Isis |
Κόρη κόσμου
KORE KOSMOU
Vierge du Monde
Attribué à Hermès Trismégiste
KORE KOSMOU
Vierge du Monde
Pupille du Monde
Minerva Mundi
Attribué à Hermès Trismégiste
Le traité entier est perdu, et l'extrait existant encore nous est
parvenu par Stobée, "Anthologie" I, 49. 44-45 et 49. 68-69, au Vème siècle
parvenu par Stobée, "Anthologie" I, 49. 44-45 et 49. 68-69, au Vème siècle
I
1 Ayant dit ces paroles, Isis verse à Horus, tout d’abord, le doux breuvage d’ambroisie que les âmes ont coutume de recevoir des dieux. Et là-dessus, Isis commence son discours très sacré : 2 « Puisque le ciel aux nombreux cercles, mon fils Horus, est superposé à toute la nature des choses d’en dessous, et que, nulle part, rien ne lui manque de ce que contient le monde actuellement dans sa totalité, c’est, en toute nécessité, par les choses placées en dessus qu’a été organisée dans son ensemble et remplie d’êtres la nature tout entière d’en dessous : car les choses d’en bas sont assurément incapables d’organiser le monde d’en haut. C’est dès lors une nécessité qu’aux mystères plus puissants cèdent les inférieurs. Plus puissant donc que les choses d’en dessous est le système des corps célestes, et il est absolument immuable, et ne tombe pas sous le sens de l’intelligence d’êtres mortels. 3 De là vient qu’elles gémirent, les choses d’en bas, saisies de crainte, sur la merveilleuse beauté et l’éternelle permanence des choses d’en dessus. Car il y avait bien là de quoi contempler et s’agiter tout ensemble, à voir la beauté du ciel s’offrant comme une représentation du Dieu encore inconnu, la somptueuse majesté de la nuit, qui s’attachait à une lumière plus faible que celle du soleil, mais vive encore, et des autres mystères en mouvement chacun à son tour dans le ciel, donnant ordre et croissance selon des motions et des périodes réglées de temps, par de certains secrets effluves, à l’ensemble des choses d’en bas. Et ainsi la crainte renaissait toujours, c’étaient des recherches indicibles ; 4 et tant que l’Artisan de l’univers persistait dans son refus, l’Ignorance enveloppait le monde entier. Mais quand il eut décidé de se révéler tel qu’il est, il inspira à des dieux des élans d’amour, et il distribua plus généreusement dans leurs intelligences la lumière qu’il tenait en son sein, pour qu’ils eussent d’abord le vouloir de chercher, puis le désir de trouver, puis aussi le pouvoir de réussir. 5 Or, ô mon fils merveilleux Horus, ce n’est pas dans un être de race mortelle que cela eût pu se produire – en fait il n’en existait pas même encore –, mais dans une âme qui possédât le lien de sympathie avec les mystères du ciel : voilà ce qu’était Hermès qui a tout connu. Il vit l’ensemble des choses ; et, ayant vu, il comprit ; et, ayant compris, il eut puissance de révéler et de montrer. En effet, les choses qu’il connut il les grava, et, les ayant gravées, les cacha, ayant mieux aimé sur la plupart d’entre elles, garder un ferme silence que d’en parler, afin qu’eût à les chercher toute une génération née après le monde. 6 Là-dessus Hermès se disposait à remonter vers les astres pour faire escorte aux dieux ses cousins. Cependant il laissait pour successeur Tat, à la fois son fils et l’héritier de ses enseignements, puis, peu après Asclépios l’Imouthès, selon les desseins de Ptah-Hephaïstos, d’autres encore, tous ceux qui, par le pouvoir de la Providence reine de toutes choses, devaient faire une recherche exacte et consciencieuse de la doctrine céleste. 7 Hermès donc était en train de dire pour sa défense, devant l’espace environnant, qu’il n’avait pas même livré la doctrine intégrale à son fils, vu le très jeune âge encore de celui-ci, quand, le jour s’étant levé, comme, de ses yeux qui voient tout, il contemplait l’Orient, il perçut quelque chose d’indistinct, et à mesure qu’il l’examinait, lentement, soit, mais enfin lui vint la décision précise de déposer les symboles secrets des éléments cosmiques près des objets secrets d’Osiris, puis, après avoir fait en outre une prière, et prononcé telles et telles paroles, de remonter au ciel. 8 Mais il ne convient pas, mon enfant, que je laisse ce récit incomplet : il me faut rapporter tout ce que dit Hermès au moment de déposer les livres. Il parla donc ainsi : « O livres sacrés qui furent écrits par mes mains impérissables, vous sur qui, vous ayant joint de la drogue d’immortalité, j’ai tout pouvoir, demeurez, à travers les temps de tout siècle, imputrescibles et incorruptibles, sans que je vous voie ni vous découvre aucun de ceux qui devront parcourir les plaines de cette terre, jusqu’au jour où le ciel vieilli enfantera des organismes dignes de vous, ceux que le créateur a nommés Âmes ». Après s’être ainsi adressé aux livres et avoir fait une prière à ses propres œuvres il pénètre l’enclos sacré dans les zones qui lui appartiennent. 9 Assez longtemps cependant avait duré l’intervalle de l’inactivité et du recèlement ; et la nature, mon enfant, continuait d’être stérile jusqu’à ce que ceux qui d’ores et déjà avaient reçu l’ordre de faire le tour du ciel, s’étant rendus d’eux-mêmes auprès du Dieu Roi de l’univers, lui représentèrent l’inertie des êtres, et qu’il fallait organiser tout l’ensemble des choses, et que cette tâche-là n’appartenait à nul autre qu’à lui : « Nous te supplions », disaient-ils, « considère ce qui actuellement existe et de quoi il y a besoin encore pour l’avenir ». 10 A ces mots le Dieu sourit et il dit « Que la Nature soit ! », et un objet féminin de toute beauté jaillit de sa voix, – ce qu’ayant vu les dieux furent frappés de stupeur, – et le Dieu Premier-Père, l’honora du nom de Nature et lui ordonna d’être féconde. 11 Et voici encore les mots qu’il prononça en fixant du regard l’espace environnant : « Que le ciel soit rempli de toutes choses et l’air ainsi que l’éther ! ». Dieu dit et cela fut. 12 Or après s’être consultée elle-même, Nature connut qu’elle ne devait pas désobéir au commandement de son père, et, 13 s’étant unie à Labeur, elle enfanta une fille, très belle, quelle nomma Invention, et à laquelle Dieu accorda l’être. Ayant séparé ensuite les choses déjà produites, il les remplit de mystères, et à l’Invention, il accorda d’avoir autorité sur eux. 14 Lui même alors, comme il voulait que ne fut plus inerte le monde supérieur, mais qu’il avait décidé de le remplir d’esprits afin que nulle partie de la création ne demeurât dans l’immobilité et l’inactivité, il se mit à faire l’artisan dans ce dessein, usant de substances sacrées pour la production de son œuvre. En effet, ayant pris de son propre fond autant qu’il suffisait de souffle, et l’ayant mêlé à du feu intellectuel, il le brassa avec certaines autres substances inconnues. Puis, ayant opéré l’union des principes, en s’accompagnant de certaines incantations secrètes, il agita bien fortement toute la mixture jusqu’à ce que bouillonnât à la surface du mélange une sorte de matière plus subtile, plus pure et plus transparente que les ingrédients dont elle était née : celle-ci était translucide, et l’ouvrier seul la voyait. 