violer les présents offerts à votre temple se dessécha : en ce moment, c'est à votre temple lui-même qu'on en veut : ne souffrez pas un inceste sacrilège, vous qui n'avez pas laissé un vol impuni. Que votre nom aussi soit béni, à cette heure, afin que, venue ici pour être souillée, j'en sorte vierge. » A peine avait-elle achevé sa prière, qu'un soldat, d'un aspect terrible, entre avec précipitation. Comme cette vierge dut trembler à la vue de celui qui avait fait reculer la foule tremblante! Elle n'oublia pas toutefois les lectures qu'elle avait faites. « Daniel, se dit-elle, était venu pour être spectateur du supplice; de Suzanne, et celle que tout le peuple avait condamnée, un seul la fit absoudre.

P5

Peut-être encore, sous l’extérieur d'un loup, se cache-t-il une brebis? Le Christ a aussi ses soldats, lui qui a des légions. Peut-être encore est-ce le bourreau qui est entré ; allons, mon âme, ne crains pas; c'est celui qui fait les martyrs. » O vierge, votre foi vous a sauvée! Le soldat lui dit : « Ne craignez rien, je vous en prie, ma soeur. C'est un frère, venu ici pour sauver votre âme et non pour la perdre. Sauvez-moi, pour que vous-même vous soyez sauvée. Je suis entré ici sous les dehors d'un adultère; si vous voulez, j'en sortirai martyr : changeons de vêtements; les miens peuvent vous aller et les vôtres à moi; les uns et les autres conviendront à J.-C. Votre habit fera de moi un véritable soldat, et le mien fera de vous une vierge. Vous serez bien revêtue, et moi je serai assez dégarni pour que le persécuteur me reconnaisse. Prenez un vêtement qui cachera la femme, donnez m’en un qui me sacrera martyr. Revêtez la chlamyde qui déguisera entièrement la vierge et qui protégera votre pudeur : prenez ce pileur * pour couvrir vos cheveux et cacher votre visage. On rougit ordinairement quand on est entré dans un mauvais lieu. Evitez, lorsque vous serez sortie, de regarder en arrière; en vous rappelant la femme de Loth qui changea de nature pour avoir regardé des impudiques, bien qu'avec des yeux chastes : ne craignez point, le sacrifice sera complet. Je  m’offre en votre place comme hostie à Dieu ; vous, vous serez en ma place un soldat de J.-C. et vous lui ferez bon service de chasteté; l’éternité en sera la solde; vous porterez la cuirasse de justice qui couvre le corps d'un rempart spirituel ; vous aurez le bouclier de la foi, pour vous parer contre les blessures, vous serez couverte du casque du salut.

* Le pileur était un bonnet en feutre (poil) que portaient exclusivement les hommes.

P6      

En effet, où se trouve J.-C. là est notre défense. Puisque le mari est le chef de l’épouse, J.-C. est le chef des vierges.» En disant ces mots il s'est dépouillé de son manteau qui lui donnait la tournure d'un persécuteur et d'un adultère. La vierge présente la tête, le soldat se met en devoir de lui offrir son manteau. Quelle pompe que celle-là ! quelle grâce ! ils luttent à qui aura le martyre et cela dans un mauvais lieu ! Les deux lutteurs sont un soldat et une vierge : c'est dire qu'il n'y a pas parité de nature, mais la miséricorde de Dieu les a rendus égaux. L'oracle est accompli « Alors les loups et les agneaux paîtront ensemble *. » Voyez, c'est la brebis, c'est le loup qui ne sont pas seulement dans le même pâturage, mais qui sont sacrifiés ensemble. Que dirai-je encore? Les habits sont changés, la jeune fille s'envole du filet **, mais ce n'est pas de ses propres ailes, puisqu'elle est portée sur les ailes spirituelles  et ce qu'aucun siècle n'a vu encore; voici une vierge de J.-C. qui sort du lupanar. Mais ceux-là qui voyaient par les yeux, sans voir réellement, frémissent comme des ravisseurs en présence d'une brebis, comme des loups devant leur proie. L'un d'eux, plus emporté que les autres, entra; mais dès qu'il a constaté de ses yeux ce qui s'est passé : « Qu'est ceci? dit-il; c'est une jeune fille qui est entrée, et ce parait être un homme.

* Isaïe, LXXV, 25.
** Il y a dans ce passage des allusions sans nombre aux combats antiques.

Ceci n'est pas une fable, c'est la biche, à la place de la vierge * : mais ce qui est certain, c'est une vierge qui est devenue un soldat. J'avais bien entendu dire, mais je n'avais pas cru que le Christ a changé l’eau en vin; le voici qui change même le sexe. Sortons d'ici pendant que nous sommes encore ce que nous avons été. Ne serais-je point changé aussi moi-même qui vois autre chose que je ne crois ? Je suis venu au lupanar, je vois quelqu'un qui représentera la condamnée ; et puis je sortirai changé aussi je  m’en irai pur, moi qui suis entré coupable. Le fait est constaté, la couronne est due à ce vainqueur éminent. Celui qui est pris pour une vierge est condamné à la place de la vierge. Ainsi ce n'est pas seulement une vierge qui sort du lupanar, il en sort aussi des martyrs.

On rapporte que la jeune fille courut au lieu du supplice, et que tous les deux combattirent à qui subirait la mort: Le soldat disait: « C'est moi qui suis condamné à être tué ; la sentence vous absout, et elle  m’atteint. » La jeune fille s'écrie « Je ne vous ai pas pris pour être caution de ma mort; mais j'ai souhaité vous avoir pour protéger ma pureté. Si c'est la pudeur qu'on veut atteindre, mon sexe reste. Si l’on demande du sang, je ne désire point de caution! J'ai de quoi me libérer. La sentence est pour moi, puisqu'elle a été portée contre moi.

* Une biche fut substituée à Iphigénie, quand Agamemnon voulut sacrifier sa fille.

P8

Certes, si je vous avais donné pour caution d'une somme d'argent, et qu'en mon absence le juge vous eût fait payer ma dette au prêteur, vous pourriez exiger par un arrêt que je vous satisfasse au dépens de mon patrimoine. Si je  m’y refusais, qui ne juterait ma déloyauté digne de mort ? à plus forte raison dès qu'il s'agit d'une condamnation à mort. Je mourrai innocente, et ne prétends pas vous nuire par ma mort. Aujourd'hui il n'y a pas de milieu : ou je répondrai de votre sang versé, ou je serai martyre avec, mon sang. Si je suis revenue aussitôt, qui oserait me chasser ? Si j'eusse tardé, qui oserait m’absoudre ? La loi doit  m’atteindre, non seulement pour ma fuite, mais aussi pour le meurtre d'autrui. Si mes membres ne pouvaient supporter le déshonneur, ils peuvent supporter la mort. On peut trouver dans une vierge un endroit où on la frappera, quand elle n'en avait pas pour être flétrie : j'ai fui l’opprobre et non le martyre. Je vous ai bien cédé mon vêtement, mais je n'ai pas changé de qualité. Que si vous  m’enlevez la mort vous ne  m’avez pas rachetée, vous  m’avez circonvenue. Gardez-vous de discuter, je vous prie, gardez-vous de me contredire. Ne  m’enlevez pas un bienfait que vous  m’avez donné. En avançant que cette dernière sentence n'ait pas été portée contre moi, vous en faites revivre une autre. Une première sentence est infirmée par une seconde. Si la dernière ne  m’atteint pas, la première  m’atteint. Nous pouvons exécuter l’une et l’autre, si vous me laissez être tourmentée tout d'abord. Sur vous on ne pourra exercer un autre châtiment, mais sur une vierge la pudeur s'y oppose. Enfin vous retirerez plus de gloire pour faire une martyre d'une adultère, que pour faire une adultère d'une martyre. » — Quel dénouement attendez-vous? Ils combattirent à deux et tous deux furent vainqueurs.

P9

Au lieu d'une couronne à partager, deux furent accordées. C'est ainsi que les saints martyrs se secondaient mutuellement, l’une ouvrait à l’autre la porte au martyre, celui-ci lui donna de le réaliser.

On porte aux nues, dans les écoles des philosophes *, Damon et Pythias, de la secte de Pythagore. L'un d'eux, condamné à mort, demanda le temps de mettre ordre à ses affaires. Or, le tyran plein d'astuce, pensant qu'on ne pourrait plus le retrouver, demanda une caution qui serait frappée à sa place, s'il tardait à revenir. Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer, ni quelque chose de plus noble, de l’un qui trouve quelqu'un s'obligeant à le représenter pour mourir, ou de l’autre venant s'offrir. Mais comme le condamné tardait à se présenter au supplice, son répondant vint avec un visage calme, et ne refusa pas de subir la mort. On le. conduisait au lieu de l’exécution, quand son ami arrive; celui-ci vint se substituer à l’autre, et offrir sa tête au bourreau. Alors le tyran, voyant avec admiration que les philosophes estimaient plus l’amitié que, la vie, demanda à être admis en tiers dans l’amitié de ceux qu'il avait condamnés à mort. Tant la vertu a d'attraits, puisqu'elle gagna un tyran!

* Cicéron, De officiis, lib. III. — Valère-Maxime, liv. IV, c. VII.

P10    

Ces faits méritent des louanges, mais ils ne l’emportent pas sur ceux que nous venons de raconter, car dans ce dernier exemple, ce sont deux hommes, dans l’autre ou voit une vierge qui, tout d'abord, avait même son sexe à vaincre. Ceux-ci étaient deux amis : ceux-là ne se connaissaient point : ceux-ci se présentèrent devant un seul tyran : ceux-là devant beaucoup de tyrans et de plus cruels encore. Le premier pardonna, les seconds tuèrent. Entre les. premiers, il y avait solidarité, dans les seconds la volonté était libre. Il y eut plus de prudence dans ceux-ci, parce qu'ils n'avaient, qu'un but, la conservation de l’amitié, ceux-là, ne tendaient qu'à avoir la couronne du martyre. Ceux-ci combattirent pour les hommes ; ceux-là pour le Seigneur. (Saint Ambroise.)


(65) SAINT PIERRE, MARTYR

Pierre signifie connaissant, ou déchaussant. Pierre peut encore venir de petros, ferme. Par là on comprend les trois privilèges qui distinguèrent saint Pierre : Premièrement, car il fut un prédicateur remarquable, de là la qualité de connaissant: parce qu'il posséda une connaissance parfaite des Ecritures et qu'il connut dans sa prédication ce qui convenait à chacun. Secondement, il fut vierge très pur; ce qui le fait dire déchaussant, parce qu'il se déchaussa et se dépouilla les pieds de ses affections de tout amour mortel : de sorte qu'il fut vierge non seulement de corps mais de coeur. Troisièmement, il fut martyr glorieux du Seigneur; d'où le nom de ferme, parce qu'il supporta constamment le martyre pour la défense de la foi.

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Pierre, le nouveau martyr de l’ordre des Prêcheurs, champion distingué de la foi, fut originaire de la cite de Vérone *. Tel qu'une lumière éclatante jaillissant de la fumée, qu'un lys qui s'élance des ronces, qu'une rose vermeille sortant du milieu des épines, il devint. un prédicateur pénétrant quoique né de parents aveuglés par l’erreur : il fit paraître une splendeur virginale de sainteté corporelle et spirituelle, en sortant d'une souche corrompue, et du milieu des épines, c'est-à-dire de ceux qui étaient destinés à l’enfer il s'éleva pour être un noble martyr. En effet le B. Pierre avait pour parents des infidèles et des hérétiques et il se conserva entièrement pur de leurs erreurs. A l’âge de sept ans, un jour qu'il revenait de l’école, un oncle hérétique lui demanda ce qu'il avait appris en classe: Il répondit qu'il avait appris : « Je crois, en Dieu le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terré... Credo in Deum. » « Ne dis pas, lui répliqua son oncle, créateur du ciel et de la terre, puisqu'il n'est pas le créateur des. choses visibles, mais que c'est le diable qui a créé. toutes ces choses que l’on voit. » Mais l’enfant lui soutenait qu'il préférait dire comme il avait lu et croire comme il l’avait vu écrit. Alors son oncle s'efforça de le convaincre par différentes autorités or, l’enfant, qui était rempli du Saint-Esprit, lui rétorqua tous ses arguments, le défit avec ses propres armes et le réduisit au silence.

* On comprend que le bienheureux Jacques de Voragine ait traité si longuement la vie d'un saint moine de son ordre, que, sans doute, il a connu lui-même, car saint Pierre fut assassiné en 1252. Or, Jacques de Voragine prit l’habit de dominicain en 1244. — Au reste les Bollandistes n'ont pas mis moins de 23 pages in-folio pour rapporter les miracles du saint dont la vie a été écrite par Thomas de Leontio, dominicain, puis patriarche de Jérusalem, lequel a vécu longtemps à Vérone avec le saint.

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Fort indigné d'avoir été confondu par un enfant, il alla rapporter au père tout ce qui s'était passé entre eux, et il persuada à celui-ci de retirer son enfant de l’école : « Car je crains, ajouta-t-il, que quand ce petit Pierre aura été tout à fait  instruit, il ne tourne vers l’Eglise romaine la prostituée, et qu'ainsi il ne détruise et confonde notre croyance. Semblable à un autre Caïphe, il disait vrai sans le savoir, quand il prophétisait que Pierre devait détruire la perfidie des hérétiques ; mais parce que tout est dirigé par la main de Dieu, le père n'obtempéra pas aux conseils de son frère ; il espérait, quand son fils aurait terminé son cours de grammaire, le faire attirer à sa secte par quelque hérésiarque. Mais le saint enfant, qui ne se voyait pas en sûreté en habitant avec des scorpions, renonça au monde et à ses parents pour entrer pur dans l’ordre des frères Prêcheurs. Il y vécut avec une grande ferveur, au rapport du pape Innocent, qui déclare dans une de ses lettres que le bienheureux Pierre, dans son adolescence, pour éviter les prestiges du monde, entra dans l’ordre des frères Prêcheurs. Après y avoir passé près de trente ans, il avait atteint au comble de toutes les vertus. C'était la foi qui le dirigeait, l’espérance qui le fortifiait, la charité qui l’accompagnait. Il fit tant de progrès pour se rendre capable de défendre la foi dont il était embrasé, que la lutte soutenue par lui avec intrépidité et chaleur pour elle contre ses adversaires, était de tous les jours, et qu'il consomma ce combat sans interruption jusqu'au moment où il remporta heureusement la victoire du martyre.

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Il conserva aussi toujours intacte la virginité de son coeur et de son corps : jamais il ne ressentit les atteintes du péché mortel, comme on en a la preuve par la déclaration fidèle de ses confesseurs : et parce qu'un esclave délicatement nourri est insolent contre son maître, il mortifia sa chair par une frugalité habituelle dans le boire et dans le manger. Pour n'être pas pris au dépourvu par les attaques ennemies, il consacrait ses instants de loisir à méditer avec assiduité sur les ordonnances pleines de justice de Dieu ; en sorte qu'occupé entièrement à cet exercice salutaire, il n'avait pas lieu. de se livrer à dés actions défendues et toujours il était en garde contre les malices du démon. Après avoir donné un court, repos à ses membres fatigués, il passait ce qui restait de la nuit à étudier, lire, et à veiller. Il employait le jour aux besoins des âmes, ou à la prédication, ou à entendre les confessions, ou bien à réfuter par de solides raisons les dogmes empoisonnés de l’hérésie; et on a reconnu qu'il y excellait par un don particulier de la grâce. Sa dévotion était agréable, son humilité douce; son obéissance calme, sa bonté tendre, sa piété compatissante, sa patience inébranlable, sa charité active, sa gravité de moeurs était remarquable en tout, la bonne odeur de ses vertus attirait à lui : il était attaché profondément a la foi, et comme il la pratiquait avec zèle, il en était le champion brûlant. Il l’avait si profondément gravée dans le coeur, et s'y soumettait de telle sorte que chacune de ses oeuvres, chacune de ses paroles reflétaient cette vertu.

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Animé du désir de subir la mort pour elle, il est prouvé que ses prières fréquentes et assidues, ses supplications ne tendaient qu'à obtenir du Seigneur de ne pas, permettre qu'il quittât la vie autrement qu'en buvant pour lui le calice du martyre. Il ne fut pas trompé dans son espoir.

La vie de saint Pierre fut illustrée par de nombreux miracles. Un jour, il examinait à Milan un évêque hérétique dont s'étaient saisis les fidèles. Or, beaucoup d'évêques, et grand nombre de personnes de la ville se trouvaient là ; l’examen s'étant prolongé fort longtemps et la chaleur excessive accablant tout le monde, l’hérésiarque dit en présence du peuple: « O méchant Pierre, si tu es aussi saint que le prétend cette foule stupide, pourquoi te laisses-tu mourir de la chaleur et ne pries-tu pas le Seigneur d'interposer un nuage afin que ce peuple insensé ne succombe pas sous ces feux ardents? » Pierre lui répondit : « Si tu veux promettre d'abjurer ton hérésie et d'embrasser la foi catholique, je prierai le Seigneur, et il fera ce que tu dis. » Alors les fauteurs des hérétiques se mirent à crier à l’envi : « Promets, promets, » car ils croyaient impossible que la promesse de Pierre fût réalisable, d'autant qu'il n'y avait pas en l’air l’apparence du moindre nuage. Les catholiques furent attristés, dans la crainte que leur foi n'en ressentît quelque déshonneur. Quoique l’hérétique n'eût pas voulu s'engager, saint Pierre dit avec grande confiance : « Pour preuve que le vrai Dieu est créateur des choses visibles et invisibles, pour la consolation des fidèles et la confusion des hérétiques, je prie Dieu de faire monter un petit nuage qui vienne s'interposer entre le soleil et le peuple. »

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Après avoir fait le signe de la croix, il obtint ce qu'il avait demandé : pendant l’espace d'une grande heure, un léger nuage couvrit le peuple qui se trouva abrité comme sous un pavillon. —  Un homme, nommé Asserbus, qui avait les membres retirés depuis cinq ans, et qu'on traînait par terre dans un boisseau, fut conduit à saint Pierre, à Milan. Le saint fit sur lui le signe de la croix, et le guérit. — Le pape Innocent rapporte, dans la lettré citée plus haut, quelques miracles opérés par l’entremise du saint. Le fils d'un noble avait dans le gosier une tumeur d'une grosseur horrible ; elle l’empêchait de parler et de respirer; le bienheureux leva les mains au ciel, et fit le signe de la croix en même temps que le malade s'était couvert du manteau de saint Pierre; à l’instant il fut guéri. Le même noble, affligé plus tard de violentes convulsions qu'il craignait devoir lui donner la mort, se fit apporter avec révérence ce même, manteau qu'il avait conservé depuis lors ; il le mit sur sa poitrine, et peu après il vomit un ver qui avait deux têtes et était couvert de poils; sa guérison fut, complète.

— Un jeune muet auquel il mit le doigt dans la bouche reçut le bienfait de la parole; sa langue avait été déliée. Ces miracles et bien d'autres encore furent dus au saint auquel le Seigneur accorda de les opérer, pendant sa vie.
Cependant comme la contagion de l’hérésie multipliait ses ravages toujours croissants dans la province de la Lombardie et dans un grand nombre de villes, le souverain pontife, pour détruire cette peste diabolique, délégua plusieurs inquisiteurs de l’ordre des frères Prêcheurs, dans les différentes parties de la Lombardie.

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Mais comme à Milan les hérétiques, nombreux et appuyés sur la puissance séculière, avaient recours à une éloquence frauduleuse et à une science diabolique, le souverain pontife, connaissant pertinemment saint Pierre dont le coeur magnanime ne se laissait pas épouvanter par la multitude des ennemis, appréciant en outre la constance de son courage qui le faisait ne pas céder même dans les petites choses à la puissance des adversaires, informé de son éloquence au moyen de laquelle il démasquait avec facilité les ruses des hérétiques, n'ignorant pas non plus la science pleine et entière dans les choses divines avec laquelle il réfutait par ses raisonnements les paradoxes des hérétiques, l’établit dans Milan et dans son comté comme un champion intrépide de la foi, et, de sa puissance plénière, il l’institua son inquisiteur, comme un guerrier infatigable du Seigneur.

Pierre se mit alors à exercer ses fonctions avec soin, recherchant partout les hérétiques auxquels il ne laissait aucun repos: il les confondait tous merveilleusement; les repoussait avec autorité, les convainquait avec adresse, en sorte qu'ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l’Esprit qui parlait par sa bouche. Les hérétiques désolés pensèrent à le faire mourir, dans l’espoir de vivre tranquilles, dès lors qu'ils seraient débarrassés d'un persécuteur si puissant. Or, comme ce prédicateur intrépide, qui bientôt allait être un martyr, se dirigeait de Cumes à Milan pour rechercher les hérétiques, il gagna, dans ce trajet, la palme du martyre, ainsi que le pape Innocent l’expose en ces termes : « En sortant de Cumes, où se trouvait un prieuré de frères de son ordre, pour aller à Milan afin d'exercer contre les hérétiques les fonctions d'inquisiteur qui lui avaient été confiées par le Siège apostolique, selon qu'il l’avait prédit dans une de ses prédications publiques, quelqu'un d'entre les hérétiques, gagné par prière et par argent, se jeta avec fureur sur le saint voyageur.

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C'était le loup contre l’agneau, le cruel contre l’homme doux, l’impie contre le saint, la fureur contre le calme, la frénésie contre la modestie, le profane contre le saint; il simule une insulte, il éprouve ses forces, il fait des menaces de mort, il assène des coups atroces sur le chef sacré de saint Pierre, il lui fait d'affreuses blessures; l’épée est toute ruisselante du sang de cet homme vénérable qui ne cherche pas à éviter son ennemi ; mais il s'offre de suite comme une hostie, souffrant en patience les coups redoublés de son bourreau qui le laisse mort sur la place (l’esprit du saint était au ciel), et qui, dans sa fureur sacrilège, redouble ses coups sur le ministre du Seigneur. Cependant le saint ne poussait aucune plainte, aucun murmure; il souffrait tout avec patience, recommandant son esprit au Seigneur en disant : « In manus tuas... Seigneur, dans vos mains, je remets mon esprit,» Il commença encore à réciter le symbole de la foi, dont il avait été le hérault jusque-là, ainsi que l’ont rapporté par la suite et le malheureux qui fut pris par les fidèles, et un frère dominicain son compagnon, qui survécut quelques jours aux coups dont il avait été frappé, lui-même. Mais comme le martyr du Seigneur palpitait. encore, le cruel bourreau saisit un poignard et le lui enfonça dans le côté.
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Or, au jour de son martyre, il mérita en quelque sorte d'être confesseur, martyr, prophète, et docteur. Confesseur, en ce qu'il confessa avec la plus éminente constance la foi de J.-C., au milieu des tourments, et en ce que, ce jour-là même, après avoir fait sa confession comme de coutume, il offrit à Dieu un sacrifice de louange. Martyr, en ce qu'il versa son sang pour la défense de la foi. Prophète, car il avait alors la fièvre quarte, et comme ses compagnons lui disaient qu'ils ne pourraient pas arriver jusqu'à Milan, il répondit : « Si nous ne pouvons parvenir jusqu'à la maison de nos frères, nous pourrons recevoir l’hospitalité à Saint-Simplicien. » Ce qui arriva : car, comme on portait son saint corps, les frères, en raison de la foule extraordinaire de peuple, ne purent le conduire jusqu'à la maison, mais ils le déposèrent à Saint-Simplicien où il resta cette nuit-là. Docteur, en ce que pendant qu'il était attaqué, il enseigna encore la vraie foi en récitant à haute voix le symbole de la foi.

Sa passion vénérable paraît encore avoir eu plusieurs traits de ressemblance avec la passion de Notre-Seigneur. En effet J.-C. souffrit pour la vérité qu'il prêchait, Pierre pour la vérité de la foi qu'il défendait. J.-C. souffrit la mort du peuple infidèle des Juifs, Pierre, de la foule infidèle des hérétiques. J.-C. fut crucifié au temps de Pâques, Pierre souffre le martyre dans le même temps. Le Christ souffrant disait : « Seigneur, en vos mains, je remets mon âme » Pierre qui était tué criait les mêmes paroles. J.-C. fut livré pour trente deniers afin qu'il fût crucifié, Pierre fut vendu pour quarante livres de Pavie afin qu'il fût tué: J.-C. par sa passion attira à la foi beaucoup de monde, Pierre par son martyre convertit une foule d'hérétiques.

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Et quoique cet insigne docteur et ce champion de la foi eût amplement déraciné la croyance empoisonnée des hérétiques pendant sa vie, après sa mort toutefois, par ses mérites et les miracles éclatants, elle fut tellement extirpée que beaucoup, abandonnèrent l’erreur pour retourner au giron de la sainte Église. La ville de Milan et son comté, où se trouvaient tant de conventicules de la secte, en furent purgés de telle sorte que les uns ayant été chassés, les autres convertis à la foi, il ne s'en trouva plus aucun qui eût l’audace de se montrer nulle part. Plusieurs même d'entre eux, devenus de très grands et de fameux prédicateurs, sont entrés dans l’ordre des frères Prêcheurs et aujourd'hui encore, ils sont les adversaires courageux des hérétiques et de leurs l’auteurs. C'est pour nous un autre Samson qui tua plus de Philistins en mourant, qu'il n'en avait occis étant vivant. C'est le grain de froment tombé sur la terre et ramassé par les mains des hérétiques, qui meurt et rapporte une moisson abondante. C'est la grappe foulée au pressoir qui rejaillit en une copieuse liqueur c'est l’arôme pilé dans le mortier qui en répand une plus forte odeur ; c'est le grain de sénevé écrasé qui offre des ressources sans nombre.

Après le glorieux triomphe du saint héros, Dieu le rendit illustre par de nombreux miracles que le souverain Pontife rapporte en petit nombre. Après sa mort, les lampes appendues à son tombeau s'allumèrent plusieurs fois d'elles-mêmes, miraculeusement, sans l’aide et le ministère de qui que ce fût : parce qu'il convenait que pour, celui qui avait brillé par le feu et la lumière de la foi, il apparût un miracle de feu et de lumière.

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— Un homme qui était à table dépréciait sa sainteté et ses miracles, il prit, en témoignage de son dire, un morceau qu'il ne pourrait avaler, s'il faisait mal en, parlant ainsi : aussitôt il sentit le morceau s'arrêter dans sa gorge sans pouvoir le rejeter ni l’avaler. Il se repentit de suite et son visage changeait déjà de couleur, lorsque, sentant les approches de la mort, il fit voeu de ne plus proférer à l’avenir de semblables paroles. Il rejeta à l’instant ce morceau et fut guéri.
—  Une femme hydropique amenée par son mari au lieu où le saint avait été. tué, y fit sa prière et fut guérie tout à fait.
— Il délivra des possédés en leur faisant rejeter les démons avec des flots de sang ; il chassa les fièvres, il guérit toutes sortes de maladies.
— Un homme qui avait un doigt de la main gauche percé de plusieurs trous d'une fistule, fut guéri miraculeusement.
—  Un enfant avait fait une chute si grave qu'on le pleurait comme mort; le mouvement et le sentiment avaient disparu. On lui mit sur la poitrine de la terre imprégnée du sang précieux du martyr, et il se leva tout sain.
— Une femme encore qui avait la chair rongée d'un cancer fut guérie, après qu'on eut frotté ses plaies avec cette même terre. Bien d'autres infirmes qui se firent porter au tombeau du saint y recouvrèrent une parfaite santé et en revinrent seuls.

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Lorsque le souverain Pontife Innocent IV eut mis saint Pierre au catalogue des saints, les frères Prêcheurs s'assemblèrent en chapitre à Milan : ils voulaient placer son corps dans un endroit plus élevé, et quoiqu'il fût resté plus d'une année sous terre, ils le trouvèrent sain et entier, sans aucune mauvaise odeur, comme s'il eût été enseveli ce jour-là même. Les frères le mirent avec grande révérence sur une estrade élevée à la même place, et il fut montré entier devant tout le peuple qui l’invoqua avec supplications. Outre les miracles racontés dans la lettre précitée du souverain pontife, il y en eut encore plusieurs autres : car souvent quelques religieux et d'autres personnes aperçurent visiblement, sur le lieu de son martyre, des lumières descendant du ciel. Au milieu de ces lumières, ils rapportèrent qu'on distingua deus frères en habit de frères Prêcheurs.

— Un jeune homme nommé Gunfred, on Guifred, de la ville de Cumes, possédait un morceau, de la tunique du saint ; un hérétique lui dit, en forme de moquerie, que s'il croyait à la sainteté de Pierre, il jetât ce morceau dans le feu ; s'il ne brillait point, certainement Pierre était. saint, et lui-même embrasserait la foi. Tout de suite Guifred jeta le morceau sur es charbons ardents ; mais le feu, le rejeta en l’air ; ensuite le même morceau retourna sur les charbons enflammés qui furent aussitôt éteints: Alors l’incrédule dit : «Il en sera de même d'un morceau de ma tunique. » On mit donc d'un côté le morceau de la tunique de l’hérétique et d'un autre côté le morceau de la tunique de saint Pierre. Or, le morceau de la tunique de l’Hérétique n'eût pas plutôt senti le feu, qu'il fut instantanément consumé, mais le morceau de celle de saint Pierre fut maître du feu, qui s'éteignit, et pas un fil de. ce drap ne fut endommagé. A cette vue, l’hérétique rentra dans le sentier de la vérité et publia partout ce miracle.

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— A Florence, un jeune homme, infecté de la corruption de l’hérésie, était debout devant un tableau où était représenté le martyre du saint, dans l’église des frères de Florence ; en voyant le malfaiteur qui le frappait avec son épée, il dit à quelques jeunes gens qui se trouvaient avec lui : « Si j'avais été là, j'aurais encore frappé plus fort. » Il n'eut pas plutôt parlé ainsi qu'il devint muet. Et comme ses camarades lui demandaient ce qu'il avait, et qu'il ne pouvait pas leur répondre, ils le reconduisirent chez lui. Plais ayant vu sur son chemin l’église de saint Michel, il s'échappa des mains de ses compagnons et entra dans l’église où il pria à genoux saint Pierre, de tout son cœur, de lui pardonner, en faisant veau, comme il put, que s'il était délivré, il confesserait ses péchés et abjurerait toute hérésie. Alors subitement il. recouvra la parole, vint à la maison des frères, où après avoir abjuré l’hérésie, il se confessa, en donnant la permission à son confesseur de dire dans ses prédications ce qui lui était arrivé. Lui-même, au milieu d'un sermon fait par un prêcheur, raconta le fait devant toute l’assistance.

— Un vaisseau, en pleine mer, allait faire naufrage : il était furieusement ballotté par les flots, la nuit était noire ; les matelots se recommandaient à tous les saints; mais ne voyant pas d'espoir de salut ils craignaient fort d'être perdus, quand l’un d'eux, qui était de Gênes, fit taire les autres et parla ainsi: « Mes frères, est-ce que vous n'avez pas entendu raconter qu'un frère de l’ordre des Prêcheurs, appelé frère Pierre, a été tué par les hérétiques il n'y a pas longtemps pour la défense de la foi catholique, et que par son entremise le Seigneur opéré beaucoup de miracles. Eh bien ! en ce moment, implorons sa protection avec grande piété, car j'espère que nous ne serons pas déçus dans notre demande. »

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Tous s'accordent à invoquer le secours de saint Pierre: Et pendant qu'ils priaient, la vergue qui tient la voile parut toute pleine de cierges allumés; l’obscurité disparaît devant l’éclat de ces flambeaux et la nuit qui était affreusement noire est changée en un jour très clair. Comme ils regardaient en haut, ils virent un homme en habit de frère Prêcheur debout sur la voile, et il n'y eût aucun doute que ce ne fût saint Pierre. Or, ces matelots arrivés sains et saufs à Gènes vinrent à la maison des frères Prêcheurs où, après avoir rendu grâces à Dieu et à saint Pierre, ils racontèrent tous les détails de ce miracle.
 — Une femme de la Flandre avait eu déjà trois enfants morts-nés, et son mari l’avait prise en dédain ; elle pria saint Pierre de venir à son aide. Elle mit au monde un quatrième fils qui fut aussi trouvé mort. Sa mère le prit et supplia de tout son coeur saint Pierre de vouloir rendre la vie à son fils et d'exaucer ses ardentes prières. A peine avait-elle terminé que l’enfant reprit la vie. On le porta donc au baptême, et on convint de l’appeler Jean; mais le prêtre au moment de prononcer le nom de l’enfant, sans le savoir, le nomma Pierre : ce qui dans la suite lui fit avoir grande dévotion à ce saint.
Dans la province de Teutonie, à Utrecht, des femmes, occupées à filer sur la place, virent un grand concours de peuple à l’église des Frères Prêcheurs, en l’honneur de saint Pierre, martyr. Elles dirent à ceux qui étaient là : « Oh! ces Prêcheurs! ils savent tous les moyens de gagner de l’argent; car pour en amasser une grosse somme, et pour bâtir de grands palais, ils ont trouvé un nouveau martyr. »

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En disant cela et autres choses semblables, voici tout à coup que leur fil est tout couvert de sang, et les doigts avec lesquels elles filaient en sont tout couverts. A cette vue, elles furent étonnées et s'essuyèrent les doigts avec précaution dans la crainte de s'y être fait quelque coupure: mais quand elles virent tous leurs doigts entièrement sains, et le fil ensanglanté de la sorte, elles eurent peur et se repentirent : « Vraiment, dirent-elles, nous avons mal parlé du sang d'un précieux martyr et c'est pour cela que ce miracle si extraordinaire nous est arrivé. » Elles coururent donc à la maison des Frères, et exposèrent le tout au prieur en lui montrant le fil plein de sang. Or, le prieur, à la sollicitation d'un grand nombre de personnes, convoqua le peuple à un sermon solennel, et rapporta en présence de son auditoire tout ce qui était arrivé à ces femmes; il montra même le fil ensanglanté. Alors un maître de grammaire, qui assistait à la prédication, se mit à se moquer beaucoup de ce fait et à dire à ceux qui se trouvaient là : « Voyez donc, comme ces frères trompent les coeurs des gens simples. Ils se sont entendus avec quelques femmelettes de leurs amies, leur ont dit de teindre leur fil dans du sang, et ils racontent cela comme un miracle. » A peine il finissait de parler qu'il fut frappé par la vengeance divine : la fièvre le saisit vis-à-vis de tous, d'une manière si violente que ses amis furent obligés de le porter de l’église en sa maison.

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Mais là fièvre devenant de plus en plus forte, il eut peur de mourir de suite, fit appeler le susdit prieur, et après avoir confessé sa faute, il fit voeu à Dieu et à saint Pierre que si, par ses mérites, il recouvrait la santé, il aurait toujours envers lui une dévotion spéciale et qu'il ne dirait jamais plus pareilles sottises. Chose merveilleuse! II n'eut pas plutôt fait ce voeu qu'il fut entièrement guéri.

— Une fois, le sous-prieur de cette même maison conduisait dans un bateau de magnifiques et grosses pierres pour la construction de la dite. église; le bateau toucha, à l’improviste, le rivage, de sorte qu'on ne pouvait le dégager. Tous les matelots étaient descendus et s'étaient mis ensemble à pousser le bateau, mais sans pouvoir le remuer. ils croyaient le bâtiment perdu, quand le sous-prieur les fit tous mettre de côté et approcha la main du bateau qu'il poussa légèrement eu disant : « Au nom de saint Pierre martyr, pour l’honneur duquel nous portons ces pierres, va. » Aussitôt le bateau s'ébranla avec vitesse, s'éloigna du rivage. Les matelots tout joyeux montèrent et gagnèrent leur chantier.

Dans la province de France, en la ville de Sens, une jeune fille qui passait dans l’eau fut entraînée par le courant, y tomba et resta longtemps dans la rivière; enfin elle en fut retirée morte. II y avait quatre causes de mort : le long espace de temps, le corps raide, froid et noir. Quelques personnes la portèrent à l’église des Frères, firent un voeu à saint Pierre, et aussitôt elle revint à la vie et à la santé.

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— Frère Jean, Polonais, souffrait de la fièvre quarte à Bologne : il devait, le jour de la fête de saint Pierre, adresser un sermon an clergé ; comme il s'attendait à avoir son accès cette nuit-là, d'après le cours ordinaire de la fièvre, il eut grande peur de manquer le sermon qu'il avait reçu ordre de prononcer. Mais ayant eu recours aux suffrages de saint Pierre, à l’autel duquel il vint prier afin de recevoir secours de celui dont il devait publier la gloire, cette nuit-là même, la fièvre le quitta et dans la suite il n'en éprouva plus jamais les attaques.

— Une dame nommée Girolda, femme de Jacques de Vausain, était obsédée depuis quatorze ans par des esprits immondes : elle vint dire à un prêtre : « Je suis démoniaque, et l’esprit malin me tourmente. » A l’instant le prêtre saisi s'enfuit à la sacristie, y prit le livre dans lequel se trouvent les exorcismes, avec une étole qu'il cacha sous sa coule : il revint avec bonne société trouver la femme qui ne l’eut pas plutôt aperçu qu'elle dit : « Larron infâme, où as-tu été? Qu'est-ce que tu portes caché sous ta coule? » Mais le prêtre faisait ses conjurations et n'apportait aucun soulagement, cette femme alors vint trouver le bienheureux Pierre, car il vivait encore, et lui demander secours. Il lui répondit en forme de prophétie : « Confiance, ma fille, ne désespérez point; car si je ne puis à présent faire ce que vous me demandez, il viendra cependant un temps où ce que vous demandez de moi, vous l’obtiendrez complètement. » Ce qui arriva en effet : car, après son martyre; cette femme étant venue à son tombeau, fut entièrement délivrée du tourment de ces démons. — Une femme nommée Euphémie de Corriongo, dans le diocèse de Milan, fut tourmentée du démon pendant sept ans.

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Quand on l’amena au tombeau de saint Pierre, les démons se mirent à l’agiter davantage, et à crier par sa bouche de manière à être entendus de tous : « Mariole, Mariole, Pierrot, Pierrot. » Alors les démons sortirent et la laissèrent pour morte; mais elle se leva guérie un instant après. Elle assurait que principalement les jours de dimanche et de fête, et surtout lors de la célébration de la messe, les démons la tourmentaient davantage.

— Une femme appelée Vérone, de Bérégno, fut tourmentée pendant six ans par les démons ; elle fut conduite au tombeau de saint Pierre, et c'était à peine que beaucoup d'hommes pouvaient la contenir. Parmi eux se trouvait un hérétique, nommé Conrad, de Ladriano, venu là pour se rire des miracles de saint Pierre. Or, comme il tenait cette femme avec les autres, les démons lui dirent par la bouche de la femme : « Pourquoi nous tiens-tu ? n'es-tu pas des nôtres? Ne t'avons nous pas porté à tel endroit où tu as commis tel homicide? Ne t'avons-nous pas conduit en tel et tel lieu, où tu as commis telle et telle infamie ?,» Et comme ils lui révélaient beaucoup de péchés que nul autre que lui seul ne connaissait, il fut fort épouvanté. Alors les démons écorchèrent le cou et la poitrine de la femme qu'ils laissèrent à demi morte en sortant ; mais peu après elle se leva guérie. Pour ce Conrad, quand il vit cela, il en fut stupéfait et il se convertit à la foi catholique.

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Un hérétique, très fin raisonneur, d'une éloquence singulière, discutait avec saint Pierre et exposait ses erreurs avec subtilité et esprit ; il pressait audacieusement le saint de répondre à ses arguments. Celui-ci demanda à réfléchir, et alla dans un oratoire qui était proche prier Dieu de défendre la cause de sa foi, et de réduire à la vérité ce parleur orgueilleux, ou de le punir en le privant de l’usage de la parole, de peur qu'il ne s'enflât d'orgueil contre la vraie foi. Puis revenant à l’hérétique, il lui dit en présence de l’assemblée d'exposer ses raisons de nouveau. Mais cet homme fut pris d'un tel mutisme qu'il ne put prononcer titi seul mot. Alors les hérétiques se retirèrent confus et les catholiques rendirent grâces à Dieu.

— Un homme nommé Opiso, hérétique crédule, était venu à l’église des frères, à l’occasion d'une hérétique de ses cousines qui était forcenée. Arrivé au tombeau de saint Pierre, il v vit deux deniers qu'il prit en disant : « C'est bon, allons les boire » : et à l’instant il fut saisi d'un tremblement tel qu'il ne put en aucune manière se retirer de là. Effrayé, il remit les deniers à leur place et s'en alla. Mais reconnaissant la vertu de saint Pierre, il abandonna l’hérésie, et se convertit à la foi catholique. — Il y avait en Allemagne, au monastère d'Octembach, diocèse de Constance, une religieuse de l’ordre de saint Sixte, qui, depuis un an et plus, souffrait de la goutte au genou : aucun remède ne l’avait pu guérir. Comme il lui était impossible de visiter de corps le tombeau de saint Pierre (car elle était sous obédience, et la maladie très grave dont elle était atteinte l’en empêchait), elle pensa du moins à visiter ledit tombeau par un pèlerinage mental avec une attentive dévotion. Elle apprit qu'on pouvait aller en treize jours à Milan du lieu où elle se trouvait; tous les jours, pour chaque journée de voyage, elle récitait cent. Pater poster en l’honneur de saint Pierre.

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Manière merveilleuse ! A mesure qu'elle faisait ce pèlerinage mental, successivement, toujours et peu à peu elle commença à se trouver mieux. Quand elle eut atteint sa dernière journée et qu'elle fut parvenue mentalement au tombeau, elle se mit à genoux comme si réellement elle l’eût eu devant elle, récita tout le Psautier avec une très grande dévotion. Sa lecture achevée, elle se sentit tellement délivrée de son infirmité qu'elle n'en ressentait plus presque rien. Elle revint de la même manière qu'elle était allée et avant d'avoir terminé toutes ses journées, elle fut complètement guérie. — Un homme de Canapicio de la villa Mazzati, nommé Rufin, tomba gravement malade : il avait une veine rompue :dans les parties basses du devant, d'oit il découlait sans cesse du sang; aucun médecin n'y avait pu apporter remède. Or, après six jours et six nuits d'écoulement continu, cet homme invoqua avec dévotion saint Pierre à son secours : sa guérison fut si instantanée qu'entre sa prière et sa délivrance, il n'y eut presque aucun intervalle. Or, comme il s'endormait, il vit un frère en habit de frère Prêcheur, gros et brun de figure, qu'il pensa être le compagnon de saint Pierre martyr, parce qu'il avait réellement cette tournure. Ce frère lui présentait ouvertes ses mains pleines de sang avec un onguent d'agréable odeur, et disait : « Le sang est encore frais : viens donc à ce sang tout frais de saint Pierre. » Le malade à son réveil alla visiter le tombeau du saint.

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— Certaines comtesses du château Massin; au diocèse d'Ypozença, avaient une dévotion spéciale en saint Pierre; elles jeûnaient la veille de sa fête. Étant venues pour assister aux vêpres dans une église qui lui était dédiée, une, d'elles mit brûler une chandelle en l’honneur de saint Pierre martyr devant un autel du saint apôtre. Quand elles furent rentrées chez elles, le prêtre par avarice souffla et éteignit le cierge; mais tout de suite la lumière reprit et s'alluma de nouveau. Il voulut l’éteindre une seconde et une troisième fois, mais elle se ralluma toujours. Agacé de cela, il entra dans le choeur et trouva devant le maître-autel un cierge qu'y avait déposé un clerc en l’honneur de saint Pierre, dont il passait la vigile en jeûnant. Deux fois le prêtre voulut l’éteindre sans le pouvoir. Le clerc irrité dit en voyant cela : « Diable ! est-ce que vous ne voyez pas là un miracle évident, et que saint Pierre ne veut pas que vous éteigniez son cierge? » Alors le prêtre et le clerc ébahis montèrent au château et racontèrent à tous ce miracle.

— Un homme du nom de Roba, de Méda, avait tout perdu au jeu, jusqu'à ses habits : en revenant le soir chez soi avec une lanterne allumée, il alla à son lit et se voyant si mal vêtu après de si grandes pertes, il se mit, de désespoir, à invoquer les démons et à se recommander à eux avec des paroles infâmes.

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Aussitôt se présentèrent trois démons qui, jetant la lumière allumée dans la chambre, le saisirent au cou où ils le serrèrent si fort qu'il ne pouvait absolument pas parler. Et comme ils le secouaient vivement, ceux qui étaient à l’étage au-dessous montèrent chez lui et lui dirent : « Qu'y a-t-il, que fais-tu, Roba ? » Les démons leur répondirent : « Allez, soyez tranquilles, et couchez-vous. » Ces personnes croyant que c'était la voix de Roba se retirèrent tout aussitôt. Quand elles furent parties, les démons recommencèrent à l’agiter plus violemment encore. Les voisins, qui comprirent ce qui se passait, allèrent de suite chercher un prêtre : celui-ci n'eut pas plutôt adjuré les démons, au nom de saint Pierre, que deux esprits malins sortirent à l’instant. Le lendemain, on amena Roba au tombeau de saint Pierre. Frère Guillaume de Verceil s'approcha et se mit à faire des reproches au démon. Alors Roba, qui n'avait jamais vu le frère, l’appela par son nom : « Frère Guillaume, lui dit-il, ce ne sera pas toi qui me feras jamais sortir, parce que cet homme est le nôtre et fait nos oeuvres. » Le frère lui ayant demandé son nom : « Je  m’appelle Balcéfas, lui répondit-il. » Cependant, quand il eut été adjuré au nom de saint Pierre, il jeta Roba par terre et s'en alla de suite. Roba fut parfaitement délivré, et accepta une salutaire pénitence.

— Le jour des Rameaux, saint Pierre prêchait à Milan devant un auditoire très nombreux composé d'hommes et de femmes : il dit publiquement et à haute voix : « Je sais de science certaine que les hérétiques traînent ma mort : déjà pour cela l’argent. est donné. Mais qu'ils fassent tout ce qu'ils peuvent, je les persécuterai plus vivement mort que vif. » Ce qui se réalisa.

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— A Florence, au monastère des Rives, une religieuse était en oraison le jour que saint Pierre souffrit la mort : elle vit la Sainte Vierge assise dans la gloire sur un trône élevé, et deux frères de l’ordre des Prêcheurs montant au ciel, qui furent placés de chaque côté de la Vierge Marie. Comme elle s'informait quels ils étaient, elle entendit une voix lui dire : « C'est le frère Pierre qui monte glorieux comme un parfum d'aromates en présence du Seigneur. » Et il fut vérifié que saint Pierre fut tué ce jour-là même que la religieuse eut cette vision. Or, comme depuis longtemps elle souffrait d'une maladie grave, elle se mit en dévotion à prier saint Pierre et reçut bientôt santé entière.

— Un écolier qui revenait de Maguelonne à Montpellier, en faisant un saut, se rompit à l’aine au point de se faire grand mal et de ne pouvoir avancer un pas. Entendant dire qu'une femme avait étendu de la terre arrosée du sang de saint Pierre sur un cancer qui lui rongeait les chairs : « Seigneur Dieu, dit-il, je n'ai point de cette terre, mais vous avez donné tant de mérite à cette terre, vous pouvez bien aussi en donner à celle-ci. » Il prit donc de la terre, fit le signe de la croix, invoqua le martyr, et la mit sur l’endroit malade et aussitôt il fut guéri.

— L'an du Seigneur 1259, il y avait à Compostelle un homme nommé Benoît dont les jambes étaient enflées comme des outres, le ventre comme celui d'une femme enceinte, la figure horriblement bouffie, et tout le corps gonflé de. telle sorte qu'on eût cru voir un monstre. Comme il avait peine à se soutenir sur un bâton, il demanda l’aumône à une dame qui lui répondit: « Tu aurais plus besoin d'une fosse que de tout autre bien, mais suis mon conseil; va au couvent des frères Prêcheurs, confesse tes péchés, et invoque le patronage de saint Pierre. »

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Il vint donc le matin à la maison des frères dont il trouva la porte fermée. Il se mit devant et s'endormit. Et voici qu'un homme vénérable, habillé comme les frères Prêcheurs, lui apparut, le couvrit de son manteau et le fit entrer, Celui-ci, à son réveil, se trouva être dans l’église et vit qu'il était guéri parfaitement. L'admiration et la stupeur furent générales quand on vit un homme près de mourir, sitôt guéri d'une pareille infirmité.


(66) SAINT PHILIPPE, APOTRE

Philippe signifie bouche de lampe, ou bouche des mains ou bien il vient de philos, amour, et uper, au-dessus, qui aime les choses supérieures. Par bouche de lampe, on entend sa prédication brillante; par bouche des mains, ses bonnes oeuvres continuelles ; par amour des choses supérieures; sa contemplation céleste.

Saint Philippe, apôtre, après avoir prêché vingt ans en Scythie, fut pris par les païens qui voulurent le forcer à sacrifier devant une statue de Mars. Mais aussitôt, il s'élança de dessous le piédestal un dragon. qui tua le fils du pontife employé à porter le feu pour le sacrifice, deux tribuns dont les soldats tenaient Philippe dans les chaînes : et son souffle empoisonna les autres à tel point qu'ils tombèrent tous malades. Et Philippe dit : « Croyez-moi, brisez cette statue, et à sa place adorez la croix du Seigneur, afin que vos malades soient guéris et que les morts ressuscitent. » Mais ceux qui étaient souffrants criaient : « Faites-nous seulement guérir, et de suite nous briserons ce Mars. » Philippe commanda alors au dragon de descendre au désert, pour qu'il ne nuisit à qui que ce fût.

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Le monstre se retira aussitôt, et disparut. Ensuite Philippe les guérit tous et il obtint la vie pour les trois morts. Ce fut ainsi que tout le monde crut. Pendant une année entière il les prêcha, et après leur avoir ordonné des prêtres et des diacres, il vint en Asie dans la ville de Hiérapolis, où il éteignit l’hérésie des Ebionites qui enseignaient que J.-C. avait pris une chair fantastique. Il avait là avec lui deux de ses filles, vierges très saintes, par le moyen desquelles le Seigneur convertit beaucoup de monde à la foi. Pour Philippe, sept jours avant sa mort, il convoqua les évêques et les prêtres, et leur dit : « Le Seigneur  m’a accordé ces sept jours pour vous donner des avis. » Il avait alors 87 ans. Après quoi les infidèles se saisirent de lui, et l’attachèrent à la croix, comme le maître qu'il prêchait. Il trépassa de cette manière heureusement au Seigneur. A ses côtés furent ensevelies ses deux filles, l’une à sa droite, et l’autre à sa gauche. Voici ce que dit Isidore de ce Philippe dans le Livre de la Vie, de la naissance et de la mort des saints * : « Philippe prêche J.-C. aux Gaulois; les nations barbares voisines, qui habitaient dans les ténèbres, sur les bords de l’océan furieux, il les conduit à la lumière de la science et au port de la foi; enfin, crucifié à Hiérapolis, ville de la province de Phrygie, et lapidé, il y mourut, et y repose avec ses filles. »

* Ch. XLV.

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Quant à Philippe qui fut un des sept diacres, saint Jérôme dit, dans son martyrologe, que le 8e des ides de juillet, il mourut à Césarée, illustre par ses miracles et ses prodiges ; à côté de lui furent enterrées trois de ses filles, car la quatrième repose à Ephèse. Le premier Philippe est différent de celui-ci, en ce que le premier fut apôtre, le second diacre; l’apôtre repose à Hiérapolis, le diacre à Césarée. Le premier eut deux filles prophétesses, le second en eut quatre, bien que dans l’Histoire ecclésiastique on paraisse dire que ce fut saint Philippe, apôtre, qui eut quatre filles prophétesses : mais il vaut mieux s'en rapporter à saint Jérôme.

* Eusèbe, Histoire ecclésiastique, I. III, c. XXXI.
                                                          

(67) SAINTE APOLLONIE (APOLLINE) **

Au temps de l’empereur Dèce, une affreuse persécution s'éleva à Alexandrie contre les serviteurs de Dieu. Un homme nommé Devin devança. les ordres de l’empereur, comme ministre des démons, en excitant, contre les chrétiens, la superstition de la populace qui dans son ardeur était dévorée de la soif du sang des justes. Tout d'abord on se saisit de quelques personnes pieuses de l’un et de l’autre sexe. Aux uns, on déchirait le corps, membre après membre, à coups de fouets ; à d'autres, on crevait les yeux avec des roseaux pointus, ainsi que le visage, après quoi on les chassait de la ville. Quelques-uns étaient traînés aux pieds des idoles afin de les leur faire adorer; mais

** Eusèbe, Histoire ecclésiastique, liv. VIII, ch. XXXI.

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comme ils s'y refusaient avec horreur, on leur liait les pieds avec des chaînes, on les traînait à travers les rues de toute la ville, et leurs corps étaient arrachés par flambeaux dans cet atroce et épouvantable supplice. Or, il y avait; en ce temps-là, une vierge remarquable, d'un age fort avancé, nommée Apollonie, ornée des fleurs de la chasteté, de la sobriété et de la pureté, semblable à une colonne des plus solides, appuyée sur l’esprit même du Seigneur, elle offrait aux anges et aux hommes le spectacle admirable de bonnes oeuvres inspirées par la foi et par une vertu céleste. La multitude en fureur s'était donc ruée sur les maisons des serviteurs de Dieu, brisant tout avec un acharnement étrange ; on traîna d'abord au tribunal des méchants la bienheureuse Apollonie, innocente de simplicité, fort, de sa vertu, et n'ayant pour se défendre que la conscience d'un coeur intrépide, et la pureté d'une conscience sans tache; elle offrait avec grand dévouement son âme à Dieu et abandonnait à ses persécuteurs son corps tout chaste pour qu'il fût tourmenté. Lors donc que cette bienheureuse vierge fut entre leurs mains, ils eurent la cruauté de lui briser d'abord les dents; ensuite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand billot et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte n’eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se recueillant un instant, tout d'un coup, elle s'échappe des mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le brasier dont on la menaçait. De là l’effroi des païens cruels qui voyaient une femme plus pressée de recevoir la mort qu'eux de l’infliger.

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Eprouvée déjà par différents supplices, cette courageuse martyre ne se laissa pas vaincre par la douleur des tourments qu'elle subissait, ni par l’ardeur des flammes, car son coeur était bien autrement embrasé des rayons de la vérité. Aussi ce feu matériel, attisé par la main des hommes, ne put détruire dans son cour intrépide l’ardeur qu'y avait déposée l’oeuvre de Dieu. Oh ! la grande et l’admirable lutte que celle de cette vierge, qui, par l’inspiration de la grâce de Dieu, se livra aux flammes pour ne pas brûler, et se consuma pour ne pas être consumée ; comme si elle n'eût pas été la proie du feu, et des supplices! Elle était libre de se sauvegarder, mais sans combat, elle ne pouvait acquérir de gloire. Cette vierge et martyre intrépide de J.-C. méprise les délices mondaines, foule par ses mépris les joies d'ici-bas, et sans autre désir que de plaire au Christ, son époux, elle reste inébranlable dans sa résolution de garder sa virginité, au milieu des tourments les plus violents. Ses mérites éminents la font distinguer au milieu des martyrs pour le glorieux triomphe qu'elle a heureusement remporté. Assurément il y eut dans cette femme un courage viril, puisque la fragilité de son sexe ne fléchit point dans une lutte si violente. Elle refoule la crainte humaine par l’amour de Dieu, elle se saisit de la croix du Christ comme d'un trophée; elle combat et remporte plus promptement la victoire avec les armes de la foi qu'elle n'aurait fait avec le fer, aussi bien contre les passions que contre tous les genres de supplices. Daigne nous accorder aussi cette grâce celui qui avec le Père et le Saint-Esprit règne dans les siècles des siècles.


(68) SAINT JACQUES, APÔTRE (LE MINEUR)

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Jacques veut dire, qui renverse, qui supplante celui qui se hâte, qui prépare. Ou bien il se tire de ia, qui signifie Dieu, et cobar, charge, poids. Ou bien Jacques vient de jaculum, javelot, et tope, coupure, coupé par des javelots. Or, on le dit qui renverse parce qu'il renversa le monde par le mépris qu'il en fit : il supplanta le démon qui est toujours hâtif : il prépara son corps à toutes sortes de bonnes oeuvres. Les mauvaises passions résident en nous par trois causes, ainsi que le dit saint Grégoire de Nisse : par mauvaise éducation, ou conversation, par mauvaise habitude du corps, ou par vice d'ignorance. Elles se guérissent, ajoute le même auteur, par la bonne habitude, par le bon exercice, et par l’étude de bonne doctrine. Ce fut ainsi que saint Jacques se guérit et qu'il eut son corps préparé à toutes sortes de bonnes oeuvres. Il fut un poids divin par la gravité de ses moeurs ; il fut coupé par le fer, en souffrant le martyre.

Saint Jacques, apôtre, est appelé Jacques d'Alphée, c'est-à-dire fils d'Alphée, frère du Seigneur, Jacques le mineur, et Jacques le Juste. On l’appelle Jacques d'Alphée, non seulement selon la chair, mais encore selon l’interprétation du nom : car Alphée, veut dire docte, document, fugitif, ou bien millième. Il est nommé Jacques d'Alphée, parce qu'il fut docte, par inspiration de science; document, par l’instruction des autres; fugitif, du monde, qu'il méprisa; et millième, par sa réputation d'humilité. On le nomme frère du Seigneur, parce qu'il lui ressemblait au point que beaucoup les prenaient l’un pour l’autre en les voyant.

