JACQUES DE VORAGINE La Légende dorée


Les 40 Martyrs de Sébaste

LA LÉGENDE DORÉE
DE JACQUES DE VORAGINE NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS
AVEC INTRODUCTION, NOTICES, NOTES ET RECHERCHES SUR LES SOURCES PAR L'ABBÉ J.-B. M. ROZE, Chanoine Honoraire de la cathédrale d'Amiens
ÉDOUARD ROUVEYRE, ÉDITEUR
76, RUE DE SEINE, 76
PARIS
MDCCCCII

(en construction - titre aux pages)

1- BIENHEUREUX JACQUES DE VARAZZE (DE VORAGINE)

De tous les livres que nous a légués le moyen âge, un des plus recherchés et des mieux accueillis fut, de l'aveu de tous, la Légende dorée (*). Les manuscrits qu'en possèdent les bibliothèques publiques et particulières sont innombrables, et exécutés pour la plupart avec un luxe d'ornementation et un soin qui prouvent incontestablement le mérite dont jouissait l'ouvrage de Jacques de Varazze, archevêque de Gênes, au XIII° siècle (1230-1298). Les éditions données par l'imprimerie, dans toutes les langues, sous tous les formats, sont nombreuses et la Légende pourrait le disputer par ses réimpressions avec les ouvrages les plus estimés.

(*) Le mot Légende a toujours signifié sujet de lecture, jusqu'au moment où une science quelconque l'a traduit par conte, fable. Il y a toutefois un aveu bon à recueillir et dont il faut prendre acte. En parlant d'Augustin Thierry, la Revue des Deux-Mondes dit que, dans les Légendes du moyen âge, a il y trouvait la VÉRITABLE HISTOIRE, et il avait raison : car la Légende est la tradition vivante, et trois fois sur quatre, elle est plus vraie que l'histoire. »

Si les récits de Jacques de Voragine n'avaient point été dignes d'être goûtés, assurément il deviendrait bien difficile de s'expliquer une vogue si générale et tellement constante dans tous les pays durant plusieurs siècles. Mais .il s'est opéré une terrible révolution contre ce livre qui, jusqu'au XVIe siècle, avait passé pour de l'or (aurea) : il ne fut plus regardé que comme du fer ou bien encore comme quelque chose de très inférieur. Relégué ad fond des bibliothèques, il ressemble, paraît-il, à ces monnaies saussées ou fausses, conservées, sans qu'on y jette les yeux, dans les cabinets des collectionneurs, surpris de savoir qu'elles ont eu un grand cours, on dirait même un cours. forcé chez une foule de peuples.

Les premiers lecteurs furent-ils des dupes ? La justice est-elle du côté de la critique moderne ? Quelle est la valeur de la Légende dorée?

La traduction que nous en avons essayée, nous l'a fait aimer; nous allons tâcher de la défendre.
Nous serons assez hardis même pour prétendre venger le pieu dominicain, le bienheureux archevêque de Gênes, des ennemis que son livre lui a suscités dans des rangs diamétralement opposés, et notre tâche, sans crainte, de nous créer des illusions, nous semble facile. Nous n'avons qu'à exposer la méthode qu'il emploie, qu'à découvrir les sources où il puise, à signaler le but auquel il veut arriver.

Loin de nous toutefois la pensée ni le désir de faire revenir le monde d'aujourd'hui à la lecture de son livre avec la confiance et l'enthousiasme qu'il a excités au moyen-âge. On possède des ouvrages du genre de la Légende il ne leur manque pour jouir d'un succès égal qu'une, seule qualité, la naïveté ! C'est là tout le secret qui explique l'avidité avec laquelle on a dévoré l'ouvrage du dominicain; alors il devient facile de comprendre qu'il a été traduit dans tous les idiomes, comme il a été reproduit et copié par le miniaturiste, le peintre verrier, l'émailleur en haut et bas-relief.

La Légende dorée est l'explication des offices célébrés durant l'année ecclésiastique. Les fêtes des saints revenant en plus grand nombre que les autres solennités dans l'Église, la vie des saints tient conséquemment la plus grande place du livre: il commence en effet par une instruction sur l’Avent, qui ouvre le cycle liturgique, et après avoir parcouru tout le cycle festival, il se termine par l'explication du dernier office contenu au Bréviaire; celui de la Dédicace des Églises.

Le but principal de l'auteur est donc d'exposer aux fidèles les motifs de chaque solennité, admise dans le calendrier suivi par le monde catholique.

Chaque cérémonie ayant ses raisons d'être, il en développe les motifs en rapportant à côté de chacune quelques traditions, des récits fort extraordinaires: parfois, pour en graver mieux le souvenir, dans la  mémoire du lecteur. Et comme au temps où il écrivait, on n'avait pas, comme aujourd'hui, la ressource de trouver l'histoire des saints dont la fête revient à jour fixe dans l'Église, Jacques de Varazze conçut l'idée de rassembler dans un corps d'ouvrage, sous une forme plus étendue que les leçons des Bréviaires, les légendes particulières de chaque bienheureux proposé par la sainte Église à la vénération comme à l’imitation de ses enfants, et voici comme il procède :

Tout d'abord vient l'étymologie du nom du saint dont les actions vont être racontées (*). Comme tous les hagiographes du moyen âge, l'auteur décompose le, mot dans toutes ses parties et fait de chacune d'elles une application, il faut le dire, souvent forcée, mais quelquefois assez heureuse pour analyser l'ensemble de la vie du personnage: on croirait lire un horoscope.

(*) Le savant et judicieux Bollandus prétend qu'une autre main que celle de Jacques de Varazze a intercalé ces étymologies dans la Légende. Il n'en apporte du reste aucune preuve.

Après avoir justifié ses pronostics dans les limites du possible, arrive le récit principal dans lequel sont fondues des scènes merveilleuses et quelquefois étranges : les guérisons miraculeuses, les visions, les résurrections se succèdent lés unes aux autres; le diable, à son tour, n'y joue pas le moindre rôle.

On voit que l'auteur a voulu produire des effets saisissants et quand le vrai lui manque, il aborde, mais toujours en prévenant son lecteur, les traditions apocryphes, dès lors qu'il peut en rencontrer concernant les personnages remarquables par leurs vices et leurs forfaits, n'ayant d'autre pensée que de les rendre odieux affreusement, comme, par exemple, Judas, Pilate, Néron, Julien l'apostat et bien d'autres.

C'est le côté poétique de la Légende, mais ce n'était pas le seul qui dût, lui concilier les sympathies que nous lui connaissons. On y trouve aussi la Légende édifiante qui reproduit des souvenirs respectables, sans dessein de feindre ni de plaire et qui ne songe qu'à dire le vrai pour faire pratiquer le bien. Elle a pour base les actes authentiques des saints et des martyrs, les récits recueillis de leur plume ou de leur bouche. Voilà la part la plus forte comme la plus substantielle dont le but a été apprécié comme il suit par le savant Ozanam : « A quelque moment que nous prenions la Légende; nous y trouvons toujours une vérité positive, ou une vérité symbolique; jamais nous n'y voyons ce qu'on a appelé mythologie. Le vice de la mythologie est d'étouffer l'âme sous les sens, l'esprit sous la matière... au contraire, la Légende fait régner l'esprit sur la matière, la prière sur la nature, l'éternité sur le temps. Elle trouve dans le mérité ou le démérite le point où elle suspend les destinées humaines.

« Il se peut que vous soyez fatigué de ces visions, les peuples ne l'étaient pas : ils ne se lassaient point d'entendre parler d'une vie meilleure: que celle-ci. »

Porter au bien, le faire pratiquer, tel est, en effet, le but auquel a visé Jacques de Voragine, et il n'en pouvait être autrement. C'était un fervent religieux de l'ordre de saint Dominique, et l'humble frère prêcheur, promu plus tard au siège de Gênes, consacra toute sa vie au salut de son prochain. Or, dans le cours de ses prédications, il a observé que de tout temps, les esprits ont été avides du merveilleux, que la vérité frappe l'intelligence, mais qu'elle pénètre bien plus avant, dès lors qu'elle s'appuie sur des prodiges. La vie des saints s'offre à ses yeux comme un moyen réel et efficace d'affermir la vertu dans les cours, il prend dans les actes authentiques des saints martyrs, des confesseurs, des vierges, les parties les plus saillantes par les détails, les plus extraordinaires d'ensemble, et il les propose à l'imitation publique. Il pose ses saints en héros, il les fait parler et agir en héros. Qu'est-ce qu'un saint, en effet? Sinon un homme dont les actions, dont le langage sont marqués au type de la grandeur et du merveilleux. Quand on a su inspirer de l'admiration, on est bien près d'obtenir de l'enthousiasme. La vertu est le résultat d'une lutte de chaque jour contre le vice; or, les saints ont été de rudes jouteurs.

Voilà comme la Légende dorée les montre. Qui oserait dire qu'elle ait été écrite pour faire des dupes ?

Cependant, depuis deux siècles la Légende a été l'objet es plus amères critiques. Son auteur a été harcelé à outrance. Tout en lui a été blâmé, depuis son style jusqu'à sa bonne foi, depuis sa science jusqu'à sa simplicité, depuis son jugement jusqu'à ses croyances. Melchior Cano l'a traité comme ses nombreux: ennemis. «L’homme, dit-il, qui a écrit la Légende, avait une bouche de fer, un coeur de plomb et un esprit certainement peu exact et dénué de prudence. »

Melchior Cano a opposé ses qualificatifs à celui par lequel on avait appelé la Légende. Tous l'avaient jugée d'or: pour lui, c'est du fer, du plomb, l’oeuvre d'un insensé. Ce n'était pas une preuve de génie que cette appréciation, puisque l'évêque des Canaries la copiait dans Vivès, célèbre auteur espagnol, qui fut aussi parodié par le docteur Cl. Despence, quand celui-ci trouve que la prétendue Légende dorée de vie des saints n'était proprement qu'une Légende ferrée de mensonges.

Launoy, Gaillet, etc., se sont faits les échos de ces premières critiques. Après avoir fait des calembours sur le livre, on se permit d'en commettre sur son nom et ce n'est plus qu'un gouffre qui engloutit toutes sortes d'immondices (Jacobus a Voragine).

Examinons, sommairement; chacun des méfaits dont on a rendu coupable le Frère Jacques-de Gênes.

Son style déchire-t-il l'oreille, insulte-t-il à la grammaire ? On se serait épargné la peine de nombreuses critiques si on avait voulu jeter les yeux sur le titre mis au frontispice du livre, nous y lisons: Incipit prologus super Légendam sanctorum. Alias Lombardica Historia quant compilavit frater Jacobus. C'est donc tout simplement une compilation : donc le style n'est pas du copiste qui trouvant un récit dans un auteur, le reproduit à peu près comme il le rencontre.

Il y a une vérification à faire, et nous avons constaté que loin d'avoir altéré le texte des auteurs cités, c'était au contraire le sien qui avait été reproduit avec les fautes du devoir d'un commençant. En veut-on une preuve? Dans le long travail auquel nous nous sommes livré pour faire de la Légende dorée une traduction consciencieuse, nous avons dû avoir recours aux éditions qui semblaient devoir nous offrir les meilleures garanties. Quant au texte, il convient de le dire, nous avons souvent désespéré de mener à terme notre entreprise, en présence des difficultés sérieuses qui naissaient presque de chaque phrase. Nous avons cru pour un moment être en mesure de les vaincre, quand nous nous fûmes procuré un exemplaire publié en 1850, à Leipzig, d'après l'édition princeps.

Ou bien l'édition princeps est remplie de fautes d'impression, ou l'éditeur de 1850 ne savait pas lire un texte en caractère gothique. L'unique parti qui nous restait à prendre, était de vérifier les textes dans les ouvrages indiqués par la Légende : il était pénible, dispendieux. Nous n'avons pas reculé devant des montagnes de difficultés et ce nous est un devoir de déclarer que, Jacques de Voragine avait copié presque partout, compilavit.

Quand une légende se trouvait toute faite dans un Père de l'Église, elle était copiée in extenso, ainsi la vie de sainte Paule par saint Jérôme, ainsi dans saint Ambroise, le récit de la vierge d'Antioche. Sans doute qu'il en a été de même pour les actes des martyrs, et sans avoir consulté les Bollandistes, nous avons pu nous convaincre qu'il a été largement puisé par l'auteur â des sources respectables, comme il est facile de s'en convaincre par les offices de sainte Agnès, de sainte Cécile, de saint Clément, des saints Jean et Paul, de saint André et d'une foule d'autres personnages qui ont certaines parties propres dans les Bréviaires. Si le texte primitif a été changé, c'était pour lui donner des tournures plus simples.

Sans accorder le moins du monde que le style de la Légende soit de fer, nous sommes toutefois loin de le donner pour de l'or. Son mérite c'est d'être simple, naturel. Ecrit pour les masses, il devait revêtir une certaine naïveté, sous peine de cesser d'être attrayant ou de ne pas être compris.

Les parties qui effarouchent le plus sont celles qui sont traitées sous la forme scholastique usitée au moyen âge. La philosophie avait au XIIIe siècle, une terminologie quintessenciée. Toute subtile qu'elle apparaisse, elle a toujours été reconnue pour avoir servi à établir de l'ordre et de l'enchaînement dans les idées. Jacques de Voragine en possédait toutes les ressources, et les emploie largement quand il s'agit d'expliquer les raisons de la Liturgie des fêtes solennelles de l'Église. Il y a lieu de s'effrayer de la science qu'il déploie en cette partie, et pour être populaire, il laisse à croire que ses lecteurs n'étaient pas ce que a critique moderne les estime, c'est-à-dire des gens étouffés sous une grasse couche d'une ignorance complète.

Donc, tout en tenant compte des fautes imputables aux copistes, maladroits ou ignorants, comme aussi aux éditeurs peu corrects, nous nous sentons autorisé, ce semble, à déclarer que, malgré les taches de latinité, malgré quelque désordre d'ensemble, que nous serions en droit de justifier, dans une certaine mesure, le style de la Légende dorée est ce qu'il devait être.

Nous pourrions borner ici notre justification de l'oeuvre du bienheureux archevêque de Gênes.

Compilateur, il a recueilli ce que les autres ont écrit; il en a formé un ensemble qu'il donne pour ce qu'il est. Ceci paraîtrait suffire, mais nous devons aller au-devant de certains reproches qu'on aurait droit de lui adresser encore pour s'être entouré d'auteurs d'une valeur bien chétive. Nous commencerons par donner une liste de ceux qui sont cités dans la Légende dorée. Nous la classons chronologiquement.

Tous les livres de la Bible, y compris le Livre du Juste, dont parle Josué, X, 13.

°Ier siècle. Josèphe, les prêtres et les diacres d'Achaïe, saint Denys 1'aréopagite, saint Clément, saint Lin.
°IIe siècle, Saint Ignace d'Antioche.
°IIIe siècle. Origène, saint Cyprien.
°IVe siècle. Saint Hilaire, saint Basile, saint Jean Chrysostome, Eusèbe de Césarée, Eutrope, saint Athanase, Pallade, saint Ambroise, Amphiloque d'Icone, Sédulius, saint Grégoire de Nysse.
°Ve siècle. Saint Augustin, saint Jérôme, Prosper, Orose, Cassien, Macrobe, saint Gélase, Prudence, saint Léon, saint Paulin de Nole, Pélage, Gennade, saint Eucher de Lyon, saint Sévère, Sulpice, Socrate, Sozomène, Théodoril.
°VIe siècle. Saint Grégoire le Grand, Cassiodore, saint Fulgence, les vies des Pères, saint Grégoire de Tours, Dorothée, Boëce, Elpis.
°VIIe siècle. Saint Isidore de Séville, Jean diacre, Mahomet.
°VIIIe siècle. Saint Jean Damascène, vénérable Bède, saint Germain de Constantinople, Paul, diacre.
IXe siècle. Walafrid Strabon, la Glose, Méthode, Hincmar, Haymon; Usuard, Alcuin, Eginhard, Amalaire, Jean Scot, Hericus, Turpin.
°Xe siècle. Remi d'Auxerre; Nolker, saint Odon de Cluny.
°XIe siècle. Saint Pierre Damien, saint Gérard, Fulbert de Chartres, Hermann Contract, Adalbode.
°XIIe siècle. Saint Bernard, Pierre Comestor, saint Anselme, Pierre de Cluny, Richard de Saint-Victor, Pierre Lombard, Hugues de Saint-Victor, Sigebert de Gemblours, Calixte Pape, Guillaume de Saint-Thierry; Hernold de Bonneval, Gilbert, Eckbert, Pierre le Chantre, Léon d'Ostie, Honorius d'Autun, Gratien.
°XIIIe siècle. Innocent III, saint Hugues . de Cluny, Hélinand, Jean Beleth, Guillaume d'Auxerre, Godefroy, de Viterbe, Vincent de Beauvais, Henri :de Gand, Sicardi, Me Prévost, Pierre le Chantre.

Autres livres qui n'ont pu être classés :

Évangile de Nicodème; — Livre de l'Enfance; — Livre apocryphe attribué à saint Jean l'Évangéliste; — Abdias ; — Jean le même que Marc; — Hégésippe ; — Melito ou Mellitus de Laodicée; — Les Docteurs, d'Argos ; — Livre des Sybilles ; — Le rabbin Moïse; F. Barthélemy ; — Timothée ; — Pierre de Ravenne ; — Sulpice de Jérusalem; — Théotime; Hubert de Besançon; — Constantin; — Saint Cosmas Vestitor; — Pierre de Compostelle; — Richard; — F., Albert; — Histoire apocryphe de Pilate ; — Histoire d'Antioche; — Histoire apocryphe des Grecs; — Une histoire ancienne; — Plusieurs chroniques ; — Gestes des saints Pontifes; — Glossaires; — Livre des saints Gervais et Protas; — Les Miracles de la sainte: Vierge; — Livre des Miracles des Saints; — Missel ambrosien ; — Hymnes.


L'on peut, sans commettre acte d'imprudence, concevoir, une présomption favorable pour un auteur qui a puisé dans un pareil nombre de volumes dont la très grande partie reproduit les auteurs les plus respectables. Il doit inspirer, même avant examen, une certaine confiance. Toutefois, comment a-t-on jugé l'ouvrage du laborieux archevêque de Gênes? Nous l'avons dit plus haut : « Le style en est barbare. » Comme s'il n'écrivait pas avec le désir de se faire comprendre de tous, des lettrés et des illettrés ! et comme ces derniers ont toujours formé le plus grand nombre; il simplifie très souvent le style de l'auteur qu'il a sous les yeux; pensant avec raison que les savants ne penseraient pas à se former un style dans un livre écrit à l'usage du vulgaire. Ses récits ne sont donc pas entachés de prétention. Il cite comme authentiques des ouvrages apocryphes. »

Nous avons déjà fait nos réserves en constatant, plus haut que le Légendaire va au-devant de ce reproche quand il prévient toujours son lecteur de n'ajouter pas foi à certains détails. Sans doute la critique a porté son flambeau dans bien des passages obscurs où elle a fait de la lumière, mais, après, tout, depuis que la Légende d'or a. paru, cette critique a-t-elle tout éclairci? Est-ce qu'on n'entend pas répéter à chaque instant que, sur bien des points, l'histoire est à refaire ? Pour ne citer qu'un fait :  ne met-on pas un entêtement étrange, aujourd'hui encore, comme au temps de Lannoy, à s'appuyer sur un texte de saint Grégoire de Tours, pour vouloir détruire; contre toute évidence, des faits historiques et des traditions aussi nombreuses que respectables ? « La chronologie de notre Légendaire fourmille d'inexactitudes. » Eh bien; en 1669, Riccardi comptait soixante-dix systèmes sur l'année de la naissance de Notre-Seigneur ! Dans un auteur païen, on les excuserait, mais dans une vie de saints! ! « Il a raconté de faux miracles. » Donc il en rapporte qui sont vrais : donc il prête foi à la parole de par laquelle l'Homme-Dieu assure à ses disciples qu'ils opéreront des prodiges bien autrement extraordinaires que les siens propres. Tout au plus pourrait-on l'accuser d'avoir jugé comme miraculeux des faits dont les éléments devraient être attribués à une cause naturelle; mais encore, il y aurait lieu de discuter les coïncidences.

Après tout, le bienheureux Jacques de Voragine n'enseigne nulle part ce qui n'est pas de foi, savoir : que l'Église exigerait de ses enfants une croyance explicite à tous les miracles. En bien des circonstances, on pourrait être taxé de témérité en ne donnant pas une adhésion complète à ce que l'Église elle-même propose à l'admiration des fidèles, pourtant on n'aurait pas alors encouru la qualification d'hérétique, ni même de schismatique.

Au reste, examiner au point de vue théologique les miracles relatés dans la Légende, ne saurait entrer dans le plan de ce travail. Quoi qu'il en soit, si cette étude était plus développée, on ne pourrait se dispenser de faire une appréciation qui aurait pour résultat de démontrer que dans la Légende d'or, comme dans tous les hagiographes, les faits merveilleux doivent être partagés en deux catégories : la première renfermerait les faits qu'on a considérés comme des symboles et des figures, faute de pouvoir les démontrer historiquement ; la seconde comprendrait ceux dans lesquels la critique la plus sévère ne peut s'empêcher de reconnaître une cause surnaturelle. La Théologie les appelle proprement miracles et l'Église les admet comme tels.

Enfin il serait impertinent d'admettre ce qui a été dit au sujet des Légendes des Saints, qu'elles seraient calquées sur les chansons des jongleurs. Si, en avançant cette énormité, on a voulu dire que, dans tous les temps, on a chanté sur les places publiques des cantiques, tranchons le mot des complaintes, on est aveugle de ne pas reconnaître dans ces pièces, des copies, des traductions de ce que la liturgie appelle Séquences et Contestations.

Voici en quels termes Bollandus prend la cause de Jacques de Voragine contre Wicélius et Vivès.

« Où donc trouvez-vous, bon Wicélius, que Jacques cherche à faire de la mythologie ? Certainement je suis loin d'approuver tout ce qu'il écrit; cependant qu'il ait suivi d'anciens documents, je n'en saurais douter; je trouve même que la majeure partie de ses histoires s'accorde avec les pièces antiques et originales.

« Je ne les ai pas débrouillées toutes, et du moment où j'ai trouvé la source, je ne regarde pas comme une nécessité d'en suivre tous les ruisseaux. Je me contente de constater s'ils découlent de cette source, si leurs eaux ne sont pas troubles, si leur cours n'est pas trop lent, s'ils ne charrient pas de vase du marais qu'ils arrosent. J'établis la confiance que j'accorde aux abréviateurs ou aux commentateurs sur la comparaison que je fais de leurs écrits avec les anciennes pièces. Je pense donc que la Légende est le plus souvent la victime de l'injure dans les jugements qu'en portent les modernes. — Est-ce donc une nécessité, si on ne veut pas encourir le mépris de Wicélius, de prendre dans Eusèbe tout ce qu'on dit dés Saints? etc... Quant à L. Vivès, il fut encore plus sévère et plus acerbe que Wicélius contre la Légende d'or. Toujours j'ai fait grand cas de Vivès. C'est un homme profondément érudit, plein de gravité et de prudence. Je partage son avis, quand il réclame, dans les écrits concernant les Actes des Saints, plus d'exactitude que l'on en a ordinairement apporté : mais quand il maltraite le saint et savant auteur de la Légende en ces termes : « C'est un coeur de plomb, une bouche de fer », je m'en étonne de la part d'un personnage si grave, si modéré. Peut-être avait-il emprunté cela d'Erasme, son maître, Erasme cet aristarque très sévère qui trouve à reprendre dans chaque auteur et n'en laisse presque pas un à l'abri de ses coups. Il a ce ridicule de critiquer ce qu'il ne comprend pas et, ce qu'il ignore. Que le style de Jacques de Voragine ne soit pas plus châtié que celui des écrivains de son temps, je l'accorde : toujours est-il que c'était non seulement un savant et un saint, mais qu'il était doué d'une prudence, d'un jugement remarquables, et plus apte que Vivès et Erasme à discerner dans ses écrits ce qui mérite approbation (Bollandus, Acta Sanctorum, Januar, t. I, p. XVIII.). » Assurément Bollandus est compétent ou personne ne l'est.


Ozanam a constaté l'influence exercée sur la poésie par la Légende; elle a inspire aussi tous les arts; la peinture et la sculpture, y ont trouvé des motifs sans nombre. Il n'est aucun de nos monuments religieux et civils qui ne reproduisent pour les premiers presque toujours et souvent pour les seconds les récits de Jacques de Voragine. Avant lui, un chanoine d'Amiens, celui qui sans le moindre doute a inspiré à l'archevêque de Gênes le plan de son livre, Jean Béleth rapporte, dans son Rational des divins offices, les particularités les plus saillantes des Vies des Saints, mais le savant chanoine n'ayant pas donné de larges développements à ce côté de son travail, force fut aux entailleurs, aux peintres-verriers de rechercher des sujets dans la Légende qui devint pour eux un véritable manuel d'Iconographie et de Liturgie.

Le curieux amené sous le porche comme dans l'intérieur de l'admirable cathédrale d'Amiens reste stupéfait en contemplant ses statues gigantesques et ses frêles bas-reliefs ciselés depuis le XIIIe jusqu'au XVIe siècle ; tout cela cependant reste muet et incompris, si l'on n'a pas recours à la Bible et à la Légende.
J'ai nommé la cathédrale d'Amiens de préférence à toutes les autres, car de toutes les basiliques du moyen âge, c'est incontestablement celle où l'iconographie a été développée avec le plus d'ensemble. Si l'on veut se rendre compte des sculptures jetées à profusion sur la cathédrale de Chartres, c'est alors que la Légende devient indispensable, parce qu'il est difficile, sinon impossible, de découvrir le plan sur lequel ont été disposés les colosses qui peuplent ces porches magnifiques et de donner un nom aux statuettes placées autour d'eux, sans trop d'ensemble, paraît-il.

C'est avec la pensée d'être utile aux artistes et aux savants que nous avons consacré une grande partie de notre vie à l'étude de la Légende dorée dont nous avons essayé une traduction aussi fidèle que possible.

L'abbé J.-B. M. ROZE,
Chanoine honoraire de la cathédrale d'Amiens.

2- BIENHEUREUX JACQUES DE VARAZZE

PRISE DANS L'HISTOIRE DES HOMMES CÉLÈBRES DE L'ORDRE DE SAINT DOMINIQUE ET DANS QUÉTIF ET ECHARD

Le bienheureux Jacques, surnommé de Varaggio, du lieu de sa naissance aujourd'hui appelé Varazze, sur la route qui côtoie la mer de Savone à Gênes, naquit vers l'an 1230. Jeune encore, il entra dans l'ordre de saint Dominique en 1241 et s'y fit remarquer par sa piété, la régularité de sa conduite, son amour pour l'étude, son zèle du salut des âmes et par une prudence consommée dans l'exercice des fonctions qui lui furent confiées. Il enseigna les Saintes Lettres en différents endroits et mérita par le charme de sa parole et la pureté de son langage de prêcher dans les églises importantes de l'Italie pendant l'Avent et le Carême. Les succès de ses prédications furent abondants. Son mérite le fit élire prieur, de son ordre, et, en 1267, il fut chargé du gouvernement général des couvents que les frères prêcheurs possédaient dans la Lombardie.

Bernard Guidonis prétend qu'il remplit ces fonctions l'espace de dix-huit ans sans interruption : mais il se trompe; car il fut remplacé dans l'assemblée générale tenue à Paris en 1286. Plus tard en 1288, dans l'assemblée de Lucques, il fut nommé définiteur de sa province et en 1290, il fut un des quatre choisis à Ferrare par les cardinaux Latinus des Ursins et Hugues de Bilione pour porter la démission de Munion, général de tout l'ordre, au nom du pape Nicolas IV. Il rendit à Munion ce témoignage qu'il s'était acquitté de sa charge avec un profond désintéressement, et ne fut pas le seul à gémir de l'affront que recevait en cette circonstance l'ordre de saint Dominique blessé par là dans sa dignité. Toutefois il ne perdit pas les bonnes grâces du souverain Pontife, puisque, en 1292, il fut élevé sur le siège archiépiscopal de Gênes, et appelé à Rome par le pape qui voulait le sacrer de ses propres mains.

Mais Nicolas IV étant mort le vendredi saint, 4 avril, le Sacré Collège décida en consistoire que la République de Gênes ne devait pas être privée plus longtemps de son évêque et ce fut le cardinal Latinus, évêque d'Ostie, dont il a été question déjà, qui le sacra le dimanche de Quasimodo, 13 avril. Dans la même semaine il reçut le Pallium, et aussitôt après il alla prendre le gouvernement de son diocèse. Il donna tous ses soins à y faire fleurir les bonnes moeurs par ses exemples, par sa parole et par les sages mesures qu'il adopta. Aucune difficulté n'était insurmontable pour notre bienheureux.

Qu'il suffise de dire, d'après le témoignage unanime de ses contemporains, que pendant les six années de son épiscopat, il fut le plus vigilant comme le plus aimé des pasteurs. C'était un évêque des premiers siècles. Il éteignit les discordes qui embrasaient la ville. Il célébra un synode solennel de toute la Province avec un grand appareil. Ses revenus étaient employés au soulagement des pauvres; il allait jusqu'à se priver du nécessaire. La mort vint le surprendre au milieu de ses bonnes oeuvres, à l'âge de 70 ans environ. Bernard de Guidonis n'est pas exact en fixant cette époque à 4299 ou
1300, le 14 juillet, puisque Boniface VIII lui donna pour successeur, le 3 des nones de février et l'an 5 de son pontificat, F. Porchet Spinola, de l'ordre des Frères-Mineurs. Or, l'an 5 de Boniface VIII ne peut être qu'en 1299. Le bienheureux Jacques de Voragine serait donc mort en 1298. Son corps fut, ainsi qu'il l'avait exigé, inhumé à Gênes dans l'église de saint Dominique; à gauche du maître-autel. On rapporte que Boniface VIII, en lui imposant des cendres, au commencement du carême, les lui aurait jetées dans les yeux en parodiant les paroles de la Liturgie : « Memento, homo, quia pulvis est, et in pulverem reverteris : Souviens-toi que tu es Gibelin et qu'avec tes Gibelins tu retourneras au néant. »

Mais tout le monde s'accorde à dire que c'est une fable, puisqu'il n'y eut entre le pape et lui la moindre querelle de quelque nature que ce fût. Peut-être a-t-on voulu parler de son successeur qui eut à souffrir de grandes difficultés dans son administration.

Pendant qu'il était chez les FF.- PP. et durant son épiscopat, il composa un grand nombre d'ouvrages.

Le premier fut la Légende des Saints qu'il compila en un volume. Il emprunta beaucoup à l'Histoire ecclésiastique, à l'Histoire tripartite et à différentes chroniques. Après le prologue, l'ouvrage commence par ces mots: Adventus Dei.