15 Et comme elle ne fondait point à la chaleur, puisqu’elle était tirée du feu, ni davantage ne se refroidissait une fois amenée à son terme puisqu’elle était tirée du souffle, mais possédait la stabilité d’une composition particulière, ayant son type et sa constitution propres, Dieu lui donna le nom heureux d’Animation, s’inspirant du fait qu’elle agissait conformément à ce nom. De ce produit, donc, Dieu fit naître des myriades d’âmes, façonnant pour son dessein avec ordre et mesure, en ouvrier d’expérience et dans la proportion convenable, l’écume issue du mélange lui-même. 16 Elles n’étaient pas nécessairement différentes, mais l’écume qui moussait à la surface après que Dieu eut agité n’était pas partout la même : la première couche était supérieure à la seconde, plus parfaite et plus pure ; la seconde, assez inférieure à la première, était pourtant bien meilleure que la troisième, et ainsi jusqu’à soixante degrés fut complété le nombre total. Seulement Dieu établit par une loi que ces âmes seraient toutes éternelles, puisqu’elles provenaient d’une substance unique, dont lui seul détermine les formes. Il leur assigna séparément des séjours dans les hauteurs de la nature céleste, afin qu’elles fissent tourner le cylindre selon un ordre déterminé et une disposition convenable, et qu’elles réjouissent leur père. 17 Dès lors aussi, dressé sur le piédestal souverainement beau de l’éther, après avoir convoqué les êtres déjà existants : « O âmes », ditil, « beaux enfants de mon souffle et de ma sollicitude, vous que de mes propres mains j’ai aidés à naître, et que désormais je consacre à ce monde qui m’appartient, suivez comme des lois mes ordres que voici, et ne gagnez nul autre lieu que celui qui vous fut attribué par ma sentence. Eh bien donc, si vous vous êtes tenues tranquilles, le ciel vous attend pareillement à nouveau, et le séjour étoilé qui vous a été assigné ainsi que les trônes chargés de vertu ; mais si vous commettez quelque acte de révolte contre mes volontés, je vous le jure par mon souffle sacré, par ce mélange dont je vous ai crées et par ces mains faiseuses d’âmes, je ne serai pas long à vous forger des chaînes et des supplices. » 18 Ayant ainsi parlé, le Dieu, qui est aussi mon maître, après avoir mélangé les deux autres éléments congénères, l’eau et la terre, prononcé pareillement sur eux certaines formules secrètes, puissantes encore, mais non pas semblables aux premières, et après avoir bien agité le mélange et lui avoir insufflé une force de vie, prit l’écume qui flottait semblablement à la surface et qui était devenue de bonne teinte et bien coagulée et en façonna les signe zodiacaux à forme humaine. 19 Quant au résidu du mélange, il l’abandonna aux âmes qui avaient déjà progressé, à ces âmes qui avaient été invitées à entrer dans les séjours des dieux, aux lieux voisins des astres, chez les démons sacrés, disant : « Travaillez mes enfants, produits de mon être : prenez le résidu de mon œuvre, et que chacun de vous fabrique quelque chose qui corresponde à sa nature ; je vous donnerai des modèles. » Ayant repris en main le mélange, 20 il disposa avec ordre et beauté, l’accordant aux mouvements animiques, la parure du zodiaque, plaçant les signes de forme humaine, puis ceux qui suivent, c’est-à-dire des animaux, auxquels il accorda aussi les qualités actives bien connues, et un souffle capable de tout art, générateur de tous les événements de portée universelle qui devaient se succéder à jamais. 21 Et Dieu s’en fut sur la promesse d’attacher aux ouvrages visibles des âmes le souffle invisible et, à chacun, une substance d’homoiogénèse, en telle manière qu’il engendre à son tour d’autres êtres pareils à lui-même, et qu’elles-mêmes ne sont plus dans la nécessité de produire rien d’autre que ce qu’elles ont fabriqué en premier lieu ». 22 « Que firent donc les âmes, ô ma mère ? » Et Isis dit : « Ayant pris ce qui avait été mélangé de la matière, mon fils Horus, d’abord elles cherchaient à le comprendre, elles adoraient la mixture œuvre du Père et se demandaient de quoi elle avait été composée : or cela ne leur était pas facile à connaître. Ensuite, au vrai, de ce qu’elles fussent livrées à cette recherche même, la terreur les gagnait d’encourir la colère du Père, et elles se tournèrent vers l’exécution de ses ordres. 23 Dès lors, de la couche supérieure de la matière, celle qui était extrêmement légère, elles façonnaient la race des oiseaux ; et, le mélange ayant pris entre temps une consistance plus épaisse, elles en tirèrent ensuite la race des quadrupèdes, race qui, assurément est moins légère, et celle des poissons qui a besoin d’un milieu humide pour y nager. Le reste du mélange, froid et pesant, fut employé à former l’espèce des reptiles. 24 Et ces âmes, mon enfant, fières de leurs œuvres, d’ores et déjà s’armaient d’une audace indiscrète et transgressaient les commandements : elles s’écartaient maintenant des limites prescrites. Elles ne cessaient de se mouvoir, considérant comme une mort le fait de demeurer en un même lieu continuellement. 25 Or donc, mon enfant, ainsi que me l’a dit Hermès, ce comportement des âmes n’échappait pas non plus au Dieu seigneur de tout l’univers, et il recherchait pour eux une punition et une chaîne qui leur fut pénible à supporter. Et de fait, il plut au chef et souverain maître de toute chose, de fabriquer l’organisme humain pour la punition des âmes. 26 Alors donc, ayant appelé Hermès près de lui, il parla ainsi : « Ô âme de mon âme, intellect sacré de mon intellect, 27 jusqu’à quand la nature d’en bas me demeurera-t-elle un spectacle affligeant, jusqu’à quand les choses crées resteront-elles inertes et sans louanges ? Allons, amène-moi les dieux du ciel, tous, immédiatement ». Ainsi parla Dieu, selon Hermès, et tous se rendirent à ses ordres. « Regardez la terre, leur dit-il, et toutes les choses d’en bas ». Ceux-ci regardèrent en hâte et aussitôt comprirent ce que voulait le Prince. Et à peine eut-il parlé de la création des hommes qu’ils prenaient conscience 28 de ce que chacun d’eux pouvait donner à ceux qui allaient naître. Le Soleil disait : « Je prodiguerai ma lumière ». La Lune promettait d’illuminer la course qu’elle fait à la suite du Soleil ; elle ajoutait qu’elle avait enfanté d’avance Terreur, Silence, Sommeil et Mémoire, qui devait être sans avantage aux hommes. Kronos rapportait que d’ores et déjà il était devenu père de Justice et de Nécessité. Zeus disait : « En sorte que la race des êtres à venir ne se livre pas entièrement à la guerre, voici que, pour eux déjà, j’ai engendré Fortune, Espérance et Paix ». Arès disait qu’il était déjà père de Lutte, de Colère et de Querelle. Aphrodite déclara sans hésiter : « Pour moi, ô Maître, je leur joindrai Désir, Volupté et Rire, afin que les âmes qui me sont apparentées, qui subissent la condamnation la plus pénible, ne soient pas châtiées davantage ». Dieu se réjouissait, mon enfant, à ces paroles d’Aphrodite. 29 « Quant à moi », dit Hermès, « je ferai don à la nature des hommes de Sagesse, de Tempérance, de Persuasion et de Vérité, et je ne cesserai pas de m’unir à Invention ; bien plus, je donnerai toujours assistance à la vie mortelle des hommes nés sous mes signes (car les signes que m’a attribués le Père et le Créateur sont du moins sensés et intelligents), et cela surtout quand aussi le mouvement des astres qui y transitent se trouve en accord avec la force naturelle d’un chacun ». Grande fut la joie de Dieu, le Maître du monde, quand il eut entendu ces paroles, et il ordonna que la race des hommes vînt au jour. 30 « Quant à moi, dit Hermès, je me demandais de quelle matière il fallait me servir, et j’appelai à mon aide le Monarque. Celui-ci commanda aux âmes de me donner le résidu de la mixture et, l’ayant pris, je le trouvai complètement sec. Alors j’employai pour la mixtion une quantité d’eau bien supérieure au nécessaire de manière à rafraîchir la composition de la matière, en sorte que l’être modelé fût de tout point languissant, faible et impuissant, pour qu’il ne joignit pas à l’avantage de l’intelligence celui encore d’être rempli de force. Je modelai, l’œuvre vint belle, et je me réjouis à la vue de mon ouvrage ; et, d’en bas, j’invitai le Monarque à le contempler. Et lui le vit et se réjouit, et il ordonna que les âmes fussent incorporées. 