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Ce fut pour cela que lorsque les Juifs vinrent se saisir de J.-C., de peur de prendre Jacques à sa place, Judas, qui vivant avec eux savait les distinguer, leur donna pour signal le baiser. C'est encore le témoignage de saint Ignace en son épître saint Jean l’évangéliste où il dit : « Si cela  m’est possible, je veux vous aller joindre à Jérusalem, pour voir ce vénérable Jacques, surnommé le juste, qu'on dit ressembler à J.-C. de figure, de vie, et de manière d'être, comme s'ils avaient été deux jumeaux de la même mère : ce Jacques dont on dit : si je le vois, je vois en même temps J.-C. dans chacun de ses membres. » On l’appelle encore frère du Seigneur, parce que J.-C. et Jacques, qui descendaient de deux soeurs, descendaient aussi, prétendait-on, de deux frères, Joseph et Cléophas : car on ne le nomme pas frère du Seigneur parce qu'il aurait été le fils de Joseph, l’époux de Marie, mais d'une autre femme, d’après certains témoignages, mais parce qu'il était fils de Marie, fille de Cléophé : Et ce Cléophé fut bien le frère de Joseph, époux de Marie, quoique maître Jean Beleth (ch. CXXIV) dise que Alphée, père de Jacques dont nous parlons, fut frère de Joseph,, époux de Marie. Ce que personne ne croit. Or, les Juifs appelaient frères ceux qui étaient parents des deux souches : Ou bien encore on l’appelle frère du Seigneur eu raison de la prérogative et de l’excellence de sa sainteté pour laquelle, de préférence aux autres apôtres, il fut ordonné évêque de Jérusalem. On l’appelle encore Jacques le mineur, pour le distinguer de Jacques le majeur, fils de Zébédée ; car quoique Jacques de Zébédée eût été plus âgé, il fut cependant,appelé après lui.

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De là vient la coutume qui s'observe dans la plupart des maisons religieuses que celui qui vient le premier s'appelle major, et celui qui vient le dernier s'appelle minor, quand bien même celui-ci serait plus ancien d'âge ou plus digne par sa sainteté. On l’appelle aussi Jacques le Juste, à cause du mérite de son excellentissime sainteté : car, d'après saint Jérôme, il fut en telle révérence et sainteté au peuple, que c’était à qui pourrait toucher le bord de son vêtement. En parlant de sa sainteté, Hégésippe, qui vivait peu de temps après les apôtres, écrit, selon les Histoires ecclésiastiques : « Jacques, le frère du Seigneur, généralement surnommé le Juste, fut chargé du soin de l’Eglise depuis J.-C. jusqu'à nos jours. Il fut saint dès le sein de sa mère; il ne but ni vin, ni bière; il ne mangea jamais de viande; le fer ne toucha pas sa tête; il n'usa jamais d'huile, ni de bain; il était toujours couvert d'une robe de lin. Il s'agenouillait tant de fois pour prier que la peau de ses genoux était endurcie comme la plante des pieds. En raison de cet état de justice extraordinaire et constante, il fut appelé juste et abba, qui veut dire défense du peuple et justice. Seul de tous les apôtres, à cause de cette éminente sainteté, il avait la permission d'entrer dans le saint des saints. » (Hégésippe.) On dit encore que ce fut le premier des apôtres qui célébra la messe; car, pour l’excellence de sa sainteté, les apôtres lui firent cet honneur de célébrer, 1e premier d'entre eux, la messe à Jérusalem, après l’ascension du Seigneur, même avant d'avoir été élevé à l’épiscopat, puisqu'il est dit, dans les Actes, qu'avant son ordination, les disciples persévéraient dans la doctrine enseignée par les apôtres, et dans la communion de la fraction du pain, ce qui s'entend de la célébration de la messe : ou bien peut-être, dit-on qu'il a célébré le premier en habits pontificaux, comme plus tard saint Pierre célébra la messe le premier à Antioche, et saisit Marc à Alexandrie.

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Sa virginité fut perpétuelle, au témoignage de saint Jérôme en son livre contre Jovinien. Selon que le rapportent Josèphe et saint Jérôme, en son livre des Hommes illustres, le Seigneur étant mort la veille du sabbat, saint Jacques fit voeu de ne point manger avant de l’avoir vu ressuscité d'entre les morts; et le jour de la résurrection, comme il n'avait pris jusque-là aucune nourriture, le Seigneur lui apparut ainsi qu'à ceux qui étaient avec. lui, et dit : « Mettez la table et du pain. » Puis prenant le pain, il le bénit et le donna à Jacques le Juste en disant Lève-toi, mon frère, mange, car le fils de l’homme est ressuscité des morts. » La septième année de son épiscopat, les apôtres s'étant réunis à Jérusalem, saint Jacques leur demanda quelles merveilles le Seigneur avait opérées par eux devant le peuple ; ils les lui racontèrent. Saint Jacques et les autres apôtres prêchèrent, pendant sept jours, dans le temple, en présence de Caïphe et de quelques autres Juifs qui étaient sur le point de consentir à recevoir le baptême, lorsque tout à coup un homme entra dans le temple et se mit à crier : « O Israélites, que faites-vous? Pourquoi vous laissez-vous tromper par ces magiciens?» Or, il émut si grandement le peuple, qu'on voulait lapider les apôtres. Alors il monta sur les degrés d'où prêchait saint Jacques, et le renversa par terre depuis ce temps-là il boita beaucoup. Ceci arriva à saint Jacques la septième année après l’ascension du Seigneur.

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La trentième année de son épiscopat, les Juifs n'ayant pu tuer saint Paul, parce qu'il en avait appelé à César et qu'il avait été envoyé à Rome, tournèrent contre saint Jacques leur tyrannie et leur persécution. Hégésippe, contemporain des apôtres, raconte, et on le trouve aussi dans l’Histoire ecclésiastique *, que les juifs cherchant l’occasion de le faire mourir, allèrent le trouver et lui dire :

« Nous t'en prions; détrompe le peuple de la fausse opinion où il est que Jésus est le Christ. Nous te conjurons de dissuader, au sujet de Jésus, tous ceux qui se rassembleront le jour de Pâques. Tous nous obtempérerons à ce que tu diras, et nous, comme le peuple, nous rendrons de toi ce témoignage que tu es juste et que tu ne fais acception de personne. » Ils le firent donc monter sur la plate-forme du temple et lui dirent en criant à haute voix : « O le plus juste des hommes, auquel nous devons tous obéir, puisque le peuple se trompe au sujet de Jésus qui a été crucifié, expose-nous ce qu'il t'en semble. » Alors saint Jacques répondit d'une voix forte : « Pourquoi  m’interrogez-vous touchant le Fils de l’homme voici qu'il est assis dans les cieux, à la droite de la puissance souveraine, et qu'il doit venir pour juger les vivants et les morts. » En entendant ces paroles, les chrétiens furent remplis d'une grande joie et écoutèrent l’apôtre volontiers; mais les Pharisiens et les Scribes dirent : « Nous avons mal fait en provoquant ce témoignage de Jésus; montons donc et nous le précipiterons du haut en bas, afin que les autres effrayés n'aient pas la présomption de le croire. »

* Eusèbe, livre II, ch. XXIII.

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Et tous à la fois s'écrièrent avec force : « Oh ! oh ! le juste est aussi dans l’erreur. » Ils montèrent et le jetèrent en bas, après quoi, ils l’accablèrent sous une grêle de pierres en disant : « Lapidons Jacques le Juste. » Il ne fut cependant pas tué de sa chute, mais il se releva et se mettant sur ses genoux, il dit : « Je vous en prie, Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Alors un des prêtres, qui était des enfants de Rahab, s'écria : « Arrêtez, je vous prie, que faites-vous ? C'est pour vous que prie ce juste, et vous le lapidez ! » Or, l’un d'entre eux prit une perche. de foulon, lui en asséna un violent coup sur la tête et lui fit sauter la cervelle. C'est ce que raconte Hégésippe. Et saint Jacques trépassa au Seigneur par ce martyre sous Néron qui régna l’an 57 : il fut enseveli au même lieu auprès du temple. Or, comme le peuple voulait venger sa mort, prendre et punir ses meurtriers, ceux-ci s'enfuirent aussitôt. — Josèphe rapporte (liv. VII) que ce fut en punition du péché de la mort de Jacques le Juste qu'arrivèrent la ruine de Jérusalem et la dispersion des Juifs : mais ce ne fut pas seulement pour la mort de saint Jacques, mais principalement pour la mort du Seigneur qu'advint cette destruction, selon que l’avait dit le Sauveur : « Ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le temps auquel Dieu t'a visitée. » Mais parce que le Seigneur ne veut pas la mort du pécheur, et afin que les Juifs n'eussent point d'excuses, pendant 40 ans, il attendit qu'ils fissent pénitence, et par les apôtres, particulièrement par saint Jacques, frère du Seigneur, qui prêchait continuellement au milieu d'eux, il les rappelait au repentir.

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Or, comme il ne pouvait les rallier par ses avertissements, il voulut, du moins les effrayer par des prodiges : car, dans ces 40 ans qui leur furent accordés pour faire pénitence, on vit des monstruosités et des prodiges. Josèphe les raconte ainsi : Une étoile extraordinairement brillante, qui avait une ressemblance frappante avec une épée, paraissait menacer la ville qu'elle éclaira d'une lumière fatale pendant une année entière. A une fête des Azymes, sur la neuvième heure de la nuit, une lueur si éclatante entoura l’autel et le temple que l’on pensait qu'il fit grand jour. A la même fête, une génisse que l’on menait pour l’immoler mit au monde un agneau, au moment où elle était entre les mains des ministres. Quelques jours après, vers le coucher du soleil, on vit des chars et des quadriges portés dans toute la région de l’air, et des cohortes de gens armés s'entrechoquant dans les nuages et cernant la ville de bataillons improvisés. En un autre jour de fête, qu'on appelle Pentecôte, les prêtres, étant la nuit dans le temple intérieur pour remplir le service ordinaire, ressentirent des mouvements et un certain tumulte; en même temps, ils entendirent des voix qui criaient : « Sortons de, ces demeures. » Quatre ans avant la guerre, un homme nommé Jésus, fils d'Ananias, venu à là fête des tabernacles, se mit tout à coup à crier : « Voix du côté de l’orient; voix du côté de l’occident; voix du:côté des quatre vents ; voix contre Jérusalem et contre le temple; voix contre les époux et les épouses ; voix contre tout le peuple.» Cet homme est pris, battu, fouetté ; mais il ne savait dire autre chose, et plus on le frappait, plus haut il criait.

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On le conduit alors au juge, qui l’accable de cruels tourments; il le fait déchirer au point qu'on voyait ses os: mais il n'eut ni une prière ni une larme; à chaque coup qu'on lui assénait, il poussait les mêmes cris avec un certain hurlement; à la fin il ajouta : « Malheur! malheur à Jérusalem ! » (Récit de Josèphe.)

Or, comme les Juifs n'étaient pas convertis par ces avertissements, et qu'ils ne s'épouvantaient point de ces prodiges, quarante ans après, le Seigneur amena à Jérusalem Vespasien et Tite qui détruisirent la ville de fond en comble. Et voici ce qui les. fit venir à Jérusalem ; on le trouve dans une histoire apocryphe : Pilate, voyant qu'il avait condamné Jésus innocent, redouta la colère de l’empereur Tibère, et lui dépêcha, pour porter ses excuses, un courrier du nom d'Albin : or, à la même époque, Vespasien avait le gouvernement de la Galatie au nom de Tibère César. Le courrier fut poussé en Galatie par les vents contraires et amené à Vespasien. C'était une coutume du pays que quiconque faisait naufrage appartenait corps et biens au gouverneur. Vespasien s'informa qui il était, d'où il venait, et où il allait. « Je suis, lui répondit-il, habitant de Jérusalem : je viens de ce pays et j'allais à Rome. » Vespasien lui dit : « Tu viens de la terre des sages, tu connais la science de la médecine, tu es médecin, tu dois me guérir. » En effet Vespasien, dès son enfance, avait une espèce de vers dans le nez. De là son nom de Vespasien. Cet homme lui répondit : « Seigneur, je ne me connais pas en médecine, aussi ne te puis-je guérir. »

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Vespasien lui dit : « Si tu ne me guéris, tu mourras. » Albin répondit : « Celui qui a rendu la vue aux aveugles, chassé les démons, ressuscité les morts, celui-là sait que j'ignore l’art de guérir. » Et quel est, répliqua Vespasien, cet homme dont tu racontes ces merveilles ? » Albin lui dit : « C'est Jésus de Nazareth que les Juifs ont tué par jalousie; si tu crois en lui, tu obtiendras ta guérison. » Et Vespasien dit : « Je crois, car puisqu'il a ressuscité les morts, il pourra aussi me délivrer de cette infirmité. » Et comme il parlait ainsi, des vers lui tombèrent du nez et tout aussitôt il recouvra la santé. Alors Vespasien, au comble de la joie, dit : « Je suis certain qu'il fut le fils de Dieu celui qui a pu me guérir. Eh bien ! J'en demanderai l’autorisation à César : j'irai à main armée à Jérusalem anéantir tous les traîtres et les meurtriers de Jésus. » Puis il dit à Albin, le messager de Pilate :

« Avec ma permission, tu peux retourner chez toi, ta vie et tes biens saufs. » Vespasien alla donc à Rome et obtint de Tibère-César la permission de détruire la Judée et Jérusalem. Alors pendant plusieurs années, il leva plusieurs corps de troupes ; c'était au temps de l’empereur Néron, quand les Juifs se furent révoltés contre l’empire. Ce qui prouve, d'après les chroniques, qu'il ne le fit pas par zèle pour J.-C., mais parce que les Juifs avaient secoué la domination des Romains. Vespasien arriva donc à Jérusalem avec une nombreuse armée, et au jour de Pâques, il investit la ville de toutes parts, et y enferma une multitude infinie de Juifs venus pour célébrer la fête.

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Pendant un certain espace de temps, avant l’arrivée de Vespasien à Jérusalem, les fidèles qui s'y trouvaient, avertis par le Saint-Esprit de s'en aller, se retirèrent dans une ville nommée Pella, au delà du Jourdain, afin que les hommes saints ayant quitté la cité, la justice divine pût exercer sa vengeance sur ce pays sacrilège, et, sur ce peuple maudit. La première ville de la Judée attaquée fut celle de Jonapatam, dont Josèphe était le commandant et le chef; mais Josèphe opposa avec ses hommes urne vigoureuse résistance. Cependant connue il voyait la ruine prochaine de cette place, il prit onze Juifs avec lesquels il s'enferma dans un souterrain, où, après avoir éprouvé pendant quatre jours les horreurs de la faim, ces Juifs, malgré Josèphe, aimèrent mieux mourir que de se soumettre au joug de Vespasien : ils préféraient se tuer les uns les autres et offrir leur sang en sacrifice à Dieu. Or, parce que Josèphe était le plus élevé en dignité parmi eux, ils voulaient le tuer le premier, afin que Dieu fût plus vite apaisé par l’effusion de son sang, ou bien ils voulaient se tuer mutuellement (c'est ce qu'on voit en une chronique), afin de ne pas se rendre aux Romains. Mais Josèphe, en homme de prudence qui ne voulait pas mourir, s'établit juge de la mort et du sacrifice, et ordonna qu'on tirerait au sort deux, par deux, à qui serait tué le premier par l’autre. On tira donc le sort qui livra à la mort tantôt l’un, tantôt l’autre, jusqu'au dernier avec lequel Josèphe avait à tirer lui-même. Alors Josèphe, qui était fort et adroit, lui enleva son épée et lui demanda de choisir la vie ou la mort en lui intimant l’ordre de se prononcer sur-le-champ.

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Cet homme effrayé répondit : « Je ne refuse pas de vivre, si, grâce à vous, je puis conserver la vie. » Alors Josèphe parla en secret à un des familiers de Vespasien, que lui-même connaissait bien aussi, et demanda qu'on lui laissât la vie. Et ce qu'il demanda, il l’obtint. Or, quand Josèphe eut été amené devant Vespasien, celui-ci lui dit : « Tu aurais mérité la mort, si tu n'avais été délivré par les sollicitations de cet homme. » « S'il y a eu quelque chose de mal fait, répondit Josèphe, on peut le tourner à bien. » Vespasien reprit : « Un vaincu, que peut-il faire ? » Josèphe lui dit : « Je puis faire quelque chose, si je sais me faire écouter favorablement. » Vespasien répondit : « Soit, parle convenablement, et si tu dis quelque chose de bon, on t'écoutera tranquillement. » Josèphe reprit :

« L'empereur romain est mort, et le Sénat t'a fait empereur. » « Puisque tu es prophète, dit Vespasien, pourquoi n'as-tu pas prédit à cette ville qu'elle devait tomber en mon pouvoir ? Je le lui ai prédit pendant quarante jours, répondit Josèphe. » En même temps arrivent les députés romains, proclamant que Vespasien est élevé à l’empire, et ils le conduisent à Rome. Eusèbe en sa chronique témoigne aussi que Josèphe prédit à Vespasien, et la mort de l’empereur, et son élévation. Alors Vespasien laissa Tite,, son fils, au siège de Jérusalem. Or, celui-ci, apprenant que son frère avait été proclamé empereur (c'est ce qu'on lit dans la même histoire apocryphe), fut rempli d'un tel transport de joie qu'une contraction nerveuse le saisit à la suite d'une fraîcheur et qu'il fut paralysé d'une jambe.

* Lib. II, R. DCCCXX, p. 546. (Migne).

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Josèphe apprenant que Tite était paralysé, rechercha avec un soin extrême la cause et les circonstances de cette maladie. La cause, il ne la put découvrir, ni on ne put lui dire de quelle nature était la maladie ; pour le temps où elle s'est déclarée, il apprend que c'est en entendant annoncer que son frère était élu empereur. En homme prévoyant et sage Josèphe, avec ce peu de renseignements, se livra à des conjectures qui lui firent trouver la nature de la maladie, par la circonstance où elle s'était déclarée, savoir : que sa position était le résultat d'un excès de joie et d'allégresse. Or, ayant remarqué que les contraires se guérissent par les contraires, sachant encore que ce qui est occasionné par l’amour se détruit souvent par la douleur, il se mit à chercher s'il ne se trouvait personne en butte à l’inimitié de ce prince. Il y avait un esclave tellement à charge à Tite qu'il lui suffisait de le regarder pour être tout bouleversé; son nom, il ne le pouvait même entendre prononcer. Josèphe dit alors à Tite : « Si tu souhaites être guéri, accueille bien tous ceux qui seront de ma compagnie. » Tite répondit: « Quiconque viendra en ta compagnie peut être certain d'être bien reçu. » Aussitôt Josèphe fit préparer un festin, plaça sa table vis-à-vis de celle de Tite, et fit mettre l’esclave à sa droite. En le voyant, Tite contrarié frémit de mécontentement, et comme la joie l’avait refroidi, la fureur où il se mit le réchauffa. Ses nerfs se détendirent et il fut guéri. Après quoi Tite rendit ses bonnes grâces à son esclave, et accorda son amitié à Josèphe. Peut-on s'en rapporter à cette histoire, apocryphe ? Est-elle ou non digne de récit? J'en laisse l’appréciation au lecteur.

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Or, le siège de Jérusalem dura deux ans. Au nombre des maux qui firent le plus souffrir les assiégés, il faut tenir compte d'une famine si affreuse que les parents arrachaient leur nourriture à leurs enfants, les maris à leurs femmes, et les femmes à leurs maris, non seulement d'entre les mains, mais même d'entre les dents : les jeunes gens les plus robustes par l’âge, semblables à des spectres errant par les rues, tombaient d'inanition tant ils étaient pressés par la faim. Ceux qui ensevelissaient les morts tombaient souvent morts. sur les morts eux-mêmes. Comme on ne pouvait soutenir la puanteur des cadavres, on les fit ensevelir au dépens du trésor public. Et quand le trésor fut épuisé, on jeta au-dessus des murs les cadavres qui s'amoncelaient. Tite, en faisant le tour de la place, vit les fossés remplis de corps morts dont la puanteur infectait le pays ; alors il leva les mains au ciel en pleurant, et il dit : « O Dieu, tu le vois, ce n'est pas moi qui en suis l’auteur. » Car la famine était si grande, dans Jérusalem qu'on y mangeait les chaussures et les courroies. Pour comble d'horreur, une dame  de noble race et riche, ainsi qu'on le lit dans l’Histoire ecclésiastique, avait été dépouillée,de tout par des brigands qui se jetèrent sur sa maison, et ne lui laissèrent absolument rien à manger. Elle prit dans ses bras son fils encore à la mamelle, et lui dit : « O fils, plus malheureux encore que ta malheureuse mère ! à quoi te réserverai-je ? sera-ce à la guerre ou à la faim, ou encore au carnage?
Viens donc à cette heure, ô mon enfant ; sois la nourriture de ta mère, le scandale des brigands, et l’entretien des siècles. »

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Après avoir dit ces mots, elle égorgea son fils, le fit cuire, en mangea une moitié et cacha l’autre. Et voici que les brigands, qui sentaient l’odeur de la viande cuite, se ruent incontinent dans la maison, et menacent cette femme de mort, si elle ne leur donne la viande. Alors elle découvrit les membres de l’enfant : « Voici, dit-elle, à vous a été réservée la meilleure part. » Mais ils furent saisis d'une horreur telle qu'ils ne purent parler. « C'est mon fils, ajouta-t-elle, c'est moi qui ai commis le crime ; mangez sans crainte ; j'ai mangé la première de l’enfant que j'ai mis au monde : n'ayez garde d'être plus religieux qu'une. mère et plus délicats que des femmes : si la pitié vous domine, et si vous éprouvez de l’horreur, je mangerai tout entier ce dont j'ai déjà mangé une moitié. »  Les brigands se retirèrent tout tremblants et effrayés. En fin la seconde année de l’empire de Vespasien, Tite prit Jérusalem, la ruina, détruisit le temple jusque dans ses fondements, et de même que les Juifs avaient acheté J.-C. trente deniers, de même Tite fit vendre trente Juifs pour un denier. D'après le récit de Josèphe, quatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus, et onze cent mille périrent par la faim et par l’épée.

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On lit encore que Tite, en entrant dans Jérusalem, vit un mur d'une grande épaisseur, et le fit creuser. Quand on y eut percé un trou, on y trouva dans l’intérieur un vieillard vénérable par son aspect et ses cheveux blancs. Interrogé qui il était, il répondit qu'il était Joseph, de la ville de Judée nommée Arimathie, qu'il avait été enfermé et muré là pour avoir enseveli J.-C. : et il ajouta que depuis ce moment, il avait été nourri d'un aliment céleste, et fortifié par une lumière divine. Pourtant l’évangile de Nicodème dit que les Juifs ayant reclus Joseph, J.-C. en ressuscitant le tira de là et le conduisît à Arimathie. On peut dire alors qu'après sa délivrance, Josèphe ne cessa de prêcher J.-C. et qu'il fut reclus une seconde fois. L'empereur Vespasien étant mort, Tite, son fils, lui succéda à l'empire. Ce fut, un prince rempli de clémence, d'une générosité et d'une bonté telles que, selon le dire d'Eusèbe dans sa chronique et le témoignage de saint Jérôme, un jour qu'il n'avait pas fait une bonne action, ou qu'il n'avait rien donné, il dit : « Mes amis, j'ai perdu ma journée. »

Longtemps après, des Juifs voulurent réédifier Jérusalem ; étant sortis de bon matin ils trouvèrent plusieurs croix tracées par la rosée, et ils s'enfuirent effrayés. Le lendemain matin, dit Milet dans sa chronique, chacun d'eux trouva des croix de sang empreintes sur ses vêtements. Plus effrayés encore, ils prirent de nouveau la fuite, mais étant revenus le troisième jour, ils furent consumés par une vapeur enflammée sortie des entrailles de la terre.


(69) L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX

Cette fête est appelée l’Invention de la Sainte Croix, parce qu'on rapporte que la sainte croix fut trouvée à pareil jour. Mais auparavant, elle avait été trouvée par Seth, fils d'Adam, dans le paradis. terrestre, comme il est raconté plus bas; par Salomon, sur le Liban ; par la reine de Saba, dans le temple, de Salomon ; par les Juifs, dans l’eau de la piscine ; et en ce Jour par sainte Hélène, sur le mont du Calvaire.

L'Invention de la Sainte Croix eut lieu plus de deux cents ans après la résurrection de J.-C. On lit dans l’évangile de Nicodème (ch. XIX) qu'Adam étant devenu malade, Seth, son fils, alla à la porte du paradis et demanda de l’huile du bois de la miséricorde pour oindre le corps de son père afin qu'il recouvrât la santé.

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L'archange Michel lui apparut et lui dit : « Ne pleure pas et ne te mets point en peine d'obtenir de l’huile du bois de la miséricorde, car il te sera absolument impossible d'en obtenir, avant que cinq mille cinq cents ans soient révolus.

Cependant on croit, que d'Adam jusqu'à la passion du Seigneur il s'écoula seulement 5099 ans.
On lit encore ailleurs que l’ange lui offrit un, petit rameau et lui ordonna de le planter sur le mont Liban. Mais ou lit, dans une histoire apocryphe des Grecs, que l’ange lui donna du bois de l’arbre par le fruit duquel Adam avait péché, en l’informant que sole père serait guéri. quand ce bois porterait du fruit. A son retour, Seth trouva son père mort et il planta ce rameau sur sa tombe. Cette branche plantée devint en croissant un grand arbre qui subsista jusqu'au, temps de Salomon. (Mais il faut laisser au lecteur à juger si ces choses sont vraies, puisqu'on n'en fait mention dans aucune chronique, ni dans aucune histoire authentique.) Or, Salomon considérant la beauté de cet arbre le fit couper et mettre dans la maison du Bois *.

* Au IIIe livre des Rois, ch. VII, il est question de cette maison qui. fut construite par Salomon. Elle reçut le nom de maison du Bois, saltus, à cause de la quantité de cèdres qui entra dans sa construction.

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Cependant, ainsi que le dit Jean Beleth. (ch. CLI), On ne pouvait le mettre nulle part, et il n'y avait pas moyen de lui trouver un endroit où il pût être employé convenablement : car il était tantôt trop long, tantôt trop court : si on l’avait raccourci dans les proportions qu'exigeait la place où on le voulait employer, il paraissait si court qu'on ne le regardait plus comme bon à rien. En conséquence, les ouvriers, de dépit, le rejetèrent et le mirent sur une pièce d'eau pour qu'il servît de pont aux passants. Or, quand la reine de Saba vint entendre la Sagesse de Salomon, et voulut passer sur cette pièce, elle vit en esprit que le Sauveur du monde devait être suspendu à ce bois, et pour cela elle ne voulut point passer dessus, mais aussitôt elle l’adora. Cependant dans l’Histoire scholastique (liv. III Rois, c. XXVI), on lit que la reine de Saba vit cette pièce dans la maison du Bois, et en revenant à son palais elle communiqua à Salomon que sur ce bois devait être suspendu celui dont la mort devrait être la cause de la destruction du royaume des Juifs.

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C'est pourquoi Salomon le fit ôter du lieu où il était, et enterrer dans les entrailles les plus profondes de la terre. Dans la suite on y établit la Piscine Probatique où les Nathinéens * lavaient les victimes, et ce n'est pas seulement à la descente de l’ange, mais encore à la vertu de ce. bois que l’on attribue que l’eau en était troublée et que les infirmes y étaient guéris.

* C'étaient des Gabaonites qui étaient attachés au service du temple depuis Josué. Cf. Paralipomènes, IX, 2; Sigonius, De Repub. Hebraeor., liv. IX, ch. VII.

Or, quand approcha le temps de la passion de J.-C., on rapporte que cette pièce surnagea, et les Juifs, en la voyant, la prirent pour en fabriquer la croix du Seigneur. On dit encore que cette croix fut faite de quatre essences de bois, savoir de palmier, de cyprès, d'olivier et de cèdre. De là ce vers :

Ligna Crucis palma, cedrus, cupressus, oliva.

Car dans la croix, il y avait le bois qui servait de montant droit, la traverse,la tablette de dessus, et le tronc où était fixée la croix, ou bien, selon Grégoire de Tours*, la tablette qui servait de support, sous les pieds de J.-C. Par là on, peut voir que chacune des pièces pouvait être d'une de ces essences de bois dont on vient de parler. Or, l’apôtre paraît avoir eu en vue ces différentes sortes de bois quand il dit : « Afin que vous puissiez comprendre avec tous. les saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur » (Ep. aux Ephés., c. II, 18).

* Miracul., liv. I, c. VI.

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Ces paroles sont expliquées comme il suit par l’illustre docteur saint Augustin : « La largeur de la croix du Seigneur, dit-il, c'est la traverse, sur laquelle on a étendu ses mains sa longueur allait depuis la terre jusqu'à cette traverse en largeur sur quoi tout le corps de J.-C. fut attaché, moins les mains; sa hauteur, c'est à partir de cette largeur jusqu'à l’endroit de dessus où se trouvait la tête; sa profondeur, c'était la partie cachée et enfoncée dans la terre. Dans la croix on trouve décrites toutes les actions d'un homme chrétien, qui sont de faire de bonnes oeuvres en J.-C., de lui être persévéramment attaché, d'espérer les biens célestes, et ne pas profaner les sacrements.

Ce bois précieux de la croix resta caché sous terre deux cents ans et plus : mais il fut découvert ainsi qu'il suit par Hélène, mère de l’empereur Constantin. En ce temps-là, sur les rives du Danube, se rassembla une multitude innombrable de barbares voulant passer le fleuve, et soumettre à leur domination tous les pays jusqu'à l’occident. Dès que l’empereur Constantin le sut, il décampa et vint se placer avec son. armée sur le Danube. Mais la multitude des barbares s'augmentant, et passant déjà le fleuve, Constantin fut, frappé d'une grande terreur, en considérant qu'il aurait à livrer bataille le lendemain. Or, la nuit suivante, il est réveillé par un ange qui l’avertit de regarder en l’air. Il tourne les veux vers le ciel et voit le signe de la croix formée par une lumière fort resplendissante, et portant écrite en lettres d'or cette inscription : « In hoc signo vinces, par ce signe tu vaincras. » Réconforté par cette vision céleste, il fit faire une croix semblable qu'il ordonna de porter à la tête de son armée: se précipitant alors sur les ennemis, il les mit en fuite et en tua une multitude immense. Après quoi Constantin convoqua tous les pontifes des temples et s'informa avec beaucoup de soin de quel Dieu c'était le signe. Sur leur réponse qu'ils l’ignoraient, vinrent plusieurs chrétiens qui lui firent connaître le mystère de la sainte croix et la foi de la Trinité.

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Constantin crut alors parfaitement en J.-C. et reçut le saint baptême des mains d'Eusèbe, pape, ou selon quelques livres, évêque de Césarée. Mais dans ce récit, il y a beaucoup de points contredits par l’Histoire tripartite et par l’Ecclésiastique, par la Vie de saint Silvestre et les Gestes des pontifes romains. D'après certains auteurs, ce ne fut pas ce Constantin que le pape Silvestre baptisa après sa conversion à la foi, comme paraissent l’insinuer plusieurs histoires, mais ce fut Constantin, le père de ce Constantin, ainsi qu'on le voit dans des historiens. En effet ce Constantin reçut la foi d'une autre manière rapportée dans la légende de saint Silvestre, et ce n'est pas Eusèbe de Césarée qui le baptisa, mais bien saint Silvestre. Après la mort de son père, Constantin, qui n'avait pas perdu le souvenir de la victoire remportée par la vertu de la sainte croix, fit passer Hélène, sa mère, à Jérusalem pour trouver cette croix, ainsi que nous le dirons plus bas.

Voici maintenant un récit tout différent de cette victoire, d'après l’Histoire Ecclésiastique (ch. IX). Elle rapporte donc que Maxence ayant envahi l’empire romain, l’empereur Constantin. vint lui présenter la bataille vis-à-vis le pont Albin. Comme il était dans une grande anxiété, et qu'il levait souvent les yeux au ciel pour implorer son secours, il vit en songe, du côté de l’orient dans le ciel, briller une croix, couleur. de feu : des anges se présentèrent devant lui et lui dirent : « Constantin, par cela tu vaincras. » Et, selon le témoignage de l’Histoire tripartite *, tandis que Constantin s'étonnait de ce prodige, la nuit suivante, J.-C. lui apparut avec le signe vu dans le ciel; il lui ordonna de faire des images pareilles qui lui, porteraient bonheur dans les combats.

* Liv. IX, c. IX.

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Alors Constantin fut rendu à la joie et assuré de la victoire ; il se marqua le front du signe qu'il avait vu dans le ciel, fit transformer les enseignes militaires sur le modèle de la croix et prit à la main droite une croix d'or. Après quoi il sollicita du Seigneur que cette droite, qu'il avait munie du signe salutaire de la croix, ne fût ni ensanglantée, ni souillée du sang romain, mais qu'il remportât la victoire sur le tyran sans effusion de sang. Quant à Maxence, dans l’intention de tendre un piège, il fit disposer des vaisseaux, fit couvrir le fleuve de faux ponts. Or, Constantin s'étant approché du fleuve, Maxence accourut à sa rencontre avec peu de monde, après avoir donné ordre aux autres corps de le suivre; mais il oublia lui-même qu'il avait fait construire un faux pont, et s'y engagea avec une poignée de soldats. Il fut pris au piège qu'il avait tendu lui-même, car il tomba dans le fleuve qui était profond; alors Constantin fut acclamé empereur à l’unanimité. D'après ce qu'on lit dans une chronique assez authentique, Constantin ne crut pas parfaitement dès ce moment; il n'aurait même pas alors reçu le baptême; mais peu de temps après, il eut une vision de saint Pierre et de saint Paul; et quand il eut reçu la vie nouvelle du baptême et obtenu la guérison de sa lèpre, il crut parfaitement dans la suite en J.-C. Ce fut alors qu'il envoya sa mère Hélène à Jérusalem pour chercher la croix du Seigneur.

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Cependant saint Ambroise; dans la lettre où il rapporte la mort de Théodose, et l’Histoire tripartite *, disent que Constantin reçut le baptême seulement dans ses derniers moments; s'il le différa jusque-là, ce fut pour pouvoir le recevoir dans le fleuve du Jourdain. Saint Jérôme en dit autant dans sa chronique. Or, il est certain qu'il fut fait chrétien sous le pape saint Silvestre, quant à savoir s'il différa son baptême, c'est douteux ; ce qui fait qu'en la légende de saint Silvestre, il y a là-dessus, comme en d'autres points, bien peu de certitude. Or, l’histoire de l’Invention de la sainte croix, telle qu'on la lit dans les histoires ecclésiastiques conformes en cela aux chroniques, paraît plus authentique de beaucoup que celle qu'on récite dans les églises. Il est en effet constant qu'il s'y trouve des endroits peu conformes à la vérité, si ce n'est qu'on veuille dire, comme ci-dessus, que ce ne fut pas Constantin, mais son père qui portait le même nom : ce qui du reste ne paraît pas très plausible, quoique ce soit le récit de certaines histoires d'outre-mer.

Hélène arrivée à Jérusalem fit réunir autour d'elle les savants qu'on trouva dans toute la contrée. Or, cette Hélène était d'abord restée dans une hôtellerie**, mais épris de sa beauté, Constantin se l’attacha, selon que saint Ambroise l’avance en disant : « On assure qu'elle fut hôtelière, mais elle fut unie à Constantin l’ancien qui, dans la suite, posséda l’empire.

* Liv. III, ch. XII.
** Le mot latin stabularia voudrait dire servante de cour. Saint Ambroise paraît l’indiquer quelques lignes plus loin. Nous avons mieux aimé donner un féminin au mot, hôtelier, hôtelière est un mot qui a vieilli.

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Bonne hôtelière, qui chercha avec tant de soin la crèche du Seigneur! Bonne hôtelière, qui connut cet hôtelier dont les soins guérirent cet homme blessé par les brigands *! Bonne hôtelière, qui a regardé toutes choses comme des ordures afin de gagner J.-C. **! Et pour cela Dieu l’a tirée de l’ordure pour l’élever sur un trône » (saint Ambroise). D'autres affirment, et c'est l’opinion émise dans une chronique assez authentique, que cette Hélène. était fille de Clohel, roi des Bretons ;Constantin en venant dans la Bretagne la prit pour femme, parce qu'elle était fille unique. De là vient qui• l’île de Bretagne échut à Constantin après la mort de Clohel. Les Bretons eux-mêmes (attestent; on lit pourtant ailleurs qu'elle était de Trèves. Or, les Juifs, remplis de crainte, se disaient les uns aux autres : « Pour quel motif pensez-vous que la Reine nous ait convoqués auprès d'elle? » L'un d'eux nommé Judas, dit : « Je sais, moi, qu'elle veut apprendre de nous. l’endroit où se trouve le bois de la croix sur lequel le Christ a été crucifié. Gardez-vous bien d'être assez présomptueux pour le lui découvrir. Sinon tenez pour très certain que notre loi sera détruite et que toutes les traditions de nos pères seront totalement. abolies : car Zachée mon aïeul l’a prédit à mon père Siméon et mon père  m’a dit avant de mourir : « Fais attention, mon fils, à l’époque où l’on cherchera la croix du Christ : dis où elle se trouve, avant d'être mis à la torture; car à dater de cet instant le pouvoir des Juifs, à jamais aboli, passera entre les mains de ceux qui adorent le crucifié, parce que ce Christ était le fils de Dieu.»
* Allusion à la parabole du Samaritain de l’Evangile.
** Expression de saint Paul dans l’Epître aux Philippiens, c. III, 8.

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Alors j'ai répondu : «Mon père, si vraiment nos ancêtres ont su que ce Christ était le fils de Dieu, pourquoi l’ont-ils attaché au gibet de la croix? » « Le Seigneur est témoin, répondit-il, que je n'ai jamais fait partie de leur conseil; mais que souvent je me suis opposé à leurs projets : or, c'est parce que le Christ reprochait les vices des Pharisiens qu'ils le firent crucifier : mais il est ressuscité le troisième jour et il a monté au ciel à la vue de ses disciples. Mon frère Etienne, que les Juifs en démence ont lapidé, a cru en lui. Prends garde donc, mon fils, de n'oser jamais blasphémer le Christ ni ses disciples. » — « Il ne paraît cependant pas, très probable que le père de ce Judas ait existé au temps de la Passion de J.-C., puisque de la passion jusqu'au temps d'Hélène, sous laquelle vécut Judas, il s'écoula plus de 270 ans; à moins qu'on ne veuille dire qu'alors les hommes vivaient plus longtemps qu'à présent. » Cependant les Juifs dirent à Judas : « Nous n'avons jamais entendu dire choses semblables. Quoi. qu'il. en soit, si: la Reine t'interroge, aie soin de ne lui faire aucun aveu.» Lors donc qu'ils furent en présence, de la Reine, et qu'elle leur eut demandé le lieu où le Seigneur avait été crucifié, pas un d'eux ne consentit à le lui indiquer alors elle les condamna tous à être brûlés. Ils furent saisis d'effroi et signalèrent Judas, en disant : « Princesse, voici le fils d'un juste et d'un prophète qui a connu parfaitement la loi ; demandez-lui tout ce que vous voulez, il vous l’indiquera. »

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Alors elle les congédia tous à l’exception de Judas qu'elle retint et auquel elle dit : « Je te propose la vie ou la mort; choisis ce que tu préfères. Montre-moi donc le lieu qui s'appelle Golgotha, où le Seigneur a été crucifié, afin que je puisse trouver sa croix. »

Judas répondit :

« Comment puis-je le savoir, puisque deux cents ans et plus se sont écoulés et que je n'étais pas né à cette époque ? » La Reine lui dit : « Par le crucifié, je te ferai mourir de faim, si tu ne me dis la vérité. » Elle ordonna donc qu'il fût jeté dans tin puits desséché pour y endurer les horreurs de la faim. Or, après y être resté six jours sans nourriture, le septième il demanda à sortir, en promettant de découvrir la croix. On le retira. Quand il fut arrivé à l’endroit, après avoir fait une prière, tout à coup la terre tremble, il se répandit une fumée d'aromates d'une admirable odeur; Judas lui-même, plein d'admiration, applaudissait des deux mains et disait : « En vérité, ô Christ, vous êtes le Sauveur du monde ! » Or, d'après l’Histoire ecclésiastique, il y avait, en ce lieu, un temple de Vénus construit, autrefois par l’empereur Hadrien, afin que si quelque chrétien eût voulu y adresser ses adorations, il parût adorer Vénus : et, pour ce motif, ce lieu avait cessé d'être fréquenté et était presque entièrement délaissé, mais la Reine fit détruire ce temple jusque dans ses fondements et en fit labourer la place. Après quoi Judas se ceignit et se mit à creuser avec courage. Quand il eut atteint à la profondeur de vingt pas, il trouva trois croix enterrées, qu'il porta incontinent à la reine.

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Or, comme l’on ne savait pas distinguer celle de J.-C. d'avec celles des larrons; on les plaça au milieu de la ville pour attendre que la gloire de Dieu se manifestât. Sur la onzième heure, passa le corps d'un jeune homme qu'on portait en terre : Judas arrêta le cercueil, mit une première et une seconde croix sur le cadavre du défunt, qui ne ressuscita pas, alors on approcha la troisième croix du corps et à l’instant il revint à la vie.

On lit cependant, dans les histoires ecclésiastiques *, qu'une femme des premiers rangs de la ville gisait demi-morte, quand Macaire, évêque de Jérusalem, prit la première et la deuxième croix, ce qui ne produisit aucun résultat : mais quand il posa sur elle la troisième,, cette femme rouvrit les yeux et fut guérie à l’instant. Saint Ambroise dit, de son côté, que Macaire distingua la croix du Seigneur, par le titre qu'avait fait mettre Pilate, et dont l’évêque lut l’inscription qu'on trouva aussi. Alors le diable se mit à vociférer en l’air : « O Judas, disait-il, pourquoi as-tu fait cela? Le Judas qui est le mien a fait tout le contraire : car celui-ci, poussé par moi, fit la trahison, et toi, en me reniant, tu as trouvé la croix de Jésus. Par lui, j'ai Bagué les âmes d'un grand nombre; par toi, je parais perdre celles que j'ai gagnées : par lui, je régnais sar le peuple; par toi, je suis chassé de mon royaume. Toutefois je te rendrai la pareille, et je susciterai contre toi un autre roi qui, abandonnant la foi dit crucifié, te fera renier dans les tourments le crucifié. »

* Sozomène. — Hist. eccl., l. II, c. I ; — Nicéph. cal., l. XVII, c. XIV, XV ; — Evagr., IV, 26.

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Ceci paraît se rapporter à l’empereur Julien : celui-ci, lorsque Judas fut devenu évêque de Jérusalem, l’accabla de nombreux tourments et le fit mourir martyr de J.-C. En entendant les vociférations du diable, Judas ne craignit rien, mais il ne cessa de maudire le diable en disant : « Que le Christ te damne dans l’abîme du feu éternel! » Après quoi Judas est baptisé, reçoit le nom de Cyriaque, puis est ordonné évêque de Jérusalem, quand le titulaire fut mort. (Belette, c. XXV). Mais comme la bienheureuse Hélène ne possédait pas les clous du Seigneur, elle pria l’évêque Cyriaque d'aller au Golgotha et de les chercher. Il y vint et aussitôt après avoir adressé des prières à Dieu, les clous apparurent brillants dans la terre, comme de l’or. Il les prit et les porta à la reine. Or, celle-ci se mit à genoux par terre et, après avoir incliné la tête, elle les adora avec grande révérence. Hélène porta une partie de la croix à son fils, et renferma l’autre dans des châsses d'argent qu'elle laissa à Jérusalem ; quant aux clous avec lesquels le corps du Seigneur avait été attaché, elle les porta à son fils. Au rapport d'Eusèbe de Césarée, elle en fit deux freins dont Constantin se servait dans les batailles, et elle mit les autres à son casque en guise d'armure. Quelques auteurs, comme Grégoire de Tours*, assurent que le corps du Seigneur fut attaché avec quatre clous Hélène en mit deux au frein du cheval de l’empereur, le troisième à la statue de Constantin qui domine la ville de Rome, et elle jeta le quatrième dans la mer

* Miracul., lib. I, ch. VI.

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Adriatique qui jusque-là avait été un gouffre pour les navigateurs. Elle ordonna que cette fête de l’Invention de la sainte croix fût célébrée chaque année solennellement. Voici ce que dit saint Ambroise e : « Hélène chercha les clous du Seigneur et les trouva. De l’un elle fit faire des freins ; elle incrusta l’autre dans le diadème : belle place que la tête pour ce clou ; c'est une couronne sur le front, c'est une bride à la main : c'est l’emblème de la prééminence du sentiment, de la lumière de la foi, et de la puissance impériale. » Quant à l’évêque saint Cyriaque, Julien l’apostat le fit mourir plus tard, pour avoir trouvé la sainte croix dont partout il prenait à tâche de détruire le signe. Avant de partir contre les Perses, il fit inviter Cyriaque à sacrifier aux idoles : sur le refus du saint, Julien lui fit couper le bras en disant : « Avec cette main il a écrit beaucoup de lettres qui ont détourné bien du monde de sacrifier aux dieux. » Cyriaque lui répondit : « Chien insensé, tu  m’as bien rendu service ; car avant de croire à J.-C., trop souvent j'ai écrit des lettres que j'adressais aux synagogues des Juifs afin que personne ne crût en J.-C. et voilà que tu viens de retrancher de mon corps ce qui en avait été le scandale. » Alors Julien fit fondre du plomb qu'il ordonna de lui verser dans la bouche ; ensuite il fit apporter un lit en fer sur lequel Cyriaque fut étendu et au-dessous on mit des charbons ardents et. de la graisse. Comme Cyriaque restait immobile, Julien lui dit : « Si tu ne veux pas sacrifier aux idoles, dis au moins que tu n'es pas chrétien. »

* De obitu Theod., nos 47-48.

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L'évêque s'y refusa avec horreur. Julien fit creuser une fosse profonde qu'on fit remplir de serpents venimeux. Cyriaque y fut jeté, mais les serpents moururent aussitôt. Julien ordonna alors que Cyriaque fût jeté dans une chaudière pleine d'huile bouillante. Or, comme le saint voulait y entrer spontanément, il se signa, et pria le Seigneur de le baptiser une seconde fois dans l’eau du martyre, mais Julien furieux lui fit percer la poitrine avec une épée. Ce fut ainsi que saint Cyriaque mérita de consommer son martyre dans le Seigneur.

La grandeur de la vertu de la Croix est manifeste dans ce notaire fidèle, trompé par un magicien qui le conduisit en un lieu où il avait fait venir des démons, en lui promettant des richesses immenses. Il vit un Ethiopien de haute stature, assis sur un trône élevé, et entouré d'autres Ethiopiens- debout, armés de lances et de bâtons. Alors l’Ethiopien demanda à ce magicien : « Quel est cet enfant ? » Le magicien répondit: « Seigneur, c'est votre serviteur. » Le démon dit au notaire : « Si tu veux  m’adorer, être mon serviteur, et renier ton Christ, je te ferai asseoir à ma droite. » Mais le notaire se hâta de faire le signe de la croix et s'écria qu'il était de toute son âme le serviteur du Sauveur J.-C. Il n'eut pas plutôt fait le signe de la croix que toute cette multitude de démons disparut. Peu de temps après, ce même notaire entra un jour avec son maître dans le temple de Sainte-Sophie; se trouvant ensemble devant une image du Sauveur, le maître remarqua que cette image avait les yeux fixés sur le notaire qu'elle regardait attentivement

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Plein de surprise, le maître fit passer le jeune homme à droite et vit que l’image avait encore tourné les veux de ce côté, en les dirigeant sur le notaire. I1 le fit de nouveau revenir à gauche, et voici que l’image tourna encore les yeux et se mit à regarder le notaire comme auparavant. Alors le maître le conjura de lui dire ce qu'il avait fait à Dieu pour mériter que l’image le regardât, ainsi. Il répondit qu'il n'avait la conscience d'aucune bonne action, si ce n'est qu'il n'avait pas voulu renier le Sauveur devant le diable.


(70) SAINT JEAN, APÔTRE, DEVANT LA PORTE LATINE

Saint Jean, apôtre et évangéliste; prêchait à Ephèse quand il fut pris par le proconsul, et invité à immoler aux dieux. Comme il rejeta cette proposition, il est mis en prison : on envoie alors à l’empereur Domitien une lettre dans laquelle saint Jean est signalé comme un grand sacrilège, un contempteur des dieux et un adorateur du crucifié. Par l’ordre de Domitien, il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous les cheveux par dérision, on le jette dans une chaudière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait un feu ardent: c'était devant la porte de la ville qu'on appelle Latine. Il n'en ressentit cependant aucune douleur, et en sortit parfaitement sain. En ce lieu donc, les chrétiens bâtirent une église, et ce jour est solennisé comme le jour du martyre de saint Jean.

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Or, comme le saint apôtre n'en continuait pas moins à prêcher J.-C., il fut, par l’ordre de Domitien, relégué dans l'ile de Pathmos. Toutefois les empereurs romains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient pas les apôtres parce que ceux-ci prêchaient J.-C. ; mais parce que les apôtres proclamaient la divinité de Jésus-Christ sans l’autorisation du Sénat qui avait défendu que cela ne se fît de personne. — C'est pourquoi dans l’Histoire ecclésiastique, on lit que Pilate envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus-Christ*. Tibère alors consentit à ce que la foi fût reçue par les Romains, mais le Sénat s’y opposa formellement, parce que J.-C. n'avait pas été appelé Dieu d'après son autorisation. Une autre raison rapportée par une chronique, c'est que J.-C. n'avait pas tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est que J.-C. rejetait le culte de tous les dieux qu'honoraient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est que J.-C. enseignait le mépris du monde et que les Romains étaient des avares et des ambitieux. Me Jean Beleth assigne de son côté une autre cause pour laquelle les empereurs et le Sénat repoussaient J.-C. et les apôtres: c'était que J.-C. leur paraissait un Dieu trop orgueilleux et trop jaloux, puisqu'il ne daignait pas avoir d'égal. Voici une autre raison: donnée par Orose (liv. VII, ch. IV) : « le Sénat vit avec peine que c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit au sujet des miracles de J.-C. et c'est sur ce prétexte qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux.

* Eusèbe, 1. II, c. II.

Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de sénateurs, et en condamna d'autres à l'exil. » —  La mère de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome, et poussée par une compassion de mère, s'y rendit pour le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle apprit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira dans la ville de Vétulonia en Campanie, où elle rendit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps enseveli dans un autre, mais dans la suite, il fut révélé à saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants miracles ; il fut transféré avec grand honneur dans la ville qu'on vient de nommer.


(71) LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE

(LES ROGATIONS)

Deux fois par an arrivent les litanies ; à la fête de saint Marc, c'est la litanie majeure, et aux trois jours qui précèdent l’ascension du Seigneur, c'est la litanie mineure. Litanie veut dire supplication, prière ou rogation. La première a trois noms différents, qui sont : litanie majeure, procession septiforme, et croix noires.

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I. On l’appelle litanie majeure, pour trois motifs, savoir : à raison de celui qui l’institua, ce fut saint Grégoire, le grand pape; à raison du lieu où elle fuit instituée qui est Rome, la maîtresse et la capitale du Inonde, parce qu'à Rome se trouvent le corps du prince des apôtres et le saint siège apostolique ; à raison de la cause pour laquelle elle ut instituée : ce fut une grande et très grave épidémie. En effet les Romains, après avoir passé le carême dans la continence, et avoir reçu à Pâques le corps du Seigneur, s'adonnaient sans frein à la débauche dans les repas, aux jeux et à la luxure ; alors Dieu provoqué leur envoya une épouvantable peste qu'on nomme inguinale, autrement apostume ou enfle de l’aine. Or, cette peste était si violente que les hommes mouraient subitement, dans les chemins, à table, au jeu, dans les réunions, de sorte que, s'il arrivait, comme on dit, que quelqu'un éternuât, souvent alors il rendait l’âme. Aussi entendait-on quelqu'un éternuer, aussitôt on courait et on criait : « Dieu vous bénisse » et c'est là, dit-on, l’origine de cette coutume, de dire : Dieu vous bénisse, à quelqu'un qui éternue.

Ou bien encore, d'après ce qu'on en rapporte, si quelqu'un bâillait, il arrivait souvent qu'il mourait tout de suite subitement. Aussi, dès qu'on se sentait l’envie de bâiller, tout de suite, on se hâtait de faire sur soi le signe de la croix; coutume encore en usage depuis lors. On peut voir dans la vie de saint Grégoire l’origine de cette peste.

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II. On l’appelle procession septiforme, de la coutume qu'avait établie saint Grégoire de partager en sept ordres ou rangs les processions qu'il faisait de son temps. Au premier rang était tout le clergé, au second tous les moines et les religieux, au troisième les religieuses, au quatrième tous les enfants, au cinquième tous les laïcs, au sixième toutes les veuves et les continentes, au septième toutes les personnes mariées. Mais comme il n'est plus possible à présent d'obtenir ces sept divisions de personnes, nous y suppléons par le nombre des litanies; car on doit les répéter sept fois avant de déposer les insignes.

III. On l’appelle les croix noires, parce que les hommes se revêtaient d'habits noirs, en signe de deuil, à cause de la mortalité, et comme pénitence, et c'est peut-être aussi pour, cela qu'on couvrait de noir les croix et les autels. Les fidèles doivent aussi revêtir alors des habits de pénitence.

On appelle litanie mineure, celle qui précède de trois jours la fête de l’Ascension. Elle doit son institution à saint Mamert, évêque de Vienne, du temps de l’empereur Léon qui commença à régner l’an du Seigneur 458. Elle fut donc établie avant la, litanie majeure. Elle a reçu le nom de litanie mineure, de rogations et de procession. On l’appelle litanie mineure pour la distinguer de la première, parce qu'elle fut établie par un moins grand évêque, dans un lieu inférieur et pour une maladie moindre.

Voici la cause de son institution : Vienne était affligée de fréquents et affreux tremblements de terre qui renversaient beaucoup de maisons et d'églises. Pendant la nuit, on entendait, des bruits et des clameurs répétés. Quelque chose de plus : terrible encore arriva ; le feu du ciel tomba le jour de Pâques et consuma le palais royal tout entier.

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Il y eut un autre fait plus merveilleux. De même que par la permission de Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pourceaux, de même aussi par la permission de Dieu, pour les péchés des hommes, ils entraient dans des loups et dans d'autres bêtes féroces et sans craindre personne, ils couraient en plein jour non seulement par les chemins mais encore par la ville, dévorant çà et là des enfants, des vieillards et des femmes. Or, comme ces malheurs arrivaient journellement, le saint évêque Mamert ordonna un jeûne de trois jours et institua des litanies; alors cette tribulation s'apaisa. Dans la suite, cette pratique s'établit et fat approuvée par l’Église ; de sorte qu'elle s'observe universellement.

— On l’appelle encore rogations, parce qu'alors nous implorons les suffrages de tous les saints : et nous avons raison d'observer cette pratique en ces temps-ci, de prier les saints et de jeûner pour différents motifs : 1° pour que Dieu apaise le fléau de la guerre, parce que c'est particulièrement au printemps qu'il éclate; 2° pour qu'il daigne multiplier par leur conservation les fruits tendres encore ; 3° pour mortifier chacun en soi les mouvements déréglés de la chair qui sont plus excités à cette époque.

Au printemps en effet le sang a plus de chaleur et les mouvements déréglés sont plus fréquents ; 1° afin que chacun se dispose à la réception du Saint-Esprit ; car par le jeûne, l’homme se rend plus habile, et par les prières il devient plus digne. Maître Guillaume d'Auxerre assigne deux autres raisons : 1° comme Jésus-Christ a dit en montant au ciel : « Demandez et vous recevrez », l’Église doit adresser ses demandes avec plus de confiance; 2° 1'Eglise jeûne et prie afin de se dépouiller de la chair par la mortification des sens, et de s'acquérir des ailes à l’aide de l’oraison ; car l’oraison, ce sont les ailes au moyen desquelles l’âme s'envole vers le ciel, pour ainsi suivre les traces de J.-C. qui y est monté afin de nous ouvrir le chemin et qui a volé sur les ailes des vents. En effet l’oiseau, dont le corps est épais et les ailes petites, ne saurait bien voler, comme cela est évident, par l’autruche.

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On l’appelle encore procession, parce qu'alors l’Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises on porte un dragon avec une queue énorme, et on implore spécialement le patronage de tous les saints. Si l’on y porte la croix et si l’on sonne les cloches, c'est pour que les démons effrayés prennent, la fuite. Car de même qu'à l’armée le roi a les insignes royaux, qui sont les trompettes et les étendards, de même J.-C., le roi éternel dans son Eglise militante, a les cloches pour trompettes et les croix pour étendards ; et de même encore qu'un tyran serait en grand émoi, s'il entendait sur son domaine les trompettes d'un puissant roi son ennemi, et s'il envoyait les étendards, de même les démons, qui sont dans l’air ténébreux, sont saisis de crainte quand ils sentent sonner les trompettes de J.-C., qui sont les cloches; et qu'ils regardent les étendards qui sont les croix. — Et c'est la raison qu'on donne de la coutume de l’Église de sonner les cloches, quand on voit se former les tempêtes; les démons, qui en sont les auteurs, entendant les trompettes du roi éternel, prennent alors l’épouvante et la fuite, et cessent d'amonceler les tempêtes : il y en a bien encore une autre raison, c'est que les cloches, en cette occasion, avertissent les fidèles et les provoquent à se livrer à la prière dans le péril qui les menace.

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La croix est réellement encore l’étendard du roi éternel, selon ces paroles de l’Hymne

Vexilla regis prodeunt ;
Fulget Crucis mysterium
Quo carne carnis conditor
Suspensus est patibulo *.

Or, les démons ont une terrible peur de cet étendard, selon le témoignage de saint Chrysostome : « Partout où les démons aperçoivent le signe du Seigneur, ils fuient effrayés le bâton qui leur a fait leurs blessures. » C'est aussi la raison pour laquelle, en certaines élises, lors des tempêtes, on sort la croix de l’église et on l’expose contre la tempête, afin que les démons, voyant l’étendard du souverain roi, soient effrayés et prennent la fuite. C'est donc pour cela que la croix est portée à la procession, et que l’on sonne les cloches, alors les démons qui habitent les airs prennent l’épouvante et la fuite, et s'abstiennent de nous incommoder**.

* L'étendard du Roi apparaît; le mystère de la Croix éclate le créateur de l’homme, homme lui-même, est suspendu à un gibet.
Ce sont les paroles de la 1re strophe de l’hymne du temps de la Passion, telle qu'elle se récitait avant la correction exécutée avec plus ou moins de piété et de bonheur au XVIIe siècle.
**Saint Paul, au IIe chapitre de la Lettre aux Ephésiens, appelle le démon, le Prince de la puissance de l’air, Principent potestatis aëris hujus.