Le succès de ce livre fut immense, tout le monde le dévora, et indépendamment des nombreux manuscrits qui en existent, on compte plusieurs éditions incunables. Il serait bien difficile de les signaler toutes ; ce fut peut-être le livre imprimé le plus souvent avec la Bible et l'Histoire scholastique de P. Comestor.
***
On a encore, de Jacques de Varazze, des Sermons qui furent imprimés et qui sont devenus assez rares ; une traduction de la Bible en italien; un livre sur saint Augustin; une chronique de Gênes qu'il polisse jusqu'en 1295 : une histoire des archevêques ses prédécesseurs : un Mariale ou les éloges de la sainte Vierge; une table historique de la Bible, etc.
Ces ouvrages, ainsi que la bibliothèque dont nous avons donné précédemment le catalogue, d'après ses citations de la Légende, offrent la preuve qu'il fut un homme studieux, savant et éclairé.
On lit dans Godescard que. le pape Pie VII a confirmé en 1816 le culte qu'on lui rendait de temps, immémorial, et l'a déclaré bienheureux. Ce temps immémorial dont parle le savant hagiographe rappelle que les Dominicains célèbrent, avec un office propre, la fête du bienheureux Jacques, le 13 juillet:
Prologue sur les Légendes des Saints recueillies par Jacques de Voragine du pays Génois, de l'ordre des Frères Prêcheurs.
Tout le temps de la vie présente se divise en quatre parties : Le temps de la déviation, de la rénovation ou du retour, de la réconciliation et du pèlerinage. Le temps de la Déviation, commencé à Adam après son éloignement de Dieu, a duré jusqu'à Moïse. Il est représenté par 1"Église depuis la Septuagésime, jusqu'à Pâques. Aussi alors récite-t-on le livre de la Genèse où est racontée la déviation de nos premiers parents. Le temps de la Rénovation ou du' retour, commencé à Moïse, a duré jusqu'à la naissance de J.-C. Dans cet intervalle les hommes ont été rappelés et renouvelés à la Foi parles Prophètes. L'Église le reproduit de l'Avent à la Nativité de J.-C. ; pendant cette période on lit Isaïe qui traite évidemment de cette rénovation. Le temps de la Réconciliation est celui dans lequel nous avons été réconciliés par le Christ. L'Église le reproduit de Pâques à la Pentecôte pendant lequel se lit l'Apocalypse qui traite pleinement du mystère de la réconciliation. Le temps du Pèlerinage est celui de la vie présente, dans laquelle nous voyageons et nous combattons toujours. Ce temps est déterminé par l'Église de l'Octave de la Pentecôte à l'Avent dit Seigneur. Elle lit alors les livres des Rois et des Macchabées, où sont racontés une foule de combats, emblèmes de notre combat spirituel. Pour le temps qui s'écoule de la Nativité de N.-S. à la septuagésime, il est en' partie renfermé sous le temps de la Réconciliation, époque de joie, qui dure depuis la Nativité jusqu'à l'octave de l'Épiphanie, et en partie sous le temps (XXVIII) du Pèlerinage, à compter de l'Octave de l'Épiphanie jusqu'à la Septuagésime. Cette, quadruple variété de temps peut encore s'expliquer comme il suit: Premièrement par la différence des quatre saisons. L'hiver se rapporte au premier temps, le printemps au second, l'été au troisième et l'automne au quatrième ; la raison de ces rapports est assez évidente. Secondement par les quatre parties du jour à la nuit correspond le premier temps, au matin le second, à midi le troisième, au soir le quatrième. Et'quoique la déviation ait précédé la rénovation, cependant l'Église préfère commencer tous ses offices plutôt au temps de la rénovation qu'à celui de la déviation, c'est-à-dire à l'Avent plutôt qu'à la Septuagésime, pour deux motifs. Le premier, afin de ne paraître pas commencer dans le temps de l'erreur. Elle tient au fait, sans s'astreindre à suivre l'ordre du temps dans lequel il s'est passé ; les évangélistes procèdent eux-mêmes ainsi. La seconde, parce que par l'Avènement de J.-C., tout a été renouvelé, et c'est le motif qui a fait donner à ce temps le nom de rénovation. «Voilà que je fais tout nouveau » (Apocalyp., XXI). C'est donc avec raison que l'Église commence alors tous ses offices.
Or, afin de conserver l'ordre établi par l'Église, nous traiterons : I° des fêtes qui tombent entre le temps de la Rénovation que l'Église-célèbre de l'Avent à Noël; II° des fêtes qui arrivent pendant -le temps de la Réconciliation d'une part et du Pèlerinage d'autre part, honorées par l'Église de Noël à la Septuagésime; III° des fêtes qui se
célèbrent dans la Déviation, c'est-à-dire de la Septuagésime jusqu'à Pâques ; IV° des fêtes du temps de la Réconciliation, de Pâques à la Pentecôte; V° de celles qui arrivent dans le temps du Pèlerinage célébré par l'Église de la Pentecôte à l'Avent du Seigneur.
LA LÉGENDE DORÉE
Des fêtes qui arrivent dans le temps de la rénovation, temps que l’Église reproduit à partir de l’Avent jusqu'à la Nativité du Seigneur.
L'AVENT DU SEIGNEUR
L'Avent du Seigneur est renfermé dans quatre semaines pour marquer les quatre sortes d'avènements de Jésus-Christ, savoir : en la chair, en l’esprit, en la mort et au jugement. La dernière semaine n'est pas tout à fait complète, parce que la gloire qui sera accordée aux saints, lors du dernier avènement, n'aura jamais, de fin. C'est aussi la raison pour laquelle le premier répons du 1er dimanche d'Avent a quatre versets, y compris le Gloria Patri, afin de désigner ces quatre avènements. C'est au lecteur à juger dans sa prudence auquel des quatre il préfère donner son attention. Or, bien qu'il y ait quatre sortes d'avènements, cependant l’Église s'occupe spécialement de deux; celui en la chair et celui du jugement, dont elle semble faire la mémoire : comme on le voit dans l’office de ce temps. De là vient encore que le jeûne de l’Avent est en partie un jeûne de joie et en partie un jeûne de tristesse *; car en raison de l’avènement en la chair, c'est un jeûne de joie, et en raison de l’avènement du jugement, c'est un jeûne de tristesse.
* L'Avent, qui a toujours été pour l’Église un temps de pénitence, était autrefois sanctifié par le jeûne comme le carême. Cf. Beleth, chanoine d'Amiens, Rationale divinorum. officiorum, Guillaume Durand, Rupert, D. Menard, sur le Sacramentaire de saint Grégoire, Martène et Durand, Baillet, etc.
Et pour l’indiquer, l’Église chante alors quelques cantiques de joie, à l’occasion de cet avènement de miséricorde et de jubilation; elle en omet quelques autres, à cause de l’avènement d'une justice pleine de sévérité et d'affliction.
Par rapport à l’avènement en la chair, on peut établir trois considérations : son opportunité, sa nécessité et son utilité. L'opportunité se tire en premier lieu du côté de l’homme qui, d'abord, sous la loi de nature, fut convaincu d'avoir perdu la connaissance de Dieu : de là sa chute dans les abominables erreurs de l’idolâtrie et l’obligation dans laquelle il se trouva de crier et de dire : « Seigneur, éclairez mes yeux... » (Illumina
ocidos meos, Ps. XII). Vint ensuite le commandement de la loi sous laquelle l’homme fut convaincu d'impuissance. Auparavant il criait : « Tous sont disposés à obéir, mais il n'y a personne pour commander; » il était seulement instruit, mais non délivré du péché; aucune grâce ne l’aidait pour faire le bien; alors il fut forcé de crier et de dire : « Il y a quelqu'un pour commander, mais il ne se trouve personne pour obéir. » Le Fils de l’homme arriva donc en temps opportun, quand l’homme fut convaincu d'ignorance et d'impuissance; car s'il fût venu plus tôt, l’homme, peut-être, eût attribué son salut à ses propres mérites, et par conséquent il n'eût pas eu de reconnaissance envers son médecin. L'opportunité se tire, en second lieu, du côté du temps, puisque le Sauveur vint dans la plénitude du temps (Galates, IV). « Beaucoup se demandent, dit saint Augustin, pourquoi J.-C. n'est pas venu plus tôt; c'est que la plénitude du temps n'était pas encore arrivée, d'après la disposition de celui par lequel toutes choses ont été faites dans le temps. » Enfin dès qu'arriva la plénitude du temps, vint celui qui devait nous délivrer du temps. Or une fois délivrés du temps, nous arriverons à cette éternité où le temps aura disparu. En troisième lieu, l’opportunité se tire du côté de la blessure et de la maladie. Comme elle était universelle, il devint opportun de fournir un remède universel, ce qui fait dire à saint Augustin : « Alors arriva le, grand médecin, quand par tout l’univers souffrait abattu le grand malade. » C'est la raison pour laquelle l’Église, dans les sept antiennes qu'elle chante avant la Nativité de Notre-Seigneur, montre l’innombrable complication de ces maladies et réclamé pour chacune d'elles l’intervention du médecin : car, avant la venue du Fils de Dieu en la chair, nous étions ignorants ou aveugles, engagés dans la damnation éternelle, esclaves du démon, enchaînés à la mauvaise habitude du péché, enveloppés de ténèbres, enfin des exilés chassés de leur patrie. Nous avions donc besoin d'un docteur, d'un rédempteur, d'un libérateur, d'un émancipateur, d'un éclaireur et d'un Sauveur. Comme nous étions des ignorants et due nous avions besoin d'être instruits par le Fils de Dieu, voilà pourquoi tout d'abord, dans la première antienne, nous chantons : « O Sapientia... O sagesse sortie de la bouche du Très-Haut... venez nous enseigner la voie de la prudence. » Mais à quoi eût servi d'être instruits, si nous ne dussions pas être rachetés ? Aussi demandons-nous que le Fils de Dieu nous rachète, quand nous lui crions dans la seconde antienne : « O Adonaï... O Adonaï, chef de la maison d'Israël... venez, étendez votre bras pour nous racheter. » Mais à quoi bon avoir été instruits et rachetés, si après notre rédemption nous eussions encore été retenus captifs? C'est alors que nous demandons d'être délivrés, quand, dans la troisième antienne, nous chantons : « O radix Jesse... O rejeton de Jessé... venez nous délivrer; ne tardez pas. » Mais être délivrés et être rachetés, qu'était-ce pour des captifs, s'ils n'étaient cependant pas encore dégagés de tout lien, de manière à ne pas s'appartenir et ne pouvoir librement aller où ils voudraient? Il était donc peu avantageux qu'il nous eût rachetés et délivrés, si nous restions encore enchaînés. C'est pourquoi nous demandons à être dégagés de tous les liens du péché, quand, clans la quatrième antienne, nous disons à haute voix : « O clavis David... O clef de David... venez, faites sortir de sa prison le captif assis dans les ténèbres et à l’ombre de
la mort. » Or parce que ceux qui sont restés longtemps dans une prison, ont les yeux troubles et ne sauraient distinguer les objets, libérés alors de la prison, il nous reste à être éclairés pour voir où nous devons aller, et dans la cinquième antienne nous nous écrions : « O oriens... O orient, splendeur de lumière éternelle... venez et éclairez ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. » Mais que sert d'être instruits, rachetés, délivrés de tous nos ennemis et éclairés, si nous ne devions être sauvés? Donc dans les deux antiennes suivantes, nous demandons d'être sauvés, en disant : « O Rex Gentium... O Roi des Nations... venez sauver l’homme que vous avez formé du limon. » Et encore : « O Emmanuel... O Emmanuel... venez nous sauver, ô Seigneur notre Dieu. » Par la première, nous demandons le salut des, nations, en disant : « O Roi des Nations. » Par la seconde, nous réclamons le salut des Juifs, auxquels Dieu avait donné la loi; en sorte que nous disons : « O Emmanuel, notre roi et notre législateur. »
L'utilité de l’avènement de J.-C. est attribuée à diverses causes par différents saints. Dieu lui-même, en saint Luc (IV), dit être venu et avoir été envoyé pour sept utilités : « L'Esprit du Seigneur est sur moi... » Il expose successivement en ce passage, qu'il a été envoyé pour consoler les pauvres, guérir ceux qui sont affligés, délivrer les captifs, éclairer les ignorants, remettre les péchés, racheter tout le genre humain et pour rendre à chacun selon ses mérites. Saint Augustin donne trois raisons de l’utilité de l’avènement de J.-C. : « Dans ce siècle livré à la malice, dit-il, qu'y a-t-il, si ce n'est naître, travailler et mourir? Voilà les denrées de notre pays : et c'est pour se les procurer que le marchand est descendu. Or par la raison que le marchand donne et reçoit, qu'il donne ce qu'il a et qu'il reçoit ce dont il est privé, J.-C., dans ce marché, donne ce qu'il a et reçoit ce qui se trouve ici-bas en abondance : la naissance, le travail et la mort. En échange il donne de renaître, de ressusciter et de régner éternellement. Ce céleste marchand vient à nous pour recevoir le mépris et; combler d'honneurs, pour subir la mort et octroyer la vie, pour épuiser l’ignominie et donner la gloire. » Saint Grégoire énumère quatre utilités ou causes de, l’avènement de J.-C. : « Tous les orgueilleux issus de la race d'Adam, dit ce Père, n'avaient pour but que d'aspirer à tous les bonheurs ici-bas, d'éviter les adversités, de fuir les opprobres et de rechercher la gloire. Or le Seigneur, en s'incarnant, vient subir l’adversité, mépriser le bonheur, embrasser les opprobres et fuir la gloire. Le Christ attendu arrive ; aussitôt il nous apprend des choses nouvelles, par là il opère des merveilles et détruit le mal. » Saint Bernard en assigne d'autres causes : « Nous souffrons, dit-il, bien misérablement de trois sortes de maladies, car nous sommes faciles à séduire, faibles pour agir et fragiles pour résister. Si nous voulons discerner entre lé bien et le mal, nous nous trompons; si nous essayons de faire le bien, le courage nous manque ; si nous faisons des efforts pour résister au mal, nous nous laissons vaincre. De là la nécessité de la venue d'un Sauveur, afin qu'en habitant avec nous par la foi, il illumine notre aveuglement; qu'en restant avec nous, il aide à notre infirmité et qu'en se posant pour nous, il protège et défende notre fragilité. »
7
Considérons deux faits par rapport au second avènement, c'est-à-dire au jugement ce qui le précédera et ce qui l’accompagnera. Trois choses le précéderont; ce seront des signes terribles : l’Antéchrist avec ses impostures et la violence du feu. Les terribles signes précurseurs du jugement sont au nombre de cinq dans saint Luc (XXI) : « Il y aura des signes dans le soleil; la lune et les étoiles; et sur la terre, la consternation des peuples, au bruit de la mer et des flots. » Les trois premiers signes sont dépeints dans l’Apocalypse (VI). « Le soleil devint noir comme un sac de poil, la lune paraissait être du sang et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre. » Or le soleil s'obscurcira ou quant à sa lumière, comme s'il paraissait gémir sur la mort du père de famille, c'est-à-dire de l’homme, ou parce qu'il surviendra mue plus grande lumière, savoir la lumière de J.-C., ou d'après une manière de parler métaphorique, parce que, selon saint Augustin, la vengeance divine sera si rigoureuse que le soleil lui-même n'osera regarder, ou, d'après une signification mystique, parce que le soleil de justice, J.-C. , sera alors si obscurci que pas un n'osera confesser son nom. Il est ici question du ciel aérien et ces étoiles dont on parle ne sont autre chose que là substance qui parait être celle de ces astres; alors il est dit qu'elles tomberont du ciel, comme si c'était la chute d'une substance, ainsi qu'on le pense communément des corps qui s'abaissent. L'Écriture se conforme ici à notre manière ordinaire de parler. L'impression qui en résultera sera immense, parce que ce sera le feu qui dominera; le Seigneur agissant ainsi afin d'imprimer de l’effroi aux pécheurs. Ou bien encore on dit que les étoiles tomberont, parce qu'elles projetteront au loin des queues pareilles à celles des comètes; ou bien que beaucoup qui paraissaient briller dans FÉglise comme des étoiles, feront de lourdes chutes; ou enfin qu'elles perdront leur lumière et deviendront complètement invisibles. Le quatrième signe sera: la détresse sur la terre :c'est ce qu'on lit dans saint Mathieu (XXIV) : « Il y aura alors une affliction telle qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde, etc. » Quelques-uns mettent pour cinquième signe le bouleversement de la mer détruite avec un grand fracas et transformée, selon ces paroles de l’Apocalypse (XXI) : « Et la mer n'existe plus. » D'après d'autres, ce sera un bruit causé par le fracas des vagues qui s'élèveront de quarante coudées au-dessus des montagnes et qui ensuite tomberont. Saint Grégoire suit ici le sens littéral : « Alors il y aura une perturbation étrange et insolite sur la mer et les flots. » Saint Jérôme, en ses Annales des Hébreux *, trouve quinze signes précurseurs du jugement. Seront-ils successifs ou intermittents ?
* Le B. Jacques de Voragine copie tous ces détails dans l’Histoire Scholastique de Pierre Comestor.
Il ne s'en explique pas. Le premier jour, la mer s'élèvera droit comme un mur de quarante coudées au-dessus des plus hautes montagnes. Le 2e jour, elle s'abaissera au
point d'être presque invisible; le 3e jour, des bêtes marines nageront au-dessus de la mer et pousseront des rugissements qui s'élèveront jusqu'au ciel et Dieu seul aura l’intelligence de leurs mugissements; le ie, la! Mer et l’eau brûleront ; le 5e, les arbres et les herbes se couvriront d'une rosée de sang : s'il faut en croire quelques auteurs, ce cinquième jour encore, tous les oiseaux du ciel se rassembleront dans les champs, chaque espèce à part, sans manger ni boire, mais resteront transis, à l’arrivée prochaine du souverain Juge. Au 6e jour, crouleront les édifices; on dit qu'en ce 6e jour encore la foudre ira du coucher du soleil jusqu'à son lever contre la face du firmament. Au 7e jour, les pierres s'entrechoqueront et se partageront en quatre, et on prétend que chaque morceau se frappera l’homme ne pourra s'en expliquer le son, Dieu seul le comprendra. Dans le 8e jour, tremblement de terré général, si violent, dit-on, que pas un homme, pas un animal ne pourra rester debout, mais tous seront jetés à terre. Le 9e , la terre sera nivelée et les collines et toutes les montagnes seront réduites en poussière. Le 10e, les hommes sortiront des cavernes et iront comme des hébétés, sans pouvoir se parler les uns aux autres. Le 11e les ossements des morts se lèveront et se tiendront sur leurs sépulcres, car depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, tous les tombeaux s'ouvriront pour que les morts en puissent sortir. Le 12e jour, chute des étoiles : tous les astres, fixes et errants, épandront des chevelures enflammées et changeront de substance. En ce jour encore, tous les animaux viendront mugir dans la campagne, restant sans manger ni boire. Au 13e jour, mort des vivants, pour ressusciter avec les autres. Le 14e jour, le ciel et la terre brûleront. Dans le l5e jour seront créés de nouveaux cieux et une nouvelle terre, puis la résurrection générale.
Le second fait : qui précédera le jugement sera le prestige de l’Antéchrist. Ses efforts auront pour but de tromper les hommes de quatre manières : 1° par la ruse qu'il emploiera- pour interpréter à faux les Ecritures : car il voudra persuader et prouver par l’Écriture sainte qu'il est le Messie promis dans la loir et il détruira la toi de J.-C., pour établir la sienne. Sur ces paroles du psaume : « Etablissez sur eux un législateur, etc. » La glose porte que ce législateur est l’Antéchrist. Sur ces autres de Daniel (XI) : « Et ils mettront dans le temple l’abomination de la désolation. » La glose dit : « l’Antéchrist siègera, dans le temple comme une divinité, pour abolir la loi de Dieu; 2° il trompera par ses oeuvres miraculeuses. La 2e épître aux Thessaloniciens porte (2-9) : « Il viendra accompagné de la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. L'Apocalypse dit (XIII, 13) : « Et il fit des signes, jusqu'à faire descendre du feu du ciel en terre. » La glose ajoute: «Comme l’esprit saint fut donné aux apôtres en forme de feu ; ceux-là donneront l’esprit malin sous la forme du feu; » 3° il trompera par l’abondance de ses dons (XI, 39) : « Il leur donnera beaucoup de puissance, dit Daniel (XI, 39) et il partagera la terre gratuitement. La glose ajoute : « l’Antéchrist comblera de présents ceux qu'il aura trompés, et il partagera la terre entre les soldats de son armée. » En effet ceux qu'il n'aura pu soumettre par la crainte, il les subjuguera par l’avarice; 4° il séduira par les supplices qu'il infligera. «Il fera, ajoute Daniel (VIII), un
ravage étrange et au delà de toute croyance. » Saint Grégoire dit encore, en parlant de l’Antéchrist : « Il tue ceux qui sont robustes, quand il vainc corporellement ceux qui n'ont point été vaincus. »
Le troisième signe précurseur du jugement sera la véhémence du feu, qui paraîtra devant la face du souverain juge. Ce sera Dieu lui-même qui enverra ce feu, 1° pour renouveler le monde; il purifiera et renouvellera tous les éléments, et comme les eaux du déluge, il s'élèvera de 25 coudées au-dessus de toutes les montagnes. L'Histoire scholastique * prétend que les ouvrages des hommes ne sauraient atteindre une plus grande élévation ; 2° pour purifier les hommes, parce qu'il tiendra lieu du purgatoire à ceux qui seront trouvés encore vivants ; 3° pour le plus affreux supplice des damnés; 4° pour le plus grand éclat des saints. Car, selon saint Basile, Dieu, après avoir purifié le monde, séparera la chaleur de la lumière ; cette chaleur il l’enverra tout entière pour être le plus grand tourment des damnés, et la lumière ira vers les bienheureux pour augmenter leur joie.
* Chapitre XXXIV. L'Histoire scholastique est l’oeuvre de Pierre Comestor, chanoine et doyen de Sainte-Marie de Troyes, qui vivait dans la seconde moitié du XII° siècle.
Bien des circonstances accompagneront le jugement : 1° La discussion du juge : Le juge descendra dans la vallée de Josaphat pour juger les bons et les méchants; il placera les bons à droite et les méchants à gauche. On doit croire qu'il occupera un endroit élevé pour pouvoir être vu. Il ne faut pas penser que tous seront dans cette petite vallée ; ce qui serait chose puérile, dit saint Jérôme; mais ils seront là, et dans les lieux environnants. Sur un petit espace de terre peuvent se placer des milliers d'hommes, surtout quand on les presse. Et encore, s'il est besoin, les élus seront élevés dans l’air, en raison de l’agilité de leurs corps. Les damnés pourront être : aussi suspendus par la puissance de Dieu. Alors le juge discutera avec les méchants, et il leur fera un crime des oeuvres de miséricorde qu'ils n'auront pas accomplies; tous alors pleureront sur eux-mêmes, selon ce que dit saint Chrysostome sur saint Mathieu : «Les juifs pleureront sur eux-mêmes à la vue de J.-C. vivant et vivifiant, qu'ils regardaient comme un homme ayant subi la mort et en voyant son corps avec ses plaies, ils seront convaincus et ne pourront nier leur crime. » Les gentils pleureront aussi sur eux-mêmes, trompés qu'ils avaient été par les nombreuses discussions des philosophes; ils pensaient que c'était folie et chose irrationnelle d'adorer un Dieu crucifié. Les chrétiens pécheurs pleureront sur eux-mêmes, pour avoir mieux aimé le monde que Dieu ou J.-C. Les hérétiques pleureront sur eux-mêmes pour avoir dit que J.-C. était simplement un homme qui avait été crucifié, quand ils verront en lui le juge que les juifs ont fait souffrir. Sur elles-mêmes pleureront toutes les tribus de la terre; car il n'y aura plus de force pour lui résister, plus de faculté de fuir de sa présence, plus de moyen de faire pénitence, plus de temps laissé à la satisfaction.. Tout sera dans l’angoisse, il ne restera de place que pour le deuil.
2° La différence des rangs. Saint Grégoire s'exprime ainsi : « Au jugement, il y aura quatre rangs : deux dés réprouvés et deux des Elus. Les uns sont jugés et condamnés, comme ceux auxquels il est dit : « J'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger. » D'autres ne sont pas jugés et sont condamnés ; tels sont ceux dont il est dit : « Celui qui n'aura pas cru a déjà été jugé ; » car ceux-là n'écoutent pas les paroles da juge, qui n'ont pas voulu garder la foi, pas même en un seul point. Les autres sont jugés et règnent : tels sont les parfaits qui jugeront les autres, non pas qu'ils portent la sentence, cela n'appartient, qu'au juge; mais on dit qu'ils jugent, en assistant le juge. Ce sera d'abord un sujet d'honneur pour les saints de siéger avec le souverain juge, ainsi qu'il l’a promis (Mathieu, V, 9). « Vous serez placés sur des trônes pour juger, etc... » Ensuite ils témoigneront de la sentence du juge; ils l’approuveront comme ont coutume de faire ceux qui la souscrivent. Au psaume CXLIX, il est dit : « Ils écriront la minute du jugement. » En troisième lieu, leur assistance sera pour la condamnation des damnés : elle sera portée contre eux d'après le témoignage des oeuvres de leur vie; 3° Les insignes de la Passion, qui sont : la croix, les clous et les cicatrices imprimées sur le corps de J.-C. Telles seront: 1° Les preuves ostensibles de sa victoire glorieuse; aussi les verra-t-on resplendissantes de gloire. Ce qui fait dire à saint Chrysostome sur saint Mathieu : « La croix et les cicatrices seront plus brillantes que les rayons du soleil. » Considérez aussi combien est grande la vertu de la croix. Le soleil sera obscurci et la ligne ne donnera plus de lumière, pour nous apprendre que la croix est plus lumineuse que la lune, plus resplendissante que le soleil; 2° Ces insignes témoigneront de sa ; miséricorde, qui seule aura sauvé les bons; 3° de sa justice; on verra par là avec combien d'équité les réprouvés seront damnés pour avoir méprisé leur rançon énorme que J.-C. a acquittée avec son sang. Aussi leur adressera-t-il ces reproches que saint Chrysostome met dans sa bouche : « J'ai été fait homme pour vous; pour vous j'ai été lié, moqué, meurtri et crucifié; où est le fruit de tant d'injures que j'ai reçues ? Voici le prix du sang donné par moi pour le rachat de vos âmes. Quelles sont vos oeuvres en compensation de mon sang ? Je vous ai préférés à ma gloire, alors que j'ai voilé ma divinité sous les apparences d'un homme, et vous m'avez prisé plus bas que toutes vos richesses. En effet la chose la plus vile de la terre, vous l’avez préférée à ma justice et à ma loi. »
Le quatrième fait, c'est la sévérité du juge : « La crainte ne le fera pas fléchir, car il est tout puissant. » (Saint Chrysostome). Il n'y aura pas moyen de lui résister, ni de le fuir, etc. « Les présents ne le sauraient corrompre, il est si riche ! » (Saint Bernard). « Il viendra ce jour où les coeurs purs auront plus de valeur que les paroles adroites, et une conscience nette l’emportera sur les bourses pleines. C'est lui qui ne se laissera pas tromper par les paroles, ni fléchir par les présents » (saint Augustin); « Le jour du jugement est attendu et apparaîtra alors le juge intègre par excellence, qui ne fera acception d'aucune personne puissante; dont le palais, ni par or, ni par argent, ne pourra être souillé par la présence d'aucun évêque, abbé, ni comte. » Étant très bon, il ne saurait
être entraîné ni par la haine, qui n'a aucune prise sur lui « Vous n'avez haï rien de ce que vous avez fait, » est-il dit au livre de la Sagesse (XI) ; ni par l’amour, car il est très juste : aussi ne délivrera-t-il pas ses frères, c'est-à-dire les faux chrétiens : « Le frère ne rachètera pas » (Psaume) ; ni par l’erreur, il est très sage (saint Léon).
Son aspect est redoutable, il connaît tous les secrets, pénètre dans ce qu'il y a de plus compact; pour lui les ténèbres luisent, les muets répondent, le silence parle, et l’esprit articule sans le secours de la voix. Or comme sa sagesse est tellement grande, contre elles donc ne pourront rien les allégations des avocats, ni les sophismes des philosophes, ni l’éloquence la plus brillante des orateurs, ni les ruses des fourbes. » A ce sujet, qu'on écoute saint Jérôme : « Combien de muets qui seront plus heureux là, que ceux qui parlent facilement ; que de bergers plus heureux que les philosophes, de paysans que les orateurs ; combien de niais l’emporteront sur l’adresse d'un Cicéron. »
Le cinquième fait, c'est l’accusateur affreux. Il y aura trois accusateurs contre le pécheur: Le premier, c'est le diable (saint Augustin). « Accourra alors le diable qui répétera les paroles de notre profession et qui nous opposera toutes nos actions, dans quel lieu, à quelle heure nous avons péché, ce que nous avons dû faire de bien alors. Cet adversaire devra dire en effet : « Très équitable juge, jugez que celui-ci m'appartient en raison de sa faute; lui qui n'a pas voulu être vôtre par la grâce : vôtre par sa nature, il est devenu mien par sa misère; vôtre, à cause de votre passion : il est mien par ma persuasion. Désobéissant à vous, il n'a été obéissant qu'à moi; de vous, il a reçu la robe d'immortalité, de moi il a reçu ces lambeaux qui le recouvrent ; il s'est dépouillé de votre vêtement, et il est venu ici avec le mien: Très équitable juge, jugez qu'il est mien et qu'il doit être damné avec moi. » Oh! Pourra-t-il ouvrir la bouche celui qui est trouvé tel qu'il y aura justice à (envoyer avec le diable ! » (ce sont les paroles de saint Augustin.
Le second accusateur sera le crime lui-même : Car chacun sera accusé par ses propres péchés. Il est écrit au livre de la Sagesse (IV) : « Ils paraîtront pleins d'effroi au souvenir de leurs offenses : et leurs iniquités se soulèveront contre eux pour les accuser. » Saint Bernard ajoute : « Alors leurs oeuvres élèveront ensemble la voix et diront : C'est toi qui nous as faites; nous sommes tes oeuvres ; nous ne te lâcherons point, mais nous serons constamment avec toi, et avec toi nous irons au jugement. » Et elles t'accuseront d'une infinité de crimes divers.
Le troisième accusateur, ce sera le monde entier (saint Grégoire). « Me demandez-vous quel sera celui qui vous accusera? Je vous réponds : Tout le monde car le créateur étant offensé, tout le monde l’est. » Saint Antoine commente ainsi saint Mathieu : « En ce jour-là, il n'y aura pour nous rien à répondre, alors que le ciel et la terre, l’eau, le soleil et la lune, les jours et les nuits, l’univers, en un mot, se lèvera devant Dieu contre nous pour rendre témoignage de nos fautes. Et quand l’univers se tairait, même nos pensées, même nos oeuvres se lèveront en présence de Dieu et nous accuseront sans ménagement. »
Le sixième fait, c'est le témoin infaillible. Le pécheur en aura' trois à charge. Le premier qui viendra sera au-dessus de lui, ce sera Dieu ; il sera juge et témoin. « Je suis
juge et témoin, dit le Seigneur, » (Jérémie, XXIX). Le second sera au dedans de lui, ce sera sa conscience (saint Augustin). « Craignez-vous le juge à venir? Corrigez dès aujourd'hui votre conscience; car ce qui défendra votre cause, ce sera le témoignage de votre conscience. » Le troisième témoin sera à côté de lui, son propre ange gardien, qui, comme le confident de tout ce qu'il a fait, rendra témoignage contre lui (Job, XX). « Les cieux (c'est-à-dire, les anges) dévoileront son iniquité. »
Le septième fait, ce sera l’accusation du pécheur. Voici ce qu'en dit saint Grégoire : « Oh ! Combien étroites seront alors les voies du pécheur! Au-dessus un juge irrité, au-dessous l’horrible chaos: à droite, les péchés accusateurs, à gauche un nombre infini de démons entraînant aux supplices, au dedans une conscience bourrelée, au dehors un monde acharné. Le misérable pécheur ainsi environné, où fuira-t-il? Se cacher sera impossible, se montrer, intolérable. »
Le huitième fait, c'est la sentence irrévocable. En effet de cette sentence il ne pourra jamais avoir ni cassation, ni appel. Trois motifs s'opposent en justice criminelle à l’appel : 1° Un juge éminent. En effet on n'appelle pas d'un roi qui porte une sentence dans ses états, car il n'a personne au-dessus de lui dans son royaume, ainsi on n'en appelle ni de l’empereur, ni du pape; 2° Un crime prouvé. Quand le crime est notoire il ne saurait y avoir appel; 3° L'urgence. Alors qu'il y a péril en la demeure il né saurait y avoir de sursis à l’exécution. Il y a encore trois motifs pour lesquels on ne reçoit point appel. Le pape lui-même ne pourrait le recevoir : 1° à cause de l’excellence du juge ; le juge ici n'a aucun supérieur, mais il l’emporte sur tous en éternité, en dignité, en puissance. On pourrait en quelque sorte en appeler de l’empereur ou du pape à Dieu; mais on ne saurait en appeler de Dieu à quelqu'un puisqu'il n'est personne au-dessus de lui; 2° à cause de l’évidence du crime, car là les abominations et les crimes des réprouvés seront notoires et manifestes. « Il viendra le jour, dit saint Jérôme, où l’on verra toutes nos iniquités écrites comme sur un tableau; » 3° l’urgence. Rien de ce qui se fait là ne souffre de retard, mais tout s'écoule en un moment, en un clin d'oeil.
SAINT ANDRÉ, APÔTRE
André veut dire beau, ou caution, ou viril, d'ander, homme; ou bien encore anthrôpos, homme, d'ana, au-dessus, et tropos tourné, ce qui est la même chose que converti, comme s'il eût été converti aux choses du ciel et élevé vers son créateur. Aussi, est-il beau dans sa vie, caution d'une doctrine pleine de sagesse, homme fort dans son supplice, et élevé en gloire. Son martyre fut écrit par les prêtres et les diacres d'Achaïe ou d'Asie qui en ont été les témoins oculaires.
André et quelques autres disciples furent appelés à trois reprises différentes par le Seigneur. La première ( fois qu'il les appela à le connaître, ce fut un jour qu'André avec un autre disciple ouït dire par Jean, son maître : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde. » Et tout aussitôt, avec cet autre disciple, il vint et vit où demeurait Jésus, et ils passèrent ce jour auprès de lui. Et André ayant rencontré Simon, son frère, il l’amena à Jésus. Le lendemain ils retournèrent à leur métier de pêcheurs. Plus tard il les appela pour la seconde fois à vivre avec lui. Ce fut le jour où la foule se pressait sur, les pas de Jésus auprès du lac de Génésareth aussi appelé mer de Galilée ; le Sauveur entra dans la barque de Simon et d'André, et après une pêche extraordinaire, il appela Jacques et Jean qui étaient dans une autre barque. Ils le suivirent et revinrent ensuite chez eux. Jésus les appela la troisième et dernière fois pour être ses disciples, lorsque se promenant sur le bord . de cette même mer où ils se livraient à la pêche : « Venez, leur dit-il, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. » Ils quittèrent tout à l’instant pour le suivre toujours et ne plus retourner en leur maison. Toutefois il appela André et d'autres de ses disciples à l’apostolat, selon que le rapporte saint Marc (III) : « Il appela à lui ceux qu'il voulut lui-même et ils vinrent à lui au nombre , de douze. »
Après l’ascension du Seigneur, et la séparation des Apôtres, André prêcha en Scythie et Mathieu en Myrmidonie *.
* L'Ethiopie. Nicéphore appelle la ville Myrmenen, lib. I, c. XLI, il ajoute que c'était le pays des anthropophages.
Les habitants de ce dernier pays refusèrent d'écouter Mathieu, lui arrachèrent les yeux, le mirent dans les fers avec l’intention de le tuer quelques jours après. Sur ces entrefaites, l’ange du Seigneur apparut à saint André et lui ordonna d'aller en Myrmidoaie trouver saint Mathieu. Sur sa réponse qu'il n'en connaissait pas la route, il lui fut ordonné d'aller au bord de la mer et de monter sur le premier navire qu'il trouverait. Il exécuta tout de suite les ordres, qu'il recevait, et sous la conduite d'un ange, il vint, à l’aide d'un vent favorable, à la ville qui lui avait été désignée, trouva ouverte la prison de saint Mathieu et se mit à pleurer beaucoup et à prier en le voyant. Alors le Seigneur rendit à Mathieu le bon usage de ses deux yeux dont l’avait privé la malice des pécheurs. Mathieu s'en alla ensuite et vint à Antioche. André resta dans la ville dont les habitants, irrités de l’évasion de Mathieu, saisirent André et le traînèrent sur les places après lui avoir lié les mains. Et comme son sang coulait, il pria pour eux, et par sa prière les convertit à J.-C., de là il partit pour l’Achaïe *.
* S. Jérôme; Épître 148 à Marcelle; — Grégoire de Tours De Gloria Martyr., lib. I, c. XXXI; — S. Paulin, Gaudence de Bresce, Pierre Chrysologue, etc.
La lettre des prêtres d'Achaïe, sur le martyre de saint André, est une pièce du 1er au IIe siècle, qui a été démontrée authentique par le protestant Woog. Voyez sur cette épître la préface de Galland Veter Patr. Biblioth., I, prol., p. 38.
Ce qu'on rapporte ici de la délivrance de Mathieu et de la guérison de ses deux yeux, je ne le crois. pas digne de foi; car ce serait peu d'honneur porter à un si grand évangéliste de croire qu'il n'a pu obtenir pour soi-même ce que André obtint si facilement. Un jeune noble * s'étant attaché à l’apôtre malgré ses parents, ceux-ci mirent le feu à une maison où leur fils demeurait avec André. Comme la flamme s'élevait déjà fort haut, ce jeune homme prit un vase, en répandit l’eau sur le feu qui s'éteignit aussitôt. « Notre fils, dirent alors ses parents, est déjà un grand magicien. » Et pendant qu'ils voulaient monter au moyen des échelles, Dieu les aveugla au point qu'ils ne les voyaient même pas. Alors quelqu'un s'écria : « A quoi vous sert de vous consumer en vains efforts? Dieu combat pour eux et vous ne le voyez point! Cessez donc, de crainte que la colère de Dieu ne descende sur vous. » Or beaucoup de témoins de ce fait crurent au Seigneur; quant aux parents; ils moururent et furent enterrés cinquante jours après.
Une femme mariée à un assassin ne pouvait accoucher : « Allez, dit-elle à sa sueur, invoquer pour moi Diane notre déesse. » Le diable dit à celle qui l’invoquait: « Pourquoi t'adresser à moi qui ne saurais te secourir? Va plutôt trouver l’apôtre André qui pourra aider ta soeur ** »
* Abdias, Saint André, c. XII.
** Idem, Ibid., c. XXX.
Elle y alla, et mena l’apôtre chez sa soeur en danger de périr. Il lui dit: « Il est juste que tu souffres, car tu es mal mariée ; tu as conçu dans le mal, et tu as consulté les démons. Cependant repens-toi, crois en J.-C. et accouche. » Elle crut, et accoucha d'un avorton; puis sa douleur cessa. Un vieillard nommé Nicolas alla trouver l’apôtre et lui dit*: « Seigneur, depuis soixante-dix ans je vis esclave de passions infâmes. J'ai cependant reçu l’évangile, et ai prié pour que Dieu m’accordât la continence. Mais accoutumé à ce péché, et séduit par la concupiscence, je suis retourné à mes désordres habituels. Un jour que brûlant, de mauvais, désirs, j'avais oublié que je portais l’évangile sur moi, j'entrai dans une maison de débauche : et la courtisane me dit aussitôt : « Sors, vieillard, sors, car tu es un ange de Dieu. Ne me touche pas et ne t'avise pas d'approcher; car je vois sur toi des prodiges. » Effrayé des paroles de cette femme, je me suis rappelé que j'avais apporté sur moi l’Évangile. Maintenant donc, saint de Dieu, obtenez mon salut par vos saintes prières. » En l’entendant, le bienheureux André se mit à pleurer, et depuis tierce jusqu'à none. il pria. Se levant de sa prière, il ne voulut point manger, mais il dit : « Je ne mangerai point avant de savoir si le Seigneur aura pitié de ce vieillard. » Après cinq jours de jeûne, une voix se fit entendre à André et dit: « André, tu obtiens ce que tu
sollicites pour ce vieillard, mais de même que tu t'es macéré par le jeûne aussi faut-il que pour être sauvé, lui aussi s'affaiblisse par les jeûnes. »
* Abdias, Saint André, c. XXXIII.
C'est ce que fit le vieillard en jeûnant pendant six mois au pain et à l’eau; après quoi, plein de bonnes oeuvres, il reposa en paix. Et une voix dit à André : « Par ta, prière, j'ai recouvré Nicolas que j'avais perdu. » Un jeune chrétien confia ce qui suit sous le plus grand secret à saint André*. « Ma mère, éblouie de ma beauté, me tenta pour une oeuvre illicite : comme je n'y consentais pas, elle alla trouver le juge, dans l’intention de faire peser sur moi l’énormité d'un tel crime: mais priez pour moi de peur que je ne meure injustement; car lors de l’accusation, je préférerai me taire et perdre la vie plutôt que déshonorer ainsi ma mère. » Le jeune homme est donc mandé cri justice : André l’y suit. La mère accusé positivement son fils d'avoir voulu la violer. Interrogé plusieurs fois si la chose s'était ainsi passée, le jeune homme ne répondit mot. André dit alors à cette mère « O la plus cruelle des femmes, de vouloir la perte de ton fils unique pour satisfaire ta débauche ! » La mère dit donc au juge : « Seigneur, voilà l’homme auquel s'est attaché pion fils après qu'il eût tenté de consommer son crime, sans pouvoir le commettre. » Alors le juge irrité condamna le jeune homme à être mis en un sac enduit de poix et de bitume puis ensuite jeté dans la rivière ; et il ordonna de garder en prison André, jusqu'à ce qu'il eût trouvé un supplice pour le faire périr.
* Adias, Saint André, c. VI.
Mais à la prière d'André, un tonnerre horrible épouvanta les assistants, et un tremblement de terre les renversa tous, en même temps que la; femme, frappée de la foudre, était desséchée. Tous conjurèrent alors l’apôtre de ne pas les perdre. Il pria pour eux et le calme se fit. Le juge crut ainsi que toute sa maison.
Comme l’apôtre était à Nicée, les habitants lui dirent que sur le chemin qui menait à la ville, se trouvaient sept démons qui tuaient les passants*. L'apôtre les fit venir sous la forme de chiens devant le peuple et leur commanda d'aller où ils ne pourraient nuire à personne. Aussitôt ils disparurent. A cette vue, ces hommes reçurent la foi de J.-C. En arrivant à la porte d'une autre ville, l’apôtre rencontra le convoi d'un jeune homme qu'on portait en terre : et comme il s'informait de l’accident, il lui fut dit que sept chiens étaient venus et l’avaient fait mourir dans son lit. André se mit à pleurer et dit: « Je sais bien, Seigneur, que c'est le fait des démons que j'ai chassés de Nicée. » Et s'adressant au père : « Que me donneras-tu, lui demanda-t-il, si je ressuscite ton fils?» « C'est tout ce que je possédais de plus cher au monde, répondit le père, je te le donnerai.» L'apôtre fit une prière et ressuscita l’enfant qui s'attacha à lui.
Un, jour quarante hommes vinrent par mer trouver l’apôtre afin de recevoir de lui la doctrine de la foi, mais le diable excita une tempête, qui les engloutit tous. Leurs corps ayant été rejetés sur le rivage, furent portés à l’apôtre et tout aussitôt ressuscités. Ils racontèrent tout ce qui leur était arrivé.
De là vient qu'on lit dans une des hymnes de son office : « Il rendit à la vie.quarante: personnes que les flots avaient englouties. » Maître Jean Beleth ** dit en traitant de la fête de saint André, qu'il avait le teint brun, la barbe épaisse et une petite taille.
* Abdias, Saint André, c. VII.
* Rationale, c. CLXIV,
Or saint André resta en Achaïe, y fonda de nombreuses églises et convertit beaucoup de monde à la foi du Christ. Il instruisit même la femme du proconsul Egée et la régénéra dans les eaux sacrées du baptême. A cette nouvelle, Egée vient à Patras pour contraindre les chrétiens à sacrifier aux idoles. André alla a sa rencontre et lui dit : « Il fallait que toi qui as l’honneur d'être ici-bas le juge des hommes, tu connusses et ensuite tu honorasses ton juge qui est dans le ciel, après avoir renoncé en ton coeur aux faux dieux.*. »
* Abdias, Saint André, c. XXVI..
Égée lui répliqua : « C'est toi qui es André : tu enseignes les dogmes de cette secte superstitieuse que les empereurs romains viennent de prescrire d'exterminer. » « Les empereurs romains, dit André, n'ont pas encore appris que le Fils de Dieu, en venant sur la terre, a enseigné que les idoles sont des démons qui apprennent à offenser Dieu; en sorte qu'offensé par les hommes il détourne d'eux son visage, qu'irrité contre eux, il ne les exauce point, et qu'en ne les exauçant pas, ils sont les esclaves et le jouet du diable, jusqu'à ce que dépouillés de tout en sortant de leur corps, ils n'emportent avec eux rien autre que leurs péchés. » Egée : « Votre Jésus qui prêchait ces sottises a été attaché au gibet de la croix. André répartit : « C'est pour nous racheter et non pour des crimes qu'il a bien voulu souffrir le supplice de la croix. » Égée : « Il a été livré par son disciple, pris par les Juifs et crucifié par les soldats ; comment donc peux-tu dire qu'il a souffert de plein gré lesupplice de la croix! » Alors André démontra par cinq raisons que Jésus-Christ avait souffert parce qu'il l’avait voulu. 1° Il a prévu et prédit sa passion à ses disciples, lorsqu'il dit : « Voici que nous allons à Jérusalem, etc... » 2° Quand saint Pierre voulut l’en détourner il s'indigna fortement et lui dit : « Va-t-en derrière moi; Satan, etc... » 3° Il a clairement annoncé qu'il avait le pouvoir et de souffrir et de ressusciter tout à la fois, lorsqu'il dit : « J'ai la puissance de quitter la vie et de la reprendre. » 4° Il a connu d'avance celui qui le trahissait, lorsqu'il lui donna du pain trempé, et cependant il ne se
garda pas de lui. 5- Il choisit l’endroit où il savait que devait venir le traître. Lui-même assura avoir été témoin de chacun de ces 'faits ; il ajouta que c'était un grand mystère que celui de la croix. Égée répondit : « On rie saurait appeler mystère ce qui 'fut un supplice ; cependant si tu n'obtempères pas à mes ordres, je te ferai passer par l’épreuve du même mystère. » André : « Si j'étais épouvanté du supplice de la croix, je n'en proclamerais point la gloire. Or je veux t'apprendre ce mystère de la croix, peut-être qu'en le connaissant tu y croiras; tu l’adoreras et tu seras sauvé. » Alors il commença à lui dévoiler le mystère de la Rédemption et lui en prouva par cinq arguments la convenance et la nécessité. Le premier argument est que le premier homme ayant donné naissance à la mort par le bois, il était convenable que le second homme détruisît la mort en souffrant sur le bois. Le second, que le prévaricateur ayant été formé d'une terre immaculée, il était juste que le réconciliateur naquit d'une vierge immaculée.
Le troisième, que Adam ayant étendu la main avec intempérance vers le fruit défendu, il seyait que le second Adam étendît sur la croix ses mains immaculées. Le quatrième, que Adam ayant goûté de l’arbre défendu un fruit agréable, il était convenable que le Christ, lorsqu'il fut abreuvé de fiel, détruisît le contraire par son contraire. Le cinquième est que, pour nous conférer son immortalité, il importait que le Christ prît avec lui notre mortalité : car si Dieu ne s'était fait mortel, l’homme ne fût pas devenu immortel. Alors Égée dit : « Va conter aux tiens ces rêveries, et obéis-moi en sacrifiant aux dieux tout-puissants. » « Chaque jour, répondit André, j'offre au Dieu tout-puissant l’agneau sans tache, et quand il a été mangé par tout le peuple, cet agneau reste vivant et entier. » Égée demandant comment cela pouvait-il se faire, André lui répondit de se mettre au nombre des disciples. Égée répliqua: « Avec des tourments, je saurai bien te faire expliquer la chose. » Et tout en colère, il le fit enfermer dans une prison. Le matin étant venu, il s'assit sur son tribunal et de nouveau il l’exhorta à sacrifier aux idoles. « Si tu ne m’obéis, lui dit-il, je te ferai suspendre à cette croix que tu as glorifiée. » Et comme il le menaçait de nombreux tourments, André répondit : « Invente tout ce qui te paraîtra de plus cruel en fait de supplice. Plus je serai constant à souffrir dans les tourments pour le nom de mon roi, plus je lui serai agréable. Alors Égée le fit fouetter par vingt hommes, et le fit lier ensuite à une croix par les mains et par les pieds afin qu'il souffrît plus longtemps. Et comme il était conduit à la croix, il se fit un grand concours de peuple qui disait : « Il est innocent et condamné sans, preuves à verser son sang. » Cependant, l’apôtre pria cette foule de- ne point s'opposer, à son martyre. Et quand André aperçut la croix de loin, il la salua en disant : « Salut, ô croix consacrée par le sang de J.-C., et décorée par chacun de ses membres comme avec dés pierres précieuses. Avant que le seigneur eût été élevé sur toit tu étais un sujet d'effroi pour la terre; maintenant en procurant l’amour du ciel, tu es l’objet de tous les désirs. Plein de sincérité et dejoie, je viens à toi afin de te procurer la joie de recevoir en moi un disciple de celui qui a été pendu sur toi. En effet toujours je t'ai aimée et ai désiré t'embrasser. O bonne croix 1 qui
as reçu gloire et beauté des membres du Seigneur. Toi que j'ai longtemps désirée, que-j'ai aimée avec sollicitude, que j'ai recherchée sans relâche et qui enfin es préparée à, mon âme désireuse, reçois-moi du milieu des hommes, et me rends à mon maître afin qu'il me reçoive par toi, lui qui par toi m’a racheté. » En disant ces mots, il se dépouilla de ses vêtements qu'il donna aux bourreaux. Alors ceux-ci le suspendirent à la croix, comme il leur avait été prescrit. Pendant deux jours qu'il y vécût, il prêcha à vingt mille hommes qui l’entouraient. Cette foule menaçait Égée de le faire mourir, en disant qu'un saint doux et pieux ne devait pas ainsi périr; Egée vint pour le délivrer. A sa vue André lui dit: « Pourquoi viens-tu vers nous? Si c'est pour demander pardon, tu l’obtiendras; mais si c'est pour me détacher, sache que je ne descendrai pas vivant de la croix. Déjà en effet je vois mon roi qui m’attend. » Et comme on voulait le délier, on ne put y parvenir, parce que les bras de ceux qui essayaient de le faire devenaient paralysés. Pour André, comme il voyait que le peuple le voulait délivrer, il fit cette prière sur la croix, comme la rapporte saint Augustin en son livre de la Pénitence. « Ne permettez pas, Seigneur, que je descende vivant, il est temps que vous confiiez mon corps à la terre, car tant que je l’ai porté, tant j'ai veillé à sa garde ; j'ai travaillé à vouloir être délivré de ce soin, et à être dépouillé de ce très épais vêtement. Je sais combien je l’ai trouvé lourd à porter, redoutable à vaincre, paresseux à enflammer et prompt à faiblir. Vous savez, Seigneur, combien il était ; porté à m’arracher aux pures contemplations ; combien il s'efforçait de me tirer du sommeil de votre charmant repos. Toutes et quantes fois il me fit souffrir de douleur. Chaque fois que je l’ai pu, Père débonnaire, j'ai résisté en combattant et j'ai vaincu avec votre aide. C'est à vous, juste et pieux rémunérateur, que je demande de ne plus me confier à ce corps: mais, je vous rends ce dépôt. Confiez-le à un autre, et ne m’opposez plus par lui d'obstacles. Qu'il soit conservé et rendu à la résurrection, afin que vous retiriez honneur de ses oeuvres. Confiez-le à la terre afin de ne plus veiller, afin qu'il ne m’empêche pas de tendre avec ardeur et librement vers vous qui êtes la source d'une vie de joie intarissable. » (Saint Augustin, De vexa et falsa poenit., c. VIII). Après ces paroles, une lumière éclatante venue du ciel l’entoura pendant une demi-heure, en sorte que personne ne pouvait fixer sur lui les yeux ; et cette lumière disparaissant, il rendit en même temps l’esprit. Maximilla, l’épouse d'Egée, prit le corps du saint apôtre et l’ensevelit avec honneur *. Quant à Egée, avant d'être rentré dans sa maison, il fut saisi par le démon et à la vue de tous il expira sur le chemin. On dit ** que du tombeau de saint André découle une manne semblable à de la farine et une huile odoriférante. Les habitants du pays en tirent un présage pour la récolte : car si ce qui coule est en petite quantité, la récolte sera peu-considérable, s'il en coule beaucoup, elle sera abondante. Peut-être qu'il en a été ainsi autrefois, mais aujourd'hui on prétend que son corps a été transporté à Constantinople.
* Bréviaire romain.
** Saint Grégoire de Tours, ubi supra.
Un évêque, qui menait une vie sainte, avait une vénération particulière pour saint André, en sorte qu'à chacun de ses ouvrages, il mettait en tête : « A l’honneur de Dieu et de saint André. » Or jaloux de la sainteté de ce personnage, l’antique ennemi, pour le séduire, après avoir employé toutes sortes de ruses, prit la forme d'une femme, merveilleusement belle. Elle vint au palais de l’évêque sous prétexte de vouloir se confesser à lui. Sur l’ordre de l’évêque de l’adresser à son pénitencier qui avait tous ses pouvoirs, elle répondit qu'elle ne révélera à nul autre qu'à lui les secrets de sa conscience. Le Prélat touché la fait entrer. « Je vous en conjure, Seigneur; lui dit-elle, ayez pitié de moi : car jeune encore, ainsi que vous le voyez, élevée dans les délices dès mou enfance, issue même de race royale, je suis venue seule ici sous l’habit des pèlerins. Le roi mon père, prince très puis-, sont, voulant me marier à un grand personnage; je lui ai répondu que j'avais en horreur le lien du mariage, puisque j'ai consacré ma virginité pour toujours à J.-C. et qu'en conséquence je ne pourrais jamais cousentir à la perdre. Pressée d'obéir à ses ordres, ou de subir sur la terre différents supplices, je pris secrètement la fuite, préférant m’exiler que de violer la foi jurée à mon époux. La renommée de votre sainteté étant parvenue à mes oreilles, je me suis réfugiée sous les ailes de votre protection, dans l’espoir de trouver auprès de vous un lieu de repos où je puisse jouir en secret des douceurs de la contemplation, me sauver des naufrages de la vie présente, enfuir le bruit et les agitations du monde. » Plein d'admiration pour la noblesse de sa race, la beauté de sa personne, sa grande ferveur, et l’élégance remarquable de ses paroles, l’évêque lui répondit avec bonté et douceur « Soyez tranquille, ma fille; ne craignez point, car celui pour l’amour duquel vous avez méprisé avec tant de courage et vous-même, et vos parents et vos biens, vous accordera, pour ce sacrifice, le comble de la grâce en cette vie et la plénitude de la gloire en l’autre. Aussi moi qui suis son serviteur, je m’offre à vous avec ce qui m’appartient: choisissez l’appartement qu'il vous plaira, et je veux qu'aujourd'hui vous mangiez avec moi. » « Veuillez, ah! Veuillez, dit-elle, mon Père, ne pas exiger cela de moi, de peur d'éveiller quelque mauvais soupçon et de porter quelque atteinte à l’éclat de votre réputation. » « Nous serons plusieurs, lui répondit l’évêque, nous ne serons pas seuls, et ainsi il n'y aura pas lieu de fournir eu quoi que ce soit l’apparence à mauvais soupçon. » Les convives se mirent à table, l’évêque se plaça en face de la dame et les autres de l’un et de l’autre côté. L'évêque eot beaucoup d'attention pour cette femme ; il ne cessa de la regarder et d'en admirer la beauté. Pendant qu'il a les yeux fixés ainsi, son âme est atteinte, et tandis qu'il ne cesse de la regarder, l’antique ennemi lance contre son coeur une flèche acérée. Le Diable, qui tenait compte de tout, se mit à augmenter de plus en plus sa beauté. Déjà l’évêque était sur le point de donner son consentement à la tentation de commettre avec cette personne une action criminelle dès que la possibilité s'en présenterait, quand tout à coup un pèlerin vient heurter à la porte avec violence, demandant à grands cris qu'on lui ouvre. Comme on s'y refusait et que le
pèlerin devenait importun par ses clameurs et ses coups répétés, l’évêque demande à la femme si elle voulait recevoir ce pèlerin. « Qu'on lui propose, dit-elle, quelque question difficile ; s'il sait la résoudre, qu'on l’introduise; s'il ne le peut, qu'on l’éloigne, comme un ignorant, et comme une personne indigne de paraître devant l’évêque. » On applaudit à la proposition, et l’on se demande qui sera capable de poser la question. Et comme on ne trouvait personne : «Quelle autre, madame, reprit l’évêque, peut mieux poser la question que vous qui l’emportez sur nous autres en éloquence et dont la sagesse brille au-dessus de la nôtre à tous? Proposez donc vous-même une question. » « Qu'on lui demande, dit-elle, ce que Dieu a fait de plus merveilleux dans une petite chose. » Le pèlerin auquel un messager porta la question répondit: « C'est la variété et l’excellence du visage. Parmi tant d'hommes qui ont existé depuis le commencement du monde, et qui existeront dans l’avenir, on n'en saurait rencontrer deux dont les visages soient semblables en tout point, et cependant, dans une si petite figure, Dieu a placé tous les sens du corps. » En entendant cette réponse on s'écria avec admiration : « C'est vraiment une excellente solution à la demande. » Alors la dame dit : « Qu'on lui en propose une seconde plus difficile qui mette sa science à meilleure épreuve : « Qu'on lui demande où la terre est plus, haute que le ciel tout entier. » Le pèlerin interrogé répondit: « Dans le ciel empyrée, où réside le corps de J.-C. Le corps du Christ en effet, qui est plus élevé que tout le ciel, est formé de notre chair; or notre chair est une portion de la substance de la terre: comme donc le corps du Christ est au dessus de tous les cieux, et qu'il tire son origine de notre chair, que notre chair est formée de la terre, il est donc constant que là où le corps de J.-C. réside, là certainement la terre est plus élevée que le ciel. » L'envoyé rapporte la réponse du pèlerin, et tous d'approuver cette solution merveilleuse et d'en louer hautement la sagesse. Alors la femme dit encore : « Qu'on lui pose de nouveau une troisième question très grave, compliquée, difficile à résoudre, obscure, afin que, pour la troisième fois, il soit prouvé qu'il est digne à juste titre d'être admis à la table de l’évêque. Demandez-lui quelle distance il y a de la terre au ciel. » Le pèlerin répondit à l’envoyé qui lui portait la question: « Allez le demander à celui-là même qui' a posé la demande. Il le sait certainement et il pourra répondre mieux que je ne le ferais ; car lui-même a mesuré cette distance, quand du ciel il est tombé dans l’abîme; pour moi je ne suis jamais tombé du ciel et n'ai jamais mesuré cet espace. Car ce n'est pas une femme, mais le diable qui s'est caché sous la ressemblance d'une femme. » A ces paroles le messager fut pâmé, et répéta devant tous les convives ce qu'il avait entendu. Tandis que l’étonnement et la stupeur ont saisi les convives, le vieil ennemi a disparu. L'évêque, rentrant en lui-même, se reprochait amèrement sa conduite et demandait avec lamentations le pardon de la faute qu'il avait commise. Il envoya aussitôt pour qu'on introduisît le pèlerin, mais on ne lé trouva plus. L'évêque convoqua le peuple, lui exposa de point en point ce qui s'était passé, et commanda des jeûnes et des prières pour que le Seigneur daignât révéler quel était ce pèlerin qui l’avait sauvé de si grand péril. Et cette nuit-là même, il fut révélé à l’évêque que c'était saint André qui, pour le délivrer, avait pris l’extérieur d'un pèlerin. L'évêque
redoubla de dévotion envers le saint apôtre et il ne cessa de donner des preuves de sa vénération pour lui.
Le prévôt d'une ville* s'était emparé d'un champ de saint André, et par les prières de l’évêque, il en fut puni de très fortes fièvres. Il alla trouver le prélat, le conjurant d'intercéder en sa faveur et lui promit de restituer le champ.
* D'après saint Grégoire de Tours, De gloria nnartyrum, l. I, c. LXXIX, cet homme était Gomacharus, comte de la ville d'Agde, vers la fin du VIe siècle.
Mais après sa guérison obtenue par l’intercession du pontife, il reprit une seconde fois la: terre. Alors l’évêque se mit en prières et brisa toutes les lampes de l’église, eu disant: « Qu'on n'allume plus ces lumières, jusqu'à ce que le Seigneur se venge lui-même de son ennemi, et que l’église recouvre ce qu'elle a perdu. » Et voilà que le prévôt eut encore de très fortes fièvres; il envoya alors demander à l’évêque de prier pour lui, l’assurant qu'il rendrait son champ, et en surplus un autre de la même valeur. Comme l’évêque lui faisait répondre toujours : « J'ai déjà prié, et Dieu m’a exaucé, » le prévôt se fit porter chez le prélat et le força d'entrer dans l’église pour prier.
A l’instant où l’évêque entre dans l’église, le prévôt meurt subitement et le champ est restitué à l’église.
SAINT NICOLAS
Nicolas vient de nikos, qui signifie victoire et de laos, qui veut dire peuple. Nicolas, c'est victoire du peuple, c'est-à-dire, des vices qui sont populaires et vils. Ou bien simplement victoire, parce qu'il a appris aux peuples, par sa vie et son enseignement, à vaincre les vices et les péchés. Nicolas peut venir encore de nikos, victoire et de laus, louange, comme si on disait louange victorieuse. Ou bien encore de nitor, blancheur et de laos, peuple, blancheur du peuple. Il eut en effet, dans sa personne, ce qui constitue la blancheur et la pureté; selon saint Ambroise, la parole divine purifie, la bonne confession purifie, une bonne pensée purifie, une bonne action purifie. Les docteurs d Argos ont écrit sa légende. D'après Isidore, Argos est une ville de la Grèce, d'où est veau aux Grecs le nom d'Argolides. On trouve ailleurs que le patriarche Méthode l’a écrite en grec. Jean la traduisit en latin et y fit des augmentations.
Nicolas, citoyen de Patras, dut le jour à de riches et saints parents. Son père Epiphane et sa mère Jeanne l’engendrèrent en la première fleur de leur âge et passèrent le reste de leur vie dans la continence. Le jour de sa naissance, il se tint debout dans le bain
; de plus * il prenait le sein une fois seulement. la quatrième (mercredi) et la sixième férie (vendredi).
* Honorius d'Autan.
Devenu grand, il évitait les divertissements, et préférait fréquenter les églises; il retenait dans sa mémoire tout ce qu'il y pouvait apprendre de l’Écriture sainte. Après la mort de ses parents, il commença à penser quel emploi il ferait de ses grandes richesses, pour procurer la gloire de Dieu, sans avoir en vue la louange qu'il en retirerait de la part des hommes. Un de ses voisins avait trois filles vierges, et que son indigence, malgré sa noblesse, força à prostituer, afin que ce commerce infâme lui procurât de quoi vivre. Dès que le saint eut découvert ce crime, il l’eut en horreur, mit dans un linge une somme d'or qu'il jeta, en cachette, la nuit par une fenêtre dans la maison du voisin et se retira. Cet homme à son lever trouva cet or, remercia Dieu et maria son aînée. Quelque temps après, ce serviteur de Dieu en fit encore autant. Le voisin, qui trouvait toujours de l’or, était extasié du fait; alors il prit le parti de veiller pour découvrir quel était celui qui venait ainsi à son aide. Peu de jours après, Nicolas doubla la somme d'or et la jeta chez son voisin. Le bruit fait lever celui-ci, et poursuivre Nicolas qui s'enfuyait : alors il lui cria : « Arrêtez, ne vous dérobez pas à mes regards. » Et en courant le plus vite possible, il reconnut Nicolas; de suite il se jette à terre, veut embrasser ses pieds. Nicolas l’en empêche et exige de lui qu'il taira son action tant qu'il vivrait.
L'évêque de Myre vint à mourir sur ces entrefaites ; les évêques s'assemblèrent pour pourvoir à cette église. Parmi eux se trouvait un évêque de grande autorité, et l’élection dépendait de lui. Les ayant avertis tous de se livrer au jeûne et à la prière, cette nuit-là même il entendit une voix qui lui disait de rester le matin en observation à la porte; celui qu'il verrait entrer le premier, dans l’église, et qui s'appellerait Nicolas, serait l’évêque qu'il devait sacrer. Il communiqua cette révélation à ses autres collègues, et leur recommanda de prier, tandis que lui veillerait à la porte. O prodige! à l’heure de matines, comme s'il était conduit par la main de Dieu, le premier qui se présente à l’église, c'est Nicolas. L'évêque l’arrêtant : « Comment t'appelles-tu, lui dit-il? » Et lui; qui avait la simplicité d'une colombe, le salue et lui dit : « Nicolas, le serviteur de votre sainteté. » On le conduit dans l’église, et malgré toutes ses résistances, on le place sur le siège épiscopal. Pour lui, il pratique, comme auparavant, l’humilité et la gravité de moeurs en toutes ses oeuvres; il passait ses veilles dans la prière, mortifiait sa chair, fuyait la compagnie des femmes; il accueillait tout le
monde avec bonté; sa parole avait de la force, ses exhortations étaient animées, et ses réprimandes sévères. On dit aussi, sur la foi d'une chronique, que Nicolas assista au concile de Nicée.
Un jour que des matelots étaient en péril, et, que, les yeux pleins de larmes, ils disaient: « Nicolas, serviteur de Dieu, si ce que nous avons appris de vous est vrai, faites
que nous en ressentions l’effet. » Ans sitôt, leur apparut quelqu'un qui ressemblait au saint : « Me voici, dit-il ; car vous m’avez appelé. » Et il se mit à les aider dans la manoeuvre du bâtiment, soit aux antennes, soit aux cordages, et la tempête cessa aussitôt. Les matelots vinrent à l’église de Nicolas, où, sans qu'on le leur indiquât, ils le reconnurent, quoique jamais ils ne l’eussent vu. Alors ils rendirent grâces à Dieu et à lui de leur délivrance : mais le saint l’attribua à la divine miséricorde et à leur foi, et non à ses mérites.
Toute la province où habitait saint Nicolas eut à subir une si cruelle famine, que personne ne pouvait se procurer aucun aliment. Or l’homme de Dieu apprit que des navires chargés de froment étaient mouillés dans le port. Il y va tout aussitôt prier les matelots de venir au secours du peuple qui mourait de faim, en donnant, pour le moins, cent muids de blé par chaque vaisseau. « Nous n'oserions, père, répondirent-ils, car il a été mesuré à Alexandrie, et nous avons ordre de le transporter dans les greniers de l’empereur: » Le saint reprit: « Faites pourtant ce que je vous dis, et je vous promets que, par la puissance de Dieu, vous n'aurez aucun déchet devant le commissaire du roi. »
Ils le firent et la quantité qu'ils avaient reçue à Alexandrie, ils la rendirent aux employés de l’empereur; alors ils publièrent le miracle, et ils louèrent Dieu qui' avait été glorifié ainsi dans son serviteur. Quant au froment, l’homme de Dieu le distribua selon les besoins de chacun, de telle sorte que, par l’effet d'un miracle, il y en eut assez pendant deux ans, non seulement pour la nourriture, mais encore pour les semailles. Or, ce pays était idolâtre, et honorait particulièrement l’image de l’infâme Diane : jusqu'au temps de l’homme de Dieu, quelques hommes grossiers suivaient des pratiques exécrables et accomplissaient certains rites païens sous 'un arbre consacré à la Déesse ; mais Nicolas abolit ces pratiques dans tout le pays et fit couper l’arbre lui-même. L'antique ennemi, irrité pour cela contre lui, composa une huile dont la propriété contre nature était de brûler dans l’eau et sur les pierres ; le démon, prenant la figure d'une religieuse, se présenta à des pèlerins qui voyageaient par eau pour aller trouver saint Nicolas et leur dit. « J'aurais préféré aller avec vous chez le saint de Dieu, mais je ne le puis. Aussi vous priai-je d'offrir cette huile à son église, et, en mémoire de moi, d'en oindre toutes les murailles de sa demeure. » Aussitôt il disparut. Et voici que les pèlerins aperçoivent une mitre nacelle chargée de personnes respectables, au milieu desquelles se trouvait un homme tout à fait ressemblant à saint Nicolas, qui leur dit : « Hélas ! que vous a dit cette femme, et qu'a-t-elle apporté ? » On lui raconta tout de point en point. « C'est l’impudique Diane, leur dit-il; et pour vous prouver la vérité de mes paroles, jetez cette huile dans la mer. » A peine l’eurent-ils jetée, qu'un grand feu s'alluma sur l’eau, et, contre nature, ils le virent longtemps brûler. Quand ils furent arrivés auprès du serviteur
de Dieu, ils lui dirent: « C'est vraiment vous qui nous avez apparu sur la mer, et qui nous avez délivrés des embûches du diable. »
Dans le même temps, une nation se révolta contre l’empire romain ; l’empereur envoya contre elle trois princes, Népotien, Ursus et Apilion. Un vent défavorable les fit aborder au port adriatique, et le bienheureux Nicolas les invita à sa table, voulant par là préserver son pays des rapines qu'ils exerçaient dans les marchés. Or un jour, pendant l’absence du saint évêque, le consul corrompu par argent avait condamné trois soldats innocents à être décapités. Dès que l’homme de Dieu en fut informé, il pria ces princes de se rendre en toute hâte avec lui sur le lieu de l’exécution: à leur arrivée, ils trouvèrent les condamnés le genou fléchi, la figure couverte d'un voile et le bourreau brandissant déjà son épée sur leurs têtes. Mais Nicolas, enflammé de zèle, se jeta avec audace sur le licteur, fit sauter au loin son épée de ses mains, délia ces innocents .et les emmena avec lui sains et saufs ; de là, il court au prétoire du consul et en brise les portes fermées. Bientôt le consul arrive et le salue. Le saint n'en tient compte et lui dit : « Ennemi de Dieu, prévaricateur de la loi, quelle est ta présomption d'oser lever les yeux sur nous, alors que tu es coupable d'un si grand crime. » Quand il l’eut repris durement, à la prière des chefs, il l’admit cependant a la pénitence. Après donc avoir reçu sa bénédiction, les envoyés de l’empereur continuent leur route et soumettent les révoltés sans répandre de sang. A leur retour, ils furent reçus par l’empereur avec magnificence. Or quelques-uns, jaloux de leurs succès, suggérèrent par prière, et par argent, au préfet de l’empereur, de les accuser auprès de lui du crime de lèse-majesté. L'empereur circonvenu, et enflammé de colère, les fit emprisonner et sans aucun interrogatoire, il ordonna qu'on les tuât cette nuit-là même. Informés de leur condamnation par le geôlier, ils déchirèrent leurs vêtements et se mirent à gémir avec amertume. Alors l’un deux, c'était Népotien, se rappelant que le bienheureux Nicolas avait délivré trois innocents, exhorta les autres à réclamer sa protection. Par la vertu de ces prières, saint Nicolas apparut cette nuit-là à l’empereur Constantin et lui dit : « Pourquoi avoir fait saisir ces princes si injustement et avoir condamné à mort des innocents? Levez-vous de suite, et faites-les relâcher tout aussitôt ; ou bien je prie Dieu qu'il vous suscite une guerre dans laquelle vous succomberez et deviendrez la pâture des bêtes. » « Qui es-tu, s'écria l’empereur, pour pénétrer la nuit dans mon palais et m’oser parler ainsi ? » « Je suis, répliqua-t-il, Nicolas, évêque de la ville de Myre. » Il effraya aussi de la même manière le préfet dans une vision. « Insensé, lui dit-il, pourquoi as-tu consenti à la mort de ces innocents? Va vite et tâche de les délivrer, sinon ton corps fourmillera de vers et ta maison va être détruite. » « Qui es-tu, répondit-il, pour nous menacer de si grands malheurs? » « Sache, lui répondit-il, que je suis Nicolas, évêque de Myre. » Et ils s'éveillent l’un et l’autre, se racontent mutuellement leur songe, et envoient de suite vers les prisonniers. L'empereur leur dit donc : « Quels arts magiques connaissez-vous, pour nous avoir soumis à de pareilles illusions en songes? » Ils répondirent qu'ils n'étaient pas magiciens, et qu'ils n'avaient pas mérité d'être condamnés à mort. « Connaissez-vous, leur dit l’empereur, un homme qui
s'appelle Nicolas ? » En entendant ce nom, ils levèrent les mains au ciel, en priant Dieu de les délivrer, par les mérites de saint Nicolas, du péril qui les menaçait. Et après que l’empereur leur eut entendu raconter toute sa vie et ses miracles : « Allez, dit-il, et remerciez Dieu qui vous a délivrés par ses prières ; mais portez-lui quelques-uns de nos joyaux, de notre part, eu le conjurant de ne plus m’adresser de menaces, mais de prier le Seigneur' pour moi et pour mon royaume. » Peu de jours après, ces hommes se prosternèrent aux pieds du serviteur de Dieu, et lui dirent : « Vraiment vous êtes le serviteur, le véritable adorateur et l’ami du Christ: » Quand ils lui eurent raconté en détail ce qui venait de se passer, il leva les yeux au ciel, rendit de très grandes actions de grâces à Dieu. Or après avoir bien instruit ces princes, il les renvoya en leur pays.
Quand le Seigneur voulut enlever le saint de dessus la terre, Nicolas le pria de lui envoyer, des anges; et en inclinant la tète, il eu vit venir vers lui : et après avoir dit le Psaume, In te, Domine, speravi, jusqu'à ces mots : In manus tuas, etc., il rendit l’esprit, l’an de J.-C. 343. Au même moment, on entendit la mélodie des esprits célestes. On l’ensevelit dans' un tombeau de marbré ; de son chef jaillit une fontaine d'huile et de ses pieds une source d'eau; et jusqu'aujourd'hui, de tous ses membres, il sort une huile sainte qui guérit beaucoup de personnes. Il eut pour successeur un homme de bien qui cependant fut chassé de son siège par des envieux. Pendant son exil, l’huile cessa de couler; mais quand il fut rappelé elle reprit son cours. Longtemps après les Turcs détruisirent la ville de Myre ; or, quarante-sept soldats de Bari y étant venus, et quatre moines leur ayant montré le tombeau de saint Nicolas, ils l’ouvrirent, et trouvèrent ses os qui nageaient dans l’huile ; ils les emportèrent avec respect dans la ville de Bari, l’an du Seigneur 1087.
Un homme avait. emprunté à un Juif une somme d'argent, et avait juré sur l’autel de saint Nicolas, car il ne pouvait avoir d'autre caution, qu'il rendrait cet argent le plus tôt qu'il pourrait. Comme il le gardait longtemps, le Juif le lui réclama, mais le débiteur prétendit lui'avoir payé sa dette. Le Juif le cita en justice et lui déféra le serment. Cet homme avait un bâton creux qu'il avait rempli d'or en petites pièces, il l’apporta avec lui comme s'il en eût besoin pour s'appuyer. Alors qu'il voulut prêter serment, il donna au Juif son bâton à tenir, et jura avoir rendu davantage qu'il ne lui avait été prêté. Après le serment, il réclama son bâton et le Juif, qui ne se doutait pas de la ruse, le lui rendit : or, en revenant chez lui, le coupable, oppressé par le sommeil, s'endormit dans un carrefour, et un char qui venait avec grande vitesse le tua, brisa le bâton et l’or dont il était plein se répandit sur là terre. Le Juif averti accourut et. vit la ruse : et comme on lui suggérait de reprendre son or, il s'y refusa absolument, à moins que le mort ne fût rendu à la vie par les mérites de saint Nicolas, ajoutant que, s'il en arrivait ainsi, il recevrait le baptême et se ferait chrétien. Aussitôt le mort ressuscite, et le Juif est baptisé au nom de J.-C.
Un Juif, témoin de la merveilleuse puissance du bienheureux Nicolas à opérer des miracles, se fit sculpter une image du saint qu'il plaça dans; sa maison, et quand il entreprenait un long voyage, il lui confiait la garde de ses biens en disant ces paroles ou
d'autres à peu près pareilles : « Nicolas, voici tous mes biens que je vous confie, si vous n'en faites bonne garde, j'en tirerai vengeance, par des coups de fouet. » Or, un jour qu'il était absent, des voleurs viennent ravir tout et ne laissent que l’image. A son retour, le Juif se voyant dépouillé s'adresse à l’image et lui dit à peu près ces paroles : « Seigneur Nicolas, ne vous avais-je pas placé dans ma maison pour soigner mes biens contre les voleurs ? Pourquoi avez-vous négligé de le faire, et n'avoir point empêché les voleurs ? Eh bien ! vous en serez cruellement puni et vous paierez pour les larrons. Aussi vais-je compenser le dommage que j'éprouve en vous faisant souffrir, et je calmerai ma fureur en vous assommant de coups de fouet. » Alors le Juif prit l’image, la frappa et la flagella avec une atroce cruauté. Chose merveilleuse et épouvantable ! Au moment où les voleurs se partageaient leu butin, le saint leur apparut, comme s'il eût reçu les coups sur lui, et leur dit: « Pourquoi-ai-je été flagellé par rapport à vous ? Pourquoi ai-j e été frappé si inhumainement ? Pourquoi ai-je enduré tant de tourments ?
Voyez comme mon corps est livide. Voyez comme il est couvert de sang. Allez au plus tôt restituer tout ce que vous avez pris, sinon la colère de Dieu s'appesantira sur vous ; votre crime sera rendu public et chacun de vous sera pendu. » Et ils lui dirent: « Qui es-tu, toi qui nous parles de cette façon? » « Je suis Nicolas, reprit-il, serviteur de J.-C., c'est moi que le Juif a si cruellement traité pour le vol dont vous êtes coupables. » Pleins d'effroi, ils viennent trouver le Juif, lui racontent le miracle, en apprennent ce qu'il a fait à l’image et lui rendent tout; après quoi ils rentrent dans la voie de la droiture et le Juif embrasse la foi du Sauveur.
Par amour pour son fils qui étudiait les belles-lettres, un homme célébrait tous les ans avec solennité la fête de saint Nicolas. Une fois le père de l’enfant prépara un repas auquel il invita grand nombre de clercs. Or le diable vint à la porte, en habit de mendiant, demander l’aumône. Le père commande aussitôt à son fils de donner au pèlerin. L'enfant se hâte, mais ne trouvant pas le pauvre, il court après lui. Parvenu à un carrefour, le diable saisit l’enfant et l’étrangle. A cette nouvelle, le père se lamenta beaucoup, prit le corps, le plaça sur un lit et se mit à exhaler sa douleur en proférant ces cris : « O très cher fils ! Comment es-tu ? Saint Nicolas ! Est-ce la récompense de l’honneur dont je vous ai donné si longtemps des preuves ?» Et comme il parlait ainsi, tout à coup l’enfant ouvrit les yeux, comme s'il sortait d'un profond sommeil, et ressuscita.
Un noble pria le bienheureux Nicolas de lui obtenir un fils, lui promettant de conduire son enfant à son église où il offrirait une coupe d'or. Un fils lui naquit et quand celui-ci fut parvenu à un certain âge, il commanda une coupe. Elle se trouva fort de son goût, et il l’employa à son usage, mais il en fit ciseler une autre d'égale valeur. Et comme ils allaient par mer à l’église de saint Nicolas, le père dit à son fils d'aller lui puiser de
l’eau dans la coupe qu'il avait commandée en premier lieu. L'enfant, en voulant puiser de l’eau avec la coupe, tomba dans là mer et disparut aussitôt. Le père cependant, tout baigné de larmes, accomplit son voeu. Étant donc venu à l’autel de saint Nicolas, comme il offrait la seconde coupe, voici qu'elle tomba de l’autel comme si elle en eût été repoussée. L'ayant reprise et replacée une seconde fois sur l’autel, elle en fut rejetée encore plus loin. Tout le monde était saisi d'admiration devant un pareil prodige, lorsque voici l’enfant sain et sauf qui arrive portant dans les mains la première coupe ; il raconte, en présence des assistants, qu'au moment où il tomba dans la mer, parut aussitôt saint Nicolas qui le garantit. Le père rendu à la joie offrit les deux coupes au saint.
Un homme riche dut aux mérites de saint Nicolas d'avoir un fils qu'il nomma Adéodat. Il éleva, dans sa maison, une chapelle en l’honneur du saint dont il célébra, chaque année, la fête avec solennité. Or le pays était situé près de la terre des Agaréniens. Un jour Adéodat est pris par eux, et placé comme esclave chez leur roi. L'année suivante, tandis que le père célébrait dévotieusement la fête de saint Nicolas, l’enfant, qui tenait devant le monarque une coupe précieuse, se rappelle la manière dont il a été pris, la douleur et la joie de ses parents à pareil jour dans leur maison, et se met à soupirer tout haut. A force de menaces, le roi obtint de connaître la cause de ces soupirs, et ajouta: « Quoi que fasse ton Nicolas, tu resteras ici avec nous. » Tout à coup s'élève un vent violent qui renverse la maison et transporte l’enfant avec sa coupe devant les portes de l’église où ses parents célébraient la fête; ce fut pour tous un grand sujet de joie. On lit pourtant ailleurs que cet enfant était de la Normandie, et qu'allant outre-mer, il fut pris par le Soudan qui le faisait fouetter souvent en sa présence. Or un jour de Saint-Nicolas, qu'il avait été fouetté et que, renfermé dans sa prison, il pleurait en pensant à sa délivrance et à la joie ordinaire de ses parents à pareil jour, tout à coup il s'endormit et, en se réveillant, il se trouva dans la chapelle de son père *.
* On lit à la fin d'un sermon attribué à saint Bonaventure : « Deux écoliers de famille noble et riche portaient une grosse somme d'argent, se rendant à Athènes pour y étudier la philosophie. Or, comme ils voulaient auparavant voir saint Nicolas pour se recommander à ses prières, ils passèrent par la ville de Alyre. L'hôte, s'apercevant de leur richesse, se laissa entraîner aux suggestions de l’esprit malin, et les tua. Après quoi, les mettant en pièces comme viande de porc, il sala leur chair dans un vase (saloir). Instruit de ce méfait par un ange, saint Nicolas se rendit promptement à l’hôtellerie, dit à l’hôte tout ce qui s'était passé, et le réprimanda sévèrement; après quoi il rendit 1a vie aux jeunes gens par la vertu de ses prières. »
SAINTE LUCIE, VIERGE *
* Bréviaire, Actes de la sainte.
Lucie vient de Lux, lumière. La lumière en effet est belle à voir, parce que, selon saint Ambroise, la lumière est naturellement gracieuse à la vue. Elle se répand ;sans se salir, quelque souillés que soient les lieux où elle se projette. Ses rayons suivent une ligne sans la moindre courbe, et elle traverse une étendue immense sans mettre aucune lenteur. Par où l’on voit que la bienheureuse vierge Lucie brille de l’éclat de la virginité, sans la plus petite souillure, elle répand la charité sans aucun mélange d'amour impur: elle va droit à Dieu sans le moindre détour; elle n'apporte aucune négligence à suivre dans toute son étendue la voie qui lui est tracée par l’opération divine. Lucie peut encore signifier Chemin de Lumière, Lucis, via.
Lucie, vierge de Syracuse, noble d'origine; entendant parler, par toute la Sicile, de la célébrité de sainte Agathe, alla à son tombeau avec sa mère Euthicie qui, depuis quatre ans, souffrait, sans espoir de guérison, d'une perte de sang. Or, à la messe, on lisait l’évangile où l’on raconte que N.-S. guérit une femme affligée de la même maladie. Lucie dit alors à sa mère : « Si vous croyez ce qu'on lit, croyez que Agathe jouit toujours de la présence de celui pour lequel elle a souffert. Si donc vous touchez son tombeau avec foi, aussitôt vous serez radicalement guérie. » Quand toute l’assistance se fut retirée, la mère et la fille restèrent en prières auprès du tombeau; le sommeil alors s'empara de Lucie, et elle vit Agathe entourée d'anges, ornée de pierres précieuses ; debout devant elle et lui disant : « Ma soeur Lucie, vierge toute dévouée à Dieu, que demandez-vous de moi que Vous né puissiez vous-même obtenir à l’instant pour votre mère ?
Car elle vient d'être guérie par votre foi. » Et Lucie qui s'éveilla dit : «Mère, vous êtes guérie. Or, je vous conjure, au nom de celle qui vient d'obtenir votre guérison par ses prières, de ne pas me chercher d'époux; mais tout ce que vous deviez me donner en dot, distribuez-le aux pauvres. » « Ferme-moi les yeux auparavant, répondit la mère, et alors tu disposeras de ton bien comme tu voudras. » Lucie lui dit : « En mourant, si vous donnez quelque chose c'est parce que tous ne pouvez l’emporter avec vous,: donnez-le-moi tandis que vous êtes en vie, et vous en serez récompensée. » Après leur retour on faisait journellement des biens une part qu'on distribuait aux pauvres. Le bruit du partage de ce patrimoine vint aux oreilles du fiancé, et il en demanda le motif à la nourrice. Elle eut la précaution de lui répondre que sa fiancée avait trouvé une propriété de plus grand rapport, qu'elle voulait acheter à son nom ; c'était le motif pour lequel on la voyait se défaire de son bien. L'insensé, croyant qu'il s'agissait d'un commerce tout humain, se mit
à faire hausser lui-même la vente. Or, quand tout fut vendu et donné aux pauvres, le fiancé traduisit Lucie devant le consul Pascasius : il l’accusa d'être chrétienne et de violer les édits des Césars. Pascasius l’invita à sacrifier aux idoles, mais elle répondit : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est de visiter les pauvres, de subvenir à leurs besoins, et parce que je n'ai plus rien à offrir, je me donne moi-même pour lui être offerte. » Pascasius dit: « Tu pourrais bien dire cela à quelque chrétien insensé, comme toi, mais à moi qui fais exécuter les décrets des princes, c'est bien inutile de poursuivre. » « Toi, reprit Lucie, tu exécutes les lois de tes princes, et moi j'exécute la loi de mon Dieu. Tu crains les princes, et moi je crains Dieu. Tu ne voudrais pas les offenser et moi je me garde d'offenser Dieu. Tu désires leur plaire et moi je souhaite ardemment de plaire à J.-C. Fais donc ce que tu juges te devoir être utile, et moi je ferai ce que je saurai m’être profitable. » Pascasius lui dit : « Tu as dépensé ton patrimoine avec des débauchés, aussi tu parles comme une courtisane. » « J'ai placé, reprit Lucie, mon patrimoine en lieu sûr, et je suis loin de connaître ceux qui débauchent l’esprit et le corps. » Pascasius lui demanda: « Quels sont-ils ces corrupteurs? » Lucie reprit : « Ceux qui corrompent l’esprit, c'est vous qui conseillez aux âmes d'abandonner le créateur. Ceux qui corrompent le corps, ce sont ceux qui préfèrent les jouissances corporelles aux délices éternels. » « Tu cesseras de parler, reprit Pascasius, lorsqu'on commencera à te fouetter. » «Les paroles de Dieu, dit Lucie, n'auront jamais de fin. » « Tu es donc Dieu », repartit Pascasius. « Je suis, répondit Lucie, la servante du Dieu qui a. dit : « Alors que vous serez en présence des rois et des présidents, ne vous inquiétez pas de ce que vous aurez à dire, ce ne sera pas vous qui parlez, mais l’Esprit parlera en vous. » Pascasius reprit: « Alors tu as l’esprit saint en toi ? » « Ceux qui vivent dans la chasteté, dit Lucie, ceux-là sont les temples du Saint-Esprit. » Alors, dit Pascasius je vais te faire conduire dans un lieu de prostitution, pour que tu y subisses le viol, et que tu perdes l’esprit saint. » « Le corps, dit Lucie, n'est corrompu qu'autant que le coeur y consent, car si tu me fais violer malgré moi, je gagnerai la couronne de la chasteté. Mais jamais tu ne sauras forcer ma volonté à y donner cousentement. Voici mon corps, il est disposé à toutes sortes de supplices. Pourquoi hésites-tu? Commence, fils du diable, assouvis sur moi ta rage de me tourmenter. »
Alors Pascasius fit venir des débauchés, en leur disant : « Invitez tout le peuple, et qu'elle subisse tant d'outrages qu'on vienne dire qu'elle en est morte. Or, quand on voulut la traîner, le Saint-Esprit la rendit immobile et si lourde qu'on ne put lui faire exécuter aucun mouvement. Pascasius fit venir mille hommes et lui fit lier les pieds et les mains; mais ils ne surent la mouvoir en aucune façon. Aux mille hommes, il ajouta mille paires de boeufs, et cependant la vierge du Seigneur demeura immobile. Il appela des magiciens, afin que, par leurs enchantements, ils la fissent remuer, mais ce fut chose impossible. Alors Pascasius dit « Quels sont ces maléfices ? une jeune fille ne saurait être remuée par mille hommes? » Lucie lui dit : « Ce ne sont pas maléfices; mais bénéfices de J.-C. Et quand vous en ajouteriez encore dix mille, vous ne m’enverriez pas moins immobile: » Pascasius pensant, selon quelques rêveurs, qu'une lotion d'urine la délivrerait dit
maléfice, il l’en fit inonder; mais, comme auparavant, on ne pouvait venir à bout de la mouvoir, il en fut outré ; alors il fit allumer autour d'elle un grand feu et jeter sur son corps de l’huile bouillante mêlée de poix et de résine.
Après ce supplice, Lucie s'écria : « J'ai obtenu quelque répit dans mes souffrances, afin d'enlever à ceux qui: croient la crainte des tourments, et à ceux qui ne croient pas, le temps de m’insulter. » Les amis de Pascasius, le voyant fort irrité, enfoncèrent une épée dans la gorge de Lucie, qui, néanmoins, ne perdit point la parole : « Je vous annonce, dit-elle, que la paix est rendue à l’Église, car Maximien vient de mourir aujourd'hui, et Dioclétien est chassé de son royaume : et de même que ma soeur Agathe a été établie la protectrice de la ville de Catane, de même j'ai été établie la gardienne de Syracuse. »
Comme la vierge parlait ainsi, voici venir les ministres romains qui saisissent Pascasius, le chargent de chaînes et le mènent à César. César avait en effet appris qu'il avait pillé toute la province. Arrivé à Rome, il comparait devant le Sénat, est convaincu, et condamné à la peine capitale.
Quant à la vierge Lucie, elle ne fut pas enlevée du lieu où elle avait souffert, elle rendit l’esprit seulement quand les prêtres furent venus lui apporter le corps du Seigneur. Et tous les assistants répondirent : Amen.
Elle fut ensevelie dans cet endroit là même où on bâtit une église. Or, elle souffrit au- temps de Constantin et de Maxime, vers l’an de N.-S. 310.
SAINT THOMAS, APÔTRE
Thomas signifie abyme, ou jumeau, en grec Dydime : ou bien il vient de thomos qui veut dire division, partage. Il signifie abyme, parce qu'il mérita de sonder les profondeurs de la divinité, quand, à sa question, J.-C. répondit : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » On l’appelle Dydime pour avoir connu de deux manières la résurrection de J.-C. Les autres en effet, connurent le Sauveur en le voyant, et lui, en le voyant et en le touchant. Il signifie division, soit parce qu'il sépara son âme de l’amour des choses du monde, soit parce qu'il se sépara des autres dans la croyance à la résurrection. On pourrait dire encore qu'il porte le nom de Thomas, parce qu'il se laissa inonder tout entier par l’amour de Dieu. Il posséda ces trois qualités qui distinguent ceux qui ont cet amour et que demande Prosper au livre de la vie contemplative : Aimer Dieu, qu'est-ce ? si ce n'est concevoir au fond du coeur un vif désir de voir Dieu, la haine du péché et le mépris du monde. Thomas pourrait encore venir de Theos, Dieu, et meus, mien, c'est-à-dire, mon Dieu, par rapport à ces paroles qu'il prononça lorsqu'il fut convaincu, et eut la foi : «Mon Seigneur et mon Dieu. »
L'apôtre Thomas était à Césarée quand le Seigneur lui apparut et lui dit : « Le roi des Indes Gondoforus ** a envoyé son ministre Abanès à la recherche d'un habile architecte. Viens et je t'adresserai à lui. » « Seigneur, répondit Thomas, partout où vous voudrez, envoyez-moi, excepté aux Indes. » Dieu lui dit : « Va sans aucune appréhension, car je serai ton gardien.
* Pour la légende de saint Thomas, on lira des détails fort intéressants dans l’explication du vitrail de cet apôtre (Les Vitraux de Bourges, par les PP. Martin et Cassier, pages 133 et suiv.).
** On a des médailles de Gondoforus.
Quand tu auras converti les Indiens, tu viendras à moi avec la palme du martyre. » Et Thomas lui répondit: « Vous êtes mon maître, Seigneur,et moi votre serviteur : que votre volonté soit faite. » Comme le prévôt ou l’intendant se promenait sur la place, le, Seigneur lui dit : « Que vous faut-il, jeune homme? » « Mon maître, dit celui-ci, m’a envoyé pour lui ramener des ouvriers habiles en architecture, qui lui construisent un palais à la romaine. » Alors le Seigneur lui offrit Thomas comme un homme très capable en cet art. Ils s'embarquèrent, et arrivèrent à une ville où le roi célébrait le mariage de sa fille. Il avait fait annoncer que tous prissent part à la noce, sous peine d'encourir sa colère. Abanès et l’apôtre s'y rendirent. Or, une jeune fille juive, qui tenait une flûte à la main, adressait quelques paroles flatteuses à chacun. Quand elle vit l’apôtre, elle reconnut qu'il était juif parce qu'il ne mangeait point et qu'il tenait les yeux fixés vers le ciel. Alors elle se mit à chanter en hébreu devant lui: « C'est le Dieu des Hébreux qui seul a créé l’univers, et creusé les mers », et l’apôtre voulait lui faire répéter ces mêmes paroles. L'échanson remarquant qu'il ne mangeait ni ne buvait, mais tenait constamment les yeux vers le ciel, donna un soufflet à l’apôtre de Dieu. « Mieux vaudrait pour toi d'être épargné plus tard, lui dit l’apôtre, et d'être puni ici-bas d'un châtiment passager. Je ne me lèverai point que là main qui m’a frappé n'ait été ici même apportée par les chiens. » Or, l’échanson étant allé puiser de l’eau à ta, fontaine, un lion l’étrangla et but son sang. Les chiens déchirèrent son cadavre, et l’un d'eux, qui était noir, en apporta la main droite au milieu du festin. A cette vue toute la foule fut saisie, et la pucelle se ramentevant les paroles, jeta sa flûte et vint se prosterner aux pieds de l’apôtre. Cette vengeance est blâmée par saint Augustin dans son livre contre Fauste où il déclare qu'elle a été intercalée ici par un faussaire; aussi cette légende est tenue pour suspecte en bien des points. On pourrait dire néanmoins, que ce ne fut pas une vengeance mais une prédiction. En examinant au reste avec soin les paroles de saint, Augustin, cette action ne paraît pas improuvée tout à fait. Or voici ce qu'il dit dans le même livre : « Les Manichéens se servent de livres apocryphes, écrits sous le nom des apôtres, je pie sais par quels compilateurs de fables. Au temps de leurs auteurs, ils auraient joui de quelque autorité
dans l’Église, si de saints docteurs qui vivaient alors et qui pouvaient les examiner en eussent reconnu l’authenticité. Ils racontent donc que l’apôtre Thomas se trouvant à un repas de noces comme pèlerin inconnu, il avait été frappé de la main d'un serviteur contre lequel il aurait exprimé aussitôt le souhait d'une cruelle vengeance. Car cet homme, étant sorti afin d'aller puiser de l’eau à une fontaine pour les convives, aurait été tué par un lion qui se serait jeté sur lui; et la main qui avait frappé légèrement la figure de l’apôtre, arrachée du corps d'après son voeu et ses imprécations, aurait été apportée par un chien sur la table où l’apôtre était placé. Peut-on voir quelque chose de plus cruel? Or, si je ne me trompe, cela veut dire qu'en obtenant son pardon pour la vie future, il y eut une certaine compensation par un plus grand service qu'il lui rendait. L'apôtre, chéri et honoré de Dieu, était, par ce moyen, rendu recommandable et à ceux qui ne le connaissaient pas et à celui en faveur duquel il obtenait la vie éternelle à la place d'une vie qui devait finir. Il m’importe peu si ce récit est vrai ou faux : ce qu'il y a de certain, c'est que les Manichéens, qui reçoivent comme vraies et sincères ces écritures que le canon de l’Église rejette, sont du moins forcés d'avouer que la vertu de patience enseignée par le Seigneur lorsqu'il dit : « Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche », peut exister réellement au fond du tueur, quand bien même on n'en ferait pas montre par ses gestes et ses paroles, puisque l’apôtre, qui avait été souffleté, pria le Seigneur d'épargner l’insolent dans la vie future, en ne laissant pas sa faute impunie ici-bas, plutôt que de lui présenter l’autre joue ou de l’avertir de le frapper une seconde fois. Il avait l’amour de la charité intérieurement, et extérieurement il réclamait une correction qui servit d'exemple. Que ceci soit vrai ou que ce ne soit qu'une fable, pourquoi refuseraient-ils de louer dans l’apôtre ce qu'ils approuvent dans le serviteur de Dieu Moïse qui égorgea les fabricateurs et les adorateurs d'une idole. « Si nous comparons les châtiments, être tué par le glaive ou être déchiré sous la dent des bêtes féroces, c'est chose semblable, puisque les juges, d'après les lois publiques, condamnent îles grands coupables à périr ou sous la dent des bête, ou bien par l’épée. » Voilà ce que dit saint Augustin. Alors l’apôtre, sur la demande du roi, bénit l’époux et l’épouse en disant : « Accordez, Seigneur, la bénédiction de votre droite à ces jeunes gens, et semez au fond de leurs coeurs les germes féconds de la vie. » Quand l’apôtre se retira, l’époux se trouva tenir une branche chargée de dattes. Les époux après avoir mangé de ces fruits s'endormirent tous deux et eurent le même songe. Il leur semblait qu'un roi couvert de pierreries les embrassait en disant : « Mon apôtre vous a bénis pour que vous ayez part à la vie éternelle. » S'étant éveillés ils se racontaient l’un à l’autre leur songe, quand l’apôtre se présenta, il leur dit : « Mon roi vient de vous apparaître, il m’a introduit ici les portes fermées, pour que ma bénédiction vous profitàt. Gardez la pureté du corps, c'est la reine de toutes lesvertus etlesalut éternel en est le fruit. La virginité est la sueur des Anges, comble de biens, elle donne la victoire sur les passions mauvaises, c'est le trophée de la foi, la fuite des démons et le gage des joies éternelles. La luxure engendre la corruption, de la corruption naît la souillure, de la souillure vient la culpabilité, et la culpabilité produit la confusion. » Pendant qu'il
exposait ces maximes, apparurent deux anges qui leur dirent : « Nous sommes envoyés pour être vos anges gardiens : si vous mettez en pratique les avis de l’apôtre avec fidélité, nous offrirons tous vos souhaits à Dieu. » Alors Thomas les baptisa et leur enseigna chacune des vérités de la foi. Longtemps après, l’épouse, nommée Pélage, se consacra à Dieu en prenant le voile, et l’époux, qui s'appelait Denys, fut ordonné évêque de cette ville.