31 Elles alors, furent saisies d’horreur en apprenant la nouvelle de leur condamnation. » 32 Leurs paroles m’ont frappée. Prête l’oreille, mon fils Horus, car tu entends ici la doctrine secrète, que mon aïeul Kamèphis apprit d’Hermès, le mémorialiste qui relate tous les faits, puis moi de Kamèphis, notre ancêtre à tous, quand il m’admit à l’initiation par le Noir, et toi, maintenant, de ma bouche, 33 fils merveilleux et plein de gloire. Alors que les âmes étaient sur le point d’entrer dans la prison des corps, les unes gémissaient et se lamentaient de la même manière que des bêtes, qui, nées sauvages et libres, auront à vivre dans un malheureux esclavage, arrachées à leur désert familier et cher : elles se battent, se révoltent, refusent obéissance à ceux qui les ont domptées, voire même, si l’occasion s’en présente, les tuent. D’autres âmes poussaient des sifflements aigus à la manière de vieux aspics ; 34 mais une autre, ayant jeté un cri strident et pleuré tout son soûl avant de parler, tournant sans cesse ce qui lui servait d’yeux en haut et en bas : « Ciel », dit-elle, « principe de notre naissance, éther et air, mains et souffle sacré du Dieu souverain, et vous yeux des dieux, astres resplendissants, lumière indéfectible du soleil et de la lune, frères de lait issus de la même origine, vous tous de qui brutalement séparées nous subissons des misères ! Arrachées à ces grandes lumières, ce firmament magnifique, à cette sphère sacrée, et qui plus est à la vie bienheureuse que nous menions avec les dieux, nous allons être ainsi emprisonnées en des demeures ignobles et viles ! 35 Qu’avons-nous donc, malheureuses, commis de si affreux ? Quel crime, qui mérite ces châtiments ? Misérables que nous sommes, que de péchés nous attendent ! Que d’actions il nous faudra commettre sous l’impulsion mauvaise des espérances, pour subvenir aux besoins d’un corps plein d’humeurs et prompt à se dissoudre ! 36 Nos yeux ne distingueront plus les divinités, à peine, à travers ces globes humides, apercevrons-nous en gémissant le ciel notre ancêtre, et par intervalles même nous cesserons de voir. » [« C’est la lumière qui fait voir : les yeux par eux-mêmes ne voient rien » (Orphée, glose insérée par un copiste)]. Malheureuses en effet, nous voilà condamnées. Il ne nous a pas été fait don de la vue, puisque, sans la lumière, nous ne pouvons voir : nous n’avons donc que des fenêtres, et non plus des yeux. Et qu’il nous sera pénible aussi d’entendre les vents nos frères qui soufflent dans l’air, puisque nous ne nous mêlons plus à leur souffle ! La demeure qui nous attend, au lieu de ce monde sublime, c’est l’étroit volume de la poitrine. 37 Mais toi, qui nous chasses et nous fait descendre si bas de si haut, mets un terme à nos peines, Maître, Père, Créateur, si tu es devenu aussi vite indifférent à tes oeuvres, fixe pour nous quelques limites, tiens-nous dignes encore de quelques paroles, fussent-elles brèves, alors que nous pouvons encore voir l’ensemble du monde glorieux ». 38 C’est avec succès, mon fils Horus, que les âmes firent cette prière, car le monarque vint et, ayant pris place sur le trône de la Vérité, il dit en réponse à leur requête : « C’est l’Amour, ô âmes, et la Nécessité qui régneront sur vous, ce seront, après moi, vos maîtres et vos guides. Quant à vous, âmes, soumises à mon sceptre qui ne vieillit point, sachez-le, tant que vous continuez d’être sans péché, vous habiterez les régions du ciel. Mais, s’il en est parmi vous que vienne à toucher un blâme, elles descendront dans des entrailles mortelles. 39 Si vos fautes étaient légères, une fois délivrées du lien périssable de la chair, sans larmes, vous retournerez au ciel votre patrie. Mais si vous vous rendez coupables de commettre de plus grandes fautes, loin d’obtenir la fin qui vous convient une fois sorties des corps, vous ne logerez plus au ciel, ni non plus en des corps humains, mais désormais vous errerez d’un corps d’animal dans un autre ». 40 Ayant ainsi parlé, mon fils Horus, Dieu leur donna le souffle, puis il reprit : « Cependant, ce n’est pas non plus au hasard et à l’aventure que j’ai statué sur les changements de votre état, mais de même que vous changerez en pire si vous commettez quelque action vilaine, de même changerez-vous en mieux si vous prenez une résolution digne de votre origine : car c’est moi- même, et nul autre, qui serai votre témoin et votre juge. Reconnaissez-donc que c’est pour vos fautes antérieures que vous subissez ce châtiment de l’incorporation. 41 Ainsi donc, la diversité de la renaissance consistera pour vous, comme je l’ai dit, en une diversité de corps, et la séparation d’avec le corps sera bienfait et bonheur comme auparavant. Mais si votre conduite est indigne de moi, votre entendement sera aveuglé, en sorte que vous penserez le contraire, et que vous subirez le châtiment comme un bienfait, le passage à un état meilleur comme un déshonneur et une violence. 42 Les plus justes d’entre vous se rapprocheront du divin à chaque transformation, et seront parmi les hommes des rois justes, des philosophes authentiques, des fondateurs et législateurs […], des devins du moins véridiques, d’authentiques herboristes, d’insignes prophètes des dieux, des musiciens doués, des astronomes à l’esprit alerte, des augures perspicaces, des sacrificateurs expérimentés, et toutes autres fonctions excellentes dont vous soyez dignes ; entrant en des volatiles, elles seront des aigles, parce que ceux-ci ne chasseront à grands cris aucun de leurs congénères ni ne se repaîtront de leur chair, bien plus, dans leur voisinage, un animal d’une autre sorte ne sera même pas libre d’en maltraiter un plus faible que lui, car l’aigle, plus soucieux de justice, le poursuivra ; entrant en des quadrupèdes, elles seront des lions, car cet animal est plein de force, il a été doué d’une nature qui d’une certaine manière se passe de sommeil, et, dans un corps mortel, il s’exerce à la nature immortelle : les lions en effet ni ne se fatiguent ni ne dorment ; entrant en des reptiles, elles seront des dragons, car c’est un animal vigoureux, à longue vie, sans malice et de quelque façon ami des hommes : il se laissera apprivoiser, n’aura pas de venin, et, quand il aura vieilli, reprendra une nouvelle jeunesse, comme la race des dieux ; entrant en des poissons, elles seront des dauphins, car ces animaux auront pitié des naufragés en mer : ceux qui respirent encore, ils les transporteront à terre, mais ils ne toucheront absolument jamais aux morts, bien que la race des êtres aquatiques doive être de toutes la plus vorace ». Ayant ainsi parlé, Dieu manifeste sa nature d’Intellect incorruptible. 43 Sur ces entrefaites, mon fils Horus, il s’élève de terre un Esprit tout plein de force, dégagé de toute enveloppe corporelle, puissant en sagesse, il était beau et d’auguste apparence, mais excessivement sauvage et terrifiant. Bien qu’il sût ce sur quoi il interrogeait, dès qu’il eut vu les âmes entrer dans les corps : « De quel nom appelle-t-on ceux-ci, Hermès, secrétaire des dieux ? 44 – Ce sont des hommes, dit Hermès. – C’est une œuvre hardie que d’avoir créé l’Homme, cet être aux yeux indiscrets et à la langue bavarde, à l’ouïe fine pour entendre même ce qui ne le concerne point, à l’odorat subtil, et qui mésusera, jusqu’à tous les excès, de la faculté du toucher pour s’approprier les choses. Est-ce bien lui que tu as décidé, ô Créateur, de laisser libre de tout souci, lui qui, dans son audace, doit contempler les beaux mystères de la nature ? Veux-tu lui permettre de vivre sans chagrin, lui qui portera ses desseins même jusqu’aux limites de la terre ? 45 Les hommes arracheront les racines des plantes et ils examineront les qualités des sucs. Ils scruteront les natures des pierres et ils ouvriront par le milieu ceux des vivants qui n’ont point de raison, que dis-je, ils disséqueront leurs semblables, dans leur désir d’examiner comment ils ont été formés. Ils tendront leurs mains audacieuses jusqu’à la mer et, abattant les forêts qui poussent d’elles-mêmes, ils se transporteront les uns les autres de rivage à rivage jusqu’aux terres qui sont au delà. Ils rechercheront même quelle nature se cache plus au fond des sanctuaires inaccessibles. Ils poursuivront la réalité jusqu’en haut, avides d’apprendre par leurs observations quel est l’ordre établi du mouvement, céleste. C’est encore peu que cela. Oui bien, il ne reste plus rien que le point extrême de la terre : mais de cela même, par leur vouloir, ils iront explorer la nuit totale. 