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Or, on y porte cet étendard pour représenter la victoire de la Résurrection et celle de
l’Ascension de J.-C. qui est monté aux cieux avec un grand butin. Cet étendard qui s'avance dans les airs, c'est J.-C. montant au ciel. Or, ainsi que l’étendard porté à la procession est suivi de la multitude des fidèles, ainsi J.-C. montant au ciel est accompagné d'un cortège immense de saints. Le chant des processions représente les cantiques et les louanges des anges accourant au-devant de J.-C. qui monte au ciel, et l’accompagnant de leurs acclamations puissantes et unanimes jusque dans le ciel.

Dans quelques églises encore, et principalement dans les églises gallicanes, c'est la coutume de porter, derrière la croix, un dragon avec une longue queue remplie de paille ou de quelque autre matière semblable, les deux premiers jours ; mais le troisième jour cette queue est vide : ce qui signifie que le, diable a régné en ce monde au premier jour qui représente le temps avant la loi et le second jour qui marque le temps de la loi, mais au troisième jour c'est-à-dire, au temps de la grâce, après la Passion de J.-C., il a été expulsé de son royaume. En cette procession nous réclamons encore le patronage de tous les saints.

Nous avons donné plus haut quelques-unes des raisons pour lesquelles nous prions alors les saints: Il y en a encore d'autres générales pour lesquelles Dieu nous a ordonné de le prier; ce sont : notre indigence, la gloire des saints et l’honneur de Dieu. En effet les saints peuvent connaître les voeux de ceux qui leur adressent des supplications; car dans ce miroir éternel, il aperçoivent quelle joie c'est pour eux, et quel secours c'est pour nous.

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La première raison donc c'est notre indigence : elle provient ou bien de ce que nous méritons peu; quand donc ces mérites de notre part sont insuffisants, nous nous aidons de ceux d'autrui : ou bien cette indigence se manifeste dans la contemplation : Or, puisque nous ne pouvons contempler la souveraine lumière en soi, nous prions de pouvoir la regarder dans les saints : ou bien cette indigence réside dans l’amour : parce que le plus souvent l’homme étant imparfait ressent en soi-même plus d'affection pour un saint en particulier que pour Dieu même. La seconde raison, c'est la gloire des saints car Dieu veut que nous les invoquions pour obtenir par leurs suffrages ce que nous demandons, afin de les glorifier eux-mêmes et en les glorifiant de les louer. La troisième raison, c'est l’honneur de Dieu ; en sorte que le pécheur qui a offensé Dieu, honteux, pour ainsi dire, de s'adresser à Dieu personnellement, peut implorer ainsi le patronage de ceux qui sont les amis de Dieu, Dans ces sortes de processions on devrait répéter souvent ce cantique angélique : Sancte Deus, sancte fortis, sancte et immortalis, miserere nobis. En effet saint Jean Damascène, au livre III, rapporte que l’on célébrait des litanies à Constantinople, à l’occasion de certaines calamités, quand un enfant fut enlevé au ciel du milieu du peuple ; revenu au milieu de la foule, il chanta devant tout le monde ce cantique qu'il avait appris des anges et bientôt après cessa la calamité. Au concile de Chalcédoine, ce cantique fut approuvé. Saint Damascène conclut ainsi : « Pour nous, nous disons due par ce cantique les démons sont éloignés. »

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Or, il y a quatre motifs de louer et d'autoriser ce chant : 1° parce que ce fut un ange qui l’enseigna ; 2° parce qu'en le récitant cette calamité s'apaisa; 3° parce que le concile de Chalcédoine l’approuva; 4° parce que les démons le redoutent *. »

* Une lettre du pape Félix III; Marcel dans sa Chronique; Nicéphore, liv. IV, ch. XLVI ; le concile de C. P. racontent le même fait.


(72) SAINT BONIFACE, MARTYR **

Saint Boniface souffrit le martyre, sous Dioclétien et Maximien, dans la ville de Tarse; mais il fut enseveli à Rome sur la voie latine. C'était l’intendant d'une noble matrone appelée Aglaë. Ils vivaient criminellement ensemble; mais touchés l’un et l’autre par la grâce de Dieu, ils décidèrent que Boniface irait chercher des reliques des martyrs dans l’espoir de mériter, au moyen de leur intercession, le bonheur du salut, par les hommages et l’honneur qu'ils rendraient à ces saints corps. Après quelques jours de marche, Boniface arriva dans la ville de Tarse et s'adressant à ceux qui l’accompagnaient : « Allez, leur dit-il, chercher où nous loger: pendant ce temps j'irai voir les martyrs au combat; c'est ce que je désire faire tout d'abord. » Il alla en toute hâte au lieu des exécutions : et il vit les bienheureux martyrs, l’un suspendu par les pieds sur un foyer ardent, un autre étendu sur quatre pièces de bois et soumis à un supplice lent, un troisième labouré avec des ongles de fer, un quatrième auquel on avait coupé les mains, et le dernier élevé en l’air et étranglé par des bûches attachées à son cou.

** Bréviaire; — Martyrologe d’Adon, au 5 juin. Ruinart a donné ces actes dans son recueil.

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En considérant ces différents supplices dont se rendait l’exécuteur un bourreau sans pitié, Boniface sentit grandir son courage, et son amour pour J.-C. et s'écria : « Qu'il est grand le Dieu des saints martyrs! » Puis il courut se jeter à leurs pieds et embrasser leurs chaînes: «Courage, leur dit-il, martyrs de J.-C. ; terrassez le démon, un peu de persévérance ! Le labeur est court, mais le repos sera long ensuite, viendra le temps où vous serez rassasiés d'un bonheur ineffable. Ces tourments que vous endurez pour l’amour de Dieu n'ont qu'un temps ; ils vont cesser et tout à l’heure, vous passerez à la joie d'une félicité qui n'aura point. de fin ; la vue de votre roi fera votre bonheur; vous unirez vos voix au concert des chœurs angéliques, et revêtus de la robe brillante de l’immortalité vous verrez du haut du ciel vos bourreaux impies tourmentés tout vivants dans l’abîme d'une éternelle misère. » —

Le juge Simplicien, qui aperçut Boniface, le fit approcher de son tribunal et lui demanda : « Qui es-tu? » « Je suis chrétien, répondit-il, et Boniface est mon nom. » Alors le juge en colère le fit suspendre et ordonna de lui écorcher le corps avec des ongles de fer, jusqu'à ce qu'on vit ses os à nu ensuite il fit enfoncer des roseaux aiguisés sous les ongles de ses mains. Le saint martyr; les yeux levés au ciel, supportait ses douleurs avec joie.

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A cette vue, le juge farouche ordonna de lui verser du plomb fondu dans la bouche. Mais le saint martyr disait : « Grâces vous soient rendues, Seigneur J.-C., Fils du Dieu vivant. » Après quoi, Simplicien fit apporter une chaudière qu'on emplit de poix. On la fit bouillir et Boniface y fut jeté la tête la première. Le saint ne souffrit rien; alors le juge commanda de lui trancher la tête. Aussitôt un affreux tremblement de terre se fit ressentir et beaucoup d'infidèles, qui avaient pu apprécier le courage de cet athlète, se convertirent.

Cependant les compagnons de Boniface le cherchant partout et ne l’ayant point trouvé, se disaient entre eux : « Il est quelque part dans un lieu de débauche, ou occupé à faire bonne chère dans une taverne. » Or, pendant qu'ils devisaient ainsi, ils rencontrèrent un des geôliers. « N'as-tu pas vu, lui demandent-ils, un étranger, un Romain? » « Hier, leur répondit-il, un étranger a été décapité dans le cirque. » « Comment était-il? » « C'était, ajoutèrent-ils, un homme carré de taille, épais, à la chevelure abondante, et revêtu d'un manteau écarlate. » « Eh bien! répondit le geôlier, celui que vous cherchez a terminé hier sa vie par le martyre. » « Mais, reprirent-ils, l’homme que nous cherchons est un débauché, un ivrogne. » « Venez le voir, dit le geôlier. » Quand il leur eut montré le tronc du bienheureux martyr et sa tête précieuse, ils s'écrièrent : « C'est bien celui que nous cherchons veuillez nous le donner.» Le geôlier répondit : «Je ne puis pas vous délivrer son corps gratuitement.»

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Ils donnèrent alors cinq cents pièces d'or, et reçurent le corps du saint martyr qu'ils embaumèrent et renfermèrent dans des linges de prix; puis l’ayant mis dans une litière, lis revinrent pleins de joie et rendant gloire à Dieu. Or, un ange du Seigneur apparut à Aglaé et lui révéla ce qui était arrivé à Boniface. A l’instant elle alla au-devant du saint corps et fit construire, en son honneur, un tombeau digne de lui, à une distance de Rome de cinq stades. Boniface fut donc martyrisé, le 14 mai, à Tharse, métropole de la Cilicie, et enseveli à Rome le 9 juillet.

Quant à Aglaë, elle renonça au monde et à ses pompes : après avoir distribué tous ses biens aux pauvres et aux monastères, elle affranchit ses esclaves, et passa le reste de sa vie dans le jeûne et la prière. Elle vécut encore douze ans sous l’habit de religieuse, dans la pratique continuelle des bonnes oeuvres et fut enterrée auprès de saint Boniface.


(73) L'ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR

Notre Seigneur monta au ciel quarante jours après sa résurrection. Il y a sept considérations à établir par rapport à l’Ascension : 1° le lieu où elle se fit ; 2° pourquoi J.-C. n'a pas monté au ciel de suite après sa résurrection, mais pourquoi il a attendu quarante jours ; 3° de quelle manière il monta; 4° avec qui il monta; 5° à quel titre il monta ; 6° où il monta ; 7° pourquoi il monta.

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I — Ce fut du mont des Olives que J.-C. s'éleva aux cieux. D'après une autre version, cette montagne a reçu le nom de montagne des trois lumières; en effet, du côté de l’occident, elle était éclairée la nuit, par le feu du temple, car un feu brûlait sans cesse sur l’autel, le matin, du côté de l’orient, elle recevait les premiers rayons du soleil, même avant la ville ; il y avait en outre sur cette montagne une quantité d'oliviers dont l’huile sert d'aliment à la lumière, et voilà pourquoi on l’appelle la montagne des trois lumières. J.-C. commanda à ses disciples de se rendre à cette montagne ; car le jour de l’ascension même, il apparut deux fois : la première, aux onze apôtres qui étaient à table dans le cénacle.

Aussi bien les apôtres que les autres disciples, ainsi que les femmes, tous habitaient dans cette partie de Jérusalem appelée Mello, ou montagne de Sion. David y avait construit un palais; et c'était là que se trouvait ce grand cénacle tout meublé où J.-C. avait commandé qu'on lui préparât la Pâques, et dans ce cénacle habitaient alors les onze apôtres ; quant aux autres disciples avec les saintes femmes, ils occupaient tout autour différents logements.

Comme ils étaient à table dans le cénacle, le Seigneur: leur apparut et leur reprocha leur incrédulité et après qu'il eut mangé avec eux, et qu'il leur eut ordonné d'aller à la montagne des Oliviers, du côté de Béthanie, il leur apparut en cet endroit une seconde fois, répondit à quelques questions indiscrètes; après quoi il leva les mains pour les bénir et de là en leur présence, il monta au ciel.

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Voici, sur ce lieu de l’ascension, ce que dit Sulpice, évêque de Jérusalem, et après lui la Glose * : « Après qu'on eut bâti là une église, le lieu où J.-C. montant au ciel posa les pieds, ne put jamais être recouvert par un pavé; il y a plus, le marbre sautait à la figure de ceux qui le posaient. Une preuve que cet endroit avait été foulé par les pieds, c'est de ce qu'on voit imprimés des vestiges de pieds, et que la terre conserve encore une figure qui ressemble à des pas qui y ont été gravés. »

II — Pourquoi J.-C. n'est-il pas monté de suite après sa résurrection, mais a-t-il voulu attendre pendant quarante jours ? Il y en a trois raisons : 1 ° pour qu'on ait la certitude de la résurrection. Il était en effet plus difficile de prouver la vérité de la résurrection que celle de la Passion : car, du premier au troisième jour, on pouvait prouver la vérité de la passion: mais pour avoir la preuve certaine de la résurrection, il fallait un plus grand nombre de témoignages; et c'est pour cela qu'il était nécessaire qu'il y eût plus de temps entre la résurrection et l’ascension, qu'entre la passion et la résurrection. A ce sujet, saint Léon,  pape, s'explique comme il suit dans un sermon sur l’ascension : « Aujourd'hui est accompli le nombre de quarante jours qui avait été disposé par un arrangement très saint, et qui avait été dépensé au profit de notre instruction. Le Seigneur, en prolongeant, jusqu'à ce moment, le délai de sa présence corporelle, voulait affermir la foi en la résurrection par des témoignages authentiques. Rendons grâces à cette divine économie et au retard nécessaire que subirent les saints pères. Ils doutèrent, eux, afin que nous, nous ne doutassions pas. »

* Extrait de l’Histoire scholastique de Pierre Comestor.

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2° Pour consoler les apôtres. Or, puisque les consolations divines surpassent les tribulations et que le temps de la passion fut celui de la tribulation des apôtres, il devait donc y avoir plus de jours de consolation que de jours de tribulation. 3° Pour une signification mystique : c'est pour donner à comprendre que les consolations divines sont aux tribulations comme un. an est à un jour, comme un jour est à une heure, comme une heure est à un moment. Il est clair que les consolations divines sont aux tribulations comme un an est à un jour par ce passage d'Isaïe (c. LXI) : « Je dois prêcher l’année de la réconciliation du Seigneur et le jour de la vengeance de notre Dieu. » Voilà donc que pour un jour de tribulation, il rend une année de consolation. Il est clair que les consolations divines sont aux tribulations comme un jour est à une heure, par ce fait que le Seigneur resta. mort pendant quarante heures; c'est le temps de la tribulation : et qu'après être ressuscité, il apparut pendant quarante jours à ses disciples, et c'était le temps de la consolation. Ce qui fait dire à la Glose : « Il était resté mort pendant quarante heures, c'est pour cela qu'il confirmait, pendant quarante jours, la certitude qu'il avait repris la vie. » Isaïe laisse à entendre que les consolations sont aux tribulations comme une. heure est à un moment ; quand il dit (c. LIV) : « J'ai détourné mon visage de vous pour un moment, dans le temps de ma colère; mais je vous ai regardés ensuite avec une compassion qui ne finira jamais. »

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III — La manière dont il monta au ciel fut 1° accompagnée d'une grande puissance, selon ce que dit Isaïe (LXIII) : « Quel est celui qui vient d'Edom, marchant avec une force toute puissante? » Saint Jean dit aussi  (III) : « Personne n'est monté au ciel, par sa propre force, que celui qui est descendu du ciel, c'est-à-dire, le Fils de l’homme qui est dans le ciel. » Car quoiqu'il fût monté sur un groupe de nuages, cependant il ne l’a point fait parce que ce groupe lui fût devenu nécessaire, mais c'était pour montrer que toute créature est prête à obéir à son créateur. En effet il est monté par la puissance de sa divinité, et c'est en cela qu'est caractérisée la puissance ou le souverain domaine, d'après ce qui est rapporté dans les histoires ecclésiastiques au sujet d'Enoch et d'Elie : car Enoch fut transporté, Elie fut soulevé, tandis que J.-C. a monté par sa puissance propre. « Le premier, dit saint Grégoire, fut engendré et engendra, le second fut engendré mais n'engendra pas, le troisième rie fut pas engendré et n'engendra pas. » Il monta au ciel 2° publiquement, à la vue de ses disciples : aussi est-il dit (Actes, I) : « Ils le virent s'élever. » (Saint Jean) « Je vais à celui qui  m’a envoyé et personne de vous ne me demande : où allez-vous ? » La glose dit ici : « C'est donc publiquement, afin qu'il ne vienne à la pensée de personne de soulever des questions sur  ce qui se voit à l’oeil nu. » Il voulut monter, à la vue de ses disciples, pour qu'ils fussent eux-mêmes des témoins de l’ascension, qu'ils conçussent de la joie en voyant la nature humaine portée au ciel, et qu'ils désirassent y suivre J.-C. Il monta au ciel

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3° avec joie, au milieu des concerts des anges. Le Psaume dit (XLVI) : « Dieu est monté au milieu des cris de joie. » « Au moment de l’Ascension le dit saint Augustin, le ciel est tout stupéfait, les astres sont dans l’admiration, les bataillons sacrés applaudissent, les trompettes sonnent, et mêlent leur harmonie à celle des chœurs joyeux. » — Il monta  4° avec rapidité. « Il part avec ardeur, dit le Psalmiste, pour courir comme un géant dans sa carrière ; » car en effet il monta avec une extraordinaire vitesse puisqu'il parcourut un si grand espace comme en un moment. — Le rabbin Moïse, très grand philosophe, avance que chaque cercle, ou chaque ciel de quelque planète que ce soit, a de profondeur un chemin de 500 ans, c'est-à-dire, que l’espace en est si étendu qu'un homme mettrait cinq cents ans à le parcourir sur un chemin uni : la distance d'un ciel à un autre est de même, dit-il, un chemin de 500 ans; et comme il y a sept cieux, il y aura, d'après lui, à partir du centre de la terre jusqu'aux profondeurs du ciel de Saturne, qui est le septième un chemin de sept mille ans; et jusqu'au point le plus éloigné du ciel, sept mille cinq cents ans, c'est-à-dire, un espace si grand que quelqu'un qui marcherait sur une plaine mettrait 7500 ans à le parcourir, s'il pouvait vivre assez. Or, l’année se trouve composée de 365 jours, et le chemin qu'on fait en un jour est de quarante milles, chaque mille a deux mille pas ou coudées. » Voilà donc ce que dit le rabbin Moise. Or, s'il dit la vérité. Dieu le sait, car lui seul connaît cette mesure puisqu'il a tout fait en nombre, en poids et en mesure.

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C'est donc là le grand élan que prit J.-C. de 1a terre au ciel. Et au sujet de cet élan et de quelques autres que fit J.-C. citons les paroles de saint Ambroise, : « J.-C. prit son essor et vint dans ce monde; il était avec son père et il vint dans une Vierge, de la Vierge il passa dans le berceau ; il descendit dans le Jourdain il monta sur la croix; il descendit dans le tombeau ; il ressuscita du tombeau et il est assis à la droite de son père. »

IV — Avec qui a-t-il monté? Il faut savoir qu'il monta avec un grand butin d'hommes et une grande multitude d'anges. Qu'il soit monté avec un nombreux butin d'hommes, cela est évident par ces paroles du Psaume LXVII : « Vous êtes monté en haut; vous avez pris un grand nombre de captifs ; vous avez fait des présents aux hommes. » Qu'il soit monté avec une multitude d'anges, cela est évident, encore par ces questions qu'adressèrent, lors de l’ascension de Jésus-Christ, les anges d'un ordre inférieur à ceux d'un ordre supérieur, ainsi qu'il se trouve dans Isaïe : « Quel est celui qui vient d'Edom, de Bosra avec sa robe teinte de rouge ? » La Glose, dit ici que plusieurs des anges qui n'avaient pas une pleine connaissance des mystères de l’incarnation, de la passion et de la résurrection, en voyant monter au ciel le Seigneur avec une multitude d'anges et de saints personnages, et cela par sa propre puissance, se mettent à admirer ce mystère de l’incarnation et de la passion; alors ils disent aux anges qui accompagnent le Seigneur : « Quel est celui-ci qui vient... etc. » et encore avec le Psaume : « Quel est ce roi de gloire? »

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Saint Denis, au livre de la Hiérarchie angélique (ch. VII), semble insinuer que pendant que J.-C. montait, trois questions furent adressées par les anges.

— La première fut celle des anges majeurs les uns aux autres : la seconde fut celle des anges majeurs à J.-C. ; la troisième fut adressée par les anges inférieurs à ceux d'un ordre plus élevé. Les plus grands se demandent donc les uns aux autres : « Quel est celui-ci qui vient d'Edom, de Bosra, avec sa robe teinte de rouge? » Edom veut dire sanglant meurtrier, Bosra signifie fortifié, c'est comme s'ils se disaient : « Quel est celui-ci qui vient de ce monde ensanglanté par le péché et fortifié contre Dieu par la malice ? » Ou bien encore : « Quel est celui-ci qui vient d'un monde meurtrier et d'un enfer fortifié ? » Et le Seigneur répondit : « C'est moi dont la parole est la parole de justice, et je suis combattant pour sauver (Is., LXIII). »

Saint Denis dit ainsi : « C'est moi, dit-il, qui parle justice et jugement pour le salut. » Dans la rédemption du genre humain, il y eut justice, en tant que le créateur ramena la créature qui s'était éloignée de son maître, et il y eut jugement, en ce que J.-C., par sa puissance, chassa. le diable, usurpateur, de l’homme qu'il possédait. Mais ici saint Denis pose cette question : « Puisque les anges supérieurs sont le plus près de Dieu, et qu'ils sont immédiatement illuminés par lui, pourquoi s'adressent-ils des questions, comme s'ils avaient le désir de s'instruire mutuellement? » Saint Denis répond lui-même et son commentateur expose que : en s'interrogeant, ils montrent que la science a pour eux de l’attrait; en se questionnant d'abord les uns les autres, ils manifestent qu'ils n'osent pas d'eux mènes devancer la procession divine. Ils commencent donc par s'interroger tout d'abord pour ne prévenir, par aucune interrogation prématurée, l’illumination que Dieu opère en eux. Donc cette question n'est pas un examen de la doctrine, mais un aveu d'ignorance.

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— La seconde question est celle qu'adressèrent à J.-C. ces anges de premier degré « Pourquoi donc, disent-ils, votre robe est-elle rougie, et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les vêtements de ceux qui foulent dans le pressoir? » On dit que le Seigneur avait un vêtement, c'est-à-dire, son corps, rouge ou plein de sang, par la raison qu'en montant au ciel, il portait encore sur lui les cicatrices de ses plaies : car il voulut conserver ces cicatrices en son corps, pour cinq motifs ainsi énumérés par Bède dont voici les paroles : « Le Seigneur conserva ses cicatrices et, il les doit conserver jusqu'au jugement, pour affermir la foi en sa résurrection, pour les montrer à son père alors qu'il le supplie en faveur des hommes, pour que, les bons voient avec quelle miséricorde ils ont été rachetés, et les méchants reconnaissent avoir été justement damnés ; enfin pour porter les trophées authentiques de la victoire éternelle qu'il a remportée. » Donc à cette question le Seigneur répondit ainsi : « J'ai été seul à fouler le vin, sans qu'aucun homme de tous les peuples fût avec moi. » La croix peut être appelée un pressoir, sous la pression duquel il a tellement été écrasé qu'il a répandu tout son sang. Ou bien ce qu'il appelle pressoir, c'est le diable qui a tellement. enveloppé et étreint le genre humain dans les liens du péché qu'il a exprimé tout ce qu'il y avait en lui de spirituel, en sorte qu'il n'en reste que la cape. Mais notre guerrier a foulé le pressoir, il a rompu les liens des pécheurs, et après avoir monté au ciel, il a ouvert la demeure du ciel et a répandu le vin du Saint-Esprit.

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— La troisième question est celle qu'adressèrent les anges inférieurs aux supérieurs « Quel est, dirent-ils, ce roi de gloire? » Voici ce que dit saint Augustin par rapport à cette question et à la réponse qu'il était convenable d'y donner: « L'immensité des airs est, sanctifiée par le cortège divin, et toute la troupe des démons qui vole dans l’air se hâte de fuir à la vue de J.-C. qui s'élève. » Les anges accoururent à sa rencontre et demandent : « Qui est ce roi de gloire ? » D'autres anges leur répondent : « C'est celui qui est éclatant par sa blancheur et par sa couleur de rose; c'est celui qui n'a ni apparence, ni beauté il fut faible sur le bois, fort quand il partage le butin ; il fut vil dans un corps chétif, et équipé au moment du combat ; il fut hideux en sa mort, et beau dans sa résurrection ; il reçut une blancheur éclatante de la Vierge sa mère, et il était rouge de sang sur la croix sans éclat au milieu des opprobres, il brille dans le ciel. »

V — A quel titre il monta. Il en eut trois, répond saint Jérôme, avec le Psaume (XLIV). La vérité, la douceur et la justice. « La mérité, car vous avez accompli ce que vous aviez promis par la bouche des prophètes; la douceur, car vous vous êtes laissé immoler comme, une brebis pour la vie de votre peuple; la justice, parce que vous avez employé non pas la puissance; mais la justice pour délivrer l’homme, et la force de votre droite vous dirigera merveilleusement : la puissance, ou la force vous dirigera, vers le ciel.

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VI — Où il monta : Il faut savoir que J.-C. monta au-dessus de tous les cieux, selon l’expression de saint Paul dans son épître aux Ephésiens (IV) : « Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. L'apôtre dit: « Au-dessus de tous les cieux », car il y en a plusieurs; au-dessus desquels il monta. Il y a le ciel matériel, le rationnel, l’intellectuel et le supersubstantiel. Le ciel matériel est multiple, savoir: l’aérien, l’éthéré, l’olympien, l’igné, le sidéral, le cristallin, et l’empyrée. Le ciel rationnel, c'est l’homme juste appelé ciel puisqu'il est l’habitation de Dieu; car de même que le ciel est le trône et l’habitation de Dieu, selon cette expression d'Isaïe (LXVI) : « Le ciel est mon trône » ; de même l’âme juste, d'après le livre de la Sagesse, est le trône de la sagesse. L'homme juste est encore appelé ciel, en raison des saintes habitudes, parce que les saints par leur manière de vivre et leurs désirs habitent dans le ciel, comme le disait l’apôtre : « Notre conservation est dans les cieux. » En raison encore des bonnes oeuvres continuelles ; parce que de même que le ciel roule par un mouvement continu, de même aussi les saints se meuvent continuellement dans les bonnes oeuvres. Le ciel intellectuel, c'est l’ange. En effet l’ange est appelé ciel parce que, ainsi que les cieux, il est élevé à une très haute dignité et excellence. Quant à cette dignité et excellence, 1 ° Denys parle de cette manière dans son livre des Noms divins (chap. IV) : « Les esprits divins sont au-dessus des autres êtres ; leur vie l’emporte sur celle des autres créatures vivantes ; leur intelligence et leur connaissance dépassent le sens et la raison : mieux que tous les êtres, ils tendent au beau et au bien et y participent. » 2° Ils sont extrêmement beaux en raison de la nature et de la foi.

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Saint Denys encore en parlant de leur beauté dit au même. livre . « L'ange est la manifestation de la lumière cachée; c'est un miroir pur, d'un éclat brillant, sans tache aucune ni souillure, immaculé, recevant, s'il est permis de le dire, la beauté, la forme excellente de la divinité. » 3° ils sont pleins de force en raison de leur vertu et de leur puissance. Le Damascène parle ainsi de leur force au livre 11, chap. III : « Ils sont forts et disposés à l’accomplissement de la volonté de Dieu ; et partout on les trouve réunis, tout aussitôt que, par un simple signe de Dieu, ils en perçoivent les ordres. » Le ciel possède hauteur, beauté et force. L'Ecclésiastique dit au sujet des deux premières qualités (XLIII) :
« Le firmament est le lieu où la beauté des corps les plus hauts parait avec éclat c'est l’ornement du ciel, c'est lui qui en fait luire la gloire. » Au livre de Job il est dit (XXXVII) par rapport a la force : 
« Vous avez peut-être formé avec lui les cieux qui sont aussi solides que s'ils étaient d'airain fondu. » Le ciel supersubstantiel, c'est le siège de l’excellence divine, d'où J.-C. est venu et jusqu'où il remonta plus tard. Le Psaume l’indique par ces paroles (VII) : « Il part de l’extrémité du ciel, et il va jusqu'à l’autre extrémité. » Donc J.-C. monta au-dessus de ces cieux jusqu'au ciel supersubstantiel. Le Psaume porte qu'il monta au-dessus de tous les cieux matériels quand il dit (VIII) : « Seigneur, votre magnificence a été élevée au-dessus des cieux. » Il monta au-dessus de tous les cieux matériels jusqu'au ciel empyrée lui-même, non pas comme Elie qui monta dans un char de feu, jusqu'à la région sublunaire sans la traverser, mais qui fut transporté dans le paradis terrestre dont l’élévation est telle qu'il touche à la région sublunaire (Rois, IV, II ; Ecclé., VIII), sans aller au delà.

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C'est donc dans le ciel empyrée que réside J.-C. c'est là sa propre et spéciale demeure avec les anges et les autres saints. Et cette habitation convient à ceux qui l’occupent. Ce ciel en effet l’emporte sur les autres en dignité, en priorité, en situation et en proportions : c'est aussi pour cela que c'est une habitation digne de J.-C., qui surpasse tous les cieux rationnels et intellectuels en dignité, en éternité, par son état d'immutabilité et par les proportions de sa puissance. De même aussi, c'est une habitation convenable pour les Saints : car ce ciel est uniforme, immobile, d'une splendeur parfaite et d'une capacité immense : et cela convient bien aux anges et aux saints qui ont été uniformes dans leurs oeuvres, immobiles dans leur amour, éclairés dans la foi ou la science, et remplis du Saint-Esprit. Il est évident que J.-C. monta au-dessus de tous les cieux rationnels, qui sont tous les saints, par ces paroles du Cantique des cantiques (II) : « Le voici qui vient sautant sur les montagnes, passant par-dessus les collines. » Par les montagnes on entend les anges, et par les collines les hommes saints. Il est évident qu'il monta au-dessus de tous les cieux intellectuels, qui sont les anges, par ces mots du Psaume (CIII) : « Seigneur, vous montez sur les nuées et vous marchez sur les ailes des vents. » « Il a monté au-dessus des chérubins, il a volé sur les ailes des vents (XCVIII). » il est encore évident que Jésus-Christ monta jusqu'au ciel supersubstantiel, c'est-à-dire, jusqu'au siège de Dieu, par ces paroles de saint Marc (XVI) : « Et le Seigneur Jésus, après leur avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel; et il y est. assis à la droite de Dieu. »

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La droite de Dieu, c'est l’égalité en Dieu. Il a été singulièrement dit et donné à mon Seigneur, par le Seigneur de siéger à la droite de sa gloire, comme dans une gloire égale, dans une essence consubstantielle, pour une génération semblable en tout point, pour une majesté qui n'est pas inférieure, et pour une éternité qui n'est pas postérieure. On peut dire encore que J.-C. dans son ascension atteignit quatre sortes de sublimités : celle du lieu, celle de la récompense acquise, celle de la science, celle de la vertu. De la sublimité du lieu qui est la première, il est dit aux Ephésiens (IV) : « Celui qui est descendu, c'est le même qui a monté au-dessus de tous les cieux. » De la sublimité de la récompense acquise qui est la seconde, on lit aux Philippiens (II) . « Il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix : c'est pourquoi Dieu l’a élevé. » Saint Augustin dit sur ces paroles : « L'humilité est le mérite de la distinction et la distinction est la récompense de l’humilité. » De la sublimité de la science, le Psaume (XCVIII) dit : « Il. monta au-dessus des chérubins »; c'est autant dire, au-dessus de toute plénitude de science. De la sublimité de la vertu qui est la quatrième, il est dit aux Ephésiens : «Parce qu'il a monté au-dessus des Séraphins. » (III) « L'amour de J.-C. envers nous surpasse toute connaissances. »

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VII — Pourquoi J.-C., est-il monté au ciel. Il y a neuf fruits ou avantages à retirer de l’Ascension. Le 1er avantage, c'est, l’acquisition de l’amour de Dieu (Saint Jean, XVI) :« Si je ne  m’en vais pas, le Paraclet ne viendra pas. » Ce qui fait dire à Saint Augustin : « Si vous  m’êtes attachés comme des hommes de chair, vous ne serez pas capables de posséder le Saint-Esprit. » Le 2e avantage, c'est une plus grande connaissance de Dieu (Saint Jean, XIV) : « Si vous  m’aimiez, vous vous réjouiriez certainement parce que je  m’en vais à mon Père; car mon Père est plus grand que moi. » Saint Augustin dit à ce propos: « Si je fais disparaître cette. forme et cette nature d'esclave, par laquelle je suis inférieur à mon Père, c'est afin que vous puissiez voir Dieu avec les yeux de l’esprit. » Le 3e avantage, c'est le mérite de la foi. A ce sujet saint Léon s'exprime de la sorte dans son sermon 12e sur l’Ascension : « C'est alors que la foi plus éclairée commence à comprendre à l’aide de la raison que le Fils est égal au Père; il ne lui est plus nécessaire de toucher la substance corporelle de J.-C., par laquelle il est inférieur à son Père. C'est là le privilège des grands esprits de croire, sans appréhension, ce que 1'œi1 du corps ne saurait apercevoir, et de s'attacher, par le désir, à ce à quoi l’on ne peut atteindre par la vue. » Saint Augustin dit au livre de ses Confessions : « Il a bondi comme un géant pour fournir sa carrière. Il n'a pas apporté de lenteur, mais il a couru en proclamant par ses paroles, par ses actions, par sa mort, par sa vie ; en descendant sur la terre, en montant au ciel, il crie pour que nous revenions à lui, et il a disparu aux yeux de ses apôtres, afin que nous rentrions dans notre coeur pour l’y trouver. »

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Le 4e avantage, c'est la sécurité, s'il est monté au ciel, c'est pour être notre avocat auprès de son Père. Nous pouvons bien être en sûreté, quand nous pensons avoir un pareil avocat devant le Père. (Saint Jean, I, II) : «Nous avons pour avocat auprès du Père J.-C., qui est juste; car c'est lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés. » Saint Bernard dit en parlant de cette sécurité : « Tu as, ô homme, un accès assuré auprès de Dieu: Tu y vois la mère devant le Fils, et le Fils devant le Père : cette mère montre à son fils sa poitrine et ses mamelles ; le Fils montre à son Père son côté et ses blessures. Il ne pourra donc y avoir de refus, là où il y a tant de preuves de charité. » Le 5e avantage, c'est notre dignité. Oui, notre dignité est extraordinairement grande, puisque notre nature a été élevée jusqu'à la droite de: Dieu. C'est pour cela que les anges, en considération de cette dignité dans les hommes, se sont désormais refusés à recevoir leurs adorations, comme il est dit dans l’Apocalypse (XIX) : « Et je me prosternai (c'est saint Jean qui parle) aux pieds de l’ange pour l’adorer. Mais il me dit: gardez-vous bien de le faire; je suis serviteur de Dieu comme vous, et comme vos frères. » La Glose fait ici cette remarque: « Dans l’ancienne loi, l’ange ne refusa pas l’adoration de l’homme, mais après l’ascension du Seigneur, quand il eut vu que l’homme était élevé au-dessus de lui, il appréhenda d'être adoré. » Saint Léon parle ainsi dans son 2e sermon sur l’Ascension : « Aujourd'hui la faiblesse de notre nature a été élevée en J.-C., au-dessus de toutes les plus grandes puissances jusqu'au trône où Dieu est assis.

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Ce qui rend plus admirable la grâce de Dieu, c'est qu'en enlevant ainsi au regard des hommes ce qui leur imprimait à juste titre un respect sensible, elle empêche la foi de faillir, l’espérance de chanceler et la charité de se refroidir. » — Le 6e avantage, c'est la solidité de notre espérance. Saint Paul dit aux Hébreux (IV) : « Ayant donc pour grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, demeurons fermes dans la profession que; nous avons faite d'espérer. » Et plus loin (VI) : « Nous avons mis notre refuge dans la recherche et l’acquisition des biens à nous proposés par l’espérance, qui sert à notre âme comme une ancre ferme et assurée laquelle pénètre jusqu'au dedans du voile où Jésus, notre précurseur, est entré pour nous. » Saint Léon dit encore à ce sujet :
« L'Ascension de J.-C. est le gage de notre élévation, d'autant que là où la gloire du chef a précédé, le corps espère y parvenir. » Le 7e avantage est de nous montrer le chemin. Le prophète Nichée dit (III) : « Il a monté pour nous ouvrir le chemin. » Saint Augustin ajoute: « Le Sauveur s'est fait lui-même notre voie. Levez-vous et marchez, vous avez un chemin tout tracé ; gardez-. vous d'être lents.» Le huitième avantage, c'est de nous ouvrir la porte du ciel: car de même que le premier Adam a ouvert les portes de l’enfer, de même le second a ouvert les portes du paradis.

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Aussi l’Eglise chante-t-elle : Tu devicto mortis aculeo, etc. * : « Après avoir vaincu l’aiguillon de la mort, vous avez ouvert aux croyants le royaume des cieux. » Le 8e avantage, c'est de nous préparer une place. « Je vais, dit J.-C. dans saint Jean; je vais vous préparer une place. » Saint Augustin commente ainsi ces paroles : « Seigneur; préparez ce que vous préparez: car vous nous préparez pour vous, et c'est vous-même que vous nous préparez, quand vous préparez une place où nous habiterons en vous et où vous habiterez en nous.»

* Paroles du Te Deum.


(74) LE SAINT-ESPRIT

Ainsi que l’atteste l’histoire sacrée des Actes, aujourd'hui le Saint-Esprit fut envoyé sur les Apôtres sons la forme de langues de feu. Au sujet de cette mission ou venue, il y a huit considérations à faire : 1° par qui il fut envoyé; 2° de combien de manières il est ou il fut envoyé 3° en quel temps; 4° combien de fois; 5° de quelle manière; 6° sur qui; 7° pourquoi; 8° par quel moyen il fut envoyé:

I. Par qui, le Saint-Esprit fut-il envoyé? C'est le Père qui envoya ce Saint-Esprit, c'est le fils aussi, et le Saint-Esprit se donna lui-même et s'envoya. Ce fut le Père, d'après ces paroles. de J.-C. en saint Jean (XIV) : « Le Paraclet qui est le Saint-Esprit, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses. » Ce fut le fils : on lit au XVIe chap. de saint Jean : « Mais si je  m’en vais, je vous l’enverrai. »

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En prenant un point de comparaison avec les choses d'ici-bas, l’envoyé a trois sortes de rapports avec celui qui l’envoie ; il lui donne l’être, comme le rayon est envoyé par le soleil : il lui donne sa force, comme la flèche envoyée par l’archer; il lui donne juridiction ou autorité, comme un messager envoyé par son supérieur. Sous ce triple point de vue, la mission peut convenir au Saint-Esprit : car il est envoyé par le Père et le Fils, en qui résident l’être, la forcé et l’autorité dans leurs opérations. Néanmoins, l’Esprit-Saint lui-même s'est aussi donné et envoyé : ce qui est insinué dans ces paroles de saint Jean (XVI) : « Quand d'Esprit de vérité sera venu.» En effet selon que le dit saint Léon, pape, en son sermon de la Pentecôte : La bienheureuse Trinité, l’incommutable divinité est une en substance, ses opérations sont indivises, elle est unie dans sa volonté, pareille en toute puissance, égale en gloire : mais elle s'est partagée l’oeuvre de notre rédemption, cette miséricordieuse Trinité, de sorte que le Père se laissa fléchir; le Fils se fit propitiation et le Saint-Esprit nous embrasa de son amour. » Or, puisque le Saint-Esprit est Dieu, on peut donc dire avec vérité qu'il se donne lui-même. Saint Ambroise prouve ainsi la divinité du Saint-Esprit dans son livre Du Saint-Esprit: « La gloire de sa divinité est manifestement prouvée. par. ces quatre moyens. On connaît qu'il est Dieu, ou bien parce qu'il est sans péché, ou bien parce qu'il pardonne le péché, ou bien parce que ce n'est pas une créature, mais qu'il est créateur, ou bien enfin parce qu'il n'adore pas, mais qu'il est adoré. »

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Il est évident par là que la Trinité se donna toute à nous : « parce que, dit saint Augustin, le Père nous. a donné tout ce qu'il a ; il nous a donné son Fils pour prix de notre rédemption, le Saint-Esprit comme privilège de notre adoption, et il se réserve lui-même tout entier comme l’héritage de notre adoption. » De même aussi, le Fils s'est donné entièrement à nous, selon ce mot de saint Bernard :
« Il est pasteur, il est pâture, il est rédemption. Il nous a donné son âme pour rançon, son sang pour breuvage, sa chair pour aliment et sa divinité pour récompense. » De même encore le Saint-Esprit nous a gratifiés et nous gratifie de tous ses dons, parce qu'il est dit dans la Ière épître aux Corinthiens (XII) : « L'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l'autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. ». Saint Léon, pape, ajoute : « C'est le Saint-Esprit, qui inspire la foi, qui enseigne la science : il est la source, de l’amour, le cachet de la chasteté et le principe de tout salut. »

II. De combien de manières le Saint-Esprit est ou fut envoyé. Il faut savoir que le Saint-Esprit est envoyé d'une manière visible et d'une manière invisible. Elle est invisible quand il pénètre dans les coeurs saints : elle est visible quand il se montre sous un signe visible. Saint Jean parle de sa mission invisible quand il dit (III) : « L'Esprit souffle où il veut et vous entendez sa voix, mais vous ne savez ni d'où il vient; ni où il va. »

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Cela n'a rien d'étonnant, parce que, selon le mot de saint Bernard en parlant du Verbe invisible : « Il n'est pas entré par les yeux, puisqu'il n'a pas de couleur ; ni par les oreilles, parce qu'il n'a pas rendu de son; ni par les narines, parce qu'il n'est. pas mêlé avec l’air, mais avec l’esprit, qu'il n'infecte pas l’air mais qu'il le fait : il n'est pas entré par la bouche, puisqu'il n'est ni mangé ni bu; ni par le toucher du corps, puisqu'il n'est pas palpable. Vous demandez donc, puisque ses voies sont si impénétrables, comment je connais sa présence : je l’ai reconnue par la crainte que j'éprouve en mon cœur : c'est par la fuite du vice que j'ai remarqué la puissance de sa force : je n'ai qu'à ouvrir les yeux et à examiner ; alors j'admire la profondeur de sa sagesse : c'est par le plus petit amendement dans mes moeurs que j'ai ressenti la bonté de sa douceur; c'est par la réformation et le renouvellement intérieur de mon âme que j'ai aperçu, autant qu'il  m’a été possible, l’éclat de sa beauté ; c'est en voyant toutes ces merveilles à la fois que j'ai été saisi devant son infinie grandeur. » Une mission est visible quand elle est indiquée par un signe visible. Or, le Saint-Esprit s'est montré sous cinq formes visibles: 1° sous la forme d'une colombe au-dessus de J.-C. qui venait d'être baptisé. Saint Luc dit (III) que le Saint-Esprit descendit sur lui sous une forme corporelle semblable à une colombe; 2° sous la forme d'une nuée lumineuse au moment de la transfiguration. Saint Mathieu dit (XVI) : « Lorsqu'il partait encore, une nuée lumineuse vint le couvrir. » La glose ajoute : « Dans le baptême de N.-S., comme dans sa transfiguration glorieuse, le Saint-Esprit a manifesté le mystère de la sainte Trinité, là dans une colombe, ici dans une nuée lumineuse » ; 3° sous la forme d'un souffle.

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On lit dans saint Jean (XX): « Il souffla et leur dit : « Recevez le Saint« Esprit »; 4° sous la forme de feu; 5° sous la forme de langue: et c'est sous cette double forme qu'il a apparu en ce jour. Or, s'il s'est montré sous ces cinq formes, c'est pour donner à comprendre qu'il en opère les propriétés dans les coeurs où il vient. 1° Il s'est montré sous la forme d'une colombe. La colombe gémit au lieu de chanter, elle n'a pas de fiel, elle se cache dans les fentes des rochers. De même le Saint-Esprit fait gémir sur leurs péchés ceux qu'il remplit. «Nous rugissons tous comme des ours, dit Isaïe (LIX), nous gémissons et nous soupirons comme des colombes. » « Le Saint-Esprit lui-même, dit saint Paul (Rom., VIII), prie pour nous, par des gémissements ineffables, » c'est-à-dire qu'il nous fait prier et gémir. 2° Il n'y a en lui ni fiel ni amertume. Et la Sagesse dit (XII) :  « Seigneur, oh! que votre Esprit est bon, et qu'il est doux en toute sa conduite ! ». (VII) « Il est humain, doux, bon; parce qu'il rend doux, bon et humain; doux dans les discours, bon de coeur et humain en action. » 3° Il habite dans les fentes du rocher, c'est-à-dire dans les plaies de J.-C. «Levez-vous, est-il dit dans le Cantique (II), ma bien-aimée,-mon épouse, et venez, vous qui êtes ma colombe (la glose ajoute : vous qui réchauffez mes poussins, par l’infusion du Saint-Esprit),qui habitez les creux de la pierre (la glose dans les blessures de J.-C.). » Jérémie parle ainsi au chap. IV des Lamentations : « Le Christ, le Seigneur, l’esprit de notre bouche a été pris à cause de nos péchés. » Nous lui avons dit : « Nous vivrons sous votre ambre parmi les nations. »

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C'est comme s'il disait : « L'Esprit-Saint, qui est de notre bouche,: et cette bouche, c'est celle de N.-S. J.-C., parce qu'il est notre bouche et notre chair, nous fait dire à J.-C. : « Nous vivrons en ayant toujours à la mémoire votre ombre, c'est-à-dire votre passion, dans laquelle le Christ fut environné de ténèbres et méprisé. » — La nuée est élevée au-dessus de la terre, elle procure le rafraîchissement et engendre la pluie : ainsi fait le Saint-Esprit, de ceux qu'il remplit, il les élève au-dessus de la terre et leur inspire le mépris des choses terrestres. Selon ces . paroles d'Ezéchiel : (VIII) « L'Esprit  m’a élevé entre le ciel et la terre. » (I) « Partout où allait l’Esprit, et où l’Esprit s'élevait, les roues s'élevaient aussi, et le suivaient, parce que l’Esprit de vie était dans les roues. » Saint Grégoire dit de son côté : « Quand on a goûté de l’Esprit, à l’instant toute chair devient insipide. » L'Esprit-Saint refroidit contre les ardeurs du vice. Aussi a-t-il été dit à Marie (saint Luc, I) : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-, Haut vous couvrira de son ombre, » c'est-à-dire, elle vous refroidira contre toutes les ardeurs du vice. C'est pour cela que l’Esprit-Saint est appelé eau, parce qu'il a une vertu régénérative. « Si quelqu'un croit en moi, dit J.-C. (saint Jean, VII), il sortira de son coeur des fleuves d'eau vive » — ce qu'il entendait de l’Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. Enfin l’Esprit-Saint engendre une pluie de larmes. Le psaume (CXLVII) dit : « Son Esprit soufflera et les eaux couleront », c'est-à-dire les larmes.

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3° Il s'est montré, sous la forme d'un souffle. Le souffle est agile, chaud, doux et nécessaire pour la respiration: de même aussi l’Esprit-Saint est agile, c'est-à-dire prompt à se répandre ; il est plus actif que toutes les substances agissantes. La glose explique ainsi ces paroles des Actes : « On entendit tout d'un coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux, qui venait du ciel », la grâce du Saint-Esprit, dit-elle, ne connaît pas les obstacles d'un retard. En second lieu, il est chaud pour embraser :
« Je suis venu, est-il dit en saint Luc (XII), apporter le feu sur la terre, et que veux-je, sinon qu'il brûle. » Ce qui l’a fait. comparer dans le Cantique (XV) à l’auster qui est un vent chaud : « Retirez-vous, aquilon, venez, vent du midi, soufflez de toutes parts dans mon jardin et que les parfums en découlent. » En troisième lieus il est doux pour adoucir. Aussi pour indiquer sa douceur, on donne le nom d'onction ; comme dans  la Ière épître canonique de saint Jean (II) : « Son onction vous enseigne toutes choses » ; 2° le nom de rosée. L'Eglise chante en effet (I) : « Que l’Esprit-Saint répande sa rosée céleste pour rendre nos coeurs féconds en bonnes oeuvres. Et, sui roris intima aspersione fecundet.» 3° Le nom de souffle léger: On lit au IIIe livre des Rois (XIX) : « Après le feu, on entendit le souffle d'un petit vent doux» et le Seigneur y était. En quatrième lieu, il est nécessaire pour la. respiration. Le souffle est tellement nécessaire pour respirer, que s'il cessait pendant une heure, l’homme mourrait aussitôt. Il faut l’entendre aussi en ce sens du Saint-Esprit. D'où vient que le psaume dit : « Vous leur ôterez l’esprit, et ils tomberont dans la défaillance et retourneront dans leur poussière. Envoyez votre Esprit et ils seront créés de nouveau, et vous renouvellerez la face de la terre. »

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Saint Jean dit aussi (VI) : «C'est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont elles-mêmes esprit et vie. » 4° Il s'est montré sous la forme de feu. 5° Sous la forme de langue, d'après les paroles des Actes (II) : « En même. temps. ils (les disciples) virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent et qui s'arrêtèrent sur chacun d'eux. » Plus bas se trouvera l’explication de ces deux formes.

III. En quel temps fut-il envoyé? Ce fut le cinquantième jour après Pâques, pour faire comprendre que la perfection de la loi vient du Saint-Esprit, ainsi que la récompense éternelle et la rémission des péchés. 1° Il est la perfection de la loi, en ce que, d'après la glose, à dater du cinquantième jour où l’agneau avait été immolé d'avance, la loi fut donnée au milieu du feu; dans le Nouveau-Testament aussi, cinquante jours après la Pâque de J.-C., le Saint-Esprit descendit au milieu du feu. La loi, c'était sur le mont Sinaï, le Saint-Esprit, sur le mont Sion. La loi fut donnée au sommet d'une montagne, le Saint-Esprit dans le cénacle; d'où il paraît clairement que l’Esprit-Saint lui-même est la perfection de la loi, parce que l’accomplissement de la loi, c'est l’amour. 2° C'est la récompense éternelle. La glose dit en effet « De même que les quarante jours pendant lesquels J.-C. conversa avec ses disciples, désignent l’Eglise actuelle, de même le cinquantième jour auquel est donné le Saint-Esprit veut dire le denier de la récompense éternelle. » 3° C'est la rémission des péchés.

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La glose ajoute au même endroit : « De même que dans la cinquantième année arrivait l’indulgence du Jubilé, de même par le Saint-Esprit, les péchés sont remis. » Ce qui suit se trouve encore dans la Glose : « Dans ce jubilé spirituel, les accusés sont relâchés, les dettes remises, les exilés rappelés dans leur patrie, l’héritage perdu est restitué, c'est-à-dire que les hommes vendus au péché sont délivrés du joug de la servitude. » Les condamnés à mort sont relâchés et délivrés : c'est pour cela qu'il est dit dans l’épître aux Romains (VIII) : « La loi de l’esprit de vie qui est en J.-C.  m’a délivré de la loi du péché et de la mort. » Les dettes des péchés sont remises ; parce que (saint Pierre, II, 4)
« la charité couvre la multitude des péchés. » Les exilés sont rappelés dans la patrie : Il est dit, dans le Psaume (CXLII) :  « Votre esprit, qui est bon, me conduira dans une terre unie. » L'héritage perdu est restitué : « L'Esprit, est-il dit dans l’épître aux Romains (VIII), rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers. » Les esclaves sont délivrés du péché. Aux Corinthiens on trouve (II, 4) : « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »

IV. Combien de fois fut-il envoyé aux apôtres : Il faut savoir, que, d'après la glose, il leur a été donné trois fois : 1° avant la Passion, 2° après la Résurrection, 3° et après l’Ascension : la première fois pour faire des miracles, la seconde pour remettre les péchés, la troisième pour affermir leurs coeurs. La première fois, ce fut quand J.-C. les envoya prêcher, et leur donna la puissance de chasser tous les démons et de guérir les infirmités.

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Tous ces miracles sont l’oeuvre du saint-Esprit selon ces paroles de saint Mathieu (XII) : « Si c'est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu jusqu'à vous. » Cependant, opérer. des miracles n'est pas une conséquence de la possession du Saint-Esprit, parce que selon la parole de saint Grégoire : « Les miracles ne font pas l’homme saint, mais ils le montrent. » Et parce que l’on fait des miracles ce n'est pas une raison, pour avoir l’Esprit-Saint, puisque les méchants eux-mêmes allèguent qu'ils ont fait des miracles. (Saint Mathieu, VII) :
« Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé en votre nom ? N'avons-nous pas chassé les démons en votre nom ? et n'avons-nous pas fait plusieurs miracles en votre nom? » Car Dieu fait des miracles par son autorité, les anges par l’infériorité de la matière, les démons, par des vertus naturelles qui résident dans les choses, les magiciens. par des contrats secrets avec les démons, les bons chrétiens par une justice manifeste,. les mauvais chrétiens par les apparences d'une justice reconnue. La seconde fois que J.-C. donna le, Saint-Esprit aux apôtres, ce fut quand il souffla sur eux en disant :
« Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux auxquels vous les retiendrez. » Cependant nul ne saurait remettre le péché quant à la souillure qu'il produit et qui réside dans l’âme, ni quant à la culpabilité qui engage à la peine éternelle; ni quant à l’offense faite à Dieu, toutes misères qui sont remises seulement par l’infusion de la grâce et en vertu de la contrition.

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On dit cependant que le prêtre absout, tant parce qu'il déclare le pénitent absous de la faute que parce qu'il change la peine du purgatoire en une peine temporelle et qu'il remet une partie elle-même de la peine temporelle. La troisième fois qu'il donna le Saint-Esprit à ses apôtres, ce fut aujourd'hui, alors que leurs cœurs étaient tellement fortifiés qu'ils ne craignaient en rien les tourments : selon le mot du Psalmiste (XXXII) : « C'est l’esprit ( le souffle) de sa bouche qui a produit toute leur force.» Et selon ces paroles de saint Augustin: «Telle est la grâce du Saint-Esprit, que s'il trouve la tristesse, il la dissipe, s'il trouve des désirs mauvais, il les consume; s'il trouve la crainte, il la chasse. » Saint Léon, pape, dit de son côté : « Si l’Esprit-Saint était l’objet de l’espoir des apôtres, ce n'était pas tout d'abord pour habiter dans des cœurs sanctifiés, mais pour les enflammer davantage après leur sanctification, pour verser en eux une plus grande abondance de grâces. Il les comblait de ses dons, il ne commençait pas leur conversion. Et cependant son oeuvre n'était pas nouvelle, parce qu'il était plus riche en largesses. »

V. De quelle manière fut-il envoyé? Il fut envoyé avec bruit; en forme de langues de feu, et ces langues apparurent en se posant. Le bruit fut subit, venant du ciel, véhément et remplissant. Il fut subit parce que le Saint-Esprit ne connaît pas les obstacles d'un retard il venait du ciel, parce qu'il rendit les apôtres célestes; il fut véhément; mot qui signifie : détruisant le malheur (vae adimens) ; soit parce qu'il détruit tout l’amour charnel dans l’esprit, d'où vient véhément (vehens mentem) : Il fut remplissant, parce que l’Esprit-Saint remplit tous les apôtres d'après ce texte des Actes : « Ils furent tous remplis du Saint-Esprit. »

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Il y a trois signes auxquels on reconnaît la plénitude, et ces trois signes se trouvent dans les apôtres. Le premier c'est de ne pas rendre de son; par exemple le tonneau plein ne rend aucun son. Quand Job dit (VI) : « Le boeuf fait-il entendre ses mugissements  lorsqu'il est devant une crèche pleine? c'est coin s'il disait : « Lorsque la crèche du coeur contient la plénitude de la grâce, il ne saurait jeter des murmures d'impatience. Les apôtres possédèrent ce signe, parce qu'au milieu de leurs tribulations, ils ne rendirent aucun son d'impatience ; il y a mieux : « Ils sortaient du conseil tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus (Act., V). » Le second signe, c'est de ne pas pouvoir en contenir plus, et d'en posséder assez. En effet quand un vase est plein, il ne peut contenir autre chose ; comme aussi quand un homme est rassasié, il n'a plus d'appétit ; de même les saints qui ont la plénitude de la grâce, ne peuvent recevoir aucun goût pour, les amours terrestres. « Tout cela  m’est à dégoût, est-il dit dans Isaïe (I). Je n'aime point les holocaustes de vos béliers:» De même ceux qui ont goûté des douceurs divines n'ont pas soif des vanités terrestres. « Celui, dit saint Augustin, qui aura bu du fleuve du paradis dont une goutte est plus grande que l’océan, peut être assuré que la soif de ce monde sera étanchée, en lui. »

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Les apôtres possédèrent ce signe, car ils ne voulurent avoir rien en propre, mais ils partagèrent tout en commun. Le troisième signe c'est de déborder, comme ce fleuve dont il est parlé dans l’Ecclésiastique (XXIV) : « Il répand la sagesse comme le Phison répand ses eaux. » Ce qui signifie à la lettre Le propre de ce fleuve, c'est de: déborder et d'arroser tout ce qui l’entoure. Ainsi les apôtres commencèrent. à déborder, parce qu'ils se mirent à parler différentes langues. C'est ici que la glose dit : « Voici le signe de la plénitude : le vase plein se répand : le feu ne peut rester caché en lui-même. » Ils commencèrent donc à arroser ce qui les entourait : de là vient que saint Pierre se mit à prêcher et convertit trois mille personnes. » Secondement, il fut envoyé en forme de langues de feu. Il y a là-dessus trois points à examiner : 1° pourquoi en langues et en langues de feu tout à la fois, 2° pourquoi en forme de feu plutôt qu'en un autre élément; 3° pourquoi en forme de langue plutôt que d'un autre membre. En premier lieu, il faut savoir que c'est pour trois raisons qu'il apparut en langues de feu : a) afin que les apôtres proférassent des paroles de feu ; b) afin qu'ils. prêchassent une loi de feu c'est-à-dire une loi d'amour. Voici les paroles de saint Bernard sur ces deux premières raisons:

« Le Saint-Esprit est venu en langues de feu afin de dire des paroles de feu dans les langues de toutes les nations ; en sorte que ce furent des langues de feu qui prêchaient une loi de feu; » c) afin que: les apôtres connussent que c'était par eux que parlait l’Esprit-Saint qui est feu; afin qu'ils n'eussent aucune défiance là-dessus ; afin qu'ils ne s'attribuassent pas les conversions des autres, et que tous écoutassent leurs paroles comme celles de Dieu.