Après cela, Thomas et Abatlès allèrent chez le roi des Indes. L'apôtre traça le plan d'un palais magnifique : le roi, après lui avoir remis de considérables trésors, partit pour une autre province. L'apôtre distribua aux pauvres le trésor tout entier. Pendant les deux ans que dura l’absence du roi, Thomas se livra avec ardeur à la prédication et convertit à la foi ua monde innombrable. A son retour, le roi s'étant informé de ce qu'avait fait Thomas, l’enferma avec Abanès au fond d'un cachot, en attendant qu'on les fit écorcher et livrer aux flammes. Sur ces entrefaites, Gab, frère du roi, meurt. On se préparait à lui élever un tombeau magnifique, quand le quatrième jour, le mort ressuscita; tout le monde effrayé fuyait sur ses pas; alors il dit à son frère : « Cet homme, mon frère, que tu te disposais à faire écorcher et brûler, c'est un ami de Dieu et tous les anges lui obéissent. Ceux qui me conduisaient en paradis me montrèrent un palais admirable bâti d'or, d'argent et, de pierres précieuses; j'en admirais la beauté, quand ils me dirent : « C'est le palais que Thomas avait construit pour ton frère, » et comme je disais : « Que n'en suis-je le portier! » Ils ajoutèrent alors : « Ton frère s'en est rendu indigne; si donc tu veux y demeurer, nous prierons le Seigneur de vouloir bien te ressusciter afin que tu puisses l’acheter à ton frère en lui remboursant l’argent qu'il pense avoir perdu. » En parlant ainsi, il courut à la prison de l’apôtre, le priant d'avoir de l’indulgence pour son frère. Il délia ses chaînes et le pria de recevoir un vêtement précieux. « Ignores-tu, lui répondit l’apôtre, que rien de charnel, rien de terrestre n'est estimé de ceux qui désirent avoir puissance en choses célestes? Il sortait de la prison quand le roi, qui venait au-devant de lui, se jeta à ses pieds en lui demandant pardon. Alors l’apôtre dit : « Dieu t'a accordé une grande faveur que de te révéler ses secrets. Crois en J.-C. et reçois le baptême pour participer au royaume éternel. » Le frère du roi lui dit : « J'ai vu le palais que tu avais bâti pour mon frère et il me ferait plaisir de l’acheter. » L'apôtre repartit : « Cela est au pouvoir de ton frère. » Et le roi lui dit : « Je le garde pour moi : que l’apôtre t'en bâtisse un autre, ou bien s'il ne le peut, nous le posséderons en commun. » L'apôtre répondit : « Ils sont innombrables dans le ciel, les palais préparés aux élus depuis le commencement du monde; on les achète par les prières et au prix de la foi et des aumônes. Vos richesses peuvent vous y précéder, mais elles né sauraient vous y suivre. »
Un mois après, l’apôtre ordonna de rassembler tous les pauvres de cette province, et quand ils furent réunis, il en sépara les malades et les infirmes, fit une prière sur eux. Et après que ceux qui avaient été instruits eurent répondu : Amen, un éclair parti du ciel éblouit aussi bien l’apôtre que les assistants pendant une demi-heure, au point que tous se croyaient tués par la foudre; mais Thomas se leva et dit : « Levez-vous, car mon Seigneur
est venu comme la foudre et vous a guéris. » Tous se levèrent alors guéris et rendirent gloire à Dieu et à l’apôtre. Thomas s'empressa de les instruire et leur démontra les douze degrés des vertus. Le 1er, c'est de croire en Dieu, qui est un en essence et triple en personnes; il leur donna trois exemples sensibles pour prouver que dans une essence il y a trois personnes. Le 1er est que dans l’homme il y a une sagesse et d'elle seule et unique procèdent intelligence, mémoire et génie. Par ce génie, dit-il, vous découvrez ce que vous n'avez pas appris; par la mémoire, vous retenez ce que vous avez appris et avec l’intelligence vous comprenez ce qui peut être démontré et enseigné. Le 2e est que dans une vigne il se trouve trois parties : le bois, les feuilles et le fruit et ces trois ensemble font une seule et même vigne. Le 3e est qu'une tête contient quatre sens, savoir : la vue, le goût, l’ouïe et l’odorat; ce qui est multiple et ne fait cependant qu'une tête. Le 2e degré est de recevoir le baptême. Le 3e est de s'abstenir de la fornication. Le 4e c'est de fuir l’avarice. Le 5e de se préserver de la gourmandise. Le 6e de vivre dans la pénitence. Le 7e de persévérer dans ces bonnes Oeuvres. Le 8e d'aimer à pratiquer l’hospitalité. Le 9e de chercher et de faire la volonté de Dieu dans ses actions. Le 10e de rechercher ce que la volonté de Dieu défend et de l’éviter. Le 11e de pratiquer la charité envers ses amis comme envers ses ennemis. Le 12e d'apporter un soin vigilant à garder ces degrés. Après cette prédication furent baptisés neuf mille hommes, sans compter les enfants et les femmes.. De là Thomas alla dans l’Inde supérieure, où il se rendit célèbre par un grand nombre de miracles. L'apôtre donna la lumière de la foi à Sintice, qui était amie de Migdomie, épouse de Carisius, cousin du roi et Migdomie dit à Sintice : « Penses-tu que je le puisse voir? » Alors Migdomie, de l’avis de Sintice, changea de vêtement et vint se joindre aux pauvres femmes dans le lieu où l’apôtre prêchait. Or le saint se mit à déplorer la misère de la vie et dit entre autres choses que cette vie est misérable, qu'elle est fugitive et sujette aux disgrâces! quand on croit la tenir, elle s'échappe 'et se disloque, et il commença à exhorter par quatre raisons à écouter volontiers la parole de Dieu, qu'il compara à quatre sortes de choses, savoir : à un collyre, parce qu'elle éclaire l’oeil de notre intelligence; à une potion, parce qu'elle purge et purifie notre affection de tout amour charnel ; à un emplâtre, en ce qu'elle guérit les blessures de nos péchés; à la nourriture, parce qu'elle nous fortifie dans l’amour des choses célestes : or de même, ajouta-t-il, que ces objets ne fontde bien à mi malade qu'autant qu'il les prend, de même la parole de Dieu ne profite pas à une âme languissante si elle ne l’écoute avec dévotion. Or tandis que l’apôtre prêchait, Migdomie crut et dès lors elle eut horreur de partager la couche de son mari. Mais Carisius demanda au roi et obtint que l’apôtre fût mis en prison. Migdomie l’y vint trouver et le pria de lui pardonner d’avoir été emprisonné par rapport à elle. Il la consola avec bonté et l’assura qu'il souffrait tout de bon coeur. Or Carisius demanda au roi d'envoyer la reine, sueur de sa femme, pour qu'elle tâchât de la ramener, s'il était possible. La reine fut envoyée et convertie par celle qu'elle voulait pervertir; après avoir vu tant de prodiges opérés par l’apôtre : « Ils sont maudits de Dieu, dit-elle, ceux qui ne croient pas à de si grands miracles et à de pareilles oeuvres. » Alors
l’apôtre instruisit brièvement tous les auditeurs sur trois points, savoir : d'aimer l’Église, d'honorer les prêtres et de se réunir assidûment pour écouter la parole de Dieu. La reine étant revenue, le roi lui dit « Pourquoi être restée si longtemps? » Elle répondit: « Je croyais Migdomie folle et elle est très sage; en me conduisant à l’apôtre de Dieu, elle m’a fait connaître la voie de la vérité et ceux-là sont bien insensés qui ne croient pas en J.-C. » Or la reine refusa d'avoir désormais commerce avec le roi. Celui-ci, stupéfait, dit à son parent : « En voulant recouvrer ta femme, j'ai perdu la mienne qui se comporte envers moi de pire façon que ne fait la tienne à ton égard. » Alors le roi ordonna de lier les mains de l’apôtre, le fit amener en sa présence et lui enjoignit de ramener leurs femmes à leurs maris. Mais l’apôtre lui démontra par trois exemples qu'elles ne le devaient pas faire, tant qu'ils persisteraient dans l’erreur, savoir: par l’exemple du roi, l’exemple de la tour et l’exemple de la fontaine. « D'où vient, dit-il, que vous, qui êtes roi, vous ne voudriez pas que votre service se fit d'une manière sale et que vous exigez la propreté dans vos serviteurs et dans vos servantes? Combien plus devez-vous croire que Dieu exige un service très chaste et très propre? Pourquoi me faire un crime de prêcher aux serviteurs de Dieu de l’aimer, quand vous désirez la même chose dans les vôtres? J'ai élevé une tour très haute et vous ine dites, à moi qui l’ai bâtie, de la détruire? J'ai creusé profondément la terre et fait jaillir une, fontaine de l’abîme et vous me dites de la combler? » Le roi, en colère, fit apporter des lames de fer brûlantes et placer l’apôtre nu-pieds sur elles; mais aussitôt, par l’ordre de Dieu, une fontaine surgit en cet endroit-là même et les refroidit. Alors le roi, d'après le conseil de son parent, fit jeter Thomas dans une fournaise ardente, qui s'éteignit, de telle sorte que le lendemain il en sortit sain et frais. Carisius dit au roi : « Fais-lui offrir un sacrifice au soleil, afin qu'il encoure la colère de son Dieu qui le préserve. » Comme on pressait l’apôtre de le faire, il dit au roi : « Tu vaux mieux que ce que tu fais exécuter, puisque tu négliges le vrai Dieu pour honorer une image. Tu penses, comme te l’a dit Carisius, que Dieu s'irritera contre moi quand j'aurai adoré ton dieu; il sera bien plus irrité contre ton idole, car il la brisera : adore-le donc. Que si en adorant ton Dieu, le mien ne le renverse pas, je sacrifie à l’idole; mais s'il en arrive ainsi que je le dis, tu croiras à mon Dieu. » Le roi lui dit : « Tu me parles comme à un égal. » Alors l’apôtre commanda en langue hébraïque au démon renfermé dans l’idole, qu'aussitôt qu'il aurait fléchi le genou devant lui, à l’instant il brisât l’idole. Or l’apôtre, en fléchissant le genou, dit : « Voici que j'adore, mais ce n'est pas l’idole; voici que j'adore, mais ce n'est pas le métal ; voici que j'adore, mais ce n'est pas un simulacre, car Celui que j'adore, c'est mon Seigneur J.-C., au nom duquel je te commande, démon, qui te caches dans cette image, de la briser. » Et aussitôt elle disparut comme une cire qui se fond. Tous les prêtres poussèrent des hurlements et le pontife du temple saisit un glaive avec lequel il perça l’apôtre en disant : « C'est moi qui tirerai vengeance de l’affront fait à mon Dieu. » Pour le roi et Carisius, ils s'enfuirent en voyant le peuple s'apprêtant à venger l’apôtre et à brûler vif le pontife. Les chrétiens emportèrent-le corps du saint et l’ensevelirent honorablement. Longtemps après, c'est-à-dire environ l’an 230, il fut transporté en la ville
d'Edesse, qui s'appelait autrefois Ragès des Mèdes. Ce fut l’empereur Alexandre qui le fit à la prière des Syriens. Or, en cette ville, aucun, hérétique, aucun juif, aucun païen n'y peut vivre, pas plus qu'aucun tyran ne saurait y faire de mal, depuis que Abgare, roi de cette cité, eut l’honneur de recevoir une lettre écrite de la main du Sauveur *. Car aussitôt que l’ennemi vient attaquer cette ville, un enfant baptisé, debout sur la porte, lit cette lettre et le jour mètre, tant par l’écrit du Sauveur, que par les mérites de l’apôtre Thomas, les ennemis sont mis en fuite ou font la paix. Voici ce que dit de cet apôtre Isidore, dans son livre de la vie et de la mort des saints : « Thomas, disciple et imitateur de J.-C., fut incrédule en entendant et fidèle en voyant. Il prêcha l’Évangile aux Parthes, aux Mèdès, aux Perses, aux Hircaniens et aux Bactriens : en entrant dans l’Orient et en pénétrant dans l’intérieur du pays, il prêcha jusqu'à l’heure de son martyre. Il fut percé à coups de lances. » Ainsi parle Isidore **. Et saint Chrysostome dit, de son côté, que quand Tllomas fut arrivé au pays des Mages qui étaient venus adorer J.-C., il les baptisa, puis ils devinrent ses coadjuteurs dans l’établissement de la foi chrétienne.
* Eusèbe rapporte au 1er livre de son Histoire ecclésiastique et la lettre d'Abgare et la réponse de J.-C. (chap. XIII). Il a pris, dit-il, ces deux pièces dans les archives d'Edesse.
** Isidore raconte des faits conformes à cette légende.
SAINTE ANASTASIE *
* On peut lire dans Hrostwile, religieux de l’abbaye de Gandershem, en 999, une comédie fort curieuse intitulée : Dulcitius, dont le fonds est emprunté à la légende de sainte Anastasie.
Anastasie vient de ana, au-dessus, et stasis, qui se tient debout, ou état, parce qu'elle s'éleva des vices aux vertus.
Anastasie était une très noble fille de Pretaxatus, illustre sénateur romain, mais païen, et elle avait reçu les principes de la foi de sa mère Faustine, chrétienne et de saint Chrysogone. Ayant été mariée à Publius, elle simula une maladie pour n'avoir point de rapports avec lui. Publias apprit que sa femme, avec une de ses suivantes, allait, couverte d'habits plus que modestes, parcourir les prisons où étaient des chrétiens et leur porter ce dont ils avaient besoin ; alors il la fit garder très étroitement, au point de lui refuser même de la nourriture, dans l’intention de la faire périr, afin qu'il pût vivre dans les plaisirs à l’aide de ses immenses possessions. Or comme elle pensait mourir, elle écrivit des lettres
pleines d'affection à Chrysogone qui lui répondit pour la consoler. Sur ces entrefaites, son mari mourut et elle fut délivrée de ses angoisses. Elle avait pour suivantes trois soeurs d'une merveilleuse beauté, dont l’une s'appelait Agapen, l’autre Chionée et la troisième Irénée. Elles étaient chrétiennes et refusaient obstinément d'obéir aux avis du préfet de Rome ; celui-ci les fit enfermer dans une chambre où l’on serrait les ustensiles de cuisine. Or ce préfet, qui brûlait d'amour pour elle, les alla trouver afin d'assouvir sa passion. Il fut alors frappé de folie, et croyant s'en prendre aux vierges, il embrassait les casseroles, les pots-au-feu, les chaudrons et autres ustensiles de cuisine. Quand il fut rassasié, il en sortit tout noir, sale et les vêtements en lambeaux. Ses serviteurs, qui l’attendaient à la porte, le voyant ainsi fait, le crurent changé en démon, l’accablèrent de coups, s'enfuirent et le laissèrent seul. Il alla alors trouver l’empereur pour porter plainte; et les uns le frappaient de verges, les autres lui jetaient de la boue et de la poussière, soupçonnant qu'il était changé en furie. Ses veux étaient aveuglés afin qu'il ne se vît pas difforme; aussi était-il bien étonné de se voir ainsi moqué, lui qui avait l’habitude d'être traité avec grand honneur. Il croyait en effet être revêtu, ainsi que tous les autres, de vêtements blancs. Il pensa, quand on lui dit qu'il était si ridicule, que les jeunes filles l’avaient traité ainsi par le moyen de la magie, et il ordonna qu'on les déshabillât devant lui afin au moins de les voir nues; mais aussitôt leurs habits adhérèrent si bien à leur corps qu'il fut impossible de les en dépouiller. Alors le préfet saisi, s'endormit et ronfla si fort que les coups ne purent le réveiller. Enfin les vierges reçurent la couronne du martyre, et Anastasie fut donnée à un préfet, qui devait l’épouser; si auparavant il la faisait sacrifier. Comme il l’emmenait dans une chambre et qu'il voulait l’embrasser, il devint aussitôt aveugle. Il alla consulter les dieux pour savoir s'il pouvait être guéri. Ils lui répondirent:, « Parce que tu as contristé Anastasie, tu nous as été livré et dès cet instant tu seras tourmenté continuellement en enfer avec nous. » Pendant qu'on le ramenait chez lui, il mourut entre les mains de ses gens. Alors Anastasie est livrée à un autre préfet qui la devait tenir en prison. Quand il apprit qu'elle jouissait d'immenses possessions, il lui dit en particulier : « Anastasie, si tu veux être chrétienne, fais donc ce que t'a commandé ton maître. Voici ce qu'il ordonne : « Celui qui n'aura pas renoncé à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple. » Donne-moi alors tout ce qui t'appartient et va en liberté partout où tu voudras et tu seras une vraie chrétienne. » Elle lui répondit : « Mon Dieu a dit : « Vendez tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres, mais non aux riches;» or comme tu es riche, j'irais contre le commandement de Dieu; si je te donnais la moindre chose. » Alors Anastasie fut jetée dans une affreuse prison pour y mourir de faim; mais saint Théodore, qui avait déjà eu les honneurs du martyre, lu nourrit d'un pain céleste pendant deux mois. Enfin elle ut conduite avec deux cents vierges aux îles de Palmarola, où beaucoup de chrétiens avaient été relégués. Quelques jours après, le préfet les manda toutes et fit lier Anastasie à un poteau pour y être brûlée : les autres périrent dans divers supplices. Dans le nombre il y avait un chrétien qui plusieurs fois avait été dépouillé de ses richesses à cause de J.-C. et qui répétait sans cesse: « Au moins vous ne m’enlèverez pas J.-C. » Apollonie ensevelit
le corps de sainte Anastasie avec honneur dans son verger où elle construisit une église. Elle souffrit sous Dioclétien qui commença à régner environ l’an du Seigneur 287.
SAINT ÉTIENNE
Étienne ou Stéphane veut dire couronne en grec; en hébreu il signifie règle. Il fut la couronne, c'est-à-dire le chef des martyrs du Nouveau Testament; comme Abel de, l’ancien. Il fut encore une règle, c'est-à-dire un exemple aux autres de souffrir pour J.-C. ou bien d'agir et de vivre dans la sincérité, ou de prier pour ses ennemis. Stéphane signifierait encore, d'après une autre étymologie, Strenue fans, qui parle avec énergie, comme il appert par son discours et par sa belle prédication de la parole de Dieu. Stéphane signifierait aussi : qui parle avec force aux vieilles, Strenue fans anus, parce qu'il parlait avec énergie, avec dignité aux veuves qu'il instruisait et dirigeait d'après la commission qu'il en avait reçue des apôtres, et qui, à la lettre, étaient vieilles. Il est donc couronné comme chef du martyre, règle du souffrir et du bien vivre, orateur énergique dans sa prédication, riche, et parlant 'aulx vieilles dans ses admirables instructions.
Étienne fui un des sept diacres ordonnés par les apôtres pour exercer le ministère. Car le nombre des disciples s'augmentant, ceux des gentils, qui étaient convertis, commencèrent à murmurer contre les juifs nouvellement chrétiens de ce que leurs veuves étaient méprisées et laissées de côté dans le ministère de tous les jours. On peut assigner deux causes à ces murmures : ou bien leurs veuves n'étaient pas admises à partager le ministère, ou bien elles étaient plus surchargées que les autres dans cet exercice quotidien. Les apôtres en effet, voulant s'appliquer entièrement à la dispensation de la parole, confièrent aux veuves le soin de distribuer les aumônes. Or, ils voulurent apaiser les murmures qui s'élevaient par rapporta l’administration des veuves et rassemblèrent la multitude des fidèles auxquels ils dirent : « Il n'est pas juste que nous cessions d'annoncer la parole de Dieu pour avoir soin des tables. » La glose ajoute : « parce que la nourriture de l’esprit est préférable aux mets qui alimentent le corps. » Choisissez donc, frères, sept hommes d'entre vous, d'une probité reconnue, pleins de l’Esprit saint et de sagesse, à qui nous commettions ce ministère, afin qu'ils servent ou qu'ils président ceux qui servent; nous nous appliquerons entièrement à la prière et à la dispensation de la parole. » Ce discours plut à toute l’assemblée. On en choisit sept. dont saint Étienne fut le grimacier et le chéfecier, et on les amena aux apôtres qui leur imposèrent; les mains. Or, Étienne, qui était plein de grâce et de force, opérait de grands prodiges et de grands miracles parmi le peuple. Les juifs jaloux conçurent le désir de prendre le dessus sur lui et de l’accuser : alors ils essayèrent de le vaincre de trois manières: savoir, en discutant, en produisant de faux témoins et en le jetant dans les tourments. Toutefois il fut plus savant dans la
discussion; il démasqua les faux témoins et triompha des supplices. Dans chacun de ces combats le ciel lui vint en aide. Dans le premier, l’Esprit saint lui fut donné pour qu'il fût pourvu de sagesse ; dans le second, il parut avec un visage angélique afin d'effrayer les faux témoins ; dans le troisième, J.-C. se montra disposé à l’aider pour le fortifier dans le martyre. Dans chaque combat, l’histoire tient compte de trois choses, savoir: la lutte engagée, le secours prêté et le triomphe remporté. En parcourant l’histoire, nous pourrons voir tous ces succès en peu de mots.
Comme Étienne faisait beaucoup de miracles et prêchait fort souvent au peuple, les juifs envieux engagèrent avec lui le premier combat pour le vaincre dans la discussion. Quelques-uns de la synagogue des libertins, c'est-à-dire des enfants des hommes libres, qui ont reçu la liberté par la manumission, s'élevèrent contre lui. Ce fut donc la postérité des esclaves qui résista la première à la foi. Il y avait aussi des Cyrénéens de la ville de Cyrène, des Alexandrins et des hommes de Cilicie et d'Asie qui disputèrent avec saint Étienne. Ce premier combat fut suivi du triomphe; car ils ne pouvaient résister à sa sagesse; et l’auteur sacré ajoute. : « et à l’Esprit qui parlait par sa bouche » ; ce qui désigne l’aide accordé. Voyant donc qu'ils ne pouvaient l’emporter sur lui dans ce genre de combat, ils furent assez habiles pour choisir une seconde manière, qui était de le vaincre à l’aide des faux témoins. Alors ils en subornèrent deux pour l’accuser de quatre sortes de blasphèmes. Après l’avoir amené dans le conseil, les faux témoins lui reprochaient quatre faits savoir le blasphème contre Dieu, contre Moïse, contre la loi et contre le tabernacle ou le temple : Voilà le combat. Cependant tous ceux qui étaient assis dans le conseil ayant levé les yeux sur lui, virent son visage comme le visage d'un ange: C'est le secours. Vient ensuite la victoire de ce second combat, par lequel les faux témoins furent confondus dans leurs dépositions. Car le Prince des prêtres dit: « Les choses sont-elles ainsi qu'il vient d'en être déposé? » Alors le bienheureux, Étienne se disculpa catégoriquement des quatre blasphèmes dont l’avaient chargé les faux témoins. Et d'abord, il se disculpa de blasphème contre Dieu, en disant que le Dieu qui a parlé à leurs pères et aux prophètes était le Dieu de gloire, c'est-à-dire, celui qui donne ou qui possède la gloire, ou bien encore, celui auquel la gloire est due par la créature. En cet endroit il loua Dieu de trois manières, ce qui peut se prouver par trois passages. C'est le Dieu de gloire, ou qui donne la gloire; il y a au livre des Rois (II) : « Celui qui me portera honneur, je lui porterai gloire. » Il est Dieu de gloire ou qui contient la .gloire. On lit, au livre des Proverbes (VIII) : « Avec moi sont les richesses et la gloire. » Il est le Dieu de gloire, c'est-à-dire, le Dieu auquel la créature doit la gloire. La 1ère épître à Timothée (I) dit: « Au roi immortel des siècles, au seul Dieu, gloire et honneur dans tous les siècles. » Donc Étienne loua Dieu en trois manières, en disant qu'il est glorieux, qu'il donne la gloire et qu'il la mérite.. Il se disculpa ensuite du reproche de blasphème contre Moïse, en louant le même Moïse de plusieurs manières. Il le loua principalement par trois circonstances : pour la ferveur de son zèle, pour avoir tué l’Égyptien qui avait frappé un de ses frères ; d'avoir fait des miracles en Égypte et dans le désert; de l’honneur qu'il eut
de converser avec Dieu plusieurs fois. Enfin il se disculpa du troisième blasphème, contre la loi, en relevant son prix par trois raisons: la première, parce qu'elle avait Dieu pour auteur, la seconde parce qu'elle avait eu le grand et illustre Moïse pour ministre; la troisième par rapport à la fin qu'elle a, savoir qu'elle donne la vie. Enfin il se disculpa du quatrième blasphème contre le temple et le Tabernacle, eu disant quatre sortes de biens du Tabernacle ; savoir : qu'il avait été commandé par Dieu ; que Moïse en avait reçu le plan dans une vision ; qu'il avait été achevé par Moïse et qu'il renfermait l’arche du témoignage. Il dit que le temple avait remplacé le Tabernacle. C'est ainsi que saint Étienne se disculpa, à l’aide du raisonnement, des crimes qu'on lui imputait.
Les Juifs, se voyant une seconde fois vaincus, choisissent un troisième moyen et engagent le troisième combat : c'était de le vaincre au moins par les tourments et les supplices. Saint Étienne ne s'en fut pas plutôt aperçu que, voulant pratiquer le précepte du Seigneur au sujet de la correction fraternelle, il essaya par trois moyens de lés corriger et de les empêcher de commettre une pareille méchanceté, savoir : par pudeur, par crainte et par amour. 1° Par pudeur, en leur reprochant la dureté de leur coeur et la mort des Saints. « Têtes dures, dit-il, hommes incirconcis de coeur et d'oreilles, vous résistez toujours au Saint-Esprit, et vous êtes tels que vos pères ont été. Quel est le prophète que vos pères n'aient pas persécuté? Ils ont tué ceux qui prédisaient l’avènement du Juste. » Par là, dit la glose, il expose trois degrés de malice. Le 1er, de résister au Saint-Esprit, le 2e, de persécuter les prophètes, le 3e, de les tuer par un excès de méchanceté. Ils avaient en effet le front d'une courtisane; ils né savaient rougir, ni s'arrêter dans la voie du mal qu'il s avaient conçu. Bien au contraire, à ces paroles ils entrèrent dans une rage qui leur déchirait le coeur et ils grinçaient des dents contre lui. 2° Il les corrigea par la crainte, en leur disant qu'il voyait J.-C. debout a la droite de Dieu, comme prêt à l’aider et à condamner ses adversaires. Mais Étienne étant rempli du Saint-Esprit, et levant les yeux au ciel, vit la gloire de Dieu, et il lit : « Je vois les cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de la Vertu de Dieu. » Et quoi qu'il les eût déjà repris par la pudeur et par la crainte, ils ne furent cependant point encore corrigés, mais ils devinrent pires qu'auparavant. « Alors jetant de grands cris, et se bouchant les oreilles (pour ne pas entendre ses blasphèmes, dit la glose), ils se jetèrent tous ensemble sur lui, et l’avant entraîné hors de la ville, ils le lapidèrent. » En cela ils croyaient agir d'après la loi qui ordonnait de lapider le blasphémateur hors de la place. Et les. deux faux témoins qui devaient lui jeter la première pierre, selon le texte de la loi : « Les témoins lui jetteront les premiers la pierre de leur propre main, etc. » se dépouillèrent de leurs habits, soit pour qu'ils ne fussent pas souillés par le contact d'Étienne, soit afin d'être plus libres polir jeter les pierres, et les mirent aux pieds d'un jeune homme nommé Saul et plus tard Paul, lequel en gardant ces vêtements, pour qu'ils fussent moins embarrassés, le lapida, pour ainsi dire, par la main de tous. N'ayant donc pu les détourner de leur crime ni par la pudeur, ni par la crainte, il essaya d'un troisième moyen, qui était de les adoucir au moins par l’amour. Peut-on un amour plus éminent que celui dont il fit preuve en priant pour lui
et pour eux ? Il pria pour lui d'abord, afin d'abréger les instants de sa passion; pour eux ensuite, afin qu'elle ne leur fût point imputée à péché. Ils lapidaient, dis-je, Étienne qui priait et qui disait : « Seigneur Jésus, recevez mon esprit. » S'étant mis ensuite à genoux, il s'écria à haute voix : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché car ils ne savent ce qu'ils font. » Et voyez quel amour admirable! quand il prie pour lui, il est debout; quand il prie pour ses bourreaux, il fléchit les genoux, comme s'il eût préféré être plutôt exaucé dans ce qu'il sollicitait pour les autres, que dans ce qu'il demandait polir lui-même. Pour eux plutôt que pour lui, il fléchit, les genoux parce que, dit la glose a ce propos, il implorait un plus grand remède là où le mal était plus grand. En cela ce martyr de J.-C. imita le Seigneur qui, dans sa passion, pria pour lui quand il dit : « Père, je remets mon âme entre vos mains; » et pria pour ceux qui le crucifiaient en disant : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » « Et après cette parole, il s'endormit au Seigneur. » Belle parole, ajoute la glose, il s'endormit, et non pas il mourut, car en offrant ce sacrifice d'amour, il s'endormit avec l’espoir de se réveiller à la résurrection. Étienne fut lapidé l’année que J.-C. monta au ciel, au commencement du mois d'août, le matin du troisième jour. Saint Gamaliel et Nicodème, qui tenaient pour les chrétiens dans tous les conseils des Juifs, l’ensevelirent dans un champ de ce même Gamaliel, et firent ses funérailles avec un grand deuil: et il s'éleva une grande persécution contre les chrétiens de Jérusalem, car après le meurtre du bienheureux Étienne, qui était l’un des principaux, on se mit à les persécuter, au point que tous les chrétiens, excepté les apôtres comme plus courageux, furent dispersés par toute la province de Judée, selon que. le Seigneur le leur avait recommandé : « S'ils vous persécutent dans une ville, fuyez dans une autre. »
L'éminent docteur Augustin rapporte que saint Étienne fut illustre par d'innombrables miracles; par la résurrection de six morts, par la guérison d'une foule de malades. Parmi ces miracles qu'il raconte, il en est quelques-uns de fort remarquables. Il dit donc que l’on mettait des fleurs sur l’autel de saint Étienne et que quand on en avait touché les malades, ils étaient miraculeusement guéris. Des linges pris à son autel, et posés sur des malades, procuraient à plusieurs la guérison de leurs infirmités. Au livre XXII de la Cité de Dieu, il dit que des fleurs qu'on avait prises de son autel furent mises sur les yeux d'une femme aveugle qui recouvra tout aussitôt la vue. Dans le même livre, il rapporte que l’un des premiers d'une ville, Martial, qui était infidèle, ne voulait absolument pas se convenir. Étant tombé gravement malade, son gendre, plein de foi, vint à l’église de Saint-Étienne, prit des fleurs qui étaient, sur son autel, et les cacha auprès de la tête de Martial,. qui, après avoir dormi dessus, s'écria, dès avant le jour, qu'on envoyât chercher l’évêque. Celui-ci étant absent, un prêtre vint; et sur l’assurance que lui donna Martial de sa foi, il lui administra le baptême. Tant qu'il vécut, toujours il avait ces mots à la bouche : « Jésus-Christ, recevez mon esprit, » sans savoir que c'étaient les dernières paroles de saint Étienne.
Voici un autre miracle rapporté dans le même livre une dame appelée Pétronie était tourmentée depuis longtemps d'une très grave infirmité ; elle avait employé une foule de
remèdes qui n'avaient laissé trace de guérison ; un jour elle consulte un Juif qui lui donne un anneau dans lequel se trouvait enchâssée une pierre, afin qu'elle se ceignit avec une corde de cet anneau sur sa chair nue, et que par sa vertu elle recouvrât la santé. Mais comme elle s'aperçut que cela ne lui procurait aucun bien, elle se hâta d'aller à l’église du premier martyr Etienne le prier de la guérir. Aussitôt, sans que la corde fût déliée, l’anneau resté entier tomba à terre : elle se sentit à l’instant tout à, fait guérie.
Le même livre rapporte un autre miracle non moins admirable. A Césarée de Cappadoce, une noble dame avait perdu son mari; mais elle avait une belle et nombreuse famille composée de dix enfants, sept. fils et trois filles. Un jour qu'elle avait été offensée par eux, elle maudit ses fils. La vengeance divine suivit de près la malédiction de la mère, et tous sont frappés également d'un horrible châtiment. Un tremblement affreux de tous leurs membres les saisit. Accablés de douleur, ils ne voulurent point que leurs concitoyens fussent témoins de leur malheur et ils coururent par toute la terre, attirant sur eux l’attention.. Deux d'entre eux, un frère et une sueur, Paul et Palladie, vinrent à Hippone et racontèrent à saint Augustin lui-même, qui était évêque de cette ville, ce qui leur était arrivé. Il y avait quinze jours, c'était avant. Pâques, qu'ils se rendaient assidûment à l’église de saint Étienne, le priant avec insistance de leur rendre, la santé. Le jour de Pâques, en présence d'une foule de peuple, Paul franchit tout à coup la balustrade, se prosterne devant l’autel avec foi et révérence, et se met à prier. Les assistants attendent ce qui va arriver, quand il se lève tout à coup. Il était guéri et délivré désormais de son tremblement. Ayant été amené à saint Augustin, celui-ci le montra au peuple en promettant de lire le lendemain un récit écrit de ce qui s'était passé. Or, comme il parlait au peuple et que 1a soeur assistait elle-même à l’église, toujours agitée dans tous ses membres, elle se leva du milieu des fidèles, passa la balustrade et de suite comme si elle sortait du sommeil, elle se leva guérie. On la montre à la foule qui rend d'immenses actions de grâces à Dieu et à saint Étienne, de la guérison du frère et de la sueur. Orose en revenant chez saint Augustin de visiter saint Jérôme rapporta quelques reliques de saint Étienne qui opérèrent les miracles dont on vient de parler et beaucoup d'autres encore.
Il faut remarquer que saint Étienne ne souffrit pas le martyre aujourd'hui, mais, comme nous l’avons dit plus haut, le trois d'août, jour où l’on célèbre son invention. Nous raconterons alors pour quel motif ces fêtes furent changées. Qu'il suffise de dire ici que 1'Église a eu deux raisons de placer, comme elle l’a fait, les trois fêtes qui suivent Noël: La première, c'est afin de réunir à l’Époux et au chef ceux qui ont été ses compagnons. En effet, en naissant, J.-C. qui est l’Époux a donné, en ce monde à l’Église, son épouse, trois compagnons, dont il est dit dans les cantiques * : « Mon bien-aimé est reconnaissable par sa blancheur et sa rougeur : il est choisi entre mille. » La blancheur indique Jean l’évangéliste, saint confesseur ; la rougeur, saint Étienne, premier martyr ; la multitude virginale des Innocents est signifiée par ces paroles : « Il est choisi entre mille.
» La seconde raison est qu'ainsi, l’Église réunit ensemble tous les genres de martyrs, selon leur rang de dignité. La naissance du Christ fut, en effet, la cause de leur martyre. Or, il y a trois martyres: le volontaire qu'on subit, le volontaire qu'on ne subit pas, celui que l’on subit, mais qui n'est pas volontaire. On trouve le premier dans saint Etienne, le second dans saint Jean et le troisième dans les Innocents.
* Cant. V, 10.
SAINT JEAN, APÔTRE ET ÉVANGÉLISTE
Jean veut dire grâce de Dieu, ou en qui est la grâce, ou auquel la grâce a été donnée, ou auquel un don a été fait de la part de Dieu. De là quatre privilèges de saint Jean. Le premier fut l’amitié particulière de J.-C. En effet, le Sauveur aima saint Jean plus que les autres apôtres et lui donna de plus grandes marques d'affection et de familiarité. Il veut donc dire grâce. de Dieu parce qu'il fut gracieux à Dieu. Il paraît même qu'il a été aimé plus que Pierre. Mais il y a amour de coeur et démonstration de cet amour. On trouve deux sortes de démonstrations d'amour : l’une qui consiste dans la démonstration de la familiarité, et l’autre dans les bienfaits accordés. Il aima Jean et Pierre également. Mais quant à l’amour de démonstration, il aima mieux saint Jean, et quant aux bienfaits donnés, il préféra Pierre. Le second privilège est la parole de la chair; en effet, saint Jean a été choisi vierge par le Seigneur ; alors en lui est la grâce, c'est-à-dire la grâce de la pureté virginale, puisqu'il voulait se marier quand J.-C. l’appela *. Le troisième privilège, c'est la révélation des mystères: en effet, il lui a été donné de connaître beaucoup de mystères, par exemple, ce qui concerne la divinité du Verbe et la fin du monde. Le quatrième privilège,, c'est d'avoir été chargé du soin de la mère de Dieu : alors on, peut dire qu'il a reçu un don de Dieu. Et c'était le plus grand présent que le Seigneur put faire que de lui,confier le soin de sa mère. Sa vie a été écrite par Miletus **, évêque de Laodicée, et abrégée par Isidore dans son livre De la naissance, de la vie et de la mort des Saints Pères.
* C'est l’opinion de Bède, Sermon des Jean; — de Rupert, — Sur Saint Jean, ch. I; — de saint Thomas d'Aquin, t. II, p. 186; — de sainte Gertrude en ses Révélations, liv. IV, c. IV.
** Le livre de Miletus a été publié en dernier lieu à Leipsig, par Heine, 1848. Il est reproduit ici en majeure partie.
Jean, apôtre et évangéliste, le bien-aimé du Seigneur, avait été élu alors qu'il était encore vierge. Après la Pentecôte, et quand les apôtres se furent séparés, il partit pour l’Asie, où il fonda un grand nombre d'églises. L'empereur Domitien, qui entendit parler de lui, le fit venir et jeter dans une cuve d'huile bouillante, à la porte Latine. Il en sortit sain et entier, parce qu'il avait vécu affranchi de la corruption de la chair *.
* Tertullien, Prescriptions, ch. XXXVI; — Saint Jérôme, Sur Saint Jean, liv. I, c. XIV.
L'empereur ayant su que Jean n'en continuait pas moins à prêcher, le relégua en exil dans l’île inhabitée de Pathmos et où le saint écrivit l’Apocalypse. Cette année-là, l’empereur fut tué en haine de sa grande cruauté et tous ses actes furent annulés par le sénat; en sorte que saint Jean, qui avait été bien injustement déporté dans cette île, revint à Ephèse, où il fut reçu avec grand honneur par tous les fidèles qui se pressèrent au-devant de lui en disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Il entrait dans la ville, comme on portait en terre Drusiane qui l’aimait beaucoup et qui aspirait ardemment son arrivée. Les parents, les veuves et les orphelins lui dirent: « Saint Jean, c'est Drusiane que nous allons inhumer; toujours elle souscrivait à vos avis, et nous nourrissait tous ; elle souhaitait vivement votre arrivée, en disant « O si j'avais le bonheur de voir l’apôtre de Dieu avant « de mourir! » Voici que vous arrivez et elle n'a pu vous voir. » Alors Jean ordonna de déposer le brancard et de délier le cadavre: « Drusiane, dit-il, que mon Seigneur J.-C. te ressuscite, lève-toi, va dans ta maison et me prépare de la nourriture. » Elle se leva aussitôt, et s'empressa d'exécuter l’ordre de l’apôtre, tellement qu'il. lui semblait qu'il l’avait réveillée et non pas ressuscitée.
Le lendemain, Craton le philosophe convoqua le peuple sur la place, pour lui apprendre comment on devait mépriser ce monde. Il avait fait acheter à deux frères très riches, du produit de leur patrimoine, des pierres précieuses qu'il fit briser en présence de l’assemblée. L'apôtre vint à passer par là et appelant le philosophe auprès de lui, il condamna cette manière de mépriser le monde par trois raisons : 1° il est loué par les hommes, mais il est réprouvé par le jugement de Dieu; 2° ce mépris ne guérit pas le vice ; il est donc inutile, comme est inutile le médicament qui ne guérit point le malade ; 3° ce mépris est méritoire pour celui qui donne ses biens aux pauvres. Comme le Seigneur dit au jeune homme: «Allez vendre tout ce que vous avez et le donnez aux pauvres. » Craton lui dit: « Si vraiment ton Dieu est le maître, et qu'il veuille que le prix de ces pierreries soit donné aux pauvres, fais qu'elles redeviennent entières, afin que, de ta part, cette oeuvre tourne à sa gloire, comme j'ai agi pour obtenir de la renommée auprès des. hommes, » Alors saint Jean, rassemblant dans sa main les fragments de ces pierres, fit une prière, et elles redevinrent entières comme devant. Aussitôt le philosophe ainsi que
les deux jeunes gens crurent, et vendirent les pierreries, dont ils distribuèrent le prix aux pauvres.
Deux, autres jeunes tiens d'une famille honorable imitèrent l’exemple des précédents, vendirent tout ce qu'ils avaient, et après l’avoir donné aux pauvres, ils suivirent l’apôtre. Mais un jour qu'ils voyaient leurs serviteurs revêtus de riches et brillants vêtements, tandis qu'il ne leur restait qu'un seul habit, ils furent pris de tristesse. Saint Jean, qui s'en aperçut à leur physionomie, envoya chercher sur le bord de la mer . des bâtons et des cailloux qu'il changea en or et en pierres fines. Par l’ordre de l’apôtre, ils les montrèrent pendant sept jours à tous les orfèvres et à tous les lapidaires ; à leur retour ils racontèrent que ceux-ci n'avaient jamais vu d'or plus pur ni des, pierreries si précieuses ; et il leur élit : « Allez racheter vos terres que vous avez vendues, parce que vous avez perdu les richesses du ciel; brillez comme des fleurs afin de vous faner comme elles; soyez riches dans le temps pour que vous soyez mendiants dans l’éternité. » Alors l’apôtre parla plus souvent encore contre les richesses, et montra que pour six raisons, nous devions être préservés de l’appétit immodéré de la fortune. La première tirée de l’Écriture, dans le récit du riche en sa table que Dieu réprouva, et du pauvre Lazare que Dieu élut; la seconde puisée dans la nature, qui nous fait venir pauvres et nus, et mourir sans richesses; la troisième prise de la créature : le soleil, la lune, les astres, la pluie, l’air étant communs à tous et partagés entre tous sans préférence, tous les biens devraient donc être en commun chez les hommes ; la quatrième, est la fortune. Il dit alors que le riche devient l’esclave de l’argent et du diable ; de l’argent, parce qu'il ne possède pas les richesses, mais que ce sont elles qui le possèdent; du diable, parce que, d'après l’évangile, celui qui aime l’argent est l’esclave de Mammon. La cinquième est l’inquiétude : ceux qui possèdent ont jour et nuit des soucis, soit pour acquérir, soit pour conserver. La sixième, ce sont les risques et périls auxquels sont exposées les richesses ; d'où résultent deux sortes de maux: ici-bas, l’orgueil ; dans l’éternité, la damnation éternelle : perte de deux sortes de biens : ceux de la grâce, dans la vie présente ceux de la gloire éternelle, dans la vie future. Au milieu de cette discussion contre les richesses, voici, qu'on portait en terre un jeune homme mort trente jours après son mariage. Sa mère, sa veuve et les autres qui le pleuraient, vinrent se jeter aux pieds de l’apôtre et le prier de le ressusciter comme Drusiane au nom du Seigneur. Après avoir pleuré beaucoup et avoir prié, Jean ressuscitas l’instant le jeune homme auquel il ordonna de raconter à ces deux disciples quel châtiment ils avaient encouru et quelle gloire ils avaient perdue. Celui-ci raconta alors bien des faits, qu'il, avait vus sur la gloire du paradis, et sur les peines de l’enfer. Et il ajouta : « Malheureux que vous êtes, j'ai vu vos anges dans les pleurs et les démons dans la joie; puis il leur dit, qu'ils' avaient perdu les palais éternels construits des pierreries brillantes, resplendissant d'une clarté merveilleuse, remplis de banquets copieux, pleins de délices, et d'une joie, d'une gloire interminables. Il raconta huit peines de l’enfer qui sont renfermées dans ces deux vers :
Vers et ténèbres, tourment, froid et feu,
Présence du démon, foule de criminels, pleurs.
Alors celui qui avait été ressuscité; se joignit aux deux disciples qui se prosternèrent aux pieds de l’apôtre et le conjurèrent de leur faire miséricorde. L'apôtre leur dit : « Faites pénitence trente jours, pendant lesquels. priez que ces bâtons et ces pierres reviennent dans leur état naturel. » Quand ils eurent exécuté cet ordre, il leur dit : « Allez porter ces bâtons et ces pierres où vous les avez pris. »
Ils le firent ; les bâtons et les pierres redevinrent alors ce qu'ils étaient, et les jeunes gens recouvrèrent la grâce de toutes les vertus, qu'ils avaient possédées auparavant. Après que Jean eut prêché par toute l’Asie, les adorateurs de Jules excitèrent une sédition parmi le peuple et traînèrent le saint à un temple de Diane pour le forcer à sacrifier. Jean leur proposa cette alternative ou qu'en invoquant Diane, ils fissent crouler l’église de J.-C., et qu'alors il sacrifierait aux idoles ; ou qu'après avoir lui-même invoqué J.-C., il renverserait le temple de Diane et alors eux-mêmes crussent en J.-C. La majorité accueillit la proposition tous sortirent du temple ; l’apôtre fit sa prière, le temple: croula jusque dans ses fondations et l’image de Diane fut réduite en pièces. Mais le pontife des idoles, Aristodème, excita une affreuse sédition dans le peuple ; une partie se préparait à se ruer contre l’autre. L'apôtre lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour te fléchir? » « Si tu veux, répondit Aristodème, que je croie en ton Dieu, je te donnerai du poison à boire, et si tu n'en ressens pas les atteintes, ton Seigneur sera évidemment le vrai Dieu. » L'apôtre reprit : « Fais ce que tu voudras. » « Je veux, dit Aristodème, que tu en voies mourir d'autres auparavant afin que ta crainte augmente. » Aristodème alla demander au proconsul deux condamnés à mort, auxquels, en présence de tous, il donna du poison. A peine l’eurent-ils pris qu'ils rendirent l’âme. Alors l’apôtre prit la coupe et se fortifiant du signe de la croix, il avala tout le poison sans éprouver aucun mal, ce qui porta tous les assistants à louer Dieu. Aristodème dit encore : « Il me reste un doute, mais si tu ressuscites ceux qui sont morts du poison, je croirai indubitablement. » Alors l’apôtre lui donna sa tunique. « Pourquoi, lui dit-il, m’as-tu donné ta tunique? » « C'est, lui répondit saint Jean, afin que tu sois tellement confus que tu brises avec ton infidélité. » « Est-ce que ta tunique me fera croire? » dit Aristodème. « Va, dit l’apôtre, la mettre sur les corps de ceux qui sont morts et dis : «L'apôtre de J.-C. m’a envoyé vers vous polir vous ressusciter « au nom de J.-C. » Il l’eut à peine fait que sur-le-champ ils ressuscitèrent. Alors l’apôtre baptisa au nom de J.-C. le pontife et le proconsul qui crurent, eux et toute leur famille; ils élevèrent ensuite une église en l’honneur de saint Jean.
Saint Clément d'Alexandrie rapporte, dans le IVe livre de l’Histoire ecclésiastique *, que l’apôtre convertit un jeune homme beau, mais fier, et le confia à un évêque à titre de dépôt.
* Clément d'Alexandrie, Quis dives, ch. XLII; — Eusèbe, l. III, ch. XXIII; — Saint Chrysostome, ad Theodos lapsum, liv. I, ch. II.
Peu de temps après, le jeune homme abandonne l’évêque et se met à la-tête d'une bande de voleurs. Or quand l’apôtre revint, il réclama son dépôt à l’évêque. Celui-ci croit qu'il est question d'argent et reste assez étonné. L'apôtre lui dit : « C'est ce jeune homme que je vous réclame; c'est celui que je vous avais recommandé d'une manière si pressante. » « Père saint, répondit l’évêque, il est mort quant à l’âme et il reste sur une telle montagne avec des larrons dont il est lui-même le chef. »
En entendant ces paroles, saint Jean déchiré ses vêtements, se frappe la tête avec les poings. « J'ai trouvé là un bon gardien de l’âme d'un frère, ajouta-t-il ! » Il se fait aussitôt préparer un cheval et court avec intrépidité vers la montagne. Le jeune homme, l’ayant reconnu, fut couvert de honte et s'enfuit aussitôt sur son cheval. L'apôtre oublie son âge, pique son coursier de ses éperons- et crie après le fuyard : « Bien-aimé fils, qu'as-tu à fuir devant un père et un vieillard sans défense? Ne crains pas, mon fils ; je rendrai compte de toi à J.-C., et bien certainement je mourrai volontiers pour toi. comme J.-C. est mort pour nous. Reviens, mon fils, reviens; c'est le Seigneur qui m’envoie. » En entendant cela, le brigand fut tout contrit, revint et pleura à chaudes larmes. L'apôtre se jeta à ses pieds et se mit à embrasser sa main comme si elle eût déjà été purifiée par la pénitence : il jeûna et pria pour lui, obtint sa grâce et par la suite il l’ordonna évêque. On lit encore dans l’Histoire ecclésiastique * et dans la glose sur la seconde épître canonique de saint Jean, que ce saint étant entré à Ephèse pour prendre un bain, il y vit Cérinthe l’hérétique et qu'il se retira vite en disant « Fuyons d'ici, de peur que l’établissement ne croule sur nous ; Cérinthe, l’ennemi de la vérité, s'y baigne.» Cassien**, au livre de ses conférences, raconte qu'un homme apporta une perdrix vivante à saint. Jean. Le saint la caressait et la flattait pour l’apprivoiser.
*Eusèbe, liv. IV, ch. XIV; — Saint Irénée, Advers. Haeres, liv. III, ch. III ; — Théodor., liv. II.
* *XXIVe conférence, ch. XXI.
Un enfant témoin de cela dit en riant à ses camarades : « Voyez. comme ce vieillard joue avec un petit oiseau comme ferait un enfant. » Saint Jean devina ce qui se passait, appela l’enfant qui lui dit «'est donc vous qui êtes Jean qui faites cela et qu'on dit si saint?» Jean lui demanda ce qu'il tenait à la main. Il lui, répondit qu'il avait un arc. « Et qu'en fais-tu ? , » « C'est pour tuer des oiseaux et des bêtes, lui dit l’enfant. » « Comment
? lui dit l’apôtre. » Alors l’enfant banda son arc et le tint ainsi à la main. Comme l’apôtre ne lui disait rien, le jeune homme débanda son arc. « Pourquoi donc, mon fils, lui dit Jean, as-tu débandé ton arc? » « C'est, répondit-il; que si je le tenais plus longtemps tendu, il deviendrait trop mou pour lancer les flèches.» Alors l’apôtre dit : « Il en est de même de l’infirmité humaine, elle s'affaiblirait dans la contemplation, si en restant toujours fermement occupée, sa fragilité ne prenait pas quelques instants de relâche. Vois l’aigle; il vole plus haut que tous les oiseaux; il regarde fixement le soleil, et cependant, par la nécessité de sa nature, il descend sur la terre. Ainsi l’esprit de l’homme, qui se relâche un peu de la contemplation, se porté avec plus d'ardeur vers les choses célestes, en renouvelant souvent ses essais. » Saint Jérôme * assure que saint Jean vécut à Ephèse jusqu'à une extrême vieillesse; c'était avec, difficulté que ses disciples le portaient à bras à l’église; il ne pouvait dire que quelques mots, et à chaque pause il répétait : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. » Enfin étonnés de ce qu’il disait toujours la même chose, les frères qui étaient avec lui, lui demandèrent : « Maître, pourquoi répétez-vous toujours les mêmes paroles ? » Il leur répondit : que c'était le commandement du Seigneur; et que si on l’observait, cela suffisait. Hélinaud rapporte ** aussi que quand saint Jean l’évangéliste entreprit d'écrire son évangile, il indiqua un jeûne par avance, afin de demander dans la prière d'écrire que son livre soit digne du sujet. Il se retira, dit-on, dans un lieu solitaire pour écrire la parole de Dieu, et qu'il pria que tandis qu'il vaquerait à ce travail, il ne fût gêné ni par la pluie ni par le vent. Les éléments, dit-on, respectent encore aujourd'hui, en ce lieu, les prières de l’apôtre. A l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans et l’an soixante-sept, selon Isidore ***, après la passion du Seigneur, J.-C. lui apparut avec ses disciples et lui dit : « Viens avec moi, mon bien-aimé, il est temps de t'asseoir à ma table avec tes frères. » Jean se leva et voulut marcher. Le seigneur lui dit : « Tu viendras auprès de moi dimanche. »
*Sur l’épître aux Galates.
** Il est probable que J. de Voragine possédait le commencement de la chronique d'Hélinand, dans les ouvrages, duquel nous n'avons pas rencontré trace de ce fait. On sait qu'il ne nous reste de son histoire qu'à partir de l’année 634, au livre XLV.
*** De ortu et obitu Patrum, ch. LXXII.
Or le dimanche arrivé; tout le peuple se réunit à l’Église qui avait été dédiée en son nom. Dès le chant des oiseaux, il se mit à prêcher, exhorta les chrétiens à être fermes dans la foi et fervents à pratiquer les commandements de Dieu. Puis il fit creuser une fosse carrée vis-à-vis l’autel et en jeter la terre hors de l’église. Il descendit dans la fosse, et les bras étendus, il dit à Dieu : « Seigneur J.-C., vous m’avez invité à votre festin; je viens vous remercier de l’honneur; que vous m’avez fait; je sais que c'est de tout coeur,que j'ai
soupiré après vous. » Sa prière finie, il fut environné d'une si grande lumière que personne ne put le regarder. Quand la lumière eut disparu, on trouva la fosse pleine de manne, et jusqu'aujourd'hui il se forme de la manne en ce lieu, de telle sorte qu'au fond de la fosse, il paraît sourdre un sable fin comme on voit l’eau jaillir d'une fontaine *.
* Saint Augustin, Saint Jean, homélie 424; — Grégoire de Tours, Gloria M., liv. I, ch. XXX; — Itinerarium Willebaudi, en l’an 745.
Saint Edmond, roi d'Angleterre, n'a jamais rien refusé à quelqu'un qui lui adressait une demande au nom de saint Jean l’évangéliste. Un pèlerin lui demanda donc un jour l’aumône avec importunité au nom de saint Jean l’évangéliste; alors que son camérier était absent. Le roi; qui n'avait rien sous la main qu'un anneau de prix le lui. donna. Plusieurs jours après, un soldat anglais, qui était outre-mer, fut chargé de remettre au roi l’anneau de la part du même pèlerin qui lui dit : « Celui à qui et pour l’amour duquel vous avez donné cet anneau, vous le renvoie. » On vit clairement par là que c'était saint Jean qui lui était apparu sous la figure d'un pèlerin. Isidore, dans son livre De la naissance, de la vie: et de la mort des Saints Pères, dit ces mots : «Jean a changé en or les branches d'arbres des forêts; les pierres du rivage en pierreries; des fragments de perles cassées redevinrent entières; à son ordre une veuve fut ressuscitée; il fit rappeler l’âme dans le corps d'un jeune homme; il but un poison mortel et échappa au danger, enfin il rendit à la vie ceux qui avaient bu de ce poison et qui cri avaient été tués. »
LES INNOCENTS
Les Innocents furent ainsi nommés pour leur vie, leur châtiment et leur innocence acquise. Leur vie fut innocente, n'ayant jamais nui, ni à Dieu par désobéissance, ni au prochain par injustice, ni à eux-mêmes par malice en péchant. Ils furent innocents dans leur vie et simples dans la foi . Le châtiment, ils le subirent innocemment et injustement, ainsi qu'il est dit au psaume : «Ils répandirent un sang innocent. » Ils possédèrent l’innocence acquise; dans- leur martyre, ils méritèrent l’innocence baptismale, c'est-à-dire que le péché originel fut effacé. en eux.. En parlant de cette innocence, le psalmiste dit : « Conservez l’innocence et considérez la droiture, » c'est-à-dire conservez l’innocence baptismale et considérez la droiture d'une vie pleine de bonnes oeuvres.
Les Innocents furent tués par Hérode l’Ascalonite. La sainte Ecriture fait mention de trois Hérode que leur infâme cruauté a rendus célèbres. Le premier fut Hérode l’Ascalonite, sous lequel naquit le Seigneur et par qui furent massacrés les enfants. Le second fut Hérode Antipas, qui fit décoller saint Jean-Baptiste. Le troisième fut Hérode
Agrippa, qui tua saint Jacques et emprisonna saint Pierre. On a fait ces vers à leur sujet :
Ascalonita necat pueros, Antipa Joannem,
Agrippa Jacobum, claudens in carcere Petrum.
Mais racontons en peu de mots l’histoire du premier Hérode. Antipater l’Icluméen, ainsi qu'on lit dans l’Histoire scholastique*, se maria à une nièce du roi des Arabes : il en eut un, fils, qu'il appela Hérode et qui plus tard fut surnommé l’Ascalonite. Ce fut lui qui reçut le royaume de Judée de César-Auguste et dès lors, pour la première fois; le sceptre sortit de Juda. Il eut six fils : Antipater, Alexandre, Aristobule, Archelaüs, Hérode, Antipas. et Philippe. Il envoya à Rome, pour s'instruire dans les arts libéraux, Alexandre et Aristobule dont la mère était juive; leurs études achevées, ils revinrent. Alexandre se fit grammairien et Aristobule devint un orateur très véhément : déjà ils avaient eu des différends. avec leur père pour la possession du trône. Le père eu fut offensé et s'attacha à faire prévaloir Antipater. Comme ils avaient comploté la mort de leur père et qu'ils avaient été chassés par lui, ils allèrent se plaindre à César de l’injustice qu'ils avaient subie. Sur ces entrefaites, les Mages viennent à Jérusalem et s'informent avec grand soin de la naissance d'un nouveau roi. A . cette nouvelle, Hérode se trouble, et, craignant que de la race légitime des rois, il ne fût né un rejeton qu'il ne pourrait chasser comme usurpateur, il prie les Mages de l’avertir aussitôt qu'ils l’auraient trouvé, simulant vouloir adorer celui qu'il voulait tuer. Cependant les Mages retournèrent en leur pays par un autre chemin. Hérode, ne les voyant pas revenir, crut qu'ils avaient eu honte de retourner vers lui, parce qu'ils auraient été les dupes de l’apparition de l’étoile et ne s'occupa plus de rechercher l’enfant. Mais ayant appris le récit des bergers et les prédictions de Siméon et d'Anne, ses appréhensions redoublèrent et il se
* Sozomène, Histoire Tripartite, ch. II.
crut indignement trompé par les Mages. Il pensa donc alors à tuer les enfants qui étaient à Bethléem, pour faire périr avec eux celui qu'il ne connaissait pas. Mais sur les avis de l’Ange, Joseph avec sa mère et l’Enfant s'enfuit en Egypte et demeura sept ans à Hermopolis, jusqu'à la mort d'Hérode. Or, quand le Seigneur entra en Egypte, toutes les idoles furent renversées, selon la prédiction d'Isaïe. Et de même que lors de la sortie des enfants d'Israël de l’Égypte, il n'y eut pas une maison où parla main de Dieu, le premier né, ne fût mort, de même il n'y eut pas de temple dans lequel une idole ne fût renversée. Cassiodore rapporte dans son Histoire Tripartite *, qu'à Hermopolis, en Thébaïde, il
existe un arbre appelé Persidis qui a la propriété de guérir ceux des malades au cou desquels on attache de son fruit, de ses feuilles ou de son écorce. Or, comme la bienheureuse Marie s'enfuyait en Egypte avec son fils; cet arbre s'inclina jusqu'à terre et adora humblement Jésus-Christ.
* Liv. VI, chap. XLII.
Hérode se préparait à massacrer les enfants, lorsqu'une lettre de César-Auguste le cita à comparaître devant lui pour répondre aux accusations de ses fils. En traversant Tharse, il sut que les mages avaient passé la mer sur des vaisseaux tharsiens, et il fit brûler toute la flotte, selon qu'il avait été prédit : « D'un souffle impétueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis. » (Ps. VI.) Le père ayant vidé ses différends avec ses enfants devant César, il fut arrêté que ceux-ci obéiraient en tout à leur père, et que celui-là céderait l’empire à qui il voudrait. Hérode, devenu plus hardi à son retour par l’affermissement de son pouvoir, envoya égorger tous les enfants qui se trouvaient à Bethléem, âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps qu'il avait supputé d'après les mages. Ceci a besoin de deux éclaircissements : le premier par rapport au temps, et voici comment on l’explique : âgés de deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, en commençant par les enfants de deux ans jusqu'aux enfants d'une nuit.
Hérode avait en effet appris des mages qu'un prince était né le jour même de l’apparition de l’étoile, et comme il s'était déjà écoulé un an depuis son voyage à Rome et son retour, il croyait que le Seigneur avait un an et quelques jours de plus; c'est pour cela qu'il exerça sa fureur sur ceux qui étaient plus âgés, c'est-à-dire, qui avaient deux ans et au-dessous, jusqu'aux enfants qui, n'avaient qu'une nuit : dans la crainte que cet enfant, auquel les autres obéissaient, ne subît quelque transformation qui le rendrait ou plus vieux ou plus jeune. C'est le sentiment le plus commun et le plus vraisemblable. Le second éclaircissement se tire de l’explication qu'en donne saint Chrysostome. Il entend ainsi l’ordre du nombre d'années ; depuis deux ans et au-dessous, c'est-à-dire, depuis les enfants de deux ans jusqu'à cinq., Il avance ainsi que l’étoile, apparut aux mages pendant un an avant là naissance du Sauveur. Or, depuis qu'il avait: appris cela, Hérode avait: été à Rome et son. projet fut différé d'un an. Il croyait donc que le Sauveur était né quand l’étoile apparut aux mages. D'après son calcul, le Sauveur aurait eu deux ans: voilà pourquoi il fit massacrer les enfants de deux à cinq ans, mais pas moins jeunes que de deux ans. Ce qui rend cette assertion vraisemblable, ce sont les ossements des innocents dont quelques-uns sont trop grands pour ne pouvoir appartenir à des corps qui n'auraient eu que deux ans *. On pourrait peut-être encore dire que les hommes étaient de plus haute taille alors qu'aujourd'hui. Mais Hérode en fut bientôt puni. En effet Macrobe rapporte et Méthodien en sa chronique dit que le petit fils d'Hérode était en nourrice et qu'il fut tué avec les autres par les bourreaux. Alors fut accomplie la parole du Prophète : « Rama,
c'est-à-dire les hauts lieux, retentirent des pleurs et des gémissements des pieuses mères. »
Mais Dieu dont les desseins sont souverainement équitables ** ne permit pas que l’affreuse cruauté d'Hérode restât impunie. Il arriva, par le jugement de Dieu, que celui qui avait privé tant de parents de leurs enfants fut aussi privé des siens plus misérablement encore. Car Alexandre et Aristobule inspirèrent de nouveaux soupçons à leur père.
* Tout ce récit est copié dans l’Histoire scholastique, Ev, C. XI.
** Eusèbe, Histoire-ecclésiastique, livreI1, c. VIII.
Un de leurs complices avoua que Alexandre lui avait fait de grandes promesses s'il empoisonnait son père: un barbier déclara aussi qu'on lui avait promis des récompenses considérables, si en rasant la barbe d'Hérode, il lui coupait la gorge : il ajouta qu'Alexandre aurait dit que l’on ne pouvait .rien espérer d'un vieillard qui se teignait les cheveux pour paraître jeune. Le père, irrité, les fit tuer ; sur le trône, il établit Antipater pour régner après lui, et il substitua encore Antipas à Antipater. De plus, Hérode affectionnait particulièrement Agrippa, ainsi qu'Hérodiade, femme de Philippe, qu'il avait eus d'Aristobule. Pour ces deux motifs Antipater conçut une haine si implacable contre son père, qu'il tenta de s'en défaire par le poison ; Hérode s'en méfiant, le fit jeter en prison. César-Auguste apprenant qu'il avait tué ses fils : « J'aimerais mieux, dit-il, être le pourceau d'Hérode que son fils ; car comme prosélyte, il épargne ses porcs et il tue ses enfants. » Parvenu à l’âge de 70 ans, Hérode tomba gravement malade: il était miné par une forte fièvre, ses membres se pourrissaient et ses douleurs étaient incessantes; il avait les pieds enflés, les testicules rongés de vers; il exhalait une puanteur intolérable ; sa respiration était courte et ses soupirs continuels. Ayant pris un bain d'huile par l’ordre des médecins, on l’en sortit presque mort.
Ayant entendu dire que les juifs seraient contents de le voir mourir, il fit rassembler dans une prison les plus nobles jeunes gens de toute la Judée et dit à Salomé sa soeur : « Je sais que les juifs se réjouiront de ma mort; mais il pourra s'y répandre bien des larmes et j'aurai de nobles funérailles, si vous voulez obéir à mon ordre; c'est, aussitôt que j'aurai rendu l’esprit, de tuer tous ceux que je garde en prison afin qu'ainsi toute la Judée me pleure malgré qu'elle en ait. » Après chaque repas, il avait coutume de manger une pomme qu'il pelait lui-même avec une épée. Or, comme il tenait cette arme à la main, il fut pris d'une toux violente et regardant autour de lui si personne ne l’empêcherait de se frapper, il leva la main pour le faire, mais un de ses cousins lui retint le bras en l’air. Aussitôt, comme s'il eût été mort, des gémissements retentirent dans le palais. A ces cris, Antipater bondit de .joie, et promit toute sorte de présents aux gardes, si on l’en délivrait. Quand Hérode en fut informé, il souffrit plus de la joie de son fils que de :sa propre mort
; il envoya alors des satellites, le fit tuer et institua Archélaüs son successeur. Il mourut cinq jours après. Il avait été fort heureux en bien des circonstances, mais il eut fort à souffrir dans son intérieur.
Salomé délivra tous ceux dont le roi avait ordonné la mort. Remi, dans son original sur saint Mathieu *, dit que Hérode se suicida de l’épée avec laquelle il pelait une pomme, et que sa sueur Salomé fit tuer tous ceux qui étaient en prison, ainsi qu'elle l’avait décidé avec son frère.
* Homélie 6e de Remi d'Auxerr
SAINT THOMAS DE CANTORBÉRY *
* Tirée de sa vie écrite par plus de dix auteurs contemporains.
Thomas veut dire abyme, jumeau, et coupé. Abyme, c'est-à-dire, profond en humilité, ce qui est clair par son cilice, et , en lavant les pieds des pauvres ; jumeau, car dans sa prélature, il eut deux qualités éminentes, celle de la parole et celle de l’exemple. Il fut coupé dans son martyre.
Thomas de Cantorbéry, restant à la cour du roi d'Angleterre vit commettre différentes actions contraires . à la religion; il se retira alors pour se mettre sous la conduite de l’archevêque de Cantorbéry qui le nomma son archidiacre. Il se rendit cependant aux instances de l’archevêque qui lui conseilla de conserver la charge de chancelier du roi, afin que, par la prudence, dont il était excellemment doué, il devînt un obstacle au mal que les méchants pourraient exercer contre l’église. Le roi avait pour lui tant d'affection que, lors du décès de l’archevêque, il voulut l’élever sur le siège épiscopal. Après de longues résistances, il consentit à recevoir ce fardeau sur les épaules. Mais tout aussitôt il fut changé en un autre homme: il était devenu parfait, il mortifiait sa chair par le cilice et parles jeûnes ; car il portait non seulement un cilice au lieu de chemise, mais il avait des caleçons de poil de chèvre qui le couvraient jusqu'aux genoux. Il employait une telle adresse à cacher sa sainteté que, tout en conservant une honnêteté exquise, sous des habits convenables et n'ayant que des meubles décents, il se conformait aux moeurs de chacun. Tous les jours, il lavait à genoux les pieds de treize pauvres auxquels il donnait un repas et quatre pièces d'argent. Le roi s'efforçait de le faire plier à sa volonté au détriment de l’église, en exigeant qu'il sanctionnât; lui aussi, des coutumes dont ses prédécesseurs avaient joui contre les libertés ecclésiastiques. Il n'y voulut jamais consentir, et il s'attira ainsi la haine du roi et des princes. Pressé un jour par le roi, lui et quelques évêques, sous l’influence de la mort dont on les menaçait et trompé par les conseils de plusieurs grands personnages, il consentit de bouche à céder au voeu du
monarque; mais s'apercevant qu'il pourrait en résulter bientôt un grand détriment pour les âmes, il s'imposa dès lors de plus rigoureuses mortifications il cessa de dire la messe, jusqu'à ce qu'il eût pu obtenir d'être relevé, par le souverain Pontife, des suspenses qu'il croyait avoir encourues. Requis de confirmer par écrit ce qu'il avait promis de bouche, il résista au roi avec énergie, prit lui-même sa croix pour sortir de la cour, aux clameurs des impies qui disaient : « Saisissez le voleur, à mort le traître: » Deux personnages éminents et pleins de foi vinrent alors lui assurer avec serment qu'une foule de grands avaient juré sa mort. L'homme de Dieu, qui craignait pour l’église plus encore que pour lui, prit la fuite, et vint trouver à Sens le juge Alexandre, et avec des recommandations pour le monastère de Pontigny, il arriva en France. De son côté, le roi envoya à Rome demander des légats afin de terminer le différend mais il n'éprouva que dés refus, ce qui l’irrita plus encore contre le prélat. Il mit la saisie sur tous ses biens et sur ceux de ses amis, exila tous es membres de sa famille, sans avoir aucun égard pour la condition ou le sexe, le rang ou l’âge des individus. Quant au saint, tous les jours, il priait pour le roi et pour le royaume d'Angleterre. Il eut alors une révélation qu'il rentrerait dans son église, et qu'il recevrait du Christ la palme du martyre. Après sept ans d'exil, il lui fut accordé de revenir et fut reçu avec de grands honneurs.
Quelques jours avant le martyre de Thomas, un jeune homme mourut et ressuscita miraculeusement et il disait avoir été conduit jusqu'au rang le plus élevé des saints où il avait vu une place vide parmi les apôtres. Il demanda à qui appartenait cette place, un ange lui répondit qu'elle était réservée par le Seigneur à un illustre prêtre anglais. Un ecclésiastique () qui tous les jours célébrait la messe en l’honneur de, la Bienheureuse Vierge, fut accusé auprès de l’archevêque qui le fit comparaître devant lui et le suspendit de son office, comme idiot et ignorant. Or, le bienheureux Thomas avait caché sous son lit son cilice qu'il, devait recoudre quand il en aurait le temps; la bienheureuse Marie apparut au prêtre et lui dit : « Allez dire à l’archevêque que celle pour l’amour de laquelle vous disiez vos messes a recousu son cilice qui est à tel endroit et qu'elle y a laissé le fil rouge dont elle s'est servi. Elle vous envoie pour qu'il ait à lever, l’interdit dont il vous a frappé. » Thomas en entendant cela et trouvant tout ainsi qu'il avait été dit, fut saisi, et en relevant le prêtre de son interdit, il lui recommanda de tenir cela sous le secret. Il défendit, comme auparavant les droits de l’Église et il ne se laissa fléchir ni par la violence, ni par les prières du roi. Comme donc on ne pouvait l’abattre en aucune manière, voici venir avec leurs armes des soldats du roi qui demandent à grands. cris où est l’archevêque. Il alla au-devant d'eux et leur dit : «Me voici, que voulez-vous? » «Nous venons, répondent-ils, pour te tuer tu n'as pas plus long temps à vivre. » Il leur dit : « Je suis prêt à mourir pour Dieu, pour la défense de la justice et la liberté de l’Église. Donc si c'est, à moi que vous en voulez, de la part du Dieu tout-puissant et sous peine d'anathème, je vous défends de faire tel marque ce soit à ceux qui sont ici, et je, recommande la cause de l’Église et moi-même à Dieu, à la bienheureuse Marie, à tous les saints et à saint Denys. » Après quoi sa tête vénérable tombe sous le glaive des impies, la
couronne de son chef est coupée, sa cervelle jaillit sur le pavé de l’église et il est sacré martyr du Seigneur l’an 1174. Comme les clercs commençaient Requiem aeternam de la messe des morts qu'ils allaient célébrer pour lui, tout aussitôt, dit-on, les choeurs des anges interrompent la voix des chantres et entonnent la messe d'un martyr : Laetabitur justus in Domino, que les autres clercs continuent. Ce changement est vraiment l’ouvrage de la droite du TrèsHaut, que le chant de la tristesse ait été changé en un cantique de louange, quand celui pour lequel on venait de commencer les prières des morts, se trouve à l’instant partager les honneurs des hymnes des martyrs. Il était vraiment doué d'une haute sainteté ce martyr glorieux du Seigneur auquel les anges donnent ce témoignage d'honneur si éclatant en l’inscrivant eux-mêmes par avance au catalogue des martyrs. Ce saint souffrit donc la mort pour l’Église, dans une église; dans le lieu saint, dans un temps saint, entre les mains des prêtres et des religieux, afin que parussent au grand jour et la sainteté du patient et la cruauté des persécuteurs. Le Seigneur daigna opérer beaucoup d'autres miracles par son saint, car en considération de ses mérites, furent rendus aux aveugles la vue, aux sourds l’ouïe, aux boiteux le marcher, aux morts la vie. L'eau dans laquelle on lavait les linges trempés de son sang, guérit beaucoup de malades. Par coquetterie et afin de paraître plus belle, une dame d'Angleterre désirait avoir des yeux vairons et pour cela elle vint, après en avoir fait le veau, nu-pieds au tombeau de saint Thomas. En se levant après sa prière, elle se trouva tout à fait aveugle; elle se repentit alors et commença à prier saint Thomas de lui rendre au moins les yeux tels qu'elle les avait, sans parler d'yeux vairons, et ce fut à peine si elle put l’obtenir.
Un plaisant avait apporté dans un vase, à son maître à table, de l’eau ordinaire au lieu de l’eau de saint Thomas. Ce maître lui dit : « Si tu ne m’as jamais rien volé, que saint Thomas te laisse apporter l’eau, mais si tu es coupable de vol, que cette eau s'évapore aussitôt.» Le serviteur, qui savait avoir rempli le vase; il n'y avait qu'un instant, y consentit. Chose merveilleuse ! On découvrit le vase, et il fut trouvé vide et de cette manière le serviteur fut reconnu menteur et convaincu d'être fin voleur. Un oiseau, auquel on avait appris à parler, était poursuivi par un aide, quand il se mit à crier ces mots qu'on lui avait fait retenir: « Saint Thomas, au secours, aide-moi. L'aigle tomba mort à l’instant et l’oiseau fut sauvé. Un particulier que saint Thomas avait beaucoup aimé tomba gravement malade; il alla à son tombeau prier pour recouvrer la santé : ce qu'il obtint à souhait. Mais en revenant guéri, il se prit à penser que cette guérison n'était peut-être pas avantageuse à son âme. Alors il retourna prier au tombeau et demanda que si sa guérison ne devait pas lui être utile pour son salut, son infirmité lui revînt, et il en fut ainsi qu'auparavant. La vengeance divine s'exerça sur ceux qui l’avaient massacré : les uns se mettaient les doigts en lambeaux avec les dents, le corps des autres: tombait en pourriture ; ceux-ci moururent de paralysie, ceux-là succombèrent misérablement dans des accès de folie.
SAINT SILVESTRE
Silvestre vient de sile qui veut dire lumière, et de terra terre, comme lumière de là terre, c'est-à-dire de l’Église qui, semblable à une bonne terre, contient la graine des bonnes oeuvres, la noirceur de l’humilité et la douceur de la dévotion. C'est, à ces trois qualités, dit Pallade, qu'on distingue la bonne terre. Ou bien Silvestre viendrait de silva, forêt et Theos, Dieu, parce qu'il attira à la foi des hommes sylvestres, incultes et durs. Ou comme il est dit dans le Glossaire : Sylvestre signifie vert, agreste, ombreux, couvert de bois. Vert dans la contemplation dés choses célestes, agreste par la culture de soi-même, ombreux, en refroidissant en lui toute concupiscence, couvert de bois, c'est-à-dire planté au milieu des arbres du ciel. Sa légende fut compilée par Eusèbe de Césarée; le bienheureux Gélase rappelle qu'elle a du être lue par les catholiques dans un comité de soixante-dix évêques, ce qui est relaté aussi dans le décret.
Silvestre naquit d'une mère appelée Juste de non et d'effet; il fut instruit par Cyrien, prêtre, et il exerçait l’hospitalité avec un grand zèle. Un homme fort .chrétien, nommé Timothée, fut reçu chez lui, alors qu'on fuyait le saint à cause de la persécution. Ce Timothée prêcha l’espace d'un an et trois mois et obtint ensuite la couronne du martyre pour avoir annoncé avec un zèle persévérant la foi de J.-C. Or, le préfet Tarquinius, pensant que Timothée regorgeait de biens, les exigea de Silvestre avec menaces de mort; Toutefois, après s'être assuré que véritablement Timothée ne possédait pas les richesses qu'on lui supposait, il commanda à Silvestre de sacrifier aux idoles, autrement il aurait à passer le lendemain par divers genres de supplices. Silvestre lui dit : « Insensé, tu mourras cette nuit, puis tu subiras des tourments éternels, et que tu le veuilles ou non, tu reconnaîtras le vrai Dieu que nous honorons. » Silvestre est donc conduit en prison et Tarquinius est invité à un dîner: Or, en mangeant, il se mit, dans le gosier, une arête de poisson qu'il ne put ni rejeter ni avaler, en sorte qu'au milieu de la nuit, le défunt fut porté au tombeau avec deuil. Et Silvestre, qui était aimé singulièrement non pas tant des chrétiens que des païens, fut délivré de prison, et il y eut grande joie. Il avait, en effet, un aspect angélique, une parole éloquente ; il était bien fait de corps; saint en oeuvres, puissant en conseil, catholique dans sa foi, fort d'espérance, et d'une immense charité. Après la mort de Meletriade, évêque de la ville de Rome, Silvestre fut, élu, malgré lui, souverain Pontife par tout le peuple. Il conservait écrits sur un registre les noms de tous les orphelins, des veuves et des pauvres qu'il pourvoyait de tout ce qui leur était nécessaire. Ce fut lui qui institua le jeûne du quatrième, du sixième jour et du samedi, et qui fit réserver le jeudi comme le dimanche. Les chrétiens grecs prétendant qu'on devait célébrer le samedi de préférence au jeudi, Silvestre répondit que cela ne pouvait pas être, parce que c'était une tradition apostolique et qu'on devait compatir à la sépulture du Seigneur. Ils lui répliquèrent: « Il y a un samedi où l’on honore la sépulture et où l’on
jeûne une fois par an. » Silvestre répondit: « De même que tout dimanche est honoré à cause de la résurrection, de même tout samedi est honoré pour la sépulture du Seigneur. » Ils cédèrent donc sur le samedi, mais ils firent beaucoup d'opposition par rapport au jeudi, en disant que ce jour ne devait pas faire partie des solennités chrétiennes. Mais Silvestre en démontra la dignité en trois points principaux. En effet, c'est le jour où le Seigneur monta au ciel, où il institua le sacrifice de son corps et de son sang, et où l’Église fait le Saint-Chrême tous alors acquiescèrent à ses raisons.
Pendant la persécution de Constantin, Silvestre sortit de la ville et resta avec ses clercs sur une montagne. Or, en punition de sa tyrannie; Constantin devint couvert d'une lèpre incurable. D'après l’avis des prêtres des idoles, on lui amena trois mille enfants pour les faire égorger et puis se baigner dans leur sang frais et chaud. Quand il sortit pour 'aller ait lieu oit le bain devait être préparé, les mères des enfants vinrent au-devant de lui et, les cheveux épars, elles se mirent à pousser des hurlements pitoyables; alors Constantin, ému, fit arrêter son char et se leva pour parler : « Ecoutez-moi, dit-il, chevaliers, compagnons d'armes, et vous tous qui êtes ici : la dignité du peuple romain a pris naissance dans la source de compassion qui fit porter cette loi que celui-là serait condamné à mort qui tuerait un enfant à la guerre. Combien grande donc serait notre cruauté d'infliger à nos enfants ce que nous proscrivons nous-mêmes de faire aux enfants des étrangers! Que nous servirait-il d'avoir dompté les barbares, si nous sommes vaincus par la cruauté? Car avoir vaincu les nations étrangères par la force, c'est le fait des peuples belliqueux, mais vaincre ses vices et ses fautes, c'est l’excellence des bonnes moeurs. Or, dans les premiers combats nous somme plus forts que les barbares, et dans les seconds nous sommes les vainqueurs de nous-mêmes. Celui qui est défait dans cette lutte, obtient la victoire quoique vaincu; mais le vainqueur est vaincu après sa victoire, si la pitié ne l’emporté sur la cruauté. Que la pitié soit donc victorieuse en cette rencontre. Nous ne pourrons être véritablement vainqueurs de tous nos adversaires, si nous sommés vaincus en pitié. Celui-là se montre le maître de tous qui cède à la compassion. Il me vaut mieux de mourir en respectant la vie de ces innocents, que de recouvrer, par leur mort, une vie entachée de cruauté, vie qu'il n'est pas certain que je recouvre, mais qui certainement serait entachée de cruauté, si je la sauvais ainsi.» Il ordonna donc que les enfants seraient rendus à leurs mères, auxquelles il fit fournir une quantité de voitures. Ce fut ainsi que ces mères, qui étaient venues en versant des larmes, retournèrent chez elles pleines de joie. Quant à l’empereur, il revint à son palais *.
* Lettre du pape Adrien Ier à Constantin et à Irène ; — Nicéphore, Histoire, VII, XXXIV.
La nuit suivante saint Pierre et saint Paul ltii apparurent et lui dirent
« Puisque tu as eu horreur de répandre le sang innocent, le Seigneur J.-C. nous a envoyés pour te fournir le moyen de recouvrer la santé. Fais venir l’évêque Silvestre qui est caché sur le mont Soracte; il te montrera une piscine, dans laquelle tu te laveras trois fois, après quoi tu seras entièrement guéri de ta lèpre. Et en réciprocité de cette guérison due à J.-C., tu détruiras ras les temples des idoles; tu élèveras des églises en l’honneur de ce même J.-C., et désormais sois son adorateur. » A son réveil, Constantin envoya aussitôt des soldats vers Silvestre. En les voyant, le saint, crut être appelé à l’honneur du martyre; il se recommanda à Dieu et, après avoir exhorté ses compagnons, il se présenta sans crainte devant Constantin. L'empereur lui dit : « Je vous félicite de votre heureuse venue. » Et quand Silvestre l’eut salué à son tour, le prince lui raconta en détail la vision qu'il avait eue pendant son sommeil. Sur la demande qu'il lui adressa pour savoir ,quels étaient les deux dieux qui lui étaient apparus, Silvestre répondit qu'ils n'étaient pas des dieux, mais les apôtres de J.-C. Sur la prière de l’empereur, Silvestre se fit apporter les ,images des apôtres; et l’empereur ne les eut pas plutôt regardées, qu'il s'écria
« Ils ressemblent à ceux qui me sont apparus. » Silvestre l’admit au nombre des catéchumènes, lui imposa huit jours de jeûne, et l’invita à ouvrir les prisons. Or, quand l’empereur descendit dans les eaux du baptistère, un admirable éclair de lumière y brilla : il en sortit, guéri * et il assura avoir vu J.-C.
* Livre pontifical du pape Damase. Binius dans ses notes sur ce livre prouve par l’autorité d'auteurs chrétiens et païens que réellement Constantin fut guéri de la lèpre dans son baptême, quoique Eusèbe n'en fasse aucune mention, dans la crainte de déplaire aux successeurs de ce prince.
Le premier jour après son baptême, il ordonna par une loi que J.-C. fût adoré comme le vrai Dieu dans la ville de Rome; le second jour, que tout blasphémateur serait puni de mort; le troisième que quiconque insulterait un chrétien fût privé de la moitié de ses biens; le quatrième que, comme l’empereur à Rome, le pontife romain serait tenu pour chef de tous les évêques; le cinquième, que celui qui se réfugierait dans une église, serait à l’abri de toute poursuite; le sixième, que personne n'eût à construire une église dans l’enceinte d'une ville, sans la permission de son évêque; le septième, que la dîme des domaines royaux serait accordée pour la construction des églises; le huitième, l’empereur vint à d'église de saint Pierre s'y accuser avec larmes de ses fautes, et prenant ensuite une bêche, il ouvrit le premier la terre pour les fondations de la basilique qui allait être construite, et il tira douze corbeilles de terre qu'il porta sur ses épaules pour les jeter au dehors.
Aussitôt qu'Hélène, mère de l’empereur Constantin, qui habitait Béthanie, eut appris ces événements, elle écrivit à son fils pour le louer d'avoir renoncé aux faux dieux; mais elle lui reprocha amèrement d'adorer comme Dieu, à la place de celui des Juifs, un homme qui avait été attaché à une croix. Alors l’empereur répondit à sa mère qu'elle
amenât avec elle des docteurs pris parmi les Juifs, que lui-même produirait des docteurs chrétiens, afin qu'à la suite de la discussion, on vît de quel côté se trouvait la vraie foi. Or, sainte Hélène amena cent quarante et un Juifs très doctes, parmi lesquels s'en trouvaient douze qui l’emportaient de beaucoup sur les autres en sa, gesse et en éloquence. Silvestre avec ses clercs et les Juifs dont on vient de parler se réunirent par devant l’empereur pour disputer; d'un commun accord, on établit deux juges qui se trouvaient être des gentils très éclairés et probes : Craton et Zénophile, auxquels il appartiendrait de dire leur sentiment sur lés matières à traiter. Quoique gentils, ils étaient très loyaux et fidèles ; ils convinrent donc ensemble que quand l’un serait levé pour parler, l’autre se tairait. Le premier des douze qui s'appelait Abiathar commença et dit : « Puisque ceux-ci reconnaissent trois dieux, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il est manifeste qu'ils vont contre la loi qui dit : Voyez que je suis le seul Dieu et qu'il n'y a point d'autre Dieu que moi. Enfin s'ils disent que le Christ est Dieu, parce qu'il a opéré beaucoup. de signes, dans notre loi aussi, il y eut beaucoup de personnes qui firent plusieurs miracles, et cependant jamais elles n'osèrent s'en prévaloir pour usurper le nom de la divinité, comme ce Jésus, que ceux-ci adorent. » Silvestre: lui répondit : «Nous adorons un seul Dieu, mais nous ne disons pas qu'il vive dans un si grand. isolement; qu'il n'ait pas la joie de posséder un fils. Nous sommes en mesure de vous démontrer par vos livres mêmes la trinité de personnes. Nous appelons Père celui dont le prophète a dit : « Il m’a invoqué, vous êtes mon Père. » Fils, celui dont il est dit au même livre : « Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui. » Le Saint-Esprit, dont le même a dit: «Toute leu force est dans l’esprit de sa bouché. » Nous y lisons encore : « Faisons l’homme à notre image et a ressemblance », d'où l’on peut conclure évidemment la pluralité de personnes et l’unité de la divinité ; car ,quoique ce soient trois personnes, elles ne font cependant qu'un Dieu ; ce qu'il nous est facile de montrer jusqu'à un certain point par un exemple visible. Alors il prit la pourpre de l’empereur et y fit trois plis. «Voici, dit-il, trois plis;» et en les dépliant : « vous voyez, ajouta-t-il, que les trois plis font une seule pièce, de même trois personnes sont un seul Dieu. Pour ce qu'on dit qu'il ne doit pas être un Dieu d'après ses miracles, puisque bien d'autres saints en ont fait et ne se sont cependant pas dits des dieux, comme J.-C., lequel a voulu prouver par là qu’il est Dieu ; certainement Dieu n'a jamais laissé sans châtier grandement ceux qui s'enorgueillissaient contre lui; comme cela est prouvé par Dathan et Myron, et par beaucoup d'autres; comment donc a-t-il pu mentir et se dire Dieu, ce qui n'était pas, lorsque en se disant Dieu, il ne s'en est suivi aucun châtiment ? et cependant ses actions merveilleuses restent efficaces. » Alors les juges dirent : « Il est constant qu'Abiathar a été vaincu par Silvestre, et la raison enseigne que s'il n'eût pas été Dieu en se disant Dieu, il n'eût pu donner la vie aux morts. » Le premier, ayant été écarté, le second qui s'appelait Jonas s'approcha au combat : « Abraham, dit-il, en recevant de Dieu la circoncision, a été justifié et tous les enfants d'Abraham sont encore justifiés par la circoncision donc celui qui n'aura pas été circoncis ne sera pas justifié.» Silvestre lui dit : « Il est constant que Abraham, avant sa circoncision, a plu à
Dieu et qu'il a été appelé l’ami de Dieu, donc la circoncision ne l’a pas sanctifié; mais c'est par sa foi et sa justice qu'il plut à Dieu; donc il n'a pas reçu la circoncision comme justification, mais comme signe de distinction. » Celui-ci ayant été vaincu à son tour, Godolias, le troisième, vint dire : « Comment votre Christ peut-il être Dieu, puisque vous convenez qu'il est né, qu'il a été tenté, trahi, dépouillé, abreuvé de fiel, lié, crucifié, enseveli? Tout cela n'est pas d'un Dieu. » Silvestre lui répondit : « Par vos livres nous allons prouver que toutes ces choses ont été prédites de J.-C. Ecoutez les paroles d'Isaïe touchant sa naissance. « Voici qu'une vierge enfantera »; celles de Zacharie sur sa tentation : « J'ai vu Jésus le grand prêtre debout devant un ange et Satan qui se tenait debout à sa droite » ; celles du psalmiste par rapport à sa trahison : « Celui qui mangeait mon pain « a fait éclater sa trahison contre moi. » Le même sur son dépouillement. « Ils ont partagé mes vêtements » ; et encore au sujet du fiel dont il a été abreuvé : « Ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture et du vinaigre pour ma boisson. » Esdras dit de ce qu'il a été lié « Vous m’avez lié, non pas comme un père qui vous a délivrés de la terre d'Égypte; vous avez crié devant le tribunal du juge, vous m’avez humilié en m’attachant sur le bois, vous m’avez trahi. » Jérémie parle ainsi de sa sépulture : « Dans sa sépulture, les morts revivront. » Godolias n'ayant rien à répondre, les juges le firent retirer. Vint le quatrième, Annas, qui parla ainsi : « Silvestre attribue à son Christ ce qui s'applique à d'autres, il lui reste à prouver que ces prédictions regardent le Christ. » Silvestre lui dit : « Montrez m’en donc un autre que lui qu'une vierge ait conçu, qui ait -été abreuvé avec du fiel, couronné d'épines, crucifié, qui soit mort et ait été enseveli, qui soit ressuscité d'entre les morts et monté aux cieux ? » Alors Constantin dit : «S'il ne démontre pas qu'il s'agit d'un autre, il est vaincu. » Comme Annas ne le pouvait faire, il est remplacé par un cinquième appelé Doeth. « Si, dit-il, ce Christ, né de la race de David, avait été autant sanctifié que vous l’avancez, il n'a pas dû être baptisé pour être sanctifié de nouveau? » Silvestre lui répliqua : « De même que la circoncision a pris sa fin dans la circoncision de J.-C., de même nôtre baptême reçut son commencement de sanctification dans le baptême de J.-C., donc il n'a pas été baptisé pour être sanctifié, mais pour sanctifier. » Comme Doeth se taisait, Constantin dit : « Si Doeth avait quelque réplique à faire, il ne se tairait pas. » Alors le sixième, qui était Chusi, prit la parole : « Nous voudrions, dit-il, que Silvestre nous exposât les causes de cet enfantement virginal. » Silvestre lui dit : « La terre dont Adam fut formé était vierge et n'avait pas encore été souillée, car elle ne s'était pas encore ouverte pour boire le sang humain ; elle n'avait pas encore porté d'épines de. malédiction; elle n'avait pas encore servi de sépulture à l’homme ; ni été donnée pour nourriture au serpent : Il a donc fallu que de la vierge Marie fût formé un nouvel Adam, afin que comme le serpent avait vaincu celui qui était né d'une vierge, de même il fût vaincu à son tour par le fils d'une vierge ; il a fallu que celui qui avait été. le vainqueur d'Adam dans le paradis devînt aussi le tentateur du Seigneur dans le désert, : afin que celui qui avait vaincu;Adam par la gourmandise, fût vaincu par le jeûné : en Notre-Seigneur. » Celui-ci vaincu, Benjamin, le septième, se mit à dire : « Comment votre
Christ peut-il être le fils,de Dieu, quand il a pu être tenté par le diable, à tel point que, ici il est pressé dans sa faim de faire du pain avec des pierres; là il est transporté sur les hauteurs du temple; ailleurs, il est induit à adorer le diable lui-même. » A cela Silvestre répondit : « Donc s'il a vaincu le diable, parce qu'il avait été écouté d'Adam, qui mangea; il est certain qu'il a été vaincu en ce qu'il a été méprisé par J.-C., qui jeûna. Au reste, nous avouons bien qu'il a été tenté non en tant que Dieu, mais en tant qu'homme. Il a été tenté trois fois pour éloigner de nous toutes les tentations, et pour nous enseigner la manière de vaincre. Souvent, en effet, dans l’homme, la victoire par l’abstinence est suivie de la tentation de la gloire humaine, et celle-ci est accompagnée du désir des possessions et de la domination. Il a été vaincu par J.-C. afin de nous apprendre à vaincre. A Benjamin mis hors de cause succéda Aroël qui était le huitième : « Il est certain, dit-il, que Dieu est souverainement parfait et que par conséquent il n'a besoin,de personne; qu'a-t-il eu besoin alors de naître dans le Christ? Pourquoi encore l’appelez-vous le Verbe. Il est certain encore que Dieu avant d'avoir un fils n'a pu être appelé Père donc si plus tard il a pu être appelé le père du Christ, il n'était pas immuable. » A cela Silvestre répondit : « Le Fils a été engendré par le Père avant les temps, pour créer ce qui n'était point, et il est né dans le temps, pour restaurer ce qui avait péri. Quoi qu'il eût pu tout restaurer d'un seul mot, toutefois, il ne pouvait pas, ans devenir homme, racheter par sa passion, puisqu'il n'était pas apte à souffrir dans sa divinité. Or, ce n'était pas imperfection, mais perfection, de n'être pas passible dans sa divinité. Il est évident encore que le Fils de Dieu est appelé Verbe, par ces paroles du prophète : « Mon coeur a émis un bon Verbe. » Enfin Dieu fut toujours Père parce que toujours son Fils a existé; car son Fils est son Verbe, sa sagesse, sa force. Or, le Verbe a toujours été dans le Père, selon ces mots : « Mon coeur a émis un bon verbe. » Toujours sa sagesse a été avec lui : « Je suis sortie de la bouche de Dieu, je suis la première née avant toute créature. » Toujours sa force a été en lui. « J'étais enfanté avant les collines; les fontaines n'avaient pas encore jailli de la terre que j'étais avec lui. » Or, puisque le Père n'a jamais été sans son Verbe, sans sa sagesse, sans sa force, comment pouvez-vous penser que ce nom lui ait été attribué dans le temps? » Aroel se retira et Jubal, le neuvième, s'avança et dit : « Il est constant que Dieu ne condamne pas les mariages et qu'il ne les a pas maudits ; pourquoi donc niez-vous que celui que vous adorez soit sorti du mariage? à moins que vous ne veuilliez aussi nous jeter de la poudre aux yeux à cet égard. Et encore pourquoi est-il puissant et se laisse-t-il tenter? pourquoi a-t-il la force et souffre-t-il ? pourquoi est-il la vie et meurt-il ? Enfin vous serez amené à dire qu'il y a deux fils : l’un que le Père a engendré, l’autre que là Vierge a mis au monde. De plus, comment peut-il se faire que la souffrance ait eu prise sur un homme qui a été enlevé au ciel, sans que celui par lequel il a été enlevé eût subi aucune lésion? » Silvestre répliqua : « Nous ne disons pas que J.-C. est né d'une vierge pour condamner les mariages ; mais nous acceptons , avec raison les causes de cet enfantement virginal. Par cette assertion les mariages ne sont pas rendus méprisables mais louables, puisque cette vierge qui enfanta le Christ est née de mariage. Ensuite J.-C. est tenté pour vaincre toutes
les tentations du diable : il, souffre pour surmonter toutes les souffrances; il meurt pour détruire l’empire de la mort. Le fils de Dieu est unique dans le Christ et de même qu'il est invisible en tant qu'il est Fils de Dieu, de même il est visible en tant qu'il est J.-C. Il est invisible par cela qu'il est Dieu et il est visible par cela qu'il est homme. Que cet homme ait souffert et qu'il ait été enlevé au ciel sans souffrance de la part de celui qui l’a enlevé, nous pouvons le démontrer par un exemple. Prenons-le dans la pourpre du roi : elle fut laine et la teinture ajoutée à cette laine a donné la couleur pourpré. Alors qu'on la tenait dans les doigts et qu'elle était tordue en fil, qui est-ce qui était tordu? était-ce la couleur qui est celle de la dignité royale, où ce qui était laine avant d'être pourpre? La laine c'est l’homme, la pourpre c'est Dieu qui étant avec l’humanité a souffert sur la croix, mais n'a reçu aucune atteinte de la passion. » Le dixième s'appelait Thara. Il dit : « Cet exemple ne me plaît pas, car la couleur et la laine sont foulées ensemble. » Quoique tous eussent réclamé, Silvestre dit : « Prenons alors un autre exemple : un arbre couvert des rayons du soleil, quand il,est abattu, reçoit le coup et la lumière resté sans atteinte. Il en est de même, alors c'est l’homme qui souffre et non pas le Dieu. »
Le onzième, gui était Siléon, dit : « Si c'est de ton Christ que les prophètes ont prédit, nous voudrions savoir les causes des étranges moqueries qu'il a endurées, les motifs de sa passion et de sa mort. »
« J.-C., reprit Silvestre, a eu faim pour nous rassasier; il a eu soif pour offrir à notre soif ardente la coupe de vie ; il a été tenté, afin de nous délivrer de la tentation; il a été détenu, pour nous faire échapper à la capture des démons et il a été moqué, pour nous arracher à leur dérision; il a été lié, pour nous délier des noeuds de la malédiction; il a été humilié, pour nous exalter; il a été dépouillé, pour couvrir la nudité de la première prévarication du manteau de l’indulgence; il a reçu une couronne d'épines, pour nous restituer les fleurs du paradis que nous avions perdues; il fut suspendu au bois, pour condamner la concupiscence engendrée dans le bois; il a été abreuvé de fiel et de vinaigre, pour introduire l’homme dans uire terre où coule le lait et le miel et nous ouvrir des fontaines de miel; il a pris notre mortalité, pour nous donner son immortalité; il a été enseveli, pour bénir les sépultures des saints; il est ressuscité, pour rendre la vie aux morts; il est monté au ciel, pour ouvrir la porte du ciel; il est assis à la droite de Dieu, pour exaucer les prières des croyants. » Pendant que Silvestre développait ces vérités, tous, l’empereur comme les juges et les Juifs, se mirent d'une voix unanime à acclamer Silvestre de louanges. Alors le douzième indigné, il s'appelait Zambri, dit avec un extrême dédain : « Je m’étonne que des juges, sages comme vous l’êtes, ajoutiez foi à des ambiguïtés de mots et que vous (130 ) estimiez que la toute-puissance de Dieu puisse se conclure de raisonnement humain. Mais plus de mots et venons-en aux faits : ce sont de grands fous ceux qui adorent un crucifié; car je sais, moi, le nom du Dieu tout-puissant, dont la force est plus grande que les rochers et aucune créature ne saurait
l’entendre. Et pour vous prouver la vérité de ce que j'avance, qu'on m’amène le taureau le plus furieux et dès l’instant que ce nom aura sonné, dans ses oreilles, tout aussitôt le taureau mourra. » Silvestre lui dit : « Et toi, comment donc as-tu appris ce nom sans l’avoir entendu? » Zambri reprit : « Il n'appartient pas à toi, l’ennemi des Juifs, de connaître ce mystère. » On amène donc un taureau très féroce, que cent hommes des plus robustes peuvent à peine traîner, et aussitôt que Zambri a proféré un mot dans son oreille, à l’instant le taureau rugit, roule les yeux et expire. Alors tous les Juifs poussent des acclamations violentes et insultent Silvestre. Mais celui-ci leur dit : « Il n'a pas prononcé le nom de Dieu, mais il a nommé celui du pire de tous les démons, car mon Dieu, J.-C., non seulement ne fait pas mourir les vivants, mais il vivifie les morts. Pouvoir tuer et rie pouvoir point rendre la vie, cela appartient aux lions, aux serpents et aux bêtes féroces. Si donc il veut que je croie qu'il n'a pas proféré le nom du démon, qu'il le dise encore une fois et qu'il rende la vie à ce qu'il a tué. Car il a été écrit de Dieu : « C'est moi qui tuerai et c'est moi qui vivifierai; » s'il ne le peut, c'est sans aucun doute qu'il a proféré le nom du démon, qui peut tuer un être vivant et qui ne peut rendre la vie à un mort. » Et comme Zambri était pressé par les juges de ressusciter le taureau, il dit : « Que Silvestre le ressuscite au nom de Jésus le Galiléen et tous nous croirons en lui; car quand bien même il pourrait voler avec des ailes, il ne saurait pas faire cela. » Tous les Juifs donc promettent de croire s'il ressuscite le taureau. Alors Silvestre fit une prière et se penchant à l’oreille du taureau : « O nom de malédiction et de mort, dit-il, sors par l’ordre de Notre-Seigneur J.-C., au nom duquel je te dis : taureau, lève-toi et va tranquillement rejoindre ton troupeau. » Aussitôt le taureau se leva et s'en alla avec grande douceur. Alors la reine, les Juifs, les juges et tous les autres furent convertis à la foi. *