46 Qu’il n’y ait donc plus aucun obstacle pour ces gens-là, mais qu’initiés au bienfait d’une vie sans chagrin, non contraints par l’aiguillon pénible de la peur, ils jouissent dans l’arrogance d’un sort libre d’inquiétude ! Et alors, n’estce pas jusqu’au ciel qu’armés d’une audace indiscrète vont se porter ces malheureux ? Ne vont-ils pas tendre même jusqu’aux astres leurs âmes exemptes de souci ? Apprends-leur, en conséquence, à brûler d’ardeur pour des projets, afin que de l’échec aussi ils aient à redouter la peine, afin qu’ils soient domptés par la morsure du chagrin quand leur attente aura été trompée ! Que désirs, craintes, chagrins, décevants espoirs dupent l’ardeur indiscrète de leurs cœurs ! Que leurs âmes soient consumées par une suite continuelle d’amours, des espérances toujours diverses, des désirs tantôt satisfaits, tantôt déçus, afin que la douceur même du succès les appâte pour l’épreuve douloureuse de malheurs plus complets. Que la fièvre les accable pour que, ayant perdu courage, ils châtient leur concupiscence ! » 47 Tu souffres, mon fils Horus, en écoutant ce langage que reproduit ta mère. N’es-tu pas dans l’étonnement, n’es-tu pas frappé de stupeur, devant ce poids de misère sur la pauvre humanité ? Écoute le plus horrible. 48 Hermès avait du plaisir à entendre ces paroles de Momus (car elles lui avaient été dites sur un ton de familiarité), et il se disposait à faire exactement tout ce que lui avait dit Momus, ajoutant : « Oui bien, Momus, mais la nature du souffle divin qui enveloppe tout ne sera pas inerte : car c’est moi que le Maître de l’univers a désigné comme son intendant et son administrateur. Ainsi donc la déesse aux yeux perçants, Adrastée, sera établie surveillante de l’univers, et, quant à moi, je fabriquerai un instrument mystérieux, lié à une doctrine infaillible et inviolable, auquel toutes les choses terrestres seront soumises, toutes depuis le commencement jusqu’à la destruction finale, et qui sera le lien des choses crées : tout sur la terre obéira à cet instrument ». Ainsi Hermès parla-t-il à Momus, et déjà l’instrument entrait en action. 49 Sur ces entrefaites, quand les âmes eurent été incorporées et que j’eusse obtenu moi-même des éloges pour ce que j’avais fait, 50 le monarque convoqua de nouveau les dieux en assemblée plénière. Ceux-ci vinrent donc, et il leur parla ainsi : « Dieux, vous tous qui avez reçu la nature de chefs du monde, une nature, qui plus est, impérissable, vous qui avez obtenu en partage de régir pour toujours l’éternité immense, vous pour qui toutes les choses du monde ne se fatigueront jamais de se livrer en échange les unes aux autres, jusqu’à quand posséderons-nous cette autorité souveraine sans qu’on la reconnaisse ? Jusqu’à quand tout cela durera-t-il sans être vu par un soleil et une lune ? Allons, que chacun d’entre nous engendre selon ses moyens ! Mettons fin par notre pouvoir à l’inertie prolongée de cette masse ! Qu’il apparaisse à la postérité comme une fable incroyable qu’il ait existé un Chaos ! Commencez les grandes œuvres, moi-même je vous dirigerai ». Il dit, et, aussitôt, dans cette masse compacte encore sombre, il se fit une division dans le sens d’un monde ; 51 en haut apparut le ciel avec tous ses mystères ; secouée encore de tremblements, la terre se coagula sous les feux du soleil, et elle apparut avec tous ses beaux ornements. Car aux yeux de Dieu sont belles même les choses tenues pour laides par les mortels, parce qu’elles ont été faites en vertu des lois divines. Et Dieu se réjouit en voyant que ses œuvres d’ores et déjà étaient en mouvement. 52 Lors donc qu’il eut rempli ses mains, égales en amplitude à l’espace environnant, de tout ce qui existe de par la nature, et qu’il eut serré fortement ses poignées : « Prends, dit-il, ô terre sacrée, prends, toute honorable, toi qui dois devenir un jour la génitrice de toutes choses, et ne parais plus désormais inférieure en quoi que ce soit ». Dieu dit, et, ouvrant les mains, qu’il avait telles qu’il convient à un dieu, il en répandit le contenu dans la fabrique du monde. 53 Or l’Ignorance, au début, régnait absolue. Car, comme les âmes avaient été récemment emprisonnées et qu’elles supportaient mal leur déshonneur, elles cherchaient querelle aux dieux du ciel, et, fermement attachées à la noble origine qu’elles revendiquaient, puisqu’elles étaient issues, elles aussi, du même Créateur, elles se révoltaient, et, se servant comme d’instruments des hommes qui leur restaient, elles les faisaient s’attaquer les uns les autres, et s’opposer et guerroyer ensemble. Et ainsi la force opprimant la faiblesse, les forts brûlaient les faibles et les égorgeaient, et, du haut des temples, ils précipitaient tantôt des vivants, tantôt même des cadavres, 54 jusqu’au jour où les Éléments, saisis de colère, résolurent d’aller se plaindre à Dieu le Monarque, au sujet de la conduite sauvage des hommes. Alors que déjà le mal était devenu très grand, les Éléments se présentèrent devant Dieu qui les avait créés et formulèrent leur accusation en ces termes. 55 Ce fut le Feu qui eut licence de parler le premier : « Maître, dit-il, Artisan de ce monde nouveau, Nom caché au sein des dieux et vénérable jusqu’à ce jour pour tous les hommes, jusqu’à quand, ô Divin, as-tu dessein de laisser sans dieu la vie des mortels ? 56 Révèle-toi désormais, fais quelque réponse au monde et initie à la paix la sauvagerie des mœurs. Confère des lois à la vie humaine, accorde à la nuit des oracles, remplis tout de belles espérances. Que les hommes reculent devant la vengeance divine, et nul ne persévérera dans le mal. S’ils reçoivent le juste salaire de leurs crimes, les autres se garderont d’être injustes, redouteront de violer la sainteté des serments, et il n’y en aura plus même un seul qui médite un sacrilège. Qu’ils apprennent à te rendre grâces pour les bienfaits reçus, pour que, joyeux, je remplisse ma fonction aux libations, moi le Feu, pour que, du foyer des autels, je fasse monter vers toi une fumée odorante. Car l’on me souille, ô Maître, et la témérité impie des hommes que tu as créés me force à réduire en cendres des chairs, ils ne me permettent pas de m’en tenir à ma nature, puisqu’ils altèrent et corrompent ma pureté ». 57 Puis l’Air : « Moi aussi, dit-il, je suis pollué, Maître, et, du fait des exhalaisons des cadavres, je suis pestilentiel et non plus salubre, et j’assiste d’en haut à tout ce qu’on ne devrait pas voir ». 58 L’Eau ensuite, ô mon fils magnanime, eut licence de parler, et elle s’exprima en ces termes : « Père, Créateur admirable de toutes choses, Être incréé, Auteur de la nature qui engendre tout par toi, ordonne maintenant enfin, ô Divin, que le courant des fleuves s’écoule toujours pur ! Car ou bien fleuves et mers lavent de leurs souillures les égorgeurs, ou ils reçoivent les égorgés », 59 La Terre se présenta ensuite, accablée de chagrin, et […], ô mon très glorieux fils, elle commença en ces termes : « Roi, Prytane et Maître des orbes célestes, Chef et Père de ces Éléments que nous sommes ici présents devant toi, nous à partir de qui tous les êtres commencent de croître pour décroître ensuite, nous en qui aussi, de nouveau, ils retournent nécessairement quand ils atteignent le terme imprescriptible, une foule insensée et impie de gens inhumains me recouvre. Sans doute, ai-je assez d’espace pour contenir aussi toute espèce de substance (oui, moi-même, comme tu l’as commandé, non seulement je porte tout, mais je reçois en moi-même ce qui est tué, 60 pourtant, actuellement, je suis déshonorée : alors qu’il est rempli de toutes choses, ton monde terrestre ne possède pas Dieu. Car, comme il n’y a rien que les hommes aient à craindre, ils commettent toutes sortes de crimes et sur mes épaules, Seigneur, ils sont abattus par un art pervers : me voici toute corrompue, inondée du pus des cadavres. 