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En second lieu, il fut envoyé sous la forme du feu pour beaucoup de raisons. La 1re se tire des sept espèces de grâce qu'il donne : car l’Esprit, comme le feu, abaisse les hauteurs par le don de crainte ; il amollit les duretés par le don de piété; il illumine les lieux obscurs par la science; il resserre les fluides par le conseil ; il consolide les choses sans consistance par la force ; il clarifie les métaux dont il ôte la rouille par le don d'intelligence, il se dirige en haut par le don de sagesse. La 2e se tire de sa dignité et de son excellence : en effet le feu l’emporte sur tous les éléments par son apparence, par son rang. et par sa force : par son apparence, en raison de la beauté qu'il présente dans sa lumière; par son rang, en raison de la sublimité de sa position. L'Esprit-Saint aussi l’emporte sur tout en ces différents cas. Quant à l’apparence l’Esprit-Saint est appelé sans tache. Quant à son rang, il renferme toutes les intelligences; quant à sa force, il la possède en toute manière. La 3e se tire de ses différentes propriétés. Raban expose ainsi cette raison: « Le feu, de sa nature, contient quatre propriétés : il brûle, il purge, il échauffe et il éclaire. Pareillement le Saint-Esprit brûle les péchés, purge les coeurs, chasse la tiédeur et éclaire l’ignorance. Il brûle les péchés, selon cette parole du prophète Zacharie (XIII) : « Je les ferai passer par le feu où je les épurerai comme on épure l’argent» C'était encore par ce feu que le prophète demandait à être brûlé quand il disait (Ps. XXV) : « Brûlez mes reins et mon coeur. » Il purge les coeurs, selon ce mot d'Isaïe (IV) : « Ils seront appelés saints quand le Seigneur aura lavé Jérusalem du sang qui est au milieu d'elle, par un esprit de justice et un esprit d'ardeur. » Il chasse la tiédeur : c'est pour cela qu'il est dit (Rom., XII) de ceux qui sont remplis du Saint-Esprit : « Conservez-vous dans la ferveur de l’esprit. »

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Saint Grégoire dit aussi : « Le Saint-Esprit est apparu en forme de feu parce qu'il dissipe l’engourdissement de la froideur de tout coeur qu'il remplit, et qu'il l’enflamme du désir de son éternité. » Il éclaire l’ignorance, d'après ces paroles du livre de la Sagesse (IX) : « Et qui pourra connaître votre pensée, si vous ne donnez vous-même la sagesse, et si vous n'envoyez votre Esprit-Saint du plus haut des cieux ? » Comme aussi dans la Ire épître aux Corinthiens (II), on lit : « Or, Dieu nous a révélé par l’Esprit-Saint. » La 4e se prend de la nature de son amour car, l’amour a trois points de ressemblance avec le feu. 1° Le feu est toujours en mouvement, de même aussi l’amour du Saint-Esprit fait que ceux qui en sont remplis sont toujours, occupés à faire de bonnes oeuvres ; et c'est la raison pour laquelle saint Grégoire dit : « Jamais l’amour de Dieu n'est oisif. S'il existe, il opère des merveilles ; mais s'il néglige les bonnes oeuvres, l’amour n'existe pas. » 2° De tous les éléments le feu est celui qui consiste le plus dans la forme et qui tient le moins de la matière. Il en est ainsi de l’amour du Saint-Esprit celui qui en est rempli est peu épris de l’amour des choses terrestres et a beaucoup d'attachement pour les choses célestes et spirituelles, de sorte qu'il n'aime plus les choses charnelles d'une manière charnelle, mais qu'il aime de préférence les choses spirituelles d'une façon spirituelle.

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Saint Bernard distingue quatre sortes d'amours : l’amour de la chair pour la chair, l’amour de l’esprit pour la chair, l’amour de la chair pour l’esprit, et l’amour de l’esprit pour l’esprit lui-même. 3° Le feu abaisse ce qui s'élève, il tend à s'élever, il resserre et unit les fluides. Ces trois propriétés font connaître les trois sortes de forces qui sont dans l’amour, comme le dit saint Denys dans son livre des Noms divins : « Il a une force inclinative, une force élévative et une force coordinative. Il abaisse les choses supérieures au-dessous des inférieures, il élève les inférieures au-dessus des supérieures, il coordonne ensemble. les choses semblables. » On trouve ces trois effets dans ceux que l’Esprit-Saint remplit : il les abaisse par l’humilité et le mépris d'eux-mêmes; il les élève par le désir des choses supérieures, et il établit entre eux l’uniformité de mœurs. 3° Pourquoi le Saint-Esprit apparaît-il sous la forme de langues,, plutôt que sous la forme d'un autre membre? On en donne trois raisons. En effet la langue est un membre enflammé du feu de l’enfer, difficile à gouverner, et utile quand on en fait un bon usage. Or, si la langue était enflammée du feu de l’enfer, elle avait donc besoin du feu du Saint-Esprit (saint Jacques, III) : « La langue est un feu », car elle se gouverne avec difficulté : c'est pour cela qu'elle a plus que les autres membres, besoin de la grâce du Saint-Esprit. Saint Jacques ajoute que la nature de l’homme est capable de dompter et a dompté en effet toutes sortes d'animaux. Si donc la langue est d'une telle utilité quand elle est bien dirigée, il fut donc nécessaire qu'elle eût le Saint-Esprit pour guide.

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Il apparut encore en forme de langue, pour signifier qu'il est d'une grande nécessité à ceux qui prêchent. Il les fait parler avec chaleur et intrépidité ; c'est pour cela qu'il fuit envoyé en forme de feu. « Le Saint-Esprit, dit saint Bernard, est venu sur les apôtres en forme de langues de feu, afin qu'ils parlassent avec feu, et que les langues de feu prêchassent une loi de feu. » Ils parlèrent avec confiance et intrépidité : « Ils furent tous, disent les Actes (IV), remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer avec confiance la parole de Dieu. » Ils parlèrent plusieurs langues, selon que l’exigeait l’intelligence de leurs auditeurs. Aussi lisons-nous dans les Actes (Ii) qu'ils se mirent à parler différentes langues. Leur prédication fut utile selon le besoin et pour l’édification de tous. « L'Esprit du Seigneur est sur moi, dit Isaïe (LXI) : car le Seigneur  m’a rempli de son onction, il  m’a envoyé pour annoncer sa parole à ceux qui sont doux, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé. » Troisièmement, ces langues apparurent en se posant pour donner à entendre que le Saint-Esprit était nécessaire et à ceux qui président et à ceux qui jugent, parce qu'il confère l’autorité de remettre les péchés. « Recevez le Saint-Esprit, est-il dit dans l’évangile de saint Jean (XX) : les péchés seront remis à ceux auxquels vous les remettrez. » Il confère la science pour juger, selon ces paroles d'Isaïe : « Je répandrai mon esprit sur lui et il rendra la, justice aux nations » (XLII). Il confère la douceur pour supporter : « Je prendrai, dit le Seigneur à Moïse (Nombres, XI, 17), de l’Esprit qui est en vous et je leur en donnerai (aux anciens d'Israël) afin qu'ils soutiennent avec vous le fardeau de ce peuple. » L'Esprit de Moïse était un esprit de douceur, selon que le témoigne le livre des Nombres (XII) : « Moïse était de tous les hommes le plus doux qui fût sur la terre. »

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Il confère l’ornement de la sainteté pour embellir. Job dit (XXVI) : « L'Esprit du Seigneur a orné les cieux. »

VI. Sur qui fut-il envoyé? Sur les disciples qui étaient des réceptacles purs et préparés à recevoir le Saint-Esprit, pour sept qualités qui se trouvèrent en eux. — 1° Ils furent calmes d'esprit ; on le voit par ces mots: « Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis », c'est-à-dire les jours de repos. En effet cette fête était consacrée au repos. « Sur qui reposera mon esprit, dit Isaïe (LXVI), si ce n'est sur celui qui est humble ? » 2° Ils étaient unis par les liens de l’amour, ce qui est indiqué par ces paroles : « Ils étaient tous ensemble. » Il n'y avait en effet parmi eux qu'un seul coeur et une seule âme : car de même que l’esprit de l’homme ne vivifie les membres du corps qu'autant qu'ils sont unis dans la vie, de même le Saint-Esprit ne vivifie que les membres spirituels. Et comme le feu s'éteint dès lors qu'on éloigne les morceaux de bois, de même aussi l’Esprit-Saint disparaît où n'habite pas la concorde. O'est pour cela que l’on chante dans l’office des Apôtres * : « La divinité les a trouvés unis par la charité, elle les a inondés de lumière. » 3° Ils étaient renfermés dans un lieu. C'est pour cela qu'il est dit aux Actes : « Ils étaient dans un même local », c'est-à-dire, dans le cénacle. « Je la conduirai, est-il dit dans Osée (II), dans la solitude et je lui parlerai au coeur. »

* Nous n’avons pas trouvé ce texte dans la liturgie romaine.

4° Ils étaient assidus dans la prière, d'après ces paroles des Actes (I) : « Ils persévéraient tous unanimement en prière. Et nous chantons * : « Les apôtres étaient en prière, alors qu'un bruit subit annonce la venue de Dieu. »

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Or, pour recevoir le Saint-Esprit, l’oraison est nécessaire, comme le dit le livre de la Sagesse (VII) : « J'ai prié et l’esprit de sagesse est venu en moi » ; et dans saint Jean (XIV) : « Je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet. » 5° Ils étaient doués d'humilité, ce que veut dire ce mot, ils étaient assis. Le Psaume dit: « Vous envoyez les fontaines dans les vallées », c'est-à-dire, vous donnez aux humbles la grâce du Saint-Esprit : ce qui est encore confirmé par ce texte : « Sur qui reposera mon esprit, si ce n'est sur celui qui est humble ? » 6° Ils étaient en paix comme l’indiquent ces mots : « Ils étaient dans Jérusalem », qui signifie Vision de Paix. Saint Jean montre que la paix est nécessaire pour recevoir le Saint-Esprit (saint Jean, XX). Aussitôt qu'il leur eut souhaité la paix en disant : « La paix soit avec vous », il souffla aussitôt sur eux et dit : « Recevez le Saint-Esprit. » 7° Ils étaient élevés en contemplation : ceci est marqué en ce qu'ils reçurent le Saint-Esprit alors qu'ils se trouvaient dans la partie supérieure du cénacle.

* Hymne des Matines de la Pentecôte.
Hora diei tertia,
Apostolisorantibus,
Repente de cœlo sonus
Deum venire nuntiat.

Version antérieure à la correction des hymnes romaines.

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La glose dit en cet endroit: « Celui qui désire le Saint-Esprit s'élève au-dessus de la demeure de sa chair, qu'il fouie par la contemplation de son esprit. »

VII. Pourquoi fut-il envoyé ? Le Saint-Esprit fut envoyé pour six causes. Le texte suivant est l’autorité sur laquelle on s'appuie: « Mais le consolateur qui est l’Esprit-Saint que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses. » 1° Il fut envoyé pour consoler les affligés. Paraclet veut dire consolateur. Isaïe dit « L'Esprit du Seigneur est sur moi, et il ajoute, pour apporter de la consolation à ceux qui pleurent dans Sion» (Isaïe, LXI). « L'Esprit-Saint, dit saint Grégoire, est appelé consolateur, parce que ceux qui gémissent d'avoir commis le péché sont préparés par lui à l’espoir du pardon. La tristesse qui s'était emparée de leur esprit affligé disparaît ». 2° Pour ressusciter les morts. Selon cette parole d'Ezéchiel (XXXVII) : « C'est l’Esprit qui vivifie : os arides, écoutez la parole du Seigneur. Je ferai entrer en vous l’Esprit et vous vivrez. » 3° Pour sanctifier ceux qui sont immondes. Aussi on dit l’Esprit, parce qu'il vivifie, et saint parce qu'il sanctifie et rend pur. Saint et pur, c'est une même chose. Le Psaume (XLV) porte : « Un fleuve tranquille réjouit la cité de Dieu » ; ce fleuve c'est la grâce du Saint-Esprit qui purifie et qui ne tarit pas : la cité de Dieu, c'est l’Eglise de Dieu, et par ce fleuve, le Très-Haut a sanctifié son tabernacle. 4° Pour affermir l’amour au milieu de ceux qui sont désunis par la haine. « Mon Père lui-même vous aime » (saint Jean, XIII).

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Le Père, c'est celui qui nous aime tout naturellement. S'il est notre Père, et que nous sommes ses enfants, et si nous sommes tous frères à l’égard les uns des autres, qu'une amitié parfaite règne entre les frères. 5° Pour sauver les justes: Quand J.-C. dit : « Mon Père vous l’enverra en mon nom », il rappelle l’idée de Sauveur renfermée dans ce nom de Jésus. Donc c'est au nom de Jésus, c'est-à-dire de Sauveur que le Père a envoyé le Saint-Esprit afin de montrer qu'il est venu pour sauver les nations. 6° Pour instruire les ignorants : « Il vous enseignera toutes choses, dit J.-C. »

VIII. Par quel moyen a-t-il été donné ? Ce fut 1° par l’oraison. Ainsi nous avons vu plus haut que, c'était alors que les apôtres priaient, et en saint Luc : « Alors que Jésus priait, le Saint-Esprit descendit. » 2° En écoutant avec dévotion et attention la parole de Dieu.« Pierre parlait encore que l’Esprit-Saint tomba sur eux » (Actes, X). 3° Par l’assiduité aux bonnes œuvres, signifiée dans l’imposition des mains. « Alors ils imposaient les mains sur eux... » (Actes, VIII). L'imposition des mains signifie encore l’absolution que l’on donne à confesse.


(75) SAINTS GORDIEN ET EPIMAQUE *

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Gordien vient de geos, dogme ou maison, et dyan, brillant, comme maison brillante dans laquelle habitait Dieu : ainsi que saint Augustin le dit dans le livre de la Cité de Dieu. « Une bonne maison est celle dont les parties sont relativement bien disposées, amples et éclairées. » Il en fut ainsi de ce saint qui fut disposé par l’imitation de la concorde, qui fut ample en charité et brillant de vérité. Epimaque vient de épi, sur et machin, roi, comme roi suprême ; il peut aussi venir d'épi, sur et machos, combat, qui combat pour les choses d'en haut.

* Tiré du Martyrologe d'Adon.

Gordien, vicaire de l’empereur Julien, voulait forcer à sacrifier un chrétien nommé Janvier qui, par ses prédications, le convertit à la foi avec son épouse nommée Mariria et cinquante-trois autres hommes. Julien, à cette nouvelle, envoya Janvier en exil, et condamna Gordien à perdre la tête, s'il ne voulait pas sacrifier. Le bienheureux Gordien fut donc décapité et son corps fut jeté aux chiens. Mais comme il était resté l’espace de huit jours, tout à fait intact, sa famille le prit et l’ensevelit à un mille de la ville avec saint Epimaque que Julien avait fait tuer depuis quelque temps. Ce fut vers l’an du Seigneur 360.


(76) SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE *

Nérée veut dire conseil de lumière : ou bien s'il vient de Nereth, qui veut dire lumière, et us, qui se hâte; ou bien encore de Ne et reus, non coupable. Il fut donc un conseil de lumière par la prédication de la virginité ; une lumière par sa manière de vivre honorable; il se hâta d'aimer le ciel; il ne fut point coupable en raison de sa pureté de conscience. Achilleus vient de achi, qui veut dire mon frère, et césa, salut : salut de ses frères. Leur martyre fut écrit par Euthicès, Victorinus et Macre ou Macre, serviteurs de J.- C.

* Bréviaire; — Martyrologes; — Eusèbe, Hist. Eccl.

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Nérée et Achillée, eunuques chambellans de Domitille, nièce de l’empereur Domitien, furent baptisés. par l’apôtre saint Pierre. Or, comme cette Domitille était fiancée à Aurélien, fils d'un consul, et qu'elle était couverte de pierreries et de vêtements de pourpre, Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi, et lui suggérèrent une grande estime pour la virginité qu'ils lui montrèrent comme approchant de Dieu, rendant semblable aux anges, née avec l’homme, tandis qu'une femme mariée était sous la sujétion de son mari, qu'elle était frappée de coups de poing et de pied, qu'elle mettait trop souvent au monde des enfants difformes, supportant de plus avec peine les pieux avis de leur mère, qu'enfin elle était forcée d'endurer de grandes contrariétés de la part d'un époux. Domitille leur répondit entre autres choses : «Je sais que mon père fut jaloux et que ma mère eut à souffrir de sa part une foule de mauvais traitements mais celui que je dois avoir pour mari lui ressemblera-t-il? » Ils lui dirent : « Tant que les hommes sont seulement fiancés, ils paraissent doux; mais dès qu'ils sont mariés, ils deviennent cruels et impérieux : quelquefois ils préfèrent des suivantes à leurs dames. — Toute sainteté perdue peut se recouvrer par la pénitence, il n'y a que la virginité qui ne se puisse recouvrer: car la culpabilité peut être effacée par la pénitence, mais la virginité ne se peut réparer : elle ne saurait prétendre à regagner l’état de sainteté qu'elle a perdu. » Alors Flavie Domitille crut, fit voeu de virginité, reçut le voile des mains de saint Clément.

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— A cette nouvelle son fiancé se fit autoriser par Domitien à la reléguer dans l’île Pontia, avec les saints Nérée et Achillée, dans la pensée qu'il pourrait ainsi la faire revenir sur la résolution prise par elle de garder la virginité. Quelque temps après, dans un voyage en cette île, il fit de riches présents à ces deux saints pour les engager à influencer cette vierge : mais ils s'y refusèrent absolument; et s'attachèrent à la fortifier dans ses bonnes dispositions. Comme on les poussait à sacrifier, ils dirent qu'ayant été baptisés par l’apôtre saint Pierre, rien ne pouvait les faire immoler aux idoles. Ils furent décapités vers l’an du Seigneur 80, et leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de sainte Pétronille. II y en eut d'autres, comme Victorin, Euthicès et Maron qui étaient attachés à Domitille, qu'Aurélien faisait travailler tout le jour comme des esclaves dans ses domaines, et le soir il leur faisait manger le pain des chiens. Enfin il ordonna de fouetter Euthicès jusqu'à ce qu'il eût rendu l’âme ; il fit étouffer Victorin dans des eaux fétides et écraser Maron sous un énorme quartier de roche. Or, quand on eut jeté sur lui cette pierre que soixante-dix hommes pouvaient remuer à peine, il la prit sur les épaules et la porta comme paille légère l’espace de deux milles; et comme un grand nombre de personnes avaient alors embrassé la foi, le fils du consul le fit tuer. Après quoi, il ramena Domitille de l’exil, et lui envoya deux vierges, Euphrosine et Théodora, ses soeurs de lait, pour la faire changer de résolution : mais Domitille les convertit à la foi. Alors Aurélien vint avec les deux fiancés de ces jeunes personnes et trois jongleurs pour célébrer ses noces, ou du moins, pour la posséder par la violence.

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Mais comme Domitille avait converti ces deux jeunes gens, Aurélien fit entrer Domitille dans une chambre nuptiale, ordonna à ses jongleurs de chanter et aux autres de se livrer à la danse avec lui, dans la volonté de faire violence ensuite à la sainte. Alors les baladins s'épuisèrent à chanter et les autres à danser ; Aurélien lui-même ne cessa de danser pendant deux jours, jusqu'à ce qu'exténué de fatigue, il expira. Son frère Luxurius sollicita la permission de tuer tous ceux qui avaient reçu la foi, il mit le feu à l’appartement des dites vierges, qui rendirent l’esprit en faisant leurs prières. Le lendemain matin, saint Césaire ensevelit leurs corps qu'il avait retrouvés intacts.


(77) SAINT PANCRACE

Pancrace vient de pan, qui signifie tout, et gratus, agréable, et citius, vite, tout prompt à être agréable, car dès sa jeunesse il le fut. Le Glossaire dit encore que Pancras veut dire rapine, pancratiarius, soumis aux fouets, Pancrus, pierre de différentes couleurs : en effet, il ravit des captifs pour butin, il fut soumis au tourment du fouet, et il fut décoré de toutes sortes de vertus.

Pancrace, issu d'illustres parents, ayant perdu en Phrygie son père et sa mère, resta confié aux soins de Denys, son oncle paternel. Ils se rendirent tous les deux à Rome où ils jouissaient d'un riche patrimoine : dans leur quartier était caché, avec les fidèles, le pape Corneille, qui convertit à la foi de J.-C. Denys et Pancrace.

* Bréviaire; — Martyrologes.

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Denys mourut en paix, mais Pancrace fut pris et conduit par devant César. Il avait alors environ quatorze ans. L'empereur Dioclétien lui dit : « Jeune enfant, je te conseille de ne pas te laisser mourir de male mort; car, jeune comme tu es, tu peux facilement te laisser induire en erreur, et puisque ta noblesse est constatée et que tu es le fils, d'un de mes plus chers amis, je t'en prie, renonce à cette folie, afin que je te puisse traiter comme mon enfant. » Pancrace lui répondit : « Bien que je sois enfant par le corps, je porte cependant en moi le coeur d'un vieillard, et grâce à la puissance de mon Seigneur J.-C. la terreur que tu nous inspires ne nous épouvante pas plus que ce tableau placé devant nous. Quant à tes Dieux que tu  m’exhortes à honorer, ce furent des trompeurs, des corrupteurs de leurs belles-soeurs; ils n'ont pas eu même de respect pour leurs père et mère que si aujourd'hui tu avais des esclaves qui leur ressemblassent tu les ferais tuer incontinent. Je  m’étonne que tu ne rougisses pas d'honorer de tels dieux. » L'empereur donc, se réputant vaincu par un enfant, le fit décapiter sur la voie Aurélienne, vers l’an du Seigneur 287. Son corps fut enseveli avec soin par Cocavilla, femme d'un sénateur. Au rapport de Grégoire de Tours *, si quelqu'un ose prêter un faux serment sur le tombeau du martyr, avant qu'il soit arrivé au chancel du choeur, il est aussitôt possédé du démon et devient hors de lui, ou bien il tombe sur le pavé et meurt.

* Miraculorum, lib. I, c. XXXIX.

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Il s'était élevé un procès assez important entre deux particuliers. Or, le juge connaissait parfaitement le coupable. Le zèle de la justice le porta à les mener tous les deux à l’autel de saint Pierre ; et là il força celui qu'il savait avoir tort à confirmer par serment sa prétendue innocence, en priant l’apôtre de venger la vérité par une manifestation quelconque. Or, le coupable ayant fait serment et n'ayant éprouvé aucun accident, le juge, convaincu de la malice de cet homme, et enflammé du zèle de la justice s'écria : « Ce vieux Pierre est ou trop bas, ou bien il cède à moindre que lui. Allons vers Pancrace; il est jeune, requérons de lui ce qui en est. » On y alla; le coupable eut l’audace de faire un faux serment sur le tombeau du martyr; mais il ne put en retirer sa main et expira bientôt sur place. C'est de là que vient la pratique encore observée aujourd'hui de faire jurer, dans les cas difficiles, sur les reliques de saint Pancrace.


Des fêtes qui tombent pendant le temps du pèlerinage.

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Après avoir parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation, temps reproduit par l’Église de Pâques à l’octave de la Pentecôte, il reste à s'occuper des fêtes qui arrivent dans le temps du pèlerinage; l’Église le reproduit depuis l’octave de la Pentecôte jusqu'à l’Avent. Ce temps ne commence pas toujours ici, car il varie d'après la fête de Pâques.


(78) SAINT URBAIN *

Urbain vient d'urbanité, ou bien de ur, flambeau ou feu, et de banal, réponse. Ce fut un flambeau par l’honnêteté de sa conduite, un feu par son ardente charité, une réponse par sa doctrine. Il fut un flambeau ou une lumière, parce que la lumière est agréable à la vue, immatérielle en essence, céleste en situation, très utile pour agir. De même ce saint fut aimable dans sa conversation, immatériel dans son mépris du monde, céleste en contemplation, utile dans sa prédication.

Urbain succéda au pape Calixte. De son temps, il s'éleva une très grande persécution contre les chrétiens. Enfin Alexandre devint empereur et sa mère Mammée avait été convertie au christianisme par Origène. Ses prières vraiment maternelles obtinrent de son fils qu'il cesserait de persécuter les fidèles. — Cependant Almachius, préfet de la ville, qui avait fait trancher la tête à sainte Cécile, sévissait avec fureur contre les chrétiens; il fit donc rechercher avec soin

* Tiré des Actes de sainte Cécile.

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saint Urbain; par le moyen d'un de ses officiers nommé Carpasius ; on le trouva dans un antre avec trois prêtres et trois diacres. Tous furent jetés en prison. Almachius fit comparaître Urbain devant son tribunal, et lui reprocha d'avoir séduit cinq mille hommes avec la sacrilège Cécile et les illustres personnages Tiburce et Valérien : il lui réclama aussi les trésors de Cécile.

Urbain lui répondit : « Ainsi que je le vois, c'est plutôt la cupidité qui te porte à sévir contre les saints que l’honneur des dieux. Le trésor de Cécile est monté au ciel par les mains des pauvres. u Comme saint Urbain et ses compagnons étaient fouettés avec des lanières garnies de plomb, Urbain se mit à invoquer le nom du Seigneur en disant Elijon *. Le préfet souriant : « Ce vieillard, dit-il, veut passer pour savant, voilà pourquoi il parle de manière à ne pouvoir être compris. » Or, comme on ne pouvait pas les vaincre, ils furent reconduits en prison, où saint Urbain donna le baptême à trois tribuns qui vinrent le trouver, et au geôlier Anolin. Le préfet ayant appris que ce dernier était devenu chrétien, le fit amener à son tribunal et comme il refusa de sacrifier, il fut décapité.

* D'après saint Isidore de Séville (liv. VII, ch. I, des Etymologies), ce mot hébreu est un des noms de Dieu et signifie élevé, grand, le Très-Haut.

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Quant à saint Urbain il fut traîné devant une idole avec ses compagnons et forcé de lui offrir de l’encens : alors le saint se mit en prières et l’idole tomba en tuant vingt-deux prêtres chargés d'entretenir le feu. On déchira cruellement les chrétiens, et on les conduisit ensuite pour sacrifier : mais ils crachèrent sur l’idole, firent sur leur front le signe de la croix et après s'être donné l’un à l’autre le baiser de paix, ils reçurent la couronne du martyre en ayant la tête coupée, sous l’empire d'Alexandre, vers l’an du Seigneur 220.

Carposius fut saisi aussitôt par le malin esprit, blasphéma ses dieux, et malgré lui, il fit un grand éloge des chrétiens; enfin il fut suffoqué par le démon. A cette vue, sa femme Arménie reçut le baptême, avec sa fille Lucine et toute sa famille, des mains du saint prêtre Fortunat. Après quoi elle ensevelit les corps des martyrs avec honneur.


(79) SAINTE PÉTRONILLE *

Pétronille, dont saint Marcel a écrit la vie, était la fille de l’apôtre saint Pierre. Elle était d'une beauté extraordinaire et elle souffrait de la fièvre par la volonté de son père; or, un jour que les disciples logeaient chez saint Pierre, Tite lui dit : « Puisque vous guérissez tous les infirmes, pourquoi laissez-vous Pétronille souffrante? » « C'est, répondit saint Pierre, que cela lui vaut mieux : néanmoins, pour que l’on ne puisse pas conclure de mes paroles qu'il est impossible de la guérir, il lui dit: « Lève-toi promptement, Pétronille, et sers-nous. »

P127

Elle fut guérie aussitôt, se leva et les servit. Quand elle eut fini de les servir saint Pierre lui dit : « Pétronille, retourne à ton lit. » Elle y revint aussitôt et la fièvre la reprit comme auparavant : mais dès qu'elle eut eu acquis la perfection dans l’amour de Dieu, il la guérit complètement. Le comte Flaccus vint la trouver afin de la prendre pour femme à cause de sa beauté. Pétronille lui dit donc :

« Si tu désires  m’avoir pour épouse, fais-moi venir des vierges qui me conduisent jusqu'à ta maison. » Comme il s'en occupait, Pétronille se livra au jeûne et. à la prière, reçut le corps du Seigneur, se coucha et trois jours après elle rendit son âme à Dieu. Flaccus, se voyant déçu, s'adressa à Félicula, compagne de Pétronille, et lui intima ou de l’épouser ou de sacrifier aux idoles.

Comme elle refusait de consentir à aucune de ces deux propositions, le préfet la fit mettre en prison où elle n'eut ni à manger ni à boire pendant sept jours ; après quoi il la fit tourmenter sur le chevalet, la tua et jeta son corps dans un cloaque. Cependant saint Nicodème l’en retira et lui donna la sépulture.

En conséquence, le comte Flaccus fit appeler Nicodème et comme celui-ci refusait de sacrifier, il le battit avec des cordes chargées de plomb. Son corps fut jeté dans le Tibre; mais son clerc Juste l’en ôta et l’ensevelit avec honneur.

* Martyrologe d'Adon.


(80) SAINT PIERRE, EXORCISTE, ET SAINT MARCELLIN *

P128

Pendant que saint Pierre, exorciste, était détenu en prison par Archémius, la fille de ce dernier était tourmentée par le démon et comme c'était, pour ce père, un sujet toujours nouveau de désolation, saint Pierre lui dit que s'il croyait en J.-C., à l’instant la santé serait rendue à sa fille. Archémius lui dit: « Je  m’étonne que ton Seigneur puisse délivrer ma fille, quand il ne peut te délivrer, toi qu'il laisse souffrir pour lui de si grands tourments. » Pierre lui répondit: « Mon Dieu a le pouvoir de  m’arracher à votre joug, mais il veut, par une souffrance passagère, nous faire parvenir à une gloire éternelle. » « Si, reprit Archémius, après que j'aurai doublé tes chaînes, ton Dieu te délivre et guérit ma fille, dès lors je croirai en J.-C. » Les chaînes furent doublées : saint Pierre apparut à Archémius, revêtu d'habits blancs et tenant à la main une croix. Alors Archémius se jeta à ses pieds et sa fille fut guérie. Il reçut le baptême lui et tous les gens de sa maison ; il permit aux prisonniers de se retirer libres, s'ils voulaient se faire chrétiens. Beaucoup d'entre eux, ayant accepté la foi, furent baptisés par le bienheureux prêtre Marcellin. A cette nouvelle, le préfet donna ordre de lui amener tous les prisonniers .

* Le récit est tiré presque textuellement du Martyrologe d'Adon, 2 juin.

P129

Archémius les réunit donc, leur baisa les mains et leur dit que si quelqu'un d'eux voulait aller au martyre, il vint avec intrépidité ; que s'il y en avait un qui ne le voulût pas, il se retirât sain et sauf. Or, le juge ayant découvert que Marcellin et Pierre les avaient baptisés, il les manda tous les deux à son tribunal, et les fit enfermer chacun dans une prison séparée.

Pour Marcellin, il fut étendu tout nu sur du verre cassé; on lui refusa l’eau et le feu; quant à Pierre, il fut enfermé dans un autre cachot fort profond où on le mit dans des entraves très serrées. Mais un ange du Seigneur vint voir Marcellin, le délia, puis il le ramena avec Pierre dans la maison d'Archémius, en donnant l’ordre à tous les deux d'encourager le peuple pendant sept jours, et de se présenter ensuite devant le juge. Celui-ci ne les ayant donc pas trouvés dans la prison, manda Archémius et sur le refus de celui-ci de sacrifier, il le fit étouffer sous terre avec sa femme.

Marcellin et saint Pierre en ayant eu connaissance, vinrent en cet endroit, et sous la protection des chrétiens, saint Marcellin célébra la messe sept jours de suite dans cette même crypte. Alors les saints dirent aux incrédules: «Vous voyez que nous aurions pu délivrer Archémius et nous cacher; mais nous n'avons voulu faire ni l’un ni l’autre. » Les gentils irrités. tuèrent Archémius par le glaive; quant à sa femme et à sa fille ils les écrasèrent à coups de pierres. Ils menèrent Marcellin et Pierre à la forêt noire (qu'on a depuis appelée blanche à raison de leur martyre) où ils les décapitèrent du temps de Dioclétien, l’an du Seigneur 287.

P130

Le bourreau appelé Dorothéus vit des anges qui portaient au ciel leurs âmes revêtues de vêtements splendides et ornées de pierres précieuses. En conséquence, Dorothée se fit chrétien et mourut en paix quelque temps après.                                                                                                           


(81) SAINT PRIME ET SAINT FÉLICIEN *

Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard, comblé de félicité. Le premier est souverain et grand en dignité pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité pour la gloire dont il jouit. Le second est appelé vieillard, non à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect qu'inspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour la gravité de ses moeurs.

Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclétien et de Maximien par les prêtres des idoles qui prétendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux, si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l’ordre donc des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un ange les vint visiter, délia leurs chaînes; alors ils se promenèrent librement dans leur prison où ils louaient le Seigneur à haute voix. Peu de temps après on les amena de nouveau devant les empereurs; et là ayant persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à  coups de fouets, puis séparés l’un de, l’autre. Le président dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et d'immoler aux dieux.
* Bréviaire; — Martyrologe d'Adon.

P131

Félicien lui répondit: « Me voici parvenu à l’âge de 80 ans, et il y en a 30 que je connais la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu : il peut me délivrer de tes mains. » Alors le président commanda de le lier et de l’attacher avec des clous par les mains et par les pieds: « Tu resteras ainsi, lui dit-il, jusqu'à ce que tu consentes' à nous obéir. » Comme le visage du martyr était toujours joyeux, le président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on ne lui servît aucun aliment. Après cela, il se fit amener saint Prime, et lui dit: « Eh bien! ton frère a consenti à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il est vénéré comme un grand personnage dans un palais : fais donc comme lui. »

« Quoique tu sois le fils du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un point, quand tu avançais que mon frère avait consenti à exécuter les ordres de l’empereur du ciel. » Aussitôt le président en colère lui fit brûler les côtés et verser du plomb fondu dans la bouche, sous les yeux de Félicien, afin que la terreur s'emparât de ce dernier mais Prime but le plomb avec autant de plaisir que de l’eau fraîche. Le président irrité fit alors lâcher deux lions contre eux; mais ces animaux vinrent se ;jeter aussitôt à leurs pieds, et restèrent à côté d'eux comme des agneaux pleins de douceur. Il lâche encore deus ours cruels qui deviennent doux comme les lions. Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Seigneur. Le président fit alors décapiter les deux martyrs et jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de proie qui les laissèrent intacts. Les chrétiens leur donnèrent alors une honorable sépulture. Ils souffrirent vers l’an du Seigneur 287.


(82) SAINT BARNABÉ, APOTRE

P132

Barnabé veut dire fils de celui qui vient, ou bien fils de consolation, ou fils de prophète, ou fils qui, enserre. Quatre fois il a le titre de fils pour quatre sortes de filiation. L'écriture donne ce nom de fils, en raison de la génération, de l’instruction, de l’imitation, et de l’adoption. Or, il fut régénéré par J.-C. dans le baptême, il fut instruit dans l’évangile, il imita le Seigneur par son martyre, et il en fut adopté par la récompense céleste. Voilà pour ce qui le regarde lui-même. Voici maintenant ce qui le concerne quant aux autres : il fut arrivant, consolant, prophétisant et enserrant. Il fut arrivant, parce qu'il alla prêcher partout : ceci est clair, puisqu'il fut le compagnon de saint Paul. II consola les pauvres et les affligés, les premiers en leur portant des aumônes, les seconds en leur adressant des lettres de la part des apôtres : Il prophétisa puisqu'il fut illustre en annonçant les choses à venir; il fut enserrant, c'est-à-dire qu'il réunit et rassembla dans la foi une multitude de personnes; la preuve en est dans sa mission à Antioche. Ces quatre qualités sont indiquées dans le livre des Actes (XI). C'était un homme, mais un homme de courage, ce qui a trait à la première qualité, bon, c'est pour la seconde, plein du Saint-Esprit, voilà pour la troisième, et fidèle ou plein de foi, ceci regarde la quatrième qualité. Jean le même due Marc son cousin compila son martyre. Il en est question principalement à partir de la vision de ce Jean, jusque vers la fin. On pense que Bède le traduisit du grec en latin*.

* Bède est ici cité à tort, on né trouve dans le Vénérable rien de cette traduction.

P133

Saint Barnabé, lévite originaire de Chypre, l’un des 72 disciples du Seigneur, est souvent mentionné avec de grands éloges dans l’histoire des Actes. Il fut admirablement formé et disposé en ce qui le regardait personnellement, par rapport à Dieu et par rapport au prochain.

— I. Pour ce qui était de lui, il était bien organisé dans ses trois puissances, la rationnelle, la concupiscible et l’irascible; 1° sa puissance rationnelle était éclairée par la lumière de la connaissance : c'est pour cela qu'il est dit dans les Actes : « Il y avait, dans l’église qui était à Antioche, des prophètes et des docteurs, entre lesquels étaient Barnabé, Simon, etc. » (XIII); 2° sa puissance concupiscible était dégagée de la poussière des affections mondaines : car il est dit aux Actes (IV) que Joseph surnommé Barnabé vendit un fonds de terre qu'il possédait : il en apporta le prix et le mit aux pieds fies apôtres : c'est ici que la glose ajoute : il donne une preuve qu'il faut se dépouiller de ce à quoi il évite de toucher, et il enseigne à fouler un or qu'il met aux pieds des apôtres; 3° sa puissance irascible était appuyée sur une grande probité, soit qu'il entreprît avec ardeur des choses difficiles, soit qu'il mît de la persévérance dans des actes de courage, soit qu'il fait constant à soutenir l’adversité. Il entreprit avec ardeur des choses difficiles, cela est évident par ses travaux pour convertir cette immense cité d'Antioche, comme il est écrit au IXe chapitre des Actes : en effet saint Paul, après sa conversion; voulut venir à Jérusalem et se joindre aux disciples ; et quand tout le monde le fuyait comme les agneaux font du loup, Barnabé fut assez audacieux pour le prendre et le mener aux apôtres.

P134

Il mit de la persévérance dans ses actes de courage, en macérant son corps et en le réduisant par les jeûnes : aussi est-il dit aux Actes (XIII) de Barnabé et de quelques autres : « Pendant qu'ils rendaient leur culte au Seigneur et qu'ils jeûnaient, le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Paul et Barnabé pour l’oeuvre à laquelle je les ai destinés. » Il fut constant à soutenir l’adversité d'après le témoignage que lui en rendent les apôtres en disant (Actes, XV) : « Nous avons jugé à propos de vous envoyer des personnes choisies, avec nos très chers Barnabé et Paul, hommes qui ont exposé leur vie pour le nom de N.-S. J.-C. »

— II. Il fut bien formé par rapport à Dieu. Il déférait à son autorité, comme aussi à sa majesté et à sa bonté. 1° Il déférait à l’autorité de Dieu, puisqu'il ne prit pas de son chef la charge de la prédication, mais qu'il voulut la recevoir de l’autorité divine, comme il est rapporté aux Actes (XIII). Le Saint-Esprit dit : « Séparez-moi Paul et Barnabé pour l’oeuvre à laquelle je les ai destinés. » 2° Il déférait à sa majesté. On lit en effet au XIVe ch. des Actes que certaines personnes voulaient le traiter comme une majesté divine et lui immoler des victimes comme on fait à Dieu, en l’appelant Jupiter, parce qu'il paraissait le plus recommandable, et en donnant à Paul le nom de Mercure, en raison de sa prudence et de son éloquence ; aussitôt Barnabé et Paul déchirèrent leurs vêtements et s'écrièrent : « Mes amis, que voulez-vous faire? Nous sommes des hommes mortels comme vous, qui vous annonçons de quitter ces vaines idoles, pour vous convertir au Dieu vivant. » 3° Il déférait à la bonté de Dieu.

P135

En effet on trouve dans les Actes (XV) que quelques-uns des Juifs convertis voulaient rétrécir et diminuer la bonté de la grâce de Dieu, bonté qui nous sauve gratuitement
indépendamment de la loi, avançant que la grâce sans la circoncision était tout à fait insuffisante; Paul et Barnabé leur résistèrent avec force, en montrant que la bonté seule de Dieu suffisait sans les pratiques commandées par la loi : en outre ils portèrent la question air tribunal des apôtres dont ils obtinrent des lettres qui proscrivaient ces erreurs.

— III. Il fut admirablement disposé par rapport au prochain, puisqu'il nourrit son troupeau par sa parole, par son exemple et par ses bienfaits. 1° Par sa parole, en évangélisant avec grand soin la parole de Dieu. En effet les Actes disent (XV) : « Paul et Barnabé demeurèrent à Antioche, où ils enseignaient et annonçaient avec plusieurs autres la parole du Seigneur. » Ce qui est évident encore par cette foule immense qu'il ;convertit à Antioche ; de sorte que ce fut -là que les disciples commencèrent à être appelés chrétiens. 2° Par son exemple, puisque sa vie fut pour tous un miroir de sainteté et un modèle de religion. Dans toutes ses actions, en effet, il fut homme de coeur et religieux, intrépide, distingué par la douceur de ses moeurs, tout rempli de la grâce du Saint-Esprit et illustre en toutes sortes de vertus et en foi. Ces quatre qualités sont énumérées dans ces paroles des Actes (XV) : « Ils envoyèrent Barnabé à Antioche » ; et ailleurs (XI) : « Il les exhortait tous à demeurer dans le service du Seigneur avec un coeur ferme ; parce que c'était. un homme bon, rempli de l’Esprit-Saint et de foi. » 3° Par ses bienfaits.

P136

Or, il y a deux sortes de bienfaits, deux aumônes, d'abord, la temporelle qui consiste à donner le nécessaire, ensuite la spirituelle qui consiste à pardonner les injures. Barnabé pratiquait la première quand il porta l’aumône aux frères qui étaient à Jérusalem, d'après le XIe ch. des Actes : « Une grande famine, selon que l’avait prédit Agabus, étant survenue sous le règne de Claude, les disciples résolurent d'envoyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes aux frères qui demeuraient en Judée. Ils le firent en effet, les adressant aux anciens, par les mains de Barnabé et de Paul. » Il pratiquait la seconde, puisqu'il pardonna l’injure que lui avait faite Jean surnommé Marc. Comme ce disciple avait quitté Barnabé et Paul, Barnabé ne laissa pas cependant que d'être indulgent pour lui, quand il revint avec repentir, et de le reprendre pour disciple. Paul ne le voulut pas recevoir, de là le. sujet de leur séparation. En cela l’un et l’autre agissaient par des motifs et des intentions louables. Barnabé, en le reprenant, par douceur et miséricorde; Paul ne le reçut. pas par amour de la droiture.

C'est pour cela que la glose dit à ce propos (Actes, XV) : « Jean avait résisté en face, tout en se montrant trop timide, alors Paul eut raison de l’éloigner de peur que la contagion du mauvais exemple de Jean ne corrompît la vertu des autres. » Cette séparation ne se fit pas par un emportement coupable, mais par l’inspiration du Saint-Esprit qui les faisait s'éloigner afin qu'ils prêchassent à plus de monde ; et c'est ce qui arriva: Car comme Barnabé était dans la ville d'Icone, Jean, son cousin, dont on vient de parler, eut une vision dans laquelle apparut un homme éclatant qui lui dit : « Jean, aie de la constance, car bientôt ce ne sera plus Jean, mais Elevé (excelsus) que tu seras appelé. »

P137

Barnabé; informé de ce prodige par son cousin, lui dit: « Garde-toi bien de révéler à personne ce que tu as vu ; car le Seigneur  m’a apparu aussi cette nuit en me disant: « Barnabé, aie de la constance, car tu recevras les récompenses éternelles, pour avoir quitté ton pays, et avoir livré ta vie pour mon nom. » Lors donc que Paul et Barnabé eurent prêché pendant longtemps à Antioche, un ange du Seigneur apparut aussi à Paul et lui dit : « Hâte-toi d'aller à Jérusalem, car quelqu'un des frères y attend ton arrivée. » Or, Barnabé voulant aller en Chypre pour y visiter ses parents, et Paul se hâtant d'aller à Jérusalem, ils se séparèrent par l’inspiration du Saint-Esprit. Alors Paul communiqua à Barnabé ce que l'ange lui avait dit. Barnabé lui répondit : « Que la volonté du Seigneur soit faite ; je vais aller en Chypre, j'y finirai ma vie et je ne te verrai plus désormais. » Et comme il se jetait humblement aux pieds de Paul en pleurant, celui-ci, touché de compassion, lui dit : « Ne pleurez pas; puisque c'est la volonté du Seigneur ; il  m’est aussi apparu cette nuit et  m’a dit : « N'empêche pas Barnabé d'aller en Chypre; car il y éclairera beaucoup de monde et il y consommera son  martyre. » En allant donc en Chypre avec Jean, Barnabé porta avec lui l’Evangile de saint Mathieu; il le posait sur les malades, et il en guérit beaucoup par la puissance de Dieu. Sortis de Chypre, ils trouvèrent Elymas, le magicien que saint Paul avait privé de la vue pour un certain temps : il leur fit de l’opposition et les empêcha d'entrer à Paphos.

P138

Un jour Barnabé vit des hommes et des femmes nus qui couraient ainsi pour célébrer leurs fêtes. Il en fut rempli d'indignation ; il maudit le temple, et à l’instant il s'en écroula une partie qui écrasa beaucoup d'infidèles.

Enfin il vint à Salamine : ce fut là que le magicien Elymas, dont on vient de parler, excita contre lui une grande sédition. Les Juifs se saisirent donc de Barnabé qu'ils accablèrent de nombreuses injures; ils le traînèrent en toute hâte au juge de la ville pour le faire punir.

Mais quand les Juifs apprirent qu'Eusèbe, personnage important et fort puissant, de la famille de Néron, était arrivé à Salamine, ils craignirent qu'il ne leur arrachât des mains le saint apôtre, et ne le laissât aller en liberté: alors ils lui lièrent une corde au cou, le traînèrent hors de la porte de la ville où ils se hâtèrent de le bruler. Enfin ces Juifs impies, n'étant pas encore rassasiés de cette cruauté, renfermèrent ses os dans un vase de plomb, pour les jeter dans la mer : mais Jean, son disciple, avec deux autres chrétiens, se leva durant la nuit, les prit et les ensevelit en secret dans une crypte où ils restèrent cachés, au rapport de Sigebert, jusqu'au temps de l’empereur Zénon et du pape Gélase, en l’année 500, qu'ils furent découverts par une révélation du saint lui-même. Le bienheureux. Dorothée dit due Barnabé prêcha d'abord J.-C. à Rome, et fut évêque de Milan.


 (83) SAINT VITUS ET SAINT MODESTE *

P139

Vitus est ainsi nommé de vie : or, saint Augustin dans son livre de la Cité de Dieu ** distingue trois genres de vie, savoir une vie d'action, ce qui se rapporte à la vie active; une vie de loisir, ce qui se rapporte au loisir spirituel de la vie contemplative, et une troisième, composée des deux autres. Et ces trois genres de vie résidèrent en saint Virus. Ou bien Vitus vient de vertu, vertueux.
Modeste, qui se tient dans un milieu, savoir, le milieu de la vertu. Chaque vertu tient le milieu entre deux vices qui l’entourent comme deux extrêmes. Car la prudence a pour extrêmes la ruse et la sottise; les extrêmes de la tempérance sont  l’accomplissement des désirs de la chair et toute espèce d'affliction qu'on s'impose; les extrêmes de la grandeur d'âme sont la pusillanimité et la témérité ; la justice a pour extrêmes la cruauté et l’indulgence.

Virus, enfant distingué et fidèle, souffrit le martyre en Sicile, à l’âge de douze ans. Il était souvent frappé par son père pour mépriser les idoles et pour ne vouloir pas les adorer. Le président Valérien, informé de cela, fit venir l’enfant qu'il fit battre de verges, parce qu'il refusait de sacrifier aux idoles. Mais aussitôt les bras des bourreaux et la main du préfet se séchèrent. Et ce dernier s'écria : « Malheur à moi ! car j'ai perdu l’usage de ma main. » Vitus lui dit: « Que tes dieux viennent te guérir, s'ils le peuvent. » Valérien lui répondit : « Est-ce que tu ne le pourrais pas ? » « Je le puis, reprit Vitus, au nom de mon Seigneur. »

* Martyrologe d'Adon.
** Lib. XIX, II, 19.

P140

Alors l’enfant se mit en prières et aussitôt le préfet fut guéri. Et celui-ci dit au père : « Corrige ton enfant, de peur qu'il ne périsse misérablement. » Alors le père ramena son enfant chez soi, et s'efforça de changer son coeur par la musique, par les jeux avec des jeunes filles et par toutes sortes de plaisirs. Or, comme il l’avait enfermé dans une chambre, il en sortit un parfum d'une odeur admirable qui embauma son père et toute sa famille. Alors le père, regardant par la porte, vit sept anges debout autour de l’enfant: «Les dieux, dit-il, sont venus dans ma maison », aussitôt il fut frappé de cécité. Aux cris qu'il poussa, toute la ville de Lucana fut en émoi, au point, que Valérien accourut et demanda au père de Vitus quel malheur lui était survenu. « J'ai vu, lui répondit-il, des dieux de feu, et je n'ai pu supporter l’éclat de leur visage. » Alors on le conduit au temple de Jupiter, et pour recouvrer la vue il promet un taureau avec des cornes dorées: mais comme il n'obtenait rien, il pria son fils de le guérir; et par ses prières, il recouvra la vue. Or, cette merveille elle-même ne lui ouvrait pas les yeux à la foi, mais au contraire il pensait à tuer son fils.

Un ange du Seigneur apparut alors à Modeste, son précepteur, et lui ordonna de monter à bord d'un navire pour conduire l’enfant dans un pays étranger. Il le fit; un aigle leur apportait là leur nourriture, et ils opéraient beaucoup de miracles. Sur ces entrefaites, le fils de l’empereur Dioclétien est saisi par le démon qui déclare ne point sortir si Vitus de Lucana ne vient. On cherche Vitus, et quand on l’eut trouvé, on le mène à l’empereur. Dioclétien lui dit: « Enfant, peux-tu guérir mon fils ? »

P141

« Ce n'est pas moi, dit Vitus, mais le Seigneur. » Alors il impose les mains sur le possédé et à l’instant le démon s'enfuit. Et Dioclétien lui dit « Enfant, veille à tes intérêts et sacrifie aux dieux, pour ne pas mourir de malemort. » Comme Vitus refusait de le faire, il fut jeté en prison avec Modeste. Les fers dont on les avait garrottés tombèrent et le cachot fut éclairé par une immense lumière : cela fut rapporté à l’empereur, qui fit sortir et jeter le saint dans une fournaise ardente, mais il s'en retira intact. Alors on lâche, pour le dévorer, un lion furieux, qui fut adouci par la foi de l’enfant. Enfin on l’attacha sur le chevalet avec Modeste et Crescence, sa nourrice, qui l’avait constamment suivi. Mais soudain l’air se trouble, la terre tremble, les tonnerres grondent, les temples des idoles s'écroulent et écrasent beaucoup de personnes ; l’empereur lui-même est effrayé ; il fuit en se frappant avec les poings et dit : « Malheur à moi ! puisque je suis vaincu par un seul enfant. » Quant aux martyrs, un ange les délia aussitôt, et ils se trouvèrent sur les bords d'un fleuve, où après s'être arrêtés quelque temps et avoir prié, ils rendirent leur âme au Seigneur.

Leurs corps gardés par des aigles furent trouvés par une illustre matrone nommée Florence à laquelle saint Vitus en fit la révélation. Elle les prit et les. ensevelit avec honneur. Ils souffrirent sous Dioclétien qui commença à régner vers l’an du Seigneur 287.


(84) SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MÈRE *

P142

Cyr, ou Quirice, quérant un arc; il vient aussi de chisil, courage, et cus, noir, ce qui équivaut à courageux par vertu et noir par humiliation. Quiris veut aussi dire hache; quiriles, siège; en effet Quirice fut un arc, c'est-à-dire courbé par humiliation, il fut fort dans les tourments qu'il endura; il fut noir par le mépris de lui-même; ce fut une hache dans son combat avec l’ennemi: il fut le siège de Dieu parce que Dieu habitait en lui : car la grâce suppléa en lui à ce que l’âge lui déniait. Julitte vient de juvans vita, parce qu'elle vécut d'une vie spirituelle, et qu'ainsi elle fut utile à beaucoup de monde.

Quirice était fils de Julitte, très illustre matrone d'Icone. La persécution qu'elle voulut éviter la força à venir à Tarse en Cilicie, avec son fils, Quirice, âgé de trois ans. Cependant on la fit comparaître portant son enfant dans ses bras, devant le président, Alexandre. Deux de ses femmes qui virent cela s'enfuirent aussitôt et l’abandonnèrent. Le président prit donc l’enfant dans ses bras, et fit cruellement frapper à coups de nerfs la mère qui ne voulut pas sacrifier aux idoles. Or, l’enfant, en voyant frapper sa mère, pleurait amèrement et poussait des cris lamentables. Mais le président prenait le jeune Quirice tantôt entre ses bras, tantôt sur ses genoux, le calmait par ses baisers et par ses caresses, et l’enfant, les yeux tournés sur sa mère; repoussait avec horreur les embrassements du juge, détournait la tête avec indignation et lui déchirait le visage avec ses petits ongles; il semblait parler et dire comme sa mère : « Et moi aussi, je suis chrétien. »

* Philippe de Harvenq, abbé de Bonne-Espérance, a écrit la passion de ces deux saints martyrs.

P143

Enfin après s'être débattu longtemps, il mordit le président à l’épaule. Celui-ci indigné et tourmenté par la douleur jeta du haut en bas l’enfant sur les degrés du tribunal qui fut couvert de sa petite cervelle ; alors Julitte, joyeuse de voir son fils la précéder dans le royaume du ciel, rendit des actions de grâces à Dieu. Elle fut ensuite condamnée à être écorchée, puis arrosée de poix bouillante et enfin à avoir la tête tranchée. On trouve cependant dans une légende que Quirice, ne se souciant pas des caresses ou des menaces du tyran, confessait qu'il était chrétien. A l’âge qu'il avait, ce petit enfant ne pouvait pas encore parler, mais c'était l’Esprit-Saint qui parlait en lui. Comme le président lui demandait qui l’avait instruit, il dit : « Président; j'admire ta sottise; tu vois combien je suis jeune, et tu demandes à un enfant de trois ans quel est celui qui lui a enseigné la sagesse divine? »

Pendant qu'on le frappait, il criait : « Je suis chrétien » ; et à chaque cri, il recevait des forces pour supporter les tourments. Alors le président fit couper par morceaux la mère et l’enfant, et de peur que les chrétiens ne donnassent la sépulture à ces tronçons, il ordonna qu'on les jetât çà et là. Cependant un ange les recueillit et les chrétiens les ensevelirent pendant la nuit. Les corps de ces martyrs furent découverts, du temps de Constantin le Grand, par une des femmes de Julitte qui avait survécu à sa maîtresse ; et tout le peuple les a en grande vénération. Ils souffrirent vers l’an du Seigneur 230, sous l’empereur Alexandre.


(85) SAINTE MARINE, VIERGE 

P144

Marie était fille unique. Son père, étant entré dans un monastère, changea sa fille d'habits afin qu'elle passât pour un homme et qu'on ne s'aperçût pas qu'elle fût une femme, ensuite il pria l’abbé et les frères de vouloir bien recevoir son fils unique. On se rendit à ses prières. Il fut reçu moine et appelé par tous frère Marin. Elle pratiqua la vie religieuse avec beaucoup de piété, et son obéissance était fort grande. Comme son père se sentait près de mourir, il appela sa fille (elle avait vingt-sept ans), et après l’avoir affermie dans sa résolution, il lui défendit de révéler jamais son sexe à personne.

Marin allait donc souvent avec le chariot et les boeufs pour amener du bois au monastère. Il avait coutume de loger chez un homme dont la fille était enceinte du fait d'un soldat. Aux interrogations qu'on lui adressa, celle-ci répondit que c'était le moine Marin qui lui avait fait violence. Marin, interrogé comment il avait commis un si grand crime, avoua qu'il était coupable et demanda grâce. On le chassa aussitôt du monastère, où il resta trois ans à la porte en se sustentant d'une bouchée de pain.

P145

Peu de temps après, l’enfant sevré fut amené à l’abbé. On le donna à élever à Marin, et il resta deux ans avec lui dans le même lieu. Marin acceptait ces épreuves avec la plus grande patience et en toutes choses il rendait grâces à. Dieu. Enfin les frères, pleins de compassion pour son humilité et sa patience, le reçoivent dans le monastère, et le chargent des fonctions les plus viles mais il s'acquittait de tout avec joie, et chaque chose était faite par lui avec patience et dévouement. Enfin après avoir passé sa vie dans les bonnes oeuvres, il trépassa dans le Seigneur. Comme on lavait son corps et qu'on se disposait à l’ensevelir dans un endroit peu honorable, on remarqua que c'était réellement une femme. Tous furent stupéfaits et effrayés, et on avoua avoir manqué étrangement à l’égard de la servante de Dieu. Tout le monde accourt à un spectacle si extraordinaire, et on demande pardon de l’ignorance et du péché qu'on a commis.

Son corps fut donc déposé dans l’église avec honneur. Quant à celle qui avait déshonoré la servante de Dieu, elle est saisie par le démon : alors elle confesse son crime et elle est délivrée au tombeau de la vierge. On vient de toutes parts à cette tombe et il s'y opère un grand nombre de miracles. Elle mourut le 14 des calendes de juillet (18 juin).

* L'édition princeps met, et avec raison, sainte Marie, parce que c'était le nom qu'elle portait avant d'entrer dans le monastère où son père la fit recevoir sous le nom de Marin. Cf. Vies des pères du désert, traduites par Arnaud d'Andilly.


(86) SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS

Gervais (Gervasius) vient de gérar, qui veut dire sacré et de vas, vase, ou bien de gena, étranger et syor, petit. Comme si l’on voulait dire qu'il fut sacré par le mérite de sa vie, vase (146) parce qu'il contint toutes les vertus, étranger parce qu'il méprisa le monde et petit parce qu'il se méprisa lui-même.