* Le comte de Douhet, dans le Dictionnaire des Légendes, de Migne, avance que. le récit qu'on vient de lire n'est qu'un abrégé des Acta Sancti Silvestri, publié, par le P. Combéfis, d'après deux mss. existant aux bibliothèques Médicienne et Mazarine: La dispute avec les docteurs juifs, la destruction du dragon sont exposées avec encore plus de détails que dans Voragine. Nouvelle preuve que l’évêque de Gênes n'a rien inventé de son propre fonds:
Mais quelques jours après, les prêtres des idoles vinrent dire: à l’empereur : « Très saint empereur, depuis l’époque où vous avez reçu la foi du Christ, le dragon qui est dans le fossé tue de son souffle plus de trois cents hommes par jour. » Constantin consulta là-dessus Silvestre, qui répondit : « Par la vertu de J.-C., je ferai cesser tout ce mal. » Les prêtres promettent que, s'il fait ce miracle, ils croiront. Pendant sa prière, saint Pierre apparut à Silvestre et lui dit : « N'aie pas peur de descendre vers le dragon, toi et deux des prêtres qui t'accompagnent; arrivé auprès de lui, tu lui adresseras ces paroles : « N.-S. J.-
C., né de la Vierge, qui a été crucifié et enseveli, qui est ressuscité et est assis à la droite du Père, doit venir pour juger les vivants et les morts. Or, toi, Satan, attends-le dans cette fosse tant qu'il viendra ». Puis tu lieras sa gueule avec un fil et tu apposeras dessus un sceau où sera gravé le signe de la croix; ensuite revenus à moi sains et saufs, vous mangerez le pain que je vous aurai préparé. » Silvestre descendit donc avec les deux prêtres les quarante marches de la fosse, portant avec lui deux lanternes. Alors il adressa au dragon les paroles susdites, et, comme il en avait reçu l’ordre, lia sa gueule, malgré ses cris et ses sifflements. En remontant, il trouva deux magiciens qui les avaient suivis, pour voir s'ils descendraient jusqu'au dragon : ils étaient à demi morts de la puanteur du monstre. Il les ramena avec lui aussi sains et saufs. Aussitôt ils se convertirent avec une multitude infinie. Le peuple romain fut ainsi délivré d'une double mort, savoir de l’adoration des idoles et du venin du dragon. Enfin le bienheureux Silvestre, à l’approche de la mort, donna ces trois avis à ses clercs : conserver entre eux la charité, gouverner leurs églises avec plus de soin et préserver leur troupeau contre la morsure des loups. Après quoi il s'endormit heureusement dans le Seigneur, environ l’an 330.
SAINT PAUL, ERMITE *
* Tiré de saint Jérôme.
Paul, premier ermite, au témoignage de saint Jérôme qui a écrit sa vie, se retira, pendant la persécution violente de Dèce, dans un vaste désert où il demeura 60 ans, au fond d'une caverne, tout à fait inconnue des hommes. Ce Dèce, qui eut, deux noms, pourrait bien être Gallien qui commença à régner l’an du Seigneur 256. Saint Paul voyant donc les chrétiens en butte à toutes sortes de supplices, s'enfuit au désert. A la même époque, en effet, deux jeunes chrétiens sont pris, l’un d'eux a tout le corps enduit de miel et est exposé sous l’ardeur du soleil aux piqûres des mouches, des insectes et des guêpes ; l’autre est mis sur un lit des plus mollets, placé dans un jardin charmant, où une douce température, le murmure des ruisseaux, le chant des oiseaux, l’odeur des fleurs étaient enivrants. Le jeune homme est attaché avec des cordes tissées de la couleur des fleurs, de sorte qu'il ne pouvait s'aider ni des mains, ni des pieds. Vient une jouvencelle d'une exquise beauté, mais impudique, qui caresse impudiquement le jeune homme rempli de l’amour de Dieu. Or, comme il sentait dans sa chair des mouvements contraires à la raison, mais qu'il était privé d'armes, pour se soustraire à son ennemi, il se coupa la langue avec les dents et la cracha au visage de cette courtisane : il vainquit ainsi la tentation par la douleur, et mérita un trophée digne de louanges. Saint Paul effrayé par de pareils tourments et par d'autres encore, alla au désert. Antoine se croyait alors le premier
des moines qui vécût en ermite; mais averti en songe qu'il y en a un meilleur que lui de beaucoup, lequel vivait dans un ermitage, il se mit à le chercher à travers les forêts; il rencontra un hippocentaure
cet être moitié homme, moitié cheval, lui indiqua qu'il fallait prendre à droite. Bientôt après, il rencontra un animal portant des fruits de palmier, dont la partie supérieure du corps avait la figure d'un homme et la partie inférieure, la forme d'une chèvre. Antoine le conjura de la part de Dieu de lui dire qui il était; l’animal répondit qu'il était un satyre, le Dieu des bois, d'après la croyance erronée des gentils. Enfin il rencontra un loup qui le conduisit à la cellule de saint Paul. Mais celui-ci ayant deviné que c'était Antoine qui venait, ferma sa porte. Alors Antoine le prie de lui ouvrir, l’assurant qu'il ire s'en ira pas de là, mais qu'il y mourra plutôt. Paul cède et lui ouvre, et aussitôt ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre en s'embrassant. Quand l’heure du repas fut arrivée, un corbeau apporta une double ration de pain : or, comme Antoine était dans l’admiration, Paul répondit que Dieu le servait tous les jours de la sorte, mais qu'il avait doublé la pitance en faveur de son hôte. Il y eut un pieux débat entre eux pour savoir qui était le plus digne de rompre ce pain : saint Paul voulait déférer cet honneur à son hôte et saint Antoine à son ancien. Enfin ils tiennent. le pain chacun d'une main et le partagent égaleraient en deux. Saint Antoine, à son retour, était déjà près de sa cellule, quand il vit des anges portant l’âme de Paul, il s'empressa de revenir, et trouva le corps de Paul droit sur ses genoux fléchis, comme s'il priait; en sorte qu'il le pensait vivant ; mais s'étant assuré qu'il était mort, il dit : « O sainte âme, tu as montré par ta mort ce que tu étais dans ta vie. » Or, comme Antoine était dépourvu de ce qui était nécessaire pour creuser une fosse, voici venir deux lions qui en creusèrent une, puis s'en retournèrent à la forêt, après l’inhumation. Antoine prit à Paul sa tunique tissue avec da palmier, et il s'en revêtit dans la suite aux jours de solennité. Il mourut environ l’an 287.
SAINT REMI *
* Grégoire de Tours, passim, Hincmar.
On dit Remigius de remi qui signifie paissant et gios, terre, comme paissant les habitants de la terre. Ou bien Remigius vient de remi, berger, et gyon combat, pasteur qui combat. Il nourrit son troupeau de la parole dans la prédication, de l’exemple dans la conversation, et de suffrages dans la prière. Il y a trois sortes d'armes, ta défensive comme le bouclier, l’offensive comme l’épée et la préservative comme la cuirasse ou le casque. Il lutta donc contre le diable avec le bouclier de la foi, l’épée de la parole de Dieu, et le casque de l’espérance. Sa vie fut écrite par Hincmar, archevêque de Reims.
Remi, docteur illustre et confesseur glorieux du Seigneur, eut sa naissance prédite comme il suit par un ermite. Les Vandales avaient ravagé toute la France, et un saint reclus aveugle adressait de fréquentes prières au Seigneur pour la paix de l’Église gallicane, quand un ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Apprends que la femme, appelée Cilinie, enfantera un fils du nom de Remi; il délivrera sa nation des incursions des méchants. » A son réveil, il courut immédiatement à la maison de Cilinie et raconta sa vision. Comme elle n'en croyait rien à raison de sa vieillesse, il répondit : « Quand tu allaiteras ton enfant, tu oindras avec soin mes, yeux de ton lait et aussitôt tu me rendras la vue. » Toutes ces choses étant ainsi arrivées successivement, Remi quitta le monde et s'enferma dans la retraite. Sa réputation grandit, et à l’âge de 22 ans, il fut élu, par le peuple, archevêque de Reims. Or, sa mansuétude était telle que les oiseaux venaient jusque sur sa table manger dans sa main les miettes du repas. Ayant reçu l’hospitalité pendant quelque temps chez une matrone possédant une modique quantité de vin, Remi entra dans le cellier, fit le signe de la croix sur le tonneau, se mit en prières, et aussitôt le vin monta, de telle sorte qu'il se répandait au milieu du cellier. Or, en ce temps-là, Clovis, roi de France, était gentil et il n'avait pu être converti par son épouse qui était très chrétienne ; mais quand il vit venir contre lui une armée innombrable d'Allemands, il fit voeu au Seigneur-Dieu qu'adorait sa femme, de recevoir la foi de J.-C., s'il lui accordait la victoire sur ses ennemis. Il l’obtint à son souhait; il alla donc trouver saint Remi et lui demanda le baptême. Quand on vint aux fonts baptismaux, il ne s'y trouvait pas de saint chrême, mais voici qu'une colombe apporta, dans son bec, une ampoule avec du chrême, dont le pontife oignit le roi. Or, cette ampoule est gardée dans l’église de Reims et les rois de France en ont été sacrés jusqu'aujourd'hui. Longtemps après, Guénebauld, homme de grande prudence, s'étant marié à la nièce de saint Remi, les deux époux se délièrent mutuellement par esprit de religion, et Guénebauld fut ordonné évêque de Laon par saint Remi. Mais comme Guénebauld laissait trop souvent venir sa femme chez lui pour l’instruire, dans ces fréquents entretiens, son esprit se laissa enflammer de concupiscence et tous les deux tombèrent dans le péché. Sa femme conçut et enfanta un fils ; elle en instruisit l’évêque, et celui-ci, tout confus, lui fit dire: « Puisque l’enfant a été acquis par larcin, je veux qu'il soit appelé Larron. » Or, afin qu'aucun soupçonne se fit jour; Guénebault laissa venir sa femme chez soi comme auparavant; mais quand ils eurent pleuré leur péché premier, ils tombèrent encore dans une nouvelle faute. Après avoir donné le jour à une fille et l’avoir mandé à l’évêque, celui-ci répondit : « Appelez cette fille Renarde. » Enfin revenu à lui, Guénebault alla trouver saint Remi, et, se jetant à ses pieds, il voulut ôter son étole de son cou. Saint Remi l’en empêcha et ayant appris de sa bouche les malheurs dans lesquels il était tombé, il le consola avec douceur, l’enferma dans une étroite cellule l’espace de sept ans, et lui-même gouverna son église dans l’intérim. La septième année, le jour de la cène du Seigneur, Guénebault était en oraison lorsqu'un ange lui apparut, lui déclarant que son péché était pardonné et lui commandant de sortir de sa retraite. Comme il répondait : « Je ne puis, car mon seigneur Remi a fermé
la porte et l’a scellée de son sceau, » l’ange lui dit : « Afin que vous sachiez que le ciel vous est ouvert, votre cellule va être ouverte sans que le sceau soit rompu. » Il parlait encore que la porte s'ouvrit. Alors Guénebault se jetant en travers de la porte, les bras en forme de croix, dit : « Quand bien même mon Seigneur J.-C. viendrait, ici pour moi, je n'en sortirai pas, à moins que mon seigneur Remi qui m’y a enfermé n'y vienne. » Sur l’avis de l’ange, saint Remi vint à Laon et rétablit Guénebauld sur son siège. Il persévéra dans les bonnes oeuvres jusqu'à sa mort, et il eut pour successeur son fils Larron; qui fut saint aussi. Enfin saint Remi, tout éclatant de vertus, reposa en paix l’an 500 du Seigneur. En ce jour, on célèbre le natalice de saint Hilaire, évêque de la ville de Poitiers.
SAINT HILAIRE *
* Bréviaire, sa vie.
Hilaire vient d'hilarité, parce qu'il servit Dieu avec un coeur plein de joie. Ou bien Hilaire vient de altus, haut, élevé, et arès vertu, parce qu'il fut élevé en science et en vertu, durant sa vie. Hilaire viendrait encore de hylè, qui veut dire matière primordiale, qui fut obscure, et en effet, dans ses oeuvres, il y a grande obscurité et profondeur.
Hilaire, évêque de Poitiers, originaire du pays d'Aquitaine, brilla, comme Lucifer, entre les astres. Tout d'abord il fut marié et eut une fille; mais il menait la vie d'un moine sous des habits laïcs; il était avancé en âge et en science, quand il fut élu,évêque. Or, comme le bienheureux Hilaire préservait, non seulement sa ville, mais toute la France, contre les hérétiques, à la suggestion de deux évêques qui s'étaient laissé gâter par l’hérésie, il fut relégué en exil, avec saint Eusèbe, évêque de Verceil, par l’empereur fauteur des hérétiques. Enfin, comme l’arianisme jetait partout des racines, et que liberté avait été donnée par l’empereur aux évêques, de se réunir et de discuter sur les vérités de la foi, saint Hilaire étant venu, à la requête des susdits évêques qui ne pouvaient supporter son éloquence, il fut forcé de revenir à Poitiers. Or, avant abordé à file de Gallinarie *, qui était pleine de serpents, dès en y descendant, il mit par son regard, ces reptiles en fuite : il planta un pieu au milieu de l’île, et ils ne purent le franchir, comme si cette partie d'île eût été une mer et non la terre. A Poitiers, par ses prières, il rendit la vie à un enfant mort sans baptême.
* Isolotta d'Arbenga, petite île de la mer de Gênes.
En effet il resta prosterné sur la poussière jusqu'à l’instant où l’un et l’autre se levèrent, le vieillard de sa prière et l’enfant des bras de la mort. Apia, sa fille, voulant se marier, Hilaire, son père, l’instruisit et l’affermit dans le dessein de sauvegarder sa virginité. Au moment où il la vit bien résolue, craignant qu'elle ne variât dans sa conduite, il pria le Seigneur avec grande instance de la retirer à lui de la vie de ce monde : et il en fut ainsi, car peu de jours après, elle trépassa dans le Seigneur. Il l’ensevelit de ses propres mains; en voyant cela, la mère d'Apia pria l’évêque de lui obtenir ce qu'il avait obtenu pour sa fille, il le fi encore, car, par sa prière, il l’envoya par avance dans le royaume du ciel.
En ce temps-là, le pape Léon, corrompu par la perfidie des hérétiques, convoqua un concile de tous lés évêques, moins saint Hilaire qui y vint pourtant. Le pape, l’ayant su, ordonna que, à son arrivée, personne ne se lèverait, ni ne lui ferait place. Quand il fut entré, le pape lui dit: « . Vous êtes Hilaire, Gaulois. » « Je ne suis pas Gaulois, répondit Hilaire, mais de la Gaule; c'est-à-dire je ne suis pas né dans la Gaule, mais je suis évêque dans la Gaule. » Le pape reprit: « Eh bien ! si vous êtes Hilaire de la Gaule, je suis, moi, Léon, le juge et l’apostolique du siège de Rome. » Hilaire dit: « Quand bien même vous seriez Léon, vous n'êtes pas le lion de la tribu de Juda, et si vous siégez en qualité de juge, ce n'est. pas sur le siège de la majesté *. » Alors le pape se leva plein d'indignation en disant : « Attendez un instant, je vais rentrer et je vous dirai ce que vous méritez. » Hilaire reprit. « Si vous ne rentrez pas, qui me répondra à votre place ? » Le pape dit: « Je vais rentrer aussitôt, et j'humilierai ton orgueil. » Puis étant allé où les besoins de la nature l’appelaient, il fut attaqué de la dyssenterie et il mourut misérablement en rejetant tous ses intestins. Pendant ce temps, Hilaire voyant que personne ne se levait pour lui faire place, s'assit avec calme et patience par terre en disant les mots du Psautier : Domini est terra, « la terre est au Seigneur, » et tout aussitôt, par la permission de Dieu, la terre sur laquelle il était assis s'exhaussa jusqu'à ce qu'il eût été aussi haut placé que les autres évêques. Quand l’on eut connu. la mort misérable du pape, Hilaire se leva et confirma tous les évêques dans la foi catholique, et il les renvoya pleins de fermeté en leur pays. Mais ce miracle touchant la mort du pape Léon est douteux, car l’Histoire ecclésiastique et l’Histoire tripartite n'en font pas mention : d'ailleurs la chronique ne place pas:un pape de ce nom à cette époque ; de plus saint Jérôme dit : que la sainte Église Romaine est toujours restée immaculée et restera toujours sans être souillée par un hérétique. On pourrait cependant dire qu'il y a eu alors un pape de ce nom, mais qu'il n'a pas été canoniquement élu, et qu'il était tyranniquement intrus; ou même que c'était le pape Libère, fauteur de l’hérétique Constantin, qu'on aurait appelé Léon. Enfin après avoir fait une multitude de miracles, saint Hilaire, se sentant affaibli et connaissant que sa mort était prochaine, appela auprès de lui le prêtre Léonce qu'il chérissait tendrement; et vers le déclin du jour, il le pria de sortir, en lui recommandant, s'il entendait quelque chose, de l’en instruire. Celui-ci obéit et revint annoncer qu'il avait entendu des cris tumultueux dans la ville. Comme Léonce veillait en attendant son dernier soupir, à minuit Hilaire lui
commanda encore de sortir et de lui rapporter ce qu'il entendrait. Ayant dit qu'il n'avait rien entendu, tout à coup une clarté extraordinaire, telle que le prêtre ne la pouvait supporter, éclata auprès d'Hilaire, et comme elle s'affaiblissait insensiblement, le saint rendit l’esprit au Seigneur. Il fleurit vers l’an 360, sous Constantin. La fête de ce saint tombe à l’octave de l’Epiphanie. Deux marchands possédaient en, commun une certaine quantité de cire : l’un d'eux avait offert sa. part à l’autel de saint Hilaire, l’autre ne voulant pas, offrir la sienne. Aussitôt la cire se partagea; une moitié resta au saint et l’autre revint à celui qui l’avait refusée.
SAINT MACHAIRE *
* Tiré des Vies des Pères du désert
Machaire vient de macha, génie, et ares, vertu, ou de macha, percussion et rio, maître. Il fut en effet ingénieux contre les tromperies du démon, vertueux dans sa vie; il frappa son corps pour le dompter, et il fut maître dans l’exercice de la prélature.
L'abbé Machaire descendit à travers la solitude du désert et entra pour dormir dans un monument où étaient ensevelis des corps de païens; il en prit ail qu'il mit sous sa tête en guise d'oreiller. Or, les démons, voulant l’effrayer, l’appelaient comme on fait à, une femme, en disant : « Levez-vous et venez au bain avec nous.» Et un autre, démon qui était sous lui comme s'il élit été dans le corps mort, disait: « J'ai un étranger sur moi, je lie puis venir. » Machaire ne fut pas effrayé, mais il battait le cadavre en disant : « Lève-toi et va-t-en, si tu peux. » Et les démons, en entendant ces paroles, s'enfuirent en criant à haute voix: « Vous nous avez vaincus, Seigneur ! » Un jour l’abbé Machaire, traversant un marais pour aller à sa cellule, rencontra le diable qui portait une faux de moissonneur et qui voulait le frapper, sans pouvoir en venir à bout. Et il lui dit: « Machaire, tu me fais bien du mal, parce que je ne puis l’emporter sur toi. Et cependant vois, tout ce que tu fais, je le fais aussi tu jeûnes et je ne mange absolument rien; tu veilles, et moi je ne dors jamais. Il n'y a qu'une chose en laquelle tu me surpasses. » « En quoi? lui dit l’abbé. » « C'est en humilité, répondit le diable; elle fait que je ne puis rien contre toi. » Comme les tentations venaient l’assaillir, il alla prendre un grand sac qu'il emplit de sable, le mit sur ses épaules et le porta ainsi nombre de jours à travers le désert. Théosèbe l’ayant rencontré, lui dit: « Père, pourquoi portez-vous un si lourd fardeau ? » Il lui répondit : « Je tourmente celui qui me tourmente.» L'abbé Machaire vit Satan passer sous la figure d'un homme couvert de vêtements de lin tout déchirés, et de chacun des trous, pendaient
des bouteilles; et il lui dit: « Où vas-tu? » «Je vais, répondit-il, faire boire les frères. » Machaire lui dit : « Pourquoi portes-tu tant de bouteilles? » II répondit: « Je les porte pour les donner à goûter aux frères. Si l’une ne leur plaît pas, j'en offre une autre, voire une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il tombe à la bonne. » Et quand le diable revint, Machaire lui dit : « Qu'as-tu fait. » Il répondit : « Ils sont tous des saints; personne d'eux n'a voulu m’écouter, si ce n'est un seul qui s'appelle Théotite. ». Machaire se leva aussitôt, et alla trouver le frère qui s'était laissé tenter,, et le convertit par son exhortation. Après quoi, Machaire rencontrant encore le diable lui dit: « Où vas-tu ? » « Chez les frères, répondit-il.' » A sou retour le vieillard, le voyant venir: « Que font-ils, les frères, dit-il? » Le diable: « Mal. » « Et pourquoi, dit Machaire? » « Parce que ce sont tous des saints, et le plus grand mal encore, c'est que le seul que j'avais, je l’ai perdu et c'est le plus saint de tous. » En entendant cela, le vieillard rendit grâces à Dieu. — Un jour, saint Machaire: trouva une tête de mort et, après qu'il eut prié, il lui demanda, de qui était la tête. Elle répondit, qu'il avait été païen. Et Machaire lui dit: « Où est ton âme? » Elle répondit: « Dans l’enfer. » Comme il demandait s'il était beaucoup profond: Elle répondit que sa profondeur était égale à la distance qu'il y a de la terre au ciel. Machaire continua: « Y en a-t-il qui soient plus avant que toi ? » « Oui, dit-il, les juifs. » Machaire: « Et au-dessous des juifs, y en a-t-il? » Le diable: « Les plus enfoncés de tous sont les faux chrétiens, qui, rachetés par le sang de J.-C., estiment comme rien une . si. précieuse rançon. » Comme il traversait une solitude profonde; à chaque mille, il fichait un roseau en terré, pour savoir par où revenir. Or, ayant cheminé pendant neuf jours, comme il se reposait, le diable ramassa tous les roseaux, et les plaça auprès de sa tête; aussi eut-il beaucoup de peine pour rentrer.
Un frère était singulièrement tourmenté par ses pensées, il se disait, par exemple, qu'il était inutile dans sa cellule, au lieu que s'il habitait parmi les hommes, il pourrait être utile à bien du monde.
Ayant manifesté ces pensées à Machaire, celui-ci lui dit : « Mon fils, réponds-leur; : « Voici ce que « je fais, je garde les murailles de cette cellule pour «l’amour de J.-C. » Un jour, avec la main, il tua un moucheron qui l’avait piqué; et beaucoup de sang sortait de la piqûre; il se reprocha d'avoir vengé sa propre injure, et resta tout nu six mois dans le désert, d'où il sortit entièrement couvert de plaies que lui avaient occasionnées les insectes. Après quoi, il mourut en paix et devint illustre par beaucoup de miracles.
SAINT FÉLIX SUR LE PINCIO
Félix est surnommé in pinci, ou bien du lieu où il repose, ou des stylets avec lesquels on prétend qu'il souffrit, car pinca signifie stylet.
On dit que saint Félix était maître d'école, et que sa sévérité était par trop grande. Ayant été pris par les païens il confessa ouvertement J.-C. et fut livré à ses écoliers qui le tuèrent à coups de stylet et de poinçon. Cependant l’Église paraît croire qu'il ne fut pas martyr, mais confesseur. Toutes les fois qu'il était mené à une idole pour lui sacrifier, il soufflait dessus et à l’instant elle était renversée. On lit, dans une autre légende, que Maxime, évêque de Nole, fuyant la persécution, tomba parterre, saisi par la faim et la gelée. Félix lui fut envoyé par un ange; et comme il n'avait rien à lui donner à manger, il vit une grappe de raisin pendant à un églantier, il lui en exprima le jus dans la bouche, le mit sur ses épaules et l’emporta. Après la mort de Maxime, Félix fut élu évêque. S'étant livré ensuite à la prédication, il fut recherché par le persécuteur; alors il se cacha dans des décombres de murailles en se glissant par un petit trou, et aussitôt des araignées conduites par la main de Dieu vinrent tendre leurs toiles sur cette ouverture. Les persécuteurs, qui les aperçoivent, jugent qu'il n'y a là personne et passent outre. Félix s'en vint de là en un autre lieu où il fut nourri pendant trois mois par une veuve dont il ne regarda jamais la figure. Enfin le calme ayant été rendu, il revint à son église et il y reposa en paix. Il fut enseveli auprès de la ville dans un lieu appelé Pincis. Il avait un frère, comme lui nommé Félix. Comme on le forçait aussi d'adorer les idoles, il dit : « Vous êtes les ennemis de vos dieux, car si vous me conduisez vers leurs images, je soufflerai sur eux comme mon frère et ils tomberont. » Saint Félix cultivait un jardin, dont quelques-uns voulurent prendre les légumes. En pensant commettre leur vol, pendant toute la nuit, ils cultivèrent parfaitement le jardin. Le matin Félix les salua; alors ils confessèrent leur péché et retournèrent chez eux. Les gentils vinrent pour s'emparer de Félix; mais une douleur grave les saisit à la main. Comme ils poussaient des hurlements, Félix leur parla en ces termes : « Dites : « J.-C. est Dieu » et la douleur cessera aussitôt. » Après avoir prononcé ces paroles, ils furent guéris. Le pontife des idoles vint le trouver et lui dire : « Seigneur, voici mon Dieu; dès qu'il vous voit venir, à l’instant il prend la fuite, et comme je lui disais: « Pourquoi fuis-tu?» il répondit « Je ne puis supporter la vertu de ce Félix. » Si donc mon Dieu vous craint ainsi, à combien plus forte raison dois-je vous craindre moi-même. » Félix l’ayant instruit dans la foi, il se fit baptiser. Félix disait à ceux qui adoraient Apollon : « Si Apollon est le vrai Dieu, qu'il me dise ce que je serre en ce moment dans ma main? » Or il tenait un petit billet sur lequel était écrite l’oraison dominicale. Comme il ne répondait rien, les gentils se convertirent. Enfin après avoir célébré la messe, et avoir donné la paix au peuple, il se coucha sur le pavé, se mit en prières et mourut dans le Seigneur
SAINT MARCEL *
* Bréviaire.
Marcellus vient de arcens malum a se, qui éloigne le mal de soi, ou de maria percellens qui frappe la mer, c'est-à-dire, qui éloigne et foule aux pieds les adversités du monde, le monde étant comparé à la mer; car, comme dit saint Chrysostome sur saint Mathieu : « Sur la mer, il y a un bruit confus, une crainte continuelle, l’image de la mort, une véhémence infatigable des eaux, et une agitation constante.
Alors que Marcel était souverain pontife de Rome, il reprocha à l’empereur Maximien son excessive rigueur contre les chrétiens; et comme il célébrait la messe en une église consacrée dans la maison d'une dame, l’empereur irrité fit de cette maison une étable pour les animaux et y plaça sous bonne garde Marcel lui-même pour y faire le service. Après avoir passé plusieurs années à soigner ces bêtes, il reposa dans le Seigneur vers l’an 287
SAINT ANTOINE **
** Saint Athanase rapporte tous les faits consignés dans cette légende.
Antoine vient de ana, au-dessus, et ateneus, qui tient: les choses d'en haut, et méprise celles de la terre. Il méprisa d'ailleurs le monde qui est immonde, inquiet, transitoire, trompeur, amer. Voici ce que saint Augustin en dit : « O monde. impur, pourquoi tant de bruit? Pourquoi t'attaches-tu à nous perdre ? Tu veux nous retenir et tu fuis. Que ferais-tu si tu n'étais pas passager? Qui ne tromperais-tu pas, si tu étais doux ? Tu es amer et tu présentes des aliments agréables seulement à l’extérieur. » Saint Athanase a écrit sa vie.
Antoine avait vingt ans quand il entendit lire dans l’Église : « Si tu veux être parfait, va vendre tout ce que tu as et le donne aux pauvres. » Alors il vendit tous ses biens, les distribua aux pauvres et mena la vie érémitique. Il eut à supporter de la part des démons d'innombrables tourments. Une fois qu'aidé de la foi, il avait surmonté l’esprit de fornication, le diable écrasé lui, apparut sous la figure d'un enfant noir et s'avoua vaincu par lui : car il avait obtenu aussi par ses prières de voir le démon de la fornication qui séduisait les jeunes gens ; et l’ayant vu sous la forme que nous venons de mentionner; il dit : « Tu m’as apparu sous un aspect bien vil, et je ne te craindrai plus désormais. » Une autre fois qu'il était caché dans un tombeau, une multitude de démons le battit avec une
telle violence que celui qui lui apportait à manger le transporta comme un mort sur ses épaules : tous ceux qui s'étaient rassemblés pleuraient son trépas, mais Antoine reprit vie aussitôt en présence des assistants désolés, et se fit reporter dans le même tombeau par son serviteur. Comme il était étendu par terre à cause de la douleur de ses blessures, il provoquait encore par force d'esprit les démons à de nouvelles luttes. Alors ceux-ci lui apparurent sous différentes formes de bêtes féroces, et le déchirèrent à coups de dents, de cornes et de griffes. Mais tout à coup apparut une clarté admirable qui mit en fuite les démons, et Antoine fut incontinent guéri. Ayant reconnu que J.-C. était là, il dit: « Où étiez-vous, bon Jésus ? Où étiez-vous ? Que n'étiez-vous ici dès le commencement pour me prêter secours et me guérir de mes blessures! » Le Seigneur lui répondit : « Antoine, j'étais ici, mais je restais te regarder combattre ; or, maintenant que tu as lutté avec vigueur, je rendrai ton nom célèbre dans tout l’univers. » Sa ferveur était si grande que, au moment où l’empereur Maximien faisait massacrer les chrétiens, il suivait lui-même les martyrs, afin de mériter d'être martyrisé avec eux, et se désolait véhémentement de ne recevoir pas cette faveur.
En voyageant dans un autre désert, il trouva un plat d'argent et se mit à dire à part lui : « Comment ce plat ici, où il n'y a pas trace d'homme ? Si un voyageur l’avait laissé tomber, il n'eût pu ne pas s'en apercevoir à cause de sa grandeur. Ceci, diable, c'est un artifice de ta part : mais tu ne pourras jamais changer ma volonté. » Et en disant cela, le plat s'évanouit comme de la fumée. Peu de temps après, il trouva une grande masse d'or pur, mais le saint s'enfuit comme devant du feu. Il arriva ainsi à une montagne, où il passa vingt ans, pendant lesquels il se rendit illustre par d'innombrables miracles. Une fois qu'il était ravi en esprit, il vit le monde entier rempli de filets enlacés les uns dans les autres : et il s'écria : « Oh ! qui pourra s'en dégager? » Et il entendit une voix qui dit : « L'humilité. » Une fois les anges l’élevaient en l’air ; viennent les démons qui l’empêchent de passer en lui opposant les péchés qu'il avait commis depuis sa naissance. Les anges leur dirent: « Vous ne devez pas raconter des fautes qui ont été effacées par la miséricorde de J.-C. : mais si vous en savez d'autres qu'il ait commises depuis qu'il s'est fait moine, produisez-les. » Et comme ils n'en pouvaient produire, Antoine est élevé librement en l’air par les anges et déposé libre.
Voici ce que raconte saint Antoine lui-même : « J'ai vu un jour un diable d'une stature extraordinaire qui osa se dire la force et la providence de Dieu et m’adressa ces paroles : « Que veux-tu que je te donne, Antoine ? » Mais moi, je lui jetai une masse de crachats à la figure; je me précipitai sur lui au nom de J.-C. et aussitôt il disparut. » Le diable lui apparut une fois comme un géant énorme dont la tête semblait toucher le ciel. Antoine lui ayant demandé qui il était et ayant reçu réponse qu'il était Satan; celui-ci dit ensuite : « Pourquoi les moines m’attaquent-ils ainsi, et pourquoi les chrétiens me maudissent-ils? » Antoine lui répondit : « Ils ont raison; puisque tu les importunes souvent par tes embûches. » Et le diable reprit : « Je ne les importune pas du tout; ce sont eux-mêmes qui se brouillent les uns les autres; car je suis réduit à néant puisque J.-C.
règne à présent partout. » Un archer vit un jour saint Antoine qui prenait quelque délassement avec les frères et cela lui ,déplut. Alors Antoine lui dit : « Mets une flèche sur ton arc et tire. » Il le fit et comme il était prié de le faire une seconde et une troisième fois, l’archer dit: « Je pourrai bien tirer tant de fois que je m’exposerai au chagrin de briser mon arc.» Antoine reprit : « Il en est de même dans le service de Dieu ; si nous voulions y persister outre mesure, nous serions brisés vite : il convient donc de se délasser quelquefois. » Ce qu'ayant entendu cet homme, il se retira édifié.
Quelqu'un demanda à Antoine : « Que dois-je observer pour plaire à Dieu? » Antoine répondit: « Quelque part que vous alliez, ayez toujours Dieu devant les yeux : Dans vos actions, appuyez-vous du témoignage des Saintes Écritures : En quelque lieu que vous vous fixiez, ne le quittez pas trop vite : Observez ces trois points et vous serez sauvé. » Un abbé demanda à Antoine : « Que ferai-je? » Antoine lui dit : « N'ayez pas confiance en votre propre justice ; contenez votre ventre et votre langue, et n'ayez pas à vous repentir d'une chose passée. » Puis il ajouta. « De même que les poissons meurent pour rester quelque temps sur la terre, de même les moines qui restent hors de leur cellule, et qui séjournent avec les gens du monde, perdent bientôt la résolution qu'ils ont prise de vivre dans la retraite. » Saint Antoine dit encore : « Celui qui, une fois entré en solitude, y reste, est délivré de trois ennemis. l’ouïe, le parler et la vue : il ne lui en reste plus qu'un à combattre : c'est son coeur. »
Quelques frères vinrent avec un vieillard visiter l’abbé Antoine; et celui-ci dit aux frères : « Vous avez un bon compagnon dans ce vieillard. » Puis il dit au vieillard : « Père, vous avez trouvé de bons frères avec vous ! » « Ils sont bons, il est vrai, dit celui-ci, mais leur maison est sans porte, car qui veut, entre dans l’étable et délie l’âne. » Il parlait ainsi, car ce qu'ils avaient au fond du coeur était aussitôt sur leurs lèvres. L'abbé Antoine dit qu'il y a trois mouvements corporels, l’un qui vient de nature, l’autre, de plénitude de nourriture, le troisième, du démon. Il v avait un frère qui n'avait renoncé au siècle qu'en partie, car il s'était réservé quelque bien. Antoine lui dit : « Allez acheter de la viande. » Il y alla et comme il rapportait sa viande, les chiens se jetaient sur lui et le mordaient. Alors Antoine dit : « Ceux qui renoncent au siècle et qui veulent avoir de l’argent sont ainsi attaqués et déchirés par les démons. » Antoine, dans son désert, se trouva accablé d'ennui : « Seigneur, disait-il, je veux être sauvé, et mes pensées m’en empêchent. » Après quoi il se leva, sortit et vit quelqu'un qui s'asseyait et travaillait, puis qui se levait et priait. Or, c'était un ange du Seigneur qui lui dit. « Fais de même et tu seras sauvé. » Un jour les frères interrogèrent Antoine sur l’état des âmes: la nuit suivante, une voix l’appela et lui dit : « Lève-toi, sors et regarde. » Et voilà qu'il vit un homme très grand, affreux, qui touchait par sa tête. aux nuages : il étendait les mains. pour empêcher quelques hommes qui avaient des ailes de voler vers le ciel ; il n'en pouvait retenir d'autres qui volaient sans difficulté et le saint entendait des cantiques de joie mêlés à des cris de douleur : il comprit que c'était l’ascension des âmes dont quelques-unes étaient empêchées par le diable qui les retenait dans ses filets, et qui gémissait de ne pouvoir entraver les saints dans leur vol.
» Un jour, Antoine travaillait avec les frères, il leva les yeux au ciel et eut une affligeante vision: il se prosterna et pria Dieu de détourner le crime qui se devait commettre ; alors les frères l’interrogeant sur cela, il dit avec larmes et sanglots qu'un crime inouï menaçait le monde. « J'ai vu, dit-il, l’autel du Seigneur entouré d'une multitude de chevaux qui brisaient tout à coups de pied : la foi catholique sera renversée par un tourbillon affreux et les hommes, semblables à des chevaux, saccageront les choses saintes. » Puis une voix se fit entendre : « Ils auront mon autel en abomination. » Or, deux arts après, les Ariens firent irruption dans l’Église dont ils scindèrent l’unité; souillèrent les baptistères et les églises, et immolèrent comme des brebis les chrétiens sur les autels.
Un grand d'Égypte, de la secte d'Arius, appelé Ballachius, ravageait l’Église de Dieu, fouettait les vierges et les moines tout nus en public. Antoine lui écrivit en ces termes : « Je vois venir sur toi la colère de Dieu : cesse à l’instant de persécuter les chrétiens de peur que la vengeance divine ne te saisisse; elle te menace d'une mort prochaine. » Le malheureux lut la lettre, s'en moqua et la jeta par terre en vomissant des imprécations; après avoir fait battre rudement les porteurs, il répondit à Antoine . « De même que tu as grand soin des moines, nous te soumettrons, nous aussi, à une discipline rigoureuse. » Et cinq jours après, il montait un cheval très doux qui, par ses morsures, le jeta à terre, lui rongea et lui déchira les jambes; il mourut le troisième jour. Quelques frères demandèrent une, parole de salut à Antoine et il leur répondit : « Vous avez entendu la parole du Seigneur : « si quelqu'un vous frappe sur une joue, présentez-lui l’autre. » « Nous ne pouvons, dirent-ils, exécuter cela. » « Au moins, reprit Antoine, supportez avec patience, quand on vous frappera d'un côté. » « Nous ne le saurions encore, répondirent-ils. » Antoine dit : Au moins, laissez-vous plutôt frapper que de frapper vous-mêmes. » « Nous ne pouvons pas davantage. » Alors Antoine dit à son disciple : « Préparez des friandises à ces frères, parce qu'ils sont bien délicats : la prière seule vous est nécessaire. » On lit ces détails dans les Vies des Pères. Enfin, Antoine, parvenu à l’âge de 105 ans, embrassa ses frères et mourut en paix sous Constantin, qui régna vers l’an du Seigneur 340.
SAINT SÉBASTIEN ***
*** Actes du saint dans les oeuvres de saint Ambroise
Sébastien, Sebastianus, vient de sequens, suivant, beatitudo, béatitude; astin, ville et ana au-dessus; ce qui veut dire qu'il a suivi la béatitude de la cité suprême et de la gloire d'en haut. Il: la posséda et l’acquit au prix de cinq deniers, selon saint Augustin, avec la pauvreté, le royaume; avec la douleur, la joie; avec le travail, le repos; avec l’ignominie, la gloire et avec la mort, la vie. Sébastien viendrait encore de basto, selle. Le
soldat, c'est le Christ; le cheval, l’Église et la selle, Sébastien; au moyen de laquelle Sébastien combattit dans l’Église et obtint de surpasser beaucoup de martyrs. Ou bien Sébastien signifie entouré, ou allant autour : entouré, il le fut de flèches comme un hérisson; allant autour, parce qu'il allait trouver tous les martyrs et les réconfortait.
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Sébastien était un parfait chrétien, originaire de Narbonne et citoyen de Milan. Il fut tellement chéri des empereurs Dioclétien et Maximien qu'ils lui donnèrent le. commandement de la première cohorte et voulurent l’avoir constamment auprès d'eux. Or, il portait l’habit militaire dans l’unique intention d'affermir le coeur des chrétiens qu'il voyait faiblir dans les tourments. Quand les très illustres citoyens Marcellien et Marc, frères jumeaux, allaient être décollés pour la foi de J.-C., leurs parents vinrent pour arracher de leurs coeurs leurs bonnes résolutions. Arrive leur mère, la tête découverte, les habits déchirés, qui s'écrie en découvrant son sein : « O chers et doux fils, je suis assaillie d'une misère inouïe et d'une douleur intolérable. Ah, malheureuse que je suis! Je perds mes fils qui courent de plein gré à la mort : si des ennemis me les enlevaient, je poursuivrais ces ravisseurs au milieu de leurs bataillons; si une sentence les condamnait a être renfermés, j'irais briser la prison, dussé-je en mourir. Voici une nouvelle manière de périr : aujourd'hui on prie le bourreau de frapper, on désire la vie pour la perdre, on invite la mort à venir. Nouveau deuil, nouvelle misère! Pour avoir la vie, des fils, jeunes encore, se dévouent à la mort et des vieillards, des parents infortunés sont forcés de tout subir.» Elle parlait encore quand le père, plus âgé que la mère; arrive porté sur les bras de ses serviteurs. Sa tête est couverte de cendres; il s'écrie en regardant le ciel : « Mes fils se livrent d'eux-mêmes â la mort; je suis venu leur adresser mes adieux et ce que j'avais préparé pour m’ensevelir, malheureux que je suis! je l’emploierai à la sépulture de mes enfants. O mes fils! bâton de ma vieillesse, double flambeau de mon coeur, pourquoi aimer ainsi la mort? Jeunes gens, venez ici, venez pleurer sur mes fils. Pères, approchez donc, empêchez-les, ne souffrez pas un forfait pareil : mes yeux, pleurez jusqu'à vous éteindre afin que je ne voie pas mes fils hachés par le glaive. » Le père venait de parler ainsi quand arrivent leurs épouses offrant à leurs yeux leurs propres enfants et poussant des cris entremêlés de hurlements : « A qui nous laissez-vous? quels seront les maîtres de ces enfants ? qui est-ce qui partagera vos grands domaines? hélas! Vous avez donc des coeurs de fer pour mépriser vos parents, pour dédaigner vos amis, pour repousser vos femmes, pour méconnaître vos enfants et pour vous livrer spontanément aux bourreaux! » A ce spectacle, les coeurs de ces hommes se prirent à mollir. Saint Sébastien se trouvait là; il sort de la foule : « Magnanimes soldats du Christ, s'écrie-t-il, n'allez pas perdre une couronne éternelle en vous laissant séduire par de pitoyables flatteries. » Et s'adressant aux parents : « Ne craignez rien, dit-il, vous ne serez pas séparés; ils vont dans le ciel vous préparer des demeures d'une beauté éclatante : car dès l’origine du mondé, cette vie n'a cessé de tromper ceux qui espèrent en elle; elle dupe ceux qui la recherchent; elle illusionne ceux qui comptent sur elle ; elle rend tout incertain, en sorte qu'elle ment à
tous. Cette vie, elle apprend au voleur, ses rapines; au colère, ses violences; au menteur, ses fourberies. C'est elle qui commande les crimes, qui ordonne les forfaits, qui conseille les injustices; cette persécution que nous endurons ici est violente aujourd'hui et demain elle sera évanouie . une heure l’a amenée, une heure l’emportera; mais les peines éternelles se renouvellent sans cesse, pour sévir; elles entassent punition sur punition, la vivacité de leurs flammes augmente sans mesure. Réchauffons nos affections dans l’amour du. martyre. Ici le démon croit vaincre; mais alors qu'il saisit, il est captif lui-même quand il croit tenir, il est garrotté; quand il vainc, il est vaincu; quand il tourmente, il est tourmenté; quand il égorge, il est tué ; quand il insulte, il est honni. » Or, tandis que saint Sébastien parlait ainsi, tout à coup, pendant près d'une heure, il fut environné d'une grande lumière descendant du ciel, et, au milieu de cette splendeur, il parut revêtu d'une robe éclatante de blancheur ; en même temps il fut entouré de sept anges éblouissants. Devant lui apparut encore un jeune homme qui lui donna la paix et lui dit : « Tu seras toujours avec moi. » Alors que le bienheureux Sébastien adressait ces avis, Zoé, femme de Nicostrate, dans la maison duquel les saints étaient gardés, Zoé, dis-je, qui avait perdu la parole, vint se jeter aux pieds de Sébastien en lui demandant pardon par signes. Alors Sébastien dit : « Si je suis le serviteur de J.-C. et si tout ce que cette femme a entendu sortir de mes lèvres est vrai, si elle le croit, que celui qui a ouvert la bouche de son prophète Zacharie ouvre sa bouche. » A ces mots, cette femme s'écria « Béni soit le discours de votre bouche, et bénis soient tous ceux qui croient ce que vous avez dit : j'ai vu un ange tenant devant vous un livre dans lequel tout ce que vous disiez était écrit. » Son mari, qui entendit cela, se jeta aux pieds de saint Sébastien en lui demandant de le pardonner; alors il délia les martyrs et les pria de s'en aller en liberté. Ceux-ci répondirent qu'ils ne voulaient pas 'perdre la couronne à laquelle ils avaient droit. En effet une telle grâce et une si grande efficacité étaient accordées par le Seigneur aux paroles de Sébastien, qu'il n'affermit pas seulement Marcellien et Marc dans la résolution de souffrir le martyre, mais qu'il convertit encore à la foi leur père Tranquillin et leur mère avec beaucoup d'autres que le prêtre Polycarpe baptisa tous.
Quant à Tranquillin, qui était très gravement malade, il ne fut as plutôt baptisé que de suite il fut guéri. Le préfet de la ville de Rome, très malade lui-même, pria Tranquillin de lui amener celui qui lui avait rendu la santé. Le prêtre Polycarpe et Sébastien vinrent donc chez lui et il les pria de le guérir aussi. Sébastien lui dit de renoncer d'abord à ses idoles et de lui donner la permission de les briser ; qu'à ces conditions, il recouvrerait la santé. Comme Chromace, le préfet, lui disait de laisser ce soin à ses esclaves et de ne pas s'en charger lui-même, Sébastien lui répondit: « Les gens timides redoutent de briser leurs dieux; mais encore si le diable en profitait pour les blesser, les infidèles ne manqueraient pas de dire qu'ils ont été blessés parce qu'ils brisaient leurs dieux.» Polycarpe et Sébastien ainsi autorisés détruisirent plus de deux cents idoles. Ensuite ils dirent à Chromace : « Comme pendant que nous mettions en pièces vos idoles, vous deviez recouvrer la santé et que vous souffrez encore, il est certain que, ou vous n'avez
pas renoncé à l’infidélité, ou bien vous avez réservé quelques idoles. » Alors Chromace avoua qu'il avait une chambre où était rangée toute la suite des étoiles, pour laquelle son père avait dépensé plus de deux cents livres pesant d'or ; et qu'à l’aide de cela il prévoyait l’avenir. Sébastien lui dit : « Aussi longtemps que vous conserverez tous ces vains objets, vous ne conserverez pas la santé. » Chromace ayant consenti à tout, Tiburce, son fils, jeune homme fort distingué, dit : « Je ne souffrirai pas qu'une oeuvre si importante soit détruite.; mais pour ne paraître pas apporter d'obstacles à la santé de mon père, qu'on chauffe deux fours, et si, après la destruction de cet ouvrage, mon père n'est pas guéri, que ces hommes soient brûlés tous les deux. » Sébastien répondit: « Eh bien! soit. » Et comme on brisait tout, un ange apparut au préfet et lui déclara que J.-C. lui rendait la santé; à l’instant il fut guéri et courut vers l’ange pour lui baiser les pieds; mais celui-ci l’en empêcha, par la raison qu'il n'avait, pas encore reçu le baptême. Alors lui, Tiburce, son fils, et quatre cents personnes de sa maison furent baptisées. Pour Zoé, qui était entre les mains des infidèles, elle rendit l’esprit dans des tourments prolongés. A cette nouvelle, Tranquillin brava tout et dit : « Les femmes sont couronnées avant nous. Pourquoi vivons-nous encore? » Et quelques jours après, il fut lapidé.
On ordonna à saint Tiburce ou de jeter de l’encens en l’honneur des dieux sur un brasier ardent, ou bien de marcher nu-pieds sur ces charbons. Il fit alors le signe de la croix sur soi, et il marcha- nu-pieds sur le brasier. Il me semble, dit-il, marcher sur des roses au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » Le préfet Fabien se mit à dire : « Qui ne sait que le Christ volis a enseigné la matie ? » Tiburce lui répondit : « Tais-toi, malheureux! :car tu n'es pas digne de prononcer un nom si saint et si suave à la bouche. » Alors le préfet en colère le fit décoller. Marcellien et Marc sont attachés à un poteau, et après y avoir été liés, ils chantèrent ces paroles du Psaume : « Voyez comme il est bon et agréable pour des frères d'habiter ensemble, etc. » Le préfet leur dit: « Infortunés, renoncez à ces folies et délivrez-vous vous-mêmes. » Et ils, répondirent: « Jamais nous n'avons été mieux traités. Notre désir serait que tu nous laissasses attachés pendant que nous sommes revêtus de notre corps.» Alors le préfet ordonna que l’on enfonçât des lances dans leurs côtés, et ils consommèrent ainsi leur martyre. Après quoi le préfet fit son rapport à Dioclétien touchant Sébastien. L'empereur le manda et lui dit: «J'ai toujours voulu que, tu occupasses le premier rang parmi les officiers de mon palais, or tu as agi en secret contre mes intérêts, et tu insultes aux dieux. » Sébastien lui répondit : « C'est dans ton intérêt que toujours j'ai honoré J.-C. et c'est pour la conservation de l’empire Romain que toujours j'ai adoré le Dieu qui est dans le ciel. » Alors Dioclétien le fit lier au milieu d'une plaine et ordonna aux archers qu'on le perçât à coups de flèches. Il en fut tellement couvert, qu'il paraissait être comme un hérisson; quand on le crut mort, on se retira. Mais ayant été hors de danger quelques jours après, il vint se placer sur l’escalier, et reprocha durement aux empereurs qui descendaient du palais les maux infligés par eux aux
chrétiens. Les empereurs dirent : « N'est-ce pas là Sébastien que nous avons fait périr dernièrement à coups de flèches ? » Sébastien reprit: « Le Seigneur m’a rendu la vie pour que je pusse venir vous reprocher à vous-mêmes les maux dont vous accablez les chrétiens. » Alors l’empereur le fit fouetter jusqu'à ce qu'il rendît l’esprit; il ordonna de jeter son corps dans le cloaque pour qu'il ne fût pas honoré par les chrétiens comme un martyr. Mais saint Sébastien apparut la nuit suivante à sainte Lucine, lui révéla le lieu où était son corps et lui commanda de l’ensevelir auprès des restes des apôtres: ce qui fut exécuté. Il souffrit sous les empereurs Dioclétien et Maximien qui régnèrent vers l’an du Seigneur 287. Saint Grégoire rapporte, au premier livre de ses Dialogues, qu'une femme de Toscane, nouvellement mariée, fut invitée à se rendre à la dédicace d'une église de saint Sébastien ; et la nuit qui précéda la fête, pressée par la volupté de la chair, elle ne put s'abstenir de son mari. Le matin, elle partit, rougissant plutôt des hommes que de Dieu. Mais à peine était-elle entrée dans l’oratoire Où étaient les reliques de saint Sébastien, que le diable s'empara d'elle, et la tourmenta en présence de la foule. Alors un prêtre de cette église saisit un voile de l’autel pour en couvrir cette femme, mais le diable s'empara aussitôt de ce prêtre lui-même. Des amis conduisirent la. femme à des enchanteurs afin de la délivrer parleurs sortilèges. «Mais à l’instant où ils l’enchantaient, et par la permission de Dieu, une légion composée de 6666 démons entra en elle et la tourmenta avec plus de violence. Un personnage d'une grande sainteté, nommé Fortunat, la guérit par ses prières. On lit dans les Gestes des Lombards qu'au temps du roi Gombert, l’Italie entière fut frappée d'une peste si violente que les vivants suffisaient à peine à ensevelir les morts ; elle fit de grands ravages, particulièrement à Rome et à Pavie. Alors un bon ange apparut sous une forme visible à une foule de personnes, ordonnant au mauvais ange qui le suivait et qui avait un épieu à la main, de frapper et d'exterminer. Or, autant de fois il frappait une maison, autant il y avait de morts à enterrer. Il fut révélé alors, par l’ordre de Dieu, à une personne, que la peste cesserait entièrement ses ravages si l’on érigeait à Pavie un autel à saint Sébastien. Il fut en effet élevé dans l’église de Saint-Pierre aux liens. Aussitôt après, le fléau cessa. Les reliques de saint Sébastien y furent apportées de Rome. Voici ce que saint Ambroise écrit dans sa préface : « Seigneur adorable, à l’instant où le sang du bienheureux martyr Sébastien est répandu pour la confession de votre nom, vos merveilles sont manifestées parce que vous affermissez la vertu dans l’infirmité, vous augmentez notre zèle, et par sa prière vous conférez du secours aux malades. »
SAINTE AGNÈS, VIERGE
Agnès vient d'agneau, parce qu'elle fut douce et humble comme un agneau. Agnos en grec veut dire pieux, et Agnès fut remplie de piété et de miséricorde. Agnès viendrait encore de agnoscendo, connaître, parce qu'elle connut la voie de la vérité. Or, la vérité, d'après saint Augustin, est opposée à la vanité, à la fausseté et à l’irrésolution, trois vices dont Agnès sut se préserver par son courage.
Agnès; vierge d'une très haute prudence, au témoignage de saint Ambroise qui a écrit son martyre, à l’âge de treize ans souffrit la mort et gagna la vie. A ne compter que ses années elle était une enfant, mais par son esprit, elle était d'une vieillesse avancée : jeune de corps, mais vieille de coeur, belle de visage, mais plus belle encore par sa foi. Un jour qu'elle revenait des écoles, elle rencontra le fils du préfet, qui en fut épris d'amour. Il lui promit des pierreries, des richesses immenses, si elle consentait à devenir sa femme. Agnès lui répondit : « Eloigne-toi de moi, foyer de péché, aliment de crime, pâture de mort; déjà un autre amant s'est assuré de mon coeur. » Et elle commença à faire l’éloge de cet amant, de cet époux par cinq qualités exigées principalement par les épouses de leurs époux, savoir: noblesse de race, beauté éclatante, abondance de richesses, courage et puissance réelle, enfin amour éminent. « J'en aime un, dit-elle, qui est bien plus noble et de meilleure lignée que toi : sa mère est vierge, son père l’a engendré sans femme ; il a des anges pour serviteurs; sa beauté fait l’admiration du soleil et de la lune ; ses richesses sont intarissables; elles ne diminuent jamais : Les émanations de sa personne ressuscitent les morts, son toucher raffermit les infirmes ; quand je l’aime, je suis chaste, quand je m’approche de lui, je suis pure; quand je l’embrasse, je suis vierge.
« Sa noblesse est plus éminente, sa puissance plus forte, son aspect plus beau, son amour phis suave et plus délicat que toute grâce. »
Ensuite elle exposa cinq avantages que son époux avait accordés à elle et à ses autres épouses. Il leur donne des arrhes avec l’anneau de foi ; il les revêt et les orne d'une variété infinie de vertus; il les marque du sang de sa passion; il se les attache par le lien de l’amour, et les enrichit des trésors de la gloire céleste. « Celui, ajouta-t-elle, qui s'est engagé à moi par l’anneau qu'il a mis à ma main droite, et qui a entouré mon cou de pierres précieuses, m’a revêtue d'un manteau tissu d'or, et m’a parée d'une prodigieuse quantité de bijoux : il a imprimé un signe sur mon visage, afin que je ne prisse aucun autre amant que lui ; et le sang de ses joues s'est imprimé sur les miennes. Ses chastes embrassements m’ont déjà étreinte ; déjà son corps s'est uni au mien ; il m’a montré des trésors incomparables qu'il m’a promis de me donner, si je lui suis fidèle à toujours. » En entendant cela le jeune homme tout hors de lui se mit au lit : ses profonds soupirs indiquent aux médecins qu'il est malade d'amour; .son père en informe la jeune vierge; et
sur ce qu'elle l’assure qu'il n'est pas en son pouvoir de violer l’alliance jurée à son premier époux, le préfet cherche à savoir quel est cet époux que se vantait de posséder Agnès. Quelqu'un assura que l’époux dont elle parlait était J.-C., et alors le préfet voulut l’ébranler d'abord par de douces paroles et enfin par la crainte. Agnès lui dit : « Quoi que tu veuilles, fais-le ; tu ne pourras pas obtenir ce que tu réclames. » Et elle se riait aussi bien de ses flatteries que de ses menaces. Le préfet lui dit : « Choisis de deux choses l’une : ou bien sacrifie à la déesse Vesta avec les vierges, si ta virginité t'est chère, ou bien tu seras exposée dans un lieu de prostitution. » Or, comme elle était noble, il ne pouvait la condamner ainsi; il allégua donc contre elle sa qualité de chrétienne. Mais Agnès répondit : « Je ne sacrifierai pas plus à tes dieux que je ne serai souillée par les actions infâmes de qui que ce soit, car j'ai pour gardien de mon corps un ange du Seigneur: »
Le préfet ordonna alors de la dépouiller et de la mener toute nue au lupanar; Mais le Seigneur rendit sa chevelure si épaisse qu'elle était mieux couverte par ses cheveux que par ses vêtements. Et quand elle entra dans le lieu infâme, elle trouva un ange, du Seigneur qui l’attendait et qui remplit l’appartement d'une clarté extraordinaire, en même temps qu'il lui préparait une robe resplendissante de blancheur: Ainsi le lieu de, prostitution devint un lieu d'oraison; et l’on en sortait plus pur que l’on y était entré, tant cette lumière immense vous revêtait d'honneur. Or, le fils du préfet vint au lupanar avec d'autres jeunes gens et il les engagea à entrer les premiers. Mais ils n'y eurent pas plutôt mis les pieds que, effrayés du miracle, ils sortirent pleins de componction. Il les traita de misérables, et entra comme un furieux : mais comme il voulait arriver jusqu'à elle, la lumière se rua sur lui, et parce qu'il n'avait pas rendu honneur à Dieu, il fut étranglé par le diable et expira. A cette nouvelle, le préfet vient tout en pleurs trouver Agnès et prendre des renseignements précis, sur la cause de la mort de son fils. Agnès lui dit : « Celui dont il voulait exécuter les volontés, s'est emparé de lui et l’a tué ; car ses compagnons, après avoir été témoins du miracle qui les avait effrayés, sont sortis sans éprouver aucun malaise. » Le préfet dit : « On verra que tu n'as pas usé d'arts magiques en cela, si tu peux obtenir qu'il ressuscite. » Agnès se met en prière, le jeune homme ressuscite et prêche publiquement la foi,en J.-C. Là-dessus, les prêtres des temples excitent une sédition parmi le peuple et crient hautement ; « Enlevez cette magicienne, enlevez cette malfaitrice, qui change les esprits et égare les coeurs. » Le préfet, à la vue d'un pareil miracle, voulut la délivrer, mais craignant la proscription,;' il la confia à son suppléant ; et il se retira tout triste de ne pouvoir pas la sauver. Le suppléant, qui se nommait Aspasius, la fit jeter dans un grand feu, mais la flamme, se partageant en deux, brûla le peuple séditieux qui était -à l’entour, sans atteindre, Agnès. Aspasius lui fit alors plonger une épée dans la gorge. Ce fut ainsi que le Christ, son époux éclatant de blancheur et de rougeur, la sacra son épouse; et, sa martyre. On croit qu'elle souffrit du temps de Constantin le Grand qui monta sur le trône l’an 309 de J.-C. Quand les chrétiens et ses
parents lui rendirent les derniers devoirs avec joie, c'est à peine s'ils purent échapper aux païens qui les accablèrent de pierres.
Emérentienne, sa soeur de lait, vierge remplie de sainteté, mais qui n'était encore que catéchumène, se tenait debout auprès du sépulcre d'Agnès et argumentait avec force contre les gentils qui la lapidèrent mais il se fit des éclairs et un tonnerre si violent que plusieurs d'entre eux périrent, et dorénavant, on n'assaillit plus ceux qui venaient au tombeau de la sainte. Le corps d'Emérentienne fut inhumé à côté de celui de sainte Agnès. Huit jours après, comme ses parents veillaient auprès du tombeau, ils virent un choeur de vierges tout brillant d'habits d'or; au milieu d'elles ils reconnurent Agnès vêtue aussi richement et à sa droite se trouvait un agneau plus éclatant encore. Elle leur dit : « Gardez-vous de pleurer ma mort, réjouissez-vous au contraire avec moi et me félicitez de ce que j'occupe un trône de lumière avec toutes celles qui sont ici. » C'est pour cela que l’on célèbre une seconde fois la fête de sainte Agnès *..
Saint Ambroise, Bréviaire romain.
Constance, fille de Constantin, était couverte d'une lèpre affreuse et quand elle eut connu cette apparition, elle alla au tombeau de sainte Agnès ; et comme sa prière avait duré longtemps, elle s'endormit : elle vit alors la sainte qui lui dit: « Constance, agissez avec constance; quand vous croirez en J.-C., vous serez aussitôt guérie. » A ces mots elle se réveilla et se trouva parfaitement saine; elle reçut le baptême et éleva une basilique sur le corps de sainte Agnès.
Elle y vécut dans la virginité et réunit autour d'elle une foule de vierges qui suivirent son exemple
Un homme appelé Paulin, qui exerçait les fonctions du sacerdoce dans l’église de sainte Agnès, éprouva de violentes tentations de la chair; toutefois comme il ne voulait pas offenser Dieu, il demanda au souverain pontife la permission de se marier. Le pape voyant sa bonté et sa simplicité: lui donna un anneau dans lequel était enchâssée une émeraude et lui ordonna de commander de sa part à une image de sainte Agnès, peinte en son église, de lui permettre de l’épouser. Comme le prêtre adressait sa demande à l’image, celle-ci lui présenta aussitôt l’annulaire, et après avoir reçu l’anneau, elle retira son doigt, et délivra le prêtre de ses tentations. On prétend que l’on voit encore cet anneau à son doigt. On lit cependant ailleurs que l’église de sainte Agnès tombant en ruines, le pape dit à un prêtre qu'il voulait lui confier une épouse pour qu'il en eût soin et la nourrît (et cette épouse, c'était l’église de sainte Agnès), et lui remettant un anneau; ... il lui ordonna d'épouser ladite image, ce qui eut lieu; car elle offrit son doigt et le retira. Voici ce que dit saint Ambroise de sainte Agnès dans son Livre des Vierges : « Vieillards, jeunes gens, enfants, tous chantent ses louanges : Personne n'est plus louable
que celui qui peut être loué par tous. Autant de personnes, autant de panégyristes. On ne parle que pour exalter cette martyre. Admirez tous comment elle a pu rendre témoignage à Dieu, alors qu'elle ne pouvait. pas encore être maître d'elle-même en raison de son âge. Elle se comporta de manière à recevoir de Dieu ce qu'un homme ne lui durait pas confié; parce que ce qui est au-dessus de. la nature est l’oeuvre de l’auteur
de la nature. Dans elle, c'est un nouveau genre de martyre. Elle n'était pas préparée encore pour la souffrance, qu'elle était mûre pour la victoire : elle peut à peine combattre, qu'elle est digne de la couronne elle a été un maître consommé dans la vertu, elle dont l’âge n'avait encore pu développer le jugement. Une épouse n'eût pas dirigé ses pas vers le lit de l’époux comme cette vierge s'est présentée au supplice, joyeuse dans son entreprise, prompte dans sa démarche. » Le même saint dit dans la préface : « La bienheureuse Agnès, en foulant aux pieds les avantages d'une illustre naissance, a mérité les splendeurs du ciel;: en méprisant ce qui fait l’objet du désir des hommes, elle a été associée au partage de la puissance du roi éternel en recevant une mort précieuse pour confesser J.-C : elle mérita en même temps de lui être conforme. »
SAINT VINCENT
Vincent voudrait dire incendiant le vice, ou qui vainc les incendies, ou qui tient la victoire. En effet il incendia, c'est-à-dire il consuma les vices parla mortification de la chair; il vainquit l’incendie allumé pour son supplice en endurant lés tortures avec constance; il se tint victorieux du monde en le méprisant. Il vainquit trois fléaux qui étaient dans le monde : les fausses erreurs, les amours immondes, les craintes mondaines; par sa sagesse, sa pureté et sa constance. Saint Augustin dit que, pour vaincre le monde avec toutes ses erreurs, ses amours et ses craintes, on a et toujours on a eu pour exemples les martyres des saints.
Quelques-uns avancent que saint Augustin a recueilli les actes de son martyre mis en fort beaux verts par Prudence.
Vincent, noble par sa naissance, fut plus noble encore par sa foi et sa. religion. Il fut diacre de l’évêque Valère, et comme il s'exprimait avec plus de facilité que l’évêque, celui-ci lui confia le soin de la prédication, tandis qu'il vaquerait lui-même à la prière et à la contemplation. Le président Dacien ordonna de les traîner à Valence, et de les enfermer dans une affreuse« prison. Quand' il les crut presque morts de faim, il les fit comparaître en sa présence; mais les voyant sains et joyeux, il fut transporté de colère et parla ainsi : « Que dis-tu, Valère, toi qui, sous prétexte de religion, agis contre les décrets dès princes? » Or, comme Valère lui répondait avec trop de douceur, Vincent se mit à lui dire : « Père vénérable, veuillez ne pas parler avec tant de timidité et de retenue ;
expliquez-vous avec une entière liberté : si vous le permettez, père saint, j'essaierai de répondre au juge. » Valère reprit: « Depuis longtemps déjà, fils très chéri, je t'avais confié le soin de parler, maintenant encore, je te commets pour répondre de la foi, qui nous amène ici.» Alors Vincent se tourna vers Dacien : « Jusqu'alors, lui dit-il, tu n'as péroré dans tes discours que pour nier la foi, mais sache-le bien, que chez des chrétiens, c'est blasphémer et commettre une faute indigne que de refuser de rendre à la divinité l’honneur qui lui est dû. » A l’instant Dacien irrité ordonna de mener l’évêque en exil : pour Vincent, qu'il regardait comme un arrogant et présomptueux jeune homme, afin d'effrayer les autres par., son exemple, il le condamna à être étendu sur un chevalet et à avoir tous ses membres disloqués : Quand tout son corps fut brisé; Dacien lui dit : « Réponds-moi, Vincent, de quel oeil regardes-tu ton misérable corps ? » Et Vincent reprit en souriant : « C'est ce que j'ai toujours désire: » Alors le président irrité le menaça de toutes sortes de tourments, s'il n'obtempérait pas à ses demandes. Vincent lui dit : « Oh! suis-je heureux ! par cela même que tu penses m’offenser davantage, c'est par là que tu commences à me faire le plus de bien. Allons donc, misérable, déploie toutes les ressources de la méchanceté ; tu verras, que, quand je suis torturé, je puis, avec la force de Dieu, plus que tu ne peux toi-même qui me tortures. » A ces mots le président se mit à crier et à frapper les bourreaux à coups de verges et de bâton; et Vincent lui dit : « Qu'en, dis-tu? Dacien, voici que tu me vengés de ceux qui me torturent. » Alors le président hors de lui dit aux bourreaux : « Grands misérables, vous ne faites rien; pourquoi vos mains se lassent-elles ? vous avez pu vaincre des adultérés et es parricides de manière à ce qu'ils ne pussent rien cacher au milieu des supplices que vous leur infligiez, et aujourd'hui Vincent seul a pu triompher de vos tourments ! » Les bourreaux lui enfoncèrent alors des peignes de fer jusqu'au fond des côtes, de sorte que le sang ruisselait de tout son corps et, que l’on voyait ses entrailles entre les jointures de ses os. Et Dacien dit : «Aie donc pitié de toi, tu pourras alors recouvrer ta brillante jeunesse, et échapper aux tourments qui t'attendent. » Et Vincent dit : « O venimeuse langue de diable ! Je ne les crains pas tes tourments; il n'est qu'une chose que je redoute, c'est que tu paraisses vouloir t'apitoyer sur moi, car plus je te vois irrité, plus, oui, plus je tressaille de joie. Je ne veux pas que tu diminues en rien ces supplices afin de te forcer à t'avouer vaincu. » Alors on l’ôta du chevalet, pour le traîner vers un brasier ardent, et il stimulait gaîment la lenteur dès bourreaux et la leur reprochait. Il monte donc lui-même sur le gril, où il est rôti, brûlé et consumé; on enfonce des ongles de fer et des lames ardentes par tous ses membres ; la flamme était couverte de sang : c'étaient plaies sur plaies; en outre on sème du sel sur le feu, afin qu'il saute sur chacune de ses plaies et que la flamme pétillante le brûle plus cruellement encore. Déjà ce n'est plus dans ses membres, mais dans ses entrailles que l’on enfonce des dards; déjà ses intestins s'épanchent hors du corps. Cependant il reste immobile, les yeux tournés vers le ciel et priant le Seigneur. Les bourreaux ayant rapporté cela à Dacien : « Ah ! s'écria-t-il, vous êtes vaincus; mais à présent pour qu'il vice plus longtemps dans sa torture, enfermez-le dans le plus affreux cachot; amassez-y des tessons très aigus; clouez
ses pieds à un poteau; laissez-le couché sur ces tessons, sans personne pour le consoler; et quand il défaillira, mandez-le-moi. » Tout aussitôt ces ministres cruels secondent un maître plus cruel encore; mais voici que le roi pour lequel ce soldat souffre change ses peines en gloire, car les ténèbres du cachot sont dissipées par une immense lumière les pointes des tessons sont changées en fleurs d'un parfum suave ; ses entraves sont déliées, et il a le bonheur d'être consolé par des anges: Comme il se promenait sur ces fleurs en chantant avec ces anges, ces modulations délicieuses, et la merveilleuse odeur des fleurs se répandent au loin. Les gardes effrayés regardent à travers les crevasses du cachot; ils n'eurent pas plutôt vu ce qui se passait dans l’intérieur qu'ils se convertirent à la foi. A cette nouvelle, Dacien devenu furieux dit : « Et que lui ferons-nous encore ? car nous voilà vaincus. Qu'on le porte sur un lit, qu'on le mette sur des coussins moelleux; ne le rendons pas plus glorieux, s'il arrivait qu'il mourût dans les tourments; mais lorsque ses forces seront revenues, qu'on lui inflige encore de nouveaux supplices. » Or, lorsqu'il eut été porté sur le lit moelleux, et qu'il y eût pris un peu de repos, il rendit aussitôt l’esprit, vers l’an du Seigneur 287, sous Dioclétien et Maximien. A cette nouvelle, Dacien fut grandement épouvanté, et se reconnaissant battu il dit: « Puisque je n'ai pu le vaincre vivant, je me vengerai de lui après sa mort; je me rassasierai de ce tourment, et ainsi la victoire pourra me rester. » Par les ordres donc de Dacien, son corps est exposé dans un champ pour être la pâture des oiseaux et des bêtes : mais aussitôt il est gardé par les anges et préservé des bêtes qui ne le touchèrent point. Enfin. un corbeau, naturellement vorace, chassa à coups d'ailes d'autres oiseaux plus forts que lui, et par ses morsures et ses cris, il. mit en fuite un loup qui accourait; puis il tourna la tête pour regarder fixement le saint corps, comme s'il eût été en admiration devant ses anges gardiens. Quand Dacien le sut il dit : « Je pense que je n'aurai pas le dessus sur lui, même après sa mort. » Il fait alors attacher au saint corps une meule énorme et la jeter dans la mer, afin que n'ayant pu être dévoré sur la terre par les bêtes, il fût au moins la proie des monstres marins. Des matelots portent donc le corps du martyr à la mer et l’y jettent ; mais il revint plus vite qu'eux au rivage; où il fut trouvé par une dame et par quelques autres qui en avaient reçu de lui révélation et qui l’ensevelirent honorablement.
Voici sur ce martyr les paroles de saint Augustin Saint Vincent a vaincu en paroles, a vaincu en souffrances, a vaincu dans sa confession, a vaincu dans sa tribulation. Il a vaincu brûlé, il a vaincu noyé, il a vaincu vivant, il a vaincu mort .» Il ajoute: « Vincent est torturé pour être exercé; il est flagellé pour être instruit; il est battu pour être fortifié ; il est brûlé pour être purifié. » Saint Ambroise s'exprime en ces termes dans sa préface: « Vincent est torturé, battu, flagellé, brûlé, mais il n'est pas vaincu et son courage à confesser le nom de Dieu n'est pas ébranlé: Le feu de son zèle est plus,ardent qu'un fer brûlant; il est plus lié par la crainte de Dieu que par la crainte du monde; il voulut plutôt plaire à Dieu qu'au public; il aima mieux mourir au monde qu'au Seigneur. » Saint Augustin dit encore : « Un merveilleux spectacle est sous nos yeux; c'est un juge inique,
un bourreau sanguinaire ; c'est un martyr qui n'a pas été vaincu, c'est le combat de la cruauté et de la piété. »
Prudence, qui brilla sous le règne de Théodore l’Ancien, en 387, dit que Vincent répondit ainsi à Dacien: « Tourments, prisons; ongles, lames pétillantes de feu, et enfin la mort qui est la dernière des peines; tout cela est jeu pour les chrétiens. » Alors Dacien dit : « Liez-le, tordez-lui les bras sens dessus dessous, jusqu'à ce que les jointures de ses os soient disloquées pièce par pièce, afin que, par les ouvertures des plaies, on voie palpiter son foie. » Et ce soldat de Dieu riait en gourmandant les mains ensanglantées qui n'enfonçaient pas plus avant dans ses articulations les ongles de fer. Dans sa prison, un ange lui dit « Courage, illustre martyr; viens sans crainte; viens être notre compagnon dans l’assemblée céleste : ô soldat invincible, plus fort que les plus forts ; déjà ces tourments cruels et affreux te craignent et te proclament vainqueur ! » Prudence s'écrie: « Tu es l’illustre par excellence ; seul tu as remporté la palme d'une double victoire, tu t'es préparé deux triomphes à la fois. »
SAINT BASILE, ÉVÊQUE *
*La fête de Saint Basile a été fixée à différents jours: au 1er janvier qu'il est mort, au 14, le 1er jour libre après l’Epiphanie, au 19 du même mois, en souvenir de la miraculeuse ouverture des portes de l’église de Nicée, et aussi le 30, chez les Grecs. Elle est célébrée, dans l’église latine, le 14 juin; jour de son ordination.
Basile a été un évêque vénérable. et un docteur distingué; sa vie a été écrite par Amphiloque **, évêque d'Icone.
** Notker, Sigebert de Gemblours,Vincent de Beauvais attribuent en effet à Amphiloque une vie de saint Basile.
Il. fut révélé dans une vision à un ermite nommé Ephrem à quel degré de, sainteté Basile était arrivé. En effet, Ephrem, ravi en extase, vit une colonne de feu qui partant de la tête du saint touchait au ciel, et il entendit une voix d'en haut qui disait: « Le grand Basile est tel que cette colonne immense que tu vois. » Il vint donc à la ville le jour de l’Epiphanie pour connaître un si grand personnage. Et en l’apercevant revêtu d'une. étole blanche, s'avançant majestueusement avec ses clercs, il dit en lui-même: « Comme je le vois, je me suis fatigué pour rien; car cet homme, qui se pose et s'entoure d'honneurs, comment peut-il jamais être celui qui m’est apparu? Nous, en effet, qui avons porté le poids du jour et de la chaleur, nous, ne sommes jamais parvenus à rien de pareil, et lui,
dans une position et avec un éclat de ce genre, c'est une colonne de feu ! Vraiment je m’en étonne. » Mais Basile, qui connut par révélation les pensées d'Ephrem, le fit venir chez lui. L'ermite ayant été introduit vit une langue de feu qui, parlait par la bouche de Basile et il se dit: « Vraiment Basile est grand;, oui, c'est une colonne de feu. L'Esprit saint parle réellement par la bouche de Basile. » Et s'adressant à l’évêque,: « Seigneur, lui dit-il, je vous demande en grâce de m’obtenir de parler le grec. » Basile lui répondit « C'est chose difficile ce que vous demandez. » Cependant il pria pour lui et tout aussitôt, Ephrem parla le grec. Un autre ermite vit une fois Basile marchant en habits pontificaux et le méprisa, en pensant en lui-même que cet évêque se complaisait trop dans une pompe de cette nature. Et une voix se fit entendre et lui dit: « Tu te complais davantage à caresser la queue de ta chatte que Basile ne se complaît dans soir appareil. » L'empereur Valens, fauteur de l’arianisme, ravit une église aux catholiques pour la donner, aux ariens. Basile le vint trouver et lui dit: « Empereur, il est écrit (Ps. XCVIII, 4) : « La majesté royale éclate dans l’amour de la justice; » et ailleurs : « Le juge« ment du roi c'est la justice; » pourquoi donc avez-vous ordonné de gaîté de coeur que les catholiques fussent chassés de cette église et qu'elle fût livrée aux ariens ? » L'empereur lui dit : « Tu en reviens encore à tes paroles de mépris, ô Basile, cela ne te va pas. » Basile répondit : « Il me va de mourir même pour la justice. » Alors le maître d'hôtel de l’empereur, appelé Démosthène, qui favorisait lés ariens, parla pour eux et laissa échapper un barbarisme; Basile lui dit : « Ta charge consiste à t'occuper des ragoûts de l’empereur, mais non à trancher dans les choses de la foi. » Ce qui le rendit confus et le fit taire. L'empereur dit : « Basile, va et sois juge entre les deux partis; mais ne cède pas à l’entraînement aveugle du peuple. » Basile s'en alla et dit, en présence des catholiques et des ariens, de fermer les portes de l’église, d'y apposer le sceau de chacun des partis et que celui aux prières duquel les portés s'ouvriraient, aurait la. possession de l’église. Cet arrangement fut généralement goûté. Les ariens se mirent en prières pendant trois jours et trois nuits, et quand ils vinrent aux portes de l’église, elles ne s'ouvrirent pas. Alors Basile, ayant ordonné une procession, vint à l’église et après avoir fait une prière, il toucha les portes d'un léger coup de son bâton pastoral en disant: « Levez vos portes, princes; et vous, portes éternelles, levez-vous, afin de laisser entrer le roi de gloire » (Ps. XXIII). Et tout aussitôt elles s'ouvrirent. On entra en rendant grâces à Dieu, et l’église resta la propriété des catholiques. Or, l’empereur, pour céder à Basile; exigea de lui beaucoup de promesses, d'après l’Histoire tripartite: « Ceci n'appartient qu'aux enfants, répondit Basile, car ceux qui se nourrissent des. paroles de Dieu ne souffrent pas qu'on altère même une seule syllabe des dogmes divins. » Alors l’empereur fut indigné, et ainsi qu'il est dit dans le même ouvragé, comme il voulait écrire la sentence de son exil, une première, une seconde et une troisième plume, se brisèrent; ensuite sa main fut saisie d'un grand tremblement, et il déchira la feuille de papier tout en colère.
Un homme vénérable, appelé Eradius *, avait une fille unique qu'il se proposait de consacrer au Seigneur; ruais le diable, ennemi du genre humain, ayant connaissance de cela, embrasa d'amour pour la jeune fille un des esclaves de cet Eradius.
* Hincmar le nomme Proterius.
Ayant donc reconnu comme impossible que lui, qui était esclave, pût obtenir les faveurs d'une si noble personne, il alla trouver un magicien en lui promettant une grande somme d'argent; s'il voulait lui venir en aide. Le magicien lui dit : « Moi, je ne saurais faire cela; mais, si tu. veux, je t'adresserai au diable mon maître; et si tu exécutes ses prescriptions; tu obtiendras ce que tu désires. » Et le jeune homme répondit : « Je ferai tout ce que tu me diras. » Le magicien rédigea une lettre pour le diable et la transmit par le jeune homme ;elle était conçue en ces termes : « Maître, comme je dois m’employer avec soin et promptitude à retirer tout le monde possible de la religion des chrétiens et à amener ces hommes à faire ta volonté, afin que ton parti se multiplie tous les jours, je t'ai adressé ce jeune. homme qui brûle d'amour pour une jeune fille et je demande que ses désirs soient accomplis, pour en retirer moi-même de la gloire et pouvoir dans la suite en récolter d'autres. » Il lui donna la lettre, il lui dit : « Va, et à telle heure de la nuit, tiens-toi debout sur le tombeau d'un gentil, et là appelle les démons avec grands cris, lance ce papier en l’air et incontinent ils t'apparaîtront. » Il y alla, cria les démons et jeta la lettre en l’air. Et voici que se présente le prince des ténèbres entouré d'une multitude de démons.. Après avoir lu la lettre, il dit au jeune homme : « Crois-tu en moi, pour que j'exécute ce que tu veux? » «Maître, je crois, dit-il. » Le diable reprit : « Renies-tu aussi J.-C.? » Il dit : « Je renie. » « Vous autres chrétiens, continua le diable, vous êtes des perfides; parce que si vous avez besoin de moi, vous me venez trouver; mais quand vous avez réalisé vas désirs, aussitôt vous me reniez, et vous revenez à votre Christ; et lui, parce qu'il est très clément, il. vous reçoit. Mais si tu veux que j'accomplisse ta volonté, fais-moi un écrit de ta main par lequel tu confesses renoncer au Christ, au baptême, à la profession ; chrétienne, que tu es à mon service, condamnable avec moi au jugement. » Celui-ci fit aussitôt de sa main un écrit par, lequel il renonçait au Christ, et s'engageait au service du diable. Tout de suite celui-ci appela les esprits qui sont chargés de se mêler de la fornication, en leur ordonnant d'aller auprès de la dite fille, et d'enflammer son coeur d'amour pour le jeune homme. Ils . le firent et embrasèrent son coeur au point qu'elle se roulait à terre et s'adressait à son père avec des cris lamentables : « Ayez pitié de moi, père, ayez pitié de moi, parce que je suis cruellement tourmentée d'amour pour cet esclave qui vous appartient. Ayez pitié de votre sang; témoignez-moi un amour de père, et mariez-moi à ce jeune homme que j'aime et pour lequel je suis torturée; sinon, dans peu de temps vous me verrez mourir et vous en répondrez pour moi au jour du jugement. » Or, son père lui répondit en poussant des cris de douleur: « Hélas, malheureux que je
suis! Qu'est-il donc arrivé à ma fille? Qui m’a volé mon trésor? Quel est celui qui a éteint la douce lumière,de mes yeux? Je voulais, moi, t'unir à l’époux céleste; je comptais être sauvé par toi, et tu fais la folie de te livrer à un amour libertin ; ma fille, permets, comme je l’avais résolu, que je t’unisse au Seigneur, n'accable pas ma vieillesse d'une douleur qui m’emportera dans le tombeau. » Mais elle criait en disant «Mon père, accomplissez vite mon désir, ou, dans peu de temps vous me verrez mourir. » Or, comme elle pleurait très amèrement et qu'elle était presque folle, son père, tout désolé et séduit par les conseils de ses amis, fit ce qu'elle voulait, et la maria à son esclave, en lui donnant tous es biens: «Va, lui dit-il, va, ma fille, tu es vraiment misérable. » Mais lorsque les époux demeurèrent ensemble, le jeune homme ne mettait pas le pied à l’église, ne faisait pas le signe de la croix sur lui, ni ne se recommandait à Dieu; cela fut remarqué de certaines personnes, qui dirent à son épouse « Sais-tu que celui que tu as choisi pour ton mari n'est pas chrétien et qu'il ne va pas à l’église. » A cette nouvelle, elle ressentit une grande crainte, et se jetant par terre, elle se luit à se déchirer avec les ongles, à se frapper la poitrine et à dire : « Ah ! que je suis malheureuse ! pourquoi suis-je née? et que ne suis-je morte en venant au monde ! » Ayant rapporté à son mari ce qu'elle avait entendu, et celui-ci, lui assurant qu'il n'en était rien, mais que tout ce qu'elle avait appris était faux : « Si tu veux, dit-elle, que je te croie, demain, nous irons tous deux à l’église. » Le mari, voyant qu'il ne pouvait dissimuler plus longtemps, raconta exactement à sa femme tout ce qui s'était passé. Quand elle eut entendu cela elle se mita gémir, alla de suite trouver saint Basile et lui raconta tout ce qui était arrivé à son mari et à elle. Basile fit venir l’époux et apprit tous ces détails de sa bouche : « Mon fils, lui dit-il, voulez-vous revenir à Dieu ? » Il répondit : « Oui, Seigneur ; mais c'est impossible, car je suis engagé au diable, j'ai renié J.-C., j'ai écrit l’acte de mon reniement et l’ai donné au diable. » Basile lui dit « N'aie pas d'inquiétude; le Seigneur est débonnaire, et accueillera ton repentir.» Aussitôt il prit le jeune homme, lui fit le signe de la croix sur le front, et l’enferma l’espace de trois jours; après lesquels il le vint trouver, et lui dit : « Comment te trouves-tu, mon fils ? » « Seigneur, lui répondit-il, j'éprouve un grand accablement; je ne puis supporter les cris, les terreurs, les machinations des démons, qui, mon écrit à la main, m’accusent en me disant : « C'est, toi qui es venu à nous, ce n'est pas nous qui sommes venus « à toi. » Et saint Basile dit: « Ne crains rien, mon fils; seulement, crois. » Il lui donna un peu à manger;. puis faisant encore le signe de la croix sur son front il le renferma de nouveau, et pria pour lui. Quelques jours après, il vint le voir et lui dit: « Comment te trouves-tu, mon fils? » Il répondit : « Mon père, j'entends au loirs leurs cris et, leurs menaces, mais je ne les vois point. » Il lui donna encore un peu de nourriture, le signa, ferma sa porte, se retira, pria pour lui et quarante jours après il revint et lui dit : « Comment te trouves-tu? » Il répondit : « Saint homme de Dieu, je me trouve bien; aujourd'hui dans une vision, je vous ai vu combattre pour moi et vaincre le diable. » Après quoi Basile le fit sortir, convoqua le clergé, les religieux et le peuple, et les avertit tous de prier pour le jeune homme qu'il conduisait à l’église en le tenant par la main. Et voilà que le diable avec une
multitude de démons vint à sa rencontre et se saisissant d'une manière invisible de ce jeune homme, il s'efforçait de l’arracher des mains de saint Basile. Le jeune homme se mit à crier : « Saint homme de Dieu, aidez-moi. » Et le malin l’assaillit avec une si grande véhémence qu'en traînant le jeune homme, il entraînait aussi le saint qui lui dit : « Infâme, n'est-ce pas assez pour toi de ta perte, que tu oses encore tenter la créature de mon Dieu? » Mais le diable lui dit et beaucoup l’entendirent : « Tu me portes préjudice, ô Basile. » Alors tous crièrent : « Kyrie eleison, Seigneur, ayez pitié de nous.» Et Basile dit : « Que le Seigneur te confonde, diable. » Celui-ci reprit : « Tu me portes préjudice, ô Basile; ce n'est pas moi qui ai été le, chercher, mais c'est lui qui est venu à moi; il a renié son Christ et s'est donné à moi : voici son écrit; je le tiens à la main. » Basile dit : « Nous ne cesserons de. prier jusqu'à ce que tu rendes l’écrit. » Et à la prière de Basile qui tenait les mains levées vers le ciel, la cédule, que les assistants voyaient portée en l’air, vint se mettre dans les mains du saint évêque, qui, en la recevant, dit au jeune homme : « Reconnaissez-vous cette écriture, mon frère ? » Il répondit: « Oui, elle est de ma main. » Et Basile, déchirant l’acte, conduisit le jeune homme à l’église, le rendit digne de participer au saint mystère, et après lui avoir donné de, bons conseils et suggéré un plan de vie, il le remit à sa femme *.
* Hincmar de Reims rapporte ce fait dans son livre sur le Divorce de Lothaire (Interrogatio XV) et le, tire d'Amphiloque, évêque d'Icone.
Une femme, qui avait commis beaucoup de péchés, les inscrivit -sur une feuille volante, en réservant le plus grave pour la Fit ; elle donna cet écrit à saint Basile, et lui recommanda de prier pour elle, pour effacer ces péchés par ses oraisons. Après qu'il eut prié, et que la femme eut ouvert son écrit, elle trouva toutes ses offenses effacées à la réserve de la plus énorme. Elle dit à Basile : « Ayez pitié de moi, serviteur de Dieu, et obtenez pardon pour celle-là comme vous l’avez obtenu pour les autres. »Basile lui dit : « Femme, retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur ayant besoin d'indulgence aussi bien que vous. » Et comme elle insistait, il lui dit : « Allez trouver le saint homme Ephrem, et il pourra obtenir pour vous ce que vous demandez. » Elle alla donc trouver le saint homme Ephrem, et après lui avoir avoué pourquoi saint Basile l’avait adressée à lui : « Retirez-vous, lui dit-il, car je suis un pécheur; mais, ma fille, retournez vers Basile; lui qui vous a obtenu le pardon des autres péchés, aura encore le pouvoir de l’obtenir pour celui-ci : Hâtez-vous, vite, pour le trouver en vie. » Elle arrivait à la ville, qu'on portait Basile au tombeau; Alors elle se mit à crier après. lui et à dire : « Que Dieu voie et juge entrevous et moi; car quand vous pouviez me réconcilier avec Dieu vous-même, vous m’avez adressé à un autre. » Puis elle jeta son écrit sur le cercueil, et le reprenant un
instant après, elle l’ouvrit, et trouva le péché entièrement effacé. Aussi rendit-elle à Dieu d'immenses actions de grâce, avec tous ceux qui se trouvaient là *.
* Siméon Métaphraste
Avant que cet homme de Dieu trépassât, et quand il était atteint de la maladie dont il mourut, il: se trouvait un juif appelé Joseph, médecin consommé, que l’homme de Dieu aimait avec prédilection, parce qu'il prévoyait devoir le convertir à la foi; il le manda auprès de lui, comme s'il avait besoin de son ministère. Or, Joseph tâta le pouls de Basile et reconnut que le saint était près de mourir : il dit alors aux gens de la maison: « Préparez tout ce qui est nécessaire pour sa sépulture, car il va expirer à l’instant. » Basile, qui entendit cela, lui dit : « Tu ne sais ce que tu dis. » Joseph répartit: «Seigneur, le soleil se couchera aujourd'hui et, croyez-moi, vous mourrez: au soleil couchant. » Basile lui dit : « Que diras-tu, si je ne meurs pas aujourd'hui? » Joseph répondit : « Cela n'est pas possible, Seigneur. » Basile reprit : « Et si je vis encore demain jusqu'à la sixième heure, que feras-tu? » et Joseph dit : « Si vous allez jusqu'à cette heure, je mourrai moi-même. » Basile dit : « Eh bien, meurs donc au péché pour vivre à J.-C. » Joseph répondit : « Je comprends ce que vous dites; si vous vivez jusqu'à cette heure, je ferai ce à quoi vous m’exhortez. » Alors saint Basile, qui, selon les lois naturelles, devait mourir à l’instant, obtint néanmoins du Seigneur un délai de mort, et il vécut jusqu'à la neuvième heure du lendemain. » Joseph, qui vit cela, en fut dans la stupeur et crut à J.-C. Alors Basile, par force de caractère, surmonta la faiblesse du corps ; il se leva de son lit, alla à l’église et baptisa Joseph de sa main; après quoi, il revint à sa couche et tout aussitôt il rendit heureusement son âme à Dieu. Il florissait vers l’an du Seigneur 380.
SAINT JEAN, L'AUMONIER *
* Tiré des Vies des Pères du désert.
Saint Jean l’aumônier, patriarche d'Alexandrie, étant une nuit en oraison; vit auprès de lui une jeune personne d'une beauté extraordinaire qui portait sur la tête une couronne d'olives. A sa vue, il fut gravement saisi et il lui demanda qui elle était. Elle répondit :
« Je suis la miséricorde qui ai fait descendre du ciel le Fils de Dieu : prenez-moi pour épouse et vous vous en trouverez bien. » Il comprit donc que l’olive était le symbole de la miséricorde, et dès ce jour, il devint si miséricordieux, qu'il fut surnommé Eleimon, c'est-à-dire l’aumôniers Or, il appelait toujours les pauvres ses seigneurs, et c'est de là que les hospitaliers ont coutume jusqu'aujourd'hui de nommer les pauvres leurs seigneurs. Il convoqua donc torrs ses serviteurs et leur dit : « Allez parcourir la ville, et prenez par
écrit le nom de tous mes seigneurs jusqu'au dernier. » Et comme ils ne comprenaient pas, il ajouta
« Ceux que vous appelez pauvres et mendiants, je les proclame seigneurs et auxiliaires, car ce sont eux qui pourront véritablement nous aider et nous donner: le royaume du ciel. » Dans le but de porter les hommes à pratiquer l’aumône, il avait coutume de raconter que les pauvres, une fois, en se réchauffant au soleil, se mirent à parler entre eux de ceux qui leur faisaient l’aumône, louant les bons et méprisant les méchants. Il y avait donc un receveur des impôts, nommé Pierre, qui était fort riche et jouissait d'une grande autorité, mais d'une dureté extrême envers les Pauvres, car il repoussait avec une excessive indignation ceux qui s'approchaient de sa maison. Or, comme il s'était trouvé que pas un d'eux n'avait reçu l’aumône chez lui, il y en eut un qui dit : « Que voulez-vous me donner, si moi-même aujourd'hui, je reçois une aumône de ses mains ? » Et après en avoir fait le pari entre eux, il vint à la maison de Pierre demander l’aumône. Or, celui-ci, rentrant chez soi, vit le pauvre à sa porte, au moment qu'un de ses serviteurs apportait dans sa maison des pains de première qualité : le riche, ne trouvant pas de pierre, saisit un pain et le jeta sur-le pauvre avec fureur ; celui-ci s'en saisit aussitôt, et revint trouver ses compagnons en leur montrant l’aumône qu'il avait reçue de la main du receveur. Deux jours après, celui-ci fut pris d'une maladie mortelle, et il se vit conduit au jugement. Or, il y avait des Maures qui pesaient ses mauvaises actions dans le plateau d'une balance ; du côté de l’autre plateau, se trouvaient debout d'autres personnes habillées de blanc pleines de tristesse de ce qu'elles ne savaient où trouver :quoi que ce soit à mettre en contre-poids. Alors l’une d'elles dit: « Vraiment nous n'avons rien qu'un pain de fleur de farine qu'il a donné par force à J.-C. il y à deux jours. » Quand ils l’eurent mis dans la balance, il lui sembla que l’équilibre s'établissait et elles lui dirent : « Ajoute, à ce pain de froment, autrement les Maures t'emporteront. » A son réveil, Pierre se trouva délivré et dit : « Ha ! si un seul pain' que j'ai jeté par colère, m’a tant valu, quel avantage retirer en donnant tous ses biens aux indigents! » Un jour donc que, revêtu de vêtements de grand,prix, il allait dans la rue, un homme qui avait fait naufrage lui demanda quelque habillement. Tout aussitôt il se dépouilla de son vêtement précieux et le lui donna. Le naufragé le prit et alla le vendre. Or, en rentrant cirez lui, le receveur, qui vit son vêtement suspendu à sa place, fut saisi de tristesse, au point de ne vouloir pas prendre de nourriture : « C'est, dit-il, parée que je n'ai pas été digne que ce pauvre eût eu un souvenir de moi. » Mais pendant son sommeil, il vit un personnage plus brillant que le soleil, avec une croix sur la tète, portant sur lui le vêtement qu'il avait donné au pauvre, lui disant : « Qu'as-tu à pleurer, Pierre ? » Celui-ci lui ayant raconté- la cause de sa tristesse, le personnage ajouta. « Reconnais-tu ceci ? » « Oui, Seigneur, répondit-il. » Et le Seigneur lui dit : « Je l’ai porté depuis que tu me l’as donné; et je te remercie de ta bonne volonté, parce que j'étais gelé de froid et tu m’as revêtu. » Etant donc revenu à lui, il commença à faire du bien aux pauvres : « Vive le Seigneur ! disait-il, je ne mourrai point que je ne sois devenu l’un d'eux. » Il donna donc tout ce qu'il
possédait aux pauvres, fit venir son notaire et lui dit: « Je veux te confier un secret ; que si tu le divulgues, ou si tu ne consens pas à ce que je te vais dire, je te vendrai aux barbares. » Et en lui donnant dix livres d'or, il ajouta : « Va à la ville sainte, achète-toi des marchandises, vends-moi à quelque chrétien et puis distribue le prix aux pauvres. » Or, comme le notaire s'y refusait, il ajouta : «Si tu ne m’obéis pas, je te vendrai aux barbares. » Alors celui-ci l’emmena, comme il avait été dit, le couvrit de haillons, le vendit comme un de ses esclaves, et donna aux pauvres trente pièces de monnaie, prix de son marché. Or, Pierre s'acquittait des plus vils emplois, en sorte qu'il était l’objet du mépris général. Les autres esclaves le battaient à chaque instant, et on en était venu à le traiter de fou. Mais le Seigneur lui apparaissait souvent et le consolait en lui montrant ses vêtements et les trente deniers. Cependant l’empereur et tout le monde étaient dans la douleur d'avoir perdu un homme si recommandable, quand plusieurs de ses voisins, qui passèrent par Constantinople pour aller visiter les saints lieux, furent invités à table par son maître. Ils se disaient les uns aux autres à l’oreille : « Comme cet esclave ressemble au seigneur Pierre le receveur, » et l’un. d'eux dit aux autres qui l’examinaient avec curiosité: « Vraiment, c'est bien le seigneur Pierre, je vais me lever et le saisir. » Pierre s'en étant avisé, s'enfuit en cachette. Or, le portier était sourd et muet, et un signe devenait nécessaire pour qu'il ouvrît la porte; Pierre lui demanda, non par signes, mais de vive voix, de. lui ouvrir. A l’instant, le portier recouvre l’ouïe et la parole, et ouvre en lui répondant ; puis il rentre aussitôt dans la maison et dit à tous ceux qui étaient émerveillés de l’entendre : « Celui qui faisait la cuisine est sorti et a pris la fuite : mais prenez garde; c'est un serviteur de Dieu ; car lorsqu'il m’a dit
« Ouvre, te dis je, » tout à coup de sa bouche est sortie une flamme qui a touché ma langue et mes oreilles et à l’instant j'ai recouvré l’ouïe et la parole. » Tous sortirent pour courir après lui, mais il était trop tard pour pouvoir le trouver. Alors les gens de la maison firent pénitence d'avoir traité si indignement un homme si recommandable.
Un moine, nommé Vitalis, voulut éprouver si saint Jean se laissait influencer par les mauvais propos et s'il se scandalisait facilement. Il alla donc dans la ville et inscrivit sur une liste toutes les femmes de mauvaise vie. Or, il entrait chez elles successivement et disait à chacune : « Donnez-moi cette nuit et ne forniquez pas. » Pour lui, à peine entré, il se retirait dans.,un coin, se mettait à genoux, passait toute la nuit en oraison, et priait pour la femme; le matin, il sortait en recommandant à chacune,de ne révéler cela à qui que ce fût. Cependant, une d'elles dévoila sa manière d'agir, mais aussitôt, à la prière du vieillard, elle fut tourmentée, par le démon. Tous lui dirent: « Tu as reçu de Dieu ce que tu méritais pour avoir menti, car c'est pour forniquer que ce scélérat entre chez toi, ce n'est pas pour un autre motif. » Lorsque le soir était venu, Vitalis disait à tous ceux qui voulaient l’entendre : « Je veux m’en aller, car telle femme m’attend. » Beaucoup de personnes lui faisaient un crime de sa conduite, mais il leur répondait: « N'ai-je pas un corps comme tout le inonde? Est-ce que Dieu se fâcherait seulement contre les moines ? Et eux aussi, ils sont véritablement des hommes comme les autres. » Quelques-uns lui
disaient: « Révérend Père, prenez une femme, et changez d'habit, afin de ne point scandaliser le monde. » Alors il feignait d'être en colère et répondait : « Mais vraiment, je n'ai que faire de vous écouter ; allez-vous-en. Que celui qui veut se scandaliser, se scandalise et qu'il se brise le front contre la muraille. Dieu vous a donc établis mes juges ? Allez, et mêlez-vous de vos affaires ; vous ne répondrez pas pour moi. » Or il disait cela tout haut. Et lorsqu'on s'en plaignit a saint Jean, Dieu lui endurcit le coeur pour n'ajouter pas foi à ces récits. Mais Vitalis priait Dieu, qu'après sa mort, ses actions fussent révélées à quelqu'un, afin qu'elles ne fussent pas, imputées à péché à ceux qui s'en scandalisaient. Or, il amena beaucoup de ces femmes à se convertir et il en plaça plusieurs dans un monastère. Un matin qu'il sortait de chez une d'entre elles, il se rencontra avec quelqu'un qui entrait pour forniquer avec elle, et qui lui donna un soufflet en disant: « Scélérat, quand te corrigeras-tu de tes infâmes désordres? » Et il répondit: « Crois-moi, je te rendrai un tel soufflet que je ferai rassembler tout Alexandrie. » Et voici que presque aussitôt le diable; sous la forme d'un Maure, lui donne un soufflet en disant : « C'est le soufflet que t'adresse l’abbé Vitalis: » A l’instant, il est tourmenté par le démon, au point qu'à ses cris tout le monde accourait ; cependant, il fit pénitence et fut délivré à la prière de Vitalis. Quand cet homme de Dieu fut arrivé à l’article de la mort, il laissa ces mots par écrit : « Ne jugez pas avant le temps. » Or, quand toutes les femmes déclarèrent comment il agissait, tous louaient Dieu, avec saint Jean qui disait le premier : « J'aurais reçu moi-même le soufflet que cet autre a reçu. »