61 Désormais, Seigneur, c’est aussi ceux qui n’en sont pas dignes que je suis forcée de contenir. Je veux contenir, avec tout ce que je porte, Dieu aussi. Accorde à la Terre, sinon ta personne même – car Toi, je n’ai pas l’audace de te contenir –, du moins quelque émanation sacrée de toi-même. Change mon sort, rends la Terre plus glorieuse que les autres Éléments : car, seule des choses qui viennent de toi, il lui convient de s’enorgueillir, puisqu’elle est la pourvoyeuse universelle ». 62 Tels furent les discours des Éléments. Quant à Dieu, ayant rempli, tandis qu’il parlait, tout l’univers de sa voix sainte : « Allez votre chemin, enfants sacrés, dignes d’un puissant père, n’essayez pas d’innover d’aucune façon, ne laissez pas mon univers en sa totalité privé de votre ministère. Car voici que j’envoie d’ores et déjà parmi vous un second effluve de ma nature, qui veillera avec scrupule sur toutes les actions humaines, juge qu’on ne peut décevoir pour les vivants, despote absolu des morts, vengeur terrible de leurs crimes : et chacun des hommes recevra le salaire qu’il mérite ». 63 C’est ainsi que, sur l’ordre du Souverain, les Éléments mirent fin à leur requête, ils gardaient le silence ; et chacun d’eux commandait dans son royaume et il y régnait en maître ». 64 Et, sur cela, Horus dit : « Ô Mère, comment donc la Terre eut-elle l’heureuse fortune de recevoir l’effluve de Dieu ? » Et Isis répondit : « Je refuse de rapporter cette naissance, car il n’est pas permis de décrire l’origine de ta race, ô très puissant Horus, de peur que les hommes n’en viennent à connaître, à l’avenir, la génération des dieux immortels. Je ne puis dire que ceci : le Dieu Monarque, l’Ordonnateur et l’Artisan de l’univers, lui accorda […] pour un temps le très grand Osiris ton père, et la très grande déesse Isis, pour qu’au monde qui manquait de tout ils vinssent porter secours. 65 Ce sont eux qui ont rempli de ressources la vie humaine. Ce sont eux qui ont mis un terme à la sauvagerie des meurtres réciproques. Ce sont eux qui ont consacré aux dieux ancêtres des temples et des sacrifices. Ce sont eux qui ont donné aux mortels des lois, des aliments, un toit. 66 « Ce sont eux, a dit Hermès, qui connaissant à fond tous les secrets de mes écrits, en feront le discernement ; les uns ils les garderont, les autres qui peuvent être utiles aux mortels, ils les graveront sur des stèles et des obélisques ». 67 Ce sont eux qui les premiers, ayant fait connaître les tribunaux, ont rempli le monde d’équité et de justice. Ce sont eux qui, premiers auteurs du contrat solennel et de la bonne foi, ont introduit dans la vie humaine la religion du Serment. Ce sont eux qui ont appris à ensevelir comme il convient ceux qui ont cessé de vivre. Ce sont eux qui, ayant examiné le phénomène cruel de la mort, ont reconnu que, le souffle qui vient de l’extérieur étant sujet à retourner périodiquement dans les corps des hommes, s’il vient à tarder jamais, il produit un évanouissement qui ne comporte pas de rétablissement. Ce sont eux qui, ayant appris d’Hermès que l’atmosphère est remplie de démons, l’ont gravé sur des stèles cachées. 68 Ce sont eux seuls qui, instruits par Hermès des secrètes ordonnances de Dieu, se sont faits pour l’humanité les initiateurs et législateurs des arts, des sciences et des occupations de toute sorte. Ce sont eux qui, ayant appris d’Hermès que les choses d’en bas ont reçu du Créateur l’ordre d’être en sympathie avec celles d’en haut, ont institué sur la terre les représentations religieuses des mystères célestes. Ce sont eux qui, ayant reconnu la corruptibilité des corps, ont créé l’initiation prophétique, en sorte que le prophète destiné à élever ses mains vers les dieux fut instruit sur toutes choses, afin que philosophie et magie nourrissent l’âme, et que la médecine guérît les souffrances du corps. 69 Après avoir accompli tout cela, mon enfant, Osiris et moi, comme nous voyions le monde parfaitement comblé, nous fûmes réclamés désormais par les habitants du ciel. Mais il ne nous était pas possible d’y retourner avant d’avoir invoqué le Monarque, afin que l’espace fût tout rempli de cette contemplation, et que nous fussions favorisés d’un bon accueil dans notre remontée : car Dieu en effet aime les hymnes ». 70 « Mère, dit Horus, accorde-moi, à moi aussi, de connaître cet hymne, afin que je ne sois pas un ignorant ». Et Isis répondit : « Ecoute, fils ».
II
1 « Mais toi, fils magnanime, si tu veux savoir autre chose, interroge-moi ». Et Horus dit : « Ô Mère très honorée, je veux savoir comment se produisent les âmes royales ». Et Isis répondit : « Voici à peu près, mon fils Horus, comment se fait la distinction en ce qui concerne les âmes royales. Puisqu’il y a, dans le Tout, quatre lieux, qui sont soumis à une loi et à une autorité inviolables, le ciel, l’éther, l’air, et la terre très sainte, en haut dans le ciel, mon enfant, habitent les dieux, à qui commande, comme à tous les autres êtres, le Créateur de l’univers ; dans l’éther habitent les astres, auxquels commande le grand luminaire du Soleil ; dans l’air habitent les âmes démoniques, à qui commande la Lune ; sur la terre habitent les hommes et les autres animaux, auxquels commande celui qui dans son temps est né roi. Car les dieux, mon enfant, engendrent des rois qui sont dignes d’être leur descendance sur la terre. 2 Les chefs sont des émanations du Roi, et le chef qui en approche davantage est aussi plus royal que les autres. En effet le Soleil, dès lors qu’il est plus près de Dieu, est aussi plus grand et plus puissant que la Lune : la Lune vient en second après lui et selon le rang et selon la puissance. 3 Quant au roi, il est le dernier d’entre les dieux en général, mais il est le premier des hommes. Tant qu’il est sur la terre, il ne jouit pas d’une divinité véritable, mais il a quelque chose d’exceptionnel qui le distingue des hommes et le rapproche de Dieu. Car l’âme qui est précipitée en lui vient de cette région supérieure à celles d’où descendent les âmes qui sont précipitées dans les autres hommes. 4 Or les âmes destinées à régner sont précipitées de là-haut pour deux raisons, mon enfant : celles qui ont vécu noblement, d’une manière irréprochable, et qui sont près de recevoir l’apothéose, sont préparées par l’usage de la royauté, à exercer elles aussi l’autorité qui appartient aux dieux, et celles qui, déjà divines, n’ont que légèrement transgressé la règle inspirée, par Dieu, afin que, tout en endurant un châtiment du fait de l’incorporation, elles ne subissent, à cause de leur haut rang et de leur nature, rien de semblable aux autres hommes une fois qu’elles ont été incarnées, mais conservent, même enchaînées, ce qu’elles possédaient lorsqu’elles étaient libres. 5 Maintenant, quant au caractère, la différence entre les rois ne résulte pas d’une distinction propre à l’âme même, car toutes les âmes royales sont divines, mais de la diversité des anges et des démons qui lui ont fait escorte dans son établissement. Car les âmes d’une telle qualité et qui descendent sur la terre, pour un tel office n’y descendent pas sans cortège et sans gardes du corps. La Justice d’en haut sait en effet départir à chacune le rang qui lui est dû, même si ces âmes sont éloignées du séjour de béatitude. 