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Protais (Protasius) vient de prothos, premier et syos, Dieu ou divin ; ou bien de pocul et stasis, qui se tient loin. Comme si l’on voulait dire qu'il fut le premier par sa dignité, divin par son amour, et éloigné des affections du monde. Saint Ambroise trouva l’histoire de leur martyre dans un écrit placé auprès de leur tête.

Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient les enfants de saint Vital et de la bienheureuse Valérie. Après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils demeurèrent avec saint Nazaire, qui construisait un oratoire à Embrun, et un enfant appelé Celse lui apportait les pierres (c'est anticiper sur les faits de dire que saint Nazaire avait Celse à son service, car d'après l’histoire du premier, ce fut, longtemps après que Celse lui fut offert). Or, comme on les conduisait tous ensemble à l’empereur Néron, le jeune Celse les suivait en poussant des cris lamentables : un des soldats ayant donné des soufflets à l’enfant, Nazaire lui en fit des reproches, mais les soldats irrités frappèrent Nazaire à coups de pied, l’enfermèrent en prison avec les autres et ensuite le précipitèrent dans la mer : ils menèrent à Milan Gervais et Protais. Quant à Nazaire, qui avait été sauvé miraculeusement, il vint aussi dans cette ville. Au même temps, survint Astase, général d'armée qui partait pour faire la guerre aux Marcomans. Les idolâtres allèrent à sa rencontre et lui assurèrent que les dieux se garderaient de rendre leurs oracles si Gervais et Protais ne leur offraient d'abord des sacrifices. On s'empare alors des deux frères et on les invite à sacrifier.

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Comme Gervais disait à Astase que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que le Dieu tout-puissant était seul capable de lui faire remporter la victoire, le comte le fit frapper avec des fouets garnis de plomb jusqu'à ce qu'il eût rendu l’esprit. Ensuite il fit comparaître Protais et lui dit : « Misérable, songe à vivre et ne cours pas, comme ton frère, à une mort violente. » Protais reprit : « Quel est ici le misérable ? Est-ce moi qui ne te crains point, ou bien toi qui donnes des preuves que tu me crains? » Astase lui dit : « Comment, misérable, ce serait moi qui te; craindrais, et comment? » « Tu prouves que tu crains quelque dommage de ma part, reprit Protais, si je ne sacrifie pas à tes dieux, car si tu ne craignais aucun préjudice, jamais tu ne me forcerais à sacrifier aux idoles. » Alors le général le fit suspendre au chevalet. «Je ne  m’irrite pas contre toi, général, lui dit Protais ; je sais que les yeux de ton coeur sont aveuglés ; bien au contraire, j'ai pitié de toi, car tu ne sais ce que tu, fais. » Achève ce que tu as commencé, afin que la bénignité du Sauveur daigne  m’accueillir avec mon frère. Astase ordonna alors de lui trancher la tête. Un serviteur de J.-C. nommé Philippe, avec son fils, s'empara de leurs corps qu'il ensevelit en secret en sa maison, sous une voûte de pierre ; et il plaça à leur tête un écrit contenant le récit de leur naissance, de leur vie et de leur martyre. Ce fut sous Néron qu'ils souffrirent, vers l’an du Seigneur 57.

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Longtemps leurs corps restèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de saint Ambroise de la manière suivante: Saint Ambroise était en oraison dans l’église des saints Nabor et Félix ; il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi; lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues. Saint Ambroise pria, afin que si c'était une illusion, elle ne se reproduisît plus, mais que si c'était une réalité, il eût une seconde révélation. Les jeunes gens lui apparurent de la même manière à l’heure du chant du coq, et prièrent encore avec lui ; mais la troisième nuit, saint Ambroise, étant tout éveillé (son corps était fatigué par les jeûnes) fut saisi de voir apparaître une troisième personne qui lui semblait être saint Paul, d'après les portraits qu'il en avait vus. Les deux jeunes gens se turent et l’apôtre dit à saint Ambroise: «Voici ceux qui, suivant mes avis, n'ont désiré rien des choses terrestres; tu trouveras leurs corps dans le lieu où tu es en ce moment ; à douze pieds de profondeur, tu rencontreras une voîlte recouverte de terre, et auprès de leur tête un petit volume contenant le récit de leur naissance et de leur mort. » Saint Ambroise couvoqua donc ses frères, les évêques voisins; il se mit le premier à creuser la terre, et trouva le tout comme lui avait dit saint Paul ; et bien que plus de trois cents ans se fussent écoulés, les corps des saints furent découverts dans le même état que s'ils venaient d'être ensevelis à l’heure même. Une odeur merveilleuse et extraordinairement suave émanait du tombeau. Or, un aveugle, en touchant le cercueil des saints martyrs, recouvra la vue, et beaucoup d'autres furent guéris par leurs mérites.

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On célébrait cette solennité en l’honneur des saints Martyrs quand fut rétablie la paix entre les Lombards et l’empire romain. Et c'est pour cela que le pape saint Grégoire institua de chanter pour introït de la messe ces paroles : Loquetur Dominus pacem in plebem suam *. En outre les différentes parties de l’office en l’honneur de ces saints se rapportent tantôt à eux, tantôt aux événements qui survinrent à cette époque.

Saint Augustin raconte, au livre de la Cité de Dieu, qu'un aveugle recouvra à Milan l’usage de la vue auprès des corps des saints martyrs Gervais et Protais, et cela en sa présence, devant l’empereur et une grande foule de peuple. Est-ce l’aveugle dont il a été question plus haut, est-ce un autre, on l’ignore. Le même saint raconte encore, dans le même ouvrage, qu'un jeune homme lavant un cheval dans une rivière près de la villa Victorienne, distante de trente milles d'Hippone, aussitôt le diable le tourmenta et le renversa comme mort dans le fleuve. Or, pendant qu'on chantait les vêpres dans l’église dédiée sous l’invocation des saints Gervais et Protais, église qui était près du fleuve, ce jeune homme, comme frappé par l’éclat des voix qui chantaient, entra dans un grand état d'agitation en l’église où il saisit l’autel, sans pouvoir s'en éloigner; en sorte qu'il paraissait y avoir été lié. Quand on fit des exorcismes pour faire sortir le démon, celui-ci menaça de lui couper les membres, en s'en allant. Après l’exorcisme le démon sortit, mais l’oeil du jeune homme restait suspendu par un petit vaisseau sur la joue.

* Ce sont encore les paroles du Missel Romain à l’introït de la messe de ces saints.

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On le remit comme on put en sa place, et peu de jours après, 1'œil fut guéri par les mérites de saint Gervais et de saint Protais. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la Préface de ces saints :

« Voici ceux qui, envolés sous le drapeau du ciel, ont pris les armes victorieuses dont parle l’apôtre : dégagés des liens qui les attachaient au monde, ils vainquirent l’infernal ennemi avec ses vices, pour suivre libres et tranquilles le Seigneur J.-C. Oh! les heureux frères, qui en s'attachant à la pratique des paroles sacrées, ne purent être souillés par aucune contagion ! Oh! le glorieux motif pour lequel ils combattirent, ceux que le même sein maternel a mis au monde, reçoivent tous les deux une couronne semblable. »


(87) LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Saint Jean-Baptiste a beaucoup de noms : en effet il est appelé prophète, ami de l’époux, lumière, ange, voix, Hélie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et précurseur du roi. Le nom de prophète indique le privilège des connaissances; celui d'ami de l’époux, le privilège de l’amour; celui de lumière ardente, le privilège de la sainteté; celui d'ange, le privilège de la virginité; celui de voix, le privilège de l’humilité ; celui d'Elie, le privilège de la ferveur; celui de Baptiste, le privilège d'un honneur merveilleux; celui de héraut, le privilège de la prédication ; celui de précurseur, le privilège de la préparation.

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La naissance de saint Jean-Baptiste fut ainsi annoncée par l’archange. « Le roi David, d'après l’Histoire scholastique *, voulant donner plus d'extension au culte de Dieu, institua vingt-quatre grands prêtres, dont un seul supérieur aux autres était appelé le Prince des Prêtres. Il en établit seize de la lignée d'Eléazar et huit de celle d'Ithamar, et il donna par le sort à chacun une semaine à son tour; or, à Abias échut la huitième semaine, et Zacharie fut de sa race. » Zacharie et sa femme étaient vieux et sans enfants.

Zacharie étant donc entré dans le temple pour offrir de l’encens, et une multitude de peuple l’attendant à la porte, l’archange Gabriel lui apparut. Zacharie éprouva un mouvement de crainte à sa vue ; mais l’ange lui dit : « Ne crains pas, Zacharie, parce que ta prière a été exaucée. » C'est le propre des bons anges, selon ce que dit la glose, de consoler à l’instant par une bénigne exhortation ceux qui s'effraient en les voyant; au contraire, les mauvais anges, qui se transforment en anges de lumière, dès lors qu'ils s'aperçoivent que ceux auxquels ils s'adressent sont effrayés de leur présence, augmentent encore l’horreur dont ils les ont saisis. Gabriel annonce donc à Zacharie qu'il aura un fils dont le nom serait Jean, qui ne boirait ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer, et qu'il marcherait devant le Seigneur dans l’esprit et la vertu d'Elie. Jean est appelé Elie en raison du lieu que tous les deux habitèrent, savoir, le désert, en raison de leur habillement extérieur, qui était grossier chez l’un comme chez l’autre, en raison de leur nourriture qui était modique; en raison de leur ministère, parce que tous deux sont précurseurs ; Elie du juge, Jean du Sauveur, en raison de leur zèle, car les paroles de l’un et de l’autre brûlaient comme un flambeau ardent.

* Hist. Evanq., c. I.

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Or, Zacharie, en considération de sa vieillesse et de la stérilité de sa femme, se prit à douter et d'après la coutume des Juifs, il demanda un signe à l’ange : alors l’ange, frappa de mutisme Zacharie qui n'avait pas voulu ajouter foi à ses paroles.

Souvent le doute existe et s'excuse par la grandeur des choses promises, comme on le voit dans Abraham. En effet quand Dieu lui eut promis que sa race posséderait la terre de Chanaan, Abraham lui dit : « Seigneur mon Dieu comment puis-je savoir que je la posséderai ? » Dieu lui répondit (Gen., XV) : « Prenez une vache de trois ans, etc. » Quelquefois on conçoit un doute en considération de sa propre fragilité, comme cela eut lieu dans Gédéon qui dit.: « Comment, je vous en prie, mon Seigneur, délivrerai-je Israël? Vous savez que ma famille est la dernière de Manassé et que je suis le dernier dans la maison de mon père. » A la suite de cela, il demanda un signe et il le reçut. Quelquefois le doute est excusé par l’impossibilité naturelle de l’événement, cela s'est vu dans Sara. En effet quand le Seigneur eut dit : « Je vous reviendrai voir, et Sara aura un fils », Sara se mit à rire derrière la porte, en disant « Après que je suis devenue vieille et que mon seigneur est vieux aussi, serait-il bien vrai que je pusse avoir un enfant? »

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Zacharie aurait donc été frappé seul d'un châtiment pour avoir douté, quand se trouvaient rencontrées et la grandeur de la chose promise, et la considération de sa fragilité propre par laquelle il se réputait indigne d'avoir un fils, et de plus l’impossibilité naturelle. Ce fut pour plus d'un motif qu'il en arriva ainsi. 1° D'après Bède il parla comme un- incrédule ; c'est pour cela qu'il est condamné à être muet, afin qu'en se taisant il apprît à croire. 2° Il devint muet, afin que, dans la naissance de son fils, apparût un grand miracle : car quand à la naissance de saint Jean, son père recouvra la parole, ce fut miracle sur miracle. 3° Il était convenable qu'il perdît la voix,, quand la voix naissait et venait faire taire là loi. 4° Parce qu'il avait demandé un signe au Seigneur et qu'il reçut comme signe d'être privé de la parole. Car, quand Zacharie sortit du temple et que le peuple se fut aperçu de son état de mutisme, on découvrit par ses gestes qu'il avait eu une vision dans le temple. Or, sa semaine étant achevée, il alla à sa maison et Elisabeth conçut ; et elle se cacha pendant cinq mois, parce que, selon ce que dit saint Ambroise, elle rougissait de mettre un enfant au monde à son âge ; c'était en effet passer pour avoir usé du mariage dans sa vieillesse; et cependant elle était heureuse d'être délivrée de l’opprobre de la stérilité, puisque c'était pour les femmes un; opprobre de ne pas avoir de fruit de leur union : Voilà pourquoi les noces sont des jours de fêtes et l’acte du mariage excusé. Or; six mois après, la Sainte Vierge; qui déjà avait conçu le Seigneur, vint, en qualité de vierge féconde, féliciter sa cousine de ce que sa stérilité avait été levée, et aider à sa vieillesse.

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Après qu'elle eut salué Elisabeth, le bienheureux Jean, rempli dès lors du Saint-Esprit, sentit le Fils de Dieu venir à lui et de joie il tressaillit dans le sein de sa mère, trépigna et salua par ce mouvement celui qu'il ne pouvait. saluer de sa parole : car il tressaillit, comme transporté, devant l’auteur du salut, et comme pour se lever devant son Seigneur. La Sainte Vierge demeura donc avec sa cousine pendant trois mois, elle la servait : ce fut elle qui de ses saintes mains reçut l’enfant venant au monde, d'après le témoignage de l’Histoire scholastique *, et qui remplit avec les plus grands soins l’office de garder l’enfant.

Ce Précurseur du Seigneur fut ennobli spécialement et singulièrement par neuf privilèges : Il est annoncé par le même ange qui annonça le Sauveur; il tressaillit dans le sein de sa mère; c'est la mère du Seigneur qui le reçoit en venant au monde ; il délie la langue de son père; c'est le premier qui confère Un baptême; il montre le Christ du doigt; il baptise le même J.-C. ; c'est lui que le Christ loue plus que tous les autres; il annonce la venue prochaine de J.-C. à ceux qui sont dans. les limbes. C'est pour ces neuf privilèges qu'il est appelé par le Seigneur prophète et plus que prophète. Sur ce qu'il est appelé plus que prophète, saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi: « Un Prophète est celui qui reçoit de Dieu l’avantage de prophétiser, mais est-ce que le prophète donne à Dieu le bienfait du baptême ?

* Hist. Evang., c. II.

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Un prophète a pour mission de prédire les choses de Dieu, mais où trouver un prophète dont Dieu lui-même prophétise ? Tous les prophètes avaient. prophétisé de J.-C. au lieu que Jean ne prophétisa pas seulement de J.-C., mais les autres prophètes prophétisèrent de lui : tous ont été les porteurs de la parole, mais lui, c'est la voix elle-même. Autant la voix approche de la parole, sans cependant être la parole, autant Jean approche de J.-C. sans cependant être J.-C. » D'après saint Ambroise, la gloire de saint Jean se tire de cinq causes, savoir de ses parents, de ses mœurs, de ses miracles, des dons qu'il a reçus et de sa prédication. D'après le même Père, la gloire qu'il reçoit de ses parents est manifeste par cinq caractères : Voici ce que dit saint Ambroise : «L'éloge est parfait, quand il comprend; comme dans saint Jean, une naissance distinguée, une conduite intègre, un ministère sacerdotal, l’obéissance à la loi, et la preuve d'oeuvres pleines de justice. » 2° Les miracles : Il y en eut avant sa conception, comme l’annonciation de l’ange, la désignation de son nom, et la perte de la parole dans son père il y en eut dans sa conception, celle-ci fut surnaturelle ; sa sanctification dès le sein de sa mère, et le don de prophétie dont il fut rempli. Il y en eut dès sa naissance, savoir : le don de prophétie accordé à son père et à sa ère, puisque sa mère sut son nom, et que le père prononça un cantique : la langue du père déliée ; le Saint-Esprit qui le remplit.

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Sur ces paroles de l’Evangile : « Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit », saint Ambroise s'exprime ainsi : « Regardez Jean: Quelle puissance dans son nom ! Ce nom rend la parole à un muet, le dévouement à un père; au peuple un prêtre. Tout à l’heure, cette langue était muette, ce père était stérile, ce prêtre était sans fonctions ; mais aussitôt que Jean est né, à l’instant, le père est prophète, ce pontife recouvre l’usage de la parole, son affection peut s'épancher sur son fils, le prêtre est reconnu par les fonctions qu'il remplit. » 3° Les mœurs. Sa vie fut d'une sainteté éminente. Voici comme en parle saint Chrysostome : « A côté de la vie de saint Jean, toutes les autres paraissent coupables: car de même que quand vous voyez un vêtement blanc, vous dites : ce vêtement est assez blanc, mais si vous le mettez à côté de la neige, il commence à vous paraître pâle, quoique vraiment il n'en soit pas ainsi, de même à comparaison de saint Jean, quelque homme que ce fût paraissait immonde. »

Il reçut trois témoignages de sa sainteté. Le premier fut rendu par ceux qui sont au-dessus du ciel, c'est-à-dire par la Trinité . elle-même: 1° Par le Père qui l’appelle Ange. Malachie dit (III) : « Voilà que j'envoie mon ange qui préparera ma voie devant ma face. » Ange est, un nom qui désigne le ministère, mais qui n'explique pas la nature de l’ange. Or, si saint Jean est appelé ange, c'est pour marquer le ministère qu'il a rempli, parce qu'il paraît avoir exercé le ministère de tous les anges. Il remplit celui des Séraphins : car séraphin veut dire ardent, parce qu'ils nous rendent ardents et qu'ils brûlent plus que d'autres d'amour pour Dieu'; c'est pourquoi il est dit de Jean : « Elle s'est élevé :comme un feu, et ses paroles brûlaient comme un flambeau ardent » (Ecclés., XLVIII), « car il est venu avec l’esprit et la vertu d'Elie. » 2° Il remplit le ministère des Chérubins, car chérubins veut dire plénitude de science: or, Jean est appelé Lucifer ou étoile du matin, parce qu'il fut le terme de la nuit de l’ignorance, et le commencement de la lumière de la grâce.

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3° Il remplit le ministère des Thrônes qui ont pour mission de juger, et il est dit de Jean qu'il reprenait Hérode en disant : « Il ne vous est pas permis d'avoir pour femme celle de votre frère. » 4° Il remplit le ministère des Dominations qui nous enseignent à gouverner ceux qui nous sont sujets ; or, Jean était aimé de ses inférieurs, et les rois le craignaient. 5° Il remplit l’office des Principautés qui nous apprennent à respecter nos supérieurs et Jean disait eu parlant de lui-même : « Celui qui tire son origine de la terre est de la terre, et ses paroles tiennent de la terre » ; et en parlant de J.-C., il ajoute : « celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous. » Il dit encore : « Je ne suis pas digne de délier les cordons de sa chaussure. » 6° Il remplit l’office des Puissances qui sont chargées d'éloigner les puissances de l’air et du vice, lesquelles ne purent jamais nuire à sa sainteté. Il les repoussait aussi loin de nous, lorsqu'il nous disposait au baptême de la pénitence. 7° Il remplit l’office des Vertus par lesquelles s'opèrent les miracles : or, saint Jean montra en sa personne de grandes merveilles, comme manger du miel sauvage et des sauterelles, se couvrir de peau de chameau, et autres semblables. 8° Il remplit l’office des Archanges, en révélant des mystères auxquels on ne savait atteindre, comme, par exemple, ce qui regarde notre rédemption lorsqu'il disait : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde. »

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9° Il remplit l’office des Anges : quand il annonçait des choses moins relevées, comme celles qui ont trait aux moeurs ; par exemple : « Faites pénitence » ; ou bien: « N'usez point de violence ni de fraude envers personne (Luc, III). » Le second témoignage lui fut rendu par le Fils, comme on lit dans saint Mathieu (II), où J.-C. le recommande souvent d'une manière étonnante, comme quand il dit entre autres choses: « Parmi les enfants des hommes, il n'y en a pas de plus grand que Jean-Baptiste. » « Ces paroles, dit saint Pierre Damien, renferment l’éloge de saint Jean; proférées qu'elles sont par celui qui a posé les fondements de la terre, qui fait mouvoir les astres et qui a créé tous les éléments. » Le troisième témoignage lui fut rendu par le Saint-Esprit, lorsqu'il dit par la bouche de son père Zacharie : « Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très Haut. » — Le second témoignage de sainteté lui fut rendis par les anges et les esprits célestes. Au premier chapitre de saint Luc, l’ange témoigne pour lui une grande considération quand il montre : 1° sa dignité par rapport à Dieu : « Il sera, dit-il, grand devant le Seigneur. » 2° Sa sainteté propre, lorsqu'il ajoute : « Il ne boira pas de vin ni de liqueur enivrante, et il sera rempli de l’Esprit-Saint. dès le ventre de sa mère. » 3° Les grands services qu'il rendra au prochain : « Et il convertira beaucoup des enfants d'Israël. » Le troisième témoignage de sainteté lui fut rendu par ceux qui sont au-dessous du ciel, c'est-à-dire, les hommes, témoin son père, ses voisins, et ceux qui disaient : « Que pensez-vous que sera cet enfant?»

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Quatrièmement, la glose de saint Jean se tire des dons qu'il a reçus dans le sein de sa mère, à sa naissance, dans sa vie et à sa mort. Dans le sein de sa mère, il fut avantagé de trois dons admirables de la grâce : 1° De la grâce par laquelle il fut sanctifié dès ce moment ; puisqu'il fut saint avant que d'être né, selon ces paroles de Jérémie (I) : « Je vous ai connu avant que je vous eusse formé dans les entrailles de votre mère. » 2° De la grâce d'être prophète, quand, par son tressaillement dans le sein d'Elisabeth, il connut que Dieu était devant lui. C'est pour cela que saint Chrysostome, qui veut montrer que Jean-Baptiste a été plus que prophète, dit : « Un prophète mérite par la sainteté de sa vie et de sa foi de recevoir une prophétie; riais est-ce que c'est l’ordinaire d'être prophète avant d'être homme ? » C'était une coutume d'oindre les prophètes; et ce fut quand la Sainte Vierge salua Élisabeth que J.-C. sacra en qualité de prophète Jean dans les entrailles de sa mère, selon ces paroles de saint Chrysostome : « J.-C. fit saluer Elisabeth par Marie afin que sa parole sortie du sein de sa mère, séjour du Seigneur, et reçue par l’ouïe d'Elisabeth, descendit à Jean qui ainsi serait sacré prophète. » 3° Il fut avantagé de la grâce par laquelle il mérita pour sa mère de recevoir l’esprit de prophétie. Et saint Chrysostome, qui voulait montrer que saint Jean fut plus qu'un prophète, dit : « Quel est celui des prophètes, qui tout prophète qu'il fût, ait pu faire un prophète ? » Hélie sacra bien Elisée comme prophète, mais il ne lui conféra pas la grâce de prophétiser.

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Jean cependant n'étant encore que dans le sein de sa mère donna à sa mère la science de pénétrer dans les secrets de Dieu ; il lui ouvrit la bouche et elle confessa reconnaître la dignité de celui dont elle ne voyait pas la personne, quand elle dit : « D'où me vient ce bonheur que la mère de mon Seigneur me vienne visiter? » Il reçut trois sortes de grâces, au moment de sa naissance : elle fut miraculeuse, sainte et accompagnée de joie. En tant que miraculeuse, le défaut d'impuissance est levé; en tant que sainte, disparaît la peine de la coulpe; en tant que accompagnée de joie, elle fut exempte des pleurs de la misère. Selon Me Guillaume d'Auxerre, trois motifs font célébrer la naissance de saint Jean : 1° sa sanctification dans le sein de sa mère; 2° la dignité de son ministère, puisque ce fut comme une étoile du matin qui nous annonça la première les joies éternelles; 3° la joie qui l’accompagna : car l’ange avait dit : « Il y en aura beaucoup qui se réjouiront lors de sa naissance. » C'est donc pour cela qu'il est juste que nous nous réjouissions pareillement en ce jour. Dans le cours de sa vie, il reçut de même grand nombre de faveurs et la preuve qu'elles furent des plus grandes et de différentes sortes, c'est qu'il réunit toutes les perfections. En effet il fut prophète quand il dit : « Celui qui doit venir après moi est plus grand que moi. » Il fut plus que prophète quand il montra le Christ du doigt; il fut apôtre, car il fut envoyé de Dieu; apôtre et prophète c'est tout un. Aussi il est dit de lui : « Il y eut un homme envoyé de Dieu qui se nommait Jean. » Il fut martyr, parce qu'il souffrit la mort pour la justice; il fut confesseur, parce qu'il confessa et ne nia pas ; il fut vierge, et c'est en raison de sa virginité qu'il est appelé ange dans Malachie (II) : « Voici que j'envoie mon ange. »

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En sortant du monde il reçut trois faveurs : d'abord il fut un martyr invaincu. Il acquit alors la palme du martyre ; il fut envoyé comme un messager précieux, car il apporta à ceux qui étaient dans les limbes une nouvelle précieuse, la venue de J.-C. et leur rédemption ; sa fin glorieuse est honorée par tous ceux qui étaient descendus dans les limbes et c'est l’objet spécial d'une glorieuse solennité dans l’Église.

Cinquièmement, la gloire de saint Jean se tire de sa prédication. L'ange en expose quatre motifs quand il dit : « Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au, Seigneur leur Dieu ; et il marchera devant lui dans l’esprit et la vertu d'Elie, pour réunir les cours des pères avec leurs enfants, pour rappeler les incrédules à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur un peuple parfait. » Il touche quatre points, savoir le fruit, l’ordre, la vertu et la fin, d'après le texte lui-même. La prédication de saint Jean fut triplement recommandable. Elle fut en effet fervente, efficace et prudente. C'est la ferveur qui lui faisait dire : « Race de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à venir ? Faites donc de dignes fruits de pénitence. (Luc, III.) Or, cette ferveur était enflammée parla charité, parce qu'il était une lumière ardente; et c'est lui qui dit en la personne d'Isaïe (XLIX) : « Il a rendu ma bouche comme une épée perçante. » Cette ferveur tirait son origine de la vérité, car il était une lampe ardente.

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C'est à ce propos qu'Il est dit dans saint Jean (V) : « Vous avez envoyé à Jean; et il a rendu témoignage à la vérité. » Cette ferveur était dirigée par le discernement ou la science : voilà pourquoi en parlant à la foule, aux publicains et aux soldats, il enseignait la loi, selon l’état de chacun. Cette ferveur était ferme et constante, puisque sa prédication le mena à perdre la vie. Telles sont les quatre qualités du zèle, d'après saint Bernard : « Que votre zèle, dit-il, soit enflammé par la charité, formé par la vérité, régi par la science et affermi par la constance. » 2° Il prêcha avec efficace, puisque beaucoup se convertirent à ses prédications. Il prêcha  en parole et ne varia jamais dans son enseignement. Il prêcha par l’exemple, car sa vie fut sainte ; il prêcha et convertit par ses mérites et ses prières ferventes. 3° Il prêcha avec prudence ; et la prudence de sa prédication consista en trois points : 1° en ce qu'il usa de menaces afin d'effrayer les méchants; c'est alors qu'il disait : « Déjà la cognée est à la racine de l’arbre » ; 2° en usant de promesses, pour gagner les bons, quand il dit: «Faites pénitence : car le royaume des cieux approche » ; 3° en usant de tempéraments pour attirer peu à peu les faibles à la perfection. Aussi à la foule et aux soldats, il imposait de légères. obligations afin qu'ensuite il les amenât à s'en imposer de plus sérieuses ; à la foule, il conseillait les oeuvres de miséricorde ; aux publicains, il recommandait de ne pas désirer le bien d'autrui ; aux soldats de n'user de violence envers personne, de ne pas calomnier et de se contenter de leur paie.

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Saint Jean l’Evangéliste mourut à pareil jour; mais l’Eglise célèbre sa fête; trois jours après la naissance de J.-C. parce . qu'alors eut lieu la dédicace de son église; et la solennité de la naissance de saint Jean-Baptiste conserva sa place par la raison qu'elle fut déclarée un jour de joie par l’ange. Il ne faut pourtant pas prétendre que l’Evangéliste ait fait place au Baptiste, comme l’inférieur au supérieur; car il ne convient pas de discuter quel est le plus grand des deux : et ceci fut divinement prouvé par un exemple. On lit qu'il y avait deux docteurs en théologie dont l’un préférait saint Jean-Baptiste et l’autre saint Jean l’évangéliste. Ou fixa donc un jour pour une discussion solennelle. Chacun. n'avait d'autre soin que de trouver des autorités et des raisons puissantes en faveur du saint qu'il jugeait supérieur. Or, le jour de la dispute étant proche, chacun des saints apparut à son champion et lui dit : « Nous sommes bien d'accord dans le ciel, ne dispute pas à notre sujet sur la terre. » Alors ils se communiquèrent chacun sa vision, en firent part à tout le peuple et bénirent Dieu. — Paul, qui a écrit l’Histoire des Lombards, diacre de l’Eglise de Rome et moine du mont Cassin, devait une fois faire la consécration du cierge, mais il fut pris d'un enrouement qui l’empêcha de chanter ; afin de recouvrer sa voix qui était fort belle, il composa en l’honneur de saint Jean-Baptiste l'hymne Ut queant laxis resonare fibris mira gestorum famuli tuorum, au commencement de laquelle il demande que sa voix lui soit rendue comme elle l’avait été à Zacharie.

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En ce jour quelques personnes ramassent de tous côtés les os d'animaux morts pour les brûler : il y en a deux raisons, rapportées par Jean Beleth * : la première vient d'une ancienne pratique : il y a certains animaux appelés dragons, qui volent dans l’air, nagent dans les eaux et courent sur la terre. Quelquefois quand ils sont dans les airs, ils incitent à la luxure en jetant du sperme dans les puits et les rivières; il y avait alors dans l’année grande mortalité. Afin de se préserver, on inventa un remède qui fut de faire des os des animaux un feu dont la fumée mettait ces monstres en fuite; et parce que c'était, dans le temps, une coutume générale, elle s'observe encore en certains lieux. La seconde raison est pour rappeler que les os de saint Jean furent brûlés à Sébaste par les infidèles. On porte aussi des torches brûlantes, parce que saint Jean fut une torche brûlante et ardente ; on fait aussi tourner une roue parce que le soleil à cette époque commence à prendre son déclin, pour rappeler le témoignage que Jean rendit à J.-C. quand il dit : « Il faut qu'il croisse, et moi que je diminue.» Cette parole est encore vérifiée, selon saint Augustin, à leur nativité et à leur mort : car à la nativité de saint Jean-Baptiste les jours commencent à décroître, et à la Nativité de J.-C. ils commencent à croître, d'après ce vers : Solstitium decimo Christum praeit atque Joannem **. Il en fut ainsi à leur mort. Le corps de J.-C. fut élevé sur la croix et celui de saint Jean fut privé de son chef.

* Cap. CXXXVII.
** Dix jours avant le solstice, arrivent la Nativité du Sauveur et celle de saint Jean.

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Paul rapporte dans l’Histoire des Lombards que Rocharith roi des Lombards, fut enseveli avec beaucoup d'ornements précieux auprès d'une église de saint Jean-Baptiste. Or, quelqu'un, poussé par la cupidité, ouvrit de nuit le tombeau et emporta tout. Saint Jean apparut au voleur et lui dit : «Quelle a été ton audace de toucher à un dépôt qui  m’était confié? tu ne pourras plus désormais entrer dans mon église. » Et il en fut ainsi; car chaque fois que le larron voulait entrer en cette église, il était frappé à la gorge comme par un vigoureux athlète et il était jeté aussitôt à la renverse *.

* Ce fait est aussi rapporté par Gezo, abbé de Dertone, en 984, dans son livre du Corps et du sang de J.-C., ch. LXVII.


(88) SAINT JEAN ET SAINT PAUL **

Jean et Paul furent primiciers et prévôts de Constance, fille de l’empereur Constantin. Or, en ce temps-là, les Scythes occupaient la Dacie et la Thrace et on devait envoyer contre eux Gallican, général de l’armée romaine. Pour récompense de ses travaux, il demandait qu'on lui donnât en mariage Constance, fille de Constantin ; faveur que les principaux Romains sollicitaient vivement aussi pour lui. Mais le père en était fort contristé, car il savait que sa fille, après avoir été guérie par sainte Agnès, avait fait voeu de virginité; et elle aurait été plutôt disposée à se laisser tuer qu'à donner son consentement.

** L'office du bréviaire est compilé d'après les actes de ces saints rapportés ici. — Martyrologes.

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Cependant cette vierge eut confiance en Dieu et conseilla à son père de la promettre à Gallican, s'il revenait vainqueur. Toutefois elle voulait garder auprès de soi deux filles que Gallican avait eues d'une première épouse qui était morte, afin de pouvoir connaître par ces filles la conduite et les désirs de leur père : en même temps elle lui donnerait ses deux prévôts, Jean et Paul, dans l’espérance d'établir entre eux une plus étroite union ; elle priait Dieu pour qu'il daignât convertir Gallican et ses filles. Quand tout fut arrangé au gré de chacun, Gallican prit Jean et Paul auprès de soi et partit avec une armée nombreuse; mais ses troupes furent mises en déroute par les Scythes et lui-même fut assiégé par les ennemis dans une ville de Thrace.

Alors Jean et Paul vinrent le trouver et lui dirent: « Fais un voeux au Dieu du ciel et tu auras le bonheur de vaincre. » Quand il l’eut fait, apparut aussitôt un jeune homme portant une croix sur l’épaule, et lui disant : « Prends ton épée et suis-moi.» Il la prend, se rue au milieu du camp ennemi, arrive jusqu'au roi, et le tue; la peur seule lui fait soumettre toute l’armée : il rend les ennemis tributaires des Romains. Deux soldats revêtus de leurs armes lui apparurent et le protégeaient de droite et de gauche. Ayant été fait chrétien, Gallican revint à Rome,où il fut reçu avec de grands honneurs.

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Il pria Auguste de l’excuser s'il n'épousait pas sa fille, parce que son dessein était de vivre désormais dans la continence en l’honneur de J.-C. Cela plut singulièrement à l’empereur: et les deux filles de Gallican ayant été converties à J.-C. par la vierge Constance,  Gallican lui-même se démit de son commandement, donna tous ses biens aux pauvres et servit J.-C. dans la pauvreté avec d'autres serviteurs de Dieu. Il faisait un grand nombre de miracles ; à sa vue seulement, les démons s'enfuyaient des corps des obsédés.

Sa réputation de sainteté était tellement établie dans l’univers qu'on venait de l’orient et de l’occident pour voir un homme, de patrice devenu consul, laver les pieds des pauvres, dresser leurs tables, leur verser de l’eau sur les mains, servir les malades avec sollicitude et remplir toutes les fonctions d'un pieux serviteur.

A la mort de Constantin, Constance, fils de Constantin le Grand, infecté de l’hérésie d'Arius, prit en mains les rênes de l’empire ; mais Constance, frère de Constantin, laissait deux fils, Gallus et Julien : l’empereur Constance créa Gallus césar, et l’envoya contre la Judée en révolte, plus tard cependant, il le fit périr. Julien, craignant d'éprouver de la part de Constance le même sort que son frère, entra dans un monastère, où en affectant une grande dévotion, il fut ordonné lecteur. Il fit consulter le démon par un magicien: et il lui fut répondu qu'il serait élevé à l’empire. Quelque temps après, des affaires urgentes portèrent Constance à créer Julien césar et à l’envoyer dans la Gaule où il se comporta vaillamment en toute occasion. Constance étant mort, Julien l’apostat, que ce même Constance avait élevé à l’empire, ordonna à Gallican d'immoler aux dieux ou de s'éloigner; car il n'osait faire mourir un personnage si distingué.

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Gallican alla donc à Alexandrie où il reçut la couronne du martyre :les infidèles lui avaient percé le coeur. Julien, dévoré par une cupidité sacrilège, colorait son avarice sous des prétextes qu'il trouvait dans l’Évangile ; car il enlevait les biens des chrétiens en disant : « Votre Christ dit dans l’Evangile : « Celui qui n'aura pas renoncé à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple.»

Avant appris que Jean et Paul sustentaient les chrétiens pauvres avec les richesses que la vierge Constance avait laissées, il leur donna l’ordre de lui obéir en tout comme à Constantin. Mais ils répondirent: « Tant, que les glorieux empereurs Constantin et Constance, son fils, se faisaient honneur d'être les serviteurs de J.-C., nous les servions ; mais puisque tu as abandonné une religion qui fait pratiquer tant de vertus, nous nous sommes entièrement. éloignés de toi et nous refusons positivement de t'obéir.»

Julien leur fit répondre : « J'ai été élevé à la cléricature, et si je l’avais voulu, je serais parvenu au premier rang de l’Église, mais considérant que c'était chose vaine de vivre dans la paresse et l’oisiveté, j'ai préféré l’état militaire, et j'ai sacrifié aux dieux dont la protection  m’a élevé à l’empire. C'est pour cela qu'ayant été nourris à la cour, vous ne devez pas cesser de vivre à mes côtés afin que je vous traite comme les premiers dans mon palais. Si vous me méprisez, il faut de toute nécessité que je fasse cesser cet état de choses.» Ils répliquèrent: « Puisque nous préférons servir Dieu plutôt que toi, nous n'avons pas la moindre crainte de tes menaces, de peur d'encourir la haine du roi éternel. » A cela Julien reprit: « Si d'ici à dix jours vous poussez le mépris jusqu'à ne pas vous rendre de plein gré auprès de moi, vous ferez de force ce que vous ne vous souciez pas de faire de bonne volonté. »

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Les saints lui répondirent : « Crois que les dix jours sont déjà expirés; et fais aujourd'hui ce que tu menaces d'exécuter alors. » «Vous pensez, dit Julien, que les chrétiens feront de vous des martyrs ; si vous ne  m’obéissez, je vous ferai châtier non comme des martyrs, mais comme des ennemis publics » Alors Jean et Paul employèrent les dix jours entiers à donner en aumônes tous leurs biens aux pauvres. Le terme expiré, Térentien fut envoyé vers eux et leur dit : « Notre seigneur Julien vous envoie une petite statue en or de Jupiter pour que vous lui offriez de l’encens, sinon, vous périrez également tous les deux. » Les saints lui répondirent : « Si ton seigneur est Julien, sois en paix avec lui; quant à nous, nous n'avons d'autre Seigneur que J.-C. » Alors il les fit décapiter en cachette, et ensevelir dans une fosse de la maison ; puis il fit répandre le bruit qu'ils avaient été envoyés en exil.

Après quoi le fils de Térentien fut saisi par le démon, et il se mit à crier par la maison que- le diable le tourmentait : à cette vue, Térentien confesse son crime, se fait chrétien, écrit la relation du martyre des saints et son fils est délivré. Ils souffrirent vers l’an du Seigneur 364.

Saint Grégoire rapporte dans son Homélie sur l’Évangile : Si quis vult venire post me, qu'une dame revenant de visiter l’église de ces martyrs où elle allait souvent, rencontra deux moines en habit de pèlerin ; elle leur fit donner l’aumône ; mais comme celui qui était chargé de la leur offrir, se disposait à le faire, ils s'approchèrent de plus près et lui dirent : « Tu nous aides maintenant, mais au jour du jugement, nous te réclamerons et nous ferons pour toi tout ce que nous pourrons. »

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Ayant dit ces mots ils disparurent à leurs yeux. Saint Ambroise parle ainsi de ces martyrs dans la préface : « Les bienheureux martyrs Jean et Paul ont véritablement accompli ces paroles de David : « Ah! que c'est une chose bonne et agréable que les frères soient unis ensemble » (Ps. CXXXII) ; le même sein leur donna le jour, la même foi les unit, le même martyre les couronna et la même gloire est leur partage dans le même Seigneur. »


(89) SAINT LÉON, PAPE *

On lit dans le livre des Miracles de la Sainte Vierge que saint Léon, pape, célébrant la messe le jour de Piques dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, pendant qu'il distribuait la communion aux fidèles, une dame lui baisa la main, ce qui excita en lui une violente tentation de la chair. Mais l’homme de Dieu exerça contre soi-même une cruelle vengeance et ce jour-là, cette main qui l’avait scandalisé, il se la coupa en secret et la jeta.

* Voici l’interprétation du nom de saint Léon par M. Jehan Batallier : « Léon fut appelé proprement Lion : car tout ainsi comme le propre lion faist il fit. Il est vrai que quand les enfans des lions naissent ils sont tous morts et ne se peuvent mouvoir : et lors le lion crie tant et va entour que par le cry de luy il les vivifie, et leurs mect la vie au corps par la chaleur de son haleine,et tout ainsi saît Leon fist: car ceulx qui estaient mors en pechie il cria et brayt tant que par sa saincee côversation et predication il leur mist es corps lesperit de vraye foi et les fist vivre en Dieu nostre Seigneur Ihesucrist. »

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Dans la suite, il s'éleva des murmures parmi le peuple de ce que le souverain Pontife ne célébrait plus comme de coutume les saints mystères. Alors saint Léon s'adressa à la Sainte Vierge et s'en remit entièrement à ce qu'elle voudrait. Elle lui apparut donc et lui remit la main de ses très saintes mains, l’affermit, puis elle lui ordonna de paraître en public et d'offrir le saint sacrifice à son Fils. Saint Léon apprit à tout le peuple ce qui lui était arrivé, et il montra à tous la main qui lui avait été rendue. Ce fut lui qui célébra le concile de Chalcédoine où il établit que les vierges seules recevraient le voile ; et il y fut aussi décidé que la vierge Marie serait appelée Mère de Dieu.

En ce temps-là encore, Attila ravageait l’Italie: Saint Léon passa alors trois jours et trois nuits en prières dans l’église des Apôtres; après quoi il dit aux siens: « Qui veut me suivre, me suive. » Et quand il fut arrivé auprès d'Attila, celui-ci n'eut pas plutôt vit saint Léon qu'il descendit de cheval, se prosterna aux pieds du saint et le pria de lui demander ce qu'il voudrait. Saint Léon lui demanda de quitter l’Italie et de délivrer les captifs. Comme Attila recevait de la part des siens des reproches de ce que celui qui avait triomphé du monde se laissait vaincre par un prêtre, il répondit : « J'ai pourvu à ma sûreté et à la vôtre car j'ai vu à sa droite un guerrier redoutable tenant une épée nue à la main, qui me disait: « Si tu ne lui obéis pas, tu périras avec tous les tiens*. »
* Victor Tuomnensis, Prosper, Isaïe.

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Quand le bienheureux Léon écrivit la lettre à Fabien, évêque de C.-P., contre Eutychès et Nestorius, il la posa sur le tombeau de saint Pierre et après avoir passé quelque temps dans le jeûne et la prière, il dit : « Les erreurs que je pourrais avoir commises comme homme dans cette épître, corrigez-les et amendez-les, vous à qui l’Eglise a été confiée. » Et quarante jours après, comme il était en prières, saint: Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai lu et amendé. » Saint Léon prit la lettre qu'il trouva corrigée et amendée de la main de l’apôtre:

Une autre fois, saint Léon passa quarante jours eu prières au tombeau de saint Pierre, et le conjura de lui obtenir le pardon de ses péchés: saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai prié pour vous le Seigneur, et il a pardonné tous vos péchés. Seulement vous aurez à vous informer de ceux auxquels vous avez imposé les mains, c'est-à-dire que vous aurez à rendre compte si vous vous êtes bien ou final acquitté de cette fonction envers autrui. » Il mourut vers l’an du Seigneur 460.

* Sophone, ch. CXLIX.


(90) SAINT PIERRE, APÔTRE **

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Pierre eut trois noms : il s'appela 1° Simon Barjona. Simon veut dire obéissant, ou se livrant à la tristesse. Barjona, fils de colombe, en syrien bar veut dire fils, et en hébreu; Jona signifie colombe. En effet, il fut obéissant; quand J.-C. l’appela, il obéit, au premier mot d'ordre du Seigneur: il se livra à la tristesse. quand il renia J.-C. « Il sortit dehors et pleura amèrement. » Il fut fils de colombe parce qu'il servit Dieu avec simplicité d'intention. 2° Il fut appelé Céphas, qui signifie chef ou pierre, ou blâmant de bouche: chef, en raison qu'il eut 1a primauté dans la prélature; pierre, en raison de la fermeté dont il fit preuve dans sa passion; blâmant de bouche, en raison de la constance de sa prédication. 3° Il fut appelé Pierre, qui veut dire connaissant, déchaussant, déliant: parce qu'il connut la divinité de J.-C. quand il dit: « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant » ; il se dépouilla de toute affection pour les siens, comme de toute oeuvre morte et terrestre, lorsqu'il dit: « Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre » ; il nous délia des chaînes du péché par les clefs qu'il reçut du Seigneur.

Il eut aussi trois surnoms : 1° on l’appela Simon Johanna, qui veut dire beauté du Seigneur; 2° Simon, fils de Jean, qui veut dire à qui il a été donné ; 3° Simon Barjouay qui veut dire fils de colombe. Par ces différents surnoms on doit: entendre qu'il posséda la beauté de moeurs, les dons des vertus, l’abondance des larmes, car la colombe gémit au lieu de chanter. Quant au nom de Pierre, ce fut J.-C. qui permit qu'on le lui donnât puisqu'il dit (Jean, I) : « Vous vous appellerez Céphas, qui veut dire Pierre. » 2° Ce fut encore J.-C. qui le lui donna après le lui avoir promis, selon qu'il est dit dans saint Marc (III) : « Et il donna. à Simon le nom de Pierre. » 3° Ce fut J.-C. qui le lui confirma, puisqu'il dit dans saint Mathieu (XVI) « Et moi je vous dis que vous êtes Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église.» Son martyre fut écrit par saint Marcel, par saint Lin, pape, par Hégésippe et par le pape Léon.

** La plupart des faits qui: ont rapport à saint Pierre et que signalent les livres saints sont consignés ici. Le reste est tiré d'un livre connu sous le nom d'Itinéraire de saint Clément, regardé comme apocryphe, mais cité par un grand nombre d'auteurs des premiers siècles.

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Saint Pierre, fut celui de tous les apôtres qui eut la plus grande ferveur : car il voulut connaître celui qui trahissait le Seigneur, en sorte que s'il l’eût connu, dit saint Augustin, il l’eût déchiré avec les dents : et c'est pour cela que le Seigneur ne voulait pas révéler le nom de ce traître. Saint Chrysostome dit aussi que si J.-C. avait prononcé son nom, Pierre aussitôt se serait levé et l’aurait massacré sur l’heure. Il marcha sur la mer pour aller au-devant du Seigneur ; il fut choisi pour être le témoin de la Transfiguration de son maître et pour assister à la résurrection de la fille de Jaïre; il trouva, dans la bouche du poisson, la pièce d'argent de quatre dragmes pour le tribut ; il reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux; il eut la commission de faire paître les brebis ; au jour de la Pentecôte, par sa prédication, il convertit trois mille hommes ; il prédit la mort d'Ananie et de Saphire : il guérit Enée de sa paralysie; il baptisa Corneille; il ressuscita Tabithe; il rendit la santé aux infirmes par l’ombre de son corps ; mis en prison par Hérode, il fut délivré par un ange. Pour sa nourriture et son vêtement, il nous témoigne lui-même quels ils furent, au livre de saint Clément :
« Je ne me nourris, dit-il, que de pain avec des olives et rarement avec des légumes ; quant à mon vêtement, vous le voyez, c'est une tunique et un manteau, et avec cela je ne demande rien autre chose. »

On rapporte aussi qu'il portait toujours dans son sein un suaire pour essuyer les larmes qu'il versait fréquemment ; car quand la douce allocution du Seigneur et la présence de Dieu lui venaient à la mémoire, il ne pouvait retenir ses pleurs, tant était grande la tendresse de son amour. Mais quand il se rappelait la faute qu'il commit en reniant J.-C., il répandait des torrents de larmes : il en contracta tellement l’habitude de pleurer, que sa figure paraissait toute brûlée, selon I'expression de saint Clément.

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Le même saint rapporte qu'en entendant le chant du coq, saint Pierre avait coutume de se lever pour faire oraison et de pleurer abondamment. Saint Clément dit encore, comme on le trouve dans l’Histoire ecclésiastique*, que lorsqu'on menait au martyre la femme de saint Pierre, celui-ci tressaillit d'une extraordinaire joie, et l’appelant par son propre nom, il lui cria : « O ma femme, souvenez-vous du Seigneur. »

Une fois, saint Pierre avait envoyé deux de ses disciples prêcher; après avoir cheminé pendant vingt jours, l’un d'eux mourut, et l’autre revint trouver saint Pierre, et lui raconter l’accident qui était arrivé (on dit que ce fut saint Martial, ou selon quelques autres, saint Materné. On lit ailleurs que le premier fut saint Front, et que son compagnon, celui qui était mort, c'est-à-dire le second, fut le prêtre Georges). Alors saint Pierre lui donna soli bâton avec ordre d'aller retrouver son compagnon et de poser ce bâton sur le cadavre. Quand il l’eut fait, ce mort de quarante jours se leva tout vivant **.

En ce temps-la, il se trouvait à Jérusalem un magicien, nommé Simon, qui se disait être la première vérité; il avançait que ceux qui croyaient en lui devenaient immortels ; enfin il prétendait que rien ne lui était impossible. On lit aussi, dans le livre de saint Clément; que Simon avait dit: « Je serai adoré comme un Dieu ; on me rendra publiquement les honneurs divins; et tout ce que j'aurai voulu faire, je le pourrai.

* Eusèbe, lib. III, c. XXX ; — Clément d'Alexand., l. VII. Ses paroles à sa femme qu'on menait au martyre.
** Harigarus, c. VI ; — Orton de Friocesque, Chronique, III., XV; - Pierre de Cluny, Contre les Petrobrusiens.

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Un jour que ma mère Rachel  m’ordonnait d'aller dans les champs pour faire la moisson, je vis une faux parterre à laquelle je commandai de faucher d'elle-même : et elle faucha dix fois plus que les autres moissonneurs. » Il ajouta, d'après saint Jérôme: « Je suis la parole de Dieu; je suis beau, je suis le paraclet, je suis tout-puissant, je suis le tout de Dieu. » Il faisait aussi mouvoir des serpents d'airain ; rire des statues de bronze ou de pierre, et chanter des chiens:

Simon donc, comme le dit saint Lin, voulant discuter avec saint Pierre et montrer qu'il. était Dieu, saint Pierre vint le jour indiqué, au lieu de la conférence, et dit aux assistants : « La paix soit avec vous, mes frères, qui aimez la vérité. » Simon lui dit : « Nous n'avons pas besoin de la paix, nous : car si la paix et la concorde existent ici, nous ne pourrons parvenir à trouver la vérité : ce sont les larrons qui ont la paix entre eux ; n'invoque donc pas la paix, mais la lutte : entre deux champions il y aura paix, quand l’un aura été supérieur à l’autre. » Et Pierre répondit : « Qu'as-tu à craindre d'entendre parler de paix ? C'est du péché que naît la guerre, et là où n'existe pas le péché, règne la paix. On trouve la vérité dans les discussions et la justice dans les oeuvres. » Et Simon reprit : « Ce que tu avances n'a pas de valeur, mais je te montrerai la puissance de ma divinité afin que tu  m’adores aussitôt. Je suis la première vertu et je puis voler par les airs, créer de nouveaux arbres, changer les pierres en pain, rester dans le feu sans en être endommagé et tout ce que je veux, je le puis faire. » Saint Pierre donc discutait contre lui et découvrait tous ses maléfices.

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Alors Simon, voyant qu'il ne pouvait résister au saint apôtre, jeta dans la mer tous ses livres de magie, de crainte d'être dénoncé comme magicien ; et alla à Rome afin de s'y faire passer pour Dieu. Aussitôt que saint Pierre eut découvert cela, il le suivit et partit pour Rome.

La quatrième année de l’empire de Claude, saint Pierre arriva à Rome, où il resta vingt-cinq ans. Et il ordonna évêques Lin et Clet, pour être ses coadjuteurs, l’un, comme le rapporte Jean Beleth *, dans l’intérieur de la ville, l’autre dans la partie qui était hors des murs. En se livrant avec grand zèle à la prédication, il convertissait beaucoup de monde à la foi, et guérissait la plupart des infirmes. Et comme dans ses discours il louait et recommandait toujours de préférence la chasteté, il convertit les quatre concubines d'Agrippa qui se refusèrent à retourner davantage au près de ce gouverneur. Alors celui-ci entra en fureur et il cherchait l’occasion de nuire à l’Apôtre. Ensuite le Seigneur apparut à saint Pierre et lui dit: « Simon et Néron forment des projets contre ta personne; mais ne crains rien, car je suis avec toi pour te délivrer, et je te donnerai la consolation d'avoir auprès de toi mon serviteur Paul qui demain entrera dans Rome. Or, saint Pierre, sachant, comme le dit saint Lin, que dans peu de temps il devait quitter sa tente, dans l’assemblée des frères, il prit la main de saint Clément, l’ordonna évêque et le força à siéger en sa place dans sa chaire. Après cela Paul arriva à Rome, ainsi que le Seigneur l’avait prédit, et commença à prêcher J.-C. avec saint Pierre.
* Cap. CXXXVIII.

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Or, Néron avait un tel attachement pour Simon qu'il le pensait certainement être le gardien de sa vie, son salut, et celui de toute la ville. Un jour donc, devant Néron (c'est ce qu'en dit saint Léon, pape), sa figure changeait subitement, et il paraissait tantôt plus vieux et tantôt plus jeune. Néron, qui voyait cela, le regardait comme étant vraiment le fils de Dieu. C'est pourquoi Simon le magicien dit à Néron, toujours d'après saint Léon : « Afin que tu saches, illustre empereur, que je suis le fils de Dieu, fais-moi décapiter et trois jours après je ressusciterai. » Néron ordonna donc au bourreau qu'il eût à décapiter Simon. Or, le bourreau, en croyant couper la tête à Simon, coupa celle d'un bélier: grâce à la magie, Simon échappa sain et entier, et ramassant les membres du bélier il les cacha ; puis il se cacha pendant trois jours : or, le sang du bélier resta coagulé dans la même place. Et le troisième jour Simon se montra à Néron et lui dit

« Fais essuyer mon sang qui a été répandu ; car me voici ressuscité trois jours après que j'ai été décollé, comme je l’avais promis. » En 1e voyant Néron fut stupéfait et le regarda comme le vrai fils de Dieu.

Un jour encore qu'il était dans une chambre avec Néron, le démon qui avait pris sa forme parlait au peuple dehors : enfin les Romains l’avaient en si grande vénération qu'ils lui élevèrent une statue sur laquelle ils mirent cette inscription : Simoni Deo sancto *, A Simon le Dieu saint.

Saint Pierre et saint Paul, au témoignage de saint Léon, allèrent chez Néron et dévoilèrent tous les  maléfices de Simon, et saint Pierre ajouta due, de même, qu'il y a en J.-C. deux substances, savoir : celle de Dieu et celle de l’homme, de même en ce magicien, se trouvaient deux substances, celle de l’homme et celle du diable.

* Voyez Eusèbe, lib. II, c. XIII, et Tillemont, t. II, p. 482.

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Or, Simon dit, d'après le récit de Marcel et de saint Léon * : « Je ne souffrirai pas plus longtemps cet ennemi ; je commanderai à mes anges de me venger de cet homme. » Pierre lui répondit, : « Tes anges, je ne les crains point, mais ce sont eux qui me craignent. » Néron ajouta : « Tu ne crains pas Simon qui prouve sa divinité par ses oeuvres? » Pierre lui répondit : « Si la divinité existe en lui, qu'il me dise en ce moment ce que je pense ou ce que je fais : je vais d'avance te dire tout bas à l’oreille quelle est ma pensée pour qu'il n'ait pas l’audace de mentir. » « Approche-toi, reprit Néron, et dis-moi ce que tu penses. » Or, Pierre s'approchas et dit à Néron tout bas : « Ordonne qu'on  m’apporte un pain d'orge et qu'on me le donne en cachette. » Or, quand on le lui eut apporté, Pierre le bénit et le mit dans sa manche, et dit ensuite : « Que Simon, qui s'est fait Dieu, dise ce que. j'ai pensé, ce que j'ai dit, ou .ce qui s'est fait. » Simon, répondit : « Que Pierre dise plutôt ce que je pense moi-même. » Et Pierre dit : « Ce que pense Simon, je prouverai que je le sais, pourvu que je fasse ce à quoi il a pensé. » Alors Simon en colère s'écria : « Qu'il vienne de grands chiens et qu'ils te dévorent. » Tout à coup apparurent de très grands chiens qui se jetèrent sur saint Pierre : mais celui-ci leur présenta le pain bénit, et à l’instant, il les mit en fuite.

* Sigebert de Gemblours, Trithème, Conrad Gessner.

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Alors saint Pierre dit à Néron : « Tu le vois, je t'ai montré que je savais ce que Simon méditait contre moi, et ce ne fut point par des paroles, mais par des actes : Car celui qui avait promis qu'il viendrait des anges contre moi, a fait venir des chiens, afin de faire voir que les anges de Dieu, ne sont autres que des chiens. » Simon dit alors : « Écoutez, Pierre et Paul ; si je ne puis vous rien faire ici, nous irons où il faut que je vous juge; mais pour le moment, je veux bien vous épargner. »

Alors, selon que le rapportent Hégésippe et saint Lin, Simon, enflé d'orgueil, osa se vanter de pouvoir ressusciter des morts; et il arriva qu'un jeune homme mourut. On appela donc Pierre et Simon et de l’avis de Simon on convint unanimement que celui-là serait tué. qui ne pourrait ressusciter le mort. Or, pendant que Simon faisait ses enchantements sur le cadavre, il sembla aux assistants que la tête du défunt s'agitait. Alors tous se mirent à crier en voulant lapider saint Pierre. Le saint apôtre put à peine obtenir le silence qu'il réclama : « Si le mort est vivant, dit-il, qu'il se lève, qu'il se promène, qu'il parle : s'il en est autrement, sachez que l’action d'agiter la tête du cadavre est de la fantasmagorie. Qu'on éloigne Simon du lit afin que les ruses du diable soient pleinement mises à nu. » On éloigné donc Simon du lit, et l’enfant resta immobile. Alors saint Pierre, se tenant éloigné, fit une prière, puis élevant la voix : « Jeune homme, s'écria-t-il, au nom de Jésus de Nazareth qui a été crucifié, lève-toi et marche. » Et à l’instant il se leva en vie et marcha.