Un pauvre, en habit de pèlerin, vint demander l’aumône à saint Jean, qui appela son trésorier et lui dit: « Donnez-lui six pièces. » A peine le pèlerin les eut-il reçues qu'il s'en alla, changea d'habits et vint encore une fois demander l’aumône à l’évêque. Celui-ci dit à son trésorier qu'il manda : « Donnez-lui six pièces d'or. » Et quand il les lui eut données et que le pauvre fut éloigné, son trésorier lui dit : « Comme vous m’en avez prié Père, cet homme, après avoir changé d'habits, a reçu aujourd'hui double aumône.» Or, le bienheureux Jean fit comme s'il n'en savait rien. Une troisième fois, le pèlerin changea encore d'habit, vint trouver saint Jean et lui demanda l’aumône. Alors le trésorier toucha le saint pour lui faire signe que. c'était encore le même. Jean répondit : « Allez lui donner douze pièces, de peur que ce ne soit mon Seigneur J.-C. qui veut m’éprouver et savoir s'il se fatiguera plutôt de demander que moi de donner. » Une fois un seigneur voulait employer eh achat de marchandises une somme d'argent appartenant à l’Église, et le saint n'y voulait absolument pas consentir, dans l’intention de la donner aux pauvres. Après bien des contestations, ils se quittèrent irrités l’un contre l’autre. La neuvième heure étant arrivée, le patriarche envoya dire à ce seigneur par son archiprêtre : « Seigneur, le soleil vase coucher. » En entendant cela, celui-ci, ému jusqu'aux larmes, vint le trouver pour lui faire ses excuses.
Son neveu avait reçu une grave injure d'un marchand et s'en plaignait avec larmes au patriarche sans pouvoir se consoler. Le patriarche répondit : « Et comment avoir eu l’audace de te contredire et d'avoir ouvert la bouche contre toi ? Crois, mon fils, à mon
indignité, crois que je lui ferai telle chose que tout Alexandrie en sera étonnée. » En entendant ces paroles, le, neveu fut consolé dans la pensée que son oncle ferait fouetter durement ,le marchand. Jean, le voyant consolé, le serra contre son coeur en disant : Mon fils, si tu es vraiment le neveu de mon humilité, apprête-toi à être flagellé et à souffrir les insultes des hommes. La vraie parenté n'est pas dans le sang ni. la chair, mais elle se reconnaît à la force du caractère. » A l’instant, le neveu envoya chez le marchand et le tint quitte de toute amende et compensation. Cette bonne oeuvre excita l’admiration générale et-on comprit ce qu'avait dit le saint: « Je ferai de lui telle chose que tout Alexandrie en sera étonnée. » Le patriarche apprit que, après le couronnement de l’empereur, c'était la coutume que les ouvriers en monuments prissent quatre ou cinq petits morceaux de marbre de différente couleur et vinssent trouver l’empereur en lui demandant de quel marbre ou de quel métal Sa Majesté voulait qu'on fît son monument funéraire. Saint Jean imita cette coutume et commanda de lui construire son tombeau, mais il voulut qu'il restât inachevé jusqu'à sa mort; et il donna commission à ceux qui l’approchaient dans les grandes cérémonies, des jours de fête de lui dire : « Seigneur, votre tombeau n'est as terminé, faites-le achever, car vous ne savez pas à quelle heure doit venir le larron. »
Ayant remarqué que le bienheureux Jean n'avait que vils lambeaux pour lit, parce qu'il s'était dépouillé pour les, pauvres, un homme riche acheta une couverture de grand prix et la- lui envoya. Comme il s'en était couvert la nuit, il ne put jamais dormir en pensant que trois cents de ses seigneurs pourraient se couvrir avec le prix qu'avait coûté cette courtepointe. Il passa la nuit entière à se lamenter en disant : « Combien de gens qui n'ont pas soupé, combien de gens percés par la pluie sur la place publique, combien dont les dents claquent de froid, se sont couchés pour dormir aujourd'hui, et toi, tu dévores les gros poissons, tu te reposes dans un beau lit avec tous tes péchés ; et tu te réchauffes sous une couverture de trente-six pièces d'argent ! Le pécheur Jean ne s'en couvrira plus une autre fois ! » Et, dès le matin, il la fit vendre et en donna l’argent aux pauvres. Le riche l’ayant su, acheta la même couverture une seconde fois, et la donna au bienheureux Jean avec prière de ne plus la vendre à l’avenir et de la garder pour son usage. Mais celui-ci la fit vendre de nouveau et en donna le prix à ses seigneurs. Le riche alla encore une fois la racheter, la porta chez le bienheureux Jean et lui, dit avec l’expression du bonheur: « Nous verrons qui se lassera, vous de la vendre, ou moi de la racheter. » Il s'en tirait agréablement avec le riche en disant que fon peut, avec l’intention de faire l’aumône, dépouiller les riches de cette manière, et ne pas pécher. C'est gagner deux fois : la première en sauvant leurs âmes, la seconde en leur procurant par là une large récompense. Pour exciter à faire l’aumône, il avait la coutume de raconter que saint Sérapion venait de donner son manteau à un pauvre quand il s'en présenta un autre qui gelait de froid ; il lui donna encore sa tunique, puis il s'assit tout nu en tenant le livre de l’Evangile. Quelqu'un lui demanda : « Père, qui donc vous a dépouillé? » « Voici, dit-il en montrant l’Évangile, celui qui m’a dépouillé. » Ailleurs, il vit' un autre pauvre, vendit
l’Evangéliaire même et en donna le prix au pauvre. Comme on lui demandait où il en aurait un autre, il répondit : « Voilà ce que commande l’Évangile : « Allez; vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres ». J'avais l’Évangile lui-même, je l’ai vendu, ainsi qu'il le recommandait. »
Le bienheureux Jean fit donner cinq deniers à un mendiant qui, indigné de n'avoir pas reçu davantage, se mit à dire du mal de lui et à l’insulter en sa présence. Les gens du saint, témoins de cette scène, voulurent se jeter sur le mendiant et le maltraiter; le bienheureux Jean s'y opposa absolument. « Laissez, dit-il, mes frères, laissez-le me maudire. Voici que j'ai soixante ans pendant lesquels j'ai outragé J.-C. par mes oeuvres, et je ne pourrais pas supporter une injure de cet homme! » Il fit apporter sa bourse devant lui pour lui laisser prendre ce qu'il voulait. Après la lecture de l’Évangile, le peuple sortait de l’église, et restait dehors à dire des paroles oiseuses ; une fois, après l’évangile, le Patriarche sortit et s'assit au milieu de la foule. Tout le monde,en fut surpris: « Mes enfants, dit-il alors, où sont les brebis, là est le pasteur, ou bien entrez donc et j'entrerai avec vous, ou bien demeurez ici et j'y resterai aussi. » Il fit cela une ou deux fois, et il apprit ainsi au peuple à rester dans l’église. Un jeune, homme avait enlevé une religieuse et les clercs blâmaient cette action devant le bienheureux Jean, en disant qu'il méritait d'être excommunié parce qu'il perdait deux âmes, la sienne et celle de la religieuse. Le bienheureux Jean les calma en disant : « Ce n'est pas cela, mes enfants, ce n'est pas cela. Permettez que je vous montre que vous commettez, vous, deux péchés ; le premier, en allant contre le précepte du Seigneur qui dit : « Ne jugez point et vous ne serez pas jugés» : le second, parce que vous n'êtes pas certains s'ils continuent de pécher encore aujourd'hui et s'ils ne se repentent point. » Le bienheureux Jean, dans ses prières et dans ses extases, fut entendu en discussion avec Dieu et disant ces paroles : « Oui, oui, bon Jésus, nous verrons qui l’emportera de moi qui donnerai ou de vous qui me fournissez de quoi donner. » Saisi par la fièvre et se voyant près de mourir, il dit : « Je vous remercié, ô mon Dieu, d'avoir exaucé ma misère qui priait votre bonté qu'on ne trouvât qu'une seule obole à ma mort. Je veux qu'on la donne aux pauvres. » On plaça son corps vénérable dans un sépulcre où avaient été inhumés les corps de deux évêques, et ces corps se reculèrent miraculeusement pour laisser la place du milieu d'eux au bienheureux Jean. Quelques jours avant sa mort, une femme, qui avait commis un péché énorme, n'osait s'en confesser à personne : saint Jean lui dit qu'au moins, elle l’écrivît (car elle savait écrire), lui apportât le pli scellé, et qu'il prierait pour elle. Elle y consentit, et après avoir écrit son péché, elle le scella avec soin et le remit à saint Jean. Mais peu de jours après, saint Jean tomba malade et passa au Seigneur. Aussitôt que la femme apprit sa mort, elle se crut déshonorée et perdue, dans la conviction qu'il avait confié son écrit à quelqu'un et qu'il était passé entre les mains d'un tiers. Elle va au tombeau de saint Jean et là elle répand un torrent de larmes en criant: « Hélas! Hélas ! en pensant éviter la confusion, je suis
devenue une confusion à l’esprit de tous.» Or, comme elle pleurait très amèrement et qu'elle priait saint Jean de lui- indiquer où il avait déposé son écrit, voilà que saint Jean sortit en habits pontificaux de, son cercueil, ayant à ses côtés les deux évêques qui reposaient avec lui, et qui dit à la femme: « Pourquoi nous importuner de la sorte et pourquoi ne pas nous laisser en repos moi et les saints qui sont avec moi ? Voici que nos ornements sont tout mouillés de tes larmes. » Et il lui remit son écrit scellé comme il était précédemment, en lui disant : « Vois ce sceau, ouvre ton écrit et lis. » En l’ouvrant, elle trouva son péché entièrement effacé ; et elle lut ces mots écrits à la place : « A cause de Jean, mon serviteur, ton péché est effacé. » Ainsi elle remercia beaucoup Dieu; et le bienheureux Jean rentra dans son tombeau avec les autres évêques. Il mourut environ vers l’an du Seigneur , au temps de l’empereur Phocas.
LA CONVERSION DE SAINT PAUL, APÔTRE
La conversion de saint Paul eut lieu l’année même que J.-C fut crucifié et que saint Etienne fut lapidé, non pas dans l’année, selon la manière ordinaire de compter, mais dans l’intervalle d'une année; car J.-C. fut crucifié le 8 avant les calendes d'avril (25 mars), saint Étienne fut lapidé le 3 août de la même année et saint Paul fut converti le 8 avant les calendes de février (25 janvier). Maintenant pourquoi célèbre-t-on sa conversion plutôt que celle des autres saints : on en assigne ordinairement trois raisons. La première pour l’exemple ; afin que personne, quelque grand pécheur qu'il soit, ne désespère de son pardon, quand il verra celui qui a été si coupable dans sa faute, devenir dans la suite si grand parla grâce. La seconde pour la joie; car autant l’Église à ressenti de tristesse à cause de sa persécution, autant elle reçoit d'allégresse à cause de sa conversion. La troisième pour le miracle que le Seigneur manifesta en lui; quand du plus barbare persécuteur il fit le plus fidèle prédicateur. En effet, sa conversion fut miraculeuse du côté de celui qui l’a faite, du côté de ce qui l’y a disposé, et du côté de celui qui en est le sujet. Celui qui fit cette conversion, c'est J.-C. ; en cela il montra: 1° son admirable puissance, quand il lui dit: « Il vous est dur de regimber contre l’aiguillon; » et quand il le changea si subitement, ce qui lui fit alors répondre: «Seigneur, que voulez-vous que je fasse? » Sur ces paroles saint Augustin s'écrie : «L'agneau tué par les loups a changé le loup en agneau, déjà il se prépare à obéir, celui qui auparavant était rempli de la fureur de persécuter; » 2° il manifesta en cela son admirable sagesse ; car il abattit l’enflure de son orgueil, en lui inspirant les bassesses de l’humilité, mais non les splendeurs de la majesté. « C'est moi, dit-il qui suis ce Jésus de Nazareth que tu persécutés. » La glose ajoute : « Il ne dit pas qu'il est Dieu, ou même le Fils de Dieu, mais : accepte les bassesses de mon humilité et dépouille-toi des écailles dont te couvre ton orgueil. » 3° Il lui témoigne une clémence extraordinaire; ce qui est évident puisque, au moment où Paul était dans l’acte
et dans la volonté de persécuter, Dieu opère sa conversion. En effet, quoique avec une affection désordonnée; puisqu'il ne respirait que menaces et carnage, quoique se livrant à des essais criminels, puisqu'il vint trouver le grand' prêtre, comme s'il s'immisçait de
lui-même en cela, quoique dans le fait même d'un acte coupable, puisqu'il allait chercher les prisonniers pour les amener à Jérusalem, et qu'ainsi le but de sa démarche fut détestable, cependant ce pécheur-là même est converti par la divine miséricorde. Secondement, cette conversion fut miraculeuse du côté de ce qui l’y disposa, savoir, la lumière. En effet, cette lumière fut subite, immense, et venant du ciel : « Et il fut tout d'un coup environné d'une lumière qui venait du ciel, » dit l’Ecriture (Actes, IX). Car Paul avait en lui trois vices : le premier, c'était l’audace; ces paroles des Actes en font foi : « Il vint trouver le grand prêtre » et la glose porte: « Personne ne l’y avait engagé, c'est de lui-même, c'est son zèle qui le pousse. » Le second, c'est l’orgueil ; et on en a la preuve par ces paroles: « Il ne respirait que menaces et carnage. » Le troisième, c'était l’intelligence charnelle qu'il avait de la loi. Ce qui fait dire à la glose sur ces paroles : « Je suis Jésus. Je suis le Dieu du ciel ; c'est ce Dieu qui te parle, ce Dieu que tu crois, comme les juifs, avoir éprouvé la mort. » Donc cette lumière divine fut subite, pour frapper d'épouvante cet audacieux; elle fut immense, pour abîmer ce hautain, ce superbe, dans les profondeurs de l’humilité : elle vint du ciel pour rendre céleste cette intelligence charnelle. Ou bien encore, trois moyens disposèrent ce prodige : 1° la voix qui appelle; 2° la lumière qui brille et 3° la force toute puissante. Troisièmement, cette conversion fut miraculeuse du côté de celui qui en est le sujet, c'est-à-dire, du côté de Paul lui-même qui fut converti. Dans sa personne, il y eut trois miracles: opérés extérieurement son renversement, et son aveuglement, et son jeûne de: trois jours, car il est renversé, pour être relevé de cet état d'infirmité où il gisait. Saint Augustin dit : « Paul fut renversé pour être aveugle; il fut aveuglé pour être changé ;,il fut changé pour être envoyé ; il fut envoyé pour que la vérité se fît jour.» Le même père dit encore : « Le cruel fut écrasé et devint croyant ; le loup fut abattu et il se releva agneau le persécuteur fut renversé et il devint prédicateur; le fils de perdition fut brisé et il est changé en un vase d'élection. Il est aveuglé pour être éclairé, dans son intelligence pleine de ténèbres. » Aussi est-il dit que, pendant ces trois jours, il resta aveugle, parce qu'il fut instruit de l’Evangile. En effet il n'a pas reçu l’Evangile de la bouche d'un homme, ni par le moyen de l’homme; il l’assure lui-même; mais il l’a reçu de J.-C. même qui le lui révéla. Augustin dit ailleurs : « Paul, je te proclame le véritable athlète de J.-C. qui l’a instruit, qui l'a oint de sa substance avec lequel il a été crucifié; et qui se glorifie en lui. II eut sa chair meurtrie, pour que cette même chair fût disposée à embrasser les généreux desseins: En effet, dans la suite, son corps fut parfaitement apte à toutes sortes de bonnes oeuvres; car il savait vivre et dans la pénurie et dans, l’abondance; il avait éprouvé de tout, et il supportait volontiers toutes les adversités. Saint Chrysostome dit: « Il regardait comme des moucherons les tyrans et les peuples qui ne respiraient. que la fureur; la mort, les tourments, et des milliers de supplices, il les prenait pour jeux d'enfants. Il les accueillait de son plein gré, et il retirait plus de gloire des
chaînes dont il était lié, que s'il eût été couronné de précieux diadèmes. Il recevait les blessures avec plus de bonne grâce que les autres ne reçoivent les présents. » Ou bien encore ces trois états peuvent être opposés aux trois autres états de notre premier père. Celui-ci se leva contre Dieu; saint Paul au contraire fut renversé par terre. Les yeux d'Adam furent ouverts; saint Paul au contraire devint aveugle. Adam mangea du fruit défendu, saint Paul s'abstint de manger une nourriture légale.
SAINTE PAULE *
* Saint Jérôme.
Paule fut une très noble dame de Rome, dont saint Jérôme a écrit la vie en ces termes : « Si toutes les parties de mon corps étaient converties en autant de langues et que chacune d'elles pût former une voix humaine, je ne pourrais rien dire qui approchât des vertus de la sainte et vénérable Paule. Illustre de race, mais beaucoup plus noble par sa sainteté puissante en richesses, mais elle l’est maintenant bien davantage, de ce qu'elle a voulu être pauvre pour J.-C. Je prends à témoin J.-C. et ses saints anges, nommément son ange gardien et compagnon de cette admirable femme, , que je ne dis rien par flatterie ou par exagération, mais par pure vérité, reconnaissant que tout ce que j'en bourrai dire est au-dessous de ses mérites. Le lecteur veut apprendre en peu de paroles quelles furent ses vertus ; elle laissa tous les siens pauvres, étant elle-même encore plus pauvre. Entre toutes les pierres précieuses elle brille comme une perle inestimable ; et comme l’éclat du soleil éteint et obscurcit la lueur des étoiles, de même elle surpasse les vertus de tous par son humilité, se rendant la moindre de toutes, pour devenir la plus grande ; à mesure qu'elle s'abaissait, J.-C. l’élevait. Elle se, cachait et ne pouvait être cachée: elle fuyait la vaine gloire et elle mérita la gloire,. parce que la gloire fuit la vertu comme l’ombre, et en méprisant ceux qui la cherchent, elle cherche ceux qui la méprisent. Elle eut cinq enfants : Blésille, sur la mort de laquelle je l’ai consolée à Rome ; Pauline, qui laissa pour héritier de ses biens et de. ses résolutions son saint et admirable mari Pammache, auquel j'ai adressé un petit livre sui le sujet de sa perte ; Eustochie, qui demeure encore aujourd'hui dans les saints lieux et est par sa virginité un ornement précieux de l’Église; Rufine, qui, par sa mort prématurée, accabla de douleur l’ami si tendre de sa mère, et Toxoce, après la naissance duquel elle cessa d'avoir des enfants; ce qui témoigne qu'elle n'en avait désiré que pour plaire à son mari qui souhaitait d'avoir des enfants mâles. Après que son mari fut mort, elle le pleura tant qu'elle pensa perdre la vie, et elle se donna de telle sorte au service de Dieu qu'on aurait pu croire qu'elle aurait désiré d'être veuve.
Dirai-je qu'elle distribua aux pauvres presque toutes les richesses d'une aussi grande et aussi noble et aussi riche maison qu'était la sienne ? Enflammée par les vertus de saint
Paulin, évêque d'Antioche, et d'Epiphane, qui étaient venus à Rome, elle pensait par moments à quitter son pays. Mais pourquoi différer davantage à le dire ? Elle, descendit sur le port; son frère, ses cousins, ses proches et ce qui est beaucoup plus que tout le reste, ses enfants qui l’accompagnaient et s'efforçaient de vaincre cette mère si tendre. Déjà on déployait les voiles,: et à force de rames, on tirait le vaisseau dans la mer; le petit Toxoce lui tendait les mains sur le rivage; Rufine, prête à marier, la priait d'attendre ses noces, sans proférer une parole, mais toute en pleurs; mais Paule, élevant les yeux au ciel sans verser une larme, surmontait, par son amour pour Dieu, l’amour qu'elle avait pour ses enfants. Elle oubliait qu'elle était mère pour témoigner qu'elle était servante de J.-C. Ses entrailles étaient déchirées, et elle combattait contre une douleur qui n'était pas moindre que si on lui eût arraché le coeur. Une foi accomplie souffre. cela contre les: lois de la nature; mais il y a plus encore; son coeur plein de joie le désire, et méprisant l’amour de ses enfants par un amour plus grand pour Dieu, elle ne trouvait de soulagement que dans Eustochie qu'elle avait pour compagne dans ses desseins et dans son voyage. Cependant le vaisseau sillonnait la mer, et tous ceux qui le montaient regardaient le rivage ; elle en détourna les yeux pour n'y point voir ce qu'elle ne pouvait voir sans douleur. Etant arrivée aux lieux de la terre sainte, et le proconsul de la Palestine, qui connaissait parfaitement sa famille, ayant envoyé des appariteurs pour lui préparer un palais, elle choisit une humble cellule. Elle parcourait tous les endroits où J.-C. avait laissé des traces de son passage, avec tant de zèle et de soin, qu'elle ne pouvait s'arracher de ceux où elle était que pour se hâter d'aller aux autres. Elle se prosterna devant la croix comme si elle y eût vu le Seigneur attaché. Entrant dans le sépulcre, elle baisait la pierre de la résurrection que l’ange avait ôtée de l’entrée du monument, et le lieu où avait reposé le corps du Sauveur, elle le léchait de ses lèvres comme si elle eût été altérée des eaux salutaires de la foi. Ce qu'elle y répandit de larmes, quels furent ses: gémissements et sa douleur, tout Jérusalem en a été témoin; le Seigneur qu'elle priait en est témoin lui-même. De là elle alla à Bethléem, et étant entrée dans l’étable du Sauveur, elle vit la maison sacrée de la vierge, et jurait,en ma présence, qu'elle voyait, des yeux de la foi, l’enfant enveloppé de langes, qui pleurait dans la crèche, les mages adorant le Seigneur, l’étoile qui brillait au-dessus, la vierge mère, le père nourricier aux petits soins, les bergers qui venaient la nuit pour voir le Verbe qui s'était incarné, comme s'ils récitaient; le commencement de l’Évangile de saint Jean : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe s'est fait chair. Elle voyait les enfants égorgés, Hérode en fureur; Joseph et Marie fuyant en Egypte, et elle s'écriait avec une joie mêlée de larmes : « Salut, Bethléem, maison de pain, où est né le pain descendu du ciel; salut, terre d'Ephrata, région fertile, dont Dieu lui-même est la fertilité. David à pu dire avec confiance (Ps. CXXXI) : «Nous entrerons dans son tabernacle, nous l’adorerons dans le lieu où il a posé ses pieds, et moi, misérable pécheresse, j'ai été jugée digne de baiser la crèche où le Seigneur a pleuré tout petit. C'est le lieu de mon repos, parce que c'est la patrie de mon Seigneur, j'y habiterai puisque mon Seigneur l’a choisie.
Elle s'abaissa à un tel point d'humilité que celui qui l’aurait vue et qui aurait été témoin de sa grandeur n'aurait pu la reconnaître, mais l’aurait prisé pour la dernière des servantes, lorsque, entourée d'une multitude de vierges, elle était la dernière de toutes, en ses habits, en ses 'paroles, en sa démarche. Depuis la mort de son mari, jusqu'à son dernier jour, elle ne mangea avec aucun homme, quelque saint qu'il fût, et quand bien même elle eût su qu'il était élevé à la dignité épiscopale. Elle n'alla aux bains qu'en l’état de maladie; elle n'avait un lit assez doux que quand elle avait de fortes fièvres, mais elle reposait: sur un cilice étendu sur la terre dure; si toutefois on peut appeler repos, joindre les nuits aux jours pour les passer dans des oraisons presque continuelles. Elle pleurait de telle sorte pour des fautes légères qu'on eût estimé qu'elle avait commis les plus grands crimes. Lorsque nous lui représentions qu'elle devait épargner sa vue et la conserver pour lire l’Écriture sainte, elle nous répondait : « Il faut défigurer ce visage que j'ai si. souvent peint avec; du vermillon, de la céruse et du noir contre le commandement de Dieu. Il faut affliger ce corps qui a été dans tant de délices; il faut que des ris et des joies qui ont si longtemps duré soient compensés: par des larmes continuelles. Il faut changer en l’âpreté du cilice la délicatesse de ce beau linge et la magnificence de ces riches étoffes de soie; et comme j'ai plu à mon mari et, au monde, je désire maintenant plaire à J.-C. » Entre tant et de si grandes vertus, il me semble superflu de louer sa chasteté, qui lors même- qu'elle était dans le siècle, a servi d'exemple à toutes les damés de Rome, sa conduite ayant été telle que lés plus médisants n'ont osé rien inventer pour la blâmer. Je confesse ma faute en ce que lui voyant faire des charités avec profusion, je l’en reprenais, et lui alléguais le passage de l’apôtre (I Cor., VIII). « Vous ne devez pas donner de telle sorte qu'en soulageant les autres, vous vous incommodiez vous-même; mais il faut garder quelque mesure, afin que comme maintenant votre abondance supplée à leur nécessité, votre nécessité puisse être un jour soulagée par leur abondance. » J'ajoutai qu'il faut prendre garde à ne se mettre pas dans l’impuissance de pouvoir toujours faire le bien qu'elle faisait de si bon coeur. A quoi joignant plusieurs autres choses semblables, elle me répondait en fort peu de paroles et avec grande modestie, prenant le Seigneur à témoin qu'elle ne faisait rien que pour l’amour qu'elle ressentait pour lui; qu'elle souhaitait de mourir en demandant l’aumône, en sorte de ne laisser pas une obole à sa fille et d'être ensevelie dans un drap qui ne lui appartînt pas. Elle ajoutait pour dernière raison : si je suis réduite à demander, je trouverai plusieurs personnes qui me donneront; mais sucé pauvre meurt de faim faute de recevoir de moi ce que je lui puis aisément donner en l’empruntant, à qui demandera-t-on compte de sa vie? Elle ne voulait point. employer d'argent en ces pierres qui passeront avec la terre et le siècle, mais en ces pierres vivantes qui marchent sur la terre, et dont l’Apocalypse dit que la ville du grand roi est bâtie. A peine mangeait-elle de l’huile, excepté les jours de fête, ce qui fait assez connaître quel pouvait être son sentiment touchant le vin, les autres liqueurs délicates, le poisson, le lait, le miel, les neufs et autres choses semblables qui sont agréables au goût et dans l’usage desquelles quelques-uns s'estiment fort sobres; et s'en pouvoir soûler sans avoir sujet de
craindre que cela fasse tort à leur continence. J'ai connu un méchant homme, un de ces envieux cachés qui sont la pire espèce de personnes, qui lui vint dire, sous prétexte d'affection, que son extraordinaire ferveur, la faisait passer pour folle dans l’esprit de quelques-uns et qu'il lui fallait fortifier le cerveau, et elle lui répondit (I Cor., IV) : « Nous sommes exposés à la vue du mondé, des anges et des hommes; nous sommes devenus fous pour J.-C., mais la folie de ceux qui sont à Dieu surpassé toute la sagesse humaine. » Après avoir bâti un monastère d'hommes dont elle donna la conduite à des hommes, elle partagea en trois autres monastères plusieurs. vierges tant nobles que de moyenne et de basse condition qu'elle avait rassemblées de diverses provinces; et elle les disposa de telle sorte que ces trois monastères étant séparés en ce qui était des ouvrages et du manger, elles psalmodiaient et priaient toutes ensemble. Si quelques-unes contestaient ensemble, elle les accordait par l’extrême douceur de ses paroles. Elle affaiblissait par des jeûnes fréquents et redoublés les corps de ces jeunes filles, qui avaient besoin de mortification, préférant la santé de leur esprit à celle de leur estomac : elle disait que la propreté excessive du corps et des habits était la saleté de l’âme et que ce qui passe pour une faute légère et comme une chose de néant parmi les personnes du siècle, est un très grand péché dans un monastère. Bien qu'elle donnât à celles qui étaient souffrantes toutes choses en abondance et leur fît même manger de la viande, s'il arrivait qu'elle tombât malade, elle n'avait pas pour elle-même une égale indulgence et péchait contre l’égalité en ce qu'elle était aussi dure envers elle que pleine de clémence envers les autres. Je rapporterai ici un fait dont j'ai été le témoin. Durant un été très chaud, elle tomba malade au mois de juillet d'une fièvre fort violente et lorsqu'après qu'on eut désespéré de sa vie, elle commença à sentir quelque soulagement, les médecins l’exhortant à boire un peu de vin d'autant qu'ils le jugeaient nécessaire pour la fortifier et empêcher qu'en buvant de l’eau elle ne devînt hydropique, et moi, de mon côté, ayant prié en secret le bienheureux évêque Épiphane de le lui persuader et même de l’y obliger; comme elle était très clairvoyante et avait l’esprit fort pénétrant, elle, se douta aussitôt de la ruse que j'avais employée et me dit en souriant que le discours qu'il lui avait tenu venait de moi. Lorsque le saint évêque sortit après l’avoir longtemps exhortée, je lui demandai ce qu'il avait fait; et il me répondit : « J'ai si bien réussi qu'elle a presque persuadé à un homme de mon âge de ne point boire de vin.» Elle était très tendre en la perte de ceux qu'elle aimait, se laissant abattre à l’affliction de la mort de ses proches et particulièrement de ses enfants; comme il parut en celle de son mari et de ses filles, qui la mirent au hasard de sa vie : car bien qu'elle fît le signe de la croix sur sa bouche et sur son. estomac pour tâcher d'adoucir par cette impression sainte la douleur qu'elle ressentait comme femme et comme mère, son affection demeurait la maîtresse et ses entrailles étant déchirées, elles accablaient la force de son esprit par la violence de leurs sentiments. Ainsi son âme se trouvait en même temps et victorieuse par sa piété et vaincue par, l’infirmité de son corps. Elle savait par coeur l’Écriture sainte; et bien qu'elle en aimât l’histoire, à cause qu'elle disait que c'était le fondement de la vérité, elle s'attachait de préférence au sens spirituel; et elle s'en
servait comme du comble de l’édifice de son âme. Je dirai aussi une chose qui semblera peut-être incroyable à ses envieux. Elle désira d'apprendre la langue hébraïque, dont j'ai acquis quelque connaissance, y ayant extrêmement travaillé dès ma jeunesse et y travaillant continuellement, de peur que si je l’abandonnais, elle ne m’abandonnât aussi. Elle vint à bout de son dessein, tellement qu'elle chantait les psaumes en hébreu et le parlait sans y rien mêler de l’élocution latine, ce que nous voyons faire encore à sa sainte fille Eustochie. J'ai navigué jusqu'ici avec un vent favorable et mon vaisseau a fendu les ondes de la mer sans peine; maintenant cette narration va rencontrer des écueils, car qui pourrait raconter la mort de Paule, sans verser des larmes? Elle tomba dans une grande maladie, ou pour mieux dire, elle obtint ce qu'elle désirait, qui était de nous quitter pour s'unir parfaitement à Dieu. Mais pourquoi m’arrêtai-je et fais-je ainsi durer, encore davantage ma douleur en différant de la dire? Cette femme si prudente sentait bien qu'elle n'avait plus qu'un moment à vivre et que tout le reste de son corps était déjà saisi du froid de la mort. Son âme n'était plus retenue que par un peu de chaleur, qui se retirant dans sa poitrine sacrée, faisait que son coeur palpitait encore; et néanmoins comme si elle eût abandonné des étrangers; afin d'aller voir ses proches, elle disait ces versets entre ses dents : « Seigneur, j'ai aimé la beauté de votre maison et le lieu où réside votre gloire. Dieu des vertus, que vos tabernacles sont aimables! J'ai préféré être la dernière de tous dans la maison de mon Dieu. » Lorsque je lui demandais pourquoi elle se taisait et ne voulait pas répondre, et si elle sentait quelque douleur, elle me dit en grec : que nulle chose ne lui faisait peine et qu'elle ne voyait rien que de calme et de tranquille. Après quoi elle se tut et ayant fermé les yeux comme méprisant déjà toutes les choses humaines, elle répéta jusqu'au dernier soupir les mêmes versets, mais si bas qu'à peine les pouvions-nous entendre. Les habitants de tontes les villes de la Palestine vinrent en foule à ses funérailles. Il n'y eut point de cellule qui pût retenir les solitaires les plus cachés dans le désert, ni de vierges saintes qui pussent demeurer en leur petite retraite, parce qu'ils eussent tous cru faire. un sacrilège s'ils eussent manqué de rendre leurs devoirs à une femme si extraordinaire, jusqu'à ce que son corps eût été enterré sous l’église, tout contre la crèche de Notre-Seigneur. Sa sainte fille Eustochie qui se voyait comme sevrée de sa mère, ne pouvait souffrir qu'on la séparât d'avec elle. Elle lui baisait les yeux, elle se collait à son visage, elle la couvrait de ses embrassements et elle eût désiré être ensevelie avec sa mère. J.-C. est témoin qu'elle ne laissa pas une pièce d'argent à sa fille, mais qu'elle la laissa chargée de pauvres et d'un nombre infini de solitaires et de vierges qu'il lui était difficile de nourrir et qu'elle n'eût pu abandonner sans manquer à la piété. Adieu, Paule, assistez-moi par vos prières dans l’extrémité de ma vieillesse vous que je révère. »
SAINT JULIEN *
* Le martyrologe d'Usuard, édité à Florence en 1486; est reproduit mot à mot dans la Légende du premier Julien..
Julien pourrait venir de jubiler et ana en haut, Julianus ou Jubilianus, qui monte au ciel avec jubilation; ou bien encore de Julius, qui commence et amie, vieillard, car il fut vieux en longanimité dans le service de Dieu; mais il commença par se connaître lui-même.
Julien fut évêque du Mans. On dit que c'est Simon le lépreux que le Seigneur guérit de sa lèpre et qui invita J.-C. à dîner. Après l’ascension de N.-S, il fut ordonné évêque du Mans parles apôtres. Il fut illustre,par ses nombreuses vertus et ressuscita trois morts, après quoi il mourut en paix. On dit que c'est ce saint Julien qui est invoqué par les voyageurs, afin qu'ils
trouvent un bon gîte,: parce que c'est dans sa maison que le Seigneur fut hébergé. Mais il paraît plus certain que ce fut un autre Julien que celui-ci, savoir, celui qui tua sans le savoir son père et sa mère. Son histoire est racontée plus loin.
Il y eut un autre Julien; noble personnage de l’Auvergne, plus noble encore par sa foi et qui, poussé par le désir du martyre, s'offrit de lui-même aux persécuteurs. Crispin, personnage consulaire, envoya un de ses gens avec ordre de le tuer. A cette nouvelle Julien sortit hors de chez lui et se présenta avec intrépidité devant celui qui le cherchait et reçut incontinent le coup de la mort. On prit sa tête et on la porta à saint Ferréol, compagnon de Julien, en le menaçant de pareille mort, s'il ne sacrifiait à l’instant. Comme il ne voulait pas y consentir, on le tua et on mit dans le même tombeau la tète de saint Julien et le corps de saint Ferréol. Longtemps après, saint Mamert, évêque de Vienne, trouva le chef de saint Julien entre les mains de saint Ferréol et il était si sain et si entier qu'on eût dit qu'il avait été enseveli le jour même*.
* Grégoire de Tours, Martyre, vertus, et gloire de saint Julien, chap. II.
Au nombre des miracles qu'on raconte de ce saint, on cite qu'un diacre ayant volé les brebis de l’église de saint Julien et ses bergers voulant l’en empêcher, au nom de ce saint, il répondit : « Julien ne mange pas. de moutons: » Et voici que peu après, il,est saisi d'une fièvre des plus violentes qui,augmenta encore; il avoue alors qu'il est brûlé par le martyrs il se fit jeter de beau sur lui pour se rafraîchir; mais aussitôt il s'éleva une si grande fumée et il sortit de son corps une telle puanteur que tous ceux qui étaient là prirent la fuite, et il
mourut un instant après *. Grégoire de Tours raconte qu'un homme de la campagne voulut travailler le dimanche. A peine eut-il pris une hache pour nettoyer sa charrue, que le manche de cette hache s'attacha à sa main droite et deux ans après, il fut guéri dans l’église de saint Julien par les prières de ce bienheureux **.
Il y eut encore un autre Julien, frère de saint Jules. Ces deux frères vinrent trouver Théodore, empereur très chrétien, pour lui demander la permission de détruire les temples des idoles, partout où ils en rencontreraient et d'élever des églises à J.-C. L'empereur le fit de bon coeur et il écrivit que tous eussent à leur obéir et à les aider, sous peine d'avoir la tête tranchée.
*Grégoire de Tours, Martyre, vertus et gloire de saint Julien, chap. XVII.
** Idem, Ibidem, chap. II.
Or, les saints Julien et Jules bâtissaient une église dans un lieu qu'on appelle Gaudianum*** et que tous les passants aidaient à cette oeuvre, d'après l’ordonnance de l’empereur, quand arrivèrent trois particuliers conduisant un chariot, qui se dirent l’un à l’autre: « Quelle excuse pourrons-nous présenter pour passer librement sans être obligés de travailler ici? »
*'* Il est question de ce lieu dans Grégoire de Tours au livre de saint Julien. D. Ruinart pense que c'est Jouay, près de Tours.
Et ils dirent : « Étendons l’un de nous sur le dos dans le char et le couvrons de draps; nous dirons que nous avons un mort dans notre voiture et ainsi nous pourrons passer librement. » Alors prenant un homme, ils le mirent dans le char et lui dirent : « Ne parle pas, ferme les yeux et fais le mort jusqu'à ce que nous soyons passés. » L'ayant couvert comme un mort; ils arrivèrent auprès des serviteurs de Dieu, Julien et
Jules, qui leur dirent : « Mes petits enfants, arrêtez un instant et nous aidez un peu dans notre travail. » Ils répondirent : « Nous ne pouvons nous, arrêter ici parce que nous avons un mort dans notre char. » Saint Julien leur dit : « Pourquoi mentir ainsi, mes enfants? ». Et eux de répondre : « Nous ne mentons pas, seigneur, mais il en est ainsi que nous disons. » Et saint Julien ajouta : « Qu'il en soit selon la vérité de votre dire. » Alors ces voyageurs piquèrent leurs boeufs et partirent. Quand ils furent éloignés, ils s'approchèrent du char et appelèrent leur camarade par son nom en disant : « Lève-toi à présent, et presse les boeufs pour que nous gagnions du. chemin. » Mais comme l’homme ne remuait pas, ils le secouèrent en criant : « Rêves-tu? lève-toi et pressé les boeufs. » Or, il ne répondait pas le moins du monde; alors ils s'approchèrent, le découvrirent et le trouvèrent mort. Une si grande frayeur s'empara d'eux. et d'ès autres que personne depuis n'osait mentir au serviteur de Dieu.
On trouve encore un autre Julien qui tua son père et sa mère sans le savoir. Un jour, ce jeune noble prenait le plaisir de la chasse et poursuivait un cerf qu'il avait fait lever, quand tout à coup le cerf se tourne vers lui miraculeusement et lui dit : « Tu me poursuis, toi qui tueras ton père et ta mère? » Quand Julien eut entendu cela, il fut étrangement saisi, et dans la crainte que tel malheur prédit par le cerf lui arrivât, il s'en alla sans prévenir personne, et se retira dans un pays fort éloigné, ou il se mit au service d'un prince; il se comporta si honorablement partout, à la guerre, comme à la cour, que le prince le fit son lieutenant et le maria à une châtelaine veuve, en lui donnant un château pour dot. Cependant, les parents de Julien tourmentés de la perte de leur fils, se mirent à sa recherche en parcourant avec soin les lieux où ils avaient l’espoir de le trouver. Enfin ils arrivèrent au château dont Julien était le seigneur: Pour lors saint Julien se trouvait absent. Quand sa femme les vit et leur eut demandé qui ils étaient, et qu'ils eurent raconté tout ce qui était arrivé à leur fils; elle reconnut que c'était le père et la mère de son époux, parce qu'elle l’avait entendu souvent lui raconter son histoire. Elle les reçut donc avec bonté, et pour l’amour de son mari, elle leur donne son lit et, prend pour elle une autre chambre. Le matin arrivé, la châtelaine alla à l’église; pendant ce temps, arriva Julien qui entra dans sa chambre à coucher comme pouf éveiller sa femme; mais trouvant deux personnes endormies, il suppose que c'est sa femme avec un adultère, tire son épée sans faire de bruit et les tue l’un et l’autre ensemble. En sortant de chez soi, il voit son épouse revenir de l’église ; plein de surprise, il lui demande qui sont ceux qui étaient couchés dans son lit « Ce sont, répond-elle, votre père et votre mère qui vous ont cherché bien longtemps et que j'ai fait mettre en votre chambre. » En entendant cela, il resta à demi mort, se mit à verser des larmes très amères et à dire « Ah! malheureux ! Que ferais-je ? J'ai tué mes bien aimés parents. La voici accomplie cette parole du cerf; en voulant éviter le plus affreux des malheurs, je l’ai accompli. Adieu donc, ma chère soeur, je ne me reposerai désormais que je n'aie su que Dieu a accepté ma pénitence. » Elle répondit: « Il ne sera pas dit, très cher frère, que je te quitterai; mais si j'ai partagé tes plaisirs, je partagerai aussi ta douleur. » Alors, ils se retirèrent tous les deux sur les bords d'un grand fleuve, où plusieurs perdaient la vie, ils y établirent un grand hôpital où ils pourraient faire pénitence ; sans cesse occupés à faire passer la rivière à ceux qui se présentaient, et à recevoir tous les pauvres. Longtemps après, vers minuit, pendant que Julien se reposait de, ses fatigues et qu'il y avait grande gelée, il entendit une voix qui se lamentait pitoyablement et priait Julien d'une façon lugubre, de le, vouloir passer. A peine l’eut-il entendu qu'il se leva de suite, et il ramena dans sa maison un homme qu'il avait trouvé mourant de froid; il alluma le feu et s'efforça de le réchauffer, comme il ne pouvait réussir, dans la crainte qu'il ne vînt à mourir, il le porta dans son petit lit et le couvrit soigneusement. Quelques instants après, celui qui paraissait si malade et comme couvert de lèpre, se lève blanc comme neige vers le ciel, et dit à son hôte: « Julien, le Seigneur m’a envoyé pour vous avertir qu'il a accepté votre pénitence et que dans peu de temps
tous deux vous reposerez dans le Seigneur. » Alors il disparut, et peu de temps après Julien mourut dans le Seigneur avec sa femme, plein de bonnes oeuvres et d'aumônes.
Il y eut encore un autre Julien, celui-ci ne fut pas, un saint, mais un grand scélérat. C'est Julien l’apostat. Il fut d'abord moine et il affectait de grands sentiments de religion. Au rapport de maître Jean Beleth *, en sa Somme de l’Office de l’Église, une femme possédait trois pots pleins d'or ; pour que, cet or ne partît pas, elle, couvrit l’orifice des pots avec de la cendre et, les donna à garder à Julien, estimé par elle comme un très saint personnage, et cela, en présence de plusieurs moines, sans, faire connaître. en aucune façon qu'il y eût là de l’or.
* Maître Jean Beleth vivait en 1182. Il était chanoine d'Amiens.
Julien prit les pots, et y trouvant un si grand trésor, il le vola tout entier et remplit- les pots de cendre. Quelque temps après, la femme réclama son dépôt ; Julien lui rendit ses cruches pleines, de cendre. Mais n'y ayant, trouvé que cette cendre, elle ne put le convaincre de vol, parce qu'elle n'avait personne capable de témoigner qu'il y eût eu de l’or, puisque les moines en présence desquels elle avait remis les vases n'avaient vu autre chose que de la cendre. Julien conserva donc cet or; l’emporta à Rome et par ce moyen, il obtint dans la suite le consulat dans cette ville; enfin il fut élevé à l’empire. Il avait été instruit dès son enfance dans l’art magique et cette science lui convenait fort. Il en conserva donc toujours des maîtres en grand nombre auprès de soi.
Il est rapporté dans l’Histoire tripartite* qu'un jour, étant encore enfant, son maître sortit et le laissa seul; il se mit à lire des évocations au démon et il se présenta devant lui une troupe infinie de ces diables, noirs comme des Ethiopiens. A cette vue Julien saisi de crainte fit aussitôt le signe de la croix, et toute cette multitude de démons s'évanouit. Il raconta tout ce qui était arrivé à son maître qui. était revenu et qui lui dit « Les démons haïssent et craignent extraordinairement le signe de la croix. » Ayant été élevé à l’empire, Julien se souvint de ce fait, et comme il voulait se livrer à la magie,, il apostasia et détruisit partout les images de la croix; autant qu'il fut en son pouvoir ; il persécuta les chrétiens, dans la pensée qu'autrement les démons ne lui obéiraient en rien. Quand il descendit dans la Perse, ainsi qu'il est dit. dans la Vie des Pères **, il envoya un démon en Occident, polir qu'il lui , en rapportât une réponse; mais arrivé dans un endroit, le démon resta immobile dix jours entiers, parce qu'il se trouvait là un moine qui priait jour et. nuit:
* Livre VI, ch. I, — Niceph., liv. X, ch. III; — Saint Grégoire de Naz., Premier discours contre Julien l’apostat.
** Livre XII, ch. II.
Le diable étant revenu sans avoir accompli sa mission, Julien lui dit: « Pourquoi as-tu tant tardé ? » Il répondit: « Pour pouvoir passer, j'ai attendu pendant dix jours qu'un moine qui vivait hors du cloître cessât de faire oraison; mais comme il n'en finissait pas, ce me fut impossible; alors je suis revenu sans avoir rien fait. Julien indigné dit que, quand il viendrait en ce lieu-là, il se vengerait de ce moine. Comme les diables lui promettaient la victoire sur lés Perses, son sophiste dit à un chrétien : « Que penses-tu qu'il fasse à présent, le fils du charpentier? » Et il répondit: « Il préparé un cercueil pour Julien. » On lit dans l’histoire de saint Basile, et Fulbert, évêque de Chartres, l’affirme aussi, que arrivé à Césarée de Cappadoce, saint Basile vint à sa rencontre et, lui offrit quatre pains d'orge, mais Julien refusa avec mépris de les recevoir et à la place il lui envoya du foin, en disant: « Tu nous as offert de ce qui nourrit les animaux sans raison, reprends ce que tu nous as adressé. » Basile répondit : « Nous avons vraiment envoyé de ce que nous mangeons; mais pour toi; tu nous as donné ce qui te sert à nourrir tes bestiaux.» A cela Julien irrité répondit: « Lorsque j'aurai soumis les Perses, je détruirai cette ville et, la ferai labourer pour qu'elle soit nommée le lieu où vient le froment, et non le lieu où habitent des hommes... Mais la nuit suivante, saint Basile eut, en l’église de Sainte-Marie, une vision dans laquelle lui apparut une multitude d'anges, et au milieu d'eux, debout sur un trône, une femme qui dit à ceux qui l’entouraient: « Appelez-moi vite Mercure, pour qu'il tue Julien l’apostat, cet insolent blasphémateur de mon Fils et de moi. » Or, ce Mercure était un soldat, tué par Julien lui-même en haine de la foi, enseveli dans cette église. A l’instant saint Mercure se, présenta avec ses armes qu'on conservait en ce .lieu, et reçut ordre de se préparer au combat. Basile s'étant éveillé, alla à l’endroit où saint Mercure reposait avec ses armes et ouvrant son tombeau il n'y trouva ni corps ni armes. Il s'informe auprès du gardien si personne n'a emporté les armes. Celui-ci lui affirme avec serment, que le soir les armes étaient là où elles se trouvaient toujours. Basile se retira alors, et revenu le matin, il y trouva le corps avec les armes, et la lance couverte de sang. Au même instant, un soldat qui revenait de la bataille, dit : « Alors que Julien était à l’armée, voici qu'un soldat. inconnu se présenta avec ses armes et sa lance,. et pressant son cheval avec ses éperons, il se rua avec audace sur l’empereur Julien; puis brandissant sa lance avec force, il l’en perça par le milieu du corps ; tout aussitôt il s'éleva en l’air et disparut. » Or, comme Julien respirait encore, il remplit sa main de son sang, dit l’Histoire, tripartite *, et le jetant en l’air, s'écria: « Tu as vaincu, Galiléen, tu as vaincu. » Et en disant ces mots il expira misérablement. Son corps fut laissé sans sépulture, et écorché par les Perses, et de sa peau, on fit un tapis pour le roi.
* Livre VI, ch. XLVII.
SAINT IGNACE
Ignace est ainsi nommé, de ignem patiens, c'est-à-dire qu'il a enduré le feu de l’amour divin.
Saint Ignace fut disciple de saint Jean et évêque d'Antioche. On dit qu'il adressa à la Sainte Vierge une lettre conçue en ces termes: « A Marie Porte-Christ, Ignace son dévoué. Vous avez dû fortifier et consoler en moi le néophyte et le disciple de votre Jean. J'ai appris en . effet de votre Jésus des choses admirables à dire, et j'ai été stupéfait en les entendant. Or, j'attends de vous, qui avez toujours été unie d'amitié avec lui, et qui étiez de tous ses secrets, que vous m’assuriez la vérité de tout ce que j'ai entendu. » Une autre leçon ajoute ce qui suit: « Je vous ai déjà écrit plusieurs fois, et vous ai demandé des explications. Adieu, et que les néophytes qui sont avec. moi reçoivent force de vous, par vous et en vous.» Alors la bienheureuse Vierge Marie, mère de Dieu, lui répondit: « A Ignace, son disciple chéri, l’humble servante de Jésus-Christ. Les choses que vous avez apprises et entendues de Jean, touchant Jésus, sont vraies ; croyez-les, étudiez-les, attachez-vous fermement à ce que vous avez promis à Jésus-Christ, et conformez-y vos moeurs et votre vie. Je viendrai avec Jean , vous voir et ceux qui sont avec vous. Soyez ferme et agissez avec les principes de la foi, pour 'que la violence de la persécution ne vous ébranle pas, mais que votre esprit soit fort et, ravi en Dieu voire sauveur; ainsi soit-il » *.
* Ces deux lettres sont-elles authentiques? Les auteurs anciens disent oui, les modernes disent non. Ce qu'il y a de certain c'est qu'elles remontent à une très haute antiquité.
Or, saint Ignace jouissait d'une autorité si grande que Denys lui-même, le disciple de l’apôtre saint Paul, qui fut si profond en philosophie et si accompli dans la science divine, citait les paroles de saint Ignace comme une autorité, pour prouver ce qu'il avançait. En son livre des Noms divins, il rapporte que quelques-uns voulaient rejeter le nom d'amour en disant que dans l’es choses divines il y avait plutôt dilection qu'amour; il dit, en voulant montrer que ce mot d'amour devait être employé en tout dans les choses divines : « Le divin Ignace a écrit : Mon amour a été crucifié. » On lit dans l’Histoire tripartite* que saint Ignace entendît les anges chanter des Antiennes sur- une montagne, et dès lors il ordonna qu'on chanterait dés Antiennes dans l’église et qu'on entonnerait des Psaumes sur les Antiennes.
* Liv. X, ch. IX.
Après avoir longuement prié le Seigneur pour la paix de l’église, saint Ignace redoutant le péril, non pour lui, mais pour les faibles, alla au-devant de l’empereur Trajan, qui commença à régner l’an 100, alors qu'à son retour, après une victoire, il menaçait de mort tous lés chrétiens; il déclara ouvertement qu'il était lui-même chrétien. Trajan le fit charger de chaînes, le confia à dix soldats et ordonna de le conduire à Rome en le menaçant de, le jeter en pâture aux bêtes. Or, pendant le trajet, Ignace préparait des lettres, destinées à toutes les Églises et, les confirmait dans la foi de Jésus-Christ. Il y en avait une pour l’Église de Rome, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique, dans laquelle il priait qu'on ne fit rien pour, empêcher son martyre. Voici ses paroles: « De la Syrie jusqu'à Rome, je combats avec les bêtes par mer et parterre, le jour et la nuit, lié et attaché au milieu de dix léopards (ce sont les soldats qui, me gardent), dont la cruauté augmente en raison du bien que je leur fais: mais leur cruauté est mon instruction. O bêtes salutaires, qui me sont réservées ! quand viendront-elles ? quand seront-elles lâchées ? quand leur sera-t-il permis de se nourrir de mes chairs ? Je les inviterai à me dévorer, je les prierai pour qu'elles ne craignent pas de toucher mon corps, comme elles l’ont fait à d'autres. Je ferai plus, si elles tardent trop, je leur ferai violence, je me mettrai dans leur gueule. Pardonnez-moi, je vous prie ; je sais ce qui m’est avantageux. Qu'on réunisse contre moi le feu, les croix, les bêtes, que mes os soient broyés, que tous les membres de mon corps soient mis en pièces, que tous les tourments. inventés par le diable soient amassés sur moi, pourvu que je mérite d'être uni à Jésus-Christ. » Arrivé à, Rome et amené devant Trajan, cet empereur lui dit: « Ignace, pourquoi fais-tu révolter Antioche et convertis-tu mon peuple à la chrétienté? » Ignace lui répondit : « Plût à Dieu que je puisse te convertir aussi, afin que. tu jouisses à toujours d'une autorité inébranlable. » Trajan lui dit : « Sacrifie à mes Dieux et tu seras le premier de tous les prêtres. » Ignace répondit: et Je ne sacrifierai point à tes dieux, et je n'ambitionne pas la dignité que tu m’offres. Tu pourras faire de moi tout ce que tu veux, mais jamais tu ne me changeras. » « Brisez-lui les épaules, reprit Trajan, avec des fouets plombés, déchirez-lui les côtés et frottez ses blessures avec des pierres aiguës. »
Il resta immobile au milieu de tous les tourments, et Trajan dit ; «Apportez des charbons ardents, et faites-le marcher dessus les, pieds nus.» Ignace lui dit : «Ni le feu ardent, ni l’eau bouillante ne pourront éteindre en moi la charité de J-C. » Trajan ajouta « C'est maléfice cela, de ne point céder après de pareilles tortures. » Ignace lui répondit: « Nous autres chrétiens, nous n'usons pas de maléfices, puisque dans notre loi, nous devons ôter la vie aux enchanteurs c'est vous, au contraire, qui usez de maléfices, vous qui adorez des idoles.» Trajan reprit; « Déchirez-lui le dos avec des ongles, de fer, et mettez du sel dans ses plaies. » Ignace lui dit : « Les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec la gloire à venir. » Trajan insista: « Enlevez-le, attachez-le avec des chaînes de fer à un poteau, gardez-le au fond d'un cachot, laissez-le sans boire ni manger
et dans trois jours, donnez-le à dévorer aux bêtes. » Le troisième jour donc étant venu, l’Empereur, le Sénat et tout le peuple s'assemblèrent pour voir l’évêque d'Antioche combattre les bêtes, et Trajan dit : « Puisque Ignace est superbe et contumace, liez-le et lâchez deux lions sur lui afin qu'il ne reste rien de sa personne. » Alors saint Ignace dit au peuple présent : « Romains, qui assistez à ce spectacle, je n'ai pas travaillé pour rien. Si je souffre, ce n'est pas pour avoir commis des crimes, mais c'est pour ma piété envers Dieu. » Ensuite il se mit à dire, ainsi que le rapporte l’Histoire ecclésiastique : « Je suis le froment de J.-C., je serai moulu par les dents des bêtes afin de devenir un pain pur. » En entendant ces mots, l’empereur dit: « La patience des, chrétiens est grande; quel est celui des Grecs qui en endurerait autant pour son Dieu ? » Ignace répondit : « Ce n'a pas été par ma vertu, mais avec l’aide de Dieu que j'ai supporté ces tourments.» Alors saint Ignace provoqua les lions pour qu'ils accourussent le dévorer. Deux lions furieux accoururent donc et ne firent que l’étouffer sans toucher aucunement sa chair. Trajan, à cette vue, se retira dans une grande admiration en donnant l’ordre de ne pas empêcher que l’on vint enlever les restes du martyr. C'est pourquoi les chrétiens prirent son corps et l’ensevelirent avec honneur. Quand Trajan eut reçu une lettre, par laquelle Pline le jeune recommandait vivement les chrétiens que l’empereur immolait, il fut affligé, de ce qu'il avait fait endurer à Ignace, et ordonna qu'on ne recherchât plus les chrétiens, mais que s'il en tombait quelqu'un entre les mains de la justice, il fût puni.
On lit encore que saint Ignace, au milieu de tant de tourments, ne cessait d'invoquer le nom de J.-C. Comme ses bourreaux lui demandaient pourquoi il répétait si souvent ce nom, il dit : « Ce nom, je le porte écrit dans mon coeur ; c'est la raison pour laquelle je ne puis cesser de l’invoquer. » Or, après sa mort, ceux qui l’avaient entendu parler ainsi ; voulurent s'assurer du fait; ils ôtent donc son coeur de son corps, le coupent en deux, et trouvent ces mots gravés en lettres d'or au milieu : « J.-C. » Ce qui donna la foi à plusieurs. Saint Bernard parle ainsi de ce saint, dans son commentaire sur le Psaume : Qui habitat. « Le grand saint Ignace fut l’élève du disciple que Jésus aimait ; il fut martyr aussi et ses précieuses reliques enrichirent notre pauvreté. Dans plusieurs lettres qu'il adressa . à Marie, il la salue du nom de Porte-Christ : c'est un bien grand titre de dignité et une recommandation d'un immense honneur! »
PURIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE.
La Purification de la Vierge Marie eut lieu quarante jours après la Nativité du Seigneur. Cette fêté a été nommée ordinairement de trois manières, la Purification, Hypopante ou rencontre, et la Chandeleur. On la nomme Purification parce que, quarante jours après la naissance du Seigneur, la Vierge vint au Temple se purifier, selon la coutume introduite par la loi, quoique cette loi ne l’obligeât point. En effet au Lévitique (XII), la loi ordonnait que là femme qui, ayant usé du mariage, enfanterait un fils, serait impure pendant sept jours, impure au point de s'abstenir de toute espèce de commerce avec les hommes, et de l’entrée du temple:
Mais après les sept jours; elle redevenait pure ; en sorte qu'elle pouvait se trouver avec les hommes mais elle avait encore trente trois jours a passer avant de pouvoir entrer' dans le temple à raison de son impureté. Enfin après quarante jours, elle entrait dans le temple et offrait son enfant avec des présents. Que si elle avait enfanté une femme, les jours étaient doublés pour ses rapports avec les hommes et pour l’entrée du temple. Pourquoi donc le Seigneur a-t-il ordonné que, au 40e jour, l’enfant fût offert dans le temple ? on peut en donner trois raisons. La première afin que l’on,comprenne par là que comme l’enfant est introduit au 40e jour dans le temple matériel, de même 40 jours après sa conception, pour le plus souvent, son âme est infuse dans le corps comme dans son temple. Ceci est rapporté dans l’Histoire scholastique *, quoique les physiciens (médecins) disent que le corps est perfectionné en 46 jours.
* Ch. XVIII. C'est l’oeuvre de Pierre Comestor, auteur du XIIe siècle, qui eut une vogue immense a peu près égale à celle de la Légende dorée.
La seconde, que comme l’âme infuse au 40e jour dans le corps, est souillée par le corps lui-même, de même au 40e jour, en entrant dans le temple, l’âme est désormais lavée de cette tache par les offrandes. La troisième, pour donner à comprendre que; ceux-là mériteront d'entrer dans le temple céleste qui auront voulu observer les dix commandements avec la, foi aux quatre Evangiles. Pour celle qui enfantait une femme, ces jours sont doubles, quant à l’entrée dans le temple, comme ils sont doublés pour la formation de son corps : car ainsi que le corps d'un homme est organisé et rendu parfait en 40 jours. et que pour le plus souvent, l’âme est infuse au 40e jour, ainsi le corps d'une femme est achevé en 80 jours et au 80e jour, pour le plus souvent, l’âme anime son corps. Pourquoi donc le corps d'une femme met-il plus de temps à se parfaire et l’âme à l’animer que le corps d'un homme ? Sans parler des raisons prises de la nature, on peut en assigner trois autres. La première, c'est que J.-C.; devant prendre chair dans le sexe viril,
afin d'honorer, ce sexe et lui octroyer une plus grande grâce, il voulut que l’enfant fût formé plus tôt et que la femme fût purifiée plus vite. La seconde, que la femme ayant plus péché que l’homme, ses infirmités fussent doubles des infirmités de l’homme extérieurement en ce mondé, de même alors, elles ont dû être doublées intérieurement dans le sein. La troisième, pour donner à comprendre par là que la femme a été d'une certaine manière plus à charge à Dieu que l’homme, puisqu'elle a failli davantage. En effet Dieu est en quelque sorte fatigué par nos actions mauvaises, ce qui lui fait dire dans Isaïe (XLIII) : «Vous m’avez rendu comme votre esclave par vos péchés. » Et ailleurs il dit encore par Jérémie (VI) : « J'ai travaillé avec grand effort. » La bienheureuse Vierge n'était donc pas tenue à cette loi de la purification, puisqu'elle n'a pas conçu en usant du mariage, mais par un souffle mystique. Aussi Moïse a ajouté : « en usant du mariage, » ce qui n'était pas nécessaire par rapport aux autres femmes qui conçoivent toutes , de cette manière, mais Moïse a ajouté ces mots, dit saint Bernard, parce qu'il venait de faire injure à la mère du Seigneur. Cependant elle voulut se soumettre à la loi pour quatre raisons. La première, pour donner l’exemple de l’humilité. Ce qui fait dire à saint Bernard : «O Vierge vraiment bienheureuse, vous n'aviez aucun motif ni aucun besoin de vous purifier ; mais est-ce que votre Fils avait besoin de la circoncision? Soyez au milieu des femmes comme l’une d'elles, car vôtre fils aussi se rend semblable aux autres enfants. » Or, cette humilité ne vint pas seulement de la mère, mais encore du Fils, qui voulut ici, comme elle, se soumettre à la loi. En effet, dans sa naissance, il se posa en homme pauvre, dans sa circoncision en homme pauvre et pécheur, mais aujourd'hui il se traite en homme pauvre, et pécheur et esclave; en pauvre, puisqu'il choisit l’offrande des pauvres; en pécheur, puisqu'il veut être purifié avec sa mère; en esclave, puisqu'il a voulu être racheté, et même peu après il voulut être baptisé, non pour effacer en sondes fautes, mais pour offrir au monde l’exemple de la plus grande humilité, et pour donner des preuves que ces remèdes ont été bons au temps où on les employait.. Car cinq remèdes furent institués, dans une certaine succession de temps, contre le péché originel. Trois d'entre eux, selon Hugues de Saint-Victor, ont été institués sous la' loi ancienne les oblations, les dîmes et les immolations des sacrifices, qui signifiaient merveilleusement l’oeuvre de notre rédemption. Car le mode de rachat était exprimé par l’oblation; le prix lui-même de l’oblation, par le sacrifice, où il y avait effusion de sang; celui-là même, qui était racheté, par la dîme, parce que l’homme est figuré par la dixième dragme : Le premier remède fut l’offrande : ainsi l’on voit Caïn offrir à Dieu des présents de ses fruits, et Abel, de ses troupeaux. Le second fut la dîme, comme dans Abraham qui offre la dîme au prêtre. Melchisédech : car selon saint Augustin, on dîmait sur tout ce dont on prenait soin. Le troisième fut l’immolation des sacrifices : car, d'après saint Grégoire, les sacrifices étaient établis contre le péché originel. Mais parce qu'il était de rigueur, eût au moins l’un ou l’autre des parents eût la foi et qu'il pouvait se faire quelquefois que tous les deux fussent infidèles, alors vint le quatrième remède, savoir : la circoncision qui avait sa valeur, soit que les parents fussent fidèles, soit qu'ils ne le fussent point. Mais ce remède ne pouvant
convenir seulement qu'aux mâles, et ne pouvant pas ouvrir les portes du paradis, alors à la circoncision succéda comme cinquième remède le baptême qui est commun à tous et qui ouvre la porte du ciel. J.-C. donc paraît avoir reçu, en quelque manière, le premier remède quand il fut offert dans le temple par ses parents; le second, quand il jeûna 40 jours et 40 nuits, parce que n'ayant point de biens avec quoi il pût payer la dîme, il offrit du moins à Dieu la dîme de ses jours. J.-C., s'est appliqué le troisième remède, quand sa mère offrit pour lui une paire de tourterelles, ou deux petits de colombes pour en faire un sacrifice, ou bien encore, quand il s'offrit lui-même en sacrifice sur la croix. Le quatrième, quand il se laissa circoncire, et le cinquième en recevant le baptême de saint Jean. — La seconde raison était d'accomplir la loi. Le Seigneur en effet n'était pas venu pour détruire la loi mais pour l’accomplir : car si en cela il se fût exempté de la loi, les Juifs auraient pu apporter cette excuse : « Nous ne recevons pas votre doctrine puisque vous n'êtes pas semblable à nos pères et que vous n'observez pas les traditions de la loi. » Mais aujourd'hui J.-C. et la Vierge se soumettent à une triple loi : 1° à la loi de la;purification comme des modèles de vertu, afin que nous,disions, après, avoir fait le bien, en tout, que nous sommes dès serviteurs inutiles ; 2° à la loi de la rédemption, pour donner un exemple d'humilité ; 3° à la loi de l’offrande, pour servir de modèle de pauvreté. — La troisième raison est pour mettre fin à la loi de la purification ; car comme au premier rayon de la lumière, les ténèbres disparaissent et que, au lever du soleil, l’ombre s'enfuit; de même, après la véritable purification, a cessé la purification figurative. Or, ici a en lieu la véritable purification dans J.-C. qui est réellement appelé la purification par excellence, puisqu'il nous purifie par la foi, selon qu'il est dit (Act., XV) : « Dieu purifie nos coeurs par la foi. » De là encore il sait que désormais les pères ne sont pas tenus à l’accomplissement de cette loi, ni les mères à la purification ou à l’entrée du temple, ni les enfants à ce rachat. — La quatrième raison, c'est pour nous apprendre à nous purifier. Selon le droit, il y a cinq manières de se purger dès l’enfance, quoiqu'il n'y en ait que trois de prescrites; et nous devons les employer savoir, par le jurement, qui marque le renoncement au péché; par l’eau qui indique l’ablution baptismale; par le feu, qui désigne l’infusion de la' grâce spirituelle; parles témoins, qui montrent la multitude des bonnes oeuvres; parla guerre, qui signifie la tentation. Or, la sainte Vierge, en venant au temple a offert son fils et l’a racheté avec cinq sicles. Il faut aussi remarquer que certains premiers-nés étaient rachetés comme les premiers-nés des onze tribus moyennant cinq sicles; quelques autres ne pouvaient être rachetés, par exemple, les premiers-nés des lévites, qui jamais n'étaient rachetables;- mais, parvenus à l’âge des adultes; ils servaient constamment le Seigneur dans le temple; de même encore les premiers-nés des animaux purs ils pouvaient être rachetés; mais ils étaient offerts au Seigneur. Quelques autres devaient être échangés, comme le premier-né de l’âne qui était remplacé par une brebis; d'autres étaient tués, par exemple, le premier-né du chien. Or, puisque J.-C. était de la tribu de Juda, l’une des douze, il est clair qu'il a dû être racheté. « Et ils offrirent pour lui au Seigneur une paire de tourterelles ou deux petits de colombes. » C'était l’offrande des
pauvres, tandis que l’agneau était celle des riches. L'Écriture ne dit pas des petits de tourterelles, mais des petits de colombes, parce qu'on trouve toujours des petits de colombes, mais qu'on ne trouve pas toujours des petits de tourterelles, bien que l’on trouve toujours des tourterelles ; on ne dit pas non plus une paire de colombes, comme on dit une paire de tourterelles, parce que la colombe est un oiseau voluptueux, et pour cela Dieu n'a pas voulu qu'il lui en fût offert en sacrifice, mais la tourterelle est un oiseau pudique. — Cependant la Sainte Vierge Marie n'avait-elle pas, peu auparavant, reçu des mages une grosse somme d'or ? il est évident donc qu'elle a bien pu acheter un agneau. A cela on répond, qu'il n'est pas douteux, comme le dit saint Bernard, que les mages aient offert une grosse somme d'or, parce qu'il n'est pas vraisemblable, que des rois de cette importance aient offert à un tel Enfant de maigres présents; toutefois, d'après une opinion, elle ne garda pas cet or pour soi, mais elle le distribua de suite aux pauvres, ou bien peut-être, elle le garda pour pourvoir aux frais de son voyage de sept ans en Egypte ; ou encore, les mages n'offrirent pas une grande quantité d'or, car leur offrande avait une signification mystique. — On distingue trois offrandes touchant le Seigneur : La première quand ses parents l’offrirent; la seconde quand on offrit pour lui des oiseaux; il fit lui-même la troisième pour les hommes sur la croix. La première montre son humilité, puisque le maître de la loi se soumet à la foi; la seconde, sa pauvreté, puisqu'il a choisi l’offrande des pauvres ; la troisième, sa charité, puisqu'il s'est livré pour les pécheurs. Voici les propriétés de la tourterelle : son vol est élevé ; ses chants sont dés gémissements; elle annonce le printemps; elle vit chastement; elle reste isolée; la nuit elle réchauffe ses petits elle s'éloigne des cadavres. Voici les propriétés de la colombe :
Elle ramasse le grain ; elle vole en troupe ; elle évite les cadavres ; elle n'a pas de fiel ; elle gémit elle caresse son compagnon de ses baisers ; la pierre lui fournit un nid; elle fuit son ennemi qu'elle a vu sur le fleuve ; elle ne blesse pas avec son bec; elle nourrit ses deux petits avec soin.
Secondement; cette fête a reçu le nom d'Hypapante, ce qui est la même chose que Présentation, parce que J.-C. a été présenté au temple: Hypapante veut encore dire rencontre *, parce que Siméon et Anne se rencontrèrent avec le Seigneur, qu'on offrait dans le temple.
* De hypa, qui veut dire aller, et anti, contre.
Alors donc Siméon le prit dans ses bras. Notons ici trois sortes d'ombres, trois anéantissements de notre Sauveur: 1° l’anéantissement de la vérité : car celui qui est. la vérité, par laquelle l’homme est conduit, qui est aussi la voie, laquelle conduit l’homme à Dieu qui est la vie, a permis que d'autres,le conduisissent aujourd'hui : « Alors, dit-il, qu'ils introduisaient Jésus enfant. » 2° L'anéantissement de la bonté, puisque lui qui est le seul bon, le seul saint, a voulu être purifié avec sa mère, comme un homme immonde. 3°
C'est l’anéantissement de sa majesté, puisque celui qui porte tout par la parole de sa force; s'est laissé prendre et porter entre lés bras d'un vieillard, qui cependant portait celui qui le portait lui-même;, d'après cette parole de la liturgie : « Le vieillard portait l’enfant, mais l’enfant dirigeait le vieillard. » Alors Siméon le bénit en disant : « Vous laisserez maintenant, Seigneur, aller votre serviteur en paix, etc. » Et Siméon lui donne trois noms, savoir : le salut, la lumière et la gloire du peuple d'Israël. On peut entendre ces trois noms de quatre manières : 1° comme notre justification; et il est appelé sauveur, en remettant la faute, parce que Jésus veut dire sauveur, par cela qu'il sauvera le peuple de ses péchés; lumière, en donnant sa grâce.; gloire, il la donne à son peuple; 2° comme notre régénération, car 1° l’enfant est exorcisé et baptisé, et il est ainsi purifié du péché; 2° on lui donne un cierge allumé ; 3° il est présenté à l’autel; 4° la procession qui se fait en ce jour, car 1° les cierges sont bénits et exorcisés ; 2° ils sont allumés et distribués entre lés mains des fidèles; 3° on entre à l’église, en chantant, des cantiques ; 4° à cause du triple nom de la fête : on 1'appelle.Purifrcation, et c'est parce que la faute est purifiée, que Siméon appelle Jésus le salut. On l’appelle chandeleur, pour l’illumination de la grâce ; de là le nom de lumière. On l’appelle Hypapante, pour la collation de la gloire: de là le nom de gloire du peuple d'Israël. « Alors en effet nous viendrons au-devant de J.-C. dans les airs » (saint Paul). On petit dire encore que par ce cantique de Siméon, J.-C. est loué comme paix, comme salut, comme lumière, comme gloire. Comme paix, car il est médiateur; comme salut, car il est rédempteur; comme lumière, car il est docteur; comme gloire, car il est récompense.
Troisièmement cette fête a reçu le nom de Chandeleur, parce qu'on porte à la main des chandelles allumées. Pourquoi l’Église a-t-elle établi qu'on porterait à la main des chandelles allumées ? On en peut assigner quatre raisons : 1° pour détruire une coutume mauvaise. En effet, autrefois, aux calendes de février, en l’honneur de Februa, mère de Mars; dieu de la guerre, les Romains illuminaient la ville de cinq en cinq ans avec des cierges et des flambeaux pendant toute la nuit, afin que Mars leur accordât la victoire sur leurs ennemis, en raison des honneurs qu'ils rendaient à sa mère ; et cet espace de temps était un lustre. Au mois de février encore les Romains offraient des sacrifices à Febvrius c'est-à-dire à Pluton et aux autres dieux infernaux, pour les âmes de leurs ancêtres : afin donc qu'ils eussent pitié d'eux, ils leur offraient des victimes solennelles, et toute la nuit. ils veillaient en chantant leurs louanges et tenaient des cierges et des torches allumées. Le pape Innocent dit encore que les femmes romaines célébraient en ce jour la fête des lumières, dont l’origine est tirée des fables des poètes. Ceux-ci rapportent que Proserpine était si belle que Pluton, dieu des enfers, en devint épris, qu'il l’enleva et en fit une déesse. Ses parents la cherchèrent longtemps dans les forêts, et les bois avec des torches et des flambeaux, et c'est ce souvenir que rappelaient les femmes de Rome. Or, parce qu'il est difficile d'abandonner une coutume, les chrétiens nouvellement convertis a la foi ne savaient pas s'y résoudre alors le pape Sergius lui donna un but meilleur, en ordonnant aux chrétiens de célébrer, chaque année, à pareil jour, par tout, l’univers, une fête en
l’honneur de la sainte Mère du Seigneur, avec cierges allumes et chandelles bénites. De cette manière la solennité restait, mais la fin était toute autre. 2° Pour montrer la pureté de la Vierge. En entendant que la Vierge s'était purifiée, quelques personnes pourraient penser qu'elle avait besoin de purification : afin donc de montrer que toute sa personne fut très pure et toute brillante, l’Église nous a ordonné de porter des flambeaux allumés, comme si. par le fait elle disait : « O bienheureuse Vierge, vous n'avez pas besoin de purification, mais vous êtes toute brillante, toute resplendissante. » De vrai, elle n'avait pas besoin de purification, elle qui avait conçu, sans user du mariage, elle qui avait été purifiée d'une manière très parfaite, et qui avait été sanctifiée dans le sein de sa mère. Or, elle avait tellement été glorifiée et purifiée dans le sein de sa mère et dans la venue du Saint-Esprit que, nom seulement il ne resta en elle aucune inclination au péché; mais l’effet de sa sainteté se communiquait et s'épanchait dans les autres, en sorte qu'elle éteignait tous les mouvements de charnelle concupiscence en tous. Ce qui fait dire aux Juifs que quoique Marie ait été d'une extrême beauté, elle ne put cependant jamais être convoitée par personne; et la raison en est que la vertu de sa chasteté pénétrait tous ceux qui la regardaient et écartait d'eux toute concupiscence. Ce qui l’a fait comparer au cidre dont l’odeur fait mourir les serpents ; sa sainteté projetait comme des rayons sur les autres, de manière à étouffer tous les mouvements qui se glissaient en la chair. On la compare encore à la myrrhe; car de même que la myrrhe fait périr les vers, de même aussi sa sainteté détruisait toute concupiscence charnelle ; et elle jouit de cette prérogative dans un degré plus éminent que ceux qui ont été sanctifiés dès le sein de leur mère, ou qui sont restés vierges; dont la sainteté et la chasteté ne se transmettaient pas aux autres, ni n'éteignait en eux les mouvements de la chair, tandis que la force de la chasteté de la Vierge pénétrait jusqu'au fond même du coeur des impudiques et qu'elle les rendait tout aussitôt chastes à son égard. 3° A cause de la procession qui eut lieu à pareil jour : car Marie, Joseph, Siméon et Anne firent aujourd'hui une procession digne d'honneur, et présentèrent l’enfant Jésus au temple. De même encore, nous faisons la procession et portons à la main un cierge allumé, figure de Jésus-Christ, et nous le tenons jusque dans les églises. Il y a trois choses dans le cierge, savoir, la cire, la mèche et le feu, qui sont la figure des trois substances qui existèrent en J.-C. : la cire est la figure de sa chair qui est née de la Vierge Marie sans la corruption de la chair, comme les abeilles composent la cire sans mélange ; la mèche cachée dans le cierge est la figure de son âme très candide cachée dans sa chair; et le feu ou la lumière est la figure de la divinité, parce que notre Dieu est un feu qui consume. Ce qui a fait dire à un poète : « Cette chandelle, je la porte en l’honneur de la pieuse Marie. Par la cire voyez une chair véritable née d'une Vierge ; par la lumière, la divinité et l’excellence de la majesté ; la mèche, c'est somme infiniment riche se cachant dans la chair. » 4° Pour notre instruction. Tout nous instruit : que si nous voulons être purs et nets, nous devons avoir en nous trois dispositions, savoir : une foi véritable, une conduite sainte, et une intention droite. La chandelle allumée à la main, c'est la foi avec les bonnes oeuvres; et de même que la chandelle sans lumière est réputée
morte, et que la lumière par elle-même ne brille pas sans chandelle, mais paraît être morte, de même les oeuvres sans la foi et la foi sans les bonnes oeuvres sont appelées mortes. Quant à la mèche enfermée dans la cire, c'est l’intention droite; ce qui fait dire à saint Grégoire : « L'action se fait devant le publie, mais l’intention reste cachée dans le secret. »
Une noble dame avait une très' grande dévotion envers la sainte Vierge. Ayant fait construire une chapelle auprès de sa maison, elle y entretenait un chapelain, et voulait entendre chaque jour une messe de la Bienheureuse Vierge. Alors que la fête de la Purification de la Sainte Vierge était proche, le prêtre fit un voyage au loin pour une affaire particulière, et la dame ne put avoir une messe ce jour-là; ou bien, comme on le lit autre part, elle avait donné tout ce qu'elle avait jusqu'à ses vêtements pour l’amour de la Vierge; or, comme elle avait donné sa robe et qu'elle ne pouvait aller à l’église il lui fallait rester sans messe en ce jour. Sous l’impression d'une vive douleur elle entra dans son oratoire ou sa chambre et se prosterna devant un autel de la Sainte Vierge. Tout à coup elle fut transportée hors d'elle-même, et il lui semblait être dans une église magnifique et toute resplendissante ; alors elle vit, entrer une foule extraordinaire de vierges, que, précédait une Vierge d'une admirable beauté, dont la tête était couronnée d'un diadème. Après que toutes se furent assises, voici venir une autre foule de jeunes gens qui prirent place chacun selon son rang. Alors quelqu'un qui portait une grande quantité de cierges, en donna d'abord un à la vierge qui avait le pas sur les autres; il en distribua ensuite aux autres vierges ut aux jeunes gens, enfin il vint auprès de la dame et lui offrit un cierge qu'elle accepta volontiers. Elle tourna alors les yeux vers le choeur et vit deux céroféraires, un sous-diacre, un diacre et un prêtre revêtus de leurs ornements sacrés s'avancer vers l’autel comme pour célébrer une messe solennelle. Il lui semblait que les acolytes étaient saint Vincent et saint Laurent; que le diacre. et le sous-diacre étaient deux anges; quant au prêtre, c'était J.-C. Après la confession, deux jeunes gens d'une rare beauté allèrent au milieu du choeur, commencèrent à haute voix et fort dévotement l’office de la, messe, que poursuivirent ceux qui étaient dans le tuteur. Quand on fut à l’offrande, la reine dés Vierges et toutes les vierges avec ceux qui étaient dans le choeur, vinrent offrir, comme de coutume, leurs cierges au prêtre en fléchissant les genoux. Or, comme le prêtre attendait que la dame vînt lui offrir son cierge, et que celle-ci ne le voulait pas faire, la. reine des vierges lui envoya dire par un exprès qu'elle manquait de savoir-vivre, en faisant attendre le prêtre si longtemps. Elle répondit que le prêtre continuât sa messe parce qu'elle -ne lui offrirait pas son cierge. Alors la reine lui envoya encore un autre exprès à qui la dame répondit qu'elle ne donnerait à personne. le cierge qu'elle avait reçu, mais qu'elle le garderait par dévotion. Toutefois la reine des vierges donna cet ordre à l’exprès.: « Allez la prier de nouveau d'offrir son cierge, sinon vous le lui enlèverez par force, de ses mains. » Le messager étant venu et la dame refusant d'accéder à sa prière, il dit qu'il avait ordre de le lui arracher de force. Alors il saisit le cierge avec une grande violence et s'efforça de l’enlever. La dame le tenait plus
fortement. encore et se défendait comme un homme. Le débat traînait en longueur, le cierge était tiré avec force deçà, de-là, quand tout à coup le cierge se cassa, une moitié restant entre les mains du messager, l’autre moitié danses mains de la dame. Au moment où le cierge se brisa avec bruit, elle revint tout aussitôt à elle et se trouva devant l’autel, où elle s'était placée, avec le cierge brisé à la main. Elle en fut dans l’admiration et rendit d'immenses actions de grâces à la Sainte Vierge qui n'avait pas permis qu'elle restât sans messe en ce jour, mais qui l’avait fait assister à un tel office. Elle eut grand soin de son cierge et le garda comme les plus précieuses reliques. On dit que tous ceux qui en étaient touchés étaient aussitôt guéris des infirmités qui ses tourmentaient. — Une autre dame enceinte vit en songe qu'elle portait un étendard teint de couleur sanguine. En s'éveillant elle perdit de suite les sens : le démon se jouait tellement d'elle qu'il lui semblait qu'elle portait entre ses mamelles la foi chrétienne à laquelle elle avait été jusque-là fort attachée, et qu'elle la perdait à chaque instant. Rien ne la pouvant guérir, elle passa dans une église de la Sainte Vierge la nuit de la Purification et fut guérie parfaitement.
SAINT BLAISE *
* Tiré de ses actes.
Blaise pourrait venir de blandus doux, ou de Belasius, bela signifie habitude et syor, petit. En effet saint Blaise fut doux en ses discours ; il eut l’habitude des vertus et il se fit petit par l’humilité de sa conduite.
Blaise excellait en douceur et en sainteté, ce qui le fit élire parles chrétiens évêque de Sébaste; ville de Cappadoce. Après avoir reçu l’épiscopat, il se retira dans une caverne où il mena. la vie érémitique, à cause de la persécution de Dioclétien **.
** Bréviaire.
Les oiseaux lui apportaient sa nourriture, et s'attroupaient véritablement ensemble autour de lui, et ne le quittaient que quand il avait levé les mains pour les bénir. Si quelqu'un d'eux avait du mal, il venait aussitôt à lui et retournait parfaitement guéri. Le gouverneur du pays avait envoyé des soldats pour chasser ; et après s'être fatigués longtemps en vain, ils vinrent par hasard à l’antre de saint Blaise, où ils trouvèrent une grande multitude de bêtes rangées devant lui. Or, n'ayant pu prendre aucune d'elles, ils furent remplis d'étonnement et rapportèrent cela à leur maître, qui aussitôt envoya plusieurs soldats avec ordre de lui amener Blaise avec tous les chrétiens. Mais cette nuit-là même, J.-C. était apparu au saint par trois fois en lui disant : « Lève-toi et offre-moi le
sacrifice. » Voici que les soldats arrivèrent et lui dirent : « Sors d'ici, le gouverner t'appelle. » Saint Blaise répondit : « Soyez les bienvenus, mes enfants ; je vois à présent que Dieu ne m’a pas oublié. » Pendant le trajet, qu'il fit avec eux, il ne cessa de prêcher, et en leur présence il opéra beaucoup de miracles. Une femme apporta aux pieds du saint son fils qui était mourant d'un os de poisson arrêté dans la gorge ; elle lui demanda avec larmes la guérison de son enfant. Saint Blaise lui imposa les mains et fit une prière pour que cet enfant, aussi bien que tous ceux qui demanderaient quoi que ce fût en son nom, obtinssent le bienfait de la santé; et sur-le-champ, il fut guéri *.
* Bréviaire.
Une pauvre femme n'avait qu'un seul pourceau qu'un loup lui ravit; et elle priait saint Blaise de lui faire rendre son pourceau. Il lui dit en souriant : « Femme, ne te désole pas : ton pourceau te sera rendu. » Et aussitôt le loup vint et rendit la bête à cette veuve. Or, saint Blaise ne fut pas plutôt entré dans la ville que, par ordre du prince; il fut jeté en prison. Le jour suivant, le Gouverneur le fit comparaître devant lui. En le voyant, il le salua en lui adressant ces paroles flatteuses : « Blaise, l’ami des dieux, soyez le bienvenu. » Blaise lui répondit : « Honneur et joie à vous, illustre gouverneur; mais n'appelez pas dieux ceux qui sont des démons, parce qu'ils seront livrés au feu éternel avec ceux qui les honorent. » Le gouverneur irrité le fit meurtrir à coups de bâton, puis rejeter en prison. Blaise lui dit: « Insensé, tu espères donc par tes supplices enlever de mon coeur l’amour de mon Dieu qui me fortifie lui-même ? » Or, la veuve à laquelle il avait fait rendre son pourceau, entendit cela ; elle tua l’animal, et en porta la tête et les pieds, avec une chandelle et du pain, à saint Blaise. Il l’en remercia, mangea, et lui dit : « Tous les ans, offre une chandelle à une église qui porte mon nom, et tu en retireras bonheur, toi, et ceux qui t'imiteront. » Ce qu'elle ne manqua pas de faire; et il en résulta en sa faveur une grande prospérité. Après quoi, le gouverneur fit tirer Blaise de sa prison ; et comme il ne le pouvait amener à honorer les dieux, il ordonna de le suspendre à un, arbre et de déchirer sa chair avec des peignes de fer; ensuite il le fit reporter en prison.
Or, sept femmes qui le suivirent dans le trajet ramassaient les gouttes de son sang. On se saisit d'elles aussitôt et on les força de sacrifier aux dieux. Elles dirent : « Si tu veux que nous adorions tes dieux, fais-les porter avec révérence à l’étang afin qu'après avoir été lavés, ils soient plus propres quand nous les adorerons, » Le gouverneur devient: joyeux et fait exécuter au plus vite ce qu'elles ont demandé. Mais elles prirent les dieux et les jetèrent au milieu de l’étang, en disant : « Si ce sont des dieux, nous le verrons. » A ces mots le gouverneur devint fou de colère et se frappant lui-même, il dit à ses gardés : « Pourquoi n'avez-vous pas tenu nos dieux afin qu'ils ne fussent pas jetés au fond du lac? » Ils répondirent : « Vous vous êtes laissé mystifier par les paroles trompeuses de ces: femmes et elles les ont jetés dans l’étang. » «Le vrai Dieu n'autorise pas les tromperies, reprirent-elles ; mais s'ils étaient des dieux, ils auraient certainement
prévu ce que nous leur voulions faire. » Le gouverneur irrité fit préparer du plomb fondu, des peignes de fer; de plus, il fit préparer d'un- côté sept cuirasses rougies au feu, et il fit placer d'un autre côté sept chemises de lin. Il leur dit de choisir ce qu'elles préféraient; alors une d'entre elles, qui avait deux jeunes enfants, accourut avec audace, prit les chemises et les jeta dans le foyer, ces enfants dirent à leur mère « O mère chérie, ne nous laisses pas vivre après toi; mais de même que tu nous as rassasiés de la douceur de ton lait, rassasie-nous encore de la douceur du royaume du ciel » Alors le gouverneur commanda de les suspendre et de réduire leurs chairs en lanières avec des peignes de fer. Or, leur chair avait la blancheur éclatante de la neige et au lieu, de sang il en coulait du lait. Comme elles, enduraient les supplices avec répugnance, un ange du Seigneur vint vers elles et leur communiqua une force virile en disant : « Ne craignez point : un bon ouvrier qui commence bien et qui mène son oeuvre à bien, mérite la bénédiction de celui qui le fait travailler; pour ce qu'il a fait, il reçoit le prix de son labeur, et il est joyeux de posséder son salaire. » Alors le gouverneur les fit détacher et jeter dans le foyer; mais Dieu permit que le feu s'éteignit et qu'elles sortissent sans avoir éprouvé aucune douleur. Le gouverneur leur dit : « Cessez donc d'employer la magie et adorez nos dieux. » Elles répondirent : « Achève ce que tu as commencé, parce que déjà nous sommes appelées au royaume céleste. » Alors il porta une sentence par laquelle elles. devaient avoir la tête tranchée. Au moment où elles allaient être décapitées, elles se mirent à genoux et adorèrent Dieu en disant : « O Dieu qui nous, avez ôtées des ténèbres et qui nous, avez amenées à cette très douce lumière, qui nous avez choisies pour vous être sacrifiées, recevez nos âmes et faites-nous parvenir à la vie éternelle. » Elles eurent donc la tête tranchée et passèrent au Seigneur.
Après cela, le gouverneur se fit présenter saint Blaise et lui dit : « Adore à l’instant nos dieux, ou ne les adore pas. » Blaise lui répondit : « Impie, je ne crains pas tes menaces ; fais ce que tu veux; je te livre mon corps tout entier. » Alors il le fit jeter dans l’étang. Mais saint Blaise fit le signe. de la croix sur l’eau qui s'endurcit immédiatement comme une terre sèche ; et il dit « Si vos dieux, sont de vrais dieux, faites-nous voir leur puissance et entrez ici. » Et soixante-cinq qui s'avancèrent furent aussitôt engloutis dans l’étang. Mais il descendit un ange du Seigneur qui dit au saint: « Sors, Blaise, et reçois la couronne que Dieu t'a préparée. » Quand il fut sorti, le gouverneur lui dit : « Tu es donc bien déterminé à ne pas adorer les dieux? » «Apprends, misérable, répondit Blaise, que je suis le serviteur de J.-C. et que je n'adore pas les démons. » Et à l’instant l’ordre fut. donné de le décapiter Quant à Blaise, il pria le Seigneur que si quelqu'un réclamait son patronage pour le mal 'de gorge, ou pour toute autre infirmité, il méritât aussitôt d'être exaucé. Et voici qu'une. voix du ciel se fit entendre à lui, qu'il serait fait comme il avait demandé. Ainsi fut décapité ce saint* avec deux petits enfants, vers l’an du Seigneur 283.
* Bréviaire.
SAINTE AGATHE, VIERGE **
** Tiré de ses actes qui ont servi à la rédaction de son office au Bréviaire.
Agathe tire son nom de agios, qui veut dire saint, et de Theos, Dieu. Sainte de Dieu : Trois qualités font les saints, comme dit saint Chrysostome : et elles furent toutes réunies en elle. Ce sont: la pureté du coeur, la présence de l’Esprit-Saint et l’abondance des bonnes rouvres. Ou bien Agathe vient encore de a privatif, sans, de geos terre, et Theos, Dieu, comme on dirait une divinité sans terre, c'est-à-dire, sans amour des biens de la terre. Ce mot viendrait encore, de aga, qui signifie, parlant et thau, consommation, comme ayant parlé d'une manière consommée et parfaite, ainsi qu'on peut s'en assurer par ses réponses. Ou bien il viendrait d'agath, esclavage et thaas, souverain, ce qui voudrait dire servitude souveraine, par rapport à ces paroles qu'elle prononça : « C'est une souveraine noblesse que celle par laquelle on prouve qu'on est au service de J.-C. Agathe viendrait encore d'aga, solennel, et thau, consommé, comme si on disait consommée ; ensevelie solennellement; puisque les anges lui rendirent ce bon office.
Agathe, vierge de race noble et très belle de corps, honorait sans cesse Dieu en toute sainteté dans la ville de Catane. Or, Quintien, consulaire en Sicile, homme ignoble, voluptueux, avare et adonné à l’idolâtrie, faisait tous ses efforts pour se rendre maître d'Agathe * . Comme il était de basse extraction, il espérait en imposer en s'unissant à une personne noble; étant voluptueux, il aurait joui de sa beauté; en s'emparant de ses biens, il satisfaisait son avarice; puisqu'il était idolâtre, il la contraindrait d'immoler aux dieux. Il se la fit donc amener. Arrivée en sa présence, et avant connu son inébranlable résolution, il la livra entre les mains d'une femme de mauvaise vie nommée Aphrodisie **, et à ses neuf filles débauchées comme leur mère, afin que, dans l’espace de trente jours, elles la fissent changer de résolution.
* Bréviaire.
** Ibidem.
Elles espéraient; soit par de belles promesses, soit par des menaces violentes, qu'elles la détourneraient de son bon propos. La bienheureuse Agathe leur dit : « Ma volonté est assise sur la pierre et a J.-C. pour base ; vos paroles sont comme le vent, vos promesses comme la pluie, les terreurs que vous m’inspirez comme les fleuves. Quels que soient leurs efforts, les fondements de ma maison restent solides, rien ne pourra l’abattre. » En
s'exprimant de la sorte, elle ne cessait de pleurer etchaque jour elle priait avec le désir de parvenir à la palme du martyre. Aphrodisie voyant Agathe rester inébranlable dit à Quintien : « Amollir les pierres, et donner au fer, la flexibilité du plomb serait plus facile que de détourner l’âme de cette jeune fille des pratiques chrétiennes et de la,faire changer. » Alors Quintien la fit venir et lui dit: «De quelle condition es-tu? Elle, répondit « Je suis noble et même d'une illustre famille, comme ma parenté en fait foi. * » Quintien lui dit : « Si tu es noble, pourquoi, par ta conduite as-tu des habitudes de personne servile ? » « C'est, dit-elle, que je suis servante de J.-C., voilà pourquoi je parais être une personne servile.» Quintien : «Puisque tu es noble, comment te dis-tu servante? » Elle répondit : « La souveraine noblesse, c'est d'être engagée au service de J.-C.** » Quintien : « Choisis le parti que tu voudras, ou de sacrifier aux dieux, ou d'endurer différents supplices, » Agathe lui répondit: « Que ta femme ressemble à ta déesse Vénus, et toi-même, sois tel que l’a été ton dieu Jupiter. » Alors Quintien ordonna de la souffleter avec force en disant : « N'injurie pas ton juge par tes plaisanteries téméraires. » Agathe répliqua : «Je m’étonne qu'un homme prudent comme toi en soit arrivé à ce point de folie d'appeler tes dieux ceux dont tu ne voudrais pas que ta femme, ou bien toi, suivissiez les exemples, puisque tu dis que c'est te faire injure que de te souhaiter de vivre comme eux. En, effet si tes dieux sont bons, je ne t'ai souhaité que du bien ; mais si tu as horreur de leur ressembler, tu partages mes sentiments. » Quintien « Qu'ai je besoin d'entendre une série de propos superflus ? Ou sacrifie aux dieux, ou je vais te faire mourir par toute espèce de supplices. » Agathe : « Si tu me fais espérer d'être livrée aux bêtes, en entendant le nom de J.-C., elles s'adouciront ; si tu emploies le feu, les anges répandront du ciel sur moi une rosée salutaire ; si tu m’infliges plaies et tortures, je possède en moi le Saint-Esprit par la puissance duquel je méprise tout. »
Alors le consul la fit jeter en prison, parce qu'elle le confondait publiquement par ses discours. Elle y alla avec grande liesse et gloire, comme si elle fût invitée à un festin; et elle recommandait son combat au Seigneur. Le jour suivant, Quintien lui dit : « Renie le Christ et adore les dieux. » Sur son refus, il la fit suspendre à un chevalet et torturer **.
* Bréviaire.
** Ibidem.
Agathe dit : « Dans ces supplices, ma délectation est celle d'un homme qui apprend une bonne nouvelle, ou qui voit une personne longtemps attendue, ou qui a découvert de grands trésors. Le froment ne peut être serré au grenier qu'après avoir été fortement battu pour être séparé de sa balle; de même mon âme ne peut entrer au paradis avec la palme du martyre que mon corps n'ait été déchiré avec violence par les bourreaux. » Quintien en colère lui fit tordre les mamelles et ordonna qu'après les avoir longtemps tenaillées, onles lui arrachât. Agathe lui dit : « Impie, cruel et affreux tyran, n'as-tu pas honte de mutiler
dans une femme ce que tu as sucé toi-même dans ta mène? J'ai dans mon âme des mamelles toutes saines avec lesquelles je nourris tous mes sens; et que j'ai consacrées au Seigneur dès mon enfance *. »
* Bréviaire.
Alors il commanda qu'on la fît rentrer en son cachot avec défense d'y laisser pénétrer les médecins, et de, né lui servir ni pain, ni eau. Et voilà que vers le milieu de la nuit, se présente à elle un vieillard précédé d'un enfant qui portait un flambeau, et ayant à la main divers médicaments. Et il lui dit : « Quoique ce magistrat insensé t'ait accablée de tourments, tu l’as encore tourmenté davantage par tes réponses, et quoiqu'il t'ait tordu ton sein; mais son opulence se changera en amertume : or comme j'étais présent lors de toutes tes tortures, j'ai vu que ta mamelle pourrait être guérie. » Agathe lui dit : « Je n'ai jamais employé la médecine pour mon corps, et ce me serait honte de perdre un avantage que, j'ai conservé si longtemps. » Le vieillard : « Ma fille, je suis chrétien, n'aie pas de honte. » Agathe : « Et qui me pourrait donner de la honte, puisque vous êtes un vieillard fort avancé en âge ? d'ailleurs mon corps est si horriblement déchiré. que personne ne pourrait concevoir pour moi aucune volupté : mais je vous rends grâces, mon seigneur et père, de l’honneur que vous me faites en vous intéressant à moi. » « Et pourquoi donc, répliqua. le vieillard, ne me laisses-tu pas te guérir? » « Parce que, répondit Agathe, j'ai mon Seigneur J.-C. qui d'une seule parole guérit et rétablit toutes choses. C'est lui, s'il le veut, qui peut me guérir à l’instant. » Et le vieillard lui dit en souriant : « Et je suis son apôtre; et c'est lui-même qui m’a envoyé vers toi; sache que, en son nom, tu es guérie *.
* Bréviaire.
« Aussitôt l’apôtre saint Pierre disparut. La bienheureuse Agathe se prosterna et rendit grâces à Dieu ; elle se trouva guérie par tout son corps et sa mamelle était rétablie sur sa poitrine. Or, effrayés de l’immense lumière qui avait paru, les gardes avaient pris la fuite en laissant le cachot ouvert, alors quelques personnes la prièrent de s'en aller. « A Dieu ne plaise que je m’enfuie, dit-elle, et que je perde la couronné de patience! je mettrais mes gardiens dans la tribulations. »
Quatre jours après, Quintien lui dit d'adorer les dieux afin qu'elle n'eût pas à endurer de plus grands supplices. Agathe lui répondit : « Tes paroles sont insensées et vaines; elles souillent l’air et sont iniques, Misérable sans intelligence; comment veux-tu que j'adore des pierres et que je répudie le Dieu du ciel qui m’a guérie? » Quintien : « Et qui t'a guérie?». Agathe : «J.-C., le fils de Dieu.» Quintien ; « Tu oses encore proférer le nom du Christ que je ne veux pas entendre ? » Agathe : « Tant que je vivrai, j'invoquerai J.-C. du coeur et des lèvres. » Quintien : « Je vais voir si le Christ te guérira. » Et il ordonna
qu'on parsemât la place de fragments de pots cassés, que sur ces tessons on répandit des charbons ardents, puis qu'on la roulât toute nue dessus. Pendant qu'on le faisait, voici qu'il survient un affreux tremblement de terre ; il ébranla tellement la ville entière que deux conseillers de Quintien furent écrasés sous les ruines du palais et que tout le peuple accourut vers le consul en criant que c'était uniquement pour l’injuste cruauté exercée contre Agathe que l’on souffrait ainsi *.