6 Quand donc, mon fils Horus, les anges et démons qui conduisent l’âme en bas sont belliqueux, l’âme prend leur caractère et oublie le sien propre, ou plutôt le laisse de côté jusqu’à un nouveau changement de condition. Quand ils sont pacifiques, alors l’âme aussi suit sa propre course en paix ; s’ils se plaisent à rendre la justice, alors elle aussi fait office de juge ; s’ils sont musiciens, alors elle aussi chante ; s’ils aiment la vérité, alors elle aussi s’adonne à la philosophie. De fait, c’est presque une nécessité que ces âmes s’approprient la manière d’être de ceux qui les amènent sur la terre : car, si tombant dans l’humanité, elles ont oublié leur propre nature et cela d’autant plus qu’elles s’en sont éloignées davantage, en revanche elles se souviennent de la manière d’être de ceux qui les ont enfermées. » 7 « Tu m’as bien tout expliqué, ô Mère, dit Horus, mais tu ne m’as pas montré encore comment se produisent les âmes nobles. » – « De même que sur la terre, mon fils Horus, il y a différentes sortes de rues, ainsi en va-til dans le cas des âmes. Elles aussi en effet, c’est à partir de lieux différents qu’elles prennent leur essor, et celle qui est issue d’un lieu plus glorieux est plus noble que celle qui n’avait pas ce privilège. De même que, parmi les hommes, celui qui est libre est tenu pour plus noble que l’esclave (car ce qui est supérieur et royal tient nécessairement en esclavage ce qui est inférieur), de même, mon enfant, . » 8 « se produisent les âmes masculines et les féminines ? » – « Les âmes, mon fils Horus, sont toutes de même nature puisqu’elles proviennent d’un seul et même pays, où le Créateur les modèle, et elles ne sont ni masculines ni féminines. Car pareille condition ne vaut que pour des corps, non pour des incorporels. 9 Quant à la différence qui rend certaines âmes plutôt colériques, d’autres faciles à manier, elle tient, mon fils Horus, à l’air, dans lequel toutes choses naissent. Or l’air de l’âme, c’est le corps même dont elle est enveloppée, et qui est une combinaison des éléments, terre, eau, air et feu. Puis donc que, dans la composition des femelles, il y a prédominance de l’humide et du froid, déficience du sec et du chaud, il en résulte que l’âme emprisonnée dans un ouvrage ainsi modelé devient pénétrée d’humidité et toute molle, de même que, chez les mâles, on peut constater qu’il se produit tout l’opposé. Chez ceux-ci en effet, il y a prédominance du sec et du chaud, déficience du froid et de l’humide : pour cette raison les âmes sises en de tels corps sont rudes et plus laborieuses ». 10 « Comment se produisent les âmes intelligentes, ô Mère ? » Et Isis répondit : « Le sens de la vue, mon enfant, est enveloppé de membranes. Quand ces membranes sont compactes et épaisses, l’œil a une vision affaiblie ; mais si elles sont de tissu lâche et fin, alors on jouit d’une vue très perçante. Il en va de même avec l’âme. Car l’âme aussi a ses enveloppes à elle, incorporelles, puisqu’elle est elle-même incorporelle. Ces enveloppes sont les couches d’air qui sont en nous. Quand ces couches sont fines, lâches et translucides, alors l’âme est intelligente ; quand au contraire elles sont serrées, épaisses et brouillées, alors, comme par un mauvais temps, l’âme ne peut voir au loin, mais seulement ce qui est à ses pieds ». 11 Et Horus dit : « Pourquoi donc, ô Mère, les hommes qui habitent en dehors de notre très saint pays ont-ils l’esprit moins ouvert que nos compatriotes ? » Et Isis répondit : « La terre, au centre du Tout, est comme un homme couché sur le dos regardant le ciel : ses différentes parties correspondent aux membres du corps humain. Elle tourne ses regards vers le ciel, comme vers son père, afin de suivre dans ses changements les changements du ciel. Elle a la tête située vers le Sud de l’univers, l’épaule droite vers l’Est, , les pieds sous l’Ourse, , le gauche sous la tête de l’Ourse, les cuisses dans les régions qui viennent après l’Ourse, le milieu du corps vers le milieu du ciel. 12 Preuve en est que ceux des hommes qui vivent au Midi et qui habitent sur la tête de la terre ont le haut de la tête bien développé et de beaux cheveux ; les Orientaux ont les mains hardies à la lutte et sont de bons archers, car ces qualités sont le fait de la main droite ; les Occidentaux sont assurés contre le danger en tant que le plus souvent ils combattent de la main gauche et tous les effets que produisent les autres en se portant sur la droite, ils les produisent en se portant sur la gauche ; ceux qui vivent sous l’Ourse sont […] quant aux pieds et ont par ailleurs la jambe bien faite ; ceux qui habitent un peu plus loin, dans les climats de l’Italie et la Grèce, sont remarquables par la beauté de leurs reins et de leurs cuisses, et de là vient aussi la tendance qu’ils ont à préférer les mâles. 13 Or, comme tous ces membres, comparés aux autres, sont paresseux, ils rendent aussi plus paresseux les hommes qui les habitent. Puisque, en revanche, c’est au milieu de la terre qu’est situé le très saint pays de nos ancêtres, que le milieu du corps humain est le sanctuaire du cœur seul, dans le cœur réside l’âme, pour cette raison, mon enfant, les hommes dans ce pays-là, non moins bien pourvus que les autres quant au reste, sont, d’une manière exceptionnelle, plus intelligents et sages que tous les autres, parce qu’ils sont nés et qu’ils ont été élevés à la place du cœur. 14 D’ailleurs, mon fils, le Sud rend flasque, car il reçoit les nuages qui naissent, par condensation, de l’atmosphère (et c’est de cette région, dit-on, que notre fleuve coule quand les frimas y fondent), et là où s’est abattu un nuage, il a enveloppé de brumes l’air qui recouvre la terre et en quelque façon l’a chargé de fumée ; or fumée ou brume est un empêchement non seulement pour la vue, mais pour l’intellect. L’Est, très glorieux Horus, étant troublé et surchauffé par le lever du soleil qui se fait à proximité immédiate, et pareillement l’Ouest, qui lui est opposite, étant affecté de la même manière au coucher du soleil, sont cause qu’il n’y a aucune observation pure chez les hommes nés dans leurs parages. Le Nord, par le froid correspondant à sa nature, congèle non seulement les corps, mais l’intellect de ceux qui y habitent. 15 En revanche le pays du milieu, étant pur et sans trouble, l’emporte par lui-même et par tout ce qui est en lui : grâce à sa constante sérénité il engendre, embellit, éduque ; il n’entre en rivalité que pour la prééminence en de telles qualités, il y triomphe, comme un bon satrape, va jusqu’à faire partager les fruits de sa victoire à ceux qu’il a vaincus ». 16 « Explique-moi ceci encore, Madame ma Mère. D’où vient que, dans les longues maladies, bien que l’homme continue de vivre, et la parole, et le raisonnement lui-même, que dis-je, l’âme elle-même parfois subissent une altération ? ». Et Isis répondit : « Parmi les êtres vivants, mon fils, les uns ont affinité avec le feu, d’autres avec l’eau d’autres avec l’air, d’autres avec la terre, d’autres avec deux ou trois de ces éléments, d’autres même avec tout l’ensemble. A l’inverse, les uns ont de l’aversion pour le feu, d’autres pour l’eau, d’autres pour la terre, d’autres pour l’air, d’autres pour deux de ces éléments, d’autres pour trois, d’autres pour tout l’ensemble. 17 Ainsi la sauterelle, mon enfant, et toute espèce de mouche fuit le feu ; l’aigle, l’épervier, et tous les oiseaux de haut vol fuient l’eau ; les poissons craignent l’air et la terre ; le serpent se détourne de l’ai pur. Par contre les serpents et tout ce qui rampe aiment la terre ; aiment l’eau tous les animaux nageurs ; les volatiles aiment l’air, et y passent leur vie. Il y a même certains animaux qui se plaisent dans le feu, ainsi les salamandres, qui y habitent. 18 Chacun des éléments est le vêtement des corps. Toute âme donc, tant qu’elle est dans le corps, est appesantie et enchaînée par ces quatre éléments : Selon toute apparence, alors qu’elle a du goût pour certains d’entre eux, elle se sent opprimée par d’autres. De là vient donc qu’elle ne jouit pas de sa plus haute béatitude : mais, comme elle est divine par nature, même quand elle se trouve dans les éléments, elle lutte et pense, non pas toutefois autant qu’elle le ferait si elle était dégagée de corps. Cependant, si le corps est troublé et bouleversé par la maladie ou la frayeur, alors l’âme, elle aussi, est ballottée comme un homme au milieu des flots ».