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Comme le peuple voulait lapider Simon saint Pierre dit : « Il est bien assez puni de se reconnaître vaincu dans ses artifices; or, notre maître nous a enseigné à rendre le bien pour le mal. » Alors Simon dit : « Sachez, vous, Pierre et Paul, que vous n'obtiendrez rien de ce que vous désirez ; car je ne daignerai pas vous faire gagner la couronne du martyre. » Saint Pierre reprit : « Qu'il nous arrive ce que nous désirons : mais à toi il ne peut arriver rien de bon, car chacune de tes paroles est un mensonge. » Saint Marcel dit qu'alors Simon alla à la maison de son disciple Marcel, et qu'il y lia à la porte un chien énorme en disant : « Je verrai à présent si Pierre, qui vient d'ordinaire chez toi, pourra entrer. » Peu d'instants après saint Pierre arriva, et en faisant le signe de la croix, il délia le chien. Or, ce chien se mit à caresser tout le monde, et ne poursuivait que Simon : il le saisit, le renversa par terre, et il voulait l’étrangler, quand saint Pierre accourut et cria au chien de ne point lui faire de mal; or, cette bête, sans toucher son corps, lui arracha tellement ses habits qu'elle le laissa nu sur la terre. Alors le peuple et surtout les enfants coururent après le chien en poursuivant Simon jusqu'à ce qu'ils l’eussent chassé bien loin de la ville, comme ils eussent fait d'un loup. Simon ne pouvant supporter la honte de cet affront resta un an sans reparaître. Marcel, en voyant ces miracles, s'attacha désormais à saint Pierre. Dans la suite, Simon revint et rentra de nouveau dans les bonnes grâces de Néron.

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Simon donc, d'après saint Léon, convoqua le peuple, et déclara qu'il avait été outrageusement traité par les Galiléens, et pour ce motif, il dit vouloir quitter cette ville qu'il avait coutume de protéger; qu'il fixerait un jour où il monterait au ciel, car il ne daignait plus rester davantage sur la terre. Au jour fixé, il monta donc sur une tour élevée, ou bien, d'après saint Lin, il monta au Capitole et, couvert de laurier, il se jeta en l’air et se mit à voler. Or, saint Paul dit à saint Pierre : « C'est à moi de prier et à vous de commander. » Néron dit alors: « Cet homme est sincère, et vous n'êtes que des séducteurs. »Or, saint Pierre dit à saint Paul : « Paul, levez la tête et voyez. » Et quand Paul eut levé la tête et qu'il eut vu Simon dans les airs, il dit à Pierre : « Pierre, que tardez-vous? achevez ce que vous avez commencé déjà le Seigneur nous appelle. » Alors saint Pierre dit « Je vous adjure, Anges de Satan, qui le soutenez dans les airs, par N.-S. J.-C., ne le portez plus davantage, mais laissez-le tomber. » A l’instant il fut lâché, tomba, se brisa la cervelle, et expira *. Néron, à cette nouvelle, fut très fâché d'avoir perdu, quant à lui, un pareil homme et il dit aux apôtres : « Vous vous êtes rendus suspects envers moi ; aussi vous punirai-je d'une manière exemplaire. » Il les remit donc entre les mains d'un personnage très illustre, appelé Paulin, qui les fit enfermer dans la prison Mamertine sous la garde de Processus et de Martinien, soldats que saint Pierre convertit à la foi : ils ouvrirent la prison et laissèrent aller les apôtres en liberté.

* Ce fait de la chute et de la mort de Simon le magicien est constaté par les Constitutions apostoliques d'Arnobe, par saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Augustin, Isidore de Peluse, Théodorat, Maxime de Turin, etc.

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C'est pour cela que, après le martyre des apôtres, Paulin manda Processus et Martinien, et quand il eut découvert qu'ils étaient chrétiens, on leur trancha la tête par ordre de Néron. Or, les frères pressaient Pierre de s'en aller, et il ne le fit qu'après avoir été vaincu par leurs instances. Saint Léon et saint Lin assurent qu'arrivé à la porte où est aujourd'hui Sainte-Marie ad passus *, Pierre vit J.-C. venant à sa rencontre, et il lui dit : « Seigneur, où allez-vous? » J.-C. répondit : « Je viens à Rome pour y être crucifié encore une fois. » « Vous seriez crucifié encore une fois, répartit saint Pierre. » « Oui, lui répondit le Seigneur. » Alors Pierre lui dit : « Seigneur, je retournerai donc, pour être crucifié avec vous. » Et après ces paroles, le Seigneur monta au ciel à la vue de Pierre qui pleurait. Quand il comprit que c'était de son martyre à lui-même que le Sauveur avait voulu parler, il revint, et raconta aux frères ce qui venait d'arriver. Alors il fut pris par les officiers de Néron et mené au préfet Agrippa. Saint Lin dit que sa figure devint comme un soleil. Agrippa lui dit : « Es-tu donc celui qui se glorifie dans les assemblées ou ne se trouvent que la populace et de pauvres femmes que tu éloignes du lit de leurs maris? » L'apôtre le reprit en disant qu'il ne se glorifiait que dans la croix du Seigneur. Alors Pierre, en qualité d'étranger, fut condamné à être crucifié, mais Paul, en sa qualité de citoyen romain, fut condamné à avoir la tête tranchée.

*  Origène sur saint Jean, saint Ambroise, sermon 68, saint Grégoire le Grand, sur le Psaume ci.
Cette église existe encore sur la voie Appienne et est connue sous le nom Domine quo vadis.
Hetychius, De excidio Hierosol.; saint Athanase, De fuga sua ; Innocent III, Pierre de Blois.

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A l’occasion de cette sentence, Denys en son épître à Timothée parle ainsi de la mort de saint Paul : « O mon frère Timothée, si tu avais assisté aux derniers moments de ces martyrs, tu aurais défailli de tristesse et de douleur.Qui est-ce qui n'aurait pas pleuré quand fut rendue la sentence qui condamnait Pierre à être crucifié et Paul à être décapité ? Tu aurais alors vu la foule des gentils et des Juifs les frapper et leur cracher au visage. » Or, arrivé l’instant où ils devaient consommer leur affreux martyre, on les sépara l’un de l’autre et on lia ces colonnes du monde, non sans que les frères fissent entendre des gémissements et des sanglots. Alors Paul dit à Pierre: « La paix soit avec vous, fondement des églises, pasteur des brebis et des agneaux de J.-C. » Pierre dit à Paul : « Allez en paix, prédicateur des bonnes moeurs, médiateur et guide du salut des justes. » Or, quand on les eut éloignés l’un de l’autre, je suivis mon maître; car on ne les tua point dans le même quartier (saint Denys). Quand saint Pierre fut arrivé à la croix, saint Léon et Marcel rapportent qu'il dit : « Puisque mon maître est descendu du ciel en terre, il fut élevé debout sur la croix; pour moi qu'il daigne appeler de la terre au ciel, ma croix doit montrer ma tête sur la terre et diriger mes pieds vers le ciel. Donc, parce que je ne suis pas digne d'être sur la croix de la même manière que mon Seigneur, retournez ma croix et crucifiez-moi la tête en bas. » Alors on retourna la croix et on l’attacha les pieds en haut et les mains en bas.

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Mais, en ce moment, le peuple rempli de fureur voulait tuer Néron et le gouverneur, ensuite délivrer l’apôtre qui les priait de ne point empêcher qu'on le martyrisât. Mais le Seigneur, ainsi que le disent Hégésippe et Lin, leur ouvrit les yeux, et comme ils pleuraient, ils virent des anges avec des couronnes composées de fleurs de roses et de lys, et Pierre au milieu d'eux sur la croix recevant un livre que lui présentait J.-C., et dans lequel il lisait les paroles qu'il proférait. Alors saint, Pierre, au témoignage du même Hégésippe, se mit à dire sur la croix : « C'est vous, Seigneur, que j'ai souhaité d'imiter; mais je n'ai pas eu la présomption d'être crucifié droit : c'est vous qui êtes toujours droit, élevé et haut ; nous sommes les enfants du premier homme qui a enfoncé sa tête dans la terre, et dont la chute indique la manière avec laquelle l’homme vient au monde ; nous naissons en effet de telle sorte que nous paraissons être répandus sur la terre. Notre condition a été renversée, et ce que le monde croit être à droite est certainement à gauche. Vous, Seigneur, vous me tenez lieu de tout; tout ce que vous êtes, vous l’êtes pour moi, et il n'y a rien autre que vous seul. Je vous rends grâce de toute mon âme par laquelle je vis, par laquelle j'ai l’intelligence et par laquelle je parle. » On connaît par là deux autres motifs pour lesquels il ne voulut pas être crucifié droit. Et saint Pierre voyant que les fidèles avaient été témoins de sa gloire, rendit grâces à Dieu, lui recommanda les chrétiens et rendit l’esprit. Alors Marcel et Apulée qui étaient frères, disciples de saint Pierre, le descendirent de la croix et l’ensevelirent en l’embaumant avec divers aromates.

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Isidore dans son livre de la Naissance et de la Mort des Saints s'exprime ainsi : « Pierre après avoir fondé l’église d'Antioche, vint à Rome, sous l’empereur Claude, pour confondre Simon ; il prêcha l’Evangile pendant vingt-cinq ans en cette ville dont il occupa le siège pontifical ; et la trente-sixième année après la Passion du Seigneur,- il fut crucifié par Néron, la tête en bas, ainsi qu'il l’avait voulu. Or, ce jour-là même, saint Pierre et saint Paul apparurent à Denys, selon qu'il le rapporte en ces termes dans la lettre citée plus haut: « Ecoute le miracle, Timothée, mon frère, vois le prodige, arrivé au jour de leur supplice: car j'étais présent au moment de leur séparation. Après leur mort, je les ai vus, se tenant par la main l’un et l’autre, entrer par les portes de la ville, revêtus d'habits de lumière, ornés clé couronnes de clarté et de splendeur. »

Néron ne demeura pas impuni pour ce crime et bien d'autres encore qu'il commit; car il se tua de sa propre main. Nous allons rapporter ici en peu de mots quelques-uns de ses forfaits. On lit dans une histoire apocryphe, toutefois, que Sénèque, son précepteur, espérait recevoir de lui une récompense digne de son labeur ; et Néron lui donna à choisir la branche de l’arbre sur laquelle il préférait être pendu, en lui disant que c'était là la récompense qu'il en devait recevoir. Or, comme Sénèque lui demandait à quel titre il avait mérité ce genre de supplice, Néron fit vibrer plusieurs fois la pointe d'une épée au-dessus de Sénèque qui baissait la tête pour échapper aux coups dont il était menacé ; car il ne voyait point sans effroi le moment où il allait recevoir la mort. Et Néron lui dit : « Maître, pourquoi baisses-tu la tête sous l’épée dont je te menace ? »

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Sénèque lui répondit: « Je suis nomme, et voilà pourquoi je redouté la mort, d'autant que je meurs malgré moi. » Néron lui dit: « Je te crains encore comme je le faisais alors que j'étais enfant : c'est pourquoi tant que tu vivras je ne pourrai vivre tranquille. » Et Sénèque lui dit « S'il est nécessaire que je meure, accordez-moi au moins de choisir le genre de mort que j'aurais voulu. » « Choisis vite, répondit Néron, et ne tarde pas à mourir. » Alors Sénèque fit préparer un bain où il se fit ouvrir les veines de chaque bras et il finit ainsi sa vie épuisé de sang. Son nom de Sénèque fut pour lui comme un présage, se necans, qui se tue soi-même : car ce fut lui qui en quelque sorte se donna la mort, bien qu'il y eût été forcé. On lit que ce même Sénèque eut deux frères : le premier fut Julien Gallio, orateur illustre qui se tua de sa propre main; le second fut Méla, père du poète Lucain ; lequel Lucain mourut après avoir eu les veines ouvertes par l’ordre de Néron, d'après ce qu'on lit. On voit, dans la même histoire apocryphe, que Néron, poussé par un transport infâme; fit tuer sa mère et la fit partager en deux pour voir comment il était entretenu dans son sein. Les médecins lui adressaient des remontrances par rapport au meurtre de sa mère et lui disaient : «Les lois s'opposent et l’équité défend qu'un fils tue sa mère : elle l'a enfanté avec douleur et elle t'a élevé avec tant de labeur et de sollicitude. » Néron leur dit : « Faites-moi concevoir un enfant et accoucher ensuite, afin que je puisse savoir quelle a été la douleur de ma mère. »

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Il avait encore conçu cette volonté d'accoucher parce que, en passant dans la ville, il avait entendu les cris d'une femme en couches. Les médecins lui répondirent « Cela n'est pas possible ; c'est contre les lois de la nature; il n'y a pas moyen de faire ce qui n'est pas d'accord avec la raison. » Néron leur dit donc: « Si vous ne me faites pas concevoir et enfanter, je vous ferai mourir tous d'une manière cruelle. » Alors les médecins, dans des potions qu'ils lui administrèrent, lui firent avaler une grenouille sans qu'il s'en aperçût, et, par artifice, ils la firent croître dans son ventre : bientôt son ventre, qui ne pouvait souffrir cet état contre nature, se gonfla, de sorte que Néron se croyait gros d'un enfant ; et les médecins lui faisaient observer un régime qu'ils savaient être propre à nourrir la grenouille, sous prétexte qu'il devait en user ainsi en raison de la conception. Enfin tourmenté par une douleur intolérable, il dit aux médecins : « Hâtez le moment des couches, car c'est à peine si la langueur où me met l’accouchement futur me donne le pouvoir de respirer. » Alors ils lui firent prendre une potion pour le faire vomir et il rendit une grenouille affreuse à voir, imprégnée d'humeurs et couverte de sang. Et Néron, regardant son fruit, en eut horreur lui-même et admira une pareille monstruosité : mais les médecins lui dirent qu'il n'avait produit un foetus aussi difforme que parce qu'il n'avait pas voulu attendre le temps nécessaire. Et il dit : « Ai-je été comme cela en sortant des flancs de ma mère ? » « Oui, lui répondirent-ils. » Il recommanda donc de nourrir son foetus et qu'on l’enfermât dans une pièce voûtée pour l’y soigner. Mais ces choses-là ne se lisent pas dans les chroniques; car elles sont apocryphes.

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Ensuite s'étant émerveillé de la grandeur de l’incendie de Troie, il fit brûler Rome pendant sept jours et sept nuits, spectacle qu'il regardait d'une tour fort élevée, et tout joyeux de la beauté de cette flamme, il chantait avec emphase les vers de l’Iliade. On voit encore dans les chroniques qu'il pêchait avec des filets d'or, qu'il s'adonnait à l’étude de la musique, de manière à l’emporter sur les harpistes et les comédiens : il se maria avec un homme, et cet homme le prit pour femme, ainsi que le dit Orose *. Mais les Romains, ne pouvant plus supporter davantage sa folie, se soulevèrent contre lui et le chassèrent hors de la ville. Lorsqu'il vit qu'il ne pouvait échapper, il affila un bâton avec les dents et il se perça par le milieu du corps : et c'est ainsi qu'il termina sa vie. On lit cependant ailleurs qu'il fut dévoré par les loups. A leur retour, les Romains trouvèrent la grenouille cachée sous la voûte ; ils la poussèrent hors de la ville et la brûlèrent : et cette partie de la ville où avait été cachée la grenouille reçut, au dire de quelques personnes, le nom de Latran (Lateus rana) (raine latente) **.

* Hist., lib. III, cap. VII.
** Sulpice Sévère, Hist., liv. II, n° 40, Dialogue II; — Saint Augustin, Cité de Dieu, liv. XX, chap. IX, rapportent des traditions étranges sur cet odieux personnage. Consultez une dissertation du chanoine d'Amiens de L'Estocq, sur l’auteur du livre intitulé : De morte persecutorum.

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Du temps du pape saint Corneille, des chrétiens grecs volèrent les corps des apôtres et les emportèrent; mais les démons, qui habitaient dans les idoles, forcés par une vertu divine, criaient : «Romains, au secours, on emporte vos dieux. » Les fidèles comprirent qu'il s'agissait des apôtres, et les gentils de leur dieux. Alors fidèles et infidèles, tout le monde se réunit pour poursuivre les Grecs. Ceux-ci effrayés jetèrent les corps des apôtres dans un puits auprès des catacombes ; mais dans la suite les fidèles les en ôtèrent.

Saint Grégoire raconte dans son Registre (liv. IV, ép. XXX,) qu'alors il se fit un si affreux tonnerre et des éclairs en telle quantité que tout le monde prit la fuite de frayeur, et qu'on les laissa dans les catacombes. Mais comme on ne savait pas distinguer les ossements de saint Pierre de ceux de saint Paul, les fidèles, après avoir eu recours aux prières et aux jeûnes, reçurent cette réponse du ciel : « Les os les plus grands sont ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pêcheur. » Ils séparèrent ainsi les os les uns des autres et les placèrent dans les églises qui avaient été élevées à chacun d'eux. D'autres cependant disent que saint Silvestre, pape, voulant consacrer les églises, pesa avec un grand respect les os grands et petits dans une balance et qu'il en mit la moitié dans une église et la moitié dans l’autre.

Saint Grégoire rapporte dans son Dialogue *, qu'il y avait, dans l’église où le corps de saint Pierre repose, un saint homme d'une grande humilité, nommé Agontus : et il se trouvait, dans cette même église, une jeune fille paralytique qui y habitait; mais réduite à ramper sur les mains, elle était obligée de se traîner, les reins et les pieds par terre: et depuis longtemps elle demandait la santé à saint Pierre; il lui apparut dans une vision et lui dit : « Va trouver Agontius, le custode, et il te guérira lui-même. »

* Liv. III, c. XXIV et XXV.

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Cette jeune fille se mit donc à se traîner çà et là de tous côtés dans l’église, et à chercher qui était cet Agontius : mais celui-ci se trouva tout à coup au-devant d'elle : « Notre pasteur et nourricier, lui dit-elle, le bienheureux Pierre, apôtre,  m’a envoyé vers vous, pour que vous me délivriez de mon infirmité. » Il lui répondit : « Si tu as été envoyée par lui, lève-toi. » Et lui prenant la main, il la fit lever et elle fut guérie sans qu'il lui restât la moindre trace de sa maladie.

Au même livre, saint Grégoire dit encore que Galla, jeune personne des plus nobles de Rome, fille du consul et patrice Symmaque, se trouva veuve après un an de mariage. Son âge, et sa fortune demandaient qu'elle convolât à de secondes noces ; mais elle préféra s'unir à Dieu par une alliance spirituelle, dont les commencements se passent dans la tristesse mais par laquelle on parvient au ciel, plutôt que de se soumettre à des noces charnelles qui commencent toujours par la joie pour finir dans la tristesse. Or, comme elle était d'une constitution toute de feu, les médecins prétendirent que si elle n'avait plus de commerce avec un homme, cette ardeur intense lui ferait pousser de la barbe contre l’ordinaire de la nature. Ce qui arriva en effet peu de temps après. Mais Galla ne tint aucun compte de cette difformité extérieure, puisqu'elle aimait la beauté intérieure : et elle n'appréhenda point , malgré cette laideur, de n'être point aimée de l’époux céleste.

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Elle quitta donc ses habits du monde, et se consacra dans le monastère élevé auprès de l’église de saint Pierre, où elle servit Dieu avec simplicité et passa de longues années dans l’exercice, de la prière et de l’aumône. Elle fut enfin attaquée d'un cancer au sein. Comme deux flambeaux étaient toujours allumés devant son lit, parce que, amie de la: lumière, elle avait en horreur les ténèbres spirituelles comme les corporelles, elle vit le bienheureux Pierre,. apôtre, au milieu de ces deux flambeaux, debout devant son lit. Son amour lui fit concevoir de l’audace et elle dit : « Qu'y a-t-il, mon maître ? Est-ce que mes péchés me sont remis? » Saint Pierre inclina la tête avec la plus grande bonté, et lui répondit : « Oui, ils sont remis, viens. » Et elle dit : « Que soeur Benoîte vienne avec moi, je vous en prie. » Et il dit : « Non, mais qu'une telle vienne avec toi. » Ce qu'elle fit connaître à l’abbesse qui mourut avec elle trois jours après.

— Saint Grégoire raconte encore dans le même ouvrage, qu'un prêtre d'une grande sainteté réduit à l’extrémité, se mit à crier avec grande liesse : « Bien, mes seigneurs viennent ; bien, mes seigneurs viennent; comment avez-vous daigné venir vers un si chétif serviteur? Je viens; je viens, je vous remercie, je vous remercie. » Et comme ceux qui étaient là lui demandaient à qui il parlait de la sorte, il répondit avec admiration : « Est-ce que vous ne voyez pas que les saints apôtres Pierre et Paul sont venus ici ensemble ? » Et comme il répétait une seconde fois les paroles rapportées plus haut, sa sainte âme fut délivrée de son corps.

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— Il y a doute, chez quelques auteurs, si ce fut le même jour que saint Pierre et saint Paul souffrirent. Quelques-uns ont avancé que ce fut le même jour, mais un an après. Or, saint Jérôme et presque tous les saints qui traitent cette question s'accordent à dire que ce fut le même jour et la même année, comme cela reste évident d'après la lettre de saint Denys, et le récit de saint Léon (d'autres disent saint Maxime), dans un sermon où il s'exprime comme il suit : « Ce n'est pas sans raison qu'en un même jour et dans le même lieu, ils reçurent leur sentence du même tyran. Ils souffrirent le même jour afin d'aller ensemble à J.-C. ; ce fut au même endroit, afin que Rome les possédât tous les deux; sous le même persécuteur, afin qu'une égale cruauté les atteignît ensemble.

Ce jour fut choisi pour célébrer leur mérite; le lieu pour qu'ils y fussent entourés de gloire ; le même persécuteur fait ressortir leur courage. » Bien  qu'ils aient souffert le même jour et à la même heure, ce ne fut pourtant pas au même endroit, mais dans des quartiers différents : et ce que dit saint Léon qu'ils souffrirent au même endroit, doit s'entendre qu'ils souffrirent tous les deux à Rome. C'est à ce sujet qu'un poète composa ces vers:

Ense coronatur Paulus, cruce Petrus, eodem
Sub duce, luce, loco, dux Nero, Roma locus *.

* Traduction de Jean Batallier:

Pol fut couronné d'une épée;
Pierre eut la croix renversée.
Néron fut duc, si comme l’on nomme
Le lieu fut la cité de Romme.

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Un autre dit encore :

Ense sacrat Paulum, par lux, dux, urbs, cruce Petrum* .

Quoiqu'ils aient souffert le même jour, cependant saint Grégoire ordonna qu'aujourd'hui on célébrerait, quant à l’office, la solennité de saint Pierre, et que le lendemain, on ferait la fête de la Commémoration de saint Paul ; en voici les motifs : en ce jour fut dédiée l’église de saint Pierre; il est plus grand en dignité; il est le premier qui fut converti; enfin il eut la primauté à Rome.

* Paul est sacré par le glaive, Pierre par la croix : à tous deux, la même gloire, le même bourreau, et Rome pour théâtre.


(91) SAINT PAUL, APÔTRE.

Paul signifie bouche de trompette, ou bouche de ceux, ou élu admirable, ou miracle d'élection. Paul vient encore de pausa, qui veut dire repos en hébreu, et en latin modique. Par quoi l’on connaît les six prérogatives particulières à saint Paul. La Ire est une langue fructueuse, car il prêcha l’Evangile depuis l’Illyrie jusqu'à Jérusalem, de là le nom de bouche de trompette. La 2e est un amour de mère, qui lui fait dire : « Qui est faible, sans que je  m’affaiblisse avec lui? (II, Cor., XI) » C'est pour cela que son nom veut dire bouche de ceux, ou bouche de coeur, ainsi qu'il le dit lui-mème (II, Cor., VI). « O Corinthiens, ma bouche s'ouvre, et mon coeur s'étend par l’affection que je vous porte. » La 3e est une conversion miraculeuse, c'est pour cela qu'il est appelé élu admirable, parce qu'il fut élu et converti merveilleusement. La 4° est le travail des mains, et voilà pourquoi il est nommé miracle d'élection : ce fut un grand miracle en lui que, de préférer gagner ce qui lui était nécessaire pour vivre et prêcher sans cesse. La 5e fut une contemplation délicieuse, parce qu'il fut élevé jusqu'au troisième ciel; de là le nom de repos du Seigneur; car dans la contemplation, repos d'esprit est requis. La 6e est son humilité, de là le nom de modique.

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 Il y a trois opinions au sujet du nom de Paul. Origène veut qu'il ait toujours eu deux noms et qu'il ait été indifféremment appelé Saul et. Paul ; Raban veut qu'avant sa conversion il eut le nom de Saut, du roi orgueilleux Saül, mais qu'après il fut nommé Paul, qui veut dire petit, en esprit et en humilité : et il donne lui-même l’interprétation de son nom quand il dit : «Je suis le plus petit des apôtres. » Bède enfin veut qu'il ait été appelé Paul, de Sergius Paulus, proconsul, converti par lui à la foi. Le martyre de saint Paul fut écrit par saint Lin, pape.

Paul, apôtre, après sa conversion, souffrit beaucoup de persécutions énumérées en ces termes par saint Hilaire : « Paul est fouetté de verges à Philippes; il est mis en prison ; il est attaché par les pieds à un poteau ; il est lapidé à Lystra; il est poursuivi d'Icone et de Thessalonique par les méchants; à Ephése, il est livré aux bêtes ; à Damas, on le descend du haut d'un mur dans une corbeille ; à Jérusalem, il est arrêté, battu, enchaîné, on lui tend. des embûches; à Césarée, il est emprisonné et incriminé: Il est en péril sur mer, dans son voyage en Italie; arrivé à Rome, il est jugé et meurt tué sous Néron. » Il reçut l’apostolat en faveur des gentils ; il redressa un perclus à Lystra; il ressuscita un jeune homme qui, tombé d'une fenêtre, avait rendu le dernier soupir, et fit grand nombre d'autres miracles. Dans l’île de Malte, une vipère lui saisit la main, mais l’ayant secouée dans le feu, il n'en reçut aucune atteinte.

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On rapporte que tous les descendants de celui qui donna l’hospitalité à saint Paul ne ressentent aucun mal des bêtes venimeuses; et quand ils viennent au monde, le père met des serpents dans leur berceau pour s'assurer s'ils sont vraiment sa lignée. On trouve encore quelquefois que saint Paul est tantôt inférieur à saint Pierre, tantôt plus grand, tantôt égal ; mais en réalité, il lui est inférieur en dignité, supérieur dans la prédication et égal, en sainteté. Haymon rapporte que saint Paul se livrait au travail des mains depuis le chant des poussins jusqu'à la cinquième heure ; ensuite il vaquait à la prédication, de telle sorte que le plus souvent, il prolongeait son discours jusqu'à la nuit: le reste du temps lui suffisait pour ses repas, son sommeil et son oraison.

Quand il vint à Rome, Néron, qui n'était point encore confirmé empereur, apprit qu'il s'était élevé une dispute entre Paul et les Juifs au sujet de la loi judaïque et de la foi dés chrétiens : il ne s'en mit pas beaucoup en peine, de sorte que saint Paul allait et prêchait librement où il voulait. Saint Jérôme, en son livre des Hommes illustres, dit que, « 25 ans après la Passion du Seigneur, c'est-à-dire la 2e du règne de Néron, saint Paul fut envoyé à Rome chargé de chaînes, et que pendant deux ans il demeura libre sous une garde; qu'il disputait contre des Juifs, et que relâché ensuite par Néron, il prêcha l’Evangile dans l’Occident. L'an 14 de Héron, il fut décapité la même année et le même jour que saint Pierre fut crucifié. »

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Sa sagesse, et sa religion étaient partout en renom et on le regardait généralement comme un homme admirable. Il se fit beaucoup d'amis dans, la maison de l’empereur, et il les convertit à la foi de J.-C. Quelques-uns de ses écrits furent lus devant le César ; tout le monde en fit grand éloge; le Sénat lui-même avait beaucoup d'estime pour sa personne.

Une fois que saint Paul prêchait, vers le soir, sur une terrasse, un jeune homme nommé Patrocle, échanson favori de Néron, monta à une fenêtre pour entendre plus commodément le saint apôtre, à cause de la foule, et s'y étant légèrement endormi, il tomba et se tua. Néron à cette nouvelle eut beaucoup de chagrin de sa mort et aussitôt il pourvut à son remplacement. Mais saint Paul, qui en fut instruit par révélation, dit aux assistants d'aller et de lui rapporter le cadavre de Patrocle, L'ami du César. On le lui apporta et saint Paul le ressuscita, ensuite il l’envoya à César avec ses compagnons. Comme Néron se lamentait sur la perte de son favori, voilà qu'on lui annonce que Patrocle vivant était à la porte. Néron informé que celui qu'il avait cru mort tout à l’heure était en vie, fut extraordinairement effrayé et refusa de le laisser entrer auprès de lui; mais enfin à la persuasion de ses amis, il permit ; qu'on l’introduisît. Néron lui dit: « Patrocle; tu vis? » Et Patrocle répondit: « César; je vis. » Et Néron dit « Oui t'a fait vivre? » Patrocle reprit : « C'est Jésus-Christ, le roi de tous les siècles. » Héron se mit en colère et dit : « Alors celui-ci régnera sur les siècles et détruira donc les royaumes du monde ? » Patrocle lui répliqua: « Oui, César. »

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Néron lui donna un soufflet eu disant: « Donc tu es au service de ce roi? » « Oui, répondit Patrocle, je suis à son service, parce qu'il m'a ressuscité d'entre les morts. » Alors cinq des officiers de l’empereur qui l’accompagnaient constamment lui dirent : « Empereur, pourquoi frapper ce jeune homme plein de prudence et qui répond la vérité ? Et nous aussi nous sommes au service de ce roi invincible. » Néron, à ces mots, les fit enfermer en prison, afin de tourmenter cruellement ceux qu'il avait aimés jusqu'alors extraordinairement.

Il fit en même temps rechercher tous les chrétiens et il les fit punir tous sans forme de procès : Paul fut conduit, chargé de chaînes, avec les autres, par devant Néron qui lui dit: « O homme, le serviteur du grand roi, mais cependant mon prisonnier, pourquoi  m’enlèves-tu mes soldats et les prends-tu pour toi? » « Ce n'est pas seulement, répondit saint Paul, dans le coin de la terre où tu vis que j'ai levé des soldats, mais j'en ai enrôlé de l’univers entier: notre Roi leur accordera des récompenses qui, loin de leur manquer jamais, les mettront à l’abri. du besoin. Toi, si tu veux lui être soumis, tu seras sauvé. Sa puissance est si grande qu'il viendra juger tous les hommes et qu'il dissoudra par le feu la figure de ce monde. » Quand Néron, enflammé de colère, eut entendu dire à saint Paul que le feu devait dissoudre la figure du monde, il ordonna qu'on fît brûler tous les soldats de J.-C. et de couper la tête à saint Paul, comme coupable de lèse-majesté. Or, la foule de chrétiens qui furent tués était si grande que le peuple romain se porta avec violence au palais et se disposait à exciter une sédition contre Néron, en, criant tout haut : « Arrête, César, suspends le carnage et l’exécution de tes ordres. Ceux que tu fais périr sont nos concitoyens; ce sont les soutiens de l’empire romain. »

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Néron eut peur et modifia son édit en ce sens que personne ne mettrait la main sur les chrétiens qu'autant que l’empereur' mieux informé les eût jugés. C'est pourquoi Paul fut ramené et présenté de nouveau à Néron. Il ne l’eut pas plutôt vu qu'il s'écria avec violence : « Emmenez ce malfaiteur, décapitez cet imposteur ; ne laissez pas vivre ce criminel ; défaites-vous de cet homme qui égare les intelligences ; ôtez de dessus la terre ce séducteur des esprits. » Saint Paul lui dit : « Néron, je souffrirai l’espace d'un instant, mais je vivrai éternellement en Notre-Seigneur J.-C. » Néron dit : «Tranchez-lui la tête afin qu'il apprenne que je suis plus puissant que son roi, moi qui l’ai vaincu; et nous verrons s'il pourra toujours vivre. » Saint Paul reprit: « Afin que tu saches qu'après la mort de mon corps, je vis éternellement, quand ma tête aura été coupée,: je t'apparaîtrai vivant, et tu pourras connaître alors que J.-C. est le Dieu de la vie et non de la mort. » Ayant parlé ainsi, il fut mené au lieu du supplice.

Dans le trajet, trois soldats qui le conduisaient lui dirent : « Dis-nous, Paul, quel est celui que tu appelles votre roi, que vous aimez au point de préférer mourir pour lui plutôt que de vivre; et quelle récompense vous recevrez de tout cela? » Alors saint Paul, leur parla du royaume de Dieu et des peines de l’enfer de manière qu'il les convertit à la foi. Ils le prièrent d'aller en liberté où il voudrait, mais il leur dit : « A Dieu ne plaise, mes frères, que je prenne la fuite ; je ne suis pas un transfuge, mais un véritable soldat de J.-C. : car je sais que cette vie qui passe me conduira à une vie éternelle; tout à l’heure, quand j'aurai été décapité, des hommes fidèles enlèveront mon corps.

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Quant à vous, remarquez bien la place, et venez-y demain matin : vous trouverez auprès de mon sépulcre deux hommes en prières, ce sera Tite et Luc ; quand vous leur aurez dit pour quel motif je vous ai adressés à eux, ils vous baptiseront et vous feront participants et héritiers du royaume du ciel.» Il parlait encore quand Néron envoya deux soldats pour voir s'il n'était pas, encore exécuté; et comme saint Paul voulait les convertir, ils dirent: « Lorsque tu seras mort et ressuscité, alors nous croirons ce que tu dis; pour le moment viens vite et reçois ce que tu as mérité. »

Amené au lieu du supplice, à la porte d'Ostie, il rencontra une, matrone nommée Plantille ou Lémobie, d'après saint Denys (peut-être elle avait deux noms). Cette dame se mit à pleurer et à se recommander aux prières de saint Paul qui lui dit : « Va, Plantille, fille du salut éternel, porte-moi le voile dont tu te couvres la tête, je  m’en banderai les yeux et ensuite je te le remettrai. » Et comme elle le lui donnait, les bourreaux se moquaient d'elle en disant: « Qu'as-tu besoin de donner à cet imposteur et à ce magicien un voile si précieux que tu perdras ? » Paul étant donc venu au lieu de l’exécution, se tourna vers l’Orient et pria très longtemps dans sa langue maternelle, les mains étendues vers le ciel et en versant des larmes, il rendît grâces. Ensuite, ayant dit adieu aux frères, il se banda les yeux avec le voile de Plantille; puis ayant fléchi les deux genoux en terre, il présenta le cou et fut ainsi décollé.

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Au moment où sa tête fut détachée du corps, il prononça distinctement en hébreu: « Jésus-Christ » ; nom qui avait été d'une grande douceur pour lui dans sa vie et qu'il avait répété si souvent. On dit en effet que, dans ses Epitres, il répéta Christ, ou Jésus, ou l’un et l’autre ensemble. cinq cents fois. Du lait jaillit du corps mutilé jusque sur les habits d'un soldat * ; ensuite le sang coula : une lumière immense brilla dans l’air et une odeur des plus suaves émana de son corps.

Saint Denys dans son épître à Timothée s'exprime ainsi sur la mort de saint Paul : « A cette heure pleine de tristesse, mon frère chéri, quand le bourreau dit à saint Paul : « Prépare ton cou », alors le bienheureux apôtre leva les. yeux au ciel, se munit le front et la poitrine du signe de la croix et dit :
« Mon Seigneur J.-C., je remets mon esprit entre vos mains.» : et alors sans tristesse et sans contrainte, il présenta le cou et reçut la couronne. » Au moment où le bourreau frappait et tranchait la tête de Paul, ce bienheureux, en recevant le coup, détacha le voile, et reçut son propre sang dans ce voile, le lia, le plia et le rendit à cette femme. Et quand le bourreau fut revenu, Lémobie lui dit :
« Où as-tu laissé mon maître Paul? » Le soldat répondit : « Il est étendu là-bas avec son compagnon, dans la vallée du Pugilat, hors de la ville ; et sa figure est couverte de ton voile. » Or, Lémobie répondit : « Voici que Pierre et Paul viennent d'entrer à l’instant, revêtus d'habits éclatants, portant sur la tête des couronnes brillantes et rayonnantes de lumière. » Alors elle leur montra le voile tout ensanglanté : ce qui donna lieu à, plusieurs de croire au Seigneur et de se faire chrétiens (saint Denys).

* Ce fait est rapporté par Grégoire de Tours.

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Néron, ayant appris ce qui était arrivé, eut une violente peur et s'entretint de tout cela avec les philosophes et avec ses favoris. Or, pendant la conversation saint Paul vint les portes fermées; et, debout devant César, il lui dit : «César, voici Paul, le soldat du roi éternel et invincible ; crois au moins maintenant que je ne suis pas mort, mais que je vis et toi, misérable, tu mourras d'une mort éternelle, parce que tu tues injustement les saints de Dieu. » Ayant parlé ainsi, il disparut. Alors Néron devint comme fou tant il avait été effrayé; il ne savait ce qu'il faisait. Par le conseil de ses amis, il délivra Patrocle et Barnabé avec les autres chrétiens et leur permit d'aller librement où ils voudraient. Quant aux soldats qui avaient conduit Paul au supplice, savoir Longin, chef des soldats, et Acceste, ils vinrent le matin au tombeau de saint Paul et ils y virent deux hommes, Tite et Luc en prières, et Paul debout au milieu d'eux. Tite et Luc, en voyant les soldats, furent fort effrayés et prirent la fuite ; alors Paul disparut. Mais Longin et Acceste leur crièrent : « Non, ce n'est pas vous que nous poursuivons, ainsi que vous le paraissez croire, mais nous voulons recevoir le baptême de vos mains, comme nous l’a dit Paul que nous venons de voir prier avec vous. » A ces mots, Tite et Luc revinrent et les baptisèrent avec grande joie. Or, la tête de Paul fut jetée dans une vallée, et comme il y en avait beaucoup qui avaient été tués et qu'on avait jetés au même endroit, on ne put la retrouver.

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Mais on lit dans la même épître de saint Denys, qu'un jour où l’on curait une fosse, on jeta la tête de saint Paul avec les autres immondices. Un berger la prit avec sa houlette et l’attacha sur la bergerie. Pendant trois nuits consécutives, son maître et lui virent une lumière ineffable sur cette tête; on en fit part à l’évêque, et on dit : « Vraiment, c'est la tête de saint Paul. » L'évêque vint avec toute l’assemblée des fidèles; ils prirent cette tête, l’emportèrent et ils la mirent sur une table d'or, ensuite ils essayaient de la réunir au corps. Le patriarche leur dit : «Nous savons que beaucoup de fidèles ont été tués et que leurs têtes furent dispersées ; c'est pourquoi je n'oserais mettre celle-ci sur le corps de saint Paul ; mais plaçons-la aux pieds du corps et demandons au Dieu tout puissant, que si c'est sa tête, le corps se tourne et se joigne à la tête. » Du consentement général, on plaça cette même tête aux pieds du corps de saint Paul, et comme tout le monde était en prière, on fut saisi de voir le corps se tourner et se joindre exactement à la tête. Alors on bénit Dieu et on connut que c'était bien là véritablement le chef de saint Paul (saint Denys). »

Saint Grégoire de Tours, qui vécut du temps de Justin le jeune, rapporte * qu'un homme au désespoir préparait un lacet pour se pendre, sans pourtant cesser d'invoquer le nom de saint Paul, en disant:
« Venez à mon secours, saint Paul. » Alors lui apparut une ombre dégoûtante qui l’encourageait en disant : « Allons, bon homme, fais ce que tu as à faire, ne perds pas de temps. »

* Mirac., lib. I, c. XXIX ; — Vincent de B., Hist., l, X, c. XXI.

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Mais il disait toujours, en apprêtant son lacet : « Bienheureux Paul, venez à mon secours. » Quand le lacet fut achevé, une autre ombre lui apparut; elle avait une forme humaine, et elle dit à l’ombre qui encourageait cet homme: « Fuis, misérable, car il a appelé saint Paul et le voilà qui vient. » Alors l’ombre dégoûtante s'évanouit et le malheureux rentrant en lui-même jeta son lacet et fit une pénitence convenable. » Il se fait grand nombre de miracles avec les chaînes de saint Paul, et quand beaucoup de personnes en demandent un peu de limaille, un prêtre en détache avec une lime quelques parcelles si vite que cela est fait à l’instant. Cependant il arrive que d'autres personnes, qui en demandent, n'en peuvent obtenir, car c'est inutilement que l’on passe la lime; elle n'en peut rien détacher.

— Dans la même épître citée plus haut, saint Denys pleure la mort de saint Paul; son maître, avec des expressions touchantes : « Qui donnera de l’eau à mes yeux, et à mes paupières une fontaine de larmes afin de pleurer, le jour et la nuit, la lumière des Eglises qui vient de s'éteindre? Qui est-ce qui ne pleurera. et ne gémira pas? Quel est celui qui ne prendra pas des habits de deuil et ne restera pas muet d'effroi? Voici en effet que Pierre, le fondement des Eglises, la gloire des saints apôtres, s'est retiré de nous et nous a laissés orphelins; Paul aussi, cet ami des gentils, le consolateur des pauvres, nous fait défaut, et il a disparu pour. toujours celui qui fut le père des pères, le docteur des docteurs, le pasteur des pasteurs. Cet abîme de sagesse, cette trompette retentissante, ce prédicateur infatigable de la vérité, en un mot, c'est de Paul le plus illustre des apôtres que je parlé.

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Cet ange de la terre, cet homme du ciel, cette image de la divinité, cet esprit divin nous a délaissés tous, nous dis-je, misérables et indignes, au milieu de ce monde qui ne mérite que mépris et qui est rempli de malice. Il est avec Dieu son maître et son ami hélas! mon frère Timothée, le chéri de mon coeur, où est ton père, ton maître et ton ami ? Il ne t'adressera donc plus de salut? Voilà que tu es devenu orphelin, et que tu es resté seul; il ne t'écrira plus, de sa très sainte main, ces douces paroles: «Très cher fils; viens, mon frère Timothée. » Que s'est-il passé ici de triste, d'affreux, de pernicieux pour que nous soyons devenus orphelins? Tu ne recevras plus de ses lettres où tu pouvais lire ces paroles : « Paul, petit serviteur de J.-C. » Il n'écrira plus désormais de toi aux cités « Recevez mon fils chéri: » Ferme; mon frère, les livres des prophètes; mets-y un sceau, parce que nous n'avons plus personne pour nous en expliquer les paraboles, les comparaisons et le texte. Le prophète David pleurait son fils en s'écriant : «Malheur à moi, mon fils; malheur à moi! » Et moi je  m’écrie: Malheur à moi, mon maître, oui, malheur à moi ! Depuis lors a cessé tout à fait cette affluence de tes disciples qui venaient à Rome et qui, demandaient à nous voir. Personne ne dira plus : Allons trouver, nos docteurs, et interrogeons-les sur la direction à imprimer aux Eglises qui nous sont confiées, et ils nous expliqueront les paroles de Notre-Seigneur J.-C. et celles des prophètes.

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Malheur, malheur à ces enfants, mon. frère, parce qu'ils sont privés de leurs pères spirituels, parce que le troupeau est abandonné! Malheur à nous aussi, frère, parce que nous sommes privés de nos maîtres spirituels qui possédaient l’intelligence et la science de l’ancienne et de la nouvelle loi fondues dans leurs épîtres ! Où sont les courses de Paul et les vestiges de ses saints pieds ? où est cette bouche éloquente, cette langue qui donnait des avis si prudents ; cet esprit toujours en paix avec son Dieu ? Qui est-ce qui ne pleurera pas et ne fera. pas retentir l’air de cris ? Car ceux qui ont mérité de recevoir de Dieu gloire et honneur sont traînés à la mort comme des malfaiteurs. Malheur à moi qui ai vu à cette heure ce corps saint tout couvert d'un sang innocent ! Ah ! quel malheur pour moi ! mon père, mon maître et mon docteur, vous ne méritiez pas de mourir ainsi. Et maintenant donc, où irai-je vous chercher, vous la gloire des chrétiens, l’honneur des fidèles ? qui a fait taire votre voix, vous qui faisiez entendre dans les églises des paroles qui avaient la douceur de la flûte, et la sonorité d'un instrument à dix cordes ? Voilà que vous êtes auprès du Seigneur votre Dieu que vous avez désiré de posséder et après lequel vous avez soupiré de tout votre coeur. Jérusalem et Rome, vous vous êtes associées et unies pour faire le mal, Jérusalem a crucifié Notre-Seigneur J.-C., et Rome a tué ses apôtres.

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Cependant Jérusalem a obéi à celui qu'elle avait crucifié, comme Rome; a établi une solennité pour glorifier celui qu'elle a tué. Et maintenant, mon frère Timothée, ceux que vous; aimiez et que vous regrettiez de tout coeur, je parlé du roi Saul, et de Jonathas, ils n'ont été séparés ni dans la vie, ni dans la mort, et moi je ne fus séparé de mon seigneur et maître que quand des hommes aussi méchants qu'injustes nous ont séparés. Or, l’heure de cette séparation n'aura qu'un temps :son urne connaît ses amis, sans que ceux-ci lui parlent, et bien qu'ils soient loin d'elle ; mais au jour de la résurrection, ce serait un bien grand dommage d'en être séparé. »

Saint Jean Chrysostome, dans son livre de l’Eloge de saint Paul, ne tarit pas quand il parle de ce glorieux apôtre. Voici ses paroles : « Celui-là ne s'est pas trompé qui a appelé l’âme de saint Paul un champ magnifique de vertus et un paradis spirituel. Où trouver une langue digne de le louer, lui dont l’âme possède à elle seule tous les biens qui se peuvent rencontrer dans tous les hommes, et qui réunit non seulement chacune des vertus humaines, mais, ce qui vaut mieux encore, les vertus angéliques ? Loin de nous arrêter, cette considération nous encourage a parler. C'est faire le plus grand éloge d'un héros que d'avouer que sa vertu et sa grandeur sont au-dessus de tout ce qu'on en peut dire. Il est glorieux pour un vainqueur d'être ainsi vaincu. Par quoi donc pouvons-nous mieux commencer ce discours qu'en disant qu'il a possédé tous les biens ? »

On loue Abel d'un sacrifice qu'il a offert à Dieu mais si nous montrons toutes les victimes de Paul, il l’emportera de toute la hauteur qui sépare le ciel de la terre; puisque, chaque jour il s'immolait lui-même par un double sacrifice, celui de la mortification du coeur et celui du corps. Ce n'étaient ni des brebis, ni des boeufs qu'il offrait, c'était lui-même qui s'immolait doublement.

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Ce n'est pas encore assez au gré de ses désirs; il voulut offrir l’univers en holocauste, la terre, la mer, les Grecs, les barbares, tous les pays éclairés par le soleil,, qu'il parcourt avec la rapidité du vol, où il trouve des hommes, ou, pour mieux dire, des démons, qu'il élève à la dignité des anges. Où rencontrer une hostie comparable à celle que Paul a immolée avec le glaive de l’Esprit-Saint, et qu'il a offerte sur un autel placé au-dessus du ciel ? Abel a péri sous les coups d'un frère, Paul a été tué par ceux qu'il souhaitait arracher,à d'innombrables maux.

Voulez-vous que je vous compte tous les genres de morts de Paul, autant vaut compter les jours qu'il a vécu? Noé se sauva dans l’arche lui et ses enfants : saint Paul construisit une arche pour sauver d'un déluge bien autrement affreux, non pas en assemblant des pièces de bois ; mais en composant ses épîtres, il a délivré le monde en danger au milieu des flots. Or, cette arche n'est pas portée sur des vagues qui battent un seul rivage, elle va sur tout le globe. Ses tablettes ne sont enduites ni de poix ni de bitume,elles sont imprégnées du parfum du. Saint-Esprit : Il les écrit et par elles, de ceux qui étaient, pour ainsi dire, plus insensés que les êtres sans raison, il en fait les imitateurs des anges. Il l’emporte encore sur l’arche qui reçut le corbeau et ne rendit que le corbeau, qui avait renfermé le loup sans lui faire perdre son naturel farouche : tandis que Paul prend les vautours et les milans pour en faire des colombes, pour inoculer la mansuétude de l’esprit dans des coeurs féroces. On admire Abraham qui, par l’ordre de Dieu, abandonna sa patrie et ses parents ; mais comment l’égaler à Paul.

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Il n'a pas seulement quitté son pays, ses parents, c'est le monde lui-même; c'est plus encore; c'est le ciel, le ciel es cieux; il méprise tout cela afin de servir J.-C., ne se réservant à la place, qu'une seule chose, la charité de Jésus. « Ni les choses présentes, dit-il, ni celles qui sont à venir, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, nulle créature enfin ne me pourra jamais séparer de l’amour de Dieu qui est fondé en J.-C. N.-S. » Abraham s'expose au danger pour délivrer de ses ennemis le fils de son frère, mais Paul, afin d'arracher l’univers à la puissance des démons, a affronté des périls sans nombre et a mérité aux autres une pleine sécurité par la mort qu'il souffrait tous les jours. Abraham encore a voulu immoler son fils. Paul s'est immolé lui-même des milliers de fois. Il s'en trouve qui admirent la patience d'Isaac laissant combler le puits creusé par ses mains; mais ce n'étaient pas des puits que Paul laissait couvrir de pierres, c'était son corps à lui, et ceux qui l’écrasaient, il cherchait à les élever jusqu'au ciel. Et plus cette fontaine était comblée, plus haut elle jaillissait, plus elle débordait, au point de donner naissance à plusieurs fleuves. L'écriture parle avec admiration de la longanimité et de la patience de Jacob; eh bien ! trouvez une âme à la trempe de diamant qui atteigne à la patience de Paul. Ce n'est pas pendant. sept ans, mais toute sa vie qu'il s'enchaîne à l’esclavage pour l’épouse de J.-C. Ce n'est pas seulement la chaleur du jour ni le froid des nuits. Ce sont mille épreuves qui l’assaillent. Tantôt battu de verges, tantôt accablé et broyé sous une grêle de pierres, toujours il se relève pour arracher les brebis de la gueule des démons.

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Joseph est illustre par sa pureté; mais j'aurais à craindre de tomber ici dans le ridicule en voulant louer saint Paul, lui qui se crucifiait lui-même, voyait toute la beauté du corps humain et tout ce qui paraît brillant du même oeil que nous regardons de la fumée et de la cendre, semblable à un mort qui reste immobile à côté d'un cadavre. Tout le monde est effrayé de la conduite de Job. C'était en effet un merveilleux athlète. Mais Paul n'eut pas à soutenir des combats de quelques mois, son agonie dure des années. Sans être réduit à racler ses plaies avec des morceaux de vase, il sort éclatant de la gueule du lion qui, dans la personne de Néron, s'est jeté sur lui coup sur coup : et après des combats et des épreuves innombrables, il avait l’éclat de la pierre la mieux polie. Ce n'était pas de trois ou quatre amis, mais de tous les infidèles, de ses frères même, qu'il eut à endurer les opprobres ; il fut conspué et maudit de tous: Il exerçait cependant largement l’hospitalité; il était plein de sollicitude à l’égard des pauvres; mais l’intérêt qu'il portait aux infirmes, il l’étendait aux âmes souffrantes. La maison de Job était ouverte à tout venant; l’âme de Paul renfermait le monde. Job possédait d'immenses troupeaux de boeufs et de brebis, il était libéral envers les indigents : Paul ne possède rien que son corps et il se partage en faveur des pauvres. « Ces mains, dit-il; ont pourvu à  mes besoins propres, comme aux besoins de ceux, qui étaient avec moi. » Job rongé par les vers souffrait d'atroces douleurs; mais comptez les coups reçus par Paul, calculez à quelles angoisses l’ont réduit la faim; les chaînes et les périls qu'il a subis de la part de ses familiers, comme des étrangers, de l’univers entier, en un mot voyez la sollicitude qui le dévore pour toutes les Églises, le feu qui le brûle quand il sait quelqu'un scandalisé, et vous comprendrez que son âme était plus dure que la pierre, plus forte. que le fer et que le diamant.

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Ce que Job souffrait dans ses membres, Paul le souffrit en son âme. Les chutes de chacun de ses frères lui causaient des chagrins plus vifs que toutes les douleurs; aussi coulait-il de ses yeux, le jour comme la nuit, des fontaines de larmes. C'étaient les étreintes d'une femme en travail: «Viens petits enfants, s'écriait-il, je sens de nouveau pour vous les douleurs de l’enfantement. » Moïse, pour le salut des Juifs, s'offrit à être effacé du livre de vie : Moïse donc s'offrit à mourir avec les autres, mais Paul voulait mourir pour les autres, non pas avec ceux qui devaient périr, mais pour obtenir le salut d'autrui, il engageait son salut éternel. Moïse résistait à Pharaon ; Paul luttait tous les jours avec le démon; le premier combattait pour une nation, le second pour l’univers, non pas jusqu'à la sueur de son front, mais jusqu'à donner son sang. Jean se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, Paul au milieu du tourbillon du monde comme le précurseur au milieu du désert, n'avait pas même de sauterelles ni de miel. Il se contentait de mets moins recherchés encore. Sa nourriture était le feu de la prédication. Toutefois devant. Néron, Jean fit preuve d'un grand courage, mais ce ne fut pas un, ni deux, ni trois, mais des tyrans sans nombre, aussi haut placés et plus cruels encore que Paul eut à reprendre.

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Il me reste à comparer Paul avec les anges; sa part n'est pas moins brillante, puisqu'il n'eut souci que d'obéir à Dieu. Quand David s'écriait transporté d'admiration : « Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes ses anges, qui êtes puissants et remplis de force pour faire ce qu'il vous: dit, pour obéir à sa voix et à ses ordres. Mon Dieu, dit-il ailleurs, vous rendez vos anges légers comme le vent et vos ministres actifs comme des flammes ardentes. » Mais nous pouvons trouver ces qualités dans Paul. Semblable à la flamme et au vent il a parcouru l’univers, et, dans sa course, il l’a purifié. Toutefois il n'était pas encore participant de la béatitude céleste; et c'est là le prodige qu'il ait tant fait n'étant encore revêtu que d'une chair mortelle. Quel sujet de condamnation pour nous de n'avoir point à coeur d'imiter la moindre des qualités qui se trouvent réunies dans un seul homme! Sans avoir reçu ni une autre nature ni une autre âme que nous, sans avoir habité un autre monde, mais placé sur la même terre et dans les mêmes régions, élevé sous l’empire des mêmes lois et des mêmes usages, il a surpassé tous les hommes de son siècle et ceux du siècle à venir. Ce que je trouve d'admirable en lui, c'est que non seulement dans l’ardeur de son zèle, il ne sentait pas les peines qu'il essuyait pour 1a vertu, mais qu'il embrassa ce noble parti sans attendre aucune récompense. L'attrait d'une rétribution ne nous engage point à entrer dans la lice où saint Paul courait avec empressement, sans qu'aucun prix vînt animer son courage et son amour ; et il acquérait chaque jour plus de force, i1 montrait une ardeur toujours nouvelle au milieu des périls.

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Menacé de la mort, il invitait les peuples à partager la joie dont il était pénétré : « Réjouissez-vous, leur disait-il, et félicitez-moi. » Il courait au-devant des affronts et des outrages que lui attirait la prédication, beaucoup plus que nous ne cherchons la gloire et les honneurs ; il désirait la mort beaucoup plus que nous n'aimons la vie ; il chérissait beaucoup plus la pauvreté que nous n'ambitionnons les richesses ; il embrassait les travaux et les peines avec beaucoup plus d'ardeur que nous ne désirons les voluptés et le repos après les fatigues; il s'affligeait plus volontiers que les autres ne se réjouissent; il priait pour ses ennemis avec plus de zèle que les autres ne s'emportent contre eux en imprécations. La seule chose devant laquelle il reculait avec; horreur, c'était d'offenser Dieu ; mais ce qu'il désirait surtout, c'était de lui plaire. Aucun des biens présents, je dis même aucun des biens futurs, ne lui semblait désirable ; car ne me parlez pas de villes, de nations, d'armées, de provinces, de richesses, de puissance ; tout cela n'était à ses yeux que des toiles d'araignée; mais considérez le bonheur qui nous est promis dans le ciel, et alors vous verrez tout l’excès de son amour pour Jésus. La dignité des anges et des archanges, toute la splendeur céleste n'étaient rien pour lui en comparaison de la douceur de cet amour ; l’amour de Jésus était pour lui plus que tout le reste. Avec cet amour, il se regardait comme le plus heureux de tous les êtres ; il n'aurait pas voulu, sans cet amour, habiter au milieu des Thrônes et des Dominations, il aurait mieux aimé, avec la charité de Jésus, être le dernier de la nature, se voir condamné aux plus grandes peines, que, sans elle, en être le premier et obtenir les plus magnifiques récompenses.

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Être privé de cette charité était pour lui le seul supplice, 1e seul tourment, le seul enfer, le comble de tous les maux ; posséder cette même charité était pour lui la seule jouissance ; c'était la vie, le monde, les anges, les choses présentes et futures, c'était le royaume, c'étaient les promesses, c'était le comble de tous les biens; tous les objets visibles, il les méprisait comme une herbe desséchée. Les tyrans, les peuples furieux; ne lui paraissaient que des insectes importuns ; la mort, les supplices, tous les tourments imaginables, ne lui semblaient que des jeux d'enfants, à moins qu'il ne fallût les souffrir pour l’amour de J.-C., car alors il les embrassait avec joie, et il se glorifiait de ses chaînes plus que Néron du diadème qui décorait son front. Sa prison, c'était pour lui le ciel même ; les coups de fouet et les blessures lui semblaient préférables a la couronne de l’athlète vainqueur. Il ne chérissait pas moins la récompense que le travail qu'il regardait comme une récompense; aussi l’appelait-il, une grâce; puisque ce qui cause en nous de la tristesse lui procurait: une satisfaction abondante. Il gémissait sous le poids d'une peine continuelle, et il disait : « Qui est scandalisé, sans que je brille ? » A moins qu'on ne dise que cette peine était assaisonnée d'un certain plaisir. Ainsi, blessée du coup qui a tué son fils, une mère éprouve quelque consolation à se trouver seule avec sa douleur, tandis que son coeur est plus oppressé lorsqu'elle ne peut donner un libre cours à ses larmes.