* Bréviaire.
Quintien craignant et Je tremblement de terre, et une sédition du peuple, fit reconduire Agathe en prison; où elle fit cette prière : « Seigneur J.-C., qui m’avez créée, et m’avez gardée dès mon enfance, qui avez préservé mon coeur de souillure, qui l’avez sauvegardé contre l’amour du siècle, et qui m’avez fait vaincre les tourments, en m’octroyant la vertu de patience, recevez mon esprit et permettez-moi de parvenir jusqu'à votre miséricorde. » Après avoir adressé cette prière, elle jeta un grand cri, et rendit l’esprit vers l’an du Seigneur 253, sous l’empire de Dèce. Au moment où les fidèles ensevelissaient son corps avec des aromates et le mettaient dans le sarcophage, apparut un jeune homme vêtu de soieries, accompagné de plus de cent autres hommes fort beaux; ornés de riches vêtements blancs, qu'on n'avait jamais vus dans le pays; il s'approcha du corps de la sainte, à la tète de laquelle il plaça une tablette de marbre ; après quoi il disparut aussitôt. Or, cette table, partait cette inscription : « Ame sainte, généreuse, honneur de Dieu, et libératrice de sa patrie.» En voici le sens : Elle eut une âme sainte; elle s'offrit généreusement, elle rendit honneur à Dieu, et elle délivra sa patrie. Quand ce miracle eut été divulgué, les gentils eux-mêmes et les Juifs commencèrent à grandement vénérer son sépulcre. Pour Quintien, comme il allait faire l’inventaire des richesses de la sainte, deux de ses chevaux prirent le mors aux dents et se mirent à ruer; l’un le mordit et l’autre le frappa du pied et le fit tomber dans un fleuve, sans qu'on ait pu jamais retrouver son corps. Un an après, vers le jour de la fête de sainte Agathe, une montagne très haute qui est près de la ville, fit éruption et vomit du feu qui descendait comme un torrent de la montagne, mettait en fusion les rochers et la terre, et venait avec impétuosité sur la ville. Alors une multitude de païens descendirent de la montagne, coururent au sépulcre de la sainte, prirent le voile dont il était couvert et le placèrent devant le feu. Le jour du martyre de cette vierge le feu s'arrêta subitement et ne s'avança pas. Voici ce que dit saint Ambroise en parlant de cette vierge, en sa préface: « O heureuse et illustre vierge qui mérita de purifier son sang par, un généreux martyre pour la gloire du Seigneur! O glorieuse et noble vierge, illustrée d'une double gloire, pour avoir fait toutes sortes de miracles au, milieu des plus cruels tourments, et qui, forte d'un secours mystérieux, a mérité d'être guérie par la visite de l’apôtre! Les cieux reçurent cette épouse du Christ ; ses restes mortels sont l’objet d'un glorieux respect. Le choeur des anges y proclame la sainteté de son âme et lui attribue la délivrance de sa patrie.
SAINT VAST
Vast ou Vedaste, vere dans aestus, parce qu'il se donne vraiment des. ardeurs d'affliction et de pénitence. Vast, viendrait encore de voeh distans, malheur éloigné, parce que le voeh éternel est éloigné de lui. En effet toujours les damnés diront : Malheur; d'avoir offensé Dieu! Malheur, d'avoir obéi au démon! Malheur, d'être né! Malheur, de ne pouvoir mourir! Malheur, pour être tourmenté si fort ! Malheur, parce que jamais je ne serai délivré.
Saint Vast fut ordonné évêque d'Arras par saint Remi. Quand il arriva â la porte de la ville, il y trouva deux pauvres, demandant l’aumône, l’un aveugle, l’autre boiteux, et il leur dit : « Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je vous le donne. » Il fit ensuite une prière et les guérit l’un et l’autre.
Un loup avait fait sa demeure d'une église abandonnée et couverte par des ronces ; Vast lui demanda d'en sortir et de n'oser plus y rentrer : ce qui arriva. Enfin, après avoir converti un grand nombre de personnes par ses paroles et ses couvres, la quarantième année de son épiscopat, il vit une colonne de feu descendre du ciel jusque sur sa maison : il comprit alors que sa fin était proche et peu de temps après, il mourut en paix, vers l’an du Seigneur .
Comme on faisait la translation de son corps, Omer, aveugle de vieillesse, chagrin de ne pouvoir contempler le corps du saint, recouvra la vue à l’instant, mais peu après, selon son désir, il redevint aveugle.
* Alcuin a écrit en meilleur style une vie ancienne de ce saint. Cette légende n'a rien qui n'y soit conforme.
SAINT AMAND *
Saint Amand est appelé ainsi, parce qu'il fut aimable. Il posséda en effet les trois qualités qui rendent l’homme aimable: 1° Sa société fut agréable (Proverbes, c. XVIII). « L'homme dont la société est agréable sera plus aimé que le frère. » 2° Sa manière de vivre le rendait honorable : c'est ainsi qu'il est dit d'Esther (c. II) qu'elle était agréable à tous ceux qui la voyaient. 3° Il était plein de coeur (II, Rois, c. I). : « Paul et Jonathan étaient aimables et beaux. »
Amand, qui avait de nobles parents, entra dans un monastère. Un jour qu'il s'y promenait, il trouva un énorme serpent ; par la vertu du signe de la croix et par sa prière il le força à rentrer dans son antre avec ordre de n'en plus sortir jamais **. Il vint au tombeau de saint Martin où il resta quinze ans couvert d’un cilice et ne se soutenant qu'avec de l’eau et du pain d'orge ***. Ensuite, il alla à Rome où il voulut passer la nuit en prières dans l’église de saint Pierre, mais le gardien de l’église le mit à la porte avec irrévérence.
* Philippe de Harvenq, au XIIe siècle, écrivit la vie de saint Amand sur une autre écrite par Baudemond, disciple du saint. La légende en reproduit exactement les principaux faits. — Hélinand, en sa Chronique; raconte, comme la légende, la vie de saint Amand.
** Philippe de Harvenq, c. III.
*** Idem., c. V.
Par l’ordre de saint Pierre qui lui apparut devant la porte de l’église où il dormait, il alla dans les Gaules pour réprimander Dagobert de ses crimes. Mais le roi irrité le chassa de son royaume. Enfin, comme le prince n'avait point de fils, et qu'après s'être adressé à Dieu, il en eut obtenu un, il se demanda par qui il ferait baptiser son enfant et il lui vint à l’esprit de lui faire donner le baptême par Amand. On chercha donc le saint et on l’amena au roi qui se jeta à ses pieds, le pria de lui pardonner et de baptiser le fils que le Seigneur lui avait accordé. D'abord Amand consentit une première fois, mais redoutant les embarras des affaires du siècle, il refusa après une seconde demande et partit. Vaincu enfin par les sollicitations, il céda au voeu du roi. Pendant le baptême, comme personne ne répondait, l’enfant, dit : Amen *. Après quoi, le roi fit élever Amand sur le siège de Maestricht. Quand il vit que la plupart des habitants méprisaient ses prédications, il alla en Gascogne, où un bouffon, qui se moquait de ses paroles, fut saisi par le démon : il se déchirait lui-même avec ses dents. Après avoir confessé qu'il avait fait injure à l’homme de Dieu, il mourut de suite misérablement **.
Un jour que saint Amand se lavait les mains, un évêque fit conserver l’eau dont il s'était servi, et elle procura la guérison d'un aveugle, quelque temps après ***.
* Philippe de Harvenq., ch. XXVI-XXVIII ; — Hélinand, Chron., an 660.
** Idem, c. XXIX, XXXVIII.
*** Idem, c. XXXIX.
Comme il voulait, avec l’agrément du roi, bâtir un monastère, l’évêque de la ville voisine, qui voyait cela de mauvais oeil, envoya ses gens pour le tuer ou pour le chasser.
Arrivés auprès du saint, ils employèrent la ruse en lui disant de venir avec eux et qu'ils lui montreraient un endroit convenable pour bâtir un monastère. Amand, qui connaissait d'avance leur malice, alla avec eux jusqu'au sommet de la montagne ait ils voulaient le tuer, tant il aspirait au martyre ! Mais voici qu'une pluie tellement abondante et une si grande tempête enveloppèrent la montagne, qu'ils ne pouvaient se voir les uns les autres. Comme ils se croyaient près de mourir, ils se prosternèrent en demandant pardon au saint, en le priant de les laisser aller en vie. Alors il adressa une prière fervente et obtint une très grande sérénité. Ils revinrent donc chez eux, et saint Amand échappa ainsi à la mort*. Il opéra encore beaucoup d'autres miracles et mourut en paix, Il vécut vers l’an du Seigneur 653, au temps d'Héraclius.
SAINT VALENTIN
Valentin vient de valorem tenens, c'est-à-dire; qui persévère dans la sainteté. Ou bien de valens tiro, soldat vaillant qu'il fut de J.-C. On appelle un soldat vaillant celui qui n'a jamais succombé, qui frappe avec force, qui se défend avec valeur, qui remporte de grandes victoires. Valentin ne succomba pas en fuyant le martyre, il frappa l’idolâtrie. en l’anéantissant, il défendit la foi en la confessant, et il vainquit en souffrant.
* Philippe de Harvenq, c. XL.
Valentin fut un prêtre vénérable que l’empereur Claude se fit amener et auquel il adressa cette question : « Qu'est ceci, Valentin ? pourquoi ne gagnes-tu pas notre affection en adorant nos dieux et en rejetant tes vaines superstitions ? » Valentin lui répondit : « Si tu connaissais la grâce de Dieu, tu ne parlerais jamais ainsi, mais tu renoncerais aux idoles pour adorer Dieu qui est, au ciel. »Alors un de ceux qui accompagnaient Claude dit : « Qu'as-tu à dire, Valentin, de la sainteté de nos dieux? » Valentin lui répondit : « Je n'ai rien à dire, sinon qu'ils ont été des hommes misérables et souillés en toute manière. » Claude s'adressa à lui : « Si le Christ est le vrai Dieu, pourquoi ne me le dis-tu pas ? » Valentin lui dit : « Oui, J.-C. est le seul Dieu; si tu crois en lui, ton âme sera sauvée, l’Etat s'agrandira, et tu remporteras la victoire sur tous les ennemis. » Alors, Claude, s'adressant à ceux qui étaient présents : « Romains, leur dit-il, écoutez comme cet homme parle avec sagesse et droiture. ». Le préfet dit : « L'empereur s'est laissé séduire comment abandonnerons-nous ce à quoi nous tenons depuis notre enfance ? » Et aussitôt le coeur de Claude fut changé. Or, Valentin fut confié à un des officiers pour être mis sous bonne garde. Quand le saint fut entré dans la maison de cet homme, il dit : « Seigneur J.-C., qui êtes la véritable lumière, éclairez cette maison, afin que vous y soyez reconnu comme le vrai Dieu. » Le préfet lui dit : « Je suis étonné de
t'entendre dire que le Christ est la lumière : certes, si ma fille, qui est aveugle depuis longtemps, recouvré la vue, je ferai tout ce que tu me commanderas. » Alors Valentin, par une prière, rendit la vue à sa fille et convertit tous ceux de la maison: Après quoi, l’empereur fit décapiter Valentin, vers l’an du Seigneur 280.
SAINTE JULIENNE *
* Bollandus a démontré que les actes de sainte Julienne sont authentiques.
Julienne qui avait été fiancée à Euloge, préfet de Nicomédie, ne voulut s'unir à lui qu'à la condition expresse qu'il recevrait la foi de J.-C. Son père la fit dépouiller, et frapper rudement, puis il la livra au préfet. Celui-ci dit à sa femme. « Ma très chère Julienne, pourquoi m’as-tu trompé au point de me renier de cette façon? » Elle lui répondit : « Quand tu adoreras mon Dieu, j'acquiescerai à tes désirs, autrement tu ne seras jamais mon maître. » Le préfet lui dit : « Ma maîtresse, je ne. puis faire cela, parce que l’empereur me ferait couper la tête. » Julienne reprit: « Si tu crains de la sorte un empereur mortel, comment veux-tu que je ne craigne pas un empereur qui est immortel? Fais tout ce que tu veux, mais tu ne pourras pas me surprendre. » Alors le préfet la fit très durement frapper de verges, et pendre par les cheveux pendant un demi-jour, puis. il ordonna de lui verser sur la tête du plomb fondu. Ce tourment, ne lui ayant fait aucun mal, il l’enchaîna et l’enferma dans une prison : Le diable la vint trouver sous la figure d'un ange, et lui dit: «Julienne, je suis l’ange du Seigneur qui m’a envoyé vers vous afin que je vous exhorte à sacrifier aux dieux, pour que vous ne soyez pas si longtemps tourmentée et que vous ne mouriez pas dans des supplices si cruels. » Alors Julienne se mit à pleurer et elle pria en disant: « Seigneur mon Dieu, ne me laissez pas périr; mais faites-moi connaître quel est celui qui me donne de semblables conseils. » Une voix se fit entendre à elle et lui: dit de se saisir de lui, et de le forcer' à confesser qui il était. Quand elle l’eut tenu et qu'elle lui eut demandé qui il était, il lui dit qu'il était le démon et que son père l’avait envoyé pour la tromper. Julienne lui dit : « Et qui est ton père? » Il répondit : « C'est Beelzébuth qui nous fait commettre toute sorte de mal, et nous fait fouetter rudement, chaque fois que nous avons été vaincus par les chrétiens ; aussi je sais que je suis venu ici pour mon malheur, parce que je n'ai pu te dompter. » Entre autres aveux, il dit qu'il était principalement tenu loin des chrétiens quand on célébrait le mystère du corps du Seigneur, comme aussi dans le moment des prières et des prédications. Alors Julienne 'lui lia les mains derrière le dos et le jetant par terre, elle le frappa très durement avec la chaîne qui lui servait de lien. Le diable poussait des cris et la priait en disant: « Madame Julienne, ayez pitié de moi. » Sur ces entrefaites le préfet, fit tirer Julienne de prison, et en sortant elle traînait derrière elle le démon lié ; or, celui-ci la
priait en disant : « Ma dame Julienne, ne me rendez pas davantage ridicule; je ne pourrai plus désormais avoir le dessus sur qui que ce soit : on dit les chrétiens miséricordieux et vous n'avez aucune miséricorde pour moi. » Elle le traîna ainsi à travers toute la place et ensuite elle le jeta dans une latrine.
Arrivée en présence du préfet, elle fut étendue. sur une roue, d'une manière si brutale que tous ses os furent disloqués et que la moelle en sortait : mais un ange du Seigneur brisa la roue et la guérit en un instant. Ceux qui furent témoins de ce prodige crurent et furent décapités, les hommes au nombre de cinq cents et les femmes de cent trente. Après quoi Julienne fut jetée dans une chaudière pleine de plomb fondu; mais le plomb se changea en un bain tempéré. Le préfet maudit ses dieux, de ne pouvoir punir une jeune fille qui leur infligeait une si grande injure. Alors il ordonna de lui couper le cou. Comme on là conduisait à l’endroit où elle devait être exécutée, le démon, qu'elle avait battu, apparut sous la figure d'un jeune homme et criait en disant : « Ne l’épargnez pas, parce qu'elle a méprisé vos dieux et qu'elle m’a frappé cette nuit avec violence ; rendez-lui donc ce qu'elle a mérité. » Or, comme Julienne levait les yeux pour voir quel était celui qui parlait de la sorte, le démon s'écria en prenant la fuite : « Hélas! hélas ! que je suis misérable ! je pense encore qu'elle veut me prendre et me lier. » Après que sainte Julienne eut été décapitée, le préfet fut englouti au fond de la mer dans une tempête avec trente-quatre hommes. Leurs corps, ayant été vomis par les flots, furent dévorés par les bêtes et les oiseaux.
CHAIRE DE SAINT PIERRE, APOTRE
Il y a trois sortes de chaires: savoir, la royale (II, Rois, XXIII) : « David s'assit dans la chaire, etc. ; la sacerdotale (I, Rois, 1) : « Héli était assis sur son siège, etc. » ; la magistrale (saint Matth., XXIII) : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse, etc. » Or, saint Pierre s'assit sur la chaire royale, parce qu'il fut le premier de tous les rois : sur la sacerdotale, parce qu'il fut le pasteur de tous les clercs; sur la magistrale, parce qu'il fut le docteur de tous les chrétiens.
L'Église fait la fête de la chaire de saint Pierre parce que l’on rapporte que saint Pierre fut élevé à Antioche sur le siège cathédrale. On peut attribuer l’institution de cette solennité à quatre motifs. Le premier c'est que saint Pierre, prêchant à Antioche, Théophile, gouverneur de la ville, lui dit : « Pierre, pour quelle raison bouleverses-tu mon peuple ? » Or, comme Pierre lui prêchait la foi de J.-C., le gouverneur le fit enchaîner avec ordre de le laisser sans boire ni manger. Mais comme Pierre allait presque défaillir, il reprit un peu de force, et, levant les yeux au ciel, il dit : « Jésus-Christ, secours des
malheureux, venez à mon aide; je vais succomber dans ces tribulations. » Le Seigneur lui répondit : « Pierre, tu crois que je t'abandonne ; tu fais injure à ma bonté, si tu ne crains pas de parler ainsi contre moi. Celui qui subviendra à ta misère est proche. » Or, saint Paul, apprenant que saint Pierre était en prison, vint trouver Théophile et s'annonça à lui comme un ouvrier très habile en toutes sortes de travaux et d'art ; il dit qu'il savait sculpter le bois et, les tables, peindre les tentes et que son industrie s'exerçait sur beaucoup d'autres objets encore. Alors Théophile le pria instamment de se fixer à sa cour. Quelques jours se passèrent, et Paul entra en cachette dans la prison de, saint Pierre. En le voyant presque mort et tout défait, il se mit à pleurer très amèrement, et pendant qu'il fondait en larmes et au milieu de ses embrassements il s'écria : « O Pierre, mon frère, ma gloire, ma joie, la moitié de mon âme, me voici, j'entre, reprenez des forces.» Alors Pierre, ouvrant les veux et le reconnaissant, se mit à pleurer, mais il ne put lui parler, et Paul, s'approchant, parvint à peine à lui ouvrir la bouche; et en lui faisant avaler quelque nourriture il le ranima un peu. La nourriture ayant rendu de la force à saint Pierre, celui-ci se jeta dans les bras de saint Paul, l’embrassa et ils pleurèrent beaucoup tous les deux. Paul étant sorti avec précaution vint dire à Théophile : « O bon Théophile, vous jouissez d'une grande gloire ; votre courtoisie est celle d'un ami honorable. Un petit mal déshonore grand bien rappelez-vous la manière dont vous avez traité un adorateur de Dieu, qui s'appelle Pierre; comme s'il avait grande importance. Il- est couvert de haillons, défiguré, il est consumé de maigreur, tout est vil chez lui : ses discours seuls le font valoir : et vous tenez pour bien séant de le mettre en prison? Si plutôt il jouissait de son ancienne liberté, il pourrait vous rendre de meilleurs services, car selon qu'on le dit de cet homme, il guérit les infirmes, il ressuscite les morts. » Théophile lui dit : « Ce sont des fables. que tu me dis là, Paul; car s'il pouvait ressusciter des morts, il se délivrerait lui-même de sa prison. » Paul? répondit: « De même que son Christ est ressuscité d'entre les morts; d'après ce qu'on dit, lui quine voulut pas descendre de la croix, on dit encore qu'à son exemple, Pierre ne se délivre pas et ne craint nullement de souffrir pour le Christ. » Théophile répondit : « Alors dis-lui qu'il ressuscite mon fils qui est mort depuis quatorze ans déjà et je le rendrai libre et sauf: » Paule entra, donc dans la prison de saint Pierre et lui dit comment il avait promis la. résurrection du fils du prince. Pierre lui dit : « C'est énorme, Paul, ce que tu as promis; mais avec la puissance de Dieu elle est très facile. » Or, Pierre ayant été tiré du cachot, fit ouvrir le tombeau, pria pour le mort qui ressuscita à l’instant * : (Il ne parait cependant pas vraisemblable. en tout point que, ou bien saint Paul aurait avancé qu'il savait travailler de toute sorte de métiers par lui-même, ou que la sentence de ce jeune homme aurait . été tenue-en suspens pendant quatorze ans.)
* Guillaume Durand, liv. VII, c. VIII.
Alors Théophile et le peuple entier d'Antioche et d'autres encore en grand nombre crurent au Seigneur et bâtirent une, grande église; au milieu de laquelle ils placèrent une
chaire élevée pour saint Pierre afin qu'il plat être vus et écouté de tous. Il y siégea sept ans, puis il vint à Rome où il siégea vingt-cinq ans sur la chaire romaine. L'Église célèbre la mémoire de ce premier honneur, parce que, à dater de cette époque, les prélats de l’Église commencèrent à être; exaltés en puissance, en nom et en lieu. Alors fut accomplie cette parole du Psaume CVI : « Qu'on l’exalte dans l’assemblée du peuple. » Il faut observer qu'il y a trois églises où saint Pierre fut exalté : dans l’église militante, dans l’église méchante et dans l’église triomphante. De là trois fêtes que l’Église célèbre en son nom. Il a été exalté dans l’église militante, en la présidant, et en la dirigeant avec, honneur par son esprit, sa foi et ses moeurs. C'est l’objet de la fête de ce jour qui est appelée Chaire, parce qu'il reçut le pontificat de l’Église d'Antioche, et qu'il la gouverna glorieusement l’espace de sept ans. Secondement il fut exalté dans l’église des méchants, en la détruisant et en la convertissant à la foi. Et c'est l’objet de la seconde fête qui est celle de saint Pierre aux liens: Ce fut en effet en cette occasion qu'il détruisit l’église des méchants, et qu'il en convertit beaucoup à la foi. Troisièmement, il fut exalté dans l’Église triomphante, en entrant dans le ciel avec bonheur, et c'est l’objet de la troisième fête de saint Pierre qui est celle de son martyre, parce qu'alors il, entra en l’Église triomphante.
On peut remarquer qu'il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles l’Église célèbre trois fêtes en l’honneur de saint Pierre; pour son privilège, pour sa charge, pour ses bienfaits, pour la dette dont nous lui sommes redevables et pour l’exemple. 1° Pour son privilège. Il en est trois que saint Pierre reçut à l’exclusion des autres apôtres, et c'est pour ces trois privilèges que l’église l’honore trois fois chaque année. Il fut le plus digne en autorité, parce qu'il a été le prince des apôtres et qu'il a reçu les clefs du royaume des cieux : il fut plus fervent dans son amour; en effet il aima J.-C. d'un amour plus grand que les autres, comme cela est manifeste d'après différents passages de l’Évangile. Sa puissance fut plus efficace, car on lit dans les Actes des Apôtres que sous l’ombre de Pierre étaient, guéris les infirmes. 2° Pour sa charge, car il remplit lés fonctions de la prélature: sur l’Église universelle; et de même que Pierre fut le prince et le prélat de toute l’Église répandue dans les trois parties du monde, qui sont l’Asie, l’Afrique et l’Europe, de même l’Église célèbre sa fête trois fois par an. 3° Pour ses bienfaits, car. saint Pierre, qui a reçu le pouvoir de lier et d'absoudre, nous délivre de trois sortes de péchés, qui sont les péchés de pensée, de parole et d'action, ou bien des péchés que nous avons commis contre Dieu, contre: le prochain et contre nous-mêmes. Ou ce bienfait peut être le triple, bienfait que le pécheur obtient en l’Église: par la puissance des clefs : le premier, c'est la déclaration de l’absolution de la faute; le second, c'est la commutation de la peine éternelle en une peine temporelle; le troisième, c'est la rémission d'une partie de la peine temporelle. Et c'est pour ce triple bienfait. que saint Pierre doit être honoré par trois fois. 4° Pour la dette dont nous lui sommes redevables, car il nous soutient et nous a soutenus de trois manières, par sa. parole; par son exemple, et par des secours temporels, ou bien tsar le suffrage de ses prières ; c'est pour cela que nous sommes obligés à l’honorer par
trois fois. 5° Pour l’exemple; afin, qu'aucun pécheur ne désespère, quand bien même il eût renié Dieu trois fois, comme saint Pierre, si toutefois, il veut le confesser comme lui de coeur, de bouche et d'action.
Le second motif pour lequel cette fête a été instituée est pris de l’itinéraire de saint Clément. Lorsque saint Pierre, qui prêchait la parole de Dieu, était près d'Antioche, tous les habitants de cette ville allèrent nu-pieds au-devant de lui, revêtus de cilices, la tête couverte de cendres; en faisant pénitence de ce qu'ils avaient partagé les sentiments de Simon le magicien contre lui. Mais Pierre, envoyant leur repentir, rendit grâces à Dieu : alors ils lui présentèrent tous ceux qui étaient tourmentés par les souffrances, et les possédés dû démon. Pierre les ayant fait placer devant lui et ayant invoqué sur' eux le nom du Seigneur, une immense lumière apparut en ce lieu, et tous furent, incontinent guéris. Alors ils accoururent embrasser les traces des pieds de saint Pierre. Dans l’intervalle de sept jours, plus de dix mille hommes reçurent le baptême, en sorte que Théophile, gouverneur de la ville, fit consacrer sa maison comme basilique, et y fit placer une chaire élevée afin que saint Pierre fût vu et entendu de tous. Et ceci ne détruit pas ce qui a été avancé plus haut.: Il peut en effet se faire que saint Pierre, par le moyen de saint Paul, ait été reçu magnifiquement par Théophile et par tout le peuple; mais . qu'après le départ de saint Pierre, Simon le magicien ait perverti le peuple, l’ait excité contré saint Pierre, et que, dans la suite, il ait fait pénitence et reçu une seconde fois l’apôtre avec de grands honneurs. Cette fête de la mise en chaire de saint Pierre est ordinairement appelée la fête du banquet de saint Pierre et c'est le troisième motif de son institution. Maître Jean Beleth dit * que c'était une ancienne coutume des gentils; de faire chaque. année, au mois de février, à jour fixe, des offrandes de viandes sur les tombeaux de leurs parents : ces viandes étaient, consommées la nuit par les démons; mais les païens pensaient qu'elles étaient saccagées par les âmes errantes autour des tombeaux, auxquelles ils donnaient le nom d'ombres. Les anciens en effet avaient l’habitude de dire, ainsi que le rapporte le même auteur, que dans les corps humains ce sont des âmes, dans les enfers ce sont des mânes : mais ils donnaient aux âmes le nom d'esprits quand elles montaient au ciel et celui d'ombres quand la sépulture était récente ou quand elles erraient autour des tombeaux. Or, cette coutume touchant ces banquets fut abolie difficilement chez les chrétiens : les saints Pères, frappés de cet abus et décidés à l’abolir, tout à fait, établirent la fête de l’intronisation de saint Pierre, aussi bien de celle qui eut lieu à Rome que de celle qui se fit à Antioche; ils la placèrent à pareil, jour que se tenaient ces banquets, en sorte que quelques-uns lui donnent encore le nom de fête du banquet de saint Pierre **.
* Chapitre: LXXXIII.
** Saint Augustin, au livre VI de ses Confessions, parle de cet usage qui subsistait encore en 570, dans les Gaules, d'après un concile de Tours.
Le quatrième motif de l’institution de cette fête se tire de la révérence que l’on doit à la couronne cléricale : car d'après une tradition, c'est là l’origine de la tonsure. En effet quand saint Pierre prêcha à Antioche, on lui rasa le haut de la tête, en haine du nom chrétien : et ce qui avait été pour saint Pierre un signe de mépris par rapport à J.-C. devint dans la suite une marque d'honneur pour tout le clergé. Mais il faut faire attention à trois particularités par rapport à la couronne des clercs : la tête rasée, les cheveux coupés à la tête, et le cercle qui la forme. La tête est rasée dans sa partie supérieure pour trois raisons. Saint Denys; dans sa Hiérarchie ecclésiastique, en assigne deux que voici : « Couper les cheveux, signifie une vie paré et sans forme : car trois choses résultent des cheveux coupés ou de la tête rasée, qui sont : conservation de propreté, changement de forme, et dénudation. Il y a conservation de propreté puisque les cheveux font amasser des ordures dans la tête ; changement de forme, puisque les cheveux sont pour l’ornement de da tête ; la tonsure signifie donc une vie pure et sans forme. Or, cela veut dire que les clercs doivent avoir la pureté de coeur à l’intérieur, et une manière d'être sans forme, c'est-à-dire sans recherche, à l’extérieur. La dénudation indique qu'entre eux et Dieu, il ne doit se trouver rien, mais qu'ils doivent être unis immédiatement à Dieu et contempler la gloire du Seigneur sans avoir de voile qui leur couvre le visage. On coupe les cheveux de la tête pour donner à comprendre par là que les clercs doivent retrancher de leur esprit toutes pensées superflues, avoir toujours l’ouïe prête et disposée à la parole de Dieu, et se détacher absolument des choses temporelles, excepté dans ce qui est de nécessité. La tonsure a la figure d'un cercle pour bien des raisons : 1° parce que cette figure n'a ni commencement ni fin; ce qui indique que les clercs sont les ministres d'un Dieu qui n'a aussi ni commencement ni fin; 2° parce que cette figure, qui n'a aucun angle, signifie qu'ils ne doivent point avoir d'ordures en leur vie; car, ainsi que dit saint Bernard, ou il y a angle, il y a ordures ; et ils doivent conserver la vérité dans, la doctrine; car, selon saint Jérôme, la vérité n'aime pas les angles; 3° parce que cette figure est la plus belle de toutes ; ce qui a porte Dieu. à faire les créatures célestes avec cette figure, pour signifier que les clercs doivent avoir la beauté de l’intérieur dans le coeur et celle de l’extérieur dans la manière de vivre ; 4° parce que cette figure est de toutes la plus simple : d'après saint Augustin, aucune figure n'est obtenue avec une seule ligne, il n'y a que le cercle seulement qui n'en renferme qu'une; on voit par là que les clercs doivent posséder la simplicité des colombes, selon cette parole de l’Evangile : « Soyez simples comme des colombes. »
SAINT MATHIAS, APOTRE
Mathias est un nom hébreu qui signifie donné par Dieu, ou donation du Seigneur, ou humble, petit, car il fut donné par le Seigneur quand il le choisit, et le sépara du monde et en fit un des soixante-douze disciples. Il fut donation du Seigneur quand; ayant été choisi par le sort, il mérita d'être du nombre des apôtres. Il fut petit, car toujours il garda une véritable humilité. Il y a trois sortes d'humilité, dit saint Ambroise : la première d'affliction quand quelqu'un est humilié ; la seconde de considération qui vient de la considération de soi; la troisième de dévotion qui procède de la connaissance du créateur. Saint Mathias eut la première en souffrant le martyre, la seconde en se méprisant lui-même, la troisième en admirant la majesté de Dieu. Mathias vient encore de manu, qui veut dire bon, et thésis, qui signifie placement. De là Mathias, le bon à la place du méchant, savoir de Judas. Sa vie, qu'on lit dans les Églises, est attribuée à Bède.
Mathias remplaça Judas dans l’apostolat. Mais voyons d'abord en peu de mots la naissance et l’origine de ce Judas le traître. On lit donc dans une histoire (toutefois elle est apocryphe), qu'il y eut à Jérusalem un homme du nom de Ruben, appelé autrement Simon, de la tribu de Dam, ou d'après saint Jérôme, de la tribu d'Issachar, qui eut pour femme. Cyborée. Or; une nuit qu'ils s'étaient mutuellement rendus le devoir, Cyborée s'endormit. et eut un songe dont elle fut effrayée et qu'elle raconta comme il suit à son mari avec sanglots et soupirs : « Il me semblait enfanter un fils souillé de vices qui devait être la cause de la ruine de toute notre nation. » Ruben lui dit : « Tu racontes là une chose affreuse; qu'on ne devrait jamais réciter : et tu as, je pense, été le jouet d'un esprit pithon. » Elle lui répondit : « Si. je m’aperçois que j'ai conçu; et si je mets au monde un fils, il n'y aura certainement pas là d'esprit pithon; dès lors la. révélation devient évidente. ». Or, son temps expiré, elle enfanta un fils ; ses parents furent dans une grande angoisse et réfléchirent sur ce qu'ils feraient de cet enfant; comme ils avaient horreur de le tuer, et qu'ils ne voulaient pas élever le destructeur de leur race, ils le placèrent dans. un panier de jonc qu'ils exposèrent sur la mer, dont les flots le jetèrent sur une île, appelée Scarioth. Judas a donc pris de cette île son nom d'Iscarioth. Or, la reine de ce pays n'avait point , d'enfant. Etant allée se promener sur le bord de la mer, et voyant cette corbeille ballottée par les flots, elle l’ouvrit. En trouvant cet enfant qui était de forme élégante, elle dit avec un soupir : « Oh! que n'ai-je la consolation d’avoir un si grand enfant pour ne pas laisser mon royaume sans successeur! » Elle fit donc nourrir l’enfant en cachette, simula une grossesse; enfin elle déclara mensongèrement avoir mis au monde un fils, et cette grande nouvelle fut répandue par tout le royaume. Le prince fut dans l’ivresse d'avoir un fils et le peuple en conçut une grande joie. L'enfant fut élevé avec une magnificence royale. Mais peu de temps après la reine conçut du roi et elle enfanta un fils à son terme. Les enfants avaient déjà grandi un peu, fort souvent ils jouaient ensemble, et Judas tourmentait
l’enfant du roi par de fréquentes taquineries et par des injures, au point de le faire souvent pleurer. Or, la reine, qui le souffrait avec chagrin, et qui savait que Judas ne lui était de rien, le frappait souvent. Mais cela ne corrigea pas Judas de molester l’enfant. Enfin le fait est divulgué et Judas déclaré n'être pas le vrai fils de la reine, mais un enfant trouvé. Après cette découverte, Judas tout honteux tua, sans qu'on le vit, son frère putatif, le fils du roi. Craignant d'être condamné à perdre la tête pour ce crime, il s'enfuit à Jérusalem avec ceux qui étaient soumis au tribut, et se mit au service de la cour de Pilate pour lors gouverneur, et comme qui se ressemble se rassemble, Pilate trouva que Judas lui convenait et conçut pour lui une grande affection. Judas est donc mis à la tête de la cour de Pilate, et tout se fait d'après ses ordres. Un jour que Pilate regardait de son palais dans un verger enclos, il fut pris d'une telle envie d'avoir des pommes qui s'y trouvaient qu'il faillit presque tomber faible. Or, ce jardin appartenait à Ruben, le père de Judas; mais Judas ne connaissait pas son père, ni Ruben ne connaissait son fils, parce que, d'abord, Ruben pensait que son fils avait péri dans la mer; et ensuite que Judas ignorait complètement qui était son père et quelle était sa patrie. Pilate fit donc mander Judas et lui dit : « J'ai un si grand désir de ces fruits que si j'en suis privé j'en mourrai. » Alors Judas s'empressa de sauter dans l’enclos et cueillit des pommes au plus vite. Sur ces entrefaites, arrive Ruben qui trouve Judas cueillant ses pommes. Alors voilà une vive dispute qui s'engage : ils se disent des injures ; après les injures, viennent les coups; et ils se font beaucoup de mal ; enfin Judas frappe Ruben avec une pierre à la jointure du cou, et le tue ; il prend ses pommes et vient racontera Pilate l’accident qui lui est arrivé. C'était au déclin du jour, et la nuit approchait, quand on trouva Ruben mort. On croit qu'il est la victime d'une mort subite. Pilate concéda alors à Judas tous les biens de Ruben ; de plus, il lui, donna pour femme l’épouse de ce même Ruben. Or, un jour que Ciborée poussait de profonds soupirs et que Judas son mari lui demandait avec intérêt ce qui l’agitait, elle répondit : « hélas! je suis la plus misérable des femmes; j'ai noyé mon petit enfant dans la mer et j'ai trouvé mon mari mort avant le temps; mais de plus, voici que Pilate a ajouté malheureusement une douleur à ma douleur, en me faisant marier au milieu de la pins grande tristesse, et en m’unissant à toi contre ma volonté. » Quand elle lui eut raconté tout ce qui avait trait au petit enfant, et que Judas lui eut rapporté tous ses malheurs, il fut reconnu que Judas. avait. épousé sa mère et qu'il avait tué son père. Touché de repentir, il alla, par le conseil de Ciborée, trouver N. S. J.-C. et lui demanda pardon de ses péchés. Jusqu'ici c'est le récit de l’histoire apocryphe qui est laissée à l’appréciation du lecteur, quoiqu'elle soit plutôt à rejeter qu'à admettre. Or, le Seigneur le fit son disciple ; de disciple il l’élut apôtre, et il l’eut en telle confiance et amitié qu'il fit son procureur de celui que peu de temps après il supporta comme traditeur : en effet il portait la bourse et il volait ce qu'on donnait à J.-C. Il fut marri, au temps de la passion du Seigneur, que le parfum, qui valait trois cents deniers, n'eût pas été vendu, pour les pouvoir encore ravir; alors il alla vendre son maître trente deniers, dont un valait dix des deniers courants, et il se compensa ainsi de la perte des trois cents deniers du parfum ; ou bien, d'après le.
rapport de quelques personnes, il volait la dixième partie de tout ce qu'on donnait pour J.-C. et. pour la dixième partie qu'il avait perdue du parfum, c'est-à-dire, pour trente deniers, il vendit le Seigneur. Il est vrai que touché de repentir il les rapporta et qu'il alla se pendre avec un lacet, et s'étant pendu il a crevé par le milieu du ventre et toutes ses entrailles se sont répandues; et il ne rejeta rien par la bouche car il n'était pas convenable qu'elle fût souillée d'une façon si ignominieuse après avoir été touchée par la glorieuse bouche de J.-C. Il était encore convenable que les entrailles qui avaient conçu la trahison fussent déchirées et répandues, et que la gorge par où la parole de trahison avait passé fût étranglée avec un lacet. Il mourut en l’air, afin qu'ayant offensé les anges dans le ciel et les hommes sur la terre, il fût placé ailleurs que dans l’habitation des anges et des hommes, et qu'il fût associé avec les démons dans l’air *.
* Papias, évêque d'Hyerapolis, disciple de saint Jean, affirme que Judas survécut à sa pendaison; mais que, devenu affreusement hydropique, il fut écrasé par un char ; Théophylacte et Euthyme l’assurent aussi.
Comme, entre l’Ascension et la Pentecôte, les apôtres étaient réunis dans 1e cénacle, Pierre voyant que le nombre des douze apôtres était diminué, nombre que le Seigneur avait choisi lui-même pour annoncer la Trinité dans lés quatre parties du monde, il se leva au milieu des- frères et dit : « Mes Frères, il faut que nous mettions quelqu'un à la place de Judas, pour qu'il témoigne avec nous de la résurrection de J.-C. qui nous a dit : « Vous me serez des témoins à Jérusalem, en toute la Judée, en Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre; et parce qu'un témoin ne peut rendre témoignage que de ce qu'il a vu, il nous faut choisir un de ces hommes qui ont toujours été avec nous, qui ont vu les miracles du Seigneur, et qui ont ouï sa doctrine. » Et ils présentèrent deux des soixante-douze disciples, Joseph, qui, pour sa sainteté, fut surnommé le Juste; frère de Jacques-Alphée, et Mathias, dont on ne fait pas l’éloge; il suffit, en effet, pour le louer, de dire qu'il a été choisi comme apôtre. Et s'étant mis en prières, ils dirent : « Seigneur, vous qui connaissez les coeurs de tous les hommes, montrez lequel de ces deux vous avez choisi pour remplir ce ministère et pour entrer dans l’apostolat que Judas a perdu. » Il les tirèrent au sort et 1e sort tombant sur Mathias, celui-ci fut associé aux onze apôtres. Il faut faire attention, dit saint Jérôme, que l’on ne peut pas se servir de cet exemple pour tirer au sort, car les privilèges dont jouissent quelques personnes ne font pas la loi commune. En outre, dit Bède, jusqu'à la venue de la vérité, il fut permis de se servir des figures, car la véritable hostie fut immolée à la passion, mais elle fut consommée à la Pentecôte, et dans l’élection de saint Mathias, on eut recours au sort pour ne pas déroger à la loi qui ordonnait de chercher par le sort quel serait le grand prêtre. Mais après là Pentecôte;, la vérité ayant été proclamée, les sept diacres furent ordonnés; non par la voie du sort, mais
par l’élection des disciples, par la prière des apôtres et par l’imposition des mains. Quel fut le sort qu'on employa? il y a là-dessus deux sentiments parmi les saints Pères. Saint Jérôme. et Bède veulent que ce sort fut de ceux dont il gavait un très fréquent usage sous l’ancienne loi. Mais saint Denys, qui fut le disciple de saint Paul, pense que c'est, chose irréligieuse de penser ainsi ; et il affirme que ce sort ne fut rien autre chose qu'une splendeur et un rayon de la divine lumière qui descendit sur saint Mathias, comme un signé visible indiquant qu'il fallait le prendre pour apôtre. Voici ses paroles dans le livre de la Hiérarchie ecclésiastique : Par rapport au sort divin qui échut du ciel à Mathias, quelques-uns ont avancé, à mon avis, des propositions qui ne sont pas conformes à l’esprit de la religion : Voici mon opinion : « Je crois donc que les Saintes Lettrés ont nommé sort en cet endroit quelque céleste indice par lequel fut manifesté au collège apostolique celui. qu'avait adopté l’élection divine. » Saint Mathias apôtre eut en partage la Judée, où il se livra avec ardeur à la prédication, et où, après. avoir ait beaucoup de miracles, il reposa en paix. On lit dans quelques manuscrits qu'il endura le supplice de la croix, et que c'est après avoir été couronné par ce genre de martyre, qu'il monta au ciel. Son corps a été, dit-on, enseveli à Rome en l’Église de Sainte-Marie-Majeure dans une pierre de porphyre; et dans le même lieu, on montre sa tête au peuple. Voici ce qu'on lit dans une légende * conservée à Trèves .
* Cette légende n'est autre que la traduction faite au XIIe siècle des Actes de saint Mathias extraits d'un ouvrage écrit en hébreu et intitulé : Livre des condamnés. Elle est attribuée à saint Euchaire, de Trèves, par le P. Henschénius des Bollandistes.
Mathias de la tribu de Juda naquit à Bethléem d'une famille illustre. Dans les écoles il apprit en, peu de temps la science de la loi et des prophètes; et comme il avait en horreur la volupté, il triompha, par la maturité de ses moeurs, des séductions de la jeunesse. Il formait son coeur à la vertu, pour devenir apte à concevoir, enclin à la miséricorde; simple dans la prospérité, constant et intrépide dans l’adversité. Il s'attachait à pratiquer ce qu'il avait lui-même commandé, et à prouver par ses oeuvres la doctrine qu'il annonçait. Alors qu'il prêchait en Judée, il rendait la vine aux aveugles, guérissait les lépreux, chassait les démons, restituait aux boiteux le marcher, aux sourds l’ouïe, et la vie aux morts. Ayant été accusé devant le pontife, il se contenta de répondre : « Vous me reprochez des crimes : je n'ai que peu de mots à dire, ce n'est pas un crime d'être chrétien, c'est un titre de gloire. » Le pontife lui dit : « Si on t'accordait un délai, voudrais-tu te repentir ? » Tant s'en faut, répondit-il, que je m’écarte par l’apostasie de la vérité que j'ai une fois trouvée. » Mathias était donc très instruit dans la loi, pur de cour, prudent d'esprit, subtil à résoudre les questions d'Ecriture sainte, prudent dans ses conseils, et habile à parler. Quand il prêchait la parole de Dieu en Judée, il opérait un grand nombre
de conversions par ses miracles et ses prodiges. Delà naquit l’envie des juifs qui le traduisirent devant: le Conseil. Alors deux faux témoins qui l’avaient accusé jetèrent sur lui les premières pierres, et le suint demanda qu'on ensevelît ces pierres avec lui pour servir de témoignage contre eux. Pendant qu'on le lapidait, il fut frappé de la hache, selon la coutume des Romains, et après avoir levé les mains au ciel, il rendit l’esprit à Dieu. Cette légende ajoute que son corps fut transféré de Judée à Rome et de Rome à Trèves.
On dit dans une autre légende que quand Mathias vint en Macédoine prêcher la foi de J.-C., on lui donna une potion empoisonnée qui faisait perdre la vue; il la but au nom de J.-C., et il n'en ressentit aucun mal ; et comme on avait aveuglé plus de 250 personnes avec cette potion, il leur rendit la vue à toutes en leur imposant les mains. Le diable cependant leur apparut sous les traits d'un enfant et conseilla de tuer Mathias qui détruisait leur culte : quoique le saint fût resté au milieu d'eux, ils ne le trouvèrent pas même après trois jours de recherche. Mais le troisième jour, il se manifesta à eux et leur dit : « Je suis celui qui a eu les mains liées derrière le dos, auquel on a mis une corde au cou, que l’on à cruellement traité, et qui fut mis eu prison. » Alors furent vus des diables qui grinçaient des dents contre lui, sans le pouvoir approcher. Mais le Seigneur vint le trouver avec une grande lumière, le leva de terre, le débarrassa de ses liens, et lui ouvrit la porte du cachot en le fortifiant par de douces paroles. Il ne fut pas plutôt sorti, qu'il prêcha la parole de Dieu. Comme plusieurs restaient endurcis, il leur dit : « Je vous préviens que vous descendrez vivants en enfer. » Et à l’instant la terre s'entr'ouvrit et les engloutit tous ; les autres se convertirent au Seigneur.
SAINT GRÉGOIRE
Grégoire se dit de grex, assemblée, et gore, qui veut dire prêcher ou dire. De là Grégoire prêcheur en l’assemblée. Ou bien Grégoire vient de egregius, choisi, et gore, prêcheur ou docteur. Grégoire signifie encore attentif; car il fut attentif sur soi, sur Dieu et sur le peuple : sur soi, par la conservation de la pureté; sur Dieu, par une contemplation intérieure; sur le peuple, par une prédication assidus. Et ces, trois qualités méritent d'obtenir la vision de Dieu. Saint Augustin dit au livre De l’Ordre : « Celui-là voit Dieu qui vit bien, qui étudie bien et qui prie bien. » Paul, historien des Lombards; écrivit sa vie qui. fut mise en meilleur ordre dans la suite par Jean, diacre *.
* Tous les faits consignés dans cette légende sont extraits de ces deux vies.
Grégoire, de race sénatoriale, avait pour père Gordien et sa mère se nommait Sylvie. Ayant acquis dès sa jeunesse et la science complète de la philosophie et jouissant d'une grande opulence, il pensa cependant à tout quitter et à se mettre en religion. Mais,
comme il tardait à suivre ce projet de conversion et qu'il pensait servir J.-C. avec plus de fruit 'en restant dans le monde avec la chargé de préteur de la ville, il lui survint une foule d'affaires qui l’attachèrent au monde réellement, et non pas seulement en apparence. Enfin quand il eut perdu son père, il fit construire six monastères en Sicile et nu septième dans l’enceinte de Rome sur 'son propre héritage, à l’honneur de saint André apôtre; il y dépouilla ses habits de soie, ruisselants d'or et de pierreries pour se revêtir de 'l’humble habit de moine. Il parvint en peu de temps à une si haute perfection, que dès les commencements de sa conversion il pouvait être mis au nombre des parfaits. Ce qu'il, dit lui-même dans la préface qui précède son Dialogue, peut donner une idée de sa sainteté : « Mon malheureux coeur éloigné par le poids de ses occupations se rappelle ce qu'il a été- autrefois dans le cloître, comment il foulait aux pieds tout ce qui passe, combien il était élevé au-dessus de toutes les choses de la vie. .» Il avait coutume de ne penser qu'aux choses célestes ; retenu dans les liens du corps, il affranchissait parla contemplation les obstacles de la chair, et la mort même qui, pour presque tous, est un châtiment, il l’aimait comme l’entrée de la vie et la récompense de son labeur. » Enfin il affligea sa chair par de telles macérations que c'était à peine si, avec un estomac délabré, il pouvait subsister, et la perte de la respiration, nommée syncope par les Grecs, le jetait dans de telles angoisses qu'il était réduit à la dernière extrémité pendant des heures entières. Il arriva une fois, comme il écrivait dans le monastère où il était abbé, qu'un ange du Seigneur se présenta à lui sous les traits d'un naufragé, demandant avec larmes qu'on eût pitié de lui. Grégoire lui fit donner six deniers d'argent; après quoi le mendiant s'en alla. Il revint une seconde fois le même jour, et dit qu'il avait beaucoup perdu, mais qu'il avait reçu trop peu. Le saint lui fit donner la même somme d'argent; une troisième fois il revient et demande avec des clameurs importunes qu'on ait pitié de lui. Mais saint Grégoire, informé par le procureur de son monastère, qu'il, n'y avait rien à donner qu'une écuelle d'argent que sa mère avait coutume d'envoyer pleine de légumes et qui avait été laissée au monastère, il la fit aussitôt donner. Le pauvre la prit et s'en alla. tout joyeux. Or, c'était un ange du Seigneur qui se fit connaître lui-même dans la suite.
Un jour, saint Grégoire ; passant sur le marché de Rome, vit quelques enfants très bien constitués, beaux de figure, et remarquables par l’éclat de leur chevelure ; ils étaient à vendre. Il. demande au marchand de quel pays il les a amenés, « De la Bretagne, répondit-il, dont les habitants- sont de semblable beauté. » Il l’interroge de nouveau, s'ils sont chrétiens. Le marchand lui répond : « Non, mais ils sont retenus dans les liens du paganisme. » Alors saint Grégoire gémit avec amertume et dit : « Oh! quelle douleur! que de belles figures possède encore le prince des ténèbres ! » Il demande de nouveau quel est le nom de ce peuple. « Ils se nomment Anglais, dit-il. » « Ils sont bien nommés Anglais, comme on dirait Angéliques, reprit-il; car ils ont des visages d'anges. » Il lui demanda encore comment se nommait la province d'où ils étaient. Le marchand répondit : « Ils sont Décriens *. »
* La partie de la Grande Bretagne au nord du fleuve Humber était divisée en deux provinces : la Décrie et la Bernicie. La Décrie allait de l’Humber à la Tyne et; la Bernicie de la Tyne au Forth. L'un et l’autre pays avaient chacun un roi. Cf. Bède, Guillaume de Malmesbyres.
« Ils sont bien nommés, dit saint Grégoire, car les Décriens, doivent être délivrés de l’ire de Dieu. » Il s'informa du nom du roi. Le marchand dit qu'il s'appelait Aelle. Et Grégoire dit : « Il est bien nommé Aelle, parce qu'en son pays il faut qu'on chante alleluia. » Il alla aussitôt trouver le souverain Pontife et lui demanda avec grandes instances et prières qu'on l’envoyât pour convertir ce pays, ce qu'il eut de la peine à obtenir : Il s'était déjà mis en chemin quand les Romains, extrêmement affligés de son départ,, allèrent trouver le pape, et lui parlèrent ainsi: « Vous avez offensé saint Pierre, vous avez détruit Rome; vous avez fait partir Grégoire. » Le pape effrayé dépêcha à l’instant des courriers pour le rappeler. Grégoire avait déjà fait trois journées de chemin ; il s'était arrêté en un endroit où, pendant que ses compagnons se reposaient, il fit une lecture; alors une locuste ou sauterelle l’empêcha de continuer sa lecture, et ce mot de locuste lui fit penser que c'était un ordre qui lui était donné de rester en ce lieu; éclairé par un esprit prophétique, il engage ses compagnons à partir au plus tôt, quand arrivent les courriers apostoliques qui ordonnent à Grégoire de revenir, quoiqu'il en fût fort attristé. Alors le pape l’arracha de son monastère, et l’ordonna son diacre cardinal.
Le fleuve du Tibre étant sorti de son lit déborda tellement qu'il coulait: par-dessus les murs de la ville et renversait une quantité de maisons. Mais avec les eaux du Tibre descendirent en mer beaucoup de serpents: et un grand dragon, qui, étouffés par les flots et jetés sur le rivage, corrompirent l’air par leur pourriture. Il en résulta une peste affreuse, de la nature de celle qui attaque l’aine, en sorte qu'il semblait que l’on voyait réellement des flèches tomber du ciel et frapper chaque particulier. Le premier atteint fut le pape Pelage, qui fut emporté en un moment : et bientôt le mal fit de tels ravages dans le peuple que beaucoup de maisons de la ville restèrent vides par la mort de leurs habitants. Comme l’Église de Dieu ne pouvait rester sans chef, le peuple entier élut Grégoire, malgré toutes les résistances possibles de la part du saint. Il n'était pas encore sacré quand la peste ravageait la population : il fit alors un sermon au peuple, ordonna une procession, où il institua de chanter les Litanies, et avertit tous les fidèles de prier Dieu avec plus de ferveur que jamais. Au moment donc où le peuple était rassemblé pour les prières, le fléau fut si violent, qu'en une heure, périrent quatre-vingt-dix personnes. Mais cela ne l’empêcha pas de continuer à exhorter le peuple qu'il eût à ne pas se lasser de prier, jusqu'à ce que la miséricorde de Dieu éloignât, la peste. La procession finie, il voulut s'enfuir, mais il ne le put, parce que, par rapport à lui, il y avait jour et nuit des gardes apostés aux portes pour le, surveiller. Cependant, il changea de vêtement, et de concert avec certains négociants, il se cacha dans un tonneau et obtint d'eux qu'ils le sortiraient ainsi de. la ville, sur une voiture. Il gagna de ,suite une forêt, y chercha une caverne pour
s'y cacher, il y resta enfermé trois jours. On se mit activement à sa recherche, quand une colonne de feu partant du ciel descendit sur l’endroit où il était caché : et sur cette colonne, un reclus vit des anges qui montaient et qui descendaient ; aussitôt le peuple se saisit de lui, le traîne, et il est sacré souverain Pontife. Il suffit de lire ses écrits, pour se convaincre que ce fut malgré lui qu'il fut élevé à ce haut rang d'honneur. En effet voici comment il s'exprime dans une épître au patrice Narsès : « Pendant que vous décriviez si exactement les douceurs, de la contemplation, vous faisiez renaître en moi les gémissements que j'ai donnés à ma ruine; car j'ai su ce que j'ai perdu de calme intérieur, lorsque, sans aucun mérite de ma part, j'ai été élevé au comble de la puissance. Or, sachez que, je suis frappé d'une douleur telle que c'est à peine si je puis la dire. Ne m’appelez donc pas Noémi, c'est-à-dire beau, mais appelez-moi mara, parce que je suis tout marri. » Il dit encore ailleurs : « Si vous m’aimez, pleurez-moi en apprenant que j'ai été élevé au souverain Pontificat; je pleure moi-même sans relâche, et vous conjure de vouloir prier Dieu pour moi. » Voici ce qu'on lit dans la préface de ses Dialogues : « A l’occasion de la charge pastorale, mon esprit souffre de s'occuper des affaires séculières, et sali par la poussière des actions de la terre, il regrette la beauté qu'il avait au temps de son repos. J'examine ce que j'endure, j'examine ce que j'ai perdu : et quand je vois ce que j'ai perdu, ce que j'endure me paraît encore plus pénible : me voici battu par les flots d'une vaste mer, et dans le vaisseau de mon âme, je suis brisé par les fureurs d'une affreuse tempête; quand je regarde en arrière dans ma vie, je soupire comme si je tournais les yeux vers le rivage qui me fuit. » — Comme la peste dont il a été parlé plus haut exerçait encore ses 'ravages dans Rome, il ordonna qu'on ferait, au. temps de Pâques, comme de coutume, une procession autour de la ville en chantant les litanies ; on y porta en avant avec grande révérence l’image de, la bienheureuse Marie toujours Vierge, qui est à Rome dans l’Église de Sainte-Marie-Majeure et qu'on dit avoir été peinte avec une ressemblance parfaite, par saint Luc, médecin et peintre excellent; et voilà que l’air , corrompu et infecté s'écartait pour faire place à l’image, comme s'il n'en pouvait supporter la présence : En sorte qu'en arrière du tableau restait une merveilleuse sérénité et l’air reprenait toute sa pureté. On rapporte qu'alors, on entendit dans les airs les voix des anges, qui chantaient vis-à-vis de l’image : « Regina caeli laetare, alleluia, quia quem meruisti portare, alleluia, resurrexit, sicut dixit, alleluia. Reine du ciel, réjouissez-vous, alléluia; car celui que vous avez mérité de porter; alléluia, est ressuscité, alléluia. » A quoi saint Grégoire ajouta à l’instant ces mots : « Ora pro nobis Deum, alleluia. Priez Dieu pour nous, alléluia. » Alors saint Grégoire vit, sur le château de Crescentius, l’ange du Seigneur essuyant un glaive ensanglanté qu'il remit dans le' fourreau saint Grégoire comprit alors que la peste avait cessé et c'est en effet ce qui arriva, ce château reçut depuis le nom de château Saint-Ange. Enfin, dans, le but d'accomplir ce qui avait toujours fait l’objet de ses désirs, saint Grégoire envoya Augustin, Mellitus et Jean avec quelques autres en Angleterre, dont les habitants furent convertis 'à la foi, par ses prières et ses mérites.
L'humilité de saint Grégoire était si profonde qu'il ne souffrait aucune louange de qui que ce fût : Il écrivit en effet en ces termes à l’évêque Etienne qui l’avait loué : « Dans la lettre que vous m’avez adressée; vous avez usé d'une bienveillance dont je suis tout à fait indigne; et cependant il est écrit : « Ne louez personne de son vivant. » Quoique je n'aie pas mérité tout ce qu'il vous a plu de dire de moi, je vous prie de m’en rendre digne par vos prières, afin qu'ayant dit de moi un bien qui n'existe point, il y soit dorénavant parce que vous avez dit qu'il y est. » Il écrit encore au patrice Narsès : « Il y a des pensées fines et des passages intéressants dans vos lettres où vous jouez sur ma cause et sur mon nom. Certes, très cher frère, vous appelez Lion, celui qui n'est qu'un singe; nous parlons ainsi quand nous appelons de petits chats galeux des léopards ou des tigres. » Et dans sa lettre à Anastase, patriarche d'Antioche : « Vous m’appelez la bouche du Seigneur, vous dites que je suis une lumière, vous avancez que, par mes paroles, je puis être utile à beaucoup, je puis les éclairer; vraiment, je vous avoue que vous me faites bien douter de l’estime que vous avez conçue de moi. Je considère en effet quel je suis et je ne trouve trace de ce que vous y voyez. Je considère qui vous êtes, et je rie pense pas que vous puissiez mentir. Or, quand je veux croire ce que vous dites, ma misère me dit le contraire; lorsque je veux discuter ce qui est dit à ma louange, vôtre sainteté me contredit : mais, je vous en prie, saint homme, qu'il y ait pour nous quelque profit de cette querelle, et que si ce que vous dites n'existe pas:, que cela existe parce que vous le dites. » Tous les termes qui sentaient la jactance et la vanité, il les repoussait avec mépris; aussi écrit-il en ces termes à Euloge, patriarche d'Alexandrie, qui l’avait appelé pape. Universel : « En vedette de la lettre que vous m’avez adressée, vous avez cru devoir vous servir d'une expression qui renferme une appellation orgueilleuse en me disant pape universel. Ce que je demande, c'est que votre sainteté ne le fasse plus à l’avenir; car c'est vous ôter à vous-même que d'accorder à un autre plus que la raison n'exige. Pour moi, je ne cherche pas à être relevé par des mots, mais par des moeurs, et je ne regarde pas comme un accroissement de gloire, ce qui m’exalte au dépens de mes frères. Loin donc les paroles qui enflent la vanité et blessent la charité. » Et pour ce que Jean, évêque de Constantinople, s'était attribué ce titre de vanité en se faisant appeler frauduleusement pape universel parle synode, saint Grégoire entre autres choses écrit cela de lui : « Quel est cet homme, qui, malgré les ordonnances de l’Evangile, contre les décrets des canons, a la présomption d'usurper pour lui un nom nouveau, comme le ferait quelqu'un qui, sans vouloir rabaisser autrui, veut être seul au-dessus des autres quand il aspire à être universel ?» Il ne voulait même pas se servir du mot ordre, dans ses rapports avec ses co-évêques, ce qui lui fait dire dans une lettre à Euloge, évêque d'Alexandrie : « Votre charité me parle en ces termes : comme vous l’avez ordonné; ne vous servez pas avec moi de ce mot: ordre, parce que je sais qui je suis et qui vous êtes : vous êtes mes frères par la place que vous occupez, et vous êtes mes pères par votre conduite. » Il poussait encore l’humilité qui le distinguait, jusqu'à ne vouloir pas que les dames se nommassent ses servantes. C'est pourquoi il écrit à Rusticane, de famille patricienne : « Je n'ai qu'une
chose à relever dans votre lettre, c'est que vous répétez trop souvent ce qui pouvait n'être dit qu'une fois : votre servante et encore votre servante. Ma charge d'évêque m’a rendu le serviteur de tous, pourquoi donc vous dire ma servante? moi qui avant de recevoir l’épiscopat vous ai appartenu. Ainsi, je vous, en prie par le Dieu tout-puissant, ne me faites plus lire de pareilles expressions dans vos lettres. » Ce fut le premier qui dans ses épîtres se nomma le serviteur: des serviteurs de Dieu, et il établit que ses successeurs s'appelleraient ainsi. De son vivant, par excès d'humilité, il ne voulait publier aucune de ses oeuvres, et il trouvait que ses livres ne valaient rien en comparaison de ceux des autres: ce qui le fit écrire en ces termes à Innocent, gouverneur d'Afrique : « Au sujet de la demande que vous nous adressez de vous envoyer l’Exposition sur Job, nous partageons la joie que vous retirez de vos études ; mais si vous voulez nourrir votre esprit d'une substance délicieuse, lisez les opuscules: de votre compatriote le bienheureux Augustin ; ne préférez pas notre son à son froment, car, je ne veux pas, tant que je vivrai, faire connaître aux hommes ce que j'ai pu avoir écrit. »
On lit dans un livre traduit du grec en latin qu'un saint père, nommé l’abbé Jean, vint à Rome pour,visiter les églises des apôtres; et qu'en voyant passer au milieu de la ville le bienheureux pape Grégoire, il voulut aller à sa rencontre et lui faire révérence, comme cela était convenable; mais saint Grégoire, le voyant se disposer à se prosterner en terre, se hâta de se prosterner lui-même devant lui et ne se releva que quand l’abbé en eut fait autant le premier; ceci met en relief sa grande humilité. Il usait de tant, de largesse en ses aumônes qu'il ne fournissait pas le nécessaire seulement à ceux qui étaient près de lui, mais encore à ceux qui en. étaient éloignés, par exemple, aux moines du mont Sinaï : il avait par écrit les noms de tous les indigents et il subvenait à leurs besoins avec une grande libéralité. Il fonda un monastère à Jérusalem et il eut soin, qu'on envoyât aux serviteurs de Dieu qui l’habitaient tout le nécessaire : il offrait annuellement quatre-vingts livres d'or pour les dépenses quotidiennes de trois mille servantes de Dieu : chaque jour encore, il invitait à sa table tous les pèlerins. Entre autres, il en vint un jour un auquel saint Grégoire voulait servir de l’eau pour laver ses mains, il se retournait pour prendre le vase quand tout à coup il ne trouva plus celui sur les mains duquel il voulait verser l’eau. Or, après avoir admiré à part lui cette étrangeté, cette nuit-là même, le Seigneur lui apparut en songe, et lui dit : « Les autres jours, vous m’avez reçu dans la personne de ceux qui sont mes membres, mais" hier c'est moi que vous avez reçu en personne. » Une autre fois il commanda à son chancelier d'inviter à son repas douze pèlerins. Le chancelier alla exécuter ses Ordres. Alors qu'ils étaient ensemble à table, le pape regarda et en compta treize ; il demanda au chancelier pourquoi il avait pris sur lui d'inviter contre ses ordres ce nombre de personnes. Le chancelier compta lui-même et n'en trouvant que douze il dit: « Croyez-moi, mon Père, ils ne sont que douze. » Saint Grégoire remarqua que celui qui était assis à côté de lui changeait de figure à chaque instant, que tantôt c'était un jeune homme, tantôt un vieillard vénérable à tète blanche. Le repas fini, il le conduisit à sa chambre et le conjura de vouloir bien lui dire son nom et qui
il était. Celui-ci répondit : « Pourquoi me demandez-vous mon nom qui est admirable? Apprenez pourtant que je suis le naufragé auquel vous avez donné une écuelle d'argent que votre mère vous avait envoyée avec des légumes, et tenez pour certain, qu'à dater de ce jour où vous m’avez fait l’aumône, le Seigneur vous a destiné à devenir le chef de son Église et le successeur de l’apôtre saint ( 335) Pierre. » Grégoire lui dit : « Et comment savez-vous que dès lors le Seigneur me destina à gouverner son Église? » Il répondit . « Parce que je suis son ange et le Seigneur m’a fait revenir chez vous pour être occupé à vous garder et pour pouvoir obtenir de lui tout ce que vous lui demanderez par mon entremise. » A l’instant il disparut.
En ce temps-là un ermite, homme de grande vertu, avait tout quitté pour Dieu, et ne possédait rien qu'une chatte qu'il caressait souvent et qu'il réchauffait sur son giron comme sa compagne. Or, il pria Dieu de daigner lui montrer avec qui il pourrait espérer partager la demeure éternelle, lui qui, pour son amour, ne possédait rien des richesses du siècle. Il lui fut donc révélé une nuit qu'il avait lieu d'espérer de demeurer avec Grégoire, pontife romain. Alors il se mit à gémir en pensant que sa pauvreté volontaire lui avait servi de peu, puisqu'il devait être récompensé avec quelqu'un qui nageait dans l’abondance de toutes les richesses du monde. Or, comme il comparait jour et nuit en pleurant les richesses de Grégoire avec sa pauvreté, une autre nuit, il entendit le Seigneur lui dire : « Comme ce n'est pas la possession des richesses, mais la convoitise qui font le riche, pourquoi oses-tu comparer ta pauvreté avec les richesses de Grégoire? tu te complais plus dans l’amour de cette chatte que tu possèdes, que tu caresses tous les jours, que lui au sein de ses richesses : il ne les aime pas, mais il les méprise et les distribue bénévolement à tout le monde. » Ce solitaire rendit grâces à Dieu
et celui qui avait cru son mérite rabaissé d'être en société avec Grégoire, se mit à prier pour qu'il méritât d'avoir un jour une place auprès de lui.
Saint Grégoire avait été faussement accusé auprès de l’empereur Maurice et de. ses fils d'avoir fait mourir un évêque; il écrivit ainsi une lettre qu'il adressa à l’apocrisiaire : « Il est une chose que vous pouvez suggérer brièvement à mes maîtres, c'est que si j'avais voulu m’occuper de causer la mort et de nuire aux Lombards, aujourd'hui ? nation des lombards n'aurait ni roi, ni duc, ni comtes, et serait dans une grande confusion, mais parce que je crains Dieu, j'appréhende de chercher à perdre n'importe quel homme. » Son humilité était si grande que, tout souverain pontife qu'il fut, il se disait le serviteur de l’empereur, et l’appelait son maître. Il était inoffensif, à un tel point qu'il ne voulait pas consentir à la mort de ses ennemis: Alors que l’empereur Maurice persécutait saint Grégoire et l’Église de Dieu, ce saint lui écrivit entre autres choses : « Parce que je suis pécheur, je crois que vous apaisez d'autant plus Dieu que vous m’affligez, moi, qui le sers si mal. » Une fois, un personnage, revêtu d'an habit de moine, se présenta hardiment avec une épée nue à la main en présence de l’empereur, et la brandissant contre lui, il lui prédit qu'in mourrait par l’épée. Maurice effrayé cessa de persécuter Grégoire, et lui demanda instamment de prier pour lui afin que Dieu le punît en cette vie de ses méfaits et
qu'il n'attendît pas à le châtier au dernier jugement. Une fois, Maurice se vit cité devant le tribunal du juge, et entendit crier : « Amenez Maurice. » Et les ministres se saisirent de lui et le placèrent en présence du juge qui lui dit : « Où veux-tu que je te rende les maux que tu as commis en ce siècle ? » Maurice répondit.: « Ici plutôt, Seigneur, et ne me les, réservez pas pour le siècle futur. » Aussitôt la voix divine commanda que Maurice, sa femme, ses fils et ses filles fussent livrés au soldat Phocas pour être mis à mort. Ce qui arriva en effet. Peu de temps après, un de ses soldats, appelé Phocas, le tua avec toute sa famille par l’épée, et lui succéda à l’empire.
Le jour de Pâques, saint Grégoire célébrait la Messe à Sainte-Marie-Majeure; et au Pax Domini un ange du Seigneur répondit tout haut: Et cum spiritu tuo. En témoignage de ce prodige, le pape fait station, au jour de Pâques, en cette église, et on ne lui répond pas encore au Pax Domini.
Comme l’empereur Trajan partait en toute hâte pour livrer une bataille, une veuve éplorée vint le trouver et lui dire : « Je vous demande en grâce qu'il vous plaise venger le sang de mon fils qui a été tué injustement. » Alors Trajan promit de le venger, s'il revenait sauf. La veuve lui dit : « Et qui pourra me le faire, si vous mourez à la bataille? » Trajan répondit : « Celui qui après moi sera empereur. » La veuve reprit : « A quoi cela vous profitera-t-il, qu'un autre me fasse justice ? » Trajan dit : « Arien certainement. » « Alors, dit la veuve, ne vaudrait-il pas mieux que vous me fassiez justice et que vous en receviez récompense, que de la laisser à faire. à un autre? » Trajan donc, ému de pitié, descendit de cheval, et vengea à l’instant même la mort de cet innocent. On rapporte encore que le fils de Trajan, chevauchant par la ville, d'une façon trop lascive, tua le fils d'une veuve; celle-ci, toute en pleurs, alla rapporter le fait à Trajan ; l’empereur lui livra son fils, l’auteur du meurtre, à la place de l’enfant mort, et il le dota richement. Or, une fois que, longtemps après la mort de Trajan, saint Grégoire passait sur la place Trajane en pensant à la mansuétude de Trajan quand il jugeait une affaire, il entra dans la basilique, de Saint-Pierre et se mit à pleurer très amèrement sur les erreurs de ce prince. Lors il lui fut répondu miraculeusement : « Voici que j'ai fait droit à ta requête, et j'ai délivré Trajan de la peine éternelle, mais dorénavant, garde-toi bien d'adresser des prières pour un damné. » Le Damascène raconte, en un de ses sermons, que saint Grégoire, priant pour l’âme de Trajan, entendit une voix du ciel lui parlant ainsi : « J'ai entendu ta voix et je donne grâce à Trajan. » De ce fait, ajoute-t-il au même endroit, tout l’orient et, tout l’occident en sont témoins. Sur cela, quelques-uns ont dit que Trajan a été rappelé à la vie, et qu'ayant acquis des grâces, il mérita son pardon et obtint ainsi la gloire, et qu'il n'avait. pas été finalement mis en enfer, ni condamné par une sentence définitive. D'autres ont prétendu que l’âme de Trajan ne fut pas simplement délivrée de la peine éternelle qu'il avait méritée, mais que cette peine fut suspendue pour un temps, savoir jusqu'au jour du jugement. D'autres soutiennent que- sa peine, quant au lieu et quant au mode de tourment, lui fut infligée sous condition, c'est-à-dire, jusqu'à ce que par les prières de saint Grégoire, avec la grâce de J.-C., il y eût changement quant au lieu ou
quant au mode. D'autres, comme Jean, diacre, qui a compilé cette légende, disent qu'on ne lit pas qu'il a prié, mais qu'il a pleuré : que le Seigneur accorde fréquemment dans sa miséricorde ce que l’homme n'ose lui demander, tout, désireux qu'il soit d'obtenir, et que l’âme de Trajan ne fut pas délivrée de l’enfer et placée au paradis, mais qu'elle est simplement délivrée des peines de l’enfer. « Il peut en effet se faire, dit-il, qu'une âme soit en enfer, et que, par la miséricorde de Dieu, elle n'en ressente pas les tourments. » D'autres avancent que la peiné éternelle consiste en deux choses, qui sont la peine du sens et la peine du dam qui est la privation de la vue de Dieu. Or la peine éternelle lui est remise quant à la peine du sens, mais quant à la peine du dam, elle lui est restée. On rapporte encore qu'un ange ajouta ces mots en parlant à saint Grégoire: « Parce que vous avez prié pour un damné ; choisissez de deux choses l’une, ou de souffrir deux jours en purgatoire, ou d'être rongé de douleurs et d'infirmités durant toute votre vie. » Le saint préféra endurer des infirmités tout le temps de sa vie, à être tourmenté deux jours dans le purgatoire. Aussi dans la suite, toujours il fut sujet à la fièvre, à des attaques de goutte, ou bien il fut affligé de différentes douleurs ou en proie à d'affreux maux d'estomac : ce qui lui fait dire en une de ses épîtres : « Je souffre tant de la goutte et de maladies, que ma vie m’est la plus poignante des peines; tous les jours je suis sur le point de défaillir, de douleur et je soupire après la mort comme après un remède. » Il dit encore ailleurs : « Tantôt ma douleur est faible, tantôt elle est insupportable ; mais elle n'est pas si faible qu'elle me quitte, ni si excessive qu'elle me fasse mourir, en sorte qu'il se fait que, bien qu'étant si près de la mort, j'en suis cependant repoussé. Les humeurs . mauvaises se sont tellement empreintes en moi que la vie m’est une peine, et que j'attends avec grand désir la mort que je crois être le seul remède à mes gémissements.
Une dame offrait, tous les jours de dimanche, du pain à saint Grégoire ; et comme pendant la solennité de la messe il lui donnait le corps du Seigneur en disant: « Que le corps de N. S. J.-C. te garde pour la vie éternelle, » elle se mit à sourire avec indécence. Aussitôt le saint retira sa main qu'il avait approchée de la bouche de cette femme et remit la parcelle dit corps du Seigneur sur l’autel; ensuite il lui demanda, en présence du peuple, pour quel motif elle avait osé rire. Elle répondit : « C'est parce que ce pain, que j'ai fait de mes propres mains, vous l’appeliez le corps du Seigneur, » Alors saint Grégoire, se prosterna en prière pour l’incrédulité de cette femme, et, en se levant, il trouva que cette parcelle de pain s'était convertie en chair sous la forme d'un doigt, et il rendit ainsi la foi à cette femme. Il pria de nouveau et il vit cette chair convertie en pain et la donna à prendre à la dame. — Quelques princes lui demandant des reliques précieuses, il leur donna quelque peu de la dalmatique de saint Jean l’évangéliste. Ils le reçurent, mais ils le lui renvoyèrent avec grande indignation, estimant que c'étaient viles reliques. Alors saint Grégoire, après avoir fait une prière, demanda un couteau et en piqua l’étoffe. De ces piqûres jaillit aussitôt du sang ; et ce miracle prouva combien ces reliques étaient précieuses. — Un des riches de Rome quitta sa femme et fut en conséquence privé de la communion par le Pontife. Le coupable supporta cela avec déplaisir, mais ne pouvant se
soustraire à l’autorité d'un si grand pape, il prit avis des magiciens qui lui promirent que, par leurs enchantements, le démon entrerait dans le cheval du saint : cet animal deviendrait si furieux qu'il v aurait danger pour le cavalier. Or, comme saint Grégoire passait de temps à autre avec son cheval, les magiciens ayant envoyé un démon, firent tourmenter le cheval si fort que personne ne le pouvait maîtriser. Saint Grégoire sut alors par révélation que le diable était entré dans le cheval, et il fit un signe de croix qui délivra le cheval de la rage dont il était tourmenté. Il y eut plus : les magiciens furent frappés d'un aveuglement perpétuel. Ils confessèrent leur mauvaise action et parvinrent dans la suite à la grâce du baptême. Il ne voulut, pas leur rendre la vue, de crainte qu'ils ne lussent encore dans leurs livres de magie, mais il les fit nourrir des revenus de l’Église. — On lit encore dans un livre que les Grecs nomment Lymon, que l’abbé, qui était à la tète du monastère de saint Grégoire, lui dénonça un moine qui avait en sa possession trois pièces de monnaie. Saint Grégoire l’excommunia pour imprimer de la terreur aux autres. Peu de temps après, le frère meurt sans que saint Grégoire en soit informé. Il fut irrité de ce qu'on l’avait laissé mourir sans absolution; alors il écrivit, sur une feuille, une prière par laquelle il l’absolvait du lien de l’excommunication, puis il la donna à un diacre pour qu'il en fît lecture sur la fosse du frère défunt : ce qui' fut exécuté. La nuit suivante, le mort apparut à l’abbé et lui déclara que, jusqu'alors, il avait été détenu dans une prison, mais que la veille il avait été absous.
Il composa l’office et le chant ecclésiastique, et pour cela il fit bâtir deux maisons, l’une à côté de la basilique de Saint-Pierre, l’autre près de l’église de Latran, où jusqu'aujourd'hui l’on conserve avec un respect convenable le lit où il se reposait quand il enseignait à chanter, et le fouet, avec lequel il menaçait les enfants, ainsi que l’exemplaire authentique de l’antiphonaire. Il ajouta au canon ces mots : Diesque nostros in tua pace disponas atque ab aeterna damnatione nos eripi, et in electorum tuorum jubeas grege numerari. Enfin saint Grégoire mourut plein de bonnes oeuvres, après avoir siégé treize ans six mois et dix jours. Sur sa tombe on inscrivit ces vers :
Suscipe, terra, tuo corpus de corpore sumptum,
Reddere quod valeas, vivificante Deo.
Spiritus astra petit, leti nil jura nocebunt,
Cui vitae alterius mors magis ipsa vita est.
Pontificis summi hoc clauduntur membra sepulchro,
Qui innumeris semper vivit ubique bonis *.
* Terre reçois un corps sorti de ton sein,
Pour le rendre après que Dieu l’aura vivifié.
L'âme monte au ciel ; la mort n'a plus de droits à exercer,
Sur celui auquel le trépas a procuré la vie.
Dans ce sépulcre sont renfermées les dépouilles d'un saint pontife;
Dont les bienfaits immenses sont proclamés partout.
Ce fut l’an de l’Incarnation du Seigneur 604, sous l’empire de Phocas. Après la mort de saint Grégoire, tout le pays fut ravagé par une horrible famine. Alors, les pauvres que. saint, Grégoire avait l’habitude de secourir par ses aumônes venaient dire à son successeur : « Seigneur, que votre sainteté ne laisse pas mourir de faim ceux que notre, père Grégoire avait coutume: de nourrir. » Le pape indigné leur disait pour toute réponse : « Si Grégoire s'est chargé de soutenir tous les peuples pour s'attirer renommée et louanges, pour nous, nous ne pouvons vous nourrir.» Et il les renvoyait toujours ainsi les mains vides. Alors saint Grégoire lui apparut jusqu'à trois fois et lui reprocha avec douceur son avarice, et ses refus : mais le pape ne se mit pas en peine de s'amender en quoi que ce fût. Saint Grégoire, une quatrième fois, lui apparut avec un air terrible, le reprit et le frappa mortellement à la tête ; le pape mourut bientôt après de sa douleur. Pendant que cette pesté durait encore, quelques envieux se mirent à critiquer saint Grégoire, en assurant qu'il avait épuisé, comme un prodigue, tout le trésor de l’Église ; et par esprit de vengeance, ils portèrent les autres à brûler ses livres. Après qu'on en eut brûlé un certain nombre, comme on se disposait. à brûler le reste, Pierre, diacre, qui avait vécu dans une très grande intimité avec le saint, et qui est son interlocuteur dans les quatre livres des Dialogues, s'y opposa avec la plus grande énergie, en affirmant que cela ne saurait en rien détruire sa mémoire, puisqu'on conservait des exemplaires de ses oeuvres dans les différentes parties du monde : il ajouta que c'était un infâme sacrilège de brûler tant et de si précieux livres d'un si grand homme, sur la tête duquel lui-même avait vu très fréquemment l’Esprit-Saint en forme de colombe. Enfin il les amena à consentir que s'il méritait de mourir en affirmant avec serment qu'il venait de dire la vérité, ils cesseraient de brûler ces ouvrages; mais que s'il ne mourait pas, et qu'il survécût au témoignage qu'il venait de rendre, il aiderait de ses mains ceux qui brûleraient ses livres.
On rapporte en effet que saint Grégoire avait dit à Jean que quand il. découvrirait le miracle de la colombe, il ne pourrait plais vivre après. C'est pourquoi le vénérable lévite Pierre, revêtu des habits de diacre, apporta le livre des Evangiles, et il n'eut pas plutôt touché les Saintes Lettres pour rendre témoignage à la sainteté de Grégoire, que, sans ressentir les douleurs qui accompagnent la mort, il expira en prononçant les paroles de son serment.
Un moine du monastère de saint Grégoire s'amassa un certain pécule : alors saint Grégoire apparut à un autre moine et lui dit de prévenir. le premier qu'il distribuât son argent et qu'il fît pénitence, car il devait mourir dans trois jours. En entendant cela, le moine fut étrangement saisi, il fit pénitence, et rendit son argent; bientôt après il fut pris par une si forte fièvre que, depuis le matin du troisième jour jusqu'à la troisième heure, il était comme brûlé, la langue lui sortait de la bouche, et on croyait qu'il allait mourir. Or, les moines qui étaient autour de lui et qui chantaient des psaumes, interrompirent la
psalmodie et se mirent à médire de lui : incontinent il se ranima, et, ouvrant les yeux, il dit avec un sourire: « Que le Seigneur vous pardonne, mes frères, d'avoir médit de moi; vous m’avez jeté dans un embarras qui n'était pas mince; parce que, accusé en même temps et par vous et par le diable, je ne savais à quelle calomnie répondre en premier lieu plais si vous voyez quelqu'un à l’instant de son trépas, usez envers lui non de médisance, mais de compassion, puisqu'il va avec son accusateur devant le tribunal d'un juge sévère : car j'ai été an jugement avec le diable et par l’aide de. saint Grégoire, j'ai bien répondu à tout ce qui m’était reproché : seulement j'ai eu à rougir d'une objection à laquelle je n'ai. eu rien à répondre ; c'est pour cela que vous m’avez vu tourmenté de la sorte; et à l’heure qu'il est je n'ai encore pu me libérer. »
Et comme les frères lui demandaient de, quoi il s'agissait, il dit : « Je n'ose l’avouer, parce que, ayant reçu ordre de saint Grégoire de venir à vous, le diable s'en plaignit beaucoup, il pensait en effet que Dieu me renvoyait sur la terre pour faire pénitence de cette faute ; c'est pourquoi j'ai donné caution à saint Grégoire que je ne révélerais à personne la calomnie qui a été soulevée. » Et aussitôt il se mit à dire en criant : « O André, André, puisses-tu périr cette année, pour m’avoir poussé en pareil péril par ton mauvais conseil. » Et à l’instant, il expira en roulant horriblement les yeux. Or, il y avait dans la ville un nommé André qui; au moment où le moine mourant fit son imprécation, tomba en si dangereuse maladie, que toutes ses chairs se détachaient par lambeaux, sans qu'il pût mourir. Alors il convoqua les moines du monastère de saint Grégoire, et confessa avoir soustrait et enlevé, avec le moine en question, certaines chartes du monastère qu'il aurait. données contre de l’argent à des étrangers : et lui qui, jusqu'à cet instant n'avait pu mourir, rendit l’esprit en proférant ces aveux.
En ce temps-là, ainsi qu'on lit; dans la vie de saint Grégoire, on suivait plutôt l’office ambrosien que le grégorien, dans l’Église ; alors le pontife romain Adrien convoqua un concile où l’on statua que l’office grégorien fût observé partout. L'empereur Charles se fit l’exécuteur de cette ordonnance, et en parcourant ,les différentes provinces, par. menacés et par châtiments, il forçait tous tes clercs à obéir; il brûlait partout les livres de l’office ambrosien et mettait en prison les clercs rebelles. Or, le bienheureux évêque Eugène partit pour le concile et arriva trois jours après sa clôture. Par sa prudence il fit que le pape rappela. tous les prélats membres du concile, quoiqu'ils fussent à trois journées delà. Le concile, s'étant donc réuni, décida, à l’unanimité de tous les pères, que l’on mettrait sur l’autel du bienheureux Pierre, apôtre, le missel ambrosien et le grégorien, que l’on fermerait soigneusement les portes de l’église qui seraient scellées très exactement du sceau de la plupart des évêques; et qu'eux tous passeraient la nuit entière en prières, afin que le Seigneur daignât révéler duquel des deux offices il voulait qu'on se servît de préférence dans les églises. Tout fut exécuté comme il avait été prescrit. Le matin, ils ouvrirent la porte de l’église et trouvèrent l’un et l’autre missels ouverts sur l’autel. D'autres avancent encore, qu'ils trouvèrent le missel grégorien presque délié et ses feuillets épars çà et là; que, pour l’ambrosien, ils le retrouvèrent simplement ouvert à la
même place qu'ils l’avaient mis. Ils connurent, par ce signe miraculeux, que l’office grégorien devait être répandu par tout le monde, et que l’ambrosien devait être suivi dans son église seulement. Les saints Pères décidèrent donc selon qu'ils eu avaient été instruits par le ciel : et encore aujourd'hui cette décision est maintenue. Il est raconté * par le diacre Jean, qui a compilé la vie de saint Grégoire, que, tandis qu'il se livrait à la rédaction de ce travail, il lui sembla qu'un homme, en habits sacerdotaux, lui apparut en songe, pendant qu'il écrivait auprès d'une lanterne ; l’habit de cet homme était tellement léger que sa finesse laissait apercevoir l’habit noir de dessous.
* Livre IV, n° 100.
Or, il s'approcha de plus près et ne put s'empêcher de rire en gonflant les joues. Et comme Jean lui demandait pourquoi un homme qui remplissait un ministère tellement noble riait avec si peu de retenue; il lui répondit : « C'est parce que tu écris concernant des morts que tu n'as jamais vus vivants. » Jean lui dit : « Si je ne l’ai pas vu de figure, cependant j'écris de lui ce que j'en ai appris par la lecture. » L'autre reprit : « Tu as fait, je le vois, comme tu as voulu; quant à moi; je ne cesserai de faire ce que je pourrai. » Et aussitôt il éteignit la lumière de la lampe de Jean qui en fut effrayé au point de crier comme s'il avait été égorgé avec, une épée de la main de. cet homme. Mais à l’instant saint Grégoire se présenta ayant à sa droite saint Nicolas, et à sa gauche, le diacre Pierre, et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? » Et comme l’esprit malin se cachait derrière le rideau du lit, Grégoire prit dans la main de Pierre une grande torche qu'il paraissait. tenir, et brûlant avec la flamme la bouche et la figure de ce jaloux, il le rendit noir comme un Ethiopien. Alors une étincelle très légère tombant sur son habit blanc le brûla plus vite que la parole et il parut tout noir et Pierre dit à saint Grégoire : « Nous l’avons assez rendu noir. Grégoire lui répondit : « Nous ne l’avons pas rendu noir, mais nous avons montré qu'il a été noir. » Alors ils s'en allèrent en laissant dans l’appartement une grande lumière.
SAINT LONGIN *
* Adon, au 1er septembre, indique la fête de saint Longin qui a percé le côté de Jésus-Christ.
Longin fut le centurion qui, debout avec les soldats près de la croix, par l’ordre de Pilate, perça le côté du Sauveur avec une lance. En voyant les miracles qui s'opéraient, le
soleil obscurci et le tremblement de terre, il crut en surtout depuis l’instant où, selon le dire de certains auteurs, ayant la vue obscurcie par maladie ou par vieillesse, il se frotta les yeux avec du sang: de N.-S., coulant le long de sa lance, car il vit plus clair tout aussitôt. Renonçant donc à l’état militaire, et instruit par les apôtres, il passa vingt-huit. ans dans la vie monastique à Césarée de Cappadoce et convertit beaucoup de monde à la foi par sa parole et ses exemples. Ayant été pris par le gouverneur et refusant de sacrifier, le gouverneur lui fit arracher toutes les dents et couper la langue*. Cependant Longin ne perdit pas l’usage de la parole, mais saisissant une hache, il brisa. toutes les idoles en disant : « Si ce sont des dieux, nous le verrons. » Les démons étant sortis des idoles, entrèrent dans le gouverneur et tous ses compagnons: Alors se livrant à toutes sortes de folies, et sautant comme des chiens, ils vinrent se prosterner aux pieds de Longin qui dit aux démons : « Pourquoi habitez-vous dans les idoles? » Ils répondirent : « Là où le Christ n'est pas nommé ni son signe placé, là est notre habitatio. » Or, quand le gouverneur furieux, eut perdu la vue, Longin lui dit : « Sache que tu ne pourras être guéri qu'après m’avoir tué. » Aussitôt en effet que j'aurai reçu la mort de ta main, je prierai pour toi et t'obtiendrai la santé du corps et de l’âme. » Et à l’instant le gouverneur lui fit trancher la tête; après quoi, il alla, près de son corps, se prosterna avec larmes et fit pénitence. Aussitôt il recouvra la vue avec la santé et finit sa vie dans la pratique des bonnes oeuvres.
* Adon, ibid.
SAINTE SOPHIE ET SES TROIS FILLES
Il y a à Constantinople un temple magnifique qui s'appelle Sainte-Sophie, dédié en l’honneur de sainte Sophie, et de ses trois filles, martyres. Sainte Sophie éleva ses trois filles, Foi, Espérance et Charité, dans la sagesse et la crainte de Dieu. La première avait onze ans, la seconde dix et la troisième huit. Elle vint à Rome et chaque dimanche, elle visitait les églises et gagnait une multitude de dames à J.-C. Elles furent dénoncées à Adrien. Ce prince fut tellement épris de leur beauté qu'il voulut les adopter pour filles; ce qu'elles rejetèrent avec dédain. Foi est 1° fouettée par trente-six- soldats; 2° ses mamelles lui sont arrachées en présence du peuple. Le sang coula de ses blessures et ses mamelles rendirent du lait. Ce jugement inique excite l’indignation, et des clameurs s'élèvent contre le césar auquel la vierge toute réjouie insulte elle-même ; 3° la jeune fille est posée sur un gril rougi au feu; elle n'en ressent rien; 4° elle est plongée dans une chaudière pleine d'huile et de cire; 5° elle est décapitée. Espérance est appelée à son tour, mais on ne peut lui faire consentir à sacrifier aux idoles. Alors elle est jetée dans une chaudière pleine de graisse, de cire et de résine : les gouttes qui en jaillissaient brûlaient les infidèles : enfin elle est condamnée à consommer son martyre par le glaive. Pendant ce temps; la mère
encourageait Charité, sa troisième fille, qui était toute petite. Elle ne ménage Adrien en aucune manière, et. ne veut pas lui obéir : c'est pourquoi le cruel lui fait 1° allonger et disloquer les membres; 2° la fait frapper à coups de bâton; 3° fouetter de verges; 4° jeter dans un foyer ardent, d'où le feu, qui saute à soixante coudées de là, fait mourir six mille idolâtres. Quant à cette vierge, elle se promenait au milieu du feu sans en être brûlée, en sorte qu'elle brillait comme de l’or ; 5° elle est percée avec des lames ardentes, et au milieu de ce martyre qui fait frémir, elle reçoit par l’épée la couronne de gloire. L'excellente mère de ces excellentes filles se joint à grand nombre des assistants pour recueillir leurs restes, ensuite se plaçant sur leur tombeau : « Je désire, s'écrie-t-elle, mes très chères filles, être avec vous. » Sainte Sophie mourut donc en paix et fut ensevelie par les assistants avec ses très chères filles. Elle avait elle-même enduré chacun des supplices de ses enfants ; aussi fut-elle plus que martyre. Adrien périt desséché et dévoré par la putréfaction : il avoua qu'il avait injustement insulté aux saints de Dieu.
SAINT BENOÎT
Benoît est ainsi nommé ou parce qu'il a bénit beaucoup, ou parce qu'il a reçu en cette vie beaucoup de bénédictions, ou parce que tous le bénissaient, ou bien parce qu'il a mérité la bénédiction éternelle. Sa vie fut écrite par saint Grégoire.
Benoît était originaire de. la province de Nurcie. Ayant été placé à Rome pour faire ses études, tout jeune encore, il abandonna les lettres et résolut de s'en aller au désert. Sa nourrice, qui le chérissait avec une grande tendresse, le suivit jusqu'en un lieu qu'on nomme OEside, où elle demanda à emprunter un crible pour nettoyer du froment, mais en le mettant sans précaution sur une table, le crible tomba et fut cassé en deux. Saint Benoît la voyant pleurer prit les deux parties du crible et se levant, après une prière, il les trouva solidement réunies. Peu De temps après, il quitta à la dérobée sa, nourrice et vint en un endroit où il resta trois ans inconnu aux hommes, à l’exception d'un moine appelé Romain, dont les soins assidus lui assuraient le nécessaire. Or, comme de l’antre où Benoît restait, jusqu'au monastère de Romain il n'y avait pas de chemin, celui-ci liait le pain au bout d'une très longue corde et c'est ainsi qu'il avait coutume de le faire passer. A cette corde, il attacha aussi une sonnette, afin que, averti par le son, l’homme de Dieu sût quand Romain lui apportait du pain et pût sortir pour le prendre. Mais l’antique ennemi de l’homme jaloux de la charité du premier et de la manière dont le second se sustentait, jeta une pierre et cassa la sonnette : cela toutefois n'empêcha pas Romain de servir Benoît. Après quoi le Seigneur apparut dans une vision à un prêtre qui se préparait à manger le jour de la solennité de Pâques, et lui dit : « Tu te prépares des friandises et mon
serviteur meurt de faim en tel lieu.» Le prêtre se leva incontinent, et étant parvenu à trouver Benoît après de grandes difficultés : « Levez-vous, lui dit-il, et prenons de la nourriture, parce que c'est aujourd'hui la Pâque du Seigneur.» Benoît lui répondit : « Je vois bien qu'il est Pâques, puisque j'ai l’avantage de vous voir. » Placé en effet loin des hommes, il ne savait pas que ce jour fût celui de la solennité de Pâques. Le prêtre lui dit : «Vraiment c'est aujourd'hui le jour de la résurrection de N.-S. : aussi ne, convient-il pas que vous fassiez abstinence; c'est pour cela que je vous ai été envoyé. » Et après avoir béni Dieu, ils prirent de la nourriture. — Un jour un oiseau noir, nommé merle, se mit à voler d'une manière importune autour de la figure de Benoît, de sorte que le saint aurait pu le saisir avec la main; mais il fit le signe de la croix et l’oiseau se retira. Bientôt après, le diable lui ramena devant les yeux de l’esprit une femme qu'il avait vue autrefois, et il alluma dans son coeur une. telle passion pour cette personne, que, vaincu par la volupté, il était près de quitter le désert. Mais rendu subitement à lui-même par la grâce divine, il quitta ses vêtements, et se roula sur les épines et les ronces éparses çà et là, avec tant de violence que son corps en fut tout meurtri, il guérit ainsi par les plaies de sa chair les plaies de sa pensée : il vainquit le péché! en déplaçant l’incendie. A dater de ce moment aucune tentation ne s'éleva. en son corps. Sa renommée avait grandi; l’abbé d'un monastère étant mort, toute la communauté vint le trouver et lui demander de la gouverner. Il refusa longtemps, et dit d'avance aux moines que leurs moeurs ne s'accordaient point avec les siennes; enfin il fut forcé de donner son consentement. Mais comme il commandait que là règle fût observée selon toute sa rigueur dans le cloître, les moines se reprochaient l’un à l’autre de l’avoir demandé pour leur chef, car leur irrégularité blessait l’amour qu'il avait pour le devoir. Quand ils s'aperçurent qu'avec lui il ne leur était plus possible. de faire le mal et que c'était chose pénible de rompre leurs habitudes, ils mêlèrent du poison avec son vin et le lui servirent à table. Mais Benoît fit le signe de la croix, ce qui brisa le verre comme par un coup de pierre. Il comprit. donc qu'il y avait là une boisson de mort, puisqu'elle n'avait pu recevoir le signe de la vie; il se leva aussitôt et il dit avec calme : « Que le Dieu tout-puissant ait pitié de vous, mes frères; ne vous ai-je pas dit que vos moeurs et les miennes ne s'accordaient pas? » Il revint alors à la solitude qu'il avait quittée; et où ses miracles qui se multipliaient tous les jours le rendirent célèbre. Une foule de personnes étant venues à lui, il bâtit douze monastères. En l’un d'eux, il y avait un moine qui ne pouvait pas vaquer longtemps à la prière, mais pendant que les autres étaient à l’oraison, il allait dehors et se livrait à des distractions terrestres et futiles. L'abbé de ce monastère en ayant instruit saint Benoît, celui-ci s'empressa de venir; il vit qu'un petit enfant noir tirait dehors, par le bord de son habit, ce moine qui ne pouvait pas rester à la prière ; et il dit à l’abbé du monastère et au moine saint Maur : « Est-ce que vous ne voyez pas quel est celui qui le tire ? » Et comme ils répondaient : « Non; » il dit : « Prions pour que vous le voyiez aussi. » Et pendant qu'ils priaient, saint Maur vit, mais l’abbé ne put voir. Un autre jour donc, après la prière, l’homme de Dieu rencontra le moine dehors, et le frappa avec une verge à cause de son
aveuglement; depuis ce temps, il resta à la prière, sans plus sortir. Ce fut ainsi que l’antique ennemi de l’homme n'osa plus maîtriser les pensées du moine, comme s'il eût reçu lui-même les coups. De ces monastères il y en avait. trois élevés sur les rochers d'une montagne, et c'était avec un grand labeur qu'on tirait l’eau d'en bas : comme les frères priaient souvent l’homme de Dieu de changer les monastères de lieu, une nuit il alla avec un enfant au haut de la montagne où, après avoir prié longtemps, il mit trois pierres en cet endroit pour servir de signe. Rentré le matin à la maison, les frères vinrent le trouver pour la même causé et il leur dit : « Allez creuser au milieu de la roche sur laquelle vous trouverez trois pierres, car le Seigneur peut vous en faire jaillir de l’eau: » Ils y allèrent et ils trouvèrent cette roche déjà couverte de gouttes; ils y creusèrent un trou et bientôt ils le virent plein d'eau : elle coule encore jusqu'à présent en assez grande quantité pour descendre du sommet de la montagne jusqu'en bas. Une fois, un homme coupait des ronces avec une faux autour du monastère de l’homme de Dieu; or, le fer sauta du manche et tomba dans uri lac profond; et comme cet homme s'en tourmentait fort, saint Benoît mit le manche sur le lac et un instant après le fer vint nager vers son manche.
Un jeune moine appelé Placide, en allant puiser de l’eau, tomba dans le fleuve; bientôt l’eau l’emporta et l’entraîna loin de ta terre presque à la distance du jet d'une flèche. Or, l’homme de Dieu qui était assis dans sa cellule vit cela en esprit tout aussitôt; il appela Maur, lui raconta l’accident arrivé à cet enfant et lui commanda d'aller le sauver. Après avoir reçu la bénédiction du saint, Maur, s'empressa d'y aller, et pensant qu'il marchait sur la terre, il vint sur l’eau jusqu'auprès de l’enfant qu'il tira en le prenant par les cheveux : puis il revint rapporter à l’homme de Dieu ce qui lui était arrivé; mais le saint l’attribua non pas à ses mérites, mais à l’obéissance. de Maur. — Un prêtre du nom de Florent, envieux du saint, conçut une telle aversion contre lui qu'il envoya à l’homme de Dieu un pain empoisonné pour du pain bénit. Le saint le reçut avec reconnaissance, et le jeta au corbeau qui avait coutume de recevoir du pain dé, ses mains, en lui disant : « Au nom de J.-C., prends ce pain et jette-le en tel endroit que homme vivant ne le,puisse prendre. » Alors le corbeau ouvrit le bec, étendit les ailes, se mit à courir autour du pain et à croasser avec force, comme s'il eût voulu dire qu'il voulait bien obéir, mais que cependant il ne pouvait faire ce qui lui était commandé. Le saint lui commanda à diverses reprises en disant : « Prends, prends, n'aie pas peur, et jette-le, ainsi que j'ai dit. » Enfin le corbeau prit le pain, ne revint que trois jours après et reçut de la main de Benoît sa ration accoutumée. Florent, voyant donc qu'il ne pouvait pas tuer le corps de son maître; résolut de tuer les âmes des religieux : il fit alors folâtrer et chanter sept jeunes filles toutes nues dans le jardin du monastère, afin d'exciter les moines à la luxure. Le saint ayant vu cela de sa cellule et craignant que ses disciples ne tombassent dans le péché, céda la place a l’envieux et prit quelques frères avec lesquels il alla habiter ailleurs. Mais Florent, qui se trouvait sur une terrasse, le voyant s'en .aller, en conçut de la joie, lorsque tout à coup la terrasse s'affaissa et le tua à l’instant. Alors. Maur courut dire à l’homme de Dieu : «