III
1 « C’est de façon admirable, dit Horus, que tu m’as exposé en détail, ô puissante mère Isis, l’admirable création des âmes par Dieu, et mon admiration n’a point de cesse ; mais tu ne m’as pas encore rapporté où vont les âmes, une fois délivrées des corps. Je veux donc, devenu le myste de cette doctrine aussi, en rendre grâces à toi seule, Mère immortelle ». 2 Et Isis dit : « Prête l’oreille, enfant : c’est là en effet une recherche de la plus grande nécessité. 3 Eh bien, car telle va être la teneur de mon discours, ce qui a consistance et n’est pas anéanti occupe un lieu. Il n’est pas vrai, en effet, fils admirable, puissant rejeton du puissant Osiris ton père, que les âmes, quand elles sont sorties des corps, vont pêle-mêle et d’un même élan s’épancher dans l’air et se disperser parmi le reste du souffle infini, sans pouvoir ensuite revenir dans les corps en restant les mêmes, ni non plus de retourner au lieu d’où elles étaient venues d’abord, ainsi que l’eau prise d’un vase ne peut plus ensuite retrouver le lieu qu’elle occupait, même si on la reverse aussitôt après, elle ne reprend pas sa propre place, mais va se mêler à toute la masse du liquide. 4 Non, il n’en va pas de la sorte, magnanime Horus, mais, puisque je me trouve être initiée moi-même aux mystères de la nature immortelle, et que j’ai fait route à travers la plaine de la Vérité, je t’exposerai d’un bout à l’autre tout le détail de la nature des choses, après t’avoir marqué d’abord ce point, que l’eau est un corps irraisonnable, formé par compression, jusqu’à l’état fluide, d’une multitude de particules, tandis que l’âme est une chose qui a sa nature propre, enfant, une chose royale, œuvre des mains et de l’intelligence de Dieu, et qui d’elle- même, guidée par ses seules lumières, se porte vers l’intelligence. Or ce qui est constitué d’une substance unique et ne comporte pas d’élément étranger ne peut se mélanger à une chose différente. D’où il faut conclure aussi que l’union de l’âme et du corps est un coajustement résultant d’une compulsion divine. 5 Que d’autre part les âmes ni ne retournent confusément en un seul et même lieu, ni ne se dispersent au hasard et comme cela se trouve, mais que chacune est renvoyée à sa région propre, cela résulte aussi à l’évidence de ce qui arrive à l’âme quand elle est encore dans le corps et le moule charnel, alors qu’elle s’est alourdie d’une épaisseur contraire à sa nature. 6 Allons, prends garde, bien aimé Horus, à la comparaison qu’on répète. Oui, suppose qu’on ait enfermé dans un seul et même lieu de détention des hommes, des aigles, des colombes, des cygnes, des faucons, des hirondelles, des moineaux, des mouches, des serpents, des lions, des léopards, des loups, des chiens, des lièvres, des bœufs, des moutons, et quelques-uns des animaux appartenant au genre ambigu, tels les phoques, les serpents d’eau, les tortues et les crocodiles de chez nous, et qu’ensuite, d’un seul coup, enfant, on les ait mis en liberté hors de la prison : 7 ne vont-ils pas se tourner, à coup sûr, l’homme vers des places publiques et des maisons, l’aigle vers l’éther où aussi bien c’est sa nature de faire son séjour, les colombes vers l’air proche de la terre, les faucons plus haut que les colombes ? Et les hirondelles n’iront-elles pas aux lieux habités par les hommes, les moineaux à l’entour des arbres fruitiers, les cygnes là où il leur est possible de chanter, les mouches à proximité de la terre même, ne s’en éloignant qu’autant qu’elles peuvent monter avec l’odeur humaine (car la mouche, mon enfant, est particulièrement friande de l’homme et elle aime à voler à terre), les lions et les léopards vers les montagnes, les loups vers les lieux déserts, le chien sur la piste de l’homme, les lièvres vers les fourrés, les bœufs vers les étables et les prés, et vers les pâturages les moutons, les serpents vers les cavernes de la terre, les phoques, les tortues ainsi que les animaux de même sorte vers les ronds et les eaux courantes, afin de n’être ni privés de terre ferme ni abandonnés par l’eau, leur élément congénial, chaque être étant ramené par son discernement intérieur au séjour qui lui convient ? 8 Ainsi chaque âme, qu’elle soit incarnée dans un homme ou qu’elle habite la terre sous une autre forme, sait où il lui faut aller, à moins que quelques fils de Typhon ne vienne nous déclarer, enfant, qu’un taureau peut passer sa vie au fond de la mer ou une tortue dans l’air. S’il en va donc ainsi des âmes, que, même immergées dans la chair et le sang, elles ne s’écartent pas de la règle bien qu’elles subissent un châtiment (car c’est un châtiment pour elles que l’incorporation), combien s’y conformeront-elles davantage de ce châtiment de l’immersion et qu’elles auront retrouvé la liberté ! 9 Voici d’autre part quelle est l’ordonnance très sacrée. Jette maintenant enfin les yeux là-haut, fils d’une très illustre race, vois les arrangements des âmes. Ce qui s’étend du sommet du ciel à la lune est réservé aux dieux, aux astres, et à la Providence, en général ; ce qui s’étend depuis la lune, mon enfant, jusqu’à nous est l’habitacle des âmes. 10 Maintenant, cette vaste étendue de l’air a en elle-même une issue, que nous avons coutume de nommer vent, un espace propre dans lequel l’air se meut pour le rafraîchissement des choses terrestres, comme je le montrerai plus loin. Toutefois ce mouvement de l’air sur lui-même ne devient d’aucune façon une gêne pour les âmes ; car, tandis qu’il se meut, il est loisible aux âmes de s’élancer vers le haut et vers le bas, comme cela se trouve, sans aucun obstacle. Elles coulent en effet à travers lui sans s’y mêler ni s’y coller, comme l’eau à travers l’huile 11 Cet espace, mon fils Horus, comporte quatre divisions générales et soixante régions particulières. Des quatre divisions celle qui s’élève à partir du sol comporte quatre régions, en ce sens que la terre s’étend jusqu’à certaines hauteurs et certains sommets, et qu’elle s’arrête à ce point : car ce n’est pas sa nature d’atteindre une altitude qui dépasse ces sommets. La division à partir de celle-ci comporte huit régions, dans lesquelles se produisent les mouvements des vents (prête l’oreille, mon fils, car tu entends ici les mystères ineffables de la terre, du ciel, et de tout le fluide sacré intermédiaire) ; or là où il y a mouvement du vent, il y a aussi vol des oiseaux : car, au delà de cette région, l’air ne se meut plus et il ne porte plus d’être vivant. Quoi qu’il en soit, tel est le pouvoir que cet air a reçu de la nature, en sorte qu’il circule, lui et les animaux qu’il contient, et dans les huit régions qui lui sont propres et dans les quatre de la terre, alors que la terre ne peut s’élever jusqu’aux huit régions de l’air. 12 La troisième division comporte seize régions, et elle est remplie d’un air subtil et pur. La quatrième comporte trente-deux régions, dans lesquelles l’air est le plus subtil, absolument sans mélange, transparent, formant à sa limite supérieure la frontière des cieux d’en haut, qui sont ignés par nature. 13 Telle est l’ordonnance établie en ligne droite du haut en bas, les parties étant non cohérentes par nature en sorte qu’il y a quatre divisions générales, douze spatiales, soixante régions. Dans ces régions, qui sont soixante en nombre, habitent les âmes, chacune suivant la nature qui lui est propre, et elles ont toutes une seule et même constitution, mais non plus même dignité. En effet, plus chacune de ces régions dépasse l’autre par son éloignement de la terre, plus aussi les âmes qui y sont logées : l’une surpasse l’autre en excellence, mon enfant, et la région et l’âme. 14 Quelles âmes donc s’en vont dans l’une ou l’autre de ces deux directions, je vais, glorieux Horus, reprenant à nouveau mon exposé à partir de ce point, te l’expliquer dans l’ordre, en commençant par le haut jusqu’aux lieux proches de la terre. »
IV