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De même saint Paul recevait un soulagement de pleurer nuit et jour; car jamais personne ne déplora ses propres maux aussi vivement que cet apôtre déplorait les maux d'autrui. Quelle était, croyez-vous, sa douleur en voyant que c'en était fait des Juifs, lui qui demandait d'être déchu de la gloire céleste, pourvu qu'ils fussent sauvés ? A quoi donc pourrait-on le comparer ? à quelle nature de fer ? à quelle nature de diamant ? de quoi dirons-nous qu'était composée son âme? de diamant ou d'or? elle était plus ferme que le plus dur diamant, plus précieuse que l’or et que les pierreries. du plus grand prix. A quoi donc pourra-t-on comparer cette âme ? à rien de ce qui existe. Il y aurait peut-être une comparaison possible, si, par une heureuse alliance, on donnait à l’or la force du diamant ou au diamant l’éclat de l’or. Mais pourquoi le comparer à l’or et au diamant? mettez le inonde entier dans la balance, et vous verrez que l’âme de Paul l’emportera. Le monde et tout ce qu'il y a dans le monde ne valent pas Paul. Mais si le monde ne le vaut pas, qu'est-ce qui le vaudra? peut-être le ciel. Mais le ciel lui-même n'est rien en comparaison de Paul ; car s'il a préféré lui-même l’amour de Dieu au ciel et à tout ce qu'il renferme, comment le Seigneur, dont la bonté surpasse autant celle de Paul que la bonté même surpasse la malice, ne le préférerait-il pas à tous les cieux ? Dieu, oui, Dieu nous aime bien plus que nous ne l’aimons, et son amour surpasse le nôtre plus qu'il n'est possible de l’exprimer. Il l’a ravi dans le paradis, jusqu'au troisième ciel: Et cette faveur lui était due, puisqu'il marchait sur la terre comme s'il eût conversé avec les anges, puisque, enchaîné à un corps mortel, il imitait leur pureté ; puisque, sujet à mille besoins et à mille faiblesses, il s'efforçait de ne pas se montrer inférieur aux puissances célestes.

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Il a parcouru toute la terre comme s'il eût eu des ailes; il était au-dessus des travaux et des périls, comme si déjà il eût pris possession du ciel; il était éveillé et attentif comme s'il n'eût point eu de corps ; et méprisait les choses de la terre comme s'il eût habité au milieu des puissances incorporelles. Des nations diverses ont été souvent confiées au soin des anges; mais aucun d'eux n'a dirigé la nation remise à sa garde comme Paul a dirigé toute la terre. Comme nu père qui voyant son enfant égaré par la frénésie serait d'autant plus touché de son état, et verserait d'autant plus de larmes que, dans les violences de ses transports, il lui épargnerait moins les outrages et les coups ; ainsi le grand apôtre prodiguait à ceux qui le maltraitaient tous les soins d'une piété ardente. Souvent il gémissait sur le sort de ceux qui l’avaient battu de verges cinq fois, qui étaient altérés de son sang, il s'affligeait et priait pour eux en disant : « Il est vrai, mes frères, que je sens dans mon coeur une grande affection pour le salut d'Israël et que je le demande à Dieu par mes prières. » En voyant leur réprobation, il était pénétré d'une douleur excessive. Et comme le fer jeté dans le feu devient feu tout entier,, de même Paul, enflammé du feu de la charité, était devenu tout charité. Comme s'il eût été le père commun de toute la terre, il imita, ou plutôt il surpassa tous les pères, quels qu'ils fussent, pour les soins temporels et spirituels: Car c'était chacun des hommes qu'il souhaitait présenter à Dieu, comme si lui seul eût engendré le monde entier; de telle sorte qu'il avait hâte d'en introduire tous les habitants dans le royaume de Dieu, se donnant corps et âme pour eux qu'il chérissait.

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Cet homme ignoble, cet artisan qui préparait des peaux acquit un tel courage qu'en trente ans à peine, il soumit au joug de la vérité les Romains et les Perses, les Parthes avec les Mèdes, les Indiens et les Scythes, les Ethiopiens et les Sarmates, les Sarrasins, enfin toutes les races humaines, et semblable à du feu jeté dans la paille et le foin, il dévorait toutes les oeuvres des démons. Au son de sa voix, tout disparaissait comme dans le,plus violent incendie, tout cédait, et culte des idoles, et menaces des tyrans, et embûches des faux frères. Comme au premier rayon du soleil les ténèbres fuient, les adultères et les voleurs disparaissent, les homicides se cachent dans les antres, le grand jour brille, tout est éclairé de l’éclat de sa présence, de même et mieux encore, partout où Paul sème la bonne nouvelle, l’erreur était chassée, la vérité. renaissait, les adultères et autres abominations disparaissaient, ainsi que la paillé jetée au feu. Brillante comme la flamme, la vérité s'élevait resplendissante jusqu'à la hauteur des cieux, soulevée, pour ainsi dire, par ceux qui semblaient l’étouffer ; les périls et les violences ne savent en arrêter la marche. Telle est l’erreur qui, si elle ne rencontre pas d'obstacles, s'use ou disparaît insensiblement, telle au contraire est la vérité, qui, sous les attaques de nombreux adversaires, renaît et s'étend. Or, puisque Dieu nous a tellement ennoblis que par nos efforts nous pouvons parvenir à devenir semblables à lui, afin de nous ôter le prétexte que pourrait suggérer notre faiblesse, nous avons en commun avec lui le corps, l’âme, les aliments, le même créateur, et de plus son Dieu c'est notre Dieu.

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Voulez-vous connaître les dons que le Seigneur lui a départis ? Ses vêtements étaient la terreur des démons. Un prodige plus merveilleux encore, c'est que quand, il bravait les périls, on ne pouvait le taxer de témérité; ni lui reprocher de la timidité lorsqu'ils surgissaient. C'était pour avoir le temps d'instruire qu'il aimait la vie présente, tandis qu'elle ne restait qu'un sujet de mépris dès lors que par la sagesse qui l’éclairait, il entrevoyait combien le monde est vil. Enfin voyez-vous Paul s'échapper au péril? gardez-vous de l’en admirer mains que quand il a le plaisir de s'y exposer. Cette conduite annonce autant de fermeté d'une part, que de sagesse de l’autre. L'entendez-vous parler de lui avec quelque satisfaction? vous pouvez l’admirer autant que lorsque vous le voyez se mépriser. Ici c'est de la grandeur d'âme, là de l’humilité. C'était un plus grand mérite à lui de parler de soi que de taire ses louanges; car s'il ne les avait dites, il eût été plus coupable que ceux qui se vantent à tout propos; en effet s'il n'eût pas été glorifié, il eût entraîné dans la ruine ceux qui lui avaient été confiés, tandis qu'en s'humiliant, il les élevait. Paul a mérité plus en se  glorifiant qu'un autre qui aurait caché ce qui le distingue : celui-ci, par l’humilité qui lui fait cacher ses mérites, gagne moins que celui-là en les manifestant. C'est un grand défaut de se vanter, c'est le fait d'un extravagant de vouloir accaparer les louanges dès lors qu'il n'y a aucune nécessité. Il est évident que Dieu n'est pas là et que c'est folie ; quand bien même on l’aurait gagnée à la sueur de son front, on perd sa récompense.

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S'élever au-dessus des autres dans ses propos, se vanter avec ostentation n'appartient qu'à un arrogant ; mais rapporter ce qui est d'essentielle nécessité, c'est le propre d'un homme qui aime le bien, qui cherche à se rendre utile. Telle fut la conduite de Paul, qui, pris pour un fourbe, se crut obligé de donner des preuves manifestes de sa dignité; toutefois, il s'abstient de dévoiler bien des choses et de celles qui étaient de nature à l’honorer le plus. «J'en viendrai maintenant, dit-il, aux visions et aux révélations du Seigneur », et il ajoute : « Mais je me retiens. » Pas un prophète, pas un apôtre n'eut aussi souvent que Paul des entretiens avec Dieu, et c'est ce qui le fait s'humilier davantage. Il parut redouter les coups afin de vous apprendre qu'il y avait en lui deux éléments sa volonté ne l’élevait pas seulement au-dessus du commun des hommes; mais elle en faisait un ange. Redouter les coups n'est pas un crime, c'est de commettre une indignité par la peur qu'ils inspirent. Dès lors qu'en les craignant,, il sort victorieux de la lutte, il est bien autrement admirable que celui que la peur n'atteint pas ; comme ce n'est as une faute de se plaindre mais de dire ou de faire par faiblesse ce qui déplaît à Dieu. Nous voyons par là ce que fut Paul; avec les infirmités de la nature, il s'éleva au-dessus de la nature, et s'il redouta la mort, il ne refusa pas de la subir. Être l’esclave des infirmités : c'est un crime, mais ce n'est pas d'être revêtu d'une nature qui y est sujette ; de telle sorte que c'est un titre de gloire pour lui d'avoir, par force de volonté, surmonté la faiblesse de la nature ; ainsi il se laissa enlever Paul surnommé Marc.

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Ce fut ce qui l’anima dans tout le cours de sa prédication, car ce ministère ne s'exerce pas avec mollesse et irrésolution, mais bien avec une force et un courage constamment égaux qui s'engage dans cette fonction sublime doit être disposé à s'offrir mille fois à la mort et aux dangers. S'il n'est pas animé par cette pensée, son exemple perdra un bien grand nombre de fidèles ; mieux vaudrait qu'il s'abstînt et qu'il s'occupât uniquement de soi-même. Un pilote, un gladiateur, un homme qui combat les bêtes féroces, personne enfin n'est obligé d'avoir le coeur disposé au danger et à la mort, comme celui qui s'est chargé d'annoncer la parole de Dieu; car celui-ci a à courir de bien plus grands périls, et il doit combattre des adversaires plus violents et d'une toute autre condition ; c'est avoir: le ciel pour récompense ou l’enfer pour son supplice.' Si entre quelqu'un d'eux, il surgit une contestation, ne regardez pas cela comme un crime, il n'y a faute que quand la querelle est sans prétexte et sans juste motif. Il faut y voir l’action de la Providence qui veut, réveiller de l’engourdissement et de l’inertie les âmes endormies et découragées. Comme l’épée a son tranchant, l’âme aussi a reçu le tranchant de la colère dont elle doit user au besoin. La douceur est bonne en tout temps; cependant il faut l’employer selon les circonstances, autrement elle devient un défaut. Aussi Paul l’a mise en pratique et dans sa colère il valait mieux que ceux dont le langage ne respirait pas la modestie.

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Le merveilleux en lui était que, chargé, de chaînes, couvert de coups et de blessures, il fut plus brillant que ceux qui sont ornés de l’éclat de là pourpre et du diadème. Alors qu'il était traîné chargé de chaînes à travers des mers immenses, sa joie était aussi vive que si on l’eût mené prendre possession d'un grand royaume. A peine est-il entré dans Rome qu'il cherche à en sortir pour parcourir l’Espagne. Il ne prend pas même un jour de repos; le feu est moins actif que son zèle à évangéliser; les périls, il les brave, les moqueries, il ne sait en rougir.

Ce qui met le comble à mon admiration, c'est qu'avec une pareille audace, quand il était constamment armé pour le combat, lorsqu'il ne respirait qu'une ardeur toute guerrière, il restait calme et prêt à tout. Il vient de sévir, ou plutôt sa colère vient d'éclater quand on lui commande d'aller à Tharse ; et il y va. On lui dit qu'il faut descendre par la muraille dans une corbeille, il se laisse faire. Et pourquoi? pour évangéliser encore et traîner à sa suite vers J. C. une multitude de croyants. Il ne redoutait qu'un malheur, c'était de quitter la terre et de ne pas avoir sauvé le plus grand nombre. Quand des soldats voient leur général couvert de blessures, ruisselant de sang, sans que toutefois il cesse de tenir tête a l’ennemi, mais que toujours il brandit sa lance, jonche le sol des cadavres qui sont tombés sous ses coups, et qu'il ne compte pour rien sa propre douleur, un pareil. sang-froid les électrise. Il en advint ainsi à Paul.

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Quand on le voyait chargé de chaînes et prêchant néanmoins dans sa prison, quand on le voyait blessé et convertissant ceux qui le frappaient, il y avait certes de quoi puiser une grande confiance. Il veut le faire entendre alors qu'il dit que plusieurs de ses frères en Notre-Seigneur, se rassurant par cet heureux succès de ses liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte. Il en concevait lui-même une joie plus ferme, et son courage contre ses adversaires s'en augmentait d'autant. Comme du feu tombant sur une grande sorte de matières se nourrit et s'étend, de même le langage de Paul attire tous ceux qui l’écoutent. Ses adversaires deviennent la pâture de ce feu, puisque, par eux, la flamme de l’Evangile augmentait de plus en plus (saint Jean Chrysostome).


(92) LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS DE SAINTE FÉLICITÉ

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Les sept frères étaient fils de sainte Félicité ; leurs noms sont: Janvier, Félix, Philippe, Silvain, Alexandre, Vital et Martial. D'après l’ordre de l’empereur Antonin, ils furent amenés tous avec leur mère auprès du préfet Publius qui les avait mandés devant lui, et qui exhorta la mère à avoir pitié d'elle et de ses enfants : Elle dit: « Je ne me laisserai ni gagner par tes caresses, ni effrayer par tes menaces. Ma confiance repose dans l’Esprit-Saint que je possède ; vivante, je triompherai de toi, mais morte, ma victoire sera encore plus grande.» Et se tournant vers ses enfants, elle dit : « Mes enfants, levez la tête et regardez le ciel, mes très chers, car c'est là que J.-C. nous attend. Combattez avec courage pour J.-C., et persistez dans son amour. » Quand le préfet eut entendu cela, il lui fit donner des soufflets. Et comme la mère et ses fils paraissaient très constants dans la foi, tous furent tués dans divers supplices sous les yeux de leur mère qui les encourageait. Cette sainte Félicité est appelée par saint Grégoire plus que martyre, parce qu'elle fut martyrisée sept fois dans ses enfants et la huitième fois dans son propre corps. Le même saint parle ainsi dans ses homélies : « Sainte Félicité qui, par sa foi, fut la servante de J.-C., devint aussi martyre du même J.-C. par, sa prédication. Elle craignait de laisser vivre, après elle, les sept enfants qu'elle avait, autant que les parents charnels ont coutume de craindre de leur survivre. Elle enfanta dans l’esprit ceux qu'elle avait enfantés dans la chair, afin de donner à Dieu par ses paroles ceux qu'elle avait donnés au monde par la chair. Ces enfants qu'elle savait être son sang, elle ne pouvait les voir mourir sans douleur, mais elle avait dans le coeur un amour si fort , qu'elle put surmonter la douleur corporelle. Aussi ai-je bien raison d'appeler cette femme plus qu'une martyre, car elle mourut autant de fois et avec tant de douleur qu'elle avait de fils. Après avoir mérité tous ces martyres, elle obtint pour elle aussi la palme victorieuse des martyrs ; car ce n'était pas assez pour l’amour qu'elle portait à J.-C. que de mourir une seule fois. » — Ils souffrirent vers l’an du Seigneur 110.


(93) SAINTE THÉODORE *

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L'interprétation de Saincte Théodore. — Théodore est dicte atheos, c'est-à-dire Dieu. Et de oraison, et ce vault autant adire comme oraison a Dieu. Car elle oura et depria tant Dieu que 1e pechie quelle avoit fait lui fust pardonne.

Théodore était une femme mariée et de noble extraction. Du temps de l’empereur Zénon, elle habitait Alexandrie avec son époux, homme riche et craignant Dieu. Or, le démon, jaloux de la sainteté de Théodore, enflamma un riche de concupiscence pour elle. Il la fatiguait de messages répétés et de présents afin de la faire consentir à sa passion ; mais elle renvoyait ses messagers avec dédain et méprisait ses présents. Il la tourmentait au point de ne lui laisser aucun instant de repos et peu s'en fallut qu'elle en perdît la vie. Enfin il lui adressa une magicienne, qui l’exhortait beaucoup à avoir pitié de cet homme et à se rendre à ses désirs. Or, comme Théodore répondait que jamais elle ne commettrait un péché si énorme sous les yeux de Dieu qui voit tout, la magicienne ajouta: « Tout ce qu'on fait de jour, Dieu le sait certainement et le voit, mais tout ce qui se passe sur le soir et après le soleil couché, Dieu ne le voit pas du tout. » Et la jeune femme dit à la magicienne « Est-ce que tu dis la vérité ? » « Oui, répondit-elle, je dis la vérité. »

* Il y avait une église du nom de cette sainte, Paris, rue des Postes. Sa vie est tirée de Métaphraste. Surius et Lepomanus la rapportent.

Théodore, trompée par les paroles de cette femme, lui dit de faire venir l’homme chez elle vers le soir et qu'elle accomplirait sa volonté. La magicienne ayant rapporté cela, cet homme entra dans des transports de joie ; il vint chez Théodore à l’heure qu'elle avait indiquée, commit un crime avec elle et se retira.

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Mais Théodore rentrant en soi-même versait des larmes très amères, et se frappait la figure en disant : « Ah! malheur à moi ! j'ai perdu mon âme ; j'ai détruit ce qui me rendait belle. » Son mari, revenu à la maison, voyant sa femme dans la désolation et dans les pleurs, sans en connaître la cause, s'efforçait de la consoler: mais elle ne voulait accepter aucune consolation. Le matin étant venu, elle alla à un monastère de religieuses et demanda à, l’abbesse si Dieu pouvait avoir connaissance d'un crime grave qu'elle avait commis à la chute du jour. L'abbesse lui répondit: « Rien ne peut être caché à Dieu qui sait et voit tout ce qui se passe, à telle heure que ce soit. » Théodore pleura amèrement et dit: « Donnez-moi le livre du saint Evangile, afin que moi-même je tire mon sort. » Et en ouvrant le livres elle trouva ces mots: « Quod scripsi, scripsi, ce que j'ai écrit, je l’ai écrit. » Elle revint à sa maison et un jours pendant que son mari était absent, elle se coupa la. chevelure, prit les habits de son mari et alla en toute hâte à un monastère de moines éloigné de huit milles, elle demanda à être reçue dans la communauté et l’obtint. Quand on lui demanda son nom, elle répondit qu'elle s'appelait Théodore. Elle s'acquittait en toute humilité de ce qu'on lui donnait à faire, et son service était agréable à tout le monde. Or, quelques années après, l’abbé appela frère Théodore, et lui commanda d'atteler les boeufs et d'aller chercher de l’huile à la ville.

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Quant à son mari, il pleurait beaucoup dans la crainte que sa femme ne fût partie avec un autre homme. Et voici que l’ange du Seigneur lui dit: « Lève-toi dès le matin; reste dans la rue du martyre de saint Pierre, apôtre, et celle qui viendra au-devant de toi, ce sera ton épouse. » Après quoi, Théodore vint avec des chameaux; elle vit et reconnut alors son mari et se dit en elle-même. « Hélas mon bon mari, que de peines je me donne pour être délivrée du péché que j'ai commis contre toi ! » Et quand elle se fut approchée, elle le salua en disant : « Joie à mon seigneur. » Or, il ne la reconnut point, mais après avoir attendu très longtemps et s'être dit qu'il avait été trompé, une voix se fit entendre qui lui dit : « Celui qui t'a salué hier matin, était ton épouse. »

La bienheureuse Théodore était d'une telle sainteté qu'elle opérait beaucoup de miracles : car elle arracha un homme de la gueule d'une bête féroce qui l’avait lacéré, et le ressuscita par ses prières. Elle poursuivit elle-même l’animal, le maudit: et il tomba mort aussitôt. Mais le diable qui ne voulait point supporter sa sainteté lui apparut : « Prostituée plus qu'aucune autre, lui dit-il, adultère, tu as quitté ton mari pour venir ici et me mépriser ; par toutes mes terribles puissances, je te livrerai des combats, et si je ne te fais renier le crucifié, tu pourras dire que ce n'est pas moi qui t'attaque. »

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Mais elle fit le signe de la croix sur elle et à l’instant le démon disparut. Une autre fois, elle revenait de la ville avec des chameaux ; ayant reçu l’hospitalité dans un endroit, une jeune fille vint la trouver la nuit et lui dit : « Dors avec moi. » Théodore l’ayant repoussée avec dédain, cette fille en alla trouver un autre qui était couché au même lieu. Or, quand elle se vit enceinte, on lui demanda de qui elle avait conçu, elle dit : « C'est le moine Théodore qui a dormi avec moi. » L'enfant étant né, on le. porta à l’abbé du monastère. Celui-ci, après avoir tancé Théodore qui réclamait son indulgence, lui mit l’enfant sur les épaules et la chassa du monastère. Or, elle resta pendant sept ans hors du cloître, et elle nourrit l’enfant du lait dés troupeaux. Le diable, jaloux d'une si grande patience, se présenta devant elle sous les traits de son mari : « Que faites-vous ici, madame? lui dit-il. Voici que je languis pour vous, et ne puis trouver aucune consolation; venez donc, ma lumière ; quand vous auriez fait le mal avec un autre homme, je vous le pardonne. »

Mais celle-ci, persuadée que, c'était son mari, lui répondit : « Je ne demeurerai plus désormais avec vous parce que le, fils de Jean le soldat a couché avec moi, et je veux faire pénitence de la faute que j'ai commise envers vous. » Puis elle se mit en prières et aussitôt la vision disparut : elle reconnut alors que c'était le démon. Une autre fois encore le diable voulut l’effrayer; car les démons se présentèrent à elle sous la forme de bêtes terribles et il y avait un homme qui les excitait en disant: « Mangez cette prostituée. » Mais elle pria et les bêtes disparurent. Une autre fois, c'était une troupe de soldats qui venaient conduits par un prince que les autres adoraient, et les soldats dirent à Théodore: « Lève-toi et adore notre prince. » Elle répondit : « J'adore le Seigneur Dieu. »

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Lorsqu'on eut rapporté cela au prince, il la fit amener et battre jusqu'à la croire morte ; après quoi toute la foule s'évanouit. Une autre fois encore, elle vit auprès d'elle une quantité d'or; mais elle prit la fuite en se signant et se recommandant à Dieu.- Un jour, elle vit un homme qui portait une corbeille pleine de toutes sortes de mets et cet homme lui dit: « Le prince qui t'a frappé  m’a chargé de te dire : Prends et mange, car il t'a maltraité par ignorance. » Alors elle se signa et tout disparut. Après sept ans révolus, l’abbé, en considération de sa patience, la réconcilia et la fit entrer dans le monastère avec son enfant. Quand elle y eut passé deux ans, de manière à ne mériter que des éloges, elle prit l’enfant et s'enferma avec lui dans sa cellule. L'abbé, qui en fut informé, envoya quelques moines écouter avec la plus grande attention ce qu'elle pouvait dire avec cet enfant. Or, elle le serra dans ses bras et le baisa en disant: « Mon fils bien-aimé, le temps de ma vie s'est écoulé, je te laisse à Dieu; qu'il soit ton père et ton soutien, fils chéri; vis dans la pratique du jeûne et de la prière, et sers tes frères avec dévouement. » En disant ces mots; elle rendit l’esprit et s'endormit heureusement dans le Seigneur vers l’an de J.-C. 470.

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À cette vue, l’enfant se mit à verser d'abondantes larmes. Or, cette nuit-là même, l’abbé du monastère eut la vision suivante : On faisait des préparatifs pour des noces magnifiques auxquelles se rendaient les ordres des anges, des prophètes, des martyrs et de tous les saints : au milieu d'eux, une femme marchait seule, environnée d'une gloire ineffable : arrivée au lieu- du festin, elle s'assit sur un lit et tous les assistants étaient pleins d'attention pour elle, quand se fit entendre une voix qui disait : « Celui-ci est le père Théodore qui a été accusé faussement d'avoir eu un enfant. Sept ans se sont, écoulés depuis cette époque; et elle a été châtiée pour avoir souillé le lit de son mari. » L'abbé, à son réveil, se hâta d'aller avec les frères à la cellule de Théodore qu'il trouva déjà morte. Après être entrés, ils la découvrirent et trouvèrent que c'était une femme. Aussitôt l’abbé envoya chercher le père de la fille qui avait sali la réputation de Théodore et il lui dit: « L'homme de ta fille est mort » ; et en ôtant les vêtements, le père reconnut que c'était une femme.

Quand on apprit cela, il y eut une grande et générale frayeur; alors l’ange du Seigneur parla ainsi à l’abbé :       « Lève-toi vite, prends un cheval et cours à la ville, et celui que tu rencontreras prends-le et le ramène avec toi. » Il était sur le chemin, quand un homme accourut au-devant de lui: L'abbé lui ayant demandé où il allait, cet homme lui dit: « Ma femme est morte et je vais la voir. » Et l’abbé fit monter à cheval avec lui le mari de Théodore; quand ils furent arrivés, ils pleurèrent beaucoup et ils l’ensevelirent avec de grands honneurs.

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Alors le mari de Théodore prit la cellule de sa femme, où il resta jusqu'au moment qu'il s'endormit dans le Seigneur. L'enfant de Théodore suivit les avis de sa nourrice et se fit remarquer par une entière honnêteté de moeurs, de sorte qu'à la mort de l’abbé, il fut élu à l’unanimité pour le remplacer.


(94) SAINT ALEXIS *

Alexis vient de a, qui veut dire beaucoup, et lexis, qui signifie sermon. De là Alexis, qui est très fort sur la parole de Dieu.

Alexis fut le fils d'Euphémien, homme d'une haute noblesse à Rome, et le premier à la cour de l’empereur : il avait pour serviteurs trois mille jeunes esclaves revêtus de ceintures d'or et d'habits de soie. Or, le préfet Euphémien était rempli de miséricorde, et tous les jours, dans sa maison, on dressait trois tables pour les pauvres, les orphelins, les veuves et les pèlerins qu'il servait avec empressement; et à l’heure de none, il prenait lui-même son repas dans la crainte du Seigneur avec des personnages religieux. Sa femme nommée Aglaë avait la même dévotion et les mêmes goûts. Or, comme ils n'avaient point d'enfant, à leurs prières Dieu accorda un fils, après la naissance duquel ils prirent la ferme résolution de vivre désormais dans la chasteté. L'enfant fut instruit dans les sciences libérales, et après avoir brillé dans tous les arts de la philosophie, et avoir atteint l’âge de puberté, on lui choisit une épouse de la maison de; l’empereur et on le maria.

* Sigebert de Gemblours, Chron, an., 405.

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Arriva l’heure de la nuit où il alla avec son épouse dans la chambre nuptiale : alors le saint jeune homme commença par instruire cette jeune personne de la crainte de Dieu, et à la porter à conserver la pudeur de la virginité. Ensuite il lui donna son anneau d'or et le bout de la ceinture qu'il portait en lui disant de les conserver: « Reçois ceci, et conserve-le tant qu'il plaira à Dieu, et que le Seigneur soit entre nous. » Après quoi il prit de ses biens, alla. à la mer et s'embarqua à la dérobée sur un vaisseau qui faisait voile pour Laodicée, d'où il partit pour Edesse, ville de Syrie, dans laquelle on conservait un portrait de Notre-Seigneur J.-C. peint sur un linge sans que l’homme y ait mis la main.

Quand il y fut arrivé, il distribua aux pauvres tout ce qu'il avait apporté avec soi, puis se revêtant de mauvais habits, il commença par se joindre aux autres pauvres qui restaient sous le porche de l’église de la Vierge Marie. Il gardait des aumônes ce qui pouvait lui suffire; le reste, il le donnait aux pauvres. Cependant, son père; inconsolable de la disparition de son fils, envoya ses serviteurs par tous pays, afin de le chercher avec soin. Quelques-uns vinrent à Edesse et Alexis les reconnut; mais eux ne le reconnurent point, et même ils lui donnèrent l’aumône comme aux autres pauvres. En l’acceptant, il rendit grâces à Dieu en disant « Je vous rends grâces, dit-il, Seigneur, de ce que vous  m’avez fait recevoir l’aumône de mes serviteurs. » A leur retour, ils annoncèrent au père qu'on n'avait pu le trouver en aucun lieu. Quant à sa mère, à partir du Jour de son départ, elle étendit un sac sur le pavé de sa chambre, où au milieu de ses veilles, elle poussait ces cris lamentables : « Toujours je demeurerai ici dans le deuil, jusqu'à ce que j'aie retrouvé mon fils. » Pour son épouse, elle dit à sa belle-mère : « Jusqu'à ce que j'entende parler de mon très cher époux, semblable à une tourterelle; je resterai dans la solitude avec vous.»

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Or, la dix-septième année qu'Alexis demeurait dans le. service de Dieu sous le porche dont il a été question plus haut, une image de la Sainte Vierge qui se trouvait là, dit enfin au custode de l’église : « Fais entrer l’homme de Dieu, parce qu'il est digne du royaume du ciel et l’Esprit divin repose sur lui : sa prière s'élève comme l’encens en la présence de Dieu. » Et comme le custode ne savait de qui la Vierge parlait, elle ajouta : « C'est celui qui est assis dehors sous le porche. »

Alors le custode se hâta de sortir et fit entrer Alexis dans l’église. Ce fait étant venu à la connaissance du public, on se mit à lui donner dés marques de vénération; mais Alexis, fuyant la vaine gloire, quitta Edesse et vint à Laodicée, où il s'embarqua dans l’intention d'aller à Tharse de Cilicie ; cependant Dieu en disposa autrement, car le navire, poussé par le vent, aborda au port de Rome. Quand Alexis eut vu cela, il se dit en lui-même : « Je resterai inconnu dans la maison de mon père et je ne serai à charge à aucun autre. »

Il rencontra son père qui revenait du palais entouré d'une multitude de gens obséquieux, et il se mit à lui crier : « Serviteur de Dieu, je suis un pèlerin, fais-,moi recevoir dans ta maison, et laisse-moi me nourrir des miettes de ta table, afin que le Seigneur daigne avoir pitié de toi, à ton tour, qui es pèlerin aussi. »

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En entendant ces mots, le père, par amour pour son fils, l’introduisit chez lui ; il lui donna un lieu particulier dans sa maison, lui envoya de la nourriture de sa table; en chargeant quelqu'un d'avoir soin de lui. Alexis persévérait dans la prière, macérait son corps par les jeûnes et par les veilles. Les serviteurs de la maison se moquaient de lui à tout instant; souvent ils lui jetaient sur la tête l’eau qui avait servi, et l’accablaient d'injures : mais il supportait tout avec une grande patience. Il demeura donc inconnu de la sorte pendant dix-sept ans dans la maison de son père.

Ayant vu en esprit que le terme de sa vie était proche, il demanda du papier, et de l’encre; et il écrivit le récit de toute sa vie. Un jour de dimanche, après la messe solennelle, une voix se fit entendre dans le sanctuaire en disant : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes fatigués et je vous soulagerai. », Quand on entendit cela, on fut effrayé; tout le monde se jeta la face contre terre, quand pour la seconde fois, la voix se fit entendre et dit : « Cherchez l’homme de Dieu afin qu'il prie pour Rome. » Les recherches n'ayant abouti à rien, la voix dit de nouveau: « C'est dans la maison d'Euphémien que vous devez chercher. » On s'informa auprès de lui, et il dit qu'il ne savait pas de qui on voulait parler. Alors les empereurs Arcadius et Honorius vinrent avec le pape Innocent à la maison d'Euphémien : et voilà que celui qui était chargé d'Alexis vint trouver son maître et lui dire : « Voyez, Seigneur, si ce ne serait pas notre pèlerin ; car vraiment c'est un homme d'une grande patience. »

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Euphémien courut aussitôt, mais il le trouva mort: il vit sa figure toute resplendissante comme celle d'un ange: ensuite il voulut prendre le papier qu'il avait dans la main, mais il ne put l’ôter. En sortant il raconta ces détails aux empereurs et aux pontifes qui, étant entrés dans le lieu où gisait le pèlerin, dirent : « Quoique pécheurs, nous avons cependant le gouvernement du royaume; et l’un de nous a la charge du gouvernement pastoral de l’Eglise universelle, donne-nous donc ce papier :afin que nous sachions ce qui y est écrit: » Le pape s'approchant prit le papier, que le défunt laissa aussitôt échapper, et il le fit lire devant tout le peuple, en présence du père lui-même.

Alors Euphémien, qui entendait cela, fut saisi d'une violente douleur; il perdit connaissance et tomba pâmé sur la terre. Revenu un peu à lui, il déchira ses vêtements, s'arracha les cheveux blanchis, se tira la barbe, et se déchira lui-même de ses propres mains, puis se jetant sur le corps de son fils, il criait : « Malheureux que je suis ! pourquoi, mon fils, pourquoi  m’as-tu contristé de la sorte ? pourquoi pendant tant d'années  m’as-tu plongé dans la douleur et les gémissements ? Ah! que je suis malheureux de te voir, toi, le bâton de ma vieillesse, étendu sur un grabat! tu ne parles pas : ah! misérable que je suis ! quelle consolation pourrai-je jamais goûter maintenant? »

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Sa mère en entendant cela, semblable à une lionne qui a brisé le piège où elle était prise, s'arrache les vêtements, se rue échevelée, lève les yeux au ciel, et comme la foule était si épaisse qu'elle ne pouvait arriver jusqu'au saint corps, elle criait: « Laissez-moi passer, que je voie mon fils, que je voie la consolation de mon âme, celui qui a,sucé mes mamelles. » Arrivée au corps, elle se jeta sur, lui en criant : « Quel malheur pour moi! mon fils,, la lumière de mes yeux, qu'as-tu fait là? pourquoi avoir agi si cruellement envers nous? Tu voyais ton père et ta malheureuse mère en larmes, et tu ne te faisais pas connaître à nous ! Tes esclaves t'injuriaient et tu le supportais ! » Et à chaque instant elle se jetait sur le corps, tantôt étendant les bras sur lui, tantôt caressant de ses mains ce visage angélique, tantôt l’embrassant : « Pleurez tous avec moi, s'écriait-elle ; puisque, pendant dix-sept ans, je l’ai eu dans ma maison et je n'ai pas su que ce fût mon fils. Et encore il y avait des esclaves qui l’insultaient et qui l’outrageaient en le souffletant! Suis-je malheureuse! qui donnera à mes yeux une fontaine de larmes pour pleurer nuit et jour celui qui est la douleur de mon âme ? »

La femme d'Alexis, vêtue d'habits de deuil, accourut baignée de larmes. « Quel malheur pour moi! quelle désolation! me voici veuve, je n'ai plus personne à regarder et sur lequel j'aie à lever les yeux. » Mon miroir est brisé, l’objet de mon espoir a péri. Aujourd'hui. commence pour moi une douleur qui n'aura point de fin. » Le peuple témoin de ce spectacle versait d'abondantes larmes. Alors le pontife et les empereurs avec lui placèrent le corps sur un riche brancard, et le conduisirent au milieu de la ville. On annonçait au peuple qu'on avait trouvé l’homme de Dieu que tous les citoyens recherchaient.

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Tout le monde courait au-devant du saint. Y avait-il un infirme? il touchait ce très saint corps, et aussitôt il était guéri ; les aveugles recouvraient la vue, les possédés du démon étaient délivrés; tous ceux qui étaient souffrants de n'importe quelle infirmité recevaient guérison. Les empereurs, à la vue de tous ces prodiges, voulurent porter eux-mêmes, avec le souverain pontife, le lit funèbre, pour être sanctifiés aussi par ce corps saint. Alors les empereurs firent jeter une grande quantité d'or et d'argent sur les places publiques, afin que la foule, attirée par l’appât de cette monnaie, laissât parvenir le corps du saint jusqu'à l’église. Mais la populace qui ne tint aucun compte de l’argent, se portait de plus en plus auprès du corps saint pour le toucher. Enfin ce fut après de grandes difficultés qu'on parvint à le conduire à l’église de saint Boniface, martyr; on l’y laissa sept jours qui furent consacrés à la prière. Pendant ce temps on éleva un tombeau avec de l’or et des pierres précieuses de toute nature, et on y plaça le saint corps avec grande vénération. Il en émanait une odeur si suave que tout le monde le pensait plein d'aromates. Or, saint Alexis mourut le 16 des calendes d'août, vers l’an 398.


(95) SAINTE MARGUERITE

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Marguerite est ainsi appelée d'une pierre précieuse blanche, petite et remplie de vertus. Ainsi sainte Marguerite fut blanche par virginité, petite par humilité, vertueuse par l’opération des miracles. On dit que cette pierre a la vertu d'arrêter le sang, de modérer les passions du coeur, et de conforter l'esprit. De même sainte Marguerite eut vertu contré l’effusion de son sang par constance, parce qu'elle posséda une grande constance dans son martyre; elle eut vertu contre les passions du coeur, c'est-à-dire, contre la tentation du démon qui fut vaincu par elle : elle eut vertu pour conforter son esprit, par la doctrine avec laquelle elle affermit le coeur de plusieurs et les convertit à la foi. Théotime *, homme érudit, a écrit sa légende.

Marguerite, citoyenne d'Antioche, fut fille de Théodose, alias Edesius, patriarche des gentils. Elle fut confiée à une nourrice; et quand elle eut atteint l’âge de raison, elle fut baptisée et c'est pour cela qu'elle était grandement haïe de son père. Parvenue à l’âge de quinze ans, elle gardait un jour, avec d'autres jeunes vierges, les brebis de sa nourrice, quand le préfet Olibrius, passant par là et voyant. une jeune. personne si belle, s'éprit d'amour pour elle et lui dépêcha ses esclaves en disant: « Allez et saisissez-vous d'elle: si elle est de condition libre, je la prendrai pour ma femme ; si elle est esclave, j'en ferai ma concubine. » Quand elle eut été amenée en sa présence, il s'informa de sa famille, de son nom et de sa religion. Or, elle répondit qu'elle était noble de naissance, Marguerite. de nom, et chrétienne de religion. Le préfet lui dit : « Les deux premières qualités te conviennent fort bien, savoir : que tu sois noble, et que tu sois réellement une très belle marguerite; mais la troisième ne te convient; pas, savoir: qu'une jeune personne si belle et si noble ait pour Dieu un crucifié. »

* Ce Théotime aurait été, dit-on, témoin oculaire des faits rapportés ici. Un bréviaire espagnol les raconte aussi sous le nom de sainte Marine qui serait la même. que sainte Marguerite (Cf. Bivar sur Dexter).

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« D'où, sais-tu, répondit Marguerite, que le Christ a été crucifié ? » Olibrius reprit : « Je l’ai appris des livres des chrétiens. » Marguerite lui dit : « Puisque tu as lu le châtiment. et la gloire de J.-C., pourquoi rougirais-tu de. croire un point et de rejeter l’autre? » Et comme Marguerite avançait que J.-C. avait été crucifié de son plein gré. pour nous racheter, et qu'elle affirmait qu'il vivait maintenant dans l’éternité, ce préfet en colère la fit jeter en prison; mais le lendemain, il la fit appeler en sa présence et lui dit : « Jeune fille frivole, aie pitié de ta beauté, et adore nos dieux pour que tu sois heureuse. » Elle répondit: « J'adore celui devant lequel la terre tremble, la mer s'agite, et toutes les créatures sont dans la crainte. » Le préfet lui dit : « Si tu ne  m’obéis, je ferai déchirer ton corps. » Marguerite répondit : « J.-C. s'est livré à la mort pour moi; eh bien ! je désire aussi mourir pour lui. » Alors le préfet la fit suspendre au chevalet; puis il la fit battre d'abord avec des verges, ensuite avec des peignes de fer, si cruellement, que ses os étaient dénudés, et que le sang ruisselait de son corps comme de la fontaine la plus limpide. Or, ceux qui étaient là pleuraient et disaient : « O Marguerite, vraiment nous avons compassion de toi, en voyant déchirer si cruellement ton corps. Quelle beauté tu as perdue à cause de ton incrédulité! cependant il en est temps encore, crois, et tu vivras. » Elle leur répondit : « O mauvais conseillers, retirez-vous, et vous en allez ; ce tourment de la chair est le salut de l’âme », et elle dit au préfet : « Chien impudent et lion insatiable, tu as pouvoir sur le corps, mais J.-C. se réserve l’âme. »

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Or, le préfet se couvrait la figure avec sa chlamyde, car il ne pouvait supporter la vue d'une telle effusion de sang. Il la fit ensuite détacher et ordonna de l’enfermer dans une prison, où une clarté merveilleuse se répandit. Pendant qu'elle était dans son cachot, elle pria le Seigneur de lui montrer, sous une forme visible, l’ennemi avec lequel elle avait à combattre ; et voici qu'un dragon effroyable lui apparut ; comme il s'élançait pour la dévorer, elle fit un signe de croix, et le monstre disparut : ou bien, d'après ce qu'on lit ailleurs, il lui mit sa gueule sur la tête et la langue sur le talon et l’avala à l’instant; mais pendant qu'il voulait l’absorber, elle se munit du signe de la croix; ce qui fit crever le dragon, et la vierge sortit saine et sauve. Mais ce qu'on rapporte du dragon qui la dévora et qui creva est regardé comme apocryphe et de peu de valeur.

Le diable vint encore pour tromper Marguerite, en prenant une forme humaine. A sa vue, elle se mit en prières, et après s'être levée, le diable s'approcha d'elle et lui prenant la main : « Tout ce que tu as fait, lui dit-il, est bien suffisant : ne t'occupes plus donc de ma personne. » Mais Marguerite le prit par la tête, le jeta par terre sous elle; et lui posant le pied droit sur le crâne, elle dit : « Sois écrasé, superbe démon, sous les pieds d'une femme. » Le démon criait : « O bienheureuse Marguerite, je suis vaincu ! si un jeune homme l’avait emporté sur moi, je ne  m’en serais pas préoccupe ; mais me voici vaincu par une jeune fille et j'en suis d'autant plus affligé que ton père et ta mère ont été mes amis. »

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Alors elle le força à dire pour quel motif il était venu. Il répondit qu'il était venu pour lui conseiller d'obéir aux avis du président: Elle le força encore à dire pourquoi il employait tant de manières pour tenter les chrétiens. Il répondit qu'il avait naturellement de la haine contre les hommes vertueux, et bien qu'il en fut souvent repoussé; il était acharné à les séduire : et comme il était jaloux, à l’égard des hommes de la félicité qu'il avait perdue, sans pouvoir la recouvrer, il n'avait cependant pour but que de la ravir aux autres. Et il ajouta que Salomon renferma une multitude infinie de démons dans un vase, et qu'après sa mort ces esprits malins jetaient du feu de ce vase; les hommes, dans l’idée qu'un grand trésor y était renfermé, le brisèrent: et les démons qui en sortirent remplirent les airs. Quand il eut dit ces mots, la vierge leva le pied et lui dit: « Fuis, misérable », et aussitôt le démon disparut. Marguerite resta rassurée; car puisqu'elle avait vaincu le chef, elle aurait sans aucun doute le dessus sur le ministre.

Le lendemain, le peuple étant rassemblé, elle fut amenée en la présence du juge, et comme elle refusait avec mépris de sacrifier, elle fut dépouillée, et son. corps fut brûlé avec des torches enflammées; de telle sorte que tout le monde s'étonnait qu'une fille si délicate pût supporter autant de tourments. Ensuite il la fit lier et jeter dans un bassin plein d'eau, afin que ce changement de supplice augmentât la violence de la douleur : mais à l’instant la terre trembla et la jeune fille en sortit saine, à la vue de tous. Alors cinq mille hommes crurent et furent condamnés à être décapités pour le nom de J.-C.

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Le préfet, dans la crainte que les autres ne se convertissent, fit de suite couper la tête à sainte Marguerite. Elle demanda alors un instant pour prier : et elle pria pour elle-même, pour ses bourreaux, et encore pour ceux qui feraient mémoire d'elle et qui l’invoqueraient avec dévotion, ajoutant que toute femme en couches qui se recommanderait à elle enfanterait heureusement : et une voix se fit entendre du ciel qui dit qu'elle pouvait être certaine d'avoir été , exaucée dans ses demandes. Elle se leva ensuite et dit au bourreau : « Frère, prends ton épée et me frappe. » D'un seul coup il abattit la tête de Marguerite, qui reçut ainsi la couronne du martyre. Or, elle souffrit le 16 des calendes d'août; ainsi qu'on le trouve en son histoire. On lit ailleurs que ce fut le 3 des ides de juillet.

Voici comment parle un saint de cette sainte vierge: « La bienheureuse Marguerite fut remplie de la crainte de Dieu, douée de justice, revêtue de religion, inondée de componction, recommandable, par son honneur, et d'une patience insigne; on ne trouvait en elle ; rien de contraire à la religion chrétienne; haïe par son père elle était aimée de N.-S. J.-C.


(96) SAINTE PRAXÈDE *

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Praxède viendrait de prasin, vert, elle verdit et porta fleur de virginité.

Sainte Praxède, vierge, fut la soeur de sainte Pudentienne, de saint Donat et de saint,Timothée qui furent instruits dans la foi par les apôtres. Au milieu de la fureur d'une persécution, ils ensevelirent les corps d'un grand nombre de chrétiens, et donnèrent leurs biens aux pauvres; enfin ils reposèrent en paix, vers l’an du Seigneur 165, sous Marc et Antoine le second.

* Bréviaire; — Martyrologes.


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Marie signifie mer amère, ou illuminatrice, ou illuminée. Ces trois significations font comprendre les trois excellentes parts qu'elle a choisies, savoir : la part de la pénitence, de la contemplation intérieure et de la gloire céleste. C'est de ces trois parts que le Seigneur a dit : « Marie a choisi une excellente part qui ne lui sera pas enlevée. » La première part ne lui sera pas enlevée à cause de la fin qu'elle se proposait d'acquérir, la béatitude; ni la seconde à cause de la continuité, parce que la contemplation de la vie est continuée par la contemplation de la patrie : ni la troisième en raison de son éternité. En tant donc qu'elle a choisi l’excellente part de pénitence, elle est appelée mer amère, parce qu'elle y eut beaucoup d'amertumes : ce qui est clair par l’abondance des larmes qu'elle répandit et avec lesquelles elle lava les pieds du Seigneur. En tant qu'elle a choisi l’excellente part de la gloire céleste, elle reçoit le nom d'illuminatrice, parce qu'elle y a reçu avec avidité ce qu'elle a dans la suite rendu avec abondance : elle y a reçu la lumière avec laquelle elle a plus tard éclairé les autres. En tant qu'elle a choisi l’excellente part de la gloire céleste, elle est nommée illuminée, parce qu'elle est maintenant illuminée dans son esprit par la lumière de la parfaite connaissance, et que, dans son corps, elle sera illuminée de clarté. Madeleine veut dire restant coupable (manens rea) ou bien encore munie, invaincue, magnifique, qualités qui indiquent ce qu'elle fut avant, pendant, et après sa conversion.

* Raban, Maur, Bréviaires de: Provence.

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Avant sa conversion en. effet, elle restait coupable et engagée à la damnation éternelle; pendant sa conversion, elle était munie et invaincue, parce qu'elle était armée de pénitence; elle se munit donc excellemment de toutes les armes de la pénitence ; car autant elle a eu de délectation, autant elle en a fait l’objet de ses holocaustes. Après sa conversion elle fut magnifique par la surabondance de grâces, car où avait abondé le péché, là a surabondé la grâce *.

Marie, surnommée Magdeleine, du château de Magdalon, naquit des parents les plus illustres, puisqu'ils descendaient de la race royale. Son père se nommait Syrus et sa mère Eucharie. Marie possédait en commun avec Lazare, son frère et Marthe, sa soeur, le château de Magdalon, situé à deux milles de Génézareth, Béthanie qui est proche de Jérusalem, et une grande partie de Jérusalem. Ils se partagèrent cependant leurs biens de cette manière : Marie eut Magdalon d'où elle fut appelée Magdeleine, Lazare retint ce qui se trouvait à Jérusalem, et Marie posséda Béthanie. Mais comme Magdeleine recherchait tout ce qui peut flatter les sens, et que Lazare avait son temps employé au service militaire, Marthe, qui était pleine de prudence, gouvernait avec soin les intérêts de sa soeur et ceux de son frère; en outre elle fournissait le nécessaire aux soldats, à ses serviteurs, et aux pauvres.

* Pour la vie de sainte Marie-Magdeleine, consulter les Monuments de l’apostolat, par M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice. Celte publication extraordinaire confirme les faits de la légende, à l’exception du pèlerinage du prince à Rome et à Jérusalem avec saint Pierre. Toutefois, M. Faillon ne parait rejeter ce fait qu'en s'appuyant sur l’impossibilité où le prince aurait pu d'être reconnu par saint Pierre à la croix qu'il portait sur l’épaule. Ce qui ne paraît pas rigoureux.

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Toutefois ils vendirent tous leurs biens après l'ascension,de J.-C. et en apportent le prix aux apôtres. Comme donc Magdeleine regorgeait de richesses et que la volupté est la compagne accoutumée de nombreuses possessions, plus elle brillait par ses richesses et sa beauté, plus elle salissait son corps par la volupté; aussi perdit-elle son nom propre pour ne plus porter que celui de pécheresse. Comme J.-C. prêchait çà et là, inspirée par la volonté divine, et ayant entendu dire que J.-C. dînait chez Simon le lépreux, Magdeleine y alla avec empressement, et n'osant pas, en sa qualité de pécheresse, se mêler avec les justes, elle resta aux pieds du Seigneur, qu'elle lava de ses larmes, essuya avec ses cheveux et parfuma d'une essence précieuse : car les habitants du pays, en raison de l'extrême chaleur du soleil, usaient de parfums et de bains. Comme Simon le pharisien pensait à part soi que si J.-C. était un prophète, il ne se laisserait pas toucher par une pécheresse, le Seigneur le reprit de son orgueilleuse justice et remit à cette femme tous ses péchés. C'est à cette Marie-Magdeleine que le Seigneur accorda tant de bienfaits et donna de si grandes marques d'affection. Il chassa d'elle sept démons, il l'embrasa entièrement d'amour pour lui; il en fit son amie de préférence; il était son hôte; c'était elle qui; dans ses courses, pourvoyait à ses besoins, et en toute occasion il prenait sa défense.

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Il la disculpa auprès du pharisien qui la disait immonde, auprès de sa soeur qui la traitait de paresseuse, auprès de Judith qui l'appelait prodigue. En voyant ses larmes, il ne put retenir les siennes. Par son amour, elle obtint que son frère, mort depuis trois jours, fût ressuscité ; ce fut à son amitié que Marthe, sa soeur, dut d'être délivrée d'un flux de sang, dont elle était affligée depuis sept ans; à ses mérites Martille, servante, de sa soeur, dut d'avoir l'honneur de proférer ce mot si doux qu'elle dit en s'écriant : « Bienheureux le sein qui vous a porté. » D'après saint Ambroise, en effet, c'est de Marthe et de sa servante qu'il est question en cet endroit. C'est elle, dis-je, qui lava les pieds du Seigneur de ses larmes, qui les essuya avec ses cheveux, qui les parfuma d'essence, qui, le temps de la grâce arrivé, fit tout d'abord une pénitence exemplaire, qui choisit la meilleure part, qui se tenant assise aux, pieds du Seigneur écouta sa parole, et lui parfuma la tête, qui était auprès de la croix lors de la passion, qui prépara des aromates dans l'intention d'embaumer son corps, qui ne quitta pas le sépulcre quand les disciples se retirèrent ; ce fut à elle la première que J.-C. apparut lors de sa résurrection, et il la fit l'apôtre des apôtres.

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Après l'ascension du Seigneur, c'est-à-dire quatorze ans après la passion, les Juifs ayant massacré depuis longtemps déjà saint Étienne et ayant chassé les autres disciples de leur pays, ces derniers se retirèrent dans les régions habitées par les gentils, pour y semer la parole de Dieu. Il y avait pour lors avec les apôtres saint Maximin, l'un des 72 disciples, auquel Marie-Magdeleine avait été spécialement recommandée par saint Pierre. Au moment de cette dispersion, saint Maximin, Marie-Magdeleine, Lazare, son frère, Marthe, sa soeur, et Manille, suivante de Marthe, et enfin le bienheureux Cédonius, l’aveugle-né guéri  par le Seigneur, furent mis par les infidèles sur un vaisseau tous ensemble avec plusieurs autres chrétiens encore; et abandonnés sur la mer sans aucun pilote afin qu'ils fussent engloutis en même temps. Dieu permit qu'ils abordassent à Marseille. N'ayant trouvé la personne qui voulût les recevoir, ils restaient sous le portique d'un temple élevé à la divinité du pays. Or, comme sainte Marie-Magdeleine voyait le peuple accourir pour sacrifier aux dieux, elle se leva avec un visage tranquille, le regard serein, et par des discours fort adroits, elle le détournait du culte des idoles et lui prêchait sans cesse J.-C. Tous étaient dans l’admiration pour ses manières fort distinguées, pour sa facilité à parler, et pour le charme de son éloquence. Ce n'était pas merveille si une bouche qui avait embrassé avec autant de piété et de tendresse les pieds du Sauveur, eût conservé mieux que les autres le parfum de la parole de Dieu.

Alors arriva un prince du pays avec son épouse qui venait sacrifier aux idoles pour obtenir un enfant. Magdeleine, en leur annonçant J.-C., les dissuada d'offrir des sacrifices. Quelques jours s'étant écoulés, Magdeleine, se montra dans une vision à cette dame et lui dit: « Pourquoi, vous qui vivez dans l’abondance, laissez-vous les saints. de Dieu mourir de faim et de froid? » Elle finit par la menacer que si elle ne persuadait pas à son mari de venir au secours de la misère des saints, elle encourrait la colère du Dieu tout puissant. Toutefois la princesse n'eut pas la force de découvrir sa vision à son mari.

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La nuit suivante Magdeleine lui apparut et lui dit la même chose; mais cette femme négligea encore d'en faire part à son. époux. Une troisième fois, au milieu du silence de la nuit, Marie apparut à l’un et à l’autre ; elle frémissait et le feu de sa colère jetait une lumière qui aurait fait croire que toute la maison était eu flammes. « Dors-tu, tyran, dit-elle ? membre de Satan qui est ton père, tu reposes avec cette vipère, ta femme, qui n'a pas voulu te faire connaître ce que je lui ai dit. Te reposes-tu, ennemi de la croix de J.-C. ? Quand ton estomac est rempli d'aliments de toutes sortes, tu laisses périr de faim et de soif les saints de Dieu. Tu es couché dans un palais; autour de toi ce ne sont que tentures de soie, et tu les vois désolés et sans asile, et tu passes outre. Non, cela ne finira pas de cette sorte : et ce ne sera pas impunément que tu auras différé de leur faire du bien. » Elle dit et se retira.

— A son réveil la femme, haletante et effrayée, dit  à son mari troublé comme elle : «Mon seigneur, avez-vous eu le même songe que moi? » « Oui, répondit-il, et je ne puis  m’empêcher d'admirer et de craindre. Qu'avons-nous donc à faire? » « Il vaut mieux pour nous, reprit la femme, nous conformer à ce qu'elle dit, plutôt que d'encourir la colère de son Dieu dont elle nous menace. » Ils reçurent donc les saints chez eux, et leur fournirent le nécessaire.

Or, un jour que Marie-Magdeleine prêchait, le prince dont on vient de parler lui dit: « Penses-tu pouvoir justifier la foi que tu prêches ? » « Oui, reprit-elle, je suis prête à la défendre; elle est confirmée par les miracles quotidiens et la prédication de mon maître  saint Pierre, qui préside à Rome. Le prince et son épouse lui dirent : « Nous voilà disposés à obtempérer à tous tes dires, si tu nous obtiens un fils du Dieu que tu prêches. » « Alors, dit Magdeleine, ce ne sera pas moi qui serai un obstacles. »

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Et la bienheureuse pria pour eux le Seigneur qu'il leur daignât accorder un fils. Le Seigneur exauça ses prières et la dame conçut.. Alors son mari voulut partir pour aller trouver saint Pierre, afin de s'assurer si ce qu'avait annoncé Magdeleine touchant J.-C. était réellement la vérité. Sa femme lui dit: « Quoi ! mon seigneur, pensez-vous partir sans moi ? Point du tout ; si vous partez, je partirai, si vous venez, je viendrai, si vous restez, je resterai. » Son mari lui dit: « Il n'en sera pas ainsi, ma dame ; car vous êtes enceinte et sur la mer on court des dangers sans nombre ; vous pourriez donc, facilement être exposée; vous resterez en repos à la maison et vous veillerez sur nos possessions. » Elle n'en persista pas moins, et obstinée comme l’est une personne de son sexe, elle se jeta avec larmes aux pieds de son mari qui obtempéra enfin à sa demande. Alors Marie mit le signe de la croix sur leurs épaules de crainte: que l’antique ennemi ne leur nuisit en route. Ils chargèrent un vaisseau de tout ce qui leur était nécessaire, et après avoir laissé le reste à la garde de Marie-Madgdeleine, ils partirent. Ils n'avaient voyagé qu'un jour et une nuit quand la mer commença à s'enfler, le vent à gronder, de sorte que tous les passagers et principalement la dame enceinte et débile, ballottés ainsi par les vagues, furent en proie aux plus graves inquiétudes; les douleurs de l’enfantement saisirent la femme tout à coup, et au milieu de ses souffrances et de la violence de la tempête, elle mit un enfant au monde et expira.