Revenez, parce que celui qui vous persécutait est tué. Aussitôt qu'il eut entendu cela, le saint poussa de
grands gémissements, soit à cause de la mort de son ennemi, soit parce que son disciple s'en était réjoui. Il lui infligea une pénitence de ce qu'en lui annonçant; un pareil malheur, il avait eu la présomption de se réjouir de la, mort d'un méchant. Quant à Benoît, il n'évita pas l’ennemi en changeant le lieu de sa demeure : car il vint au mont Cassin, et du temple d'Apollon qui s'y trouvait, il fit un oratoire en l’honneur de saint Jean-Baptiste ; et convertit de l’idolâtrie tout le peuple d'alentour. Mais l’antique ennemi, supportant cela avec peine, lui apparaissait visiblement sous une forme hideuse; sa bouche et ses yeux paraissaient jeter des flammes; il l’insultait en disant : «Benoît, Benoît, » mais comme le saint ne lui répondait rien, au lieu de Benoît, Bénedict; il disait : « Maudit, maudit, pourquoi me persécutes-tu? » Un jour les frères voulaient élever une pierre qui était par terre pour la mettre en oeuvre, mais ils ne pouvaient y parvenir. Des hommes en grand nombre qui étaient là ne pouvaient non plus la soulever, quand l’homme de Dieu arrivant, donna sa bénédiction et la pierre fut, élevée avec la plus grande célérité; ce qui fit juger que le diable était assis dessus et empêchait de la mouvoir. Quand la muraille eut atteint une certaine hauteur, le démon apparut à l’homme de Dieu et lui fit signe d'aller trouver les frères : aussitôt il leur envoya dire par un exprès « Mes frères, prenez garde à vous, parce que le malin esprit vient vers vous. » A peine le messager, eut-il fini de parler que le démon fait tomber la muraille dont la chute écrasa un jeune religieux. Mais l’homme de Dieu fit apporter le mort tout brisé en un sac, le ressuscita par une prière et le renvoya à son travail.
Un laïc, homme d'honnête vie, avait coutume, chaque année, de venir à jeun visiter saint Benoît. Un jour qu'il. y venait, s'adjoignit à lui un autre personnage, chargé de vivres, pour son voyage : or, comme il se faisait tard, ce dernier dit : « Frère, venez et mangeons pour que nous ne soyons pas fatigués en chemin. » Sur sa réponse qu'il ne goûterait à aucune nourriture en route, l’autre se tut pour l’heure; peu de temps après, il lui fit encore la même invitation, mais le laïc ne voulut pas céder. Enfin une heure entière s'étant écoulée, dans la fatigue du voyage, ils arrivèrent à un pré avec une fontaine, et où l’on pouvait se reposer et se rafraîchir. Alors le voyageur en lui montrant ce lieu le pria de s'y arrêter un instant pour manger, Ces paroles ayant flatté les oreilles du laïc et le lieu ayant charmé ses yeux, il consentit. Lorsqu'il fut arrivé auprès de saint Benoît, l’homme de Dieu lui dit : « Frère, voici que le malin n'a pas pu vous persuader une première fois, ni une seconde fois, mais la troisième il l’a emporté. » Alors le laïc se jeta à ses pieds et pleura sa faute. — Totila, roi des Goths, voulant éprouver si l’homme de Dieu avait l’esprit de prophétie, donna à un de ses gardés ses vêtements royaux et l’envoya au monastère avec tout l’appareil d'un souverain. Quand Benoît le vit venir, il dit: « Otez, mon fils, ôtez : ce que vous portez n'est pas à vous. » Celui-ci se jeta à l’instant à terre, et il eut une grande frayeur d'avoir osé vouloir se jouer d'un si, grand homme. — Un clerc, tourmenté par le diable, fut amené à Benoît pour en recevoir guérison, et quand le diable
eut été chassé de son corps, Benoît dit : « Allez et dorénavant ne mangez pas de viande, et n'approchez pas des saints ordres : car le jour où vous aurez la présomption de les recevoir, vous appartiendrez au démon. » Le clerc garda cette recommandation un certain temps; mais voyant que l’époque approchait de passer des ordres mineurs aux ordres sacrés, il ne tint pas compte des paroles du saint, comme si un long espace de temps les lui eût fait oublier, et reçut l’ordre sacré. Mais aussitôt le diable, qui l’avait quitté, s'empara de lui et ne cessa de le tourmenter jusqu'à ce qu'il lui eût fait rendre l’âme. - Un homme envoya, par un enfant, à saint Benoît, deux flacons de vin; or, l’enfant en cacha un dans le chemin et porta l’autre; l’homme de Dieu reçut avec reconnaissance cet unique flacon et donna cet avis à l’enfant lors de son départ : « Mon fils, garde-toi de boire de ce flacon que tu as. caché; mais incline-le avec précaution et regarde ce qu'il contient. » Celui-ci se retira tout confus : en revenant, il voulut s'assurer de ce que le saint lui avait dit; et quand il eut incliné le flacon, aussitôt il en sortit un serpent. — Une fois, l’homme de Dieu soupait alors qu'il faisait nuit; un moine, fils d'un avocat, l’assistait en tenant une lampe, et par esprit d'orgueil se mit à penser à part soi : « Quel est cet homme pendant le repas duquel j'assiste, auquel je tiens une lampe, que je suis réduit à servir? Qui suis-je moi pour que je sois son serviteur? » Aussitôt l’homme de Dieu lui dit : « Fais le signe de la croix sur ton coeur, mon frère, fais le signe de croix sur ton coeur; qu'as-tu à dire? » Et il appela les frères, leur dit de prendre la lampé de ses mains ; pour lui, il le fit aller au monastère et lui commanda de rester en repos: — Un Goth appelé Zalla, hérétique arien du temps du roi Totila, exerça avec fureur des actes atroces de cruauté contre les personnes religieuses appartenant à la foi catholique; tout clerc ou tout moine qui venait en sa présence, ne sortait pas de ses mains la vie sauve. Un jour, poussé par l’esprit d'avarice et ne pensant que rapine, ce roi faisait endurer à un habitant de la campagne des tourments cruels, et lui infligeait différentes torturés; vaincu par la douleur, le paysan déclara avoir mis sa personne et ses biens sous la protection du serviteur de Dieu, Benoît. Le bourreau le crut et cessa de tourmenter le patient qui revint à la vie. Mais en cessant de le tourmenter, Zallalui fit lier les bras avec de fortes courroies, et le fit marcher en avant de son cheval pour qu'il lui montrât ce Benoît qui avait reçu son;bien. Le paysan marcha donc devant lui, les bras liés, et le mena au monastère du saint homme qu'il trouva seul assis à,la porte de sa cellule et faisant une lecture. Le paysan, dit à Zalla qui le suivait par derrière et qui le tourmentait : « Voici celui dont je vous ai parlé, le Père Benoît. » Zalla; l’esprit échauffé, le regarda avec un air méchant et croyant agi avec lui comme avec les autres, il se mit à crier de toutes ses forces en disant : « Lève-toi, lève-toi; rends les biens de ce rustaud : rends ce que tu as pris. » A cette voix, l’homme de Dieu leva vite les yeux, cessa de lire, puis jeta un coup d'oeil sur Zalla et sur le paysan qu'il remarqua être tenu par des liens: Ayant tourné les yeux vers les bras de cet homme, les courroies qui le liaient se détachèrent miraculeusement avec une telle vitesse que personne, tout habile qu'il eût été, n'eût pu le faire en si peu de temps. Le captif ayant été soudain mis en liberté, Zalla, effrayé d'un
pareil trait de puissance, se jeta contre terre et baissant sa tête cruelle jusqu'aux pieds du saint, il se recommanda à ses prières. Quant au saint homme, il ne se leva pas, il n'interrompit point sa lecture mais il appela les frères auxquels il enjoignit d'introduire Zalla dans la maison pour y recevoir la bénédiction. A son retour, il l’avertit de ne plus se livrer à de pareils excès de cruauté. Zalla prit une réfection, s'en alla, et ne s'avisa plus de réclamer rien du paysan que l’homme de Dieu avait délié non pas avec les mains, mais de son regard.
A une époque, la famine exerçait ses ravages sur le pays de la Campanie. On était en proie à la disette et déjà au monastère de saint Benoît le blé manquait ; presque tous les pains avaient été mangés, de sorte qu'il n'y en avait plus que cinq pour la collation des frères. Le vénérable abbé, qui les voyait tous consternés, s'attacha à les reprendre avec modération de leur pusillanimité, et à les encourager peu à peu par des promesses, en disant : « Pourquoi donc votre esprit est-il dans la tristesse de ce qu'il n'y a pas de pain? Aujourd'hui, Il est vrai, il est en petite quantité, mais demain, il y en aura en abondance. » Or, le jour suivant, on trouva devant la porte du couvent deux cents boisseaux de farine dans des sacs que le Dieu tout puissant avait envoyés sans qu'on sache encore à présent par quels moyens. A cette vue, les frères rendirent grâces à Dieu et apprirent qu'il ne fallait s'inquiéter ni de l’abondance ni de la disette. — On lit encore, qu'un homme avait un fils attaqué d'un éléphantiasis * en sorte que déjà ses cheveux tombaient, sa peau s'enflait et il n'était plus possible de cacher la sanie qui allait en augmentant.
* Maladie qui rend la peau rugueuse comme celle de l’éléphant.
Le père l’envoya à Benoît qui lui rendit, subitement sa santé première. Ils en témoignèrent de grandes grâces à Dieu et dans la suite l’enfant persévéra dans de bonnes oeuvres, et mourut heureusement dans le Seigneur. — Lé saint avait envoyé un certain nombre de frères en un endroit pour y élever un monastère, et les prévint que tel jour il viendrait les voir pour leur donner le plan des constructions. Or, la nuit qui précédait le jour indiqué, il apparut en songe à un moine qu'il avait mis à la tête de l’oeuvre et à son prévost, et leur désigna en détail chacun des endroits où ils devaient bâtira Mais comme ils n'ajoutaient pas foi à la vision qu'ils avaient eue et qu'ils attendaient le saint, à la fin ils retournèrent le trouver et lui dirent: « Père, nous attendions que vous viendriez comme vous l’aviez promis, et vous n'êtes pas venu. » Il leur dit : « Frères, pourquoi dire cela? Ne vous ai-je point apparu et ne vous ai-je, pas désigné chaque endroit? Allez et disposez tout ainsi que vous l’avez vu. »
Non loin du monastère de Benoît, vivaient deux religieuses de noble lignée, qui ne contenaient pas leur langue; parleurs propos indiscrets, elles portaient souvent à la colère leur supérieur : celui-ci en informa l’homme de Dieu qui fit donner cet avis aux religieuses : « Réprimez votre langue, autrement je vous excommunierai (excommunication qu'il ne lança pas par ces paroles, mais dont il les menaça). Ces
religieuses ne changèrent point et moururent quelques jours après, elles furent ensevelies dans l’élise. Mais pendant la messe et quand le diacre dit comme de coutume : « Que celui qui n'est pas de la communion sorte dehors,» la nourrice de ces religieuses, qui toujours offrait l’oblation pour elles, les vit sortir de leurs tombés, et sortir de,l’église : ceci ayant été rapporté à Benoît, le saint donna de ses propres mains une offrande en disant : « Allez et présentez cette offrande pour elles, et elles ne seront plus excommuniées désormais. » Ce qui ayant été exécuté, lorsque le diacre chantait la formule d'ordinaire, on ne les vit plus quitter l’église. — Un moine était sorti pour visiter ses parents sans avoir la bénédiction, et le jour qu'il arriva chez eux, il mourut. Quand il fut enterré, la terre le rejeta une première et une deuxième fois. Ses parents vinrent trouver saint Benoît et le prièrent de lui donner sa bénédiction. Il prit alors le corps de N. S. et dit : « Allez poser ceci sur la poitrine du mort et ensevelissez-le ainsi. » On le fit et la terre garda le corps ainsi enseveli et ne le rejeta plus. — Un moine, qui ne voulait pas rester dans le monastère, insista tant auprès de l’homme de Dieu que celui-ci, tout contrarié, lui permit de s'en aller. Mais il ne fut pas plutôt hors du cloître qu'il rencontra en son chemin un dragon, la gueule ouverte. Dans l’intention de s'en garer, il se mit à crier : « Accourez, accourez, il y a un rayon ; il me veut dévorer. » Les frères accoururent, mais ne trouvèrent point de dragon,; alors ils ramenèrent au monastère le moine tout tremblant et ébranlé. Il promit à (instant que jamais il ne sortirait du moustier. — Une famine extraordinaire ravageait tout le pays et l’homme de Dieu avait donné aux pauvres tout ce qu'il avait pu trouver; en sorte qu'il ne restait, dans le monastère, qu'un peu d'huile dans un vase de verre; il commanda alors au célérier de donner ce peu d'huile,à un pauvre. Le célérier entendit bien ce que saint Benoit lui commandait, mais il se décida à faire fi de ses ordres, parce qu'il ne restait plus d'huile pour les frères. Dès que l’homme de Dieu s'en aperçut, il commanda de jeter le vase de verre avec l’huile par la fenêtre afin qu'il ne restât rien dans le monastère contre l’obéissance. On jeta donc le vase qui tomba sur des blocs de pierres, sans que ce vase fût brisé, ni l’huile répandue; alors le saint le fit ramasser et donner,en entier au pauvre. Puis il reprocha au moine sa désobéissance et sa défiance ; il se mit ensuite en prières: aussitôt un grand tonneau qui se trouvait là se remplit d'huile ; elle montait en si grande abondance qu'elle paraissait sourdre du pavé.
Une fois il était descendu pour, faire visite à sa soeur, et comme il était resté jusqu'à l’heure du souper, elle le pria de passer la nuit chez elle : comme il n'y voulait pas consentir, elle s'inclina, appuya la tête sur ses mains pour prier le Seigneur et quand elle se, releva, il se fit de si grands éclairs et du tonnerre si violent, la pluie tomba avec tant d'abondance, qu'il. n'eût su où poser les pieds, quoique un instant auparavant le ciel fût parfaitement serein. Or, en répandant un torrent de larmes, elle avait fait changer la sérénité de l’air, et attiré la pluie L'homme de Dieu tout contristé lui dit : « Que le Dieu tout puissant vous le pardonne, ma soeur; qu'est-ce que vous avez fait? » Elle lui répondit : « Je vous ai prié et vous n’avez pas voulu m’écouter; j’ai prié le Seigneur et il m’a bien
entendue. Sortez maintenant, si vous le pouvez. » Et il en advint ainsi pour qu'ils pussent passer la nuit toute entière en s'édifiant mutuellement dans de saints entretiens. Trois jours après qu'il fut revenu au monastère, en levant. les yeux, il vit l’âme de sa soeur, sous la forme d'une colombe qui pénétrait jusqu'aux profondeurs du ciel: et bientôt il fit porter son corps au. monastère où il fut inhumé dans un tombeau qu'il avait fait préparer pour lui. — Une nuit que le serviteur de Dieu regardait par une fenêtre et priait Dieu, il vit se répandre en l’air une lumière qui dissipa toutes les ténèbres de la nuit. Or, à l’instant tout l’univers s'offrit à ses yeux comme s'il eût été rassemblé sous un rayon de soleil et il vit l’âme de saint Germain, évêque de Capoue, portée au ciel : dans la, suite il put s'assurer évidemment que c'était l’heure à laquelle elle, quitta le corps du prélat.
L'année même de sa mort, il en prédit le jour à ses frères : et avant le sixième qui précéda son trépas, il fit ouvrir son sépulcre. Bientôt il fut saisi de la fièvre, et comme la faiblesse augmentait à chaque instant, le sixième jour, il se fit porter à l’oratoire, où il se prépara à la mort par la réception du corps et du sang de N. S.; alors, soutenant ses membres défaillants sur les mains des frères, il se tint debout, les yeux élevés vers le ciel et rendit son dernier soupir en priant. Le jour même que l’homme de Dieu passa de cette vie au ciel, deux frères, dont un était dans sa cellule, et l’autre fort éloigné, eurent la même révélation : ils virent une traînée de lumière, ornée de tapis et resplendissante d'une quantité innombrable de lampes, qui, partant de la cellule de saint Benoît, se dirigeait vers le ciel du côté de l’orient. L'un d'eux demanda à un personnage vénérable qui parut tout brillant sur cette trace, ce que c'était que ce chemin qu'ils voyaient, car ils ne le savaient pas, et il leur fut dit : «Voilà le chemin par lequel Benoît, l’homme chéri de Dieu, monte au ciel. » II fut inhumé dans l’oratoire de saint Jean-Baptiste qu'il avait construit lui-même sur un autel dédié à Apollon et qu'il avait renversé. Il vécut vers l’an du Seigneur 518, au temps de Justin l’ancien.
SAINT PATRICE *
* Les éditions latines que nous possédons; ne nous donnent pas l’interprétation du nom de ce saint; voici celle que nous trouvons dans une traduction française du XVe siècle :
« Patrice est dict ainsi comme saichant. Car par la voulente de nostre Seigneur, il sceut les secretz de paradis et d'enfer.
Patrice, qui vécut vers l’an du Seigneur 280, prêchait la passion, de J.-C. au roi des Scots, et comme, debout devant ce prince, il s'appuyait sur le bourdon qu'il tenait à la main et qu'il avait mis par hasard sur le pied du roi, il l’en perça avec la pointe. Or, le roi croyant que le saint évêque faisait cela volontairement et qu'il ne pouvait autrement
recevoir la foi de J.-C. s'il ne souffrait ainsi, il supporta cela patiemment. Enfin le saint, s'en apercevant, en fut dans la stupeur, et par ses prières, il guérit le roi et obtint qu'aucun animal venimeux ne put vivre dans son pays. Ce ne fut pas la seule chose qu'il obtint; il y a plus : on prétend que les bois et les écorces de cette province servent de contre-poisons. Un homme avait dérobé à son voisin une brebis et l’avait mangée; le saint homme avait exhorté. le voleur, quel qu'il fut, à satisfaire pour le dommage,, et personne ne s'était présenté : au moment où tout le peuple était rassemblé à l’église, il commanda, au nom de J.-C., que la brebis poussât en présence de,tous un bêlement dans le ventre de celui qui l’avait mangée. Ce qui arriva : le coupable fit pénitence, et tous, se gardèrent bien de voler à l’avenir. Patrice avait la coutume de témoigner une profonde vénération devant toutes les croix qu'il voyait; mais ayant passé devant une grande et belle croix sans l’apercevoir; ses compagnons lui demandèrent pourquoi il ne l’avait ni vue ni saluée : il demanda à Dieu, dans ses prières à qui était cette croix et entendit une voix de dessous terre qui disait: « Ne vois-tu pas que je suis un païen qu'on a enterré ici et qui est indigne du signe de la croix? » Alors il fit enlever la croix de ce lieu.
En prêchant dans l’Irlande, saint Patrice y opérait très peu de bien ; alors il pria le Seigneur de montrer un signe qui portât les pécheurs effrayés à faire pénitence. Par l’ordre donc du Seigneur, il traça quelque part un grand cercle avec son bâton; la terre s'ouvrit dans toute la circonférence et il y apparut un puits très grand et très profond. Il fat révélé au bienheureux Patrice que c'était là le lieu du Purgatoire où quiconque voudrait descendre n'aurait plus d'autre pénitence à faire et n'aurait plus souffrir pour ses péchés un autre purgatoire : Que la plupart n'en sortiraient pas, mais que:ceux qui en reviendraient, devraient y être restés depuis un matin jusqu'à l’autre. Or,beaucoup de ceux qui entraient n'en revenaient pas *.
* Thomas de Massingham a publié dans le Florilegium insulae sanctorum, seu vitae et acta sanctorum Hiberniae (Paris, 1624, in-4°) un Traité de Henri de Saltery, moine cistercien irlandais (en 1150) sur le Purgatoire de saint Patrice. Thomas de Massingham ne s'est pas contenté de donner le texte entier de cet auteur, il l’a augmenté en intercalant lies récits d'un certain nombre d'auteurs: anciens et modernes qui ont parlé du Purgatoire de saint Patrice. Il cite des livres liturgiques anciens, Mathieu Paris, Denys le Chartreux, Raoul Hygedem, Césaire d'Hirsterbach, Jean Camers, et un primat d'Irlande nommé David Rotho, ainsi que bien d'autres, qui ont écrit des relations plus ou moins étendues, ou bien encore des appréciations sur ce sujet. La Patrologie de Migne contient cet opuscule, tome CLXXX. Bellarmin parle du Purgatoire de saint Patrice dans ses controversés.
Longtemps après la mort de saint Patrice, un homme noble, appelé Nicolas, qui avait commis beaucoup de péchés, en, fit pénitence et voulut endurer le Purgatoire de saint Patrice. Après s'être mortifié, comme tous le faisaient, par quinze jours de jeûne, et avoir ouvert la porte avec une clef qui se gardait dans une abbaye, il descendit dans le puits en question et trouva, à son côté, une entrée par laquelle il s'avança. Il y rencontra une chapelle, où entrèrent des moines revêtus d'aubes qui y célébraient l’office. Ils dirent à Nicolas d'avoir de la constance, parce que le diable le ferait passer par bien des épreuves. Il demanda quel aide il pourrait avoir contre cela : les moines lui dirent : « Quand vous vous sentirez atteint par les peines, écriez-vous à l’instant et dites : J.-C., fils du Dieu vivant, ayez pitié de moi qui suis un pécheur. » Les moines s'étant retirés, aussitôt apparurent des démons qui lui dirent de retourner sur ses pas et de leur obéir, s'efforçant d'abord de le convaincre par ses promesses pleines de douceur, l’assurant qu'ils auront soin de lui, et qu'ils le ramèneront sain et sauf en sa maison. Mais comme il ne voulut leur obéir en rien, tout aussitôt il entendit des cris terribles poussés par différentes bêtes féroces, et des mugissements comme si tous les éléments fussent ébranlés. Alors plein d'effroi et tremblant d'une peur horrible, il eut hâte de s'écrier: « J.-C., fils du Dieu vivant, ayez pitié, de moi qui suis un pécheur. » Et à l’instant ce tumulte terrible de bêtes féroces s'apaisa., tout à fait. Il passa outre et arriva en un lieu où il trouva; une foule de démons qui lui dirent : «Penses-tu nous échapper ? pas du tout; mais c'est l’heure où tu vas commencer à être affligé et tourmenté. » Et voici apparaître un feu énorme et terrible; alors les démons lui dirent : « Si tu ne te mets à notre disposition, nous te jetterons dans ce feu pour y brûler. » Sur son refus, ils le prirent et le jetèrent dans ce brasier affreux ; et quand il s'y sentit torturé, il s'écria de suite : « J.-C., fils... etc. » et aussitôt le feu s'éteignit. De là il vint en un endroit où il vit des hommes être brûlés vifs et flagellés parles démons avec des lames de fer rouge jusqu'au point de découvrir leurs, entrailles, tandis que d'autres, couchés à plat ventre; mordaient la terre de douleur, en criant : « Pardon! Pardon ! » et les diables les battaient plus cruellement encore. Il en vit d'autres dont les membres étaient dévorés par des serpents et auxquels des bourreaux * arrachaient les entrailles avec des crochets enflammés.
* Bufo veut dire crapaud, Buffones au moyen âgé signifiait bouffons ; on ne saurait concevoir comment des crapauds pourraient arracher des entrailles avec des instruments aigus.
Comme Nicolas ne voulait pas céder à leurs suggestions, il fut jeté dans le même feu pour endurer de semblables supplices et il fut flagellé avec des lames pareilles et ressentit les mêmes tourments. Mais quand il se fut écrié : «J.-C., fils du Dieu vivant, etc. » il fut incontinent délivré de ces angoisses. On le conduisit ensuite en un lieu où les hommes étaient frits dans une poêle; où se trouvait une roue énorme garnie de pointes de fer ardentes sur lesquelles les hommes étaient suspendus par différentes parties du corps ; or,
cette roue tournait avec une telle rapidité qu'elle jetait des étincelles. Après quoi, il vit une `immense maison où étaient creusées des fosses pleines de métaux en ébullition, dans lesquelles l’un avait un pied et l’autre deux. D'autres y étaient enfoncés jusqu'aux genoux, d'autres jusqu'au ventre, ceux-ci jusqu’à la poitrine, ceux-là jusqu'au col, quelques-uns enfin jusqu'aux yeux. Mais en parcourant ces endroits, Nicolas invoquait le nom. de Dieu. Il s'avança encore; et vit un puits très large d'où s'échappait une fumée horrible accompagnée d'une puanteur insupportable de là sortaient des hommes rouges comme du fer qui jette des étincelles; mais les démons les ressaisissaient. Et ceux-ci lui, dirent : « Ce lieu que tu vois, c'est l’enfer, qu'habite notre maître Beelzébut. Si tu ne te mets à notre disposition, nous te jetterons dans ce puits or, quand tu y auras été jeté, tu n'auras aucun moyen d'échapper. » Comme il les écoutait avec mépris, ils le saisirent et le jetèrent dans ce trou : mais il fut abîmé d'une si véhémente douleur qu'il oublia presque d'invoquer le nom du Seigneur cependant en revenant à lui : « J.-C, fils, etc.., » s'écria-t-il du fond du coeur (il n'avait plus de voix), aussitôt il en sortit sans aucun mal; et toute la multitude dés démons s'évanouit comme réellement vaincue. Il s'avança et vit en un autre endroit un pont sur lequel il devait passer. Ce pont était très étroit, poli et glissant comme une glace, au-dessous coulait un fleuve immense de soufre et de feu. Comme il désespérait absolument de pouvoir . le traverser, toutefois il se rappela la parole qui l’avait délivré de tant de maux; il s'approcha avec confiance et eu posant un pied sur le pont, il se mit à dire : « J.-C., fils, etc...» Mais un cri violent l’effraya au point qu'il put à peine se soutenir; mais il récita sa prière accoutumée et il demeura rassuré ; après quoi il posa l’autre pied en réitérant les mêmes paroles et passa sans accident. Il se trouva donc dans une prairie très agréable à la vue; embaumée par l’odeur suave de différentes fleurs. Alors lui apparurent deux fort beaux jeunes gens qui le conduisirent jusqu'à une ville de magnifique apparence et merveilleusement. éclatante d'or et de pierres précieuses. La porte en laissait transpirer une odeur délicieuse. Elle le délassa si bien qu'il ne paraissait avoir ressenti ni douleur ni puanteur d'aucune sorte; et les jeunes gens lui dirent que, cette ville était le paradis. Comme Nicolas voulait y entrer, ils lui dirent encore qu'il devait d'abord retourner chez ses parents ; que toutefois les démons ne lui causeraient point de mal, mais qu'à sa vue ils s'enfuiraient effrayés; que trente jours après, il mourrait en paix, et qu'alors il entrerait en cette cité comme citoyen à toujours. Nicolas monta donc par où il était descendu, se trouva sur la terre et raconta tout ce qui lui était arrivé. Trente jours après, il reposa heureusement dans le Seigneur.
L'ANNONCIATION DE NOTRE-SEIGNEUR
L'annonciation du Seigneur, est ainsi appelée parce que, à pareil jour, un ange annonça 1'avénement du Fils de Dieu dans la chair. Il a été convenable que l’incarnation du Fils de Dieu fût précédée par l’annonciation de l’ange, et' cela pour trois raisons : 1° pour conserver un certain ordre, savoir : afin que l’ordre de la réparation correspondît à l’ordre de la prévarication. Car de même que le diable tenta la femme pour l’amener au doute, du doute au consentement, du consentement à la chute, de même l’ange annonça à la Vierge pour l’exciter à la foi, par la foi au consentement et par: le consentement à ce qu'elle conçût le Fils de Dieu ; 2° à raison du ministère de l’ange; car l’ange étant le ministre et le serviteur du Très-Haut, et la bienheureuse Vierge ayant été choisie pour être la mère de Dieu, il est de toute convenance que le ministre serve la maîtresse, il était donc juste que l’annonciation fût faite à la Sainte Vierge par le ministère d'un ange; 3° pour réparer la chute de l’ange. En effet puisque l’incarnation n'avait pas seulement pour objet de réparer la chute de l’homme, mais aussi de réparer la ruine de l’ange, les anges n'en devaient donc pas être exclus. Et comme la femme . n'est pas exclue de la connaissance du mystère de l’Incarnation et de la résurrection, de même aussi le messager angélique ne le doit pas ignorer. Il y a plus, Dieu a annoncé à la femme l’un et l’autre mystère par le moyen d'un ange, savoir : l’Incarnation à la Vierge Marie et la résurrection à Marie-Madeleine.— La bienheureuse Vierge étant donc restée depuis la troisième année de son âge jusqu'à la quatorzième dans le temple avec les autres vierges, et ayant fait voeu de conserver la chasteté, à moins que Dieu n'en disposât autrement, Joseph la prit pour épouse après qu1l en eut reçu une révélation divine, et que son rameau eut reverdi, ainsi qu'il est rapporté plus au long dans l’histoire de la Nativité de la bienheureuse Marie. Il alla à Bethléem, d'où il était originaire, afin de pourvoir à tout ce qui était nécessaire pour les noces; quant à Marie, elle revint à Nazareth dans la maison de ses parents. Nazareth veut dire fleur. « Ainsi, dit saint Bernard, la fleur voulut naître d'une fleur, dans une fleur, et dans la saison des fleurs. » Ce fut donc là que l’ange lui apparut et la salua en disant : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Saint Bernard s'exprime ainsi: « L'exemple de Gabriel nous invite à saluer Marie, comme, aussi le tressaillement de saint Jean; ainsi que le profit que nous retirons du consentement de la Bienheureuse Vierge. » Mais ici, il convient de rechercher les motifs pour lesquels le Seigneur a voulu que sa mère se mariât. Saint Bernard en donne trois raisons : « Il fut nécessaire, dit ce Père, que Marie fût mariée avec Joseph, puisque 1 ° par là le mystère reste caché aux démons; 2° l’époux est le garant de la virginité ; 3° et la pudeur, comme la réputation de la Vierge, est sauve ; 4° c'était afin que l’opprobre fût effacé dans toutes les conditions de ta femme, savoir, dans les mariées, les vierges et les veuves : trois conditions dans lesquelles se trouva la Vierge elle-même ; 5° afin qu'elle pût recevoir des services de son époux; 6° pour être une preuve de la bonté du mariage;
7° pour que la suite de sa généalogie fût, établie par son mari. Or, l’ange lui dit Salut, pleine de grâce. Saint Bernard dit en expliquant ces mots : « La grâce de la divinité est dans son sein, la grâce de la charité dans son coeur, la grâce de l’affabilité dans sa bouche : dans ses mains la grâce de la miséricorde et de la largesse. » Il ajoute : « Elle est vraiment pleine; car de sa plénitude tous les captifs reçoivent rédemption; malades, guérison ; tristes, consolation; pécheurs,, pardon; justes, grâce; anges, allégresse ; enfin toute la Trinité, gloire, le Fils de l’homme, substance de la chair humaine. » Le Seigneur est avec vous : « Avec vous est le Seigneur qui est Père, qui a engendré celui que vous avez conçu : le Seigneur Saint-Esprit, duquel vous avez conçu; et le Seigneur Fils que vous revêtez de votre chair. » Vous êtes bénie entre les femmes, c'est-à-dire, par dessus toutes les femmes, car en effet vous serez mère et vierge et mère de Dieu. Les femmes étaient sujettes à une triple malédiction d'opprobre, malédiction de péché et malédiction de supplice : la malédiction d'opprobre atteignait celles qui ne concevaient point, ce qui fait dire à Rachel : « Le Seigneur m’a tirée de l’opprobre où j'ai été ». (Genèse, XXX, 20) ; la malédiction du péché était pour celles qui concevaient : ce qui fait dire à David : « Voilà que j'ai été conçu dans les iniquités » (Ps. L). La malédiction du supplice affligeait celles qui enfantaient : il est dit dans la, Genèse (III) : « Vous enfanterez dans la, douleur. » Seule la Vierge Marie est bénie entre toutes les femmes; elle dont la virginité est unie, à la fécondité, dont la fécondité est unie à la sainteté dans l’a, conception, et à la sainteté de laquelle vient se joindre la joie dans l’enfantement. Elle est pleine de grâces, au témoignage de saint Bernard; pour quatre raisons, qui brillèrent en son esprit : ce furent la dévotion de l’humilité, le respect de la pudeur, la grandeur de sa foi, et le martyre de son coeur.
On ajoute : Le Seigneur est avec vous, pour quatre qualités qui resplendirent du ciel en sa personne (c'est encore la pensée de saint Bernard). Ce sont la sanctification de Marie, la salutation angélique, la venue du Saint-Esprit et l’Incarnation du Fils de Dieu. Il est dit encore : Vous êtes bénie entre les femmes, pour quatre autres privilèges qui, d'après saint Bernard, resplendirent en sa chair : elle fut la reine des vierges, féconde sans corruption, enceinte sans être incommodée, elle mit au monde sans douleur. — Aussitôt qu'elle eut entendu, elle fut troublée du discours de l’ange et elle examinait en elle-même ce que c'était que cette salutation. Elle fut donc troublée du discours de l’ange, mais non de son apparition, parce que la bienheureuse Vierge avait souvent vu des anges, mais elle ne les avait jamais entendu parler de cette manière. « L'ange, dit saint Pierre de Ravenne, était venu doux en apparence, mais terrible en ses paroles. Aussi celui dont la vue l’avait doucement réjouie, la troubla quand il parla. Le trouble qu'elle ressentit, dit saint Bernard, est l’effet de sa pudeur virginale; si elle ne fut pas troublée outre mesure, elle le dut à sa force d’âme ; en se taisant et en réfléchissant, elle donnait une preuve de prudence et de discrétion.» Et alors l’ange la rassura et lui dit : « Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce auprès du, Seigneur. » « Vous avez trouvé; ajoute saint Bernard, la grâce de Dieu, la paix des hommes, la destruction de la mort, la réparation de
la vie. » — Voici que vous concevrez et que vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de Jésus, c'est-à-dire, de Sauveur, car il sauvera son peuple de ses péchés. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. « Ce qui signifie, dit saint Bernard : celui qui est le grand Dieu, sera grand, c'est-à-dire, grand homme, grand docteur, grand prophète. » Alors Marie dit à l’ange : comment cela se pourra-t-il faire, puisque je ire connais point d'homme ? c'est-à-dire, puisque je ne me propose pas d'en connaître: Elle fut donc vierge, d'esprit, de coeur et de propos délibéré. Mais voilà que Marie interroge ; or, qui interrogé, doute. Pourquoi alors n'y eut-il que Zacharie qui ait été frappé de mutisme? Sur cela saint Pierre de Ravenne apporte quatre raisons : « Celui dit-il, qui connaît les cours, ne considère pas seulement les paroles, mais le fond même des coeurs, il a porté son jugement non pas sur ce qu'ils ont dit, mais sur ce qu'ils ont pensé. La cause par laquelle ils interrogent n'est pas pareille, leur espérance n'est pas la même. Marie a cru contre la nature, Zacharie a douté pour la nature. Celle-ci s'informe de l’enchaînement des faits ; l’autre prétend impossibles les choses que Dieu veut être faites. Celui-là, malgré es exemples qui l’y poussent, ne parvient pas à la foi ; celle-ci y accourt sans avoir de modèle. Elle admire qu'une vierge enfante et il contesta la conception. Marie ne doute donc pas du fait, mais elle en demande le mode et les circonstances : car comme il v a trois modes de conception, le naturel, le spirituel et le merveilleux, elle s'informe de quel mode elle doit concevoir. Et l’ange lui répondit en disant : Le Saint-Esprit viendra en vous, et lui-même opérera la conception en, vous. C'est pour cela que l’on dit : qui a été conçu, du Saint-Esprit, pour quatre raisons.
1° Pour montrer que c'est par l’ineffable charité divine que le Verbe de Dieu s'est fait chair : « Dieu a tellement aimé le monde, dit saint Jean (III), qu'il lui a donné son Fils unique. » C'est la raison qu'en donne le Maître des sentences *.
* Pierre Lombard, évêque de Paris.
2° Pour faire voir qu'il y a ici une grâce accordée sans qu'elle eût été méritée, en sorte que quand on dit : qui a été conçu du Saint-Esprit, il reste démontré que c'est l’effet seulement d'une grâce qui n'a été précédée par. aucun mérite de la part des hommes. Cette raison est de saint Augustin. 3° Pour montrer que c'est par la vertu et par l’opération du Saint-Esprit qu'il a été conçu. Cette raison vient de saint Ambroise. 4° Pour le motif de la conception, et cette raison est celle de Hugues de Saint Victor. Il dit que le motif de la conception naturelle, c'est l’amour du mari pour sa femme, et de la femme pour son mari : « Il en fut de même dans la Vierge, dit-il; parce que l’amour du- Saint-Esprit brûlait singulièrement dans son coeur, alors l’amour du Saint-Esprit opérait des merveilles dans sa chair. » Et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Ce qui s'explique ainsi d'après la glose: L'ombre se forme ordinairement de la lumière et d'un corps interposé :
La vierge, aussi bien qu'un pur homme, ne pouvait prendre la plénitude de la divinité, mais la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, alors que dans Marie, la lumière incorporelle de la divinité a pris le corps de l’humanité, afin qu'ainsi il fût possible à Dieu de souffrir. Saint Bernard paraît toucher cette explication quand il dit : « Parce que Dieu est esprit, et que nous sommes l’ombre de son corps, il s'est abaissé jusqu'à nous afin que par le moyen de la chair vivifiée, nous voyions le Verbe dans la chair, le soleil dans le nuage, la lumière dans la lampe, et la chandelle dans la lanterne. » Voici comment saint Bernard explique encore ce passage : « C'est comme si l’ange disait : ce mode par lequel vous concevrez du Saint-Esprit, J.-C., la vertu de Dieu le cachera de son ombre dans son asile le plus secret, afin qu'il soit connu de lui et de vous seulement. C'est comme s'il disait encore : Pourquoi me demandez-vous ce que vous allez éprouver en vous-même? Vous le saurez, vous le saurez, oui, heureusement vous le saurez, mais, ce sera par L'entremise du docteur qui sera en même temps auteur. J'ai été envoyé pour annoncer la conception virginale, mais non pour la créer. Ou bien encore : il vous couvrira de son ombre, c'est-à-dire, il éteindra en vous l’ardeur du vice. » Et voici que votre cousine Elisabeth a conçu un fils dans sa vieillesse. L'ange dit : voici ; pour montrer qu'il avait opéré dans le voisinage une grande nouveauté. Il y a quatre causes pour lesquelles la conception d'Elisabeth est annoncée à Marie; elles sont de saint Bernard.
La première c'est le comble de l’allégresse, la seconde la perfection de la science, la troisième la perfection de la doctrine, la quatrième la condescendance de la miséricorde. Voici en effet les paroles de saint Jérôme : « La conception d'une cousine stérile est annoncée à Marie, afin de causer joie sur joie, alors qu'à un miracle vient se joindre un autre miracle : ou bien c'est qu'il était tout à fait convenable que la vierge apprit de la bouche de l’ange, avant de le connaître par un homme, une parole qui devait être divulguée, en tous lieux, afin que la mère de Dieu ne parût pas écartée des conseils de son fils, si elle restait dans l’ignorance des événements qui arrivaient si près d'elle sur la terre. Ou plutôt encore, Marie, instruite et de l’avènement du Sauveur, et de celui du Précurseur, quant au temps et à l’enchaînement des faits, pouvait dans la suite découvrir la vérité aux écrivains et aux prédicateurs de l’Evangile; ou bien, afin que sachant que sa cousine déjà vieille et cependant enceinte, Marie qui était toute jeune encore, pensât à lui être utile, et donner au petit prophète Jean le moyen de faire sa cour au Seigneur et d'opérer, eu présence d'un miracle, un miracle plus admirable encore. » Plus loin saint Bernard dit : « O vierge, hâtez-vous de répondre. O ma dame, répondez une parole et recevez, le verbe, prononcez-vous et recevez la divinité, dites un mot qui ne dure qu'un instant et renfermez en vous l’éternel. Levez-vous, courez, ouvrez. Levez-vous pour prouver votre foi, courez pour montrer votre dévouement; ouvrez pour donner une marque de votre consentement. » Alors Marie, étendant les mains et tournant les, yeux vers le ciel : Voici, dit-elle, la servante dit Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard s'exprime ainsi: « On rapporte que les uns ont reçu le Verbe de Dieu dans l’oreille, les autres dans la bouche, et dans la main. Pour Marie elle 1'a reçu dans son
oreille, par la salutation angélique; dans son coeur, par la foi; dans sa bouche, par la confession; dans sa main, par le toucher; dans son sein, par l’incarnation; dans son giron, quand elle le tenait; dans ses bras, lorsqu'elle l’offrit: » Qu'il me soit fait selon votre parole. Saint Bernard explique ainsi ce passage : «Je ne veux point qu'il me soit fait en forme de parole vide et déclamatoire, ni en figure, ni en imagination; mais je veux qu'il descende en moi par l’inspiration calme du Saint-Esprit, que sa personnalité prenne chair, et qu'il habite corporellement en mon sein. » Et aussitôt le Fils de Dieu fut conçu en ses entrailles; il réunissait les perfections d'un Dieu et les perfections d'un homme, et dès le premier jour de sa conception,, il avait, la même sagesse, la même puissance que quand il atteignit l’âge de trente ans. Alors Marie partit, s'en alla vers les montagnes de la Judée chez Elisabeth et après qu'elle l’eut saluée, Jean, tressaillit, dans le sein de sa mère. La glose dit : Ne le pouvant faire avec la langue, il tressaille de coeur pour saluer J.-C. et commencer l’office de Précurseur. La sainte Vierge aida sa cousine, pendant trois mois, jusqu'à la naissance de saint Jean qu'elle leva de terre de ses mains; comme on lit dans le Livre des Justes. Ce fut à pareil jour, dit-on, que dans le cours des temps, Dieu opéra quantité de merveilles racontées par un poète dans les beaux vers suivants :
Salve, festa dies, quae vulnera nostra coerces,
Angelus est missus, et passus in cruce Christus.
Est Adam factus et eodem tempore lapsus,
Ob meritum decimae cadit Abel fratris ab ense.
Offert Melchisedech, Ysaac supponitur aris.
Est decollatus Christi baptista beatus.
Est Petrus ereptus, Jacobus sub Herode peremptus.
Corpora Sanctorum cum Christo multa resurgunt.
Latro dolce tamen per Christum suscipit, amen *.
*Voici comme maistre Jean-Batallier traduit cette poésie :
le frère Iehan qui translatay ce liure les vueil aussi mettre en frâcays en la manière qui s’en suit.
Ie, te salue iour tressait
Qui nez plaies nous restrains.
Lange y fut envoie ce iour
Dieu y souffrit mort ce iour
A ce leur fut fait Adam home :
Et a ce tour mordit en la
Abraham fist de Ysaac autel,
Et Herode par son meschief
Coppa a Baptiste le chief.
Pierre sa prison renua :
Et Herode iaqs tua.
pomme.
Abel fut occis pour sa disme
De son propre frère mesmes.
Melchisedech offrit a lautel :
Avecques Dieu sa compaignie
Suscita corps saintz grant partie,
Le larron qui eut en memoire
Ihesucrist, fust mis en sa gloyre.
Un soldat ** riche et noble renonçant au siècle, entra dans l’ordre des Cisterciens et parce qu'il ne savait pas les lettres; les moines n'osant pas renvoyer: chez les laïcs un si noble personnage, lui donnèrent un maître, pour savoir si par aventure il pourrait apprendre quelque chose et, par ce moyen, le faire rester chez eux. Mais après avoir reçu pendant bien du temps les leçons de son maître, il ne put apprendre rien absolument que ces deux mots : Ave Maria. Il les retint avec un tel amour que partout où il allait, en tout ce qu'il faisait, à chaque instant il les ruminait. Enfin il vient à mourir et il est enseveli avec les autres frères dans le cimetière : Or, voici que sur sa tombe pousse un lys magnifique et sur chaque feuille sont écrits en lettres d'or ces mots : Ave Maria.
** La chronique de Grancey intitulée Roue de fortune, commentée par le P. Viguier; raconte ce fait comme étant arrivé au fils du comte de Blammont lequel épousa la sixième fille de Grancey (Cf. Paulin Paris, Cabinet historique, t. l, p. 135).
Tout le monde accourut pour contempler un si grand miracle. On retira la terre de la fosse et on trouva que la racine du lys partait de la bouche du défunt. On comprit alors avec quelle dévotion il avait répété ces deux mots, puisque Dieu le rendait illustre par l’honneur d'un si grand prodige *.
* Thomas de Catempée, Denys le Chartreux, etc., rapportent aussi cette merveille.
— Un chevalier, dont le castel était sur un grand chemin, dépouillait sans merci tous les passants. Cependant tous les jours il saluait la Vierge mère,de Dieu et quelque empêchement qui lui survînt, il ne voulut jamais passer un jour sans réciter la salutation angélique. Or, il arriva qu'un saint religieux vint à passer par là et le chevalier dont il est
question ordonna de le dépouiller aussitôt. Mais le saint homme pria les brigands de le conduire à leur maître parce qu'il avait quelques secrets à lui communiquer. Amené devant l’homme d'armés, il le pria de faire assembler toutes les personnes de sa famille et de son castel pour leur prêcher la parole de Dieu. Quand on fut réuni, le religieux dit : « Certainement vous n'êtes pas tous ici; il manque encore quelqu'un. » Comme on l’assurait qu'ils y étaient tous : « Cherchez bien, reprit le voyageur, et vous trouverez qu'il manque quelqu'un. » Alors l’un d'eux s'écria que le camérier seul, n'était pas venu. Le religieux dit : « Oui, c'est lui seul qui manque.» On envoie aussitôt le chercher et il se plaça au milieu des autres. Mais en voyant l’homme de Dieu, il roulait des yeux affreux, agitait la tête comme un fou et n'osait s'approcher de plus près. Alors le saint homme lui dit : « Je t'adjure, par le nom de J.-C., de nous dire qui tu es et de découvrir en présence de l’assemblée le motif qui t'a conduit ici. » Et celui-ci répondit « Hélas ! c'est parce que je suis adjuré et bien malgré moi que je suis: forcé de me découvrir : en effet je ne suis pas un homme, mais un démon qui a pris la figure humaine et je suis resté sous cette forme depuis quatorze ans avec ce seigneur : notre prince m’a envoyé ici pour observer avec le plus grand soin le jour qu'il ne réciterait pas la salutation à sa Marie, afin que je m’emparasse de lui et l’étranglasses aussitôt en mourant ainsi dans ses mauvaises actions, il aurait été des nôtres : car chaque jour qu'il disait cette salutation, je ne pouvais avoir puissance sur lui : de jour en jour je le surveille avec la plus grande attention et il n'en a passé aucun sans la saluer. » En entendant, cela le chevalier tomba dans une véhémente stupeur, se jeta aux pieds de l’homme de Dieu, demanda pardon et, dans la suite, il changea de manière de. vivre. Alors le saint homme dit au démon : « Je te commande, démon, au nom de N. S. J.-C., de t'en aller d'ici, et de ne- plus revenir. désormais en un lieu où tu auras l’audace. de nuire à quiconque invoquera la glorieuse mère de Dieu.» Immédiatement après cet ordre, le démon s'évanouit et le chevalier laissa aller l’homme de Dieu libre, après lui avoir témoigné respect et remercîments *.
* Un livre intitulé : Fleurs des exemples, rapporte cette légende comme extraite d’un Anselme qui a écrit un livre de Miracles, c. XV.
SAINT TIMOTHÉE
* Il est question au 22 août, dans le Martyrologe romain, d'un Timothée qui souffrit à Rome sur la voie d'Oste ; en outre un ms. du Martyrologe d'Usuard cite, au 2 avril, un saint Timothée, martyr à Antioche.
A Rome on célèbre la fête de saint Timothée, qui vint d'Antioche en cette ville du temps du pape Melchiade. Il fut reçu par le prêtre Sylvestre, qui devint dans la suite évêque de la ville, et qui le chargea de remplir les fonctions que les souverains pontifes eux-mêmes redoutaient alors d'exercer. Or, Sylvestre ne se faisait pas seulement un bonheur de lui donner l’hospitalité mais, ayant dépouillé toute crainte, il comblait d'éloges la conduite et la doctrine de Timothée qui, pendant un an et trois mois, enseigna la vérité de J.-C. Après avoir converti beaucoup de peuples, étant devenu digne du martyre, il fut pris par les païens et livré à Tarquin, préfet de la ville. Après avoir enduré des tourments cruels et une longue détention, il refusa de sacrifier aux idoles, et, comme un bon athlète de Dieu, il fut tourmenté et enfin décapité avec des assassins. Saint Sylvestre le porta la nuit dans sa maison et y fit venir le saint évêque, Melchiade, qui, avec tous les prêtres et les diacres; passa la nuit entière en actions de grâces et le mit au rang des martyrs. Alors une femme très chrétienne, nommée Théone, pria le saint pape de lui permettre d'élever, à ses frais, dans son jardin, un tombeau à côté de celui de l’apôtre saint Paul; pour y déposer le corps de saint Timothée. Tous les chrétiens jugèrent convenable que Timothée eût sa sépulture auprès de celle de saint Paul qui avait eu autrefois pour disciple un saint de ce nom.
LA PASSION DU SEIGNEUR
Dans sa Passion, J -C. souffrit d'amères douleurs : Il fut indignement méprisé; mais nous procura des avantages d'une valeur immense. La douleur fut produite par cinq causes : Premièrement, parce que cette passion fut ignominieuse, quant au lieu qui était lui-même ignominieux, puisque c'était au calvaire où les malfaiteurs étaient punis ; quant au supplice qui fut infâme puisque J.-C. fut condamné à la mort la plus honteuse. En effet la croix était le supplice des larrons, et bien que la croix eût été autrefois une grande opprobre, elle est maintenant une immense gloire. Ce qui fait dire à saint Augustin : « La croix qui était le supplice des larrons a passé maintenant sur le front des empereurs. Si Dieu a conféré un pareil honneur à ce qui fut son supplice, que m’accordera-t-i1 pas à son serviteur ? » Cette passion fut ignominieuse à cause de ceux auxquels J.-C. fut associé, puisqu'il a été placé entre des scélérats, c'est-à-dire, avec des larrons, qui d'abord ont été des scélérats; l’un d'eux, Dismas, s'est converti plus tard; il était à la droite du Sauveur, d'après l’évangile de Nicodème; l’autre à gauche fut damné, c'était Gesmas. A l’un il donna le royaume, à l’autre le supplice. Saint Ambroise dit : « Alors qu'il était suspendu à la croix, l’auteur de la miséricorde en partageait les fonctions en différentes classes : il confiait la persécution aux apôtres, la paix à ses disciples, son corps aux Juifs, ses vêtements à ceux qui le crucifiaient, son âme à son père, un paranymphe à une
Vierge, le paradis au larron, l’enfer aux pécheurs et la croix aux chrétiens pénitents. Voilà le testament de J.-C. attaché à la croix. » La 2e cause de douleur, c'est que sa passion fut injuste, parce qu'il n'a pas commis le péché, que le mensonge n'a pas souillé sa bouche, et que la peiné qui n'est pas méritée est infiniment regrettable. En effet on l’accusait principalement de trois crimes, savoir : d'empêcher de payer le tribut, de se dire roi, et de se proclamer Fils de Dieu. Contre ces trois accusations, au jour du vendredi saint, nous adressons en la personne du Sauveur trois excuses : Popule meus, quid feci tibi, etc: *
* A l’adoration de la croix.
«Mon peuple, que t'ai-je fait? » J.-C. y expose trois bienfaits qu'il a accordés aux Juifs: la délivrance de l’Egypte, leur conduite à travers le désert, la plantation de la vigne dans un lieu très fertile; comme si J.-C. disait, « Tu m’accuses au sujet du paiement du tribut : tu devrais bien plutôt me remercier, puisque je t'ai délivré du tribut; tu m’accuses de m’être dit roi : tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir traité en roi dans le désert; tu m’accuses de m’être proclamé le Fils de Dieu: tu devrais plutôt me remercier pour t'avoir choisi comme ma vigne, et que je t'ai planté dans un lieu très fertile. » 3° La douleur vint de ce qu'il souffrit de la part de ses amis. En effet la, douleur serait plus tolérable si elle venait de ceux qui, pour un motif quelconque, devaient être ses ennemis, ou bien de ceux auxquels il aurait porté quelque préjudice, et pourtant, il souffre de ses amis, c'est-à-dire de ceux qui devraient être ses amis. Il souffre de ses proches, savoir: de ceux de la race desquels, il est né. C'est d'eux qu'il est dit dans le Psaume (XXXVII) : « Mes amis et mes proches se sont élevés et déclarés contre moi. » Et dans Job (XIX) : « Mes amis m’ont fui comme ceux qui m’étaient les plus étrangers. » Il souffre de ceux auxquels il avait fait du bien (Saint Jean, X) : « J'ai fait devant vous plusieurs bonnes oeuvres. » Voici les paroles de saint Bernard : « O bon Jésus, quelle douceur fut la vôtre, dans vos rapports avec les hommes ! Que ne leur avez-vous pas donné et avec une bien grande abondance ! Quelles duretés, quelles méchancetés vous avez souffertes pour eux, des paroles rudes, des coups plus rudes encore, les tourments les plus rudes. » 4° A raison de la délicatesse de son corps. C'est de J.-C. que David parle en figure quand il dit : « Il était faible et délicat comme un petit vermisseau de bois » (Rois, II, XXIII) : « O Juifs, dit saint Bernard, vous êtes des pierres, vous frappez une pierre plus tendre; le son qu'elle rend c'est celui de la piété, elle fait jaillir l’huile de la charité. » Saint Jérôme dit aussi : « Jésus a été livré aux Juifs pour être frappé, et ce très sacré corps et cette poitrine qui contenait Dieu, ils l’ont sillonné de coups de fouets. » 5° Sa douleur fut universelle : il souffrit dans chacun de ses membres et de ses sens. 1° Il souffrit dans ses yeux, parce qu'il a pleuré, saint Paul le dit en son Epître aux Hébreux (v): Saint Bernard s'exprime de la sorte : « Il a monté haut pour être entendu de plus loin; il criait avec force, pour que personne ne pût s'excuser; a ses cris il joignit les larmes afin d'exciter la compassion des hommes. » Il versa (les larmes deux autres fois, encore; ce fut à la résurrection de Lazare
et sur Jérusalem. Les premières furent des larmes d'amour, ce qui a fait dire à ceux qui le virent pleurer : « Voyez comme il l’aimait! » Les secondes furent des larmes de compassion, mais les troisièmes furent des larmes de douleur. 2° Il souffrit dans l’ouïe quand on l’accablait d'opprobres. et de blasphèmes : or, on compte quatre circonstances; où J.-C. entendit des opprobres et des blasphèmes. Sa noblesse était infinie : quant à sa nature divine, il fut le fils du roi éternel; et quant à la nature humaine, il était de race royale ; comme homme encore, il fut le roi des rois et le seigneur des seigneurs. II annonça une visite ineffable, car c'est lui qui est la voie, la vérité et la vie; aussi dit-il en parlant de soi-même : « Votre parole c'est la vérité, car le Fils c'est la parole ou le verbe du Père. » Il posséda une puissance incomparable car « toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui. » Enfin il fut d'une extraordinaire bonté, car « personne n'est bon si ce n'est Dieu seul. » J.-C: entendit des opprobres et des blasphèmes en raison de ces quatre qualités : 1° A raison de sa noblesse. Saint Math. (XII) : « Est-ce que ce n'est pas le fils du charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie? etc. » 2° A raison de sa puissance. Saint Math. (XII) : « Il ne chasse les démons que par Béelzébut, prince des démons. » En saint Mathieu encore (XXVII) : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! » Voici qu'ils le disent impuissant, quand, il a été, d'un seul mot, assez puissant pour renverser ses persécuteurs. En effet quand il leur eut demandé : « Oui cherchez-vous ?» qu'ils eurent répondu : « Jésus de Nazareth » ; et qu'il eut dit : « C'est moi », à l’instant ils tombèrent par terre. « Un mot, dit saint Augustin, adressé à une foule haineuse, féroce, redoutable par ses armes, l’a frappée sans aucun dard, l’a renversée par terre en vertu de la divinité qui se cachait. Que fera-t-il quand il jugera, s'il a fait cela avant d'être jugé? Que pourra-t-il, quand il régnera, celui qui a exercé un pareil pouvoir quand il était près de mourir? » 3° A raison de la vérité. Saint Jean, (VIII) : « Tu te rends témoignage à toi-même; ton témoignage n'est pas véritable. » Les voici qui l’appellent menteur et cependant il. est la voie, la vérité et la vie. Cette vérité Pilate ne mérita ni de la connaître, ni de l’entendre, parce qu'il ne le jugea pas selon la vérité. Il commença son jugement par la vérité, mais il ne resta pas dans la vérité, et c'est pour cela. qu'il mérita de commencer par une question au sujet de la vérité, mais il ne fut pas digne de recevoir une solution. II y a, d'après saint Augustin, une autre raison pour laquelle il n'entendit pas la réponse; car, après avoir adressé cette question, à l’instant même, il se ressouvint de la coutume qu'avaient les Juifs de délivrer un prisonnier au temps de Pâques ; et en raison de cela il sortit aussitôt sans attendre une réponse. La troisième raison, d'après saint Chrysostome, est que, sachant cette question difficile, elle exigeait beaucoup de temps, une longue discussion. Or, comme il avait hâte de délivrer J.-C., il sortit aussitôt. On lit pourtant dans l’Evangile de Nicodème que quand Pilate eut demandé à Jésus : « La vérité, qu'est-ce ? » Jésus lui répondit : « La vérité vient du ciel. » Et Pilote dit : « Sur la terre il n'y a donc pas de vérité? » Jésus lui dit : « Comment la vérité peut-elle exister sur la terre, quand elle est jugée par ceux qui ont le pouvoir ici-bas ? » 4° A raison de sa bonté : car ils disaient qu'il était pécheur au fond du coeur. Saint Jean, (IX) : « Nous
savons que cet homme est pécheur; qu'il était un séducteur dans ses paroles. » Saint Luc, (XIII) : « Il a soulevé le peuple en enseignant par toute la Judée, en commençant par la Galilée jusqu'ici. » — Qu'il était prévaricateur de la loi dans ses Oeuvres. Saint Jean, (IX) : « Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat. » 3° Il souffrit de son odorat : parce qu'il put sentir une grande puanteur dans ce lieu du calvaire où se trouvaient les corps fétides des morts. L'Histoire scholastique dit * que le crâne (calvaria), c'est a proprement parler l’os nu de la tête de l’homme, et parce que les condamnés étaient décapités et que beaucoup de crânes gisaient là pêle-mêle, on disait le lieu du crâne ou le calvaire.
* Evang., ch. CLXX.
4° Il souffrit dans le sens du goût. Aussi quand il criait : « J'ai soif, » on lui donna du vinaigre mêlé de myrrhe et de fiel, afin qu'avec le vinaigre, il mourût plus vite et que ses gardes fussent plus tôt relevés de leur faction : on dit en effet que les crucifiés meurent plus vite quand ils boivent du vinaigre. Ils y mêlèrent de la myrrhe pour qu'il souffrît dans l’odorat et du fiel pour qu'il souffrît dans le goût. Saint Augustin dit : « La pureté est abreuvée de vinaigre au lieu de vin; la douceur est enivrée de fiel ; l’innocence est punie pour le coupable; la vie meurt pour le mort. » 5° Il souffrit dans le toucher, car dans toutes les parties de son corps, « depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui (Isaïe, I). » Sur ce que J.-C. ressentit de la douleur dans tous les sens : « Cette tête, dit saint Bernard, l’objet de la vénération des esprits angéliques, est percée d'une forêt d'épines ; cette face, la plus belle parmi celles des enfants des hommes, est salie par les crachats des Juifs ces yeux plus brillants que le soleil sont éteints par la mort; ces oreilles accoutumées aux concerts des anges; entendent les insultes des pécheurs ; cette bouche qui instruit; les anges est abreuvée de fiel et de vinaigre ; ces pieds dont on adore l’escabeau parce qu'il est saint, sont attachés à la croix avec des clous ; ces mains qui ont construit les cieux sont étendues sur la croix et percées de clous : le corps est fouetté, le coeur est percé d'une lance, que faut-il de plus ? Il ne resta en lui que la langue pour prier en faveur des pécheurs et pour confier sa mère à son disciple. »
Secondement, dans sa Passion J.-C. fut bafoué et honni : car quatre fois on se moqua de lui: 1° dans la maison d'Anne, où il reçut des crachats et des soufflets, et où on lui couvrit les yeux d'un voile. Saint Bernard dit à ce sujet : « Votre visage, bon Jésus tout aimable, que les anges aiment à regarder, ils. l’ont sali de crachats, ils l’ont frappé avec leurs mains, ils l’ont couvert d'un voile par dérision,ils ne lui ont pas épargné les blessures amères. » 2° Dans la maison de Hérode, qui, le prenant pour un fou et un esprit égaré, parce qu'il n'avait pu en obtenir une réponse, le revêtit d'un habit de dérision. Ce qui fait dire à saint Bernard : « Tu es homme .et tu te couronnes de fleurs ; moi je suis Dieu et j'ai une couronne d'épines; tu as des gants aux mains, et moi j'ai des clous qui percent les miennes; tu danses revêtu d'habits blancs, et moi, pour toi, à la cour d'Hérode, j'ai été couvert d'une robe blanche ; tu danses, et moi, j'ai souffert dans mes pieds : toi,
dans tes danses, tu étends les bras, en croix au milieu des transports d'allégresse, et moi, je les ai eus étendus en signe d'opprobre; moi, j'ai été dans la douleur sur .la croix, et. toi, tu tressailles d'aise en croix ; tu as le côté découvert ainsi que la poitrine par vaine gloire et moi, j'ai eu mon côté percé pour toi. Cependant reviens à moi et je le recevrai. » Mais pourquoi le Seigneur, au temps de sa Passion, se taisait-il en présence d'Hérode, de Pilate et des Juifs? Il y en a trois raisons. La première, c'est qu'ils n'étaient pas dignes d'entendre sa réponse; la deuxième, parce que Ève avait péché en parlant trop, alors J.-C. a voulu satisfaire en se taisant; la troisième, c'est. parce que n'importe la réponse sortie de sa bouche, ils calomniaient et altéraient tout. Il fut honni et bafoué dans la maison de Pilate, où les soldats le revêtirent d'un manteau d'écarlate, lui donnèrent un roseau dans les mains, placèrent une couronne d'épines sur sa tête et disaient en fléchissant le genou : « Salut, roi des Juifs. » Or, cette couronne d'épines, on dit qu'elle fut tressée de jonc marin dont la pointe est aussi dure que pénétrante; d'où l’on peut penser que ces épines firent jaillir le sang de sa tête. A ce sujet saint Bernard s'exprime ainsi : « Cette divine tête fut percée jusqu'au cerveau par une forêt d'épines. » Il y a trois opinions différentes sur le lieu où l’âme a son siège principal. Les uns disent dans le coeur, à raison de ces paroles: « C'est du coeur que sortent les mauvaises pensées, etc. » Les autres, dans le sang, à cause de ce qui est dit dans le Lévitique (XVII) : « La vie de la chair est dans le sang ; » les troisièmes, dans la tête, d'après ce texte : « Il inclina la tête et rendit l’esprit. » Par le fait, les Juifs paraissent avoir connu ces trois opinions ; car pour arracher son âme de son corps, ils la cherchèrent dans sa tête, lorsqu'ils enfoncèrent les épines jusqu'à la cervelle; ils l’ont cherchée dans le sang, en lui ouvrant les veines des mains et des pieds ; ils l’ont cherchée dans le coeur, quand ils percèrent son côté. Contre ces trois sortes de moqueries, au jour du vendredi Saint, nous faisons trois adorations avant de découvrir la croix, en disant: Dieu saint, Dieu fort, Dieu immortel, pitié pour nous : agios, etc., comme pour honorer par trois fois celui qui trois fois a été bafoué pour nous: 4° Sur la croix (saint Math., XXVII) : «Les princes des prêtres, se moquant de lui avec les scribes et les anciens, disaient : « S'il est le roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui. » Saint Bernard commente ainsi ce passage : « Pendant ce temps-là; il donne une plus grande preuve de patience, il recommande l’humilité, il fait acte d'obéissance, il accomplit toute charité. Ces perles de vertus ornent les extrémités de la croix : en haut se trouve la charité, à droite l’obéissance, à gauche la patience, et au bas la racine de toutes les vertus qui est l’humilité. Toutes ces souffrances de J.-C. Ont été recueillies brièvement par saint Bernard quand il dit : « J'aurai souvenance, toute ma vie, des labeurs qu'il a supportés, dans ses prédications; de ses fatigues, dans ses courses; de ses veilles, dans la prière; de ses tentations dans son jeûne; de ses larmes de compassion, des pièges qui lui étaient tendus dans ses discours, enfin des outrages, des crachats, des soufflets, des moqueries, des clous, des reproches. »
Troisièmement la Passion de J.-C. fut pour nous la source d'avantages infinis. Son utilité est triple; on y trouve, la rémission des péchés, la collation de la gâte, et
l’exhibition de la gloire; et toutes les trois sont indiquées sur le titre de la croix, parce, qu'il y a Sauveur pour la première, de Nazareth * pour la deuxième, et roi, des Juifs pour la troisième, parce que là nous serons tous rois.
* Nazareth signifie en hébreu ornement ou couronne.
Saint Augustin dit en parlant de l’utilité de la Passion : « J.-C. a effacé la coulpe présente, passée et future; il a détruit les péchés passés en les remettant, les péchés présents en y soustrayant les hommes, les péchés futurs en donnant une grâce au moyen de laquelle on' peut les éviter. » Le même Père dit encore à ce sujet : « Admirons, félicitons, aimons, louons, adorons, puisque par là mort de notre Rédempteur nous avons été appelés des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la, corruption à l’incorruption, de l’exil à la patrie, du deuil à la joie. » Quatre raisons démontrent combien fut utile le mode de notre rédemption, savoir : parce qu'il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi; il fut très convenable pour guérir la maladie, très efficace pour attirer le genre humain, très habilement pris pour défaire l’ennemi des hommes. 1° Il fut parfaitement accueilli de Dieu qui devait être fléchi et réconcilié, parce que, dit saint Anselme en son ouvrage Cur Deus homo (liv. II, c. II) : « L'homme ne peut, pour l’honneur de Dieu, souffrir volontairement et sans y être obligé, rien de plus redoutable et de plus pénible que la mort, et jamais, l’homme ne put se donner davantage à Dieu que quand il s'est. livré à la mort en son honneur. » C'est ce qui est dit par saint Paul en son épître aux Éphésiens (V) : « Il s'est livré à Dieu comme une oblation et une hostie d'agréable odeur. » Et saint Augustin, au livre De la Trinité, dit comment ce sacrifice apaisa Dieu et le réconcilia avec nous : « Quelle chose pouvait être plus agréablement reçue que notre chair. devenue une. matière de sacrifice dans le corps de notre prêtre? » Et comme dans tout sacrifice quatre circonstances sont à considérer : à qui il est offert, ce qui est offert, pour qui il est offert, et celui qui offre. Celui-là même qui est seul médiateur entre Dieu et les hommes nous réconcilie par le sacrifice de paix à Dieu avec lequel il ne fait qu'un; et auquel il offrait ce sacrifice, en ne faisant qu'un avec ceux pour lesquels il l’offrait. En sorte que celui qui offrait et ce qui était offert, c'est la même personne. Le même saint Augustin dit encore, sur la manière par laquelle nous avons été réconciliés par J.-C., que J.-C. est prêtre et sacrifice, comme il est Dieu et temple tout à la fois. Prêtre, par l’entremise duquel nous sommes réconciliés; sacrifice, par lequel nous sommes réconciliés, Dieu auquel nous sommes réconciliés, temple dans lequel nous sommes réconciliés. Le même Père adresse dans la personne de J.-C. ces reproches à ceux qui faisaient peu de cas de cette réconciliation : « Comme vous étiez l’ennemi de mon Père,, à vous a réconciliés par' moi; comme vous étiez loin de lui, je. suis venu pour vous racheter; comme vous erriez par les montagnes et les forêts, je vous ai cherchés, et c'est au milieu des pierres et du bois que je vous ai trouvés; et de crainte que vous ne fussiez déchirés sous la dent vorace des loups et des bêtes féroces, je vous ai
recueillis, je vous ai portés sur mes épaules, je vous ai rendus à mon Père. J'ai travaillé, j'ai sué, j'ai présente ma tète pour qu'on y mît la couronne d'épines; j'ai placé mes mains sous les clous,, j'ai ouvert mon côté avec la lance; j'ai été déchiré non par des injures, mais par des tourments sauvages ; j'ai versé mon sang, j'ai donné mon âme pour vous unir à moi, et vous vous arrachez de mes bras! »
2° Le mode de notre rédemption fut très convenable pour guérir notre maladie. Or, la convenance se tire du temps, du lieu et du mode. 1° Du temps, parce qu'Adam fut créé et commit le péché au mois de mars, le vendredi, et à la sixième heure, et c'est pourquoi J.-C. a voulu souffrir dans le mois de mars, car il fut annoncé et souffrit le même jour, comme ce fut encore le vendredi et à la sixième heure. 2° Du lieu : or, le lieu de la Passion peut-être entendu en trois manières, savoir : le lieu commun, le lieu particulier et le lieu singulier.: Le lieu commun fut la terre de promission, le particulier, celui du calvaire et le lieu singulier, la croix. Dans le lieu commun fut formé le premier homme parce qu'on dit qu'il a été créé près de Damas et sur le territoire de cette ville. Il fut enseveli dans le lieu particulier, parce que ce fut dans l’endroit où J.-C. a souffert qu'Adam fut, dit-on, enseveli; toutefois ceci n'est pas authentique, puisque, d'après saint Jérôme, Adam a été enseveli sur le mont Hébron, selon ce qui est expressément rapporté au livre de Josué (XIV). Il. fut déçu au lieu singulier, non! pas que ce soit sur le bois où J.-C. a souffert qu'Adam fut déçu, mais pourtant il est dit que de même que Adam fut déçu dans le bois, de même J.-C. souffrit sur le bois. Il est rapporté dans une histoire des Grecs que ce fut sur un bois de la même espèce. 3° Du mode de guérir, lequel fut par les semblables et par, les contraires ; par les semblables, parce que d'après saint Augustin en son livre de la Doctrine chrétienne; l’homme séduit par la femme, né de la femme, a délivré, comme étant homme, les autres hommes, comme . mortel, les mortels et les morts, par la mort. Saint Ambroise dit : « Adam fut formé d'une terre vierge, J.-C. naquit d'une vierge. Adam fut fait à l’image de Dieu, J.-C. est l’image de Dieu. De la femme est venue la folie, par la femme est venue la sagesse ; Adam était nu, J.-C. fut nu; la mort vint par l’arbre ; la vie par la croix ; Adam resta dans le désert, J.-C. resta au désert. » Par les contraires : parce que le premier Homme, selon saint Grégoire, avait péché par orgueil, par désobéis sauce. et par gourmandise; car il voulut s'assimiler à Dieu par la sublimité de la science, transgresser les limites du commandement de Dieu et goûter la suavité de la pomme : et comme la guérison doit s'opérer par les contraires, ce mode de satisfaction fut très convenable; car il s'opéra par l’humiliation, par l’accomplissement de la volonté divine et par, l’affliction. Ces trois modes sont indiquées dans la 2° Epitre aux Philippiens : « Il s'est humilié », c'est le premier mode, « en se faisant obéissant», c'est le second, « jusqu'à la mort », c'est le troisième.
3° Ce mode fut très efficace pour attirer le genre humain. Car jamais il ne put attirer le genre humain davantage à son amour et à la confiance, tout en sauvant le libre arbitre. Or, voici: ce que dit saint Bernard, pour démontrer comment il nous, attire par, là à son amour : « O bon Jésus, ce calice que vous avez bu, cette oeuvre de notre
rédemption vous rend aimable par-dessus tout. C'est absolument cela qui vous assure facilement tout notre amour pour-vous, c'est-à-dire qui. provoque notre amour avec plus de douceur, qui l’exige, avec plus de droit, qui l’assujettit plus vite et qui l’affecte avec plus de force. En effet où vous vous êtes anéanti, où vous vous êtes. dépouillé de l’éclat qui vous est naturel, c'est là que votre dévouement brille le plus, là que votre charité s'est répandue avec plus de profusion, là que votre grâce a projeté ses plus grands rayons. » Quant à la confiance que ce mode- nous inspire, il est dit dans l’Épître aux Romains (VIII) : « Puisque Dieu n'a pas épargné son propre fils, mais qu'il l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses? Là-dessus saint Bernard s'exprime ainsi : « Qui ne sera pas entraîné à l’espoir d'obtenir la confiance, quand il considère la disposition de son corps, savoir : sa tête inclinée pour nous baiser, ses bras étendus pour nous embrasser, ses mains percées pour nous octroyer des largesses, son côté ouvert pour nous aimer, ses pieds attachés pour rester avec nous, son corps étendu pour se sacrifier tout entier à nous. »
Quatrièmement : Le mode de notre rédemption fut très convenable pour détruire l’ennemi du genre humain. (Job, XXVI.) « Sa sagesse a dompté l’orgueil » (et XL) : « Pourrez-vous enlever Léviathan avec l’hameçon ? » J.-C. avait caché l’hameçon de sa divinité sous la nourriture de son humanité et le diable voulant saisir la nourriture de la chair fut pris par l’hameçon de la divinité. Saint Augustin parle ainsi de cette capture adroite : « Le rédempteur est venu et le trompeur a été vaincu : et qu'a fait le Rédempteur à celui qui nous tenait captifs? il tendit un piège qui fut sa croix et pour amorce il y mit son sang. Quant à lui, il ne. voulut pas répandre le sang de son débiteur : c'est pourquoi il s'éloigna des débiteurs. » C’est cette dette que l’apôtre appelle la cédule que J.-C. a abolie en l’attachant à la croix. Et saint Augustin dit à propos de cette cédule : « Eve a emprunté le péché au démon; elle a écrit la cédule; elle a donné un garant et l’usure court pour sa postérité : or, elle a emprunté le péché au démon, quand, malgré le précepte de Dieu, elle a consenti à sa mauvaise jussion ou à sa suggestion : elle a écrit la cédule quand elle. a étendu la main vers le fruit défendu; elle a donné un garant, quand elle a fait consentir Adam au péché et de cette manière l’usure court pour sa race. » Saint Bernard met dans la bouche de J.-C. ces reproches adressés à ceux qui méprisent cette rédemption par laquelle nous avons été affranchis de la puissance de notre ennemi : « Mon peuple, dit le Seigneur, qu'ai-je pu te faire que je n'aie fait? Quelle raison as-tu de plutôt servir ton ennemi que moi ? Il ne vous a pas créés, lui, il ne vous nourrit pas. Si c'est peu aux yeux des ingrats, ce n'est pas lui, c'est moi qui vous ai rachetés. A quel prix ? Ce n'a pas été avec de l’Or ou de l’argent qui se corrompt; ce n'a pas été avec le soleil, ni avec la lime ; ce n'a pas été quelqu'un des anges, mais c'est moi qui vous ai rachetés de mon propre sang. Au reste si je n'ai pas une foule de droits à ce que vous vous mettiez à mon service, oubliez tout, mais au moins convenez avec moi d'un denier par jour. » Maintenant, comme J.-C. a été livré à la mort par l’avarice de Judas, par la jalousie des juifs, parla peur de Pilate,il reste à voir quel châtiment Dieu infligea à chacun d'eux à raison de ce
péché. Vous trouverez dans la légende de saint Mathias le châtiment et l’origine de Judas, dans la légende de saint Jacques le mineur, le châtiment et la ruine des Juifs. Voici ce que rapporte une légende apocryphe touchant le châtiment et l’origine de Pilate.
Un roi nommé Tyrus connut charnellement une fille nommée Pila, dont le père appelé Atus était meunier; il en eut un fils. Or, Pila composa un nom du sien et de celui de son père qui s'appelait Atus, et le donna à son fils qui fut Pilate. Celui-ci, dès l’âge de trois ans, fut envoyé au roi par Pila. Ce roi avait un fils de la reine son épouse qui paraissait du même âge à peu près que Pilate. Devenus un peu plus grands, souvent ces deux enfants jouaient ensemble à la lutte, à la fronde et à d'autres ébats. Mais le fils légitime du roi, comme plus noble de race, était toujours plus adroit que Pilate, et plus habile en toute sorte d'exercice, d'où il résulta que Pilate, poussé par une basse jalousie, et entraîné par une douleur amère, tua son frère en cachette. Le roi en conçut un grand désespoir; il assembla son conseil pour savoir ce qu'il ferait de cet enfant, scélérat et homicide. Tous les membres du conseil s'écrièrent à l’unanimité qu'il était digne de mort : mais le roi, ayant repris du calme, ne voulut pas ajouter iniquité sur iniquité, il l’envoya donc en otage pour le tribut qu'il devait annuellement aux Romains; voulant par là n'avoir point à se reprocher la mort de ce fils, et de plus espérant être quitte du tribut payé aux Romains. Or, il y avait en ce temps-là, à Rome, un fils du roi de France envoyé aussi à Rome pour les tributs. Pilate s'attacha à lui, et le voyant meilleur que soi dans ses moeurs et son esprit, aiguillonné par là jalousie, il le tua. Les Romains cherchant ce qu'on en pourrait faire, se dirent : « Si on laisse vivre celui qui a tué son frère, qui a égorgé un otage, il sera utile en bien des choses à la république, et avec la férocité qui le caractérise, il domptera la férocité des ennemis. » Ils ajoutèrent « Puisqu'il est digne de mort, qu'on le mette dans l’île de Pontos avec la qualité de juge chez un peuple qui: ne veut en souffrir aucun, voyons si, par aventure, il parvient à dompter leur méchanceté habituelle; s'il ne réussit pas, il serai puni comme il l’a mérité. » Pilate fut donc envoyé chez cette nation féroce, bien informé du mépris qu'elle professait pour ses juges : en réfléchissant sur sa mission et en considérant qu'une sentence de mort était suspendue sur sa tête, il voulut conserver sa vie, et par menaces, par promesses, par supplices et par dons, il subjugua cette nation méchante. Or, pour avoir dompté un pays pareil, il reçut le nom de Ponce de l’île de Pontos. Hérode entendit parler de l’adresse de cet homme; émerveillé de ses ruses et rusé lui-même, il parvint, par ses présents et ses messages, à l’attirer auprès de soi et lui confia sa place et sa puissance sur la Judée et sur Jérusalem. Comme Pilate avait amassé des sommes immenses, il partit pour Rome, à l’insu d'Hérode, offrit à Tibère de l’argent à l’infini. Au moyen de ces largesses, il parvint à faire accepter par l’empereur ce qu'il tenait d'Hérode. Ce fut la cause de l’inimitié entre Pilate et Hérode, inimitié qui dura jusqu'à la Passion de J.-C., époque à laquelle ils se réconcilièrent parce que Pilate lui envoya le Seigneur. L'Histoire scholastique assigne d'autres causes à leur inimitié. Un homme, qui se faisait passer pour le Fils de Dieu, avait
séduit beaucoup de Galiléens : les ayant menés en Garizim, où il avait dit qu'il monterait au ciel, Pilate survint et le fit tuer avec tous ceux qu'il avait séduits, dans la crainte qu'il n'en fît autant des Juifs. C'est pour cela qu'ils devinrent ennemis parce que Hérode avait le gouvernement de la Galilée. L'une et l’autre causes peuvent être vraies. Alors quand Pilate eut eu livré aux Juifs le Seigneur afin de le crucifier, il craignit le ressentiment de Tibère-César pour avoir fait verser le sang innocent, et envoya à César un de ses familiers lui offrir ses excuses. Or, sur ces entrefaites Tibère souffrait d'une grande maladie on lui apprit qu'il se trouvait à Jérusalem un médecin qui guérissait toutes sortes de maux, par une seule parole ; mais on ignorait que Pilate et les Juifs l’eussent crucifié. Tibére s'adressant à Volusien, un de ses intimes : « Va vite, lui dit-il, outre mer, et dis à Pilate de m’envoyer ce médecin qui me rendra la santé. » Quand Volusien fut arrivé auprès de Pilate, et lui eut communiqué les ordres de l’empereur, Pilate effrayé, demanda un délai de quatorze jours. Dans ce laps de temps, Volusien s'informa auprès d'une dame, nommée Véronique, qui avait été amie avec J.-C., où l’on pourrait trouver le Christ Jésus : Véronique lui dit : « Ah ! c'était mon Seigneur et,mon Dieu : trahi par jalousie, il fut condamné à mort par Pilate, qui l’a fait attacher à la croix. » Alors Volusien fut très chagriné : « Je suis bien en peine, lui dit-il, de ne pouvoir exécuter les ordres de mon maître. » Véronique répondit : « Alors que mon Seigneur parcourait le pays en prêchant, comme j'étais privée, bien malgré moi, de sa présence, je voulus faire exécuter son portrait, afin que lorsqu'il ne me serait plus donné de le voir, je pusse au moins me consoler en regardant son image alors je portai de la toile au peintre, quand le Seigneur vint au-devant de moi et me demanda où j'allais. Lorsque je lui eus exposé le sujet de ma course, il me demanda la toile, et me la rendit avec l’empreinte de sa face vénérable. Si donc votre maître regarde avec dévotion les traits de cette image, à l’instant il aura l’avantage de recouvrer la santé. » Volusien lui répartit : « Peut-on se procurer ce portrait à prix d'or ou à prix d'argent ? » « Non, répondit-elle, mais seulement au prix d'une ardente dévotion. Je partirai avec vous : je montrerai ce portrait à César pour qu'il le voie et je reviendrai. » Volusien revint alors à Rome avec Véronique et dit à l’empereur Tibère : « Jésus, que vous aviez grand désir de voir, a été livré à la mort par Pilate et par les Juifs qui l’ont attaché à une croix par jalousie. Or, est venue avec moi une dame qui porte l’image de ce même Jésus ; si vous regardez ce portrait avec dévotion, vous obtiendrez,à l’instant votre guérison et la santé. » Alors César fit étendre des tapis de soie sur le chemin et commanda qu'on lui présentât le portrait : il ne veut pas plutôt regardé qu'il recouvra sa santé première. Ponce Pilate fut donc pris par l’ordre de César et conduit à Rome. L'empereur apprenant que Pilate était arrivé, le fit venir par devant lui et il était furieusement irrité à son encontre. Mais Pilate apporta avec lui la tunique sans couture de Notre-Seigneur, qu'il revêtit au moment de paraître devant l’empereur. Tout aussitôt que l’empereur l’eut vu, il fut entièrement dépouillé de sa colère et se leva à l’instant, sans oser lui adresser le moindre reproche ; et lui, qui en l’absence de Pilate, était si cruel et si terrible, devint extraordinairement doux quand celui-ci fut en sa présence. Après l’avoir
congédié, il fut aussitôt enflammé d'une terrible manière contre Pilate, s'accusant d'être un misérable de ne pas lui avoir découvert toute la fureur de son coeur, et tout de suite il le fit rappeler, jurant et protestant que Pilate était digne de mort, et qu'il ne méritait pas de vivre sur terre. Mais dès qu'il le vit, à l’instant il le salua et toute la fureur de son âme avait disparu. On est dans l’admiration partout; l’empereur lui-même s'étonne de ce que quand Pilate est absent, il est outré de colère, et que, quand il est devant lui, il ne peut lui dire rien de désagréable. Enfin par inspiration divine, ou bien peut-être, par le conseil de quelque chrétien, il le fait dépouiller de cette tunique et à l’instant il reprend contre lui sa première férocité d'âme : ce qui émerveilla de plus en plus l’empereur, mais on lui dit que cette tunique avait appartenu au Seigneur Jésus. Alors l’empereur fit renfermer Pilate dans une prison, jusqu'à ce qu'il eût délibéré sur son sort d'après le conseil des sages. On porta contre Pilate une sentence qui le condamnait à la mort la plus honteuse. A cette nouvelle, Pilate se perça avec son couteau et ce fut ainsi qu'il mourut. César informé de la mort de. Pilate : « Vraiment, dit-il, il est mort de la façon la plus honteuse, puisqu'il a choisi lui-même sa main pour se punir. » On attache donc son corps à une meule énorme et il est noyé dans le Tibre : mais les esprits malins et sordides se réjouirent d'avoir en leur puissance le corps malin et sordide de ce sordide, et le saisissant tantôt dans l’eau, tantôt dans l’air ils produisaient des inondations étranges, causaient foudres, tempêtes, tonnerres, grêles terribles dans les airs, au point que tout le monde était sous l’influence d'une crainte horrible. C'est pourquoi les Romains le retirèrent du Tibre et par dérision ils le portèrent à Vienne où ils le jetèrent au fond du Rhône. Or,Vienne a pour étymologie voie de la géhenne, parce que c'était autrefois un lieu de malédiction : elle serait mieux nommée Bienne par ce qu'on dit qu'elle fut bâtie dans l’espace de deux ans (bisannus). Mais là encore il y eut des esprits qui opérèrent les mêmes prodiges : les habitants ne pouvant supporter d'être si grandement vexés par les démons, portèrent loin d'eux ce vase de malédiction et J'envoyèrent ensevelir au territoire de la ville de Lausanne. Les citoyens de ce pays, tourmentés à l’excès par les vexations qui s'étaient produites ailleurs, l’ôtèrent du territoire et le plongèrent dans un puits tâché au fond des montagnes, où, d'après certaines relations, des machinations diaboliques paraissent fomenter. Ce qui est rapporté jusqu'ici est tiré d'une histoire apocryphe. On laisse au lecteur à juger de la valeur de ce récit. Notez pourtant que l’Histoire scholastique rapporte que Pilate fut accusé, par-devant Tibère, par les juifs, du massacre affreux des Innocents ; de placer, malgré les réclamations des juifs, les images des gentils dans le Temple; d'employer à son usage l’argent du trésor de Corban avec lequel il avait fait construire un aqueduc pour sa maison, et que, pour tons ces méfaits, il fut déporté en exil à Lyon, d'où il était originaire, afin qu'il y mourût au milieu des opprobres de sa race. Cela peut être, si cependant l’Histoire scholastique dit vrai, car d'abord il y avait déjà eu un édit par lequel il devait être déporté à Lyon en exil, et ce fut avant le retour de Volusien qu'il fut envoyé à César et qu'il fut déporté à Lyon. Mais dans la suite Tibère apprenant de quelle manière il avait fait mourir le Christ, le rappela de l’exil et l’amena à Rome. Eusèbe et Bède en
leurs chroniques ne disent pas qu'il fut relégué en exil, mais seulement qu'après avoir éprouvé malheurs sur malheurs, il se tua de sa propre main.
Des Fêtes qui arrivent pendant le temps de la Réconciliation.
Après avoir, parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de la déviation, lequel commence à Adam et finit à Moise et que l’Église représente depuis la Septuagésime jusqu'à Pâques, il reste à s'occuper des fêtes qui tombent dans le temps de la Réconciliation, depuis Pâques jusqu'à l’octave de la Pentecôte
LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR
La Résurrection de J.-C. eut lieu trois jours après sa Passion. Par rapport à cette Résurrection du Seigneur, il y a sept considérations à faire chacune en son; ordre: 1° Comment il est vrai que J.-C. resta trois jours et trois nuits dans le sépulcre et ressuscita au troisième-jour; 2° Pourquoi il n'est pas ressuscité aussitôt après sa' mort, mais il a attendu jusqu'au troisième jour; 3° comment il ressuscita; 4° pourquoi il avança sa résurrection et ne la remit pas, à l’époque de la résurrection générale ; 5° pourquoi il ressuscita ; 6° combien de fois il apparut étant ressuscité ; 7° la manière avec laquelle il tira les saints pères qui étaient dans les limbes, et ce qu'il y fit. Quant à la première considération, il faut savoir que selon saint Augustin c'est par sinecdoche si l’on dit que J.-C. est resté trois jours et trois nuits dans le sépulcre, car il faut compter le soir du premier jour, le second jour tout entier, et la première partie du troisième : alors on a bien trois jours et chacun d'eux a eu sa nuit qui l’a précédé : car alors, selon Bède, fut changé l’ordre ainsi que le cours des jours et des nuits : auparavant en effet c'étaient les jours qui précédaient et les nuits qui suivaient, mais après la Passion cet ordre a été interverti, eu sorte que les nuits précèdent et les jours suivent : or, ceci est bien en rapport avec ce mystère, parce que l’homme tomba premièrement du jour de la grâce dans la nuit de la faute, mais parla Passion et la résurrection de J.-C., il sortit de la nuit de la faute pour rentrer dans le jour de la grâce. Par rapport à la seconde considération qui est celle par laquelle on trouve convenable que J.-C. ne soit pas ressuscité de suite après sa mort, mais qu'il attendît jusqu'au troisième jour, il y en a cinq raisons. 1° C'est une figure qui signifie que la lumière de sa mort a pris soin de notre double mort : aussi fut-il dans le tombeau un jour entier et deux nuits, afin que le jour figurât la lumière de sa mort et les deux nuits notre double mort : c'est la raison qu'en apporte la glose sur le passage de saint Luc (XXIV) : « Il a fallu que J.-C. souffrît et entrât ainsi dans sa gloire. » 2° C'est une preuve;
car puisque tout se juge sur le témoignage de deux ou trois témoins, de même, dans ces trois jours, chacun peut acquérir la preuve de tout ce qui s'est passé : c'est donc pour donner une preuve convaincante de sa mort et pour en offrir lui-même la preuve, qu'il a voulu reposer trois jours dans le tombeau. 3° C'est une marque de sa puissance : car s'il était ressuscité aussitôt, il n'aurait pas paru avoir la puissance de quitter la vie comme non plus celle de ressusciter. Et cette raison est indiquée dans la première aux Corinthiens (XV), où il est dit : « Que J.-C. est mort, pour nos péchés, et qu'il est ressuscité. » Il est d'abord question, dit saint Paul, de la mort de J.-C. afin que l’on fût certain qu'il s'agit là d'une mort véritable comme d'une résurrection véritable. 4° C'est la figure de tout ce qu'il y avait à restaurer. Cette raison est de saint Pierre de Ravenne : « J.-C., dit-il a voulu trois jours de sépulcre pour signifier ce qu'il avait à restaurer dans le ciel, ce qu'il avait à réparer sur la terre, et ce qu'il avait à racheter dans les enfers. » 5° C'est afin de représenter les trois états des justes. Saint Grégoire donne cette raison dans son explication d'Ezéchiel : « Ce fut, dit-il, la sixième férie que J.-C. souffrit; ce fut le samedi qu'il reposa dans le sépulcre, et ce fut le dimanche qu'il ressuscita de la mort. Or, la vie présente, c'est polir nous encore la sixième férie, puisque nous sommes au milieu des angoisses et des douleurs ; mais, au samedi, nous paraissons reposer dans le sépulcre, parce que, après la mort, nous trouvons le repos de l’âme : au jour du dimanche nous changeons de condition; nous ressuscitons, au jour de cette octave, avec le corps, des liens de la mort, et avec notre chair, nous nous réjouissons dans la gloire de l’âme. Dans le sixième jour nous avons la douleur, dans le septième le repos et dans l’octave la gloire (Saint Grégoire). » La troisième considération est celle-ci : comment J.-C. ressuscita. Il faut observer : 1° qu'il ressuscita avec puissance; car ce fut par sa propre vertu, selon ce qui est dit dans saint Jean (X) : « J'ai la puissance de quitter la vie et de la reprendre ensuite. » (II) : « Détruisez ce temple et en trois jours je le réédifierai. » 2° Il ressuscita bienheureusement, car il se dépouilla de toute misère. (Saint Math., XXVI). « Quand je serai ressuscité, je vous précéderai en Galilée. » Galilée veut dire transmigration. Or, quand J.-C. ressuscita, il alla en avant en Galilée, parce qu'il passa de la misère à la gloire, et de la corruption à l’incorruption. « Après la Passion de J.-C., dit saint Léon, pape, les liens de la mort ayant été rompus, l’infirmité fit place à la force, la mortalité à l’éternité, la honte à la gloire. » 3° Il ressuscita avec profit, car il tint sa proie : et Jérémie dit au IVe chapitre : « Le lion s'est élancé hors de sa tanière, le vainqueur des nations s'est élevé. » Saint Jean dit aussi (XXVI) : « Lorsque je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi, » c'est-à-dire : quand j'aurai fait sortir mon âme du limbe et mon corps du tombeau, j'attirerai tout à moi. 4° Il ressuscita miraculeusement, car le sépulcre resta clos. Comme il est sorti du sein de sa mère sans lésion de son intégrité, et de même qu'il est entré où étaient ses disciples les portes closes, de même aussi. a-t-il pu sortir du sépulcre qui resta clos. A ce propos on lit en l’Histoire scholastique* qu'un moine de Saint-Laurent hors des murs, l’an MCXI de l’Incarnation du Seigneur, s'émerveillait de voir la ceinture qu'il
portait, la jeta loin de lui sans qu'elle eût été déliée, quand une voix venant d'en haut lui dit : « Ainsi J.-C. a pu sortir du sépulcre qui resta clos. »
* Chap. CLXXXIV; — Rupert, De divinis offfic., 1. VIII; c. IV.
5° Il ressuscita véritablement, parce que ce fut en son vrai et propre corps. Il donna six preuves de la vérité de sa résurrection : 1° par un ange, qui ne ment point ; 2° par de fréquentes apparitions. Et en ces deux circonstances il montra qu'il était ressuscité véritablement. 3° Par le manger, il prouva ainsi qu'il n'était pas ressuscité par art magique. 4° Par le toucher, en quoi il prouva que c'était en un vrai corps. 5° Par la démonstration de ses plaies, il montra alors que ce fut en ce même corps avec lequel il était mort. 6° Par son entrée dans la maison dont les portes étaient closes; c'était la preuve qu'il était ressuscité tout glorifié. Or, tous ces doutes, sur la résurrection de J.-C. paraissent avoir existé dans les apôtres. 7° Il ressuscita immortel pour ne mourir plus désormais. Il est écrit dans l’Épître,aux Romains (VI) et J.-C. est ressuscité d'entre les morts pour ne plus mourir. » Cependant saint Denis rapporte dans une lettre à Démophile (8e) que J.-C. même après son ascension, dit à un saint homme, nommé Carpus : « Je suis prêt à souffrir de nouveau pour sauver les hommes. » Par oit l’on voit que, s'il était possible, il aurait encore été disposé à mourir pour les hommes. Ce même Carpus, personnage d'une admirable sainteté, raconta à saint Denis, comme la même lettre en fait foi,-qu'un infidèle ayant perverti un chrétien, Carpus en fut chagriné au point d'en tomber malade. (Sa sainteté était si grande qu'il ne célébrait jamais la sainte messe,à moins d'avoir eu une vision du ciel.) Mais ayant eu à prier pour la conversion de l’un et de l’autre, il demandait cependant tous les jours à Dieu qu'il leur ôtât la vie en les faisant brûler sans miséricorde. Et voici que vers le milieu de la nuit, comme il était éveillé et qu'il faisait cette prière, tout à coup la maison où il était se divisa en deux et une fournaise immense apparut au milieu : en portant ses regards en haut, il vit le ciel ouvert et Jésus qui y était environné d'une multitude d'anges. Ensuite vis-à-vis de la fournaise, il voit les deux pécheurs qu'il avait maudits, tout tremblants, et entraînés avec violence par les morsures et les replis. de serpents qui sortaient de cette fournaise où ils étaient poussés encore par d'autres hommes. Carpus se complaisait tellement à la vue de leur châtiment qu'il dédaignait de porter les yeux sur ce qui apparaissait en haut et qu'il restait tout attentif à contempler cette vengeance, de sorte qu'il était très contrarié de ne pas les voir plus tôt tomber dans la fournaise. Enfin après avoir pris la peine de regarder au ciel et avoir vu ce qu'il avait remarqué auparavant, voici que Jésus, qui avait pitié de ces hommes, se leva de son trône céleste, et descendant jusqu'à eux avec une multitude d'anges, il étendit les mains et les ôta de là en disant à Carpus : « Levez la main; frappez sur moi de nouveau, car je suis prêt à souffrir encore une fois pour sauver les hommes: c'est ce que j'ai de plus à coeur, si l’on pouvait me crucifier sans crime. » Nous avons
relaté ici cette vision rapportée par saint Denis, pour preuve de ce que nous avons dit en dernier lieu.
La quatrième considération est celle-ci : pourquoi J.-C. n'a-t-il pas attendu à ressusciter avec les autres, c'est-à-dire au jour de la résurrection générale? Il faut savoir qu'il ne voulut point la différer pour trois raisons : 1° Par dignité pour son corps. Car comme ce corps était d'une éminente dignité depuis qu'il avait été déifié, ou bien uni à la divinité, il ne fut pas convenable qu'il restât si longtemps dans la poussière. Aussi le psaume dit : « Vous ne laisserez pas votre saint, c'est-à-dire, votre corps sanctifié, déifié, éprouver la corruption. » Le Psalmiste dit encore (CXXXI) : « Levez-vous, Seigneur; venez dans le lieu de votre repos, vous et l’arche de votre sainteté. » Ce qui est appelé ici l’arche de sainteté, c'est ce corps auquel fut unie la divinité. 2° Pour l’affermissement de la foi : car s'il n'était pas ressuscité alors, la foi eût péri, et personne n'aurait cru qu'il est véritablement Dieu. Or, ceci devient évident par ce qui arriva lors de la Passion, où tous, excepté la Sainte Vierge, perdirent la foi qu'ils ne recouvrèrent qu'après avoir connu la résurrection. C'est ce que dit saint Paul dans sa première Épître aux Corinthiens (XV) : « Si J.-C. n'est pas ressuscité, notre foi est vaine. » 3° Pour être le modèle de notre résurrection. Il eût été rare en effet de trouver quelqu'un° qui eût espéré la résurrection future, s'il n'eût eu pour modèle la résurrection de N.-S. C'est pour cela que l’apôtre dit : « Si J.-C. est ressuscité, nous aussi, nous ressusciterons, » car sa résurrection est la cause et le modèle de la nôtre. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, a montré par son exemple ce qu'il nous a promis en récompense, afin que, les fidèles sachant tous qu'il est ressuscité, espérassent posséder eu eux-mêmes, à la fin du monde; les récompenses de la résurrection. Le même saint dit encore : « J.-C. ne voulut pas être mort plus de trois jours ; car si sa résurrection eût été différée, nous n'aurions pu l’espérer pour nous. « La cinquième considération est : pourquoi J.-C. ressuscita. Il faut savoir que ce fut pour quatre grands profits que nous en retirons. En effet sa résurrection opère la justification des pécheurs, elle nous enseigne une manière de vie nouvelle, elle engendre l’espérance de recevoir la rémunération, et elle signifie la résurrection de tous. Quant au premier profit saint Paul dit en l’Épître aux Romains (IV) : « Il a été livré pour nos péchés et il est ressuscité pour notre justification. » Quant au second. Il est dit en la même épître (VI) : « Comme J.-C. est ressuscité d'entre les morts pour la gloire de son père, de même aussi nous devons marcher dans une nouvelle vie. » Quant au troisième. La première épître de saint Pierre (II) porte : « Dieu nous a ressuscités par sa grande miséricorde pour nous donner l’espérance de la vie par la résurrection de J.-C. » Quant au quatrième. La première aux Corinthiens (XV) dit : « J.-C. notre Seigneur est ressuscité d'entre les morts comme les prémices de ceux qui dorment : car c'est par un homme que la mort est venue et c'est par un homme qu'est venue la résurrection. » D'où il faut conclure que J.-C. a eu quatre propriétés qui lui furent particulières dans sa résurrection. La première que notre résurrection est remise à la fin du monde, mais que la sienne arriva au troisième jour. La 2e que nous ressuscitons par lui, mais qu'il est ressuscité, par lui-même. Ce qui fait dire à