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Or, le petit nouveau-né palpitait éprouvant. le besoin de se nourrir du lait de sa mère qu'il semblait chercher en poussant des vagissements pitoyables. Hélas! quelle douleur! En recevant la vie, cet enfant avait donné la mort à sa mère, il ne lui restait plus qu'à mourir lui-même puisqu'il n'y avait personne pour lui administrer la nourriture nécessaire à sa conservation. Que fera le pèlerin en voyant sa femme morte, et son, fils qui, par ses cris plaintifs, exprimait le désir de prendre le sein? Il se lamentait beaucoup en disant: « Hélas ! malheureux! que feras-tu ? Tu as souhaité un fils et tu as perdu la mère qui lui donnait la vie. » Les matelots criaient : « Qu'on jette ce corps à la mer, avant que nous ne soyons engloutis en même temps que lui, car tant qu'il sera avec nous, cette tempête ne cessera pas.» Et comme ils avaient pris le cadavre pour le jeter à la mer: « Un instant, dit le pèlerin, un instant: si vous ne voulez pas attendre ni pour la mère ni pour moi, ayez pitié au moins de ce petit enfant qui crie; attendez un instant, peut-être que la mère a seulement perdu connaissance dans sa douleur et qu'elle vit encore.» Et voici que non loin,du vaisseau apparut une colline ; à cette vue, il pensa qu'il n'y avait rien de mieux à faire que d'y transporter le corps de la mère et l’enfant plutôt que de les jeter en pâture, aux bêtes marines.

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Ce fut par prières et par argent qu'il parvint à obtenir des matelots d'aborder. Et comme le rocher était si dur qu'il ne put creuser une fosse, il plaça le corps enveloppé d'un manteau dans un endroit des plus écartés de la montagne et déposant son fils contre son sein, il dit : « O Marie-Magdeleine ; c'est pour mon plus grand malheur que tu as abordé à Marseille! Pourquoi, faut-il que j'aie eu le malheur d'entreprendre ce voyage d'après tes avis? As-tu demandé à Dieu que ma femme conçût afin qu'elle pérît ? Car voici qu'elle a conçu et, en devenant mère, elle subit la mort; son fruit est né et il faut qu'il meure, puisqu'il n'y a personne pour le nourrir. Voici ce que j'ai obtenu par ta prière, je t'ai confié tous mes biens, je les confie à ton Dieu. Si tu as quelque pouvoir, souviens-toi de l’âme de la mère et à ta prière que ton Dieu ait pitié de l’enfant et ne le laisse pas périr. » Il enveloppa alors dans son manteau le corps de sa femme et de son fils et remonta sur le vaisseau.

Quand il fut arrivé chez saint Pierre, celui-ci vint à sa rencontre, et en voyant le signe de la croix attaché sur ses épaules il lui demanda qui il était et d'où il venait. Le pèlerin lui raconta tout ce qui s'était passé. — Pierre lui dit: « La paix soit avec vous,. vous avez bien fait de venir et vous avez été bien inspiré de croire. Ne vous tourmentez pas si votre femme dort, et si son enfant repose avec elle ; car le Seigneur a le pouvoir de donner à qui il veut, de reprendre ce qu'il a donné, de rendre ce qui a été enlevé, et de changer votre douleur en joie. »  Or, saint Pierre le conduisit lui-même à Jérusalem et lui montra chacun des endroits où J.-C. avait prêché, et avait fait des miracles, comme aussi le lieu où il avait souffert, et celui d'où il était monté aux cieux.

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Après avoir été instruit avec soin dans la foi par saint Pierre, il remonta sur un vaisseau après deux ans révolus, dans l’intention. de regagner sa patrie. Dieu permet que„ dans le trajet, ils passassent auprès de la colline où avait été déposé le corps de sa femme avec le nouveau-né, et par prière et par argent il obtint d'y débarquer. Or, le petit enfant, qui avait été gardé sain et sauf par sainte Marie-Magdeleine, venait souvent sur le rivage, et comme tous les enfants, il avait coutume de se jouer avec des coquillages et des cailloux. En abordant, le pèlerin vit donc un petit enfant qui s'amusait, comme on le fait à son âge, avec des pierres; il ne se lassait pas, d'admirer jusqu'à ce qu'il descendît de la nacelle. En l’apercevant, l’enfant, qui n'avait jamais vu de semblable chose, eut peur, courut comme il avait coutume de le faire au sein de sa mère sous le manteau de laquelle il se cacha. Or, le pèlerin; pour mieux s'assurer de ce qui se passait, s'approcha de cet endroit et y trouva un très bel enfant qui prenait le sein de sa mère. Il l’accueillit dans ses bras. « O bienheureuse Marie-Magdeleine, dit-il, quel bonheur pour moi ! comme tout me réussirait, si ma femme vivait et pouvait retourner avec moi dans notre patrie! Je sais, oui, je sais, et je crois sans aucun doute que vous qui  m’avez donné un enfant et qui l’avez nourri sur rocher pendant deux ans, vous pourriez, par vos prières, rendre à sa mère la santé dont elle a joui auparavant. »

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A ces mots, la femme respira et dit comme si elle se réveillait: « Votre mérite est grand, bienheureuse Marie-Magdeleine, vous êtes glorieuse, vous qui, dans les douleurs de l’enfantement, avez rempli pour moi l’office de sage-femme, et qui en toute circonstance  m’avez rendu les bons soins d'une servante. » En entendant ces paroles, le pèlerin fut plein d'admiration. « Vivez-vous, dit-il, ma chère épouse? » « Oui, répondit-elle, je vis ; je viens d'accomplir le pèlerinage que vous avez fait vous-même. C'est: saint Pierre qui vous a conduit à Jérusalem et qui vous a montré tous les lieux où J.-C. a souffert, est mort et a été enseveli, et beaucoup d'autres encore; moi, c'est avec sainte Marie-Magdeleine pour compagne et pour guide que j'ai vu chacun de ces lieux avec vous; j'en ai confié le souvenir à ma mémoire. » Alors elle énuméra tous les endroits où J.-C. a souffert, raconta les miracles qui avaient eu son mari pour témoin, sans la moindre hésitation. Le pèlerin joyeux prit la mère et l’enfant,s'embarqua et peu après ils abordèrent à Marseille, où, étant entrés, ils trouvèrent sainte Marie-Magdeleine annonçant la parole de Dieu avec ses disciples. Ils se jetèrent à ses pieds en pleurant, lui racontèrent tout ce qui leur était arrivé, et reçurent le saint baptême des mains du bienheureux Maximin. Alors ils détruisirent dans Marseille tous les temples des idoles, et élevèrent des églises en l’honneur de J.-C., ensuite ils choisirent à l’unanimité le bienheureux Lazare pour évêque de la cité. Enfin conduits par l’inspiration de Dieu, ils vinrent à Aix dont ils convertirent la population à la foi de J.-C. en faisant beaucoup de miracles et où le bienheureux Maximin fut de son côté, ordonné évêque.

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Cependant la bienheureuse Marie-Magdeleine, qui aspirait ardemment se livrer à la contemplation des choses supérieures, se retira dans un désert affreux où elle resta inconnue l’espace de trente ans, dans un endroit préparé par les mains des anges. Or, dans ce lieu, il n'y avait aucune ressource, ni cours d'eau, ni arbres, ni herbe, afin qu'il restât évident que notre Rédempteur avait disposé de la rassasier; non pas de nourritures terrestres, mais seulement des mets du ciel. Or, chaque jour, à l’instant des sept heures canoniales; elle était enlevée par les anges au ciel et elle y entendait, même des oreilles du corps, les concerts charmants des chœurs célestes. Il en résultait que, rassasiée chaque jour à cette table succulente, et ramenée par les mêmes anges aux lieux qu'elle habitait, elle n'éprouvait pas le moindre besoin d'user d'aliments corporels. Un prêtre, qui désirait mener une vie solitaire, plaça sa cellule dans un endroit voisin de douze stades de celle de Marie-Magdeleine. Un jour donc, le Seigneur ouvrit les yeux de ce prêtre qui put voir clairement comment les anges descendaient dans le lieu où demeurait la bienheureuse Marie, la soulevaient dans les airs et la rapportaient une heure après dans le même lieu, en chantant les louanges du Seigneur. Alors le prêtre, voulant s'assurer de la réalité de cette vision; après s'être recommandé par la prière à son créateur, se dirigea avec dévotion et courage vers cet endroit . il n'en était éloigné que d'un jet de pierre, quand, ses jambes commencèrent à fléchir, une crainte violente le saisit et lui ôta la respiration : s'il revenait en. arrière, ses jambes et ses pieds reprenaient des forces pour marcher, mais s'il rebroussait chemin pour tenter de s'approcher du lieu en question, autant de fois la lassitude s'emparait de son corps, et son esprit s'engourdissait.

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L'homme de Dieu comprit donc qu'il y avait là un secret du ciel auquel l’esprit humain ne pouvait atteindre. Après avoir invoqué le nom du Sauveur il s'écria : « Je t'adjure par le Seigneur, que si tu es un homme ou. bien une créature raisonnable habitant cette, caverne, tu me répondes et tu me dises la vérité. « Et quand il eut répété, ces mots par trois fois, la  bienheureuse Marie-Magdeleine lui répondit : «Approchez plus près, et vous pourrez connaître la vérité de tout ce que votre âme désire » Quand il se fut approché tout tremblant jusqu'au milieu de la voie à parcourir, elle lui dit : « Vous souvenez-vous qu'il est question, dans l’Évangile, de Marie, cette fameuse pécheresse, qui lava de ses larmes les pieds du Sauveur, et les essuya de ses cheveux, ensuite mérita le pardon de ses fautes?» Le prêtre lui répondit : « Je  m’en. souviens; et depuis plus de trente ans la sainte église croit et confesse ce fait.» — « C'est moi, dit-elle, qui suis cette femme. J'ai demeuré inconnue aux hommes l’espace de trente ans, et comme il vous a été accordé de le voir hier, chaque jour, je suis enlevée au ciel par les mains des anges, et j'ai eu le bonheur d'entendre des oreilles du corps les admirables concerts des choeurs célestes, sept fois par chaque jour. Or, puisqu'il  m’a été révélé par le Seigneur que je dois sortir de ce monde, allez trouver le bienheureux Maximin, et dites-lui que, le jour de Pâques prochain, à l’heure qu'il a coutume de se lever pour aller à matines, il entre seul dans son oratoire et qu'il  m’y trouvera transportée par le ministère des anges. »

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Le prêtre entendait sa voix, comme on aurait dit de celle d'un ange, mais il ne voyait personne. Il se hâta donc d'aller trouver saint Maximin, et lui raconta tous ces détails. Saint Maximin, rempli d'une grande: joie, rendit alors au Sauveur d'immenses actions de grâce, et au jour et à l’heure qu'il lui avait été dit, en entrant dans son oratoire, il voit la bienheureuse Marie-Magdeleine debout dans le choeur, au milieu des anges qui l’avaient amenée. Elle était de deux coudées au-dessus de terre, debout au milieu des anges et priant Dieu, les mains étendues. Or, comme le bienheureux Maximin tremblait d'approcher auprès d'elle, Marie dit en se tournant vers lui : « Approchez plus près ; ne fuyez pas votre fille, mon père. » En s'approchant, selon qu'on le lit dans les livres de saint Maximin lui-même, il vit que le visage de la sainte rayonnait de telle sorte par les continuelles et longues communications avec les anges, que les rayons du soleil étaient moins éblouissants que sa face. Maximin convoqua tout le clergé et le prêtre dont il vient d'être parlé. Marie-Magdeleine reçut le corps et le sang du Seigneur des mains de l’évêque, avec une grande abondance de larmes. S'étant ensuite prosternée devant la base de l’autel, sa très sainte âme passa au Seigneur après qu'elle fut sortie de son corps, une odeur si suave se répandit dans le lieu même, que pendant près de sept jours, ceux qui entraient dans l’oratoire la ressentaient. Le bienheureux Maximin embauma le très saint corps avec différents aromates, l’ensevelit, et ordonna qu'on l’ensevelit lui-même auprès d'elle après sa mort.

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Hégésippe, ou bien Joseph, selon d'autres, est assez d'accord avec cette histoire. Il dit, en effet, dans son traité, que Marie-Magdeleine, après l’ascension du Seigneur, poussée par son amour envers J.-C. et par l’ennui qu'elle en avait, ne voulait plus jamais voir face d'homme; mais  que dans la suite elle vint au territoire d'Aix, s'en alla dans un désert où elle resta: inconnue l’espace de trente ans, et, d'après son récit chaque jour, elle était transportée dans le ciel pour les sept heures canoniales. Il ajoute cependant qu'un prêtre, étant venu chez elle, la trouva enfermée dans sa cellule. Il lui donna un vêtement sur la demande qu'elle lui en fit. Elle s'en revêtit, alla avec le prêtre à l’église où après avoir reçu la communion, elle éleva, les mains pour prier et mourut en paix vis-à-vis l’autel.

— Du temps de Charlemagne, c'est-à-dire, l’an du Seigneur 769, Gyrard, duc de Bourgogne, ne pouvant avoir de fils de son épouse, faisait de grandes largesses aux pauvres, et construisait beaucoup d'églises et de monastères. Ayant donc fait bâtir l’abbaye de Vézelay, il envoya, de concert avec l’abbé de ce monastère, un moine avec une suite convenable, à la ville d'Aix, pour en rapporter, s'il était possible, les reliques de sainte Marie-Madeleine. Ce moine arrivé à Aix trouva la ville ruinée de fond en comble par les païens; le hasard, lui fit découvrir un sépulcre dont les sculptures en marbre lui prouvèrent que le corps de sainte Marie-Magdeleine était renfermé dans l’intérieur; en effet l’histoire de la sainte était sculptée avec un art merveilleux sur le tombeau. Une nuit donc le moine le brisa, prit les reliques et les emporta à son hôtel. Or, cette nuit-là même, la bienheureuse Marie-Magdeleine apparut à ce moine et lui dit de n'avoir aucune crainte mais d'achever l’oeuvre qu'il avait entreprise.

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A son retour, il était éloigné d'une demi-lieue de son monastère, quand il devint absolument impossible de remuer les reliques, jusqu'à l’arrivée de l’abbé avec les moines qui les reçurent en procession avec grand honneur. Un soldat qui avait l’habitude de venir chaque année en pèlerinage au corps de la bienheureuse Marie-Magdeleine, fut tué dans une bataille. On l’avait mis dans le cercueil et ses parents en pleurs se plaignaient avec confiance à sainte Magdeleine de ce qu'elle avait laissé mourir, sans qu'il eût eu le temps de se confesser et de faire pénitence, un homme qui lui avait été si dévot. Tout à coup, à la stupéfaction générale,  celui qui était mort ressuscita, demanda un prêtre, et après s'être dévotement confessé et avoir reçu le viatique, il mourut en paix aussitôt.

— Un navire sur lequel se trouvaient beaucoup d'hommes et de femmes fit naufrage. Mais une femme enceinte, se voyant en danger de périr dans la mer, invoquait, autant qu'il était en son pouvoir, sainte Magdeleine, et faisait vœu que si, grâce à ses mérites elle échappait au naufrage et mettait un fils au monde, elle le dédierait à son monastère. A l’instant, une femme d'un aspect et d'un port vénérable lui apparut,  la prit par le menton, et la conduisit saine et sauve sur le rivage; quand tous les autres périssaient *. Peu de temps après, elle mit au monde un fils, et accomplit fidèlement son voeu.

* Vincent de B., Hist., l. XXIV, c. XXXV.

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— Il y en a qui disent que Marie-Magdeleine était fiancée à saint Jean l’évangéliste, et qu'il allait l’épouser quand J.-C. l’appela au moment de ses noces. Indignée de ce que le Seigneur lui avait enlevé son fiancé, Magdeleine s'en alla et se livra tout à fait à la volupté. Mais parce qu'il n'était pas convenable que la vocation de Jean fût pour Magdeleine une occasion de se damner, le Seigneur, dans sa miséricorde, la. convertit à la pénitence; et en l’arrachant aux plaisirs des sens, il la combla des joies spirituelles qui se trouvent dans l’amour de Dieu. Quelques-uns prétendent que si N.-S. admit saint Jean dans une intimité plus grande que les autres, ce fut parce qu'il l’arracha à l’amour de Magdeleine. Mais ce sont choses fausses et frivoles; car frère Albert, dans le prologue sur l’Evangile de saint Jean, pose en fait que cette fiancée dont saint Jean fut séparé au moment de ses noces par la vocation de J.-C., resta vierge, et s'attacha parla suite à la sainte Vierge Marie, mère de J.-C. et qu'enfin elle mourut saintement.

— Un homme privé de la vue venait au monastère de Vézelay visiter le corps de sainte, Marie-Magdeleine, quand son conducteur lui dit qu'il commençait à apercevoir l’église. Alors l’aveugle s'écria à haute voix: « O sainte Marie-Magdeleine ! que ne puis-je avoir le bonheur, de voir une fois votre église ! » et à l’instant ses yeux furent ouverts.

— Un homme avait écrit ses péchés sur: une feuille qu'il posa sous la nappe de l’autel de sainte Marie-Magdeleine, en la priant de lui en obtenir la rémission. Peu de temps après il reprit sa feuille et tous les péchés en avaient été effacés.

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— Un homme détenu en, prison pour de l’argent qu'on exigeait de lui, invoquait à son secours sainte Marie-Magdeleine; et voici qu'une nuit lui apparut une femme d'une beauté remarquable qui, brisant ses chaînes et lui ouvrant la porte, lui commanda de fuir. Ce prisonnier se voyant délivré s'enfuit aussitôt *.

— Un clerc de Flandre, nommé Etienne, était tombé dans de si grands crimes, en s'adonnant à toutes les scélératesses, qu'il ne voulait pas plus entendre parler des choses qui regardent le salut. qu'il ne les pratiquait. Cependant il avait une grande dévotion en sainte Marie-Magdeleine ; il jeûnait ses vigiles et honorait le jour de, sa fête. Une fois qu'il visitait son tombeau; sainte Marie-Magdeleine lui apparut; alors qu'il n'était ni tout à fait endormi, ni tout à fait éveillé; elle avait la figure d'une belle femme; ses veux étaient tristes, et elle était soutenue a droite et, à gauche par deux anges : alors elle lui dit: « Je t'en prie, Etienne, pourquoi te livres-tu à des actions indignes de moi ? Pourquoi n'es-tu pas touché des paroles pressantes que je t'adresse, de ma propre bouche? dès l’instant que tu as eu de la dévotion pour moi, j'ai toujours prié d'une manière pressante le Seigneur pour toi. Allons, courage, repens-toi, car je ne t'abandonnerai pas que tu ne sois réconcilié avec Dieu. » Et il se sentit inondé de tant de grâces que, renonçant au inonde, il entra en religion et mena une vie très parfaite. A sa mort, on vit sainte Marie-Magdeleine apparaître avec des anges auprès de son cercueil, et porter au ciel, avec des cantiques, son âme sous la forme d'une colombe **.


* Vincent de B., Hist., 1. XXIV, c. XXXV, ms. de la Bible, Bibliothèque nationale, n° 5296.
** Denys le Chartr., Sermon IV, de sainte Marie-Magdeleine.


(98) SAINT APOLLINAIRE

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Apollinaire vient de pollens, resplendissant, et de ares, vertu, resplendissant de vertus : ou bien de pollo, qui signifie admirable et naris, narine ; par quoi l’on entend la discrétion ; c'est comme si l’on disait. homme d'une discrétion admirable. Il peut encore venir de a, sans, de polluo, souiller, et ares, vertu, homme vertueux non souillé par le vice.

Saint Apollinaire fut disciple de saint Pierre qui l’envoya de Rome à Ravenne où, après avoir guéri la femme du tribun, il la baptisa avec son mari et sa famille. Le juge en fut informé et Apollinaire fut mandé le premier pour comparaître devant lui. On le conduisit au temple de Jupiter pour qu'il sacrifiât. Comme il disait aux prêtres que l’or des idoles et l’argent qu'on y suspendait seraient mieux employés en les donnant aux pauvres qu'à les exposer ainsi devant les démons, il fut saisi aussitôt -et battu avec des fouets jusqu'à rester à demi mort : mais il fut recueilli par ses disciples et soigné pendant sept mois dans la maison d'une veuve. De là il vint à Classe** pour y guérir un noble qui était muet ***.
**Bourg à 3/4 de lieue de Ravenne dont il est le port.
***Bréviaire romain.

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Comme il entrait dans 1a maison, une jeune fille possédée d'un esprit immonde s'écria : « Retire-toi d'ici, serviteur de Dieu; sinon je te ferai jeter hors de la ville les mains et les pieds liés. » Saint Apollinaire la reprit aussitôt et força le démon à s'en aller. Après avoir invoqué le nom du Seigneur sur le muet et l’avoir guéri, plus de cinq cents hommes reçurent le don de la foi. Cependant les païens l’accablèrent à coups de fouet pour l’empêcher de nommer J.-C. : mais le saint étendu par terre criait que c'était le vrai Dieu. Alors ils le firent tenir debout et nu-pieds sur des charbons ardents, mais comme il prêchait encore J.-C. avec la plus grande constance, ils le chassèrent hors de la ville *.

Dans le même temps, Rufus, patricien de Ravenne, dont la fille était malade, avait appelé saint Apollinaire pour la guérir : mais celui-ci était à peine entré dans la maison qu'elle mourut. Rufus lui dit : « Il eut été à souhaiter que tu ne fusses pas entré chez moi, car les grands dieux irrités n'ont pas voulu guérir ma fille : mais toi, que lui pourras-tu faire ? » « Ne crains rien, lui répondit Apollinaire; seulement jure-moi; que si ta fille ressuscite, tu ne l’empêcheras pas de s'attacher à son créateur. » Il le promit et saint Apollinaire ayant fait une prière, la fille ressuscita. Elle confessa le nom de J.-C., reçut le baptême avec sa mère et une grande multitude de personnes,, et elle vécut dans la virginité . Quand César apprit cela, il écrivit au préfet du prétoire de faire sacrifier Apollinaire, ou de l’envoyer en exil. Apollinaire ayant refusé de sacrifier, le préfet le fit fouetter et ordonna qu'on l’étendît au chevalet pour le torturer.

* Bréviaire romain.
** Ibid.

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Le saint persistant à confesser J.-C., il fit jeter de l’eau bouillante sur ses plaies et voulut l’envoyer en exil après l’avoir garrotté d'une massé énorme de fer. Les chrétiens, à la vue d'une si grande impiété, s'enflammèrent contre les païens, se jetèrent sur eux et en tuèrent plus de deux cents: Alors le préfet se cacha, jeta Apollinaire au fond d'une prison très profonde, ensuite il le fit mettre sur un vaisseau après l’avoir enchaîné, et le fit partir en exil: avec trois clercs qui suivaient le saint. Il s'éleva une tempête, et il n'y eut de sauvé que lui, les deux clercs et deux soldats qu'il baptisa. Revenu ensuite à Ravenne, où les païens le prirent et le conduisirent au temple d'Apollon, aussitôt qu'il eut aperçu: la statue de l’idole; il la maudit et tout aussitôt, elle tomba. A cette vue, les prêtres le menèrent au juge Taurus. Ce juge, après que le saint eut rendu l’usage de ses yeux à son fils qui était aveugle, se convertit à la foi, et garda Apollinaire pendant quatre ans dans son domaine. Les prêtres des faux dieux l’ayant accusé à Vespasien, celui-ci répondit que quiconque insultait les dieux devait sacrifier ou bien être chassé de la ville : « Il n'est pas juste, ajoutait-il, que nous vengions les dieux; mais, s'ils s'irritent, ils pourront se venger eux-mêmes de leurs ennemis. »

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Alors le patrice Démosthène, sur le refus que lui fit saint Apollinaire de sacrifier, le confia à un centurion déjà chrétien. Celui-ci demanda au saint de venir au quartier des lépreux pour y échapper à la fureur des gentils; mais le peuple l’y poursuivit et le frappa si longtemps qu'il en mourut, après sept jours employés par lui à donner des avis à ses disciples; il fut enseveli ensuite avec les plus grands honneurs au même endroit par les chrétiens, sous l’empire de Vespasien, l’an du Seigneur 70.

— Saint Ambroise s'exprime ainsi sur ce martyr dans la préface : « Le très digne prélat Apollinaire est envoyé par le prince des apôtres Pierre à Ravenne, annoncer aux incrédules le nom de Jésus. Après y avoir opéré un grand nombre de miracles eu faveur de ceux qui croyaient en J.-C., il fut souvent accablé sous les coups de fouet; et son corps déjà vieux fut soumis à des traitements horribles de la part des impies. Mais afin que les fidèles ne fussent pas ébranlés dans la foi en présence de pareils tourments, il opérait des miracles comme les apôtres. par la puissance de N.-S. J.-C. Après ses supplices, il ressuscite une jeune personne, il rend la vue aux aveugles, la parole aux muets, il délivre une possédée du démon, il guérit un lépreux, il rend la santé à un pestiféré dont les membres tombaient en dissolution; il renverse une idole et le temple qui l’abritait. O Pontife le plus digne de toute admiration et de tout éloge, qui mérita de recevoir le pouvoir dès apôtres avec la dignité épiscopale ! O courageux athlète de J.-C., sur le déclin et le froid des ans, il prêche au milieu des tortures avec constance J.-C., le Rédempteur du monde ! »


(99) SAINTE CHRISTINE *

P264

Christine, ointe du chrême ; elle eut en effet le baume de bonne odeur dans son genre de vie, l’huile de dévotion dans le cœur, et la bénédiction à la bouche.

Sainte Christine ** naquit de parents très nobles, à Tyr ***, en Italie. Son père la mit dans une tour avec douze suivantes; elle y avait des dieux d'argent et d'or. Comme elle était fort belle et que plusieurs la recherchaient en mariage, ses parents ne voulurent l’accorder à personne afin qu'elle restât consacrée au culte des dieux. Mais, instruite par le Saint-Esprit à avoir en horreur les sacrifices des idoles, elle cachait dans une fenêtre les encens avec lesquels on devait sacrifier. Son père étant venu, les suivantes lui dirent : « Ta fille, notre maîtresse, méprise nos divinités et refuse de leur sacrifier ; elle dit au reste qu'elle est chrétienne. » Le père, par ses caresses, l’exhortait à honorer les dieux, et elle lui dit : « Ne  m’appelles pas ta fille, mais bien celle de celui auquel on doit le sacrifice de louanges ; car ce n'est pas à des dieux mortels, mais au Dieu du ciel que j'offre des sacrifices. » Son père lui répliqua : « Ma fille, ne sacrifie pas seulement a un Dieu, de peur d'encourir la haine des autres. »

* Alphanus, archevêque de Salerne en 1085, a donné les actes de cette sainte qui se trouvent ici en abrégé.
** Cette légende est un abrégé fidèle de la vie et du martyre de sainte Christine écrite au XI° siècle par Alphanus, archevêque de Salerne.
*** Ville de Toscane engloutie dans le lac Bolsène.

P265

Christine lui répondit.: « Tu as bien parlé, tout en ne connaissant pas la vérité ; j'offre en effet des sacrifices au Père, au Fils, et au Saint-Esprit. » Son père lui dit : « Si tu adores trois dieux, pourquoi n'adores-tu pas aussi les autres ? » Elle répondit: « Ces trois ne font qu'une seule divinité. » Après cela Christine brisa les dieux. de son père et en donna aux pauvres l’or et l’argent. Quand le père revint pour adorer ses dieux, et qu'il ne les trouva plus, en apprenant des suivantes ce que Christine en avait fait, il devint furieux et commanda qu'on la dépouillât et qu'elle fût fouettée par douze hommes jusqu'à ce qu'ils fussent épuisés eux-mêmes. Alors Christine dit à son père : « Homme sans honneur et sans honte, abominable aux yeux de Dieu ! ceux qui me fouettent s'épuisent ; demande pour eux à tes dieux de la vigueur, si tu en as le courage! » Et son père la fit charger de chaînes et jeter en prison. Quand la mère apprit cela, elle déchira ses vêtements, alla trouver sa fille et se prosternant à ses pieds, elle dit : « Ma fille Christine, lumière de mes veux, aie pitié de moi, », Christine lui, répondit : « Que  m’appelez-vous votre, fille ? ne savez-vous pas que je porte le nom de mon Dieu ?» Or, la mère, n'ayant pu faire changer sa fille de résolution, revint trouver son mari. auquel elle déclara les réponses de Christine. . Alors le père la fit amener devant son tribunal et lui dit : « Sacrifie  aux dieux, sinon tu seras accablée dans les supplices; tu ne seras plus appelée ma fille. » Elle lui répondit: « Vous  m’avez fait grande grâce de ne plus  m’appeler maintenant fille du diable. Celui qui naît de Satan est démon ; tu es le père de ce même Satan. »

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Son père ordonna qu'on lui racleit les chairs avec des peignes et que ses jeunes membres fussent disloqués. Christine prit alors de sa chair qu'elle jeta à la figure de son père en disant: « Tiens, tyran, mange la chair que tu as engendrée. » Alors le père la fit placer sur une roue sous laquelle il fit allumer du feu avec de l’huile; mais la flamme qui en jaillit fit périr quinze cents personnes. Or, son père, qui attribuait tout cela à la magie, la fit encore une fois renfermer en prison, et quand la nuit fut venue, il commanda à ses gens de lui lier une pierre énorme au cou et de la jeter dans la mer. Ils le firent, mais aussitôt des anges la prennent, J -C. lui-même vient à elle et la baptise dans la mer en disant : « Je te baptise en Dieu, mon père, et en moi J.-C. son fils, et dans le Saint-Esprit. » Et il la confia à l’archange Michel qui l’amena sur la terre. Le père, qui apprit cela, se frappa le front en disant : « Par quels maléfices fais-tu cela, de pouvoir ainsi exercer ta magie dans la mer ? » Christine lui répondit : « Malheureux insensé ! c'est de J.-C. que j'ai reçu cette grâce. » Alors il la renvoya dans la prison avec ordre de la décapiter le lendemain.
Or, cette nuit-là même, son père Urbain fut trouvé mort. Il eut pour successeur un juge inique, appelé Elius *, qui fit préparer une chaudière dans laquelle on mit à bouillir de l’huile, de la résine et de la poix pour jeter Christine. Quatre hommes, agitaient la cuve afin que la sainte fût consumée plus vite.

* Alphanus le nomme Idion.

P267

Alors elle loua Dieu de ce qu'après avoir reçu une seconde naissance, il voulait qu'elle fût bercée comme un petit enfant. Le juge irrité ordonna qu'on lui rasât la tête et qu'on la menât nue à travers la ville jusqu'au temple d'Apollon. Quand, elle y fut arrivée; elle commanda à l’idole de tomber, ce qui la réduisit en poudre. A cette nouvelle le juge s'épouvanta et rendit l’esprit. Julien lui succéda: il fit chauffer une fournaise et y jeter Christine ; et elle resta intacte pendant cinq jours * qu'elle passa à chanter et à se promener avec des anges. Julien, qui apprit cela et qui l’attribua à la magie, fit jeter sur elle deux aspics, deux vipères et deux couleuvres. Les serpents lui léchèrent les pieds, les aspics ne lui firent aucun mal et s'attachèrent à ses mamelles, et les couleuvres en se roulant autour de son cou léchaient sa sueur. Alors Julien dit à un enchanteur «Est-ce que tu es aussi magicien? irrite les bêtes. » Et comme il le faisait, lés serpents se jetèrent sur lui et le tuèrent en un instant. Christine commanda. ensuite aux serpents, les envoya dans un désert et elle, ressuscita. le mort. Julien alors ordonna de lui- enlever les mamelles, d'où il coula du lait au lieu de sang. Ensuite il lui fit couper la langue; Christine n'en perdit pas l’usage de la parole;  elle ramassa sa langue et la jeta à la figure de Julien, qui, atteint à l’oeil, se trouva aveuglé. Julien irrité lui envoya deux flèches au coeur et une autre à son côté. En recevant ces coups elle rendit son esprit a Dieu, vers l’an, du Seigneur 287, sous Dioclétien.

P268

Son corps repose dans un château qu'on appelle Bolsene situé entre la Ville vieille et Viterbe. La tour qui était vis-à-vis de ce château a été renversée de fond en comble.

Alphanus le nomme Idion.
* Trois heures, d'après Alphanus.


(100) SAINT JACQUES LE MAJEUR *

Cet apôtre fut appelé Jacques, fils de Zébédée, Jacques, frère de Jean, Boanergès, c'est-à-dire fils du tonnerre, et Jacques le Majeur. On appelle Jacques, fils de Zébédée; non pas seulement parce qu'il fut son fils selon la chair, mais pour faire comprendre son nom. Zébédée signifie donnant ou donné, et saint Jacques se donna lui-même à J. C. par sa mort qui fut un martyre; et il a été donné de Dieu pour être notre patron ** spirituel. On l’appelle Jacques, frère de Jean, parce qu'il fut son frère et, selon la chair et selon la ressemblance de la conduite. Tous les deux en effet eurent le même zèle, le même désir de savoir, et firent les mêmes souhaits. Ils eurent le même zèle pour venger le Seigneur ; en effet comme les Samaritains ne voulaient pas recevoir J -C., Jacques et Jean dirent: « Voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel descende et qu'il consume ces gens-là ? » Ils eurent le même goût pour apprendre : ce furent eux principalement qui interrogèrent J.-C. au sujet du jour du jugement et des autres choses a venir. Ils firent les mêmes souhaits, car tous les deux voulurent avoir leur place pour s'asseoir l’un à la droite et l’autre à la gauche de J.-C. On l’appelle fils du tonnerre, en raison du bruit que faisaient ses prédications, parée qu'il effrayait les méchants, il excitait les paresseux, et il s'attirait l’admiration générale par la profondeur de ses paroles.

* Pour la légende de saint Jacques, on peut consulter les notes de Bivar sur la Chronique de Dexter. Les traditions des églises d'Espagne s'y trouvent exposées fort au long.
** Le lecteur se rappelle que l’auteur s'appelle Jacques.

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II en fut de lui comme de saint Jean; dont Bède dit: «  Il a retenti si haut que s'il eût retenti un peu plus, le monde entier n'aurait pu le contenir. » On l’appelle Jacques le Majeur comme l’autre est appelé le Mineur : 1° en raison de vocation; car il fut appelé le premier par J.-C. 2° en raison de familiarité; car J.-C. parait avoir été plus familier avec lui qu'avec l’autre ; on en a la certitude, puisque le Sauveur l’admettait dans ses secrets ainsi il l’admit à la résurrection de la jeune fille, et à sa glorieuse transfiguration; 3° en raison de sa passion; car ce fut le, premier des apôtres qui souffrit le martyre. De même qu'on l’appelle majeur pour avoir été le premier à l’honneur de l’apostolat, de même on peut l’appeler majeur pour avoir été appelé le premier à la gloire de l’éternité.

Saint Jacques, apôtre, fils de Zébédée, après l’ascension du Seigneur, prêcha en Judée et dans le pays de Samarie ; il vint enfin en Espagne, pour y semer la parole de Dieu; mais comme il voyait que ses paroles ne profitaient pas, et qu'il n'y avait gagné que neuf disciples, il en laissa deux seulement pour prêcher, dans le pays, et il revint avec les autres en Judée. Cependant maître Jean Beleth dit qu'il ne convertit qu'un seul homme en Espagne. Pendant qu'il prêchait en Judée ,la parole de Dieu, un magicien nommé Hermogène,d'accord avec les Pharisiens, envoya à saint Jacques un de ses disciples, nommé Philétus, pour prouver à l’apôtre que ce qu'il annonçait était faux. Mais l’apôtre l’ayant convaincu devant une foule de personnes par des preuves évidentes, et opéré en sa, présence de nombreux, miracles, Philétus revint trouver Hermogène, en justifiant la doctrine de saint Jacques : il raconta en outre les miracles opérés par le saint, déclara vouloir devenir son disciple; et l’exhorta lui-même à l’imiter.

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Mais Hermogène en colère, le rendit tellement immobile par sa magie qu'il ne pouvait remuer un seul membre : « Nous verrons, dit-il, si tort Jacques te déliera. » Philétus informa Jacques de cela par son valet, l’apôtre lui envoya son suaire et dit : «Qu'il prenne ce suaire et qu'il dise : « Le Seigneur relève, ceux qui sont abattus ; il délie ceux qui sont enchaînés (Ps. CXLV). » Et aussitôt qu'on eut touché Philétus avec le suaire, il fut délié de ses chaînes, se moqua des sortilèges d'Hermogène et se hâta d'aller trouver saint Jacques. Hermogène irrité convoqua les démons, et leur ordonna de lui amener Jacques garrotté avec Philétus, afin de se venger d'eux et qu'à l’avenir les disciples de l’apôtre n'eussent plus l’audace de l’insulter. Or, les démons qui vinrent vers Jacques se mirent à hurler dans l’air en disant : « Jacques, apôtre, ayez pitié de nous; car nous brûlons dès avant que notre temps soit venu. » Saint. Jacques leur dit : « Pourquoi êtes-vous venus vers moi? » Ils répondirent : « C'est Hermogène qui nous a envoyés pour vous amener à lui, avec Philétus ; mais à peine nous dirigions-nous vers vous que l’ange de Dieu nous a liés avec des chaînes de feu et nous a beaucoup tourmentés. » « Que l’ange du Seigneur vous délie, reprit l’apôtre; retournez à Hermogène et amenez-le moi garrotté, mais sans lui faire de mal. » Ils s'en allèrent donc prendre Hermogène, lui lièrent les mains derrière le dos et l’amenèrent ainsi garrotté à saint Jacques, en disant : « Où tu nous as envoyés, nous avons été brûlés et horriblement tourmentés. »

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Et les démons dirent à saint Jacques : « Mettez-le sous notre puissance, afin que nous nous vengions des injures que vous avez reçues et du feu qui nous a brûlés. Saint Jacques leur dit : « Voici Philétus devant vous, pourquoi ne le tenez-vous pas? » Les démons répondirent : « Nous ne pouvons même pas toucher de la main une fourmi qui est dans vôtre chambre. » Saint Jacques alors dit à Philétus . « Afin de rendre le bien , polir le mal, selon que J.-C. nous l’a enseigné, Hermogéne vous a liés; vous, déliez-le. » Hermogène libre resta confus et saint Jacques lui dit : « Va librement oit tu voudras ; car nous n'avons pas pour principe de convertir quelqu'un malgré soi. » Hermogène répondit : « Je connais trop la rage des démons : Si vous ne me donnez un objet que je porte avec moi, ils me tueront. » Saint Jacques lui donna son bâton : alors Hermogène alla chercher tous ses livres de magie et les apporta à l’apôtre pour que celui-ci les brûlât. Mais saint Jacques, de peur que l’odeur de ce feu n'incommodât ceux qui n'étaient point sur leur garde, lui ordonna de jeter les livres dans la mer. Hermogène, à son retour, se prosterna aux pieds de l’apôtre et lui dit : « Libérateur des âmes, accueillez un pénitent que vous avez épargné jusqu'ici, quoique envieux et calomniateur.» Dès, lors il vécut dans la crainte de Dieu, au point qu'il opéra une foule de prodiges. Alors les Juifs, transportés de colère en voyant Hermogène converti, vinrent trouver saint Jacques et lui reprochèrent de prêcher Jésus crucifié. Mais il leur prouva avec évidence par les Écritures la venue du Christ et sa passion, et plusieurs crurent*.

* On peut voir, dans le transept sud de la cathédrale d'Amiens, des hauts reliefs reproduisant ce récit.

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Or, Abiathar, qui était grand-prêtre cette année-là, excita une sédition parmi le peuple; il fit conduire à Hérode Agrippa l’apôtre, une corde au cou. Le prince ordonna de décapiter saint Jacques et un paralytique couché sur le chemin lui cria de le guérir: Saint Jacques lui dit: « Au nom de J.-C. pour la foi duquel on va me couper la tête, lève-toi guéri, et bénis ton créateur. » A l’instant il se leva guéri et bénit le Seigneur. Or, un scribe appelé Josias, qui avait mis la cordé au cou de l’apôtre et qui le tirait, à la vue de ce miracle, se jeta à ses pieds, lui adressa des excuses et demanda à se faire chrétien. Abiathar à cette vue le fit empoigner et lui dit: « Si tu ne maudis le nom du Christ, tu seras décapité en même temps que Jacques. » Josias reprit : « Maudit sois-tu toi-même, maudites soient tes années, mais que le nom du Seigneur J.-C. soit béni dans les siècles.» Alors Abiathar lui fit frapper la bouche à coups de poing et envoya demander à Hérode l’autorisation de le décapiter avec Jacques*. Tous les deux allaient être décapités quand saint Jacques demanda au bourreau un vase plein d'eau, et baptisa Josias, immédiatement. L'un et l’autre consommèrent leur martyre,un instant après, en ayant la tête tranchée.

Saint Jacques fut décollé le 8 des calendes d'avril **, le jour de l’Annonciation du Seigneur; son corps fut transporté à Compostelle, le 8 des calendes d'août *** et enseveli le 3 des calendes de janvier *, parce que la construction de son tombeau dura de août à janvier.

* Ou bien, selon une autre version, le fit décapiter sans en demander l’autorisation à Hérode.
** 25 mars.
*** 25 juillet.

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L'Église établit qu'on célébrerait universellement sa fête au 8 des calendes d'août, qui est un temps plus convenable. Or, après que saint Jacques eut été décollé, ainsi que le rapporte Jean Beleth, qui a écrit avec soin l’histoire de cette translation , ses disciples enlevèrent son corps pendant 1a nuit par crainte des Juifs, le mirent sur un vaisseau; et abandonnant à la divine Providence le soin de sa sépulture, ils montèrent sur ce navire dépourvu de gouvernail ; sous la conduite de l’ange de Dieu, ils abordèrent en Galice, au royaume de Louve. Il y avait alors en Espagne une reine qui portait réellement ce nom et qui le méritait. Les disciples déchargèrent le corps, et le posèrent sur une pierre énorme, qui, en se fondant comme de la cire sous le corps, se façonna merveilleusement en sarcophage. Les disciples vinrent dire à Louve : « Le Seigneur J.-C. t’envoie le corps de son disciple, afin que tu reçoives mort celui que tu n'as pas voulu recevoir vivant. » Ils lui racontèrent alors le miracle par lequel il avait abordé en son pays sans gouvernail; et lui demandèrent un lieu convenable pour sa sépulture. La reine entendant cela; toujours selon Jean Beleth, les adressa, par supercherie, à un homme très cruel, ou bien, d'après d'autres auteurs, au roi d'Espagne, afin d'obtenir là-dessus son consentement; mais ce roi les fit mettre en prison.

* 30 décembre.
** Chap. CXL.

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Or, pendant qu'il était à table, l’ange du Seigneur ouvrit la prison et les laissa s'en aller en liberté. Quand le roi l’eut appris, il envoya à la hâte des soldats pour les ressaisir. Un pont sur lequel passaient les soldats vint à s'écrouler, et tous furent noyés dans le fleuve. A cette nouvelle, le roi, qui regrettait ce qu'il avait fait et qui craignait pour soi et pour les siens, envoya prier, les disciples de revenir chez lui et leur permit de lui demander tout ce qu'ils voudraient. Ils revinrent donc et convertirent à la foi tout le peuple de la cité. Louve fut très chagrinée en apprenant ces: faits; et quand les disciples la vinrent trouver pour lui présenter l’autorisation du roi, elle répondit : « Prenez mes boeufs qui sont en tel endroit ou sur la montagne ; attelez-les à un char, portez le corps de votre maître, puis dans le lieu qu'il vous plaira, bâtissez à votre goût. » Or, elle parlait en louve, car elle savait que ces boeufs étaient des taureaux indomptés et sauvages ; c'est pour cela qu'elle pensa qu'on ne pourrait ni les réunir, ni les atteler, ou bien que si on pouvait  les accoupler; ils courraient çà et là, briseraient le char, renverseraient le corps et tueraient les conducteurs eux-mêmes. Mais il n'y a point de sagesse contre Dieu (Prov., XXI). Ceux-ci, ne soupçonnant pas malice, gravissent la montagne, où ils rencontrent un dragon qui respirait du feu ; il allait arriver sur eux, quand ils firent le signé de la croix pour se défendre et coupèrent ce dragon par le milieu du ventre. Ils firent aussi le signe de la croix sur les taureaux qui, instantanément, deviennent doux comme des agneaux ; on les attelle ; et on met sur le char le corps de saint Jacques avec la pierre sur laquelle il avait été déposé.

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Les boeufs alors, sans que personne les dirigeât, amenèrent le corps au milieu du palais de Louve qui, à cette vue, resta stupéfaite. Elle crut et se fit chrétienne. Tout ce que les disciples demandèrent, elle le leur accorda; elle dédia en l’honneur de saint Jacques son palais pour en faire une église qu'elle dota magnifiquement; puis elle finit sa vie dans la pratique des bonnes oeuvres.

— Le pape Calixte dit qu'un, homme du diocèse de Modène, nommé Bernard, était captif et enchaîné au fond d'une tour ; constamment il invoquait saint Jacques. Le saint lui apparut : « Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice » ; puis il brisa, ses chaînes et disparut; alors le prisonnier suspendit ses chaînes à son cou, monta au haut de la tour d'où il ne fit qu'un saut sans se blesser, bien que la tour eût soixante coudées de hauteur.

— Un homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un péché énorme; or, l’évêque, peu rassuré en l’absolvant en confession, envoya cet homme à Saint-Jacques en lui donnant une cédule sur laquelle ce péché avait été écrit. Le pèlerin posa, le jour de la fête du saint, la cédule sur l’autel et pria saint Jacques de lui remettre le péché par ses mérites; après quoi il ouvrit la cédule et trouva tout effacé ; il rendit grâces à Dieu et à saint Jacques et raconta publiquement le fait à tout le monde.

— Trente hommes de la Lorraine, au rapport de Hubert de Besançon, allèrent vers l’an 1080 à Saint-Jacques, et se donnèrent l’un à l’autre, un seul excepté, la promesse de s'entr'aider.

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Or, l’un d'eux étant tombé malade, ses compagnons l’attendirent pendant 15 jours; mais enfin tous l’abandonnent à l’exception de celui-là seul qui ne s'était pas engagé. Il le garda au pied du mont Saint-Michel ; mais sur le soir le malade mourut: Or, le survivant eut une grande peur occasionnée par la solitude de l’endroit, par la présence du cadavre, par la nuit qui menaçait d'être noire, enfin par la férocité des barbares du pays; à l’instant saint Jacques lui apparut, sous la figure d'un chevalier et le consola en disant : « Donne-moi ce mort, et toi, monte derrière moi sur le cheval. » Ce fut ainsi que, cette nuit-là avant le lever du soleil, ils firent quinze journées de chemin et arrivèrent à Montjoie qui n'est qu'à une demi-lieue de Saint-Jacques. Là le saint les mit à terre et commanda de convoquer les chanoines de Saint-Jacques pour ensevelir le pèlerin qui était mort, et de dire à ses compagnons, que, pour avoir manqué à leur promesse, leur pèlerinage ne vaudrait rien. Le pèlerin accomplit ces ordres, et ses compagnons furent très saisis et pour le chemin qu'il avait fait, et des paroles qu'il leur rapporta avoir été dites par saint Jacques.

D'après le pape Calixte , un Allemand, allant avec son fils à Saint-Jacques, vers l’an du Seigneur 1090, s'arrêta pour loger à Toulouse chez un hôte qui l’enivra et cacha une coupe d'argent dans sa malle. Quand, ils furent partis le lendemain, l’hôte les poursuivit comme des voleurs et leur reprocha d'avoir volé sa coupe d'argent. Comme ils lui disaient qu'il les fît punir s'il pouvait trouver la coupe sur eux, on ouvrit leur malle et on trouva l’objet : on les traîna de suite chez le. juge.

* On parait douter si l’opuscule sur les miracles de saint Jacques appartient au pape Calixte. Il est tiré tout entier de Vincent de Beauvais : Spécula Hist., liv. XXVII. — Césaire d'Hesterhach récite le fait qui suit, liv. III, ch. LVIII.

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Il y eut un jugement qui prononçait que tout leur avoir fût adjugé à l’hôte, et que l’un des deux serait pendu. Mais comme le 'père voulait mourir à la place du fils et le fils à la place du père, le fils fut pendu et le père continua, tout chagrin, sa route vers Saint-Jacques. Or, vingt-six jours après, il revint, s'arrêta auprès du corps de son fils et il poussait des cris lamentables; quand voici que le fils attaché à la potence se mit à le consoler en disant : « Très doux père, ne pleure pas; car je n'ai jamais été si bien; jusqu'à ce jour saint Jacques  m’a sustenté, et il me restaure d'une douceur céleste. » En entendant cela, le père courut à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pèlerin qui 'était sain et sauf, et pendit l’hôte. — Hugues de Saint-Victor raconte qu'un pèlerin allait ,à Saint-Jacques, quand. le démon lui apparut sous la figure de ce saint et lui rappelant toutes les misères de la vie présente, il ajouta qu'il serait heureux s'il se tuait en sort honneur. Le pèlerin saisit une épée et se tua tout aussitôt. Et comme celui chez lequel il avait reçu l’hospitalité- passait pour suspect et craignait beaucoup de mourir, voilà que, à l’instant, le mort ressuscite, et dit qu'au moment où le démon, à la persuasion duquel il s'était donné la mort, le conduisait au supplice, le bienheureux Jacques était, venu, l’avait arraché des mains du démon et l’avait mené au trône du souverain juge; et là, malgré les accusations du démon, il avait obtenu d'être rendu à la vie.

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— Un jeune homme du territoire de Lyon, selon le récit de Hugues, abbé de Cluny, avait coutume d'aller souvent à Saint-Jacques et avec dévotion. Une fois, qu'il y voulait aller, il tomba, cette nuit-là même, dans le péché de fornication. Il partit donc; et une nuit, le diable lui apparut sous la figure de saint Jacques et lui dit : « Sais-tu qui je suis? » Le jeune homme lui demanda qui il était, et le diable lui dit : « Je suis l’apôtre Jacques que tu as coutume de visiter chaque année. Tu sauras que je me réjouissais beaucoup de ta dévotion, mais dernièrement, en sortant de ta maison, tu as commis une fornication et sans t'être confessé, tu as eu la présomption de t'approcher de moi, comme si ton pèlerinage pût plaire à Dieu et à moi. Cela n'est pas convenable : car quiconque désire venir à moi en pèlerinage doit d'abord s'accuser de ses péchés, en confession et ensuite faire le pèlerinage pour expier ses péchés. » Après avoir dit ces mots; le démon disparut. Alors le jeune homme tourmenté se disposait à revenir, chez lui, à se confesser, et ensuite à recommencer son voyage. Et voici que le diable lui apparaissant de nouveau, sous la figure de l’apôtre, le dissuada complètement de son projet, en l’assurant que jamais son péché ne lui serait remis, s'il ne se coupait radicalement les membres qui servent à la génération, qu'au reste il serait plus heureux, s'il voulait se tuer et être martyr en son honneur et nom. Pendant la nuit, et quand ses compagnons dormaient, le jeune homme prit une épée, se coupa les membres de la génération, ensuite il se perça le ventre avec le même instrument.

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Ses compagnons à leur réveil, voyant cela, eurent grande peur, et prirent aussitôt la fuite de crainte de passer pour coupables de cet homicide. Néanmoins pendant qu'on préparait sa fosse, celui qui était mort revint à la vie. Tout le monde s'enfuit épouvanté, et le pèlerin raconta ainsi ce qui lui était arrivé : « Quand je me fus tué a la suggestion du malin esprit, les démons me prirent ; et ils me conduisaient vers Rome, quand voici saint Jacques qui accourut après nous, en reprochant vivement ces tromperies aux démons. Et après s'être disputés longtemps, saint Jacques les y forçant, nous vînmes dans un pilé où la sainte Vierge s'entretenait avec un grand nombre de saints. Jacques t'ayant implorée pour moi, la sainte Vierge adressa des reproches sévères aux, démons et ordonna que je revinsse à la vie. Alors saint Jacques me prit et me ressuscita, comme vous voyez. Et trois jours, après il ne lui restait de ses blessures que des cicatrices ; après quoi il se remit en route, et quand il eut rejoint ses compagnons, il leur raconta tout ce qui s'était passé.

Un Français, ainsi que le raconte le pape Calixte, allait, en l’an 1100, avec sa femme et ses fils, a Saint Jacques, tant pour éviter la mortalité sévissant en France, que pour accomplir le désir de visiter saint Jacques. Arrivé à Pampelune, sa femme mourut, et son hôte s'empara, de tout son argent et du, cheval qui servait de monture à ses enfants. Il s'en alla désolé portant plusieurs de ses enfants sur ses épaules,. et menant les autres par la main: Un homme avec un âne le rencontra et touché de compassion, il lui prêta son âne, afin que les enfants montassent dessus.

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Quand le pèlerin fut arrivé à Saint-Jacques, pendant qu'in veillait et priait, le saint apôtre lui apparut et lui demanda s'il le connaissait: et il répondit que non : alors le saint lui dit : « Je suis l’apôtre Jacques qui t'ai prêté mon âne et je te le prête encore pour tort, retour : mais tu sauras d'avance que ton hôte mourra en tombant de l’étage de sa maison ; tu recouvreras alors tout ce qu'il t'avait volé. » Les choses étant arrivées ainsi, cet homme revint joyeux à sa maison; et quand il eut descendu ses enfants de dessus l’âne, cet animal disparut. — Un marchand, injustement dépouillé par un tyran, était détenu en prison, et invoquait saint Jacques à son secours. Saint Jacques lui apparut. en présence de ses gardes et le conduisit jusqu'au haut de la tour qui s'abaissa aussitôt de telle sorte que le sommet était au niveau de la terre : il en descendit sans faire un saut et s'en alla délivré. Les gardes qui le poursuivaient passèrent auprès de lui, sans le voir. — Hubert de Besançon raconte que trois militaires, du diocèse de Lyon, allaient à Saint-Jacques. L'un d'eux, à la prière d'une pauvre femme qui le lui avait demandé pour l’amour de saint Jacques, portait sur son cheval un petit sac qu'elle avait plus loin, il rencontra un homme malade et qui n'avait plus la force de continuer sa route, il le mit encore sur son cheval ; quant à lui, il portait le bourdon du malade avec le sac de la femme en suivant l’animal : mais la chaleur du soleil et la fatigue du chemin l’ayant accablé, à son arrivée en Galice, il tomba très gravement malade : et comme ses compagnons l’intéressaient au salut de son âme, il resta muet pendant trois jours; mais au quatrième, alors que ses compagnons attendaient le moment de son trépas, il poussa un long soupir et dit: « Grâces soient rendues à Dieu et à saint Jacques, aux mérites duquel je dois d'être délivré.

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Je voulais bien faire ce que vous me recommandiez, mais les démons sont venus  m’étrangler si violemment que je ne pouvais rien prononcer qui eût rapport au salut de mon âme. Je vous entendais bien, mais je ne pouvais nullement répondre. Cependant saint Jacques vient d'entrer ici portant à la main gauche le sac de la femme, et à sa droite le bâton du pauvre auxquels j'avais prêté aide en chemin, de sorte qu'il avait le bourdon en guise de lame et le sac pour bouclier, il assaillit les diables comme s'il eût été en colère, et en levant le bâton, il les effraya et les mit en fuite. Maintenant c'est grâce à saint Jacques que je suis délivré et que la parole  m’a été rendue. Appelez-moi. un prêtre, car je ne puis plus être longtemps en vie. » Et se tournant vers l’un deux; il lui dit : « Mon ami, ne reste plus davantage au service de ton maître, car il est vraiment damné et dans peu il- mourra de malemort. » Quand cet homme eut été enseveli, le soldat. rapporta à son maître ce qui avait été dit : celui-ci n'en tint compte, et refusa de s'amender : mais peu de temps après il mourut percé d'un coup de lance dans une bataille *.

Le pape Calixte rapporte qu'un homme de Vézelay, dans un pèlerinage qu'il fit à Saint-Jacques, se trouvant à court d'argent, avait honte de mendier. En se reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques le nourrissait  chaque jour il en mangeait deux fois suffisamment, et le jour suivant, il le retrouvait entier dans son sac.

* Saint Anselme, t. II, p. 335.

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— Le pape Calixte raconte que vers l’an du Seigneur 1100, un citoyen de Barcelone, venu à Saint-Jacques, se contenta de demander de né plus tomber à l’avenir dans les mains des ennemis. En revenant par la Sicile, il fut pris en mer par les Sarrasins et vendu plusieurs fois dans les marchés, mais toujours les chaînes qui le liaient se brisaient. Ayant été vendu pour la treizième fois, il fut garrotté avec des chaînes doubles. Alors il invoqua saint Jacques qui lui apparut et lui dit : « Quand tu étais dans mon église, tu as demandé la délivrance du corps au préjudice du salut de ton âme ; c'est pour cela que tu es tombé dans ces périls; mais parce que le Seigneur est miséricordieux, il  m’a envoyé pour te racheter. » A l’instant ses chaînes se rompirent, et passant à travers le pays et les châteaux des Sarrasins, emportant avec lui une partie de sa chaîne pour témoigner du miracle,. il arriva dans son pays, au vu et à l’admiration de tous. Lorsque quelqu'un le voulait prendre; il n'avait qu'à montrer sa chaîne et l’ennemi s'enfuyait : et quand les lions et autres bêtes féroces voulaient se jeter sur lui, en passant dans les déserts, seulement en voyant sa chaîne, ils étaient saisis d'une grande terreur et s'éloignaient. — L'an du Seigneur 1238, la veille de saint Jacques, en un château appelé Prato situé entre Florence et Pistoie, un jeune homme, déçu, par une simplicité grossière, mit le feu aux blés de son tuteur qui voulait usurper son bien.

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Pris et convaincu, il fut condamné à être brûlé, après avoir été traîné à la queue d'un cheval. Il confessa son péché et se dévoua à saint Jacques. Après avoir été traîné en chemisé sur un terrain pierreux, il ne ressentit aucune blessure sur le corps et sa chemise ne fut pas même déchirée. Enfin on le lie au poteau, on amasse du bais autour; le feu est mis, le bois et les liens brûlent ; mais comme il ne cessait d'invoquer saint Jacques, aucune tache de feu ne fut trouvée ni à sa chemise, ni à son corps. On voulait le jeter une seconde fois dans le feu, le peuple l’en arracha, et Dieu fut loué magnifiquement dans la personne de son saint apôtre.



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