saint Ambroise : « Pourquoi aurait-il cherché quelqu'un qui l’ait aidé à ressusciter son corps, lui qui a ressuscité les autres? » La 3e que notre corps devient cendre, mais que le sien ne le put devenir. La 4e que la résurrection est la cause efficiente, exemplaire et sacramentelle de la nôtre. Par rapport à la première propriété, la glose du Psaume dit sur ces mots : « Ad vesperum dernorabitur fletus et ad matutinum laetitia (XXIX). Le soir on est dans les larmes et le matin dans la joie. » La résurrection de J.-C.,est la cause efficiente de la résurrection de l’âme dans le temps présent et du corps dans le temps futur. Par rapport à la deuxième, on lit en l’Épître première aux Corinthiens : « Si J.-C. est ressuscité... » Quant à la troisième : et comme J.-C. est ressuscité d'entre les morts par la gloire du père, etc. » (Rom., VI).
La cinquième considération est celle-ci : combien de fois J.-C. est-il apparu après sa résurrection; Le jour même de la résurrection J.-C. est apparu cinq fois, et les autres jours suivants, cinq fois encore. 1° Il a apparu à Marie-Magdeleine (saint Jean, XX; saint Marc, XVI) qui est le type des pénitents, car il voulut apparaître en premier lieu à Marie-Magdeleine pour cinq motifs. a. Parce qu'elle l’aimait plus ardemment, comme le dit saint Luc (VII) : « Beaucoup de péchés lui sont remis parce qu'elle a beaucoup aimé. » b. Pour montrer qu'il était mort; pour les pécheurs. « Je ne suis pas venu, dit J.-C. en saint Mathieu (IX), appeler les justes, mais, les pécheurs. » c. Parce que les courtisanes précèdent les sages dans le royaume des cieux (Math., XXI). « En vérité, je vous dis que les courtisanes vous précéderont dans le royaume des cieux. » d. Parce que comme la femme avait annoncé la mort, elle devait aussi annoncer la vie (Glose). e. Afin que là où avait abondé l’iniquité, abondât aussi la grâce. (Romains, V). 2° Il apparut aux femmes qui revenaient du sépulcre, quand il leur dit : « Salut » : qu'elles s'approchèrent et lui tinrent les pieds (saint Math., XXVIII). Elles sont le type des humbles auxquels le Seigneur se montre à raison de leur sexe, et de leur attachement, parce qu'elles tinrent ses pieds. 3° Il apparut à Simon, mais on ne sait où ni quand ; à moins peut-être que ce ne fût en revenant du sépulcre avec Jean : car il peut échoir que Pierre ne se soit pas trouvé au lieu où était Jean, quand Jésus lui apparut (saint Luc, XXIV) ; ou bien, ce fut quand il entra seul dans le monument, ou bien encore, dans la cave ou grotte où Pierre habitait, ainsi que le dit l’Histoire scholastique *.
* Sur l’Évangile, c. CLIX.
En effet. on y lit que quand Pierre eut renié J.-C., il s'enfuit dans une cave, qu'on appelle encore Galli cantes, le chant du coq, où. il passa trois jours à pleurer son péché, et que ce fut là que le Sauveur lui apparut et le conforta. Pierre signifie obéissant, c'est, donc le type des obéissants auxquels se montre le Seigneur. 4° Il apparut aux disciples à Emmaüs. Emmaüs veut. dire désir de conseil, et signifie les pauvres de J.-C. qui veulent accomplir ce conseil : « Allez, vendez ce que vous avez et le donnez aux pauvres, etc. » 5° Il apparut aux disciples rassemblés. Ce qui signifie les religieux qui tiennent closes les
portes de leurs cinq sens (saint Jean, XX). Ces apparitions eurent lieu le jour même de la résurrection : et à la messe le prêtre les représente en se tournant cinq fois vers le peuple. Mais la troisième fois qu'il se retourne, il le fait en silence pour figurer la troisième apparition à saint Pierre dont on ne sait ni le lieu ni le moment. 6° Il apparut huit jours après à tous ses disciples réunis, et Thomas étant présent, lui qui avait dit qu'il ne croyait pas s'il . ne voyait : c'est la figure de ceux qui hésitent dans la foi (saint Jean, XX). 7° A ses disciples occupés à la pêche (saint Jean, XXI): c'est la figure des prédicateurs qui sont des pêcheurs d'hommes. 8° A ses disciples sur le mont Thabor (saint Math., XXVIII) : c'est la figure (les contemplatifs parce qu'il fut transfiguré sur cette même montagne. 9° Aux onze disciples qui étaient à table dans le cénacle, et ce fut là qu'il leur reprocha la dureté de leurs coeurs et leur incrédulité (saint Math., XXVIII) Nous entendons par eux les pécheurs qui sont placés dans le nombre. onzième de la transgression et que le Seigneur visite quelquefois dans sa miséricorde. 10° Enfin, il apparut aux disciples qui se trouvaient sur la montagne des Oliviers (saint Luc, XXIV) : c'est la figure des miséricordieux et de ceux qui aiment l’huile de la miséricorde. C'est de ce lieu qu'il monta au ciel, parce que, dit saint Paul en l’épître première à Timothée (IV) : « La piété ,est utile à tout; et c'est à elle que les biens de la vie présente et ceux de la vie future ont été promis. »
Trois autres apparitions eurent encore lieu en ce même jour de la résurrection ; mais le texte des livres saints ne les raconte pas. La première par laquelle il apparut à saint Jacques le Juste, c'est-à-dire à Jacques fils d'Alphée; vous la trouverez dans la légende de ce saint. La seconde, quand, en ce même jour, J.-C. apparut à Joseph; elle est racontée ainsi dans 1'Evangile de Nicodème. Les Juifs ayant appris que Joseph avait demandé à Pilate le corps de Jésus, l’avait placé dans son propre tombeau, furent remplis d'indignation contre lui, se saisirent de sa personne et l’enfermèrent avec grand soin dans un lieu bien clos et scellé, avec l’intention de le tuer après le jour du sabbat; mais voici que Jésus, la nuit même de la résurrection, enleva par les quatre angles la maison dans les airs, entra auprès de Nicodème, essuya son visage, l’embrassa, et le faisant sortir, sans: que les sceaux fussent rompus, l’amena à sa maison d'Arimathie. La troisième, par laquelle on croit que J.-C: apparut avant tous es autres à la- Vierge Marie, quoique les évangélistes gardent le silence sur ce point. L'Église romaine paraît approuver cette opinion puisque; au jour de Pâques, la station a lieu à Sainte-Marie-Majeure. Or, si on ne le croit pas en raison qu'aucun des évangélistes n'en fait mention, il est évident qu'il n'apparut jamais à la sainte Vierge après être ressuscité, parce qu'aucun évangéliste n'indique ni le lieu ni le temps de cette apparition. Mais écartons cette idée qu'une telle mère ait reçu un pareil affront d'un tel Fils. Peut-être cependant les évangélistes ont-ils passé cela sous silence parce que leur but était seulement de produire des témoins de la Résurrection; or, il n'était pas convenable qu'une mère fût appelée pour rendre témoignage à son Fils : car si les paroles des autres femmes, à leur retour du sépulcre, parurent des rêveries, combien plus aurait-on cri que sa mère était dans le délire par
amour pour son fils. Ils ne l’ont point écrit, il est vrai, mais ils l’ont laissé pour certain : car J.-C. a dû procurer à sa mère la première joie de sa résurrection; il est clair qu'elle a souffert plus que personne de la mort de son Fils; il ne devait donc pas oublier sa mère, lui qui se hâte de consoler d'autres personnes. C'est l’opinion de saint Ambroise dans son troisième livre des Vierges : « La mère, dit-il, a vu la résurrection; et ce fuit la première qui vit et qui crut, Marie-Magdeleine la vit malgré son doute. » Sedulius s'exprime comme il suit en parlant de l’apparition de J.-C. :
Semper virgo manet, hujus se visibus astans
Luce palan Dominus prius obtulit, ut bona mater,
Grandia divulgans miracula, quae fuit olim
Advenientis iter, haec sit redeuntis et index *.
* Le Seigneur apparaît à Marie toujours vierge tout aussitôt après sa Résurrection, afin qu'en pieuse et douce mère, elle rendit témoignage du miracle. Celle qui lui avait ouvert les portes de la vie dans sa naissance, devait aussi prouver qu'il mail. quitté les enfers. (Carmen Paschale, v, p. 361.)
Quant à la septième et dernière considération, savoir : comment J.-C. fit sortir les saints pères du limbe où ils se trouvaient, et ce qu'il y fit, l’évangile ne l’explique pas ouvertement. Saint Augustin cependant dans un de ses sermons et Nicodème, dans son évangile (ch. XVIII) en disent quelque chose. Voici, les paroles de saint Augustin : « Aussitôt que J.-C. rendit l’esprit, son âme unie à sa divinité descendit au fond des enfers, et quand il eut atteint les dernières limites des ténèbres, en spoliateur resplendissant et terrible, les légions impies de l’enfer le regardèrent avec épouvanté, et elles se mirent à demander : « D'où vient celui-ci qui est si fort, si terrible, si resplendissant et si noble? Le monde qui nous fut soumis ne nous a jamais envoyé pareil mort ; jamais il n'a destiné aux enfers de pareils présents. Quel est-il donc celui qui entre sur nos domaines avec cette intrépidité ? et il ne redoute pas nos supplices seuls, mais il a délié les autres de nos chaînes: Les voyez-vous ceux qui ne vivaient que dans nos tourments, les voyez-vous nous insulter après avoir été sauvés ? et ils ne se contentent, pas de ne craindre rien, ils ajoutent encore des menaces. Les morts d'ici n'ont jamais été si pleins d'orgueil, et des captifs n'ont jamais ressenti une semblable joie. Pourquoi l’avoir amené ici? O notre prince, ton allégresse a passé, tes joies se sont changées en deuil ! Pendant que tu suspends J.-C. sur le bois; tu ne sais pas tous les dommages que tu éprouves en enfer. » Et quand les voix. infernales de ces cruels se furent fait entendre, le Seigneur dit et toutes les portes de fer furent brisées : voici un peuple innombrable de saints du Seigneur qui se prosternent et qui font entendre ces cris mêlés de larmes : « Vous voici arrivé, Rédempteur du monde, vous voici arrivé; vous que nous attendions tous les jours avec
tant d'ardeur: vous êtes descendu pour nous aux enfers ; ne nous abandonnez point quand vous serez retourné aux cieux: Remontez, Seigneur Jésus, dépouillez l’enfer, enchaînez l’auteur de la mort dans ses propres liens; rendez bientôt la joie au monde; secourez-nous, ajoutent-ils, éteignez ces tourments affreux, et dans votre pitié délivrez des captifs ; pendant que vous êtes ici absolvez les coupables, et quand vous remonterez, défendez ceux qui sont les vôtres » (saint Aug.).Voici ce qu'on lit dans I'Evangile de Nicodème : « Carinus et Leucius, fils du vieillard Siméon, ressuscitèrent avec J.-C., ils apparurent à Anne, à Caïphe, à Nicodème, à Joseph et à Gamaliel qui les conjurèrent de leur raconter ce que J.-C. a fait aux enfers : Nous étions, dirent-ils, avec tous nos pères les Patriarches placés au fond des ténèbres, quand tout à coup surgit une lumière qui avait l’éclat doré du soleil, et une couleur de pourpre royale nous illumina. Aussitôt Adam, le père du genre humain, a tressailli en disant : « C'est la lumière éternelle qui a promis de nous envoyer une lumière qui lui est coéternelle. » Isaïe s'écria : « C'est la lumière du Père, le Fils de Dieu, comme je l’ai prédit en ces termes, alors que j'étais vivant sur la terre : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu la grande lumière: » Alors survint notre père Siméon qui dit en tressaillant de joie : «Glorifiez le Seigneur, car c'est moi qui ai reçu dans mes mains, au temple, le Christ nouvellement né, et qui ai dit sous l’influence de l’Esprit-Saint : « Maintenant mes yeux ont vu votre salut que vous avez envoyé, vous l’avez préparé à la face de tous les peuples » (Luc, I). Après Siméon, survint un habitant du désert et comme nous lui demandions qui il était il dit : « Je suis Jean; j'ai baptisé J-C., j'ai marché devant la face du Seigneur, pour lui préparer ses voies, et je l’ai montré du doigt, eu disant : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde; je suis descendu vous annoncer que le Christ va venir à l’instant nous visiter. » En ce moment Seth s'écria : «Quand je suis allé aux portes du paradis prier le Seigneur de m’envoyer son ange pour me donner de l’huile de l’arbre de la miséricorde afin de pouvoir oindre le: corps de mon père Adam, accablé parla maladie, l’ange Michel apparut et dit : « Ne te consumes pas en larmes pour demander l’huile du bois de la miséricorde; car tu ne pourras en obtenir qu'après cinq mille cinq cents ans accomplis *. »
* Au lieu de 500; quelques éditions mettent 200.
Tous les Patriarches et les prophètes qui entendirent ces exclamations tressaillirent d'une grande joie. Alors Satan, le prince et le chef de la mort, dit à l’enfer : « Prépare-toi à recevoir Jésus qui se glorifie d'être le Christ, Fils de Dieu. Toutefois c'est un homme qui eut peur de mourir car il a dit : « Mon âme est triste jusqu'à la mort; » grand nombre d'hommes que j'avais rendus sourds, il les a guéris et il a redressé les boiteux. » L'enfer répondit : « Si tu es puissant; quel est donc cet homme, ce Jésus qui, tout en craignant la mort, résiste à ta puissance ? Car s'il dit qu'il craint la mort, c'est pour te tromper et il n'y aura pour toi qu'un vah ! dans l’éternité des siècles. » Satan répondit. « Je l’ai tenté ; j'ai soulevé le peuple contre lui, j'ai déjà aiguisé la lance, mêlé le fiel et le vinaigre, préparé le
bois de la croix : sa mort est prochaine et je te l’amènerai. » L'enfer lui demanda : « Est-ce donc lui qui a ressuscité Lazare que je tenais.» Satan répondit : « C'est lui-même. » L'enfer s'écria : «Je te conjure, par les puissances et par les miennes, ne me l’amène pas; car aussitôt que j'ai eu entendu le commandement de sa parole, j'ai frémi, et n'ai pu retenir Lazare lui-même, qui, se secouant comme un aigle essayant son agilité, s'est échappé de nos mains. » Comme il parlait ainsi, une voix semblable à un tonnerre se fit, entendre, et dit : « Enlevez vos portes, Princes; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. » A cette voix tous les démons accoururent et fermèrent les portes d'airain avec des verrous de fer. Alors David s'écria : « N'ai-je pas été prophète quand j'ai dit : « Que les miséricordes du Seigneur soient le sujet de ses louanges, parce qu'il a brisé les portes d'airain et rompu les verrous de fer (CVI). » Et une voix extraordinaire se fit entendre qui dit : « Enlevez vos portes... etc. » L'enfer, voyant qu'on avait crié par deux fois, dit comme s'il était dans l’ignorance : « Quel est ce roi de gloire? » David lui répondit : « Le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans le combat, c'est lui qui est le roi de gloire. » Le roi de gloire survint; alors il éclaira les ténèbres éternelles ; et le Seigneur étendant la main prit Adam par sa droite et lui dit : « Paix à toi et à tous tes fils, mes justes. » Et le Seigneur s'élança des enfers et tous les saints le suivirent. Le Seigneur, tenant toujours Adam par la main, le confia à l’archange Michel qui les introduisit dans le paradis. Ils rencontrèrent deux hommes, anciens des jours, et les saints leur demandèrent : « Qui êtes-vous, vous qui êtes pas descendus avec cous dans les enfers, qui n'êtes pas morts encore ; et qui avez été placés avec votre corps dans le paradis? » Et l’un répondit : « Je suis Enoch qui ai été transporté ici ; celui-là est Elie qui a été enlevé jusqu'ici sur un char de feu; et nous n'avons point encore goûté la mort, mais nous sommes réservés pour jusqu'à l’avènement de l’antéchrist afin de combattre contre lui; il nous tuera et après trois jours et demi nous serons enlevés dans les nuées. » Tandis qu'il parlait, survint un autre homme portant sur ses épaules le signe de la croix. On lui demanda qui il était, et il dit : « Je fus larron et j'ai été crucifié avec Jésus; j'ai cru qu'il est le créateur, et l’ai prié en disant : « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous serez venu dans votre royaume. » Alors il m’a répondu : « En vérité, je te le dis; aujourd'hui tu seras avec moi en paradis . » Et il m’a donné ce signe de la croix en disant : « Porte cela en allant dans le paradis et si l’ange qui est préposé à sa garde ne te laisse pas entrer, montre-lui le signe de la croix, et tu lui diras: C'est le Christ crucifié eu ce moment-ci qui m’a envoyé. » Quand je l’eus fait et que j'eus ainsi parlé à l’ange, à l’instant il m’ouvrit, m’introduisit et me plaça à la droite dans le paradis. » Carin et Leucius après avoir fait ce récit, furent subitement. transfigurés; et on ne les vit plus. Saint Grégoire de Nisse ou bien saint Augustin, d'après certains livres; dit en traitant le même sujet : « Tout à coup la nuit éternelle des enfers devint resplendissante, quand J.-C. descendit; alors les portiers bardés de fer se murmurèrent les uns aux autres ces paroles, sous le voile du silence, tant la crainte les avait saisis : « Quel, est donc celui-ci qui est si terrible et si brillant d'une lumière étrange ? Notre tartare n'en accueillit jamais un, semblable; le monde n'a jamais vomi son pareil
dans notre caverne. C'est un usurpateur, ce n'est pas quelqu'un qui paie sa dette ; c'est un voleur; un destructeur; ce n'est pas un pécheur mais un pillard. Nous voyons un juge et non un suppliant. Il vient combattre et non succomber; il vient ravir et non rester. »
SAINT SECOND, MARTYR *
* Le Martyrologe romain annonce ainsi cette fête : A Asti, de saint Second, martyr. Bivar, dans ses commentaires sur Detter, cite des passages textuels de cette légende qu'il avait prise aux sources.
Second, peut venir de se couvrant, se composant en honnêteté de moeurs ; ou bien de secondant qui obéit aux ordres du Seigneur; ou bien il vient de secum dux, chef de lui-même, car il commanda à ses sens et il leur fit produire toutes sortes de bonnes oeuvres. Ou bien Second se rapporte à premier : en effet il y a deux chemins qui conduisent à la vie : Le premier, c'est celui de la pénitence et des larmes; le second, c'est celui du martyre. Or, ce précieux martyr parvint à la vie non pas seulement par le premier chemin , mais encore par le second.
Second fut un soldat intrépide, et un athlète de J.-C. fort distingué; il fut un glorieux martyr du Seigneur. Il reçut la couronne du martyre dans la ville d'Asti. Cette cité est illustre par sa présence et se fait gloire de l’avoir pour patron. Il fut instruit dans la foi de J.-C., par Calocérus, détenu dans la prison d'Asti par l’ordre de Sapritius, préfet de cette cité. Or, comme le bienheureux Martien était en prison dans la ville de Tardonne, Sapritius y voulut aller pour le forcer à sacrifier ; Second partit avec lui, sous prétexte de distraction, et avec le désir de voir le bienheureux Marcien. Sortis de la ville d'Asti; une colombe descendit sur Second et se plaça sur sa tête. Alors Sapritius lui dit : « Vois, Second, comme nos dieux t'aiment puisqu'ils t'envoient des oiseaux du ciel te visiter. » Etant parvenus près du fleuve Tanaro, Second vit un ange du Seigneur se promenant sur l’eau : « Second, lui dit-il, aie la foi, et tu marcheras ainsi sur les fauteurs des idoles. » Sapritius lui dit : « Mon frère Second, j'entends les dieux qui te parlent. » Second lui répondit: « Marchons selon les désirs de notre coeur. » Quand ils arrivèrent au fleuve Bormida, un ange lui apparut encore, et lui dit : « Second, crois-tu en Dieu, ou bien aurais-tu des doutes? » Second répondit: « Je crois la vérité de sa' passion et de sa résurrection. » Sapritius dit alors : « Qu'est-ce que j'entends de ta bouche? » Or, quand il entra dans Tardonne, Marcien; par l’ordre de l’ange, sortit de sa prison et apparut à Second : « Entre, Second, lui dit-il, dans la voie de la vérité ;- marche pour recevoir la palme de la foi. » Sapritius dit : « Quel est donc cet homme qui nous parle comme s'il
songeait? » Second lui répondit : « C'est songe pour vous, mais pour moi c'est un avis et un encouragement. » Après quoi Second alla à Milan; et un ange du Seigneur conduisit au-devant de lui, hors de la ville, Faustin et Jovitas, qui étaient gardés en prison. Il en reçut le baptême, une nuée leur ayant fourni de l’eau. Et voici que tout à coup une colombe descendit du ciel et apporta le corps et le sang de N. S. qu'elle donna à Faustin et à Jovitas ; mais Faustin donna le corps et le sang du Seigneur à Second afin qu'il le portât à Marcien. En revenant, Second arriva quand il faisait nuit sur la rive du Pô; alors l’ange du Seigneur prit son cheval par la bride et lui fit passer le fleuve. L'ayant accompagné jusqu'à Tardonne, il l’introduisit dans la prison de Marcien et Second donna à Marcien le trésor de Faustin. Marcien dit en le recevant : « Que le corps et le sang du Seigneur soit avec; moi pour la vie éternelle. » Puis par l’ordre de l’ange, Second sortit de la prison et alla en son hôtel. Après quoi Marcien fut condamné à avoir la tête tranchée et Second enleva son corps qu'il ensevelit. En apprenant cela, Sapritius le manda auprès de lui et lui dit : « Autant que je puis voir, tu fais profession d'être chrétien. » Second lui répondit : « C'est vrai, je m’avoue chrétien. » Sapritius lui dit : « Tu désires donc mourir de mâle mort? » Second répondit : « C'est à toi plutôt qu'elle est due. » Or, comme il ne voulait pas sacrifier, Sapritius le fit dépouiller; mais aussitôt l’ange du Seigneur vint pour lui préparer un vêtement. Alors Sapritius le fit si longtemps tourmenter sur un chevalet que ses bras étaient disloqués ; mais ayant été guéri par le Seigneur, il fut reconduit en prison. Pendant qu'il y était, fange du Seigneur vint lui dire : « Lève-toi, Second ; suis-moi, et je te conduirai à ton créateur. » Alors il le mena jusqu'à la ville d'Asti et le mit dans une prison où était renfermé Calocérus et le Sauveur avec lui. A sa vue, Second se jeta à ses pieds : « Ne crains pas, lui dit le Sauveur, car je suis le Seigneur ton Dieu qui te délivrerai de tous les maux. » Puis il les bénit et monta au ciel. Or, le matin, Sapritius envoya à la prison qu'on trouva fermée, sans que Second y fût. Alors Sapritius quitta Tardonne et vint à Asti, pour au moins punir Calocérus qu'il se fit amener. Mais voici qu'on lui apprit que Second était avec Calocérus. Il les fit donc comparaître devant lui et leur dit : « Puisque nos dieux savent que vous les méprisez, ils veulent que vous mouriez aussi tous les deux. » Or, comme ils ne voulaient pas sacrifier, il fit fondre de la poix avec de la résine qu'il commanda de verser sur leur tête et de jeter dans leur bouche. Mais ils buvaient cela comme l’eau la plus exquise et avec grande ardeur en s'écriant à haute voix: « Que vos paroles sont douces à la bouche, Seigneur ! » Alors Sapritius porta une sentence par laquelle Second devait être décapité à Asti et Calocérus envoyé à Albinganum pour y être puni. Or, quand saint Second fut décollé, les anges du Seigneur vinrent prendre son corps et lui donnèrent la sépulture en chantant des actions de grâces. Il souffrit le 3 des calendes d'avril.
SAINTE MARIE L'EGYPTIENNE*
*La vie de sainte Marie Egyptienne se trouve in extenso dans les Vies des Pères du désert. Elle fut écrite par Sophrone, évêque de Jérusalem. Jacques de Voragine l’a abrégée considérablement.
Marie Egyptienne appelée Pécheresse passa 47 ans au désert dans une austère pénitence. Elle y entra vers l’an du Seigneur 270, du temps de Claude. Or, un abbé, nommé Zozime, ayant passé le Jourdain et parcouru un grand désert pour trouver quelque saint père, vit un personnage qui se promenait et dont le corps nu était noir et brûlé par l’ardeur du soleil. C'était Marie Egyptienne. Aussitôt elle prit la fuite et Zozime se mit à courir ail plus vite après elle. Alors Marie dit à Zozime : « Abbé Zozime, pourquoi courez-vous après moi ? Excusez-moi, je ne puis tourner mon visage vers vous, parce que je suis une femme ; et comme je suis nue, donnez-moi votre manteau, pour que je puisse vous voir sans rougir. » En s'entendant appeler par son nom, il fut saisi : ayant donné son manteau, il se prosterna par terre et la pria de lui accorder sa bénédiction. « C'est bien plutôt à vous, mon père, lui dit-elle, de me bénir, vous qui êtes orné de la dignité sacerdotale. » Il n'eut pas plutôt entendu qu'elle savait son nom et son ministère, que son admiration s'accrut, et il insistait pour être béni. Mais Marie lui dit : « Béni soit le Dieu rédempteur de nos âmes. » Comme elle priait les mains étendues, Zozime vit qu'elle était élevée de terre d'une coudée. Alors le vieillard se prit à douter si ce n'était pas un esprit qui fît semblant de prier. Marie lui dit: « Que Dieu vous pardonne d'avoir pris une femme pécheresse pour un esprit immonde ! »Alors Zozime la conjura au nom du Seigneur de se faire un devoir de lui raconter sa vie. Elle reprit: « Pardonnez-moi, mon père, car si je vous raconte ma situation, vous vous enfuirez de moi tout effrayé à la vue d'un serpent. Vos oreilles seront souillées de mes paroles et l’air sali par des ordures. » Comme le vieillard insistait avec force, elle dit: « Mon frère,je suis née en Egypte; à l’âge de 12 ans, je vins à Alexandrie, où, pendant 17 ans, je me suis livrée publiquement au libertinage, et je ne me suis jamais refusée à qui que ce fût: Or, comme les gens de ce pays s'embarquaient pour Jérusalem afin d'y aller adorer la sainte Croix, .je' priai les matelots de me laisser partir avec eux. Comme ils me demandaient le prix du passage, je dis: « Je n'ai d'autre argent à vous donner que de vous livrer mon corps pour mon passage. » Ils me prirent donc et ils eurent mon corps en paiement. Arrivée à Jérusalem, j'allai avec les autres jusqu'aux portes de l’église pour adorer la croix; mais tout à coup, je me sens repoussée par une main invisible qui m’empêche d'entrer. J'avançai plusieurs fois jusqu'au seuil de la porte, et à l’instant j'éprouvais la honte d'être repoussée; et cependant tout le monde entrait sans difficulté, et sans rencontrer aucun obstacle. Rentrant alors eu moi-même, je pensai que ce que j'endurais avait pour cause l’énormité de mes crimes. Je commençai à me frapper la poitrine avec les mains, à répandre des larmes très amères, à
pousser de profonds soupirs du fond du coeur, et comme je levais la tête, j'aperçus une image de la bienheureuse Vierge Marié. Alors je la priai avec larmes de m’obtenir le pardon de mes péchés, et de me laisser, entrer pour adorer la sainte Croix, promettant de renoncer au monde et de mener à l’avenir une vie chaste. Après cette prière, éprouvant une certaine confiance au nom de la bienheureuse Vierge, j'allai encore une fois à la porte de l’église, où je suis entrée sans le moindre obstacle. Quand j'eus adoré la sainte Croix avec une grande dévotion, quelqu'un me donna trois pièces d'argent avec lesquelles j'achetai trois pains; et j'entendis une voix qui me disait: « Si tu passes le Jourdain, tu seras sauvée. » Je passai donc le Jourdain, et vins en ce désert où je suis restée quarante-sept ans sans avoir vu aucun homme.
* Le jeudi saint.
Or, les sept pains que j'emportai avec moi devinrent à la longueur du temps durs comme les pierres et suffirent à ma nourriture pendant quarante-sept ans ; mais depuis bien du temps mes vêtements sont pourris. Pendant dix-sept ans que je passai dans ce désert, je fus tourmentée par les tentations de la chair, mais à présent je les ai toutes vaincues par la grâce de Dieu. Maintenant que je vous ai raconté toutes mes actions, je vous prie d'offrir pour moi des prières à Dieu. » Alors le vieillard se prosterna par terre, et bénit le Seigneur dans sa servante. Elle lui dit : « Je vous conjure de revenir aux bords du Jourdain le jour de la cène du Senneur , et d'apporter avec, vous le corps de J.-C. : quant à moi j'y viendrai à votre rencontre et je recevrai de votre main ce sacré corps; car à partir du jour où je suis venue ici, je n'ai pas reçu la communion du Seigneur. » Le vieillard revint donc à son. monastère, et , l’année suivante, à l’approche du jour de la cène, il. prit le corps glu Seigneur, et vint jusqu'à la rive du Jourdain. Il vit à l’autre bord une femme debout qui fit le signe de la croix sur les eaux, et vint joindre le vieillard. cette vue celui-ci fut frappé de surprise et se prosterna humblement à ses pieds : « Gardez-vous, lui dit-elle, d'agir ainsi, puisque vous avez sur vous les sacrements du Seigneur, et que vous êtes décoré de la dignité sacerdotale; mais, mon père, je vous supplie de daigner revenir vers moi l’an prochain. » Alors après avoir fait le signe de la croix, elle repassa sur les eaux du Jourdain pour gagner la, solitude de son désert. Pour le vieillard il retourna à son monastère et l’année suivante, il vint à l’endroit où. Marie lui avait parlé la première fois, mais il la trouva morte. Il se' mit à verser des larmes, et n'osa la toucher, mais il se dit en lui-même : « J'ensevelirais volontiers le corps de cette sainte, je crains cependant que cela ne lui déplaise. » Pendant qu'il y réfléchissait, il vit ces mots gravés sur la terre, auprès de sa tête : «Zozime, enterrez le corps de Marie ; rendez à la terre sa poussière, et priez pour moi le Seigneur par l’ordre duquel j'ai quitté ce monde le deuxième jour d'avril. » Alors le vieillard acquit la certitude, qu'aussitôt après avoir reçu le sacrement du Seigneur et être rentrée au désert, elle termina sa vie. Ce désert que Zozime eut de la peine à parcourir dans l’espace de trente jours, Marie le parcourut en une heure, après quoi elle
alla à Dieu. Comme le vieillard faisait une fosse, mais qu'il n'en pouvait plus, il vit un lion venir à lui avec douceur, . et il lui dit : « La sainte femme a commandé d'ensevelir là son corps, mais. je ne puis creuser la terre, car je suis vieux et n'ai. pas d'instruments : creuse-la donc, toi, afin que nous puissions ensevelir son très saint corps. » Alors le lion commença à creuser la terre et à disposer une fosse convenable: Après l’avoir terminée, le lion s'en retourna doux comme un agneau et le vieillard revint à son désert en glorifiant Dieu.
SAINT AMBROISE *
* Tiré de la vie du saint, par Paulin, son secrétaire.
Ambroise vient de ambre, qui est une substance odoriférante et précieuse. Or, saint Ambroise fut précieux à l’Église et il répandit une bonne odeur par ses paroles et ses actions. Ou bien Ambroise vient de ambre et de sios, qui veut dire Dieu, comme l’ambre de Dieu; car Dieu par Ambroise répand partout une odeur semblable à celle de l’ambre. Il fut et il est la bonne odeur de J.-C. en tout lieu. Ambroise peut venir encore de ambor, qui signifie père des lumières et de sior, qui veut dire petit; parce qu'il fut le père de beaucoup de fils par la génération spirituelle, parce, qu'il fut lumineux dans l’exposition de la sainte Ecriture, et parce qu'il fut petit dans ses, habitudes humbles. Le glossaire dit : ambrosius signifie odeur ou saveur de J.-C. ; ambroisie céleste, nourriture des anges; ambroise, rayon céleste de miel. Car saint Ambroise fut une odeur céleste par une réputation odoriférante; une saveur, par la contemplation intérieure; il fut un rayon céleste de miel par son agréable interprétation des Ecritures; et une nourriture angélique, parce qu'il mérita de jouir de la gloire. Sa vie fut écrite à saint Augustin par saint Paulin, évêque de Nole.
Ambroise était fils d'Ambroise, préfet de Rome. Il avait été mis en son berceau dans la salle du prétoire; il y dormait, quand un essaim d'abeilles survint tout a coup et couvrit de telle sorte sa figure et sa bouche qu'il semblait entrer dans sa ruche et en sortir. Les abeilles prirent ensuite leur vol et s'élevèrent en l’air à une telle hauteur que oeil humain n'était capable de les distinguer. Son père fut frappé de ce fait et dit : «Si ce petit enfant vit, ce sera quelque chose de grand. n Parvenu à l’adolescence, en voyant sa mère, et sa sueur, qui avait consacré à Dieu sa virginité, embrasser la main des prêtres, il offrit en se jouant sa droite à sa soeur en l’assurant qu'elle devait en faire autant. Mais elle le lui refusa comme à un enfant et à quelqu'un qui ne sait ce qu'il dit. Après avoir appris les belles lettres à Rome, il plaida avec éclat des causes devant le tribunal, et fut envoyé par
l’empereur Valentinien pour prendre le gouvernement des provinces de la Ligurie et de l’Emilie. Il vint à Milan alors que le siège épiscopal était vacant ; le peuple s'assembla pour choisir un évêque : mais une grande sédition s'éleva entre les ariens et les catholiques sur le choix du candidat ; Ambroise y vint pour apaiser la sédition, quand tout à coup se fit entendre la voix d'un enfant qui s'écria : « Ambroise évêque. » Alors à l’unanimité; tous s'accordèrent à acclamer Ambroise évêque. Quand il eut vu cela, afin de détourner l’assemblée de ce choix qu'elle avait fait de lui, il sortit de l’église, monta sur son tribunal et, contre sa coutume, il condamna à des tourments ceux qui étaient accusés. En le voyant agir ainsi, le peuple criait néanmoins : « Que ton péché retombe sur nous. » Alors il fut bouleversé et rentra chez lui. Il voulut faire profession de philosophe : mais afin qu'il ne réussît pas on le fit révoquer. Il fit entrer chez lui publiquement des femmes de mauvaise vie, afin qu'en les voyant le peuple revînt sur son élection; mais considérant qu'il ne venait pas à ses fins, et que le peuple criait toujours : « Que ton péché retombe sur nous, » il conçut la pensée de prendre la fuite au milieu de la nuit. Et au moment où il se croyait sur le bord du Tésin, il se trouva, le matin, à une porte de Milan, appelée la porte de Rome. Quand on l’eut rencontré, il fut gardé à vue par le peuple. On adressa un rapport au très clément empereur Valentimen, qui apprit avec la plus grande joie qu'on choisissait pour remplir les fonctions du sacerdoce ceux qu'il avait envoyés pour être juges. Le préfet Probus était dans l’allégresse de voir accomplir en saint Ambroise là parole qu'il lui avait dite alors qu'il lui donnait ses pouvoirs lors de son départ : « Allez, agissez comme un évêque plutôt que comme un juge. » Le rapport était encore chez l’empereur, quand Ambroise se cacha de rechef, mais on le trouva. Comme il n'était que catéchumène, il fut baptisé et huit jours après il fut installé sur la chaire épiscopale. Quatre ans après, il alla à Rome, et comme sa sueur, qui était religieuse, lui baisait la main, il lui dit en souriant : « Voilà ce que je te disais ; tu baises la main du prêtre. »
Etant allé dans une ville pour ordonner un évêque, à l’élection duquel l’impératrice Justine et d'autres hérétiques s'opposaient, en voulant que quelqu'un de leur secte fût promu, une vierge du parti des Ariens, plus insolente que les autres, monta au tribunal et saisit saint Ambroise par son vêtement, dans l’intention de l’entraîner du côté où étaient les femmes, afin que, saisi par elles, il fût chassé de l’église honteusement. Ambroise lui dit: «Encore que je, sois indigne d'être revêtu de la dignité sacerdotale, il ne vous appartient cependant point de porter les mains sur tel prêtre que ce soit. Et, vous devez craindre le jugement de Dieu de peur :qu'il né vous en arrive malheur. » Ce mot se trouva vérifié, car, le jour suivant, cette fille mourut. Saint Ambroise accompagna son corps jusqu'au lieu de la sépulture, rendant ainsi un bienfait pour un affront. Cet événement jeta l’épouvante partout. Après cela, il revint à Milan oit l’impératrice Justine lui tendit une foule d'embûches, en excitant le peuple contre le saint par ses largesses et par les honneurs qu'elle accordait. On cherchait tous les moyens de l’envoyer en exil, au point qu'un homme plus malheureux que les autres s'était laissé emporter à un degré de fureur telle qu'il avait loué une maison auprès de l’église et y tenait un char tout prêt pour, sur
l’ordre de Justine, le traîner plus rapidement en exil. Mais, par un jugement de Dieu, le jour même qu'il pensait se saisir de lui, il fut emmené de la même maison lui-même en exil avec le même char. Ce qui n'empêcha pas saint Ambroise de lui fournir tout ce qui était nécessaire à sa subsistance, rendant ainsi le bien pour le mal. Il composa le chant et' l’office de l’église de Milan. En ce temps-là il y avait à Milan un grand nombre de personnes obsédées par le démon, criant à haute voix qu'elles, étaient tourmentées par saint Ambroise. Justine et bon nombre d'Ariens qui vivaient ensemble disaient qu'Ambroise se procurait des hommes à prix d'argent pour dire faussement qu'ils étaient maltraités par des esprits immondes, et qu'ils étaient tourmentés par Ambroise. Alors tout à coup, un arien qui se trouvait là fut saisi par le démon et se jeta au milieu de l’assemblée en criant: « Puissent-ils être tourmentés comme je le suis, ceux qui ne croient pas à Ambroise. » Mais les ariens confus tuèrent cet homme en le noyant dans une piscine. Un hérétique, homme très subtil dans la dispute, dur, et qu'on ne pouvait convertir à la foi, entendant prêcher saint Ambroise, vit un ange qui disait à l’oreille du saint les paroles qu'il adressait au peuple. A cette vue, il se mit à défendre la foi qu'il persécutait. Un aruspice conjurait les démons et les envoyait pour nuire à saint Ambroise; mais les démons revenaient en disant qu'ils ne pouvaient approcher de sa personne, ni même avancer auprès des portes de sa maison, parce qu'un feu infranchissable entourait l’édifice entier en sorte qu'ils étaient brûlés quoiqu'ils se plaçassent au loin. Il arriva que ce même devin étant condamné aux tourments par le juge pour divers maléfices, criait qu'il était tourmenté davantage encore par Ambroise. Le démon sortit d'un démoniaque qui entrait dans Milan, mais il rentra en lui quand il quitta la ville. On en demanda la cause au démon: il répondit qu'il craignait Ambroise. Un autre, entra une nuit dans la chambre du saint pour le tuer avec une épée : c'était Justine qui l’y avait poussé par ses prières et par son argent ; mais au moment qu'il levait l’épée pour le frapper, sa main se sécha. Les habitants de Thessalonique avaient insulté l’empereur Théodose, celui-ci leur pardonna à la prière de saint Ambroise; mais la malignité des courtisans s'emparant de l’affaire, beaucoup de personnes furent tuées par l’ordre du prince, à l’insu du saint. Aussitôt qu'Ambroise en eut eu connaissance, il refusa à Théodose l’entrée de l’église. Comme celui-ci lui disait que David avait commis un adultère et un homicide, le saint répondit : « Vous l’avez imité dans ses. fautes, imitez-le dans son repentir. » Ces paroles furent reçues de si bonne grâce par le très clément empereur qu'il ne refusa pas de se soumettre à une sincère pénitence. Un démoniaque se mit à crier qu'il était tourmenté par Ambroise. Le saint lui dit: «Tais-toi, diable, car ce n'est pas Ambroise qui te tourmente, c'est ton envie, tu vois des hommes monter d'où tu as été précipité honteusement mais Ambroise ne sait point prendre d'orgueil. » Et le possédé se tut à l’instant.
Une fois que saint Ambroise allait par la ville, quelqu'un tomba et resta étendu par terre ; un homme qui le vit se mit à rire. Ambroise lui dit: « Vous qui êtes debout, prenez garde' de tomber aussi. » A ces mets cet homme fit une chute et regretta bien de s'être moqué de l’autre. Une fois, saint Ambroise vint intercéder en faveur de quelqu'un,
Macédonius, maître dis offices; mais ayant trouvé fermées les portes de son palais et ne pouvant entrer, il dit: « Tu viendras à ton tour à l’église et tu ne pourras y entrer, quoique les portes n'en soient pas fermées, et qu'elles soient toutes grandes ouvertes. » Après un certain laps de temps, Macédonius, par crainte de ses ennemis, s'enfuit à l’église, mais il ne put en trouver l’entrée, quoique les portes fussent ouvertes. L'abstinence du saint évêque était si rigoureuse qu'il jeûnait tous les jours, excepté le samedi, le dimanche et les principales fêtes. Il faisait de si abondantes largesses qu'il donnait tout ce qu'il pouvait avoir aux églises et aux pauvres, et ne gardait rien pour lui. Il était rempli d'une telle compassion que si quelqu'un venait lui confesser ses péchés, il pleurait avec une amertume telle, que le pécheur était forcé lui-même de pleurer. Son humilité et son amour du travail allaient au point de lui faire écrire lui-même de sa propre main les livres qu'il composait, à moins qu'il n'eût été malade gravement. Sa piété et sa douceur étaient si grandes que quand on lui annonçait la mort d'un saint prêtre ou d'un évêque, il versait des larmes tellement amères qu'il était presque inconsolable. Or, comme on lui demandait pourquoi il pleurait ainsi les saints personnages qui allaient au ciel, il disait: «Ne croyez pas que je pleure de les voir partir, mais de les voir me prévenir: en outre, il est difficile de trouver quelqu'un digne de remplir de pareilles fonctions. » Sa constance et sa force d'âme étaient telles qu'il ne flattait ni l’empereur, ni les princes, dans leurs désordres, mais qu'il les reprenait hautement et sans relâche. Un homme avait commis un crime énorme et avait, été amené à saint Ambroise qui dit: « Il faut le livrer à Satan pour mortifier sa chair, de peur qu'il n'ait l’audace de, commettre encore de pareils crimes. » Au même moment, comme il avait encore ces mots à la bouche l’esprit immonde le déchira. On rapporte qu'une fois saint Ambroise allant à Rome reçut l’hospitalité dans une maison de campagne en Toscane, chez un homme excessivement riche, auprès duquel il s'informa avec intérêt de sa position. « Ma position, lui répondit cet homme, a toujours été accompagnée de bonheur et de gloire. Voyez en effet, je regorge de richesses, j'ai des esclaves et des domestiques en grand nombre, je possède une nombreuse famille de fils et de neveux, tout m’a toujours réussi à souhait; jamais d'adversité, jamais de tristesse. » En entendant cela Ambroise fut saisi de stupeur et dit à ceux qui l’accompagnaient: «Levons-nous, fuyons d'ici au plus vite; car e Seigneur n'est pas dans cette maison. Hâtez-vous, mes . enfants, hâtez-vous; n'apportez aucun retard dans votre fuite; de crainte que la vengeance divine ne nous saisisse ici et qu'elle ne nous enveloppe tous dans leurs péchés. » Ils sortirent et ils n'étaient pas encore éloignés que la terre s'entr'ouvrit subitement, et engloutit cet homme avec tout ce qui lui appartenait, jusqu'à n'en laisser autan vestige. A cette vue saint Ambroise dit: « Voyez, mes frères, comme Dieu traite avec miséricorde quand il donne ici-bas des adversités, et comme il est sévère et menaçant quand il accorde une suite ininterrompue de prospérités. » On raconte qu'en ce même lieu, il reste une fosse très profonde existant encore aujourd'hui comme témoignage de ce fait.
Saint Ambroise voyant l’avarice, qui est la racine de tous les maux, s'accroître de plus en plus dans les hommes et surtout dans ceux qui étaient constitués en dignité, chez lesquels tout était vénal, comme aussi dans ceux qui exerçaient les fonctions du saint ministère, il pleura beaucoup et pria avec les plus grandes instances d'être délivré des embarras du siècle:. Dans la joie,qu'il ressentit d'avoir obtenu ce qu'il demandait, il révéla à ses frères qu'il serait avec eux jusqu'au dimanche de la Résurrection. Peu de jours avant d'être forcé à garder le lit, comme il dictait à son secrétaire l’explication du Psaume XLIIIe, tout à coup à la vue de ce secrétaire, une manière de feu léger couvrit sa tête et peu à peu entra dans sa bouche comme un propriétaire entre dans sa maison. Alors sa figure devint blanche comme la neige ; mais bientôt après elle reprit son teint accoutumé. Ce jour-là même il cessa d'écrire et de dicter, en sorte qu'il ne put terminer le Psaume. Or, peu de jours après, sa faiblesse augmenta ; alors le comte d'Italie, qui se trouvait à Milan, convoqua tous les nobles en disant qu'après la mort d'un si grand homme, il y avait lieu de craindre que l’Italie ne vînt à déchoir, et il pria l’assemblée de se transporter auprès du saint pour le conjurer d'obtenir du Seigneur de vivre encore l’espace d'une année. Quand saint Ambroise les eut entendus, il leur répondit : « Je n'ai point vécu parmi vous de telle sorte que j'aie honte de vivre, ni ne crains point de mourir, car nous avons un bon maître. » Dans le même temps quatre de ses diacres, qui s'étaient réunis ensemble, se demandaient l’un à l’autre quel serait celui qui mériterait d'être évêque après sa mort: ils se trouvaient assez loin du lit ou le saint était couché, et ils avaient prononcé tout bas le nom de Simplicien; c'était à peine s'ils pouvaient s'entendre eux-mêmes. Ambroise tout éloigné qu'il fût cria par trois fois : « Il est vieux, mais il est bon. » En entendant cela les diacres effrayés prirent la fuite, et après la mort d'Ambroise ils n'en choisirent pas d'autre que Simplicien. Il vit, auprès du lieu où il était couché, J.-C. venir à lui et lui sourire d'un regard agréable. Honoré, évêque de Verceil, qui s'attendait à la mort de saint Ambroise, entendit, pendant son sommeil, une voix lui criant par trois fois : « Lève-toi, car il va trépasser. » Il se leva aussitôt, vint à Milan et administra à saint Ambroise le sacrement du corps de Notre-Seigneur; un instant après, le saint étendit, les bras en formé de croix et rendit lc dernier soupir: il proférait encore une prière. Il mourut l’an du Seigneur 399. Ce fut dans la nuit de Pâques que son corps fut porté à l’église et beaucoup d'enfants qui venaient d'être baptisés le virent les uns dans la chaire, les autres le montraient du doigt à leurs parents, montant dans la chaire; quelques autres enfin racontaient qu'ils voyaient une étoile sur son corps. Un prêtre, qui assistait à un repas avec beaucoup de convives, se mit à parler mal de saint Ambroise ; il fut à l’instant frappé d'une maladie mortelle, et il passa de la table à son lit pour y mourir bientôt après. En la ville de Carthage, trois évêques étaient à tablé et l’un d'eux ayant dit du mal de saint Ambroise, on lui rapporta ce qui était arrivé au prêtre qui l’avait calomnié ; cet évêque se moqua de cela; mais aussitôt il fut frappé à mort et expira à l’instant.
Saint Ambroise fut recommandable en bien des points. 1° Dans sa libéralité, car tout ce qu'il avait appartenait aux pauvres; aussi rapporte-t-il en parlant de soi-même que
l’empereur lui demandant une basilique il lui répondit ainsi (et cette réponse se trouve dans le Décret Convenior, XXIII question 8) : «S'il me demandait quelque chose qui fût à moi, comme mes biens-fonds, mon argent, et choses semblables qui sont ma propriété, je ne ferais pas de résistance, quoique tout ce qui est à. moi appartienne aux pauvres. » 2° Dans la pureté et l’innocence de sa vie, car il fut vierge. Et saint Jérôme rapporté qu'il disait : « Non seulement nous louons la virginité, mais aussi nous la conservons. » 3° Dans la fermeté de sa foi, qui lui titi dire, alors que l’empereur lui demandait une basilique (ces mots se trouvent au chapitre cité plus haut) : « Il m’arrachera plutôt l’âme que la foi. » 4° Par son désir du martyre. On lit à ce propos, dans sa lettre, De basilica non tradenda, que le ministre de l’empereur Valentinien lui fit dire : « Tu méprises Valentinien, je te coupe la tête. » Ambroise lui répondit : « Que Dieu vous laisse faire ce dont vous me menacez, et plaise encore à Dieu qu'il daigne détourner les fléaux dont l’Église est menacée afin que ses ennemis tournent tous leurs traits contre moi et qu'ils étanchent leur soif dans mon sang. » 5° Par ses prières assidues. On lit sur ce point au XIe livre de l’Histoire ecclésiastique : Ambroise, dans ses démêlés avec une reine furieuse, ne se défendait ni avec la main; ni avec des armes, mais avec des jeûnes, des, veilles continuelles, à l’abri sous l’autel, par ses obsécrations, il se donnait Dieu pour défenseur de sa cause à lui et de son Église. 6° Par ses larmes abondantes : il en eut pour trois causes. a) Il eut des larmes de compassion pour les fautes des autres, et saint Pantin rapporte de lui, dans sa légende, que quand quelqu'un venait lui confesser sa faute, il pleurait si amèrement qu'il faisait pleurer son pénitent ; b) il eut des larmes de dévotion dans la vue. des biens éternels. On a vu plus haut qu'il dit à saint Paulin quand celui-ci lui demandait pourquoi il pleurait de la sorte la mort des saints : « Je ne pleure pas, répondit-il, parce qu'ils sont décédés; mais parce qu'ils m’ont précédé à la gloire. » c) Il eut des larmes de compassion pour les injures qu'il recevait d'autrui. Voici comme il s'ex prime en parlant de lui-même, et ces paroles sont encore rapportées dans le décret mentionné plus haut « Mes armes contre les soldats goths, ce sont mes larmes. C'est le seul rempart derrière lequel peuvent s'abriter des prêtres, je ne puis ni ne dois résister autrement.
7° Il fut recommandable pour sa constance à toute épreuve. Cette vertu brille eu lui : 1° Dans la défense de la vérité catholique. On lit à ce sujet, dans le Livre XIe de l’Histoire ecclésiastique que Justine, mère de l’empereur Valentinien, disciple des Ariens, entreprit de jeter le trouble dans l’Église, menaçant les prêtres de les chasser en exil, s'ils ne voulaient consentir à révoquer les décrets du concile de Rimini ; par ce moyen elle se débarrassait d'Ambroise qui était le mur, et la tour de l’Église. Voici les paroles que l’on chante dans la Préface de la messe de ce saint: « Vous avez (le Seigneur) affermi Ambroise dans une si grande vertu, vous l’avez orné du haut du ciel d'une si admirable constance, que par lui les démons étaient tourmentés et chassés, que l’impiété arienne était confondue, et que la tête des princes séculiers s'abaissait humblement pour porter votre joug. » 2° Dans la défense de la liberté de l’Église. L'empereur voulant s'emparer d'une basilique, Ambroise résista à l’empereur, ainsi qu'il l’atteste lui-même, et ses
paroles sont rapportées dans le Décret XXIII, quest. 6 : « Je suis, dit-il, circonvenu parles comtes, afin de faire un abandon libre de la basilique; ils me disaient que c'était l’ordre de l’empereur, et que je devais la livrer, car il v avait droit. J'ai répondu : Si c'est mon patrimoine qu'il demande, emparez-vous-en; si c'est mon corps, j'irai le lui offrir. Me voulez-vous dans les chaînes? Qu'on m’y mette. Voulez-vous ma mort? Je le veux encore. Je ne me ferai pas un rempart de la multitude, je n'irai pas me réfugier à l’autel, ni le tenir de mes mains pour demander la vie, mais je me laisserai immoler de bon coeur pour les autels. On m’envoie l’ordre de livrer la basilique. D'un côté, ce sont des ordres royaux qui nous pressent, mais d'un autre côté, nous avons pour défense les paroles de l’Écriture qui nous disent : Vous avez parlé comme une insensée. Empereur, ne vous avantagez pas d'avoir, ainsi que vous le pensez, aucun droit sur les choses divines; à l’empereur les palais, aux prêtres les églises. Saint Naboth défendit sa vigne de son sang ; et s'il ne céda pas sa vigne, comment nous, céderons-nous l’église de J.-C. ? Le tribut appartient à César: qu'on ne le lui refuse pas; l’église appartient à Dieu, par la même raison qu'elle pie soit pas livrée à César. Si on me forçait; si on me demandait, soit terres, soit maison, soit or, ou argent, enfin quelque chose qui m’appartînt, volontiers je l’offrirais, je ne puis rien détacher, rien ôter du temple de Dieu; puisque je l’ai reçu pour le conserver, et non pour le dilapider. » 3° Il fit preuve de constance en reprenant le vice et toute espèce d'iniquité. En effet on lit cette chronique dans l’Histoire tripartite * : Une sédition s'étant élevée à Thessalonique, quelques-uns des juges avaient été lapidés par le peuple. L'empereur Théodose indigné fit tuer tout le monde, sans distinguer les coupables des innocents. Le nombre des victimes s'éleva à cinq mille. Or, l’empereur vint à Milan et voulut entrer dans l’église, mais Ambroise alla à sa rencontre jusqu'à la porte, et lui en refusa l’entrée en disant : « Pourquoi, empereur, après un pareil acte de fureur, ne pas comprendre l’énormité de votre présomption?
* Liv. IX, ch. XXX.
Peut-être que la puissance impériale vous empêche de reconnaître vos fautes. Il est de votre dignité due la raison l’emporte sur la puissance. Vous êtes prince, ô empereur, mais vous commandez à des hommes comme vous. De quel oeil donc regarderez-vous le temple de notre commun maître? avec quels pieds foulerez-vous son sanctuaire? comment laverez-vous des mains teintes encore d'un sang injustement répandu? Oseriez-vous recevoir son sang adorable en cette bouche qui, dans l’excès de votre colère, a commandé tant de meurtres? Relevez-vous donc, retirez-vous, et n'ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez déjà commis. Recevez le joug que le Seigneur vous impose aujourd'hui est la guérison assurée et le salut pour vous. » L'empereur obit et retourna à son palais en gémissant et en pleurant. Or, après avoir longtemps versé des larmes, Rufin, l’un de ses généraux, lui demanda le motif d'une si profonde tristesse. L'empereur lui dit : « Pour toi, tu ne sens pas mon mal; aux esclaves et aux mendiants les
temples sont ouverts mais à moi l’entrée en est interdite. » En parlant ainsi chacun de ses mots était entrecoupé par des sanglots. « Je cours, lui dit Rufin, si vous le voulez, auprès d'Ambroise, afin qu'il vous délie des liens dans lesquels il vous a enlacé. » « Tu ne pourras persuader Ambroise, repartit Théodose, car la puissance impériale ne saurait l’effrayer au point de lui faire violer la loi divine. » Mais Rufin lui promettant de fléchir l’évêque, l’empereur lui donna l’ordre d'aller le trouver. et quelques instants après il le suivit. Ambroise n'eut pas plutôt aperçu Rufin, qu'il lui dit : « Tu imites les chiens dans leur impudence, Rufin, toi, l’exécuteur d'un pareil carnage; il ne te. reste donc aucune honte, et tu ne rougis pas d'aboyer contre la majesté divine. » Comme Rufin suppliait, pour l’empereur et disait que celui-ci allait venir lui-même, Ambroise enflammé d'un zèle surhumain : « Je te déclare, lui dit-il, que je l’empêcherai d'entrer dans les saints parvis; s'il vent employer la force et agir en tyran, je suis prêt à souffrir la mort. » Rufin ayant rapporté ces paroles à l’empereur : « J'irai, lui dit celui-ci, j'irai le trouver, pour recevoir moi-même les reproches que je mérite. » Arrivé près d'Ambroise, Théodose lui demanda d'être délié de son interdit, alors Ambroise alla à sa rencontre, et lui refusa l’entrée de l’église en disant : « Quelle pénitence avez-vous faite après avoir commis de si grandes iniquités ? » Il répondit : « C'est à vous à me l’imposer et à moi à me soumettre. » Alors comme l’empereur alléguait que David aussi avait commis un adultère et un homicide, Ambroise lui dit : « Vous l’avez imité dans sa faute, imitez-le dans son repentir. » L'empereur reçut ces avis avec une telle gratitude qu'il ne se refusa pas à faire une pénitence publique. Quand il fut réconcilié, il vint à l’église et resta debout au chancel; Ambroise lui demanda ce qu'il attendait là : l’empereur lui ayant répondu qu'il attendait pour participer aux, saints mystères, Ambroise lui dit : « Empereur, l’intérieur de l’église est réservé aux prêtres seulement; sortez donc, et attendez les mystères avec les autres; la pourpre vous fait empereur et non pas prêtre. » A l’instant Théodose lui obéit. Revenu à Constantinople, il se tenait hors du chancel, l’évêque alors lui commanda d'entrer, et Théodose répondit : «J'ai été longtemps à savoir la différence qu'il y a entre un empereur et un évêque; c'est à peine si j'ai trouvé un maître qui m’ait enseigné la vérité, je ne connais au monde de véritable évêque qu'Ambroise. »
Il fut recommandable, 8° par sa saille doctrine qui atteint à une grande profondeur. Saint Jérôme dans son livre sur les Douze Docteurs dit: « Ambroise plane au-dessus des profondeurs comme un oiseau qui s élance dans les airs; c'est dans le ciel qu'il cueille ses fruits. » En parlant de sa fermeté: il ajouta : «Toutes ses sentences sont des colonnes sur lesquelles s'appuient la foi, l’Église et toutes les vertus. » Saint Augustin dit en parlant de la beauté de son style, en son livre des Noces et des Contrats : « L'hérésiarque Pélage donne ces éloges à saint Ambroise : Le saint évêque Ambroise, dont les livres contiennent la doctrine romaine, brilla comme une fleur au milieu des écrivains latins. » Saint Augustin ajoute : « Sa foi et ses explications très exactes de l’Ecriture n'ont même pas été attaquées par un seul ennemi. » Sa doctrine jouit d'une grande autorité, puisque les écrivains anciens, comme saint Augustin, tenaient grand cas de ses paroles.
A ce propos saint Augustin rapporte à Janvier que sa mère s'étonnait de ce qu'on ne jeunât pas le samedi à Milan, saint Augustin en demanda la raison à saint Ambroise qui lui répondit : « Quand je vais à Rome, je jeûne le samedi. Eh bien! quand vous vous trouvez dans une église, suivez ses pratiques, si vous ne voulez scandaliser, ni être scandalisé. » Saint Augustin dit à ce propos : « Plus je réfléchis sur cet avis, plus je trouve que c'est pour moi comme un oracle du ciel. »
SAINT GEORGES
Georges est ainsi appelé de Geos, qui veut dire terre, et orge, qui signifie cultiver, cultivant la terre, c'est-à-dire sa chair. Saint Augustin au livre de la Trinité avance que la bonne terre est placée sur les hauteurs des montagnes, dans les collines tempérées et dans les plaines des champs. La première convient aux herbes verdoyantes, la seconde aux vignes, la troisième aux blés. De même saint Georges s'éleva en méprisant les choses basses; ce qui lui donna la verdeur de la pureté : il fut tempéré en discernement, aussi eut-il le vin de l’allégresse intérieure. Il fut plein d'humilité ce qui lui fit produire des fruits de bonnes oeuvres. Georges pourrait encore venir de gerar, sacré, degyon, sable, sable sacré; or, Georges fut comme le sable, lourd par la gravité de ses moeurs, menu par son humilité, et sec ou exempt de volupté charnelle. Georges viendrait de gerar, sacré, et gyon, lutte, lutteur sacré, parce qu'il lutta contre le dragon et contre le bourreau. On pourrait encore le tirer de Gero, qui veut dire pèlerin, gir, précieux *, et ys, conseiller; car saint Georges fut pèlerin dans son mépris du monde, précieux (ou coupé) dans son martyre, et conseiller dans la prédication du royaume.
Sa légende est mise au nombre des pièces apocryphes dans les actes du concile de Nicée, parce que l’histoire de son martyre n'est point authentique : on lit, dans le calendrier de Bède, qu'il souffrit en Perse dans la ville de Diaspolis, anciennement appelée Lidda, située près de Joppé. On dit ailleurs qu'il souffrit sous, les empereurs Dioclétien et Maximien : on voit autre part que ce fut sous l’empire de Dioclétien, en présence de 70 rois de son empire; d'autres enfin prétendent que ce fut sous le président Dacien, sous l’empire de Dioclétien et de Maximien.
Georges **, tribun, né en Cappadoce, vint une fois à Silcha, ville de la province de Lybie.
* D'après D'après les premières éditions, ce serait tranché, praecisus.
**Cette légende se compose d'une première vie de saint Georges que J. de Voragine reconnaît apocryphe. La seconde lui paraît meilleure. Papebroch a donné les actes de ce saint et il les a longuement et savamment discutés. Tous les martyrologes s'accordent à
attribuer au culte de saint Georges une grande importance. Fortunat (liv. II, carm. XV) raconte les différents supplices que le saint, eut à souffrir.
A côté de cette cité était un étang grand comme une mer, dans lequel se cachait un dragon pernicieux, qui souvent avait fait reculer le peuple venu avec des armes pour le tuer; il lui suffisait d'approcher des murailles de la ville pour détruire tout le monde de son souffle. Les habitants se virent forcés de lui donner tous les jours deux brebis, afin d'apaiser sa fureur; autrement, c'était comme s'il s'emparait des murs de la ville; il infectait l’air, en sorte que beaucoup en mouraient. Or, les brebis étant venues à manquer et ne pouvant. être fournies en quantité suffisante, on décida dans un conseil qu'on donnerait une brebis et qu'on y ajouterait un homme. Tous les garçons et les filles étaient désignés par le sort, et il n'y avait d'exception pour personne. Or, comme il n'en restait presque plus, le sort vint à tomber sur la fille unique du roi, qui fut par conséquent destinée au monstre. Le roi tout contristé dit : « Prenez l’or, l’argent, la moitié de mon royaume, mais laissez-moi ma fille, et qu'elle ne meure pas de semblable mort. » Le peuple lui répondit avec fureur : « O Roi, c'est toi, qui as porté cet édit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille ? Si tu ne fais pour ta fille ce que tu as ordonné pour les autres, nous te brûlerons avec ta maison.» En entendant ces mots, le roi se mit à pleurer sa fille en disant: « Malheureux que je suis! ô ma tendre fille, que faire de toi? que dire? je ne verrai donc jamais tes noces? » Et se tournant vers le peuple : « Je vous en prie, dit-il, accordez-moi huit jours de délai pour pleurer ma fille. » Le peuple y ayant consenti, revint en fureur ait bout de huit jours, et il dit au roi : « Pourquoi perds-tu le peuple pour ta fille ? Voici que nous mourons tous du souffle du dragon. » Alors le roi, voyant qu'il ne pourrait délivrer sa fille, la fit revêtir d'habits royaux et l’embrassa avec larmes en. disant : « Ah que je suis malheureux ! ma très douce. fille, de ton sein j'espérais élever des enfants de race royale, et maintenant tu vas être dévorée par le dragon. Ah ! malheureux que je suis ! ma très douce fille, j'espérais inviter des princes à tes noces, orner ton palais de pierres précieuses, entendre les instruments et les tambours, et tu vas être dévorée par le dragon. » Il l’embrassa et la laissa partir en lui disant : « O ma fille, que ne suis-je mort avant toi pour te perdre ainsi ! » Alors elle se jeta aux pieds de son père pour lui demander sa bénédiction, et le père l’ayant bénie avec larmes, elle se dirigea vers le lac. Or, saint Georges passait par hasard par là : et la voyant pleurer, il lui demanda ce qu'elle avait. » Bon jeune homme, lui répondit-elle, vite, monte sur ton cheval ; fuis, si tu neveux mourir avec moi. » N'aie pas peur, lui dit Georges, mais dis-moi, ma fille, que vas-tu faire en présence de tout ce monde? » Je vois, lui dit la fille, que tu es un bon jeune homme; ton coeur est généreux : mais pourquoi veux-tu mourir avec moi? vite, fuis! » Georges, lui dit : « Je ne m’en irai pas avant que tu ne m’aies expliqué ce que tu as. » Or, après qu'elle l’eut instruit totalement, Georges lui dit : « Ma fille, ne crains point, car au nom de J.-C., je t'aiderai. » Elle lui dit : « Bon soldat ! mais hâte-toi de te sauver, ne péris pas avec moi ! C'est assez de mourir seule; car tu ne pourrais me
délivrer et nous péririons ensemble. » Alors qu'ils parlaient ainsi, voici que le dragon s'approcha en levant la tête au-dessus du lac. La jeune fille toute tremblante dit : « Fuis, mon seigneur, fuis vite. « A l’instant Georges monta sur son cheval, et se fortifiant du signe de la croix, il attaque avec audace le dragon qui avançait sur lui : il brandit sa lance avec vigueur, se recommande à Dieu, frappe le monstre avec force et l’abat par terre : « Jette, dit Georges à la fille du roi, jette ta ceinture au cou du dragon ; ne crains rien, mon enfant. » Elle le fit et le dragon la suivait comme la chienne la plus douce. Or, comme elle le conduisait dans la ville, tout le peuple témoin de cela se mit à fuir par monts et par vaux en disant : « Malheur à nous, nous allons tous périr à l’instant! » Alors saint Georges leur fit signe en disant : « Ne craignez rien, le Seigneur m’a envoyé exprès vers vous afin que je vous délivre des malheurs que, vous causait ce dragon seulement, croyez en J.-C., et que chacun de vous reçoive le baptême, et je tuerai le monstre. » Alors le roi avec tout le peuple reçut le baptême, et saint Gorges, ayant dégainé son épée, tua le dragon et ordonna de le porter hors de la ville. Quatre paires de boeufs le traînèrent hors de la cité dans une vaste plaine. Or, ce jour-là vingt mille hommes furent baptisés, sans compter les enfants et les femmes.
Quant au roi, il fit bâtir en l’honneur de la bienheureuse Marie et de saint Georges une église d'une grandeur admirable. Sous l’autel, coule une fontaine dont l’eau guérit tous les malades : et le roi offrit à saint Georges de l’argent en quantité infinie; mais le saint ne le voulut recevoir et le fit donner aux pauvres. Alors saint Georges adressa au roi quatre avis fort succincts. Ce fut d'avoir soin des églises de Dieu, d'honorer les prêtres, d'écouter avec soin l’office divin et de n'oublier jamais les pauvres. Puis après avoir embrassé le roi, il s'en alla. — Toutefois on lit en certains livres que, un dragon allait dévorer une jeune fille, Georges se munit d'une croix, attaqua le dragon et le tua. En ce temps-là, étaient empereurs Dioclétien et Maximien, et sous le président Dacien, il v eut une si violente persécution contre les chrétiens, que dans l’espace d'un mois, dix-sept mille d'entre eux reçurent la couronne du martyre. Au milieu des tourments, beaucoup de chrétiens faiblirent et sacrifièrent aux idoles. Saint Georges à cette vue fut touché au fond du coeur; il distribua tout ce qu'il possédait, quitta l’habit militaire, prit celui des chrétiens et s'élançant au milieu des martyrs, il s'écria : « Tous les dieux des gentils sont des démons; mais c'est le Seigneur qui a fait les cieux! » Le président lui dit en colère : « Qui t'a rendu si présomptueux d'oser appeler nos dieux des démons ? Dis-moi ; d'où es-tu et quel est ton nom? » Georges lui répondit : « Je m’appelle Georges, je suis d'une noble race de la Cappadoce ; j'ai vaincu la Palestine par la faveur de J.-C. mais j'ai tout quitté pour servir plus librement le Dieu du ciel. » Comme le président ne le pouvait gagner, il ordonna de le suspendre au chevalet et de déchirer chacun de ses membres avec des ongles de fer; il le fit brûler avec des torches, et frotter avec du sel ses plaies et ses entrailles qui lui sortaient du corps. La nuit suivante, le Seigneur apparut au saint, environné d'une immense lumière et il le réconforta avec douceur. Cette bonne vision et ces paroles l’affermirent au point qu'il comptait ses tourments pour rien. Dacien voyant
qu'il ne pouvait, le vaincre par les tortures, fit venir un magicien auquel il dit : « Les chrétiens, par leurs maléfices, se jouent des tourments et font peu de cas de sacrifier à nos dieux. » Le magicien lui répondit : « Si je ne réussis pas à surmonter leurs artifices, je veux perdre la tête. » Alors il composa ses maléfices, invoqua les noms de ses dieux, mêla du poison avec du vin et le donna à prendre à saint Georges. Le saint fit dessus le signe de la croix et but : mais il n'en ressentit aucun effet. Le magicien composa une dose plus forte, que le saint, après avoir fait le signe de la croix, but toute entière sans éprouver le moindre mal. A cette vue, le magicien se jeta aussitôt aux pieds de saint Georges, lui demanda pardon en pleurant d'une façon lamentable et sollicita la faveur d'être fait chrétien. Le juge le fit décapiter bientôt après. Le jour suivant, il fit étendre Georges sur une roue garnie tout autour d'épées tranchantes des deux côtés:, mais à l’instant la roue se brisa et Georges fut trouvé complètement sain. Alors le juge irrité le fit jeter dans une chaudière pleine de plomb fondu. Le saint fit le signe de la croix, y entra, mais par la vertu de Dieu, il y était ranimé comme dans un bain. Dacien, à cette vue, pensa l’amollir par des caresses, puisqu'il ne pouvait le vaincre par ses menaces : « Mon fils Georges, lui dit-il, tu vois de quelle mansuétude sont nos dieux, puisqu'ils supportent tes blasphèmes si patiemment, néanmoins, ils sont disposés à user d'indulgence envers toi, si tu veux te convertir. Fais donc; mon très cher fils, ce à quoi je t'exhorte ; abandonne tes superstitions pour sacrifier à nos dieux, afin de recevoir d'eux et de nous de grands
honneurs. » Georges lui dit en souriant : « Pourquoi ne pas m’avoir parlé avec cette douceur avant de me tourmenter ? Me voici prêt à faire ce à quoi tu m’engages. » Dacien, trompé par cette concession, devient tout joie., fait annoncer par le crieur public qu'on ait à s'assembler auprès de lui pour voir Georges, si longtemps rebelle, céder enfin et sacrifier. La cité toute entière s'embellit de joie. Au moment où Georges entrait dans le temple des idoles pour sacrifier, et quand tous les assistants étaient dans l’allégresse, il se mita genoux et pria le Seigneur, pour son honneur et pour la conversion du peuple, de détruire tellement de fond en comble le temple avec ses idoles qu'il n'en restât absolument rien. A l’instant le feu du ciel, des-. tendit sur le temple, le brûla avec les dieux et leurs prêtres : la terre s'entr'ouvrit et engloutit tout ce qui en restait. C'est à cette occasion que saint Ambroise s'écrie dans la Préface du saint : « Georges très féal soldat de J.-C. confessa seul parmi les chrétiens, avec intrépidité, le Fils de Dieu, alors que la profession qu'il faisait du christianisme était protégée sous le voile du silence. Il reçut de, la grâce divine une: si grande constance qu'il méprisait les ordres d'un pouvoir tyrannique et qu'il ne redoutait point les tourments de supplices innombrables. O noble et heureux guerrier du Seigneur! que la promesse flatteuse d'un royaume temporel ne séduisit pas, mais qui, en trompant le persécuteur, précipita dans l’abîme les simulacres des fausses divinités! » (Saint Ambroise.) Dacien, en apprenant cela, se fit amener Georges auquel il dit : « Quelle a été ta malice, ô le plus méchant des hommes, d'avoir commis nu pareil crime? » Georges lui répondit : « O roi, n'en crois rien; mais viens avec moi et tu me verras encore une fois immoler. » « Je comprends ta fourberie, lui dit Dacien; car ; tu
jeux me faire engloutir comme tu as fait du temple et de mes dieux. » Georges lui répliqua : « Dis-moi, misérable, tes dieux qui n'auront pu s'aider eux-mêmes, comment t'aideront-ils ? » Alors le roi outré de colère dit à Alexandrie, son épouse : « Je suis vaincu et je mourrai, car je me vois surmonté par cet homme. » Sa femme lui dit : « Bourreau et cruel tyran, ne t'ai-je pas dit trop souvent de ne pas inquiéter les chrétiens, parce que leur Dieu combattrait pour eux? Eh bien ! apprends que je veux me faire chrétienne. » Le roi stupéfait dit : « Ah! quelle douleur! serais-tu aussi séduite? » Et il la fit suspendre par les cheveux et battre très cruellement avec des fouets. Pendant son supplice, elle dit à Georges : « Georges, lumière de vérité, où penses-tu que je parvienne, puisque je n'ai pas encore été régénérée par l’eau du baptême? » « N'appréhende rien, ma fille, lui répondit le saint, le sang que tu vas répandre te servira de baptême et sera ta couronne. » Alors elle rendit son âme au Seigneur en priant. C'est ce qu'atteste saint Ambroise en disant dans la préface : C'est pourquoi la reine des Perses, qui avait été condamnée par la sentence de son cruel mari, quoiqu'elle n'eût pas reçu la grâce du baptême, mérita la palme d'un martyre glorieux aussi ne pouvons-nous douter que la rosée de son sang; ne lui ait ouvert les portes du ciel, et qu'elle n'ait mérité de posséder le royaume des cieux. » (Saint Ambr.)
Or, le jour suivant, saint Georges fut condamné à être traîné par toute la ville et à avoir la tète tranchée. Il pria alors le Seigneur de vouloir bien accorder suite à la prière de quiconque implorerait son secours; et une voix du ciel se fit entendre et lui dit qu'il serait fait comme il avait demandé. Son oraison achevée, il consomma son martyre en ayant la tête coupée, sous Dioclétien et Maximien qui régnèrent vers l’an de N.-S. 287. Or, comme Dacien revenait du lieu du supplice à son palais, le feu du ciel descendit sur lui et le consuma avec ses gardes. Grégoire de Tours raconte * que des personnes portant des reliques .de saint Georges qui avaient été hébergées dans un oratoire, ne purent ait matin mouvoir sa châsse en aucune manière, jusqu'à ce qu'ils eussent laissé là une parcelle des reliques. — On lit dans l’Histoire d'Antioche, que les chrétiens allant au siège de Jérusalem, un très beau jeune homme apparut à un prêtre et lui donna avis que saint Georges était le général des chrétiens, qu'ils eussent à porter avec eux ses reliques à Jérusalem où il serait lui-même avec eux. Et comme on assiégeait la ville et que la résistance des Sarrasins ne permettait pas de monter à l’assaut, saint Georges, revêtu d'habits blancs et armé d'une croix rouge, apparut et fit signe aux assiégeants de monter sans crainte après lui, et qu'ils se rendraient martres de la place. Animés par cette vision, les chrétiens furent vainqueurs et massacrèrent les Sarrasins.
* De gloria martyrum, cap. CI.
SAINT MARC, ÉVANGÉLISTE
Marc veut dire sublime en commandement, certain, abaissé et amer. Il fut sublime en commandement par la perfection de sa vie, car non seulement, il observa les commandements qui sont communs à tous, mais encore ceux qui sont sublimes, tels que les conseils. Il fut certain en raison de la certitude de la doctrine dans son évangile, parce que cette certitude a pour garant saint Pierre, son maître, de qui il l’avait appris. Il fut abaissé, en raison de sa profonde humilité, qui lui fit, dit-on, se couper le pouce, afin de ne pas être trouvé capable d'être prêtre. Il fut amer en raison de l’amertume du tourment. qu'il endura lorsqu'il fut traîné par la ville, et, qu'il rendit l’esprit au milieu des supplices. Ou bien Marc vient de Marco, qui est une masse, dont le même coup aplatit le fer, produit la mélodie, et affermit l’enclume. De même saint Marc, par l’unique doctrine de son évangile, dompte la perfidie des hérétiques, dilate la louange divine et affermit l’Église.
Marc, évangéliste, prêtre de la tribu de Lévi, fut, par le baptême, le fils de saint Pierre, apôtre, dont, il était le disciple en la parole divine. Il alla à Rome avec ce saint. Comme celui-ci * prêchait la bonne nouvelle, les fidèles de Rome prièrent saint Marc de vouloir écrire l’Evangile, pour l’avoir toujours présent à la mémoire.
* Ordéric Vital raconte (Hist. Eccl., part. I, liv. II, c. XX) chacun des faits consignés dans la légende de saint Marc.
Il le leur écrivit loyalement, tel qu'il l’avait appris de la bouché de son maître saint Pierre, qui l’examina avec soin, et après avoir vu qu'il était plein de vérité, il l’approuva et le jugea digne d'être reçu par tous les fidèles*. Saint Pierre, considérant que Marc était constant dans la foi, le destina pour Aquilée, où après avoir prêché la parole de Dieu, . il convertit des multitudes innombrables de gentils à J.-C. On dit que là aussi, il écrivit son évangile que l’on montre encore à présent dans l’église d'Aquilée, où on le garde avec grand respect. Enfin saint Marc conduisit à Rome, auprès de saint Pierre, nu citoyen d'Aquilée, nommé Ermagoras, qu'il avait converti à la foi afin que l’apôtre le consacrât évêque d'Aquilée. Ermagoras, après avoir reçu la charge du pontificat, gouverna avec zèle cette église : il fut pris ensuite par les infidèles et reçut la couronne du martyre. Pour saint Marc, il fut envoyé par saint Pierre à Alexandrie, où il prêcha le premier la parole de Dieu **.
*Saint Jérôme, Vir. illustr., c. VIII; — Clément d'Alexandrie, dans Eusèbe, l. II, c. XV.
** Eusèbe, c. XVI ; Epiphan., LI, c. VI; saint Jér., ibid.
A son entrée dans cette ville, au rapport de Philon, juif très disert, il se forma une assemblée immense qui reçut la foi et pratiqua la dévotion et la continence. Papias, évêque de Jérusalem, fait de lui le plus grand éloge en très beau langage ; et voici ce que Pierre Damien dit à son sujet : « Il jouit d'une si grande influence à Alexandrie, que tous ceux qui venaient en foule pour être instruits dans la foi, atteignirent bientôt au sommet de la perfection, par la pratique de la continence; et de toutes sortes de bonnes.. oeuvres, en sorte que l’on eût dit une communauté de moines. On devait ce résultat moins aux miracles extraordinaires de saint Marc et à l’éloquence de ses prédications, qu'à ses exemples éminents. » Le même Pierre Damien ajoute qu'après sa mort, son corps fut ramené en Italie, afin que la terre où il lui avait été donné d'écrire son Evangile, eût l’honneur de posséder ses dépouilles sacrées. « Tu es heureuse, ô Alexandrie, d'avoir été arrosée de son sang glorieux, comme toi, en Italie, tu ne l’es pas moins de posséder un si rare trésor. »
On rapporte que saint Marc fut doué d'une si grande Humilité qu'il se coupa le pouce afin que l’on ne songeât pas à l’ordonner prêtre *. Mais par une disposition de Dieu et par l’autorité de saint Pierre, il fut choisi pour évêque d'Alexandrie: A son entrée dans cette ville, sa chaussure se rompit et se déchira subitement; il comprit intérieurement ce que cela signifiait, et dit : « Vraiment, le Seigneur a raccourci mon chemin, et Satan ne sera pas un obstacle pour moi, puisque le Seigneur m’a absous des oeuvres de mort. » Or, Marc voyant un savetier qui cousait de vieilles chaussures, lui donna la sienne à raccommoder : mais en le faisant, l’ouvrier se blessa. grièvement à la main . gauche, et se mit à crier : « Unique Dieu. » En l’entendant, l’homme de Dieu dit : « Vraiment le Seigneur a rendu mon voyage heureux. » Alors il fit de la boue avec sa salive et de la terre, l’appliqua sur la main du savetier qui fut incontinent guéri. Cet homme, voyant le pouvoir extraordinaire de Marc, le fit entrer chez lui et lui demanda qui il était, et d'où il venait. Marc lui avoua être le serviteur du Seigneur Jésus.
* Isidore de Sév., Vies et morts illustres, ch. LIV.
L'autre lui dit : « Je voudrais bien le voir. » Je te le montrerai, lui répondit saint Marc. » Il se mit alors à lui annoncer l’Evangile de J.-C. et le baptisa avec tous ceux de sa maison. Les habitants de la ville ayant appris l’arrivée d'un Galiléen, qui méprisait les. sacrifices de leurs dieux, lui tendirent des pièges. Saint Marc, en ayant été instruit, ordonna évêque Anianus, cet homme-là même qu'il avait guéri *, et partit pour la Pentapole, où il resta deux ans, après lesquels il revint à Alexandrie. Il y avait fait élever une église sur les rochers qui bordent la mer, dans un lieu appelé Bucculi ** ; il y trouva le nombre des chrétiens augmenté. Or, les prêtres des temples cherchèrent à le prendre; et le jour de Pâques, comme saint Marc célébrait la- messe, ils s'assemblèrent tous au lieu
où était le saint, lui attachèrent une corde au cou et le traînèrent par toute la ville en disant : « Traînons le buffle au Bucculi ***. »
* Actes de saint Marc.
** Probablement: l’abattoir.
*** A l’abattoir
Sa chair et son sang étaient épars sur la terre et couvraient les pierres, ensuite il fut, enfermé dans une prison où un ange le fortifia. Le Seigneur J.-C. lui-même daigna le visiter et lui dit pour, le conforter : « La paix soit avec toi, Marc, mon évangéliste; ne crains rien car je suis avec toi pour te délivrer. » Le matin arrivé, ils lui jettent encore une fois une corde au cou, et le traînent çà et là en criant : « Traînez le buffle au Bucculi. » Au milieu de ce supplice, Marc rendait grâces à Dieu en disant : « Je remets mon esprit entre vos mains. » Et en prononçant ces mots, il expira. C'était sous Néron, vers l’an 57. Comme les païens le voulaient brûler, soudain, l’air se trouble, une grêle s'annonce, les tonnerres grondent, les éclairs brillent, tout le monde s'empressa de fuir, et le corps du saint reste intact. Les chrétiens le prirent et l’ensevelirent dans l’église en toute révérence. Voici le portrait de saint Marc * : Il avait le nez long, les sourcils abaissés, les yeux beaux, le front un, peu chauve, la barbe épaisse. Il était de belles manières, d'un âge moyen ; ses cheveux commençaient à blanchir, il était affectueux, plein de mesure et rempli de la grâce de Dieu. Saint Ambroise dit de lui : « Comme le bienheureux Marc brillait par des miracles sans nombre, il arriva qu'un cordonnier auquel il avait donné sa chaussure à raccommoder, se perça la main gauche dans son travail, et en se faisant la blessure, il cria: « Un Dieu! » Le serviteur de Dieu fut tout joyeux de l’entendre : il prit de la boue qu'il fit avec sa salive, en oignit la main de l’ouvrier qu'il guérit à l’instant et avec laquelle cet homme put continuer son travail. Comme le Sauveur il guérit aussi un aveugle-né. »
* Un ms. de la Bibliothèque de Saint-Victor, coté 28 et cité par Ducange donne en ces termes le portrait du saint : « La forme de saint Marc fu tele, lonc nés, sourciz yautis, biaus par iex, les cheveux cercelés, longe barbe, de très bele composition de cors, de moien eaige » Gloss. ° Eagium.
L'an de l’Incarnation du Seigneur 468, du temps de l’empereur Léon, des Vénitiens transportèrent le corps de saint Marc, d'Alexandrie à Venise, où fut élevée, en l’honneur du saint, une église d'une merveilleuse beauté. Des marchands vénitiens, étant allés à Alexandrie; firent tant par dons et par promesses auprès de deux prêtres, gardiens du corps de saint Marc, que ceux-ci le laissèrent enlever en cachette et emporter à Venise. Mais comme on levait le corps du tombeau, une odeur si pénétrante se répandit dans
Alexandrie que tout le,monde s'émerveillait d'où pouvait venir une pareille suavité. Or; comme les marchands étaient en pleine mer, ils découvrirent aux navires qui allaient de conserve avec eux qu'ils portaient le corps de saint Marc; un des gens dit : « C'est probablement le corps de quelque Egyptien que l’on vous a donné, et vous pensez emporter le corps de saint Marc. » Aussitôt le navire qui portait le corps de saint Marc vira de bord avec une merveilleuse célérité et se heurtant contre le navire où se trouvait celui. qui venait de parler, il en brisa un côté. Il ne s'éloigna point avant que tous ceux qui le montaient n'eussent acclamé qu'ils croyaient que le corps de saint Marc s'y trouvât.
Une nuit, les navires étaient emportés par un courant très rapide, et les nautoniers; ballottés par la tempête et enveloppés de ténèbres, ne savaient où ils allaient; saint Marc apparut au moine gardien de son corps, et lui dit : « Dis à tout ce monde de carguer vite les voiles, car ils ne sont pas loin de la terre. » Et on les cargua. Quand le matin fut. venu, on se trouvait vis-à-vis une île. Or, comme on longeait divers rivages, et qu'on cachait à tous le saint trésor, des habitants vinrent et crièrent : « Oh! que vous êtes heureux, vous qui portez le corps de saint Marc ! Permettez que nous lui rendions nos profonds hommages . » Un matelot encore tout à fait incrédule est saisi par le démon et vexé jusqu'au moment où, amené auprès du corps, il avoua qu'il croyait que c'était celui de saint Marc. Après avoir été délivré, il rendit gloire à Dieu et eut par la suite une grande dévotion au saint. Il arriva que, pour conserver avec plus de précaution le corps de saint Marc, on le déposa au bas d'une colonne de marbre, en présence d'un petit nombre de personnes; mais par le cours du temps, les témoins étant morts, personne ne pouvait savoir, ni reconnaître, à aucun indice, l’endroit où était le saint trésor. Il y eut des pleurs dans le clergé, une grande désolation chez les laïcs, et un chagrin profond dans tous. La peur de ce peuple dévot était en effet qu'un patron si recommandable n'eût été enlevé furtivement. Alors on indique un jeûne solennel, on ordonne une procession plus solennelle. encore ; mais voici que, sous les veux et à la surprise de tout le monde, les pierres se détachent de la colonne et laissent voir à découvert la châsse où le corps était caché. A l’instant on rend des actions de grâces au Créateur quia daigné révéler le saint patron ; et ce jour, illustré par la gloire d'un si grand prodige, fut fêté dans la suite des temps *.
* Au 23 juin.
Un jeune homme, tourmenté par un cancer dont les vers lui rongeaient la poitrine, se mit à implorer d'un coeur dévoué les suffrages de saint Marc; et voici que, dans son sommeil, un homme en habit de pèlerin lui apparut se hâtant dans sa marche. Interrogé par lui qui il était et où il allait en marchant si vite, il lui répondit qu'il était saint Marc, qu'il courait porter secours à un navire en péril. qui l’invoquait. Alors il étendit la main, en toucha le malade qui, à son réveille matin, se sentit complètement guéri. Un instant
après le navire entra dans le port de Venise et ceux qui le montaient racontèrent le péril dans lequel ils s'étaient trouvés et comme saint Marc leur était venu en aide. On rendit grâces pour ces deux miracles et Dieu fut proclamé admirable dans Marc, son saint.
Des marchands de Venise qui allaient à Alexandrie sur un vaisseau sarrasin, se voyant dans un péril imminent, se jettent dans une chaloupe, coupent la corde, et aussitôt le navire est englouti dans les flots qui enveloppent tous les Sarrasins. L'un d'eux invoqua saint Marc et fit comme il put, voeu de recevoir le baptême et de visiter son église, s'il lui prêtait secours. A l’instant, un personnage éclatant lui apparut, l’arracha des flots et le mit avec les autres ans la chaloupe. Arrivé à Alexandrie, il fut ingrat envers son libérateur et ne se pressa ni d'aller à l’église de saint Marc, ni de recevoir les sacrements de notre foi. De rechef saint Marc lui apparut et lui reprocha son ingratitude. Il rentra donc en lui-même, vint à Venise, et régénéré dans les fonts sacrés du baptême, il reçut le nom de Marc. Sa foi en J.-C. fut parfaite et il finit sa vie dans les bonnes oeuvres. — Un homme qui travaillait au haut du campanile de saint Marc de Venise, tombe tout à coup à l’improviste; ses membres sont déchirés par lambeaux; mais, dans sa chute, il se rappelle saint Marc, et implore son patronage alors il rencontre une poutre qui le retient. On lui donne une corde et il s'en relève sans blessure; il remonte ensuite à son travail avec dévotion pour le terminer. — Un esclave au service d'un noble habitant de la Provence, avait fait voeu de visiter le corps de saint Marc; mais il n'en pouvait obtenir la permission : enfin il tint moins de compte de la peur, de son maître temporel que de son maître céleste. Sans prendre congé; il partit avec dévotion pour accomplir son voeu. A son retour, le maître, qui était fâché, ordonna de lui arracher les yeux. Cet homme cruel fut favorisé dans son dessein par des hommes plus cruels encore qui jettent, par terre, le serviteur de Dieu, lequel invoquait saint Marc, et s'approchent avec des poinçons pour lui crever les yeux : les efforts qu'ils tentent sont inutiles, car le fer se rebroussait et se cassait tout d'un coup. Il ordonne donc que ses jambes soient rompues et ses pieds coupés à coups de haches, mais le fer qui est dur de sa nature s'amollit comme le plomb. Il ordonne qu'on lui brise la figuré et les dents avec des maillets de fer; le fer perd sa force et s'émousse par la puissance de Dieu. A cette vue son maître stupéfait demanda pardon et alla avec son esclave visiter en grande dévotion le tombeau de saint Marc. —
* Est-ce le sujet d'un tableau du Tintcret ?
Un soldat reçut au bras dans une bataille une blessure telle que sa main restait pendante. Les médecins et ses amis lui conseillaient de la faire amputer; mais ce soldat qui était preux, honteux d'être manchot, se fit remettre la main à sa place et l’assujettit avec des bandeaux sans aucun médicament. Il invoqua les suffrages de saint Marc et sa main fut guérie aussitôt : il n'y resta qu'une cicatrice qui fut un témoignage d'un si grand miracle et un monument d'un pareil bienfait. — Un homme de la ville de Mantoue,
faussement accusé par des envieux, fut mis en une prison, où, après être resté 40 jours dans le plus grand ennui, il se mortifia par un jeûne de trois jours en invoquant le patronage de saint Marc. Ce saint lui apparaît et lui commande de sortir avec confiance de sa prison. Cet homme, que l’ennui avait endormi, ne se mit pas en peine d'obéir aux ordres du saint, tout en se croyant le jouet d'une illusion. Il eut une seconde et une troisième apparition du saint qui lui renouvela les mêmes ordres. Revenu à soi, et voyant la porte ouverte, il sortit avec confiance de la prison et brisa ses entraves comme si c'eût été des liens d'étoupes. Il marchait donc en plein jour au milieu des gardes et des autres personnes présentes, sans être vu, tandis que lui voyait tout le monde. Il vint au tombeau de saint Marc pour s'acquitter dévotement de sa dette de remerciements.
L'Apulie entière était en proie à la stérilité, et pas une goutte de pluie n'arrosait cette terre. Alors il fut révélé que c'était un châtiment de ce qu'on ne célébrait pas la fête de saint Marc. Donc on invoqua ce saint et on promit de fêter avec solennité le jour de sa fête. Le saint fit cesser la stérilité. et renaître l’abondance en donnant un air pur et une pluie convenable. — Environ l’an 1212, il y avait à Pavie, dans le, couvent des Frères Prêcheurs, un frère de sainte et religieuse vie, nommé Julien, originaire de Faënza, jeune de corps, mais vieux d'esprit; dans sa dernière maladie il s'inquiéta de sa position auprès du prieur, qui lui répondit que sa mort était prochaine. Aussitôt la figure du malade devint resplendissante de, joie et il se mit à crier en applaudissant des mains et de tousses membres : « Faites place, mes frères, car ce sera dans un excès d'allégresse que mon âme va sortir de mon corps, depuis que j'ai entendu d'agréables nouvelles. » Et en élevant les mains- au ciel, il se mit à dire : « Educ de custodia animam meam, etc. Seigneur, tirez mon âme de sa prison. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort? » Il s'endormit alors d'un léger sommeil, et vit, venir à lui saint Marc qui se plaça à côté de son lit : et une voix qui s'adressait au saint, lui dit : « Que faites-vous, ici, ô Marc? » Celui-ci répondit : « Je suis venu trouver ce mourant, parce que son ministère a été agréable à Dieu. » La voix se fit encore entendre : « Comment se fait-il que de tous les saints, ce soit vous de préférence qui soyez venu à lui? » «C'est, répondit-il, parce qu'il a eu pour moi une dévotion spéciale et qu'il a visité avec une dévotion toute particulière le lieu où repose mon corps. C'est donc pour cela que je suis venu le visiter à l’heure de sa mort. » Et voici que des hommes couverts d'aubes blanches remplirent toute la maison. Saint Marc leur dit : « Que venez-vous faire ici ? » « Nous venons, répondirent-ils, pour présenter l’âme de ce religieux devant le Seigneur. » A son réveil, ce frère envoya chercher aussitôt le prieur qui m’a lui-même raconté ces faits, et lui rendant compte de tout ce qu'il avait vu, il s'endormit heureusement et en grande joie dans le Seigneur *.
* La traduction française de M. Jehan Batallier intercale ici un miracle que le texte latin ne fournit pas, et que nous copions :
« Si côe ung autre chevalier chevauchoist tout arme dessus un pont, le cheval cheut sur le pont, et le chevalier cheut, ou parfont de leaue en bas. Et si côme il vit qu'il nistroit
iamais de la par force ppre, il reclama le benoit Marc : et le sainct luy tendit une lance et le mist hors de leaue et doncqs il vît a Venise et racôta le miracle et acôplit son voeu devotemêt. »
SAINT MARCELLIN, PAPE *
Marcellin gouverna l’Église romaine neuf ans et quatre mois. II fut pris par l’ordre de Dioclétien et de Maximien et conduit pour sacrifier. Comme il n'y voulait pas consentir et qu'alors il avait à s'attendre de souffrir divers supplices, cédant à la peur du tourment, il mit deux grains d'encens dans le sacrifice **. La joie des infidèles fut grande, mais une tristesse immense s'empara des fidèles. Toutefois les membres sains reprennent de la vigueur sous un chef affaibli et comptent pour rien les menaces des princes: Alors les fidèles viennent trouver le souverain Pontife et lui; adressent. de graves reproches. Marcellin voyant celasse soumit au jugement d'un concile des évêques ***.
* « Voici l’interpretatiô du nom , sait Marcellin, qui ne se trouve pas dans le texte latin :
« Marcellin vault autant adire côme amaigrissant : car il amaigrit le fust dur de sa charnelete ou vault autât adire côe amaigri par paour du fust du tirât. »
** Anastase le Bibl., Vit. Pont., XXX; — Bréviaire romain ; — Epître du pape Nicolas Ier à Michel, empereur de C. P.
*** A Sessa en Campanie, ou Sinuesse.
A Dieu ne plaise, dirent-ils, qu'un souverain pontife soit jugé par personne; mais vous-même, instruisez votre cause dans votre conscience, et jugez-vous de votre propre bouche *. » Alors il se repentit beaucoup, pleura et se déposa lui-même; cependant, toute la foule le réélut encore. Les Césars, qui apprirent cela, firent saisir Marcellin une seconde fois, et comme il ne voulait absolument pas sacrifier, ils commandèrent de le décapiter. La fureur des ennemis se ralluma, en sorte que dans l’espace d'un mois, dix-sept mille chrétiens furent mis à mort. Pour Marcellin qui devait être décapité, il s'avoua indigne de la sépulture chrétienne ; en conséquence il excommunia tous ceux qui auraient la présomption de l’ensevelir. C'est pourquoi son corps resta 35 jours sans sépulture. Après ce temps, saint Pierre, apôtre, apparut à Marcel, son successeur **, et lui dit : « Frère Marcel, pourquoi ne m’ensevelis-tu pas? » Seigneur, lui répondit Marcel, n'êtes-vous pas déjà enseveli? » L'apôtre lui dit : « Je me répute non enseveli, tant que je verrai Marcellin sans sépulture. » « Mais, Seigneur, lui répartit Marcel, est-ce que vous ne savez pas qu'il a anathématisé tous ceux qui l’enseveliraient ? » Pierre dit : « N'est-il pas écrit : celui qui
s'humilie sera élevé? C'est à cela qu'il fallait faire attention; allez donc l’ensevelir à mes pieds. » Il y alla aussitôt et accomplit honorablement les ordres de saint Pierre.
*Ciaconius, Notes sur Anastase, Vie de saint Marcellin.
** Idem, ibid.
SAINT VITAL *
Vital signifie vivant tel, car, tel il a vécu extérieurement en oeuvres, tel il a vécu intérieurement dans son coeur. Ou Vital vient de vie, ou vital vivant par les ailes. En effet il fut comme un des animaux divins que vit Ezéchiel, ayant sur le corps quatre ailes, savoir l’aile de l’espérance, avec laquelle il volait au ciel, l’aile de l’amour avec laquelle il volait vers Dieu, l’aile de la crainte avec laquelle il volait en enfer, l’aile de la connaissance par laquelle il volait en soi-même. On pense que sa passion fut trouvée dans le livre des saints Gervais et Protais.
Vital, soldat consulaire, engendra de Valérie, sa femme, Gervais et Protais. Etant venu à Ravenne avec le juge Paulin, il vit un médecin chrétien nommé Ursicin, condamné à être décapité après avoir subi de nombreux tourments, mais saisi d'une trop grande frayeur. Alors Vital lui cria: «,Prenez garde, mon frère Ursicin, vous qui exercez la médecine et qui avez souvent guéri les autres, de vous tuer vous-même d'une mort éternelle. Puisque vous êtes arrivé à la palme **, ne perdez pas la couronne que Dieu vous a préparée. »
* Tiré du Martyrologe d'Adon.
** Il y avait dans ce lieu un vieux palmier.
A ces mots Ursicin reprit courage; et se repentant de sa frayeur, il reçut de plein gré le martyre. Saint Vital alors le fit ensevelir honorablement, après quoi il se refusa à accompagner son maître Paulin. Celui-ci fut excessivement indigné, d'abord de ce que Vital ne voulait pas venir avec lui, ensuite, de ce qu'il empêcha Ursicin de sacrifier alors qu'il le voulait faire, enfin de ce qu'il se montra ouvertement chrétien, et il ordonna qu'on le suspendît au chevalet. Vital lui dit : « Tu es bien insensé si. tu penses me tromper, moi qui me suis appliqué à délivrer les autres. » Alors Paulin dit à ses bourreaux : « Conduisez-le au palmier, et s'il refuse de sacrifier, creusez-y une fosse si profonde que vous arriviez jusqu'à l’eau et vous l’y enterrerez vif et couché sur le dos. » Les bourreaux le firent et enterrèrent en cet endroit saint Vital tout vif; ce fut sous Néron, qui commença à régner vers l’an du Seigneur 52. Un prêtre des idoles, qui avait suggéré ce conseil, fut
aussitôt saisi par le démon et pendant sept jours qu'il fut hors de sens, il s'écriait sur le lieu où était enseveli saint Vital : « Tu me brûles, saint Vital. » Et le septième jour, il fut précipité par le démon dans un fleuve où il périt misérablement. La femme de saint Vital, retournant à Milan, rencontra des gens gui sacrifiaient aux idoles. Ils l’exhortèrent à manger de ce qui avait été immolé : « Je suis chrétienne, répondit-elle, il ne m’est pas permis de manger de vos sacrifices. » L'entendant parler de la sorte ils la frappèrent si cruellement, que les personnes de sa maison, qui l’accompagnaient, la conduisirent demi-morte à Milan, où elle trépassa heureusement dans le Seigneur, trois jours après.

fin

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