1 « L’espace compris entre la terre et le ciel a été partagé en régions, mon fils Horus, avec mesure et juste proportion. Ces régions sont appelées par nos ancêtres soit zones, soit firmaments, soit aussi replis. C’est là que vont et viennent et les âmes délivrées des corps et celles qui n’ont pas encore été incarnées. Chacune de ces âmes, enfant, occupe une région selon son mérite : ainsi les âmes divines et royales habitent dans la région la plus haute, les âmes les plus basses en dignité et toutes celles qui sont courbées vers la terre, dans la région la plus basse ; les âmes moyennes, dans la région moyenne. 2 Eh bien donc, mon fils Horus, les âmes envoyées ici-bas pour régner descendent des zones les plus hautes, et, une fois délivrées, c’est aussi dans ces mêmes zones qu’elles retournent, ou même plus haut encore, sauf celles qui ont pu commettre quelque action contraire à la dignité de leur nature et au précepte de la loi divine : dans ce cas, la Providence d’en haut les exile dans les régions inférieures selon la mesure de leurs fautes, de même qu’elle fait monter de régions plus basses à de plus nobles et plus hautes les âmes moindres en puissance et en dignité lorsqu’elles ont progressé. 3 Car il y a là-haut les gardes du corps, deux en nombre, de la Providence universelle : l’un est le contrôleur des âmes, l’autre leur conducteur ; le contrôleur des âmes veille sur les âmes non encore incarnées, et le psychopompe envoie les âmes dans les corps en les distribuant selon leur classe. C’est en conformité au décret de Dieu que l’un surveille et que l’autre fait descendre les âmes. 4 En raison donc de ce plan, mon fils, la Nature, sur la terre aussi, correspond à la variété des choses en haut. Car, comme elle modèle et façonne les corps, elle varie le réceptacle dans lequel sont jetées les âmes. Elle aussi est assistée de deux forces, la mémoire et l’expérience : la mémoire a pour tâche de faire en sorte que la Nature conserve et maintienne chacun des types établis dès l’origine là-haut, l’expérience de faire en sorte que, pour chacune des âmes qui descendent afin d’être incarnées, le corps aussi ait été proportionné, pour les âmes vives des corps vifs, pour les âmes lentes des corps lents, pour les âmes actives des corps actifs, pour les âmes paresseuses des corps paresseux, pour les âmes fortes des corps forts, pour les âmes rusées des corps aux allures furtives, en un mot pour chaque âme selon ce qui lui convient. 5 Ce n’est pas sans dessein en effet que la Nature a couvert de plumes les volatiles, qu’elle a pourvu les êtres raisonnables de sens supérieurs et plus exacts, qu’elle a fortifié les quadrupèdes au moyen soit de cornes, soit de dents, soit de griffes ou de sabots, qu’elle a amolli les rampants en leur donnant un corps qui coule et glisse entre les doigts et, de peur que l’humidité de leur corps ne les rendît trop faibles, qu’elle a tantôt protégé leurs gueules par une palissade de dents, tantôt couvert tout le pourtour de leur corps d’une armure défensive de piquants. C’est ainsi que certains des animaux, s’étant précautionnés contre la mort, sont plus forts que les autres. Quant aux nageurs, comme ils sont timides, la Nature leur a donné d’habiter un élément où la lumière ne peut exercer ni l’une ni l’autre de ses activités (dans l’eau en effet, le feu ni ne brille, ni ne brûle) ; et chacun d’eux, grâce soit à des écailles, soit à des piquants, peut dans l’eau s’enfuir à la nage par où il lui plaît, protégé par sa propre timidité, et ayant l’eau pour couverture contre la vue. 6 C’est en effet en tel ou tel de ces corps que, selon la ressemblance qu’elles ont avec lui, sont enfermées les âmes, en sorte que dans des êtres humains entrent les âmes douées de jugement, dans des volatiles celles qui fuient la société humaine, dans des quadrupèdes celles qui n’ont point de jugement (car leur loi à elles, c’est la force), dans des reptiles les rusées (car aucun des reptiles n’attaque les hommes en face, mais c’est après s’être placé en embuscade qu’il les frappe à mort), dans des nageurs les timides et tout ce qui ne mérite pas de jouir des autres éléments. 7 Cependant il arrive aussi que, en chaque espèce, on voie un animal ne point agir selon sa propre nature. » – « Comment cela encore, ô Mère ? », dit Horus. Et Isis répondit : « C’est, pour un homme, enfant, passer par-dessus sa faculté de jugement, pour un quadrupède, se soustraire à la contrainte, pour un reptile, perdre sa ruse, pour un nageur, surmonter sa timidité, pour un volatile, abandonner sa répugnance à l’égard des hommes. Mais en voilà assez sur la disposition des choses d’en haut, sur la descente des âmes ici-bas et sur la fabrication des corps. 8 Maintenant, mon enfant, il arrive que, dans chaque espèce et dans chaque race des êtres susdits on trouve de certaines âmes royales, et qu’il en descende aussi tantôt d’une sorte, tantôt d’une autre, les unes toutes de feu, les autres froides, les unes arrogantes, les autres douces, les unes faites pour la liberté, les autres pour le métier d’ouvrier, les unes expérimentées, les autres sans expérience, les unes paresseuses, les autres actives, et d’autres qui diffèrent tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Or ces différences résultent du niveau relatif des lieux d’où les âmes descendent pour être incorporées. Certaines âmes en effet descendent depuis la zone royale, car c’est l’âme homogène à ce lieu d’origine qui a fonction de régner. 9 Or il y a bien des sortes de royautés, celles des âmes, celles des corps, celles de l’art, celles de la science, celles encore de ceci et de cela ». – « Qu’est-ce là encore ? » dit Horus. – « Par exemple, mon fils Horus, le roi des âmes qui ont existé jusqu’ici est Osiris, ton père ; le roi des corps est le chef de chaque nation ; le roi de la sagesse est le père et initiateur en toutes choses, Hermès Trismégiste, le roi de la médecine est Asclépios, fils d’Héphaïstos ; le roi de la vigueur et de la force est de nouveau Osiris, après lequel, mon enfant, c’est toi-même ; le roi de la philosophie est Arnébeskènis ; le roi de la création littéraire est de nouveau Asclépios Imouthès. D’une manière générale, mon enfant, tu trouveras, à l’examen, qu’il y a beaucoup de chefs et en bien des domaines, beaucoup de rois régnant en beaucoup de royaumes. 10 Mais celui qui a autorité sur tous, enfant, vient de la région supérieure, et celui qui a autorité sur telle ou telle partie a reçu ce rang selon le lieu d’où il vient : ceux qui ont eu en partage une zone royale ont un rang plus royal ; 11 ceux qui viennent d’une zone ignée deviennent des artisans du feu et de la nourriture ; ceux qui viennent d’une zone humide passent leur vie sur l’eau, ceux qui viennent d’une zone capable de science et d’art s’adonnent aux sciences et aux arts ; ceux qui viennent d’une zone paresseuse passent leur vie dans la paresse et une vaine agitation. Car de toutes les choses produites ici-bas, mon enfant, par parole ou par action les sources sont là-haut, lesquelles, avec mesure et juste poids, répandent sur nous la substance du réel, et rien n’existe qui ne soit descendu de là-haut 12 et qui n’y remonte à nouveau pour en redescendre. » – « Que dis-tu là encore, ô Mère ? Explique-toi ! » Et Isis répondit : « De ce mouvement de retour, la Nature très sainte a mis dans les êtres vivants un signe manifeste que voici : le souffle que nous tirons de làhaut, l’empruntant à l’air, de nouveau nous l’envoyons en haut pour le reprendre encore ; or, mon enfant, pour opérer ce travail, il y a en nous des soufflets : quand ceux-ci ont fermé leurs bouches destinées à recevoir le souffle, alors nous ne sommes plus ici-bas, nous sommes remontés là-haut. 13 D’autres qualités s’ajoutent encore à nous, ô fils très glorieux, par suite du dosage relatif des éléments dans la mixture corporelle. » – Qu’est-ce donc, dit Horus, que cette mixture ô Mère ? – C’est un assemblage et un mélange des quatre éléments, duquel mélange et assemblage s’exhale une certaine vapeur, qui d’une part enveloppe l’âme et d’autre part se répand à travers le corps, communiquant à l’une et à l’autre, c’est-à-dire au corps et à l’âme, quelque chose de sa qualité particulière ; et c’est ainsi que se produisent les différences dans les modifications psychiques et corporelles. 14 Si en effet, dans la charpente corporelle, il y a eu surabondance de feu, alors l’âme, qui est déjà naturellement chaude, et qui est devenue plus brûlante encore, par le surcroît de chaleur qu’elle a acquis, rend l’être vivant plutôt actif et fougueux, et le corps vif et alerte. 15 S’il y a eu surabondance d’air, alors l’être vivant devient léger, bondissant, instable de corps et d’âme. 16 S’il y a eu surabondance d’eau, alors 1’être vivant, quant à l’âme, devient bien coulant, prompt à croître et à se répandre à l’entour, avec une ample capacité à se jeter, au devant des autres et à s’y tenir attaché, à cause de la faculté qu’a l’eau de s’unir et de s’associer aux autres choses : car elle étend sa nappe sur toutes choses, et, quand elle est abondante, elle les dissout en elle-même en les enveloppant, quand elle est en petite quantité et s’est enfoncée dans l’objet, elle devient cela même à quoi elle s’est mêlée. Un corps amolli par trop d’humidité offre peu de résistance, une légère maladie le dissout et en relâche peu à peu le lien. 17 S’il y a eu surabondance de l’élément terreux, alors l’âme de l’être vivant devient obtuse, parce que, les organes des sens s’étant épaissis, elle ne trouve pas les pores du corps bien dégagés et n’a pas d’ouverture à travers laquelle se faire jour. Elle demeure au dedans du corps isolée en elle-même, entravée par le poids et la densité de la masse ; quant au corps, il est ferme sans doute, mais inerte et pesant, et ne se déplace que contre son gré sous l’impulsion du vouloir. 18 Si enfin la condition de tous les éléments dans le corps a été bien proportionnée, alors l’être vivant est équipé de manière à être chaud quant à l’action, léger quant au mouvement, bien tempéré quant à la jointure des membres, ferme quant à la cohésion. 19 Dès lors, en raison de ce plan, tous les êtres qui ont reçu en partage une plus grande quantité de feu et d’air sont devenus oiseaux, et ils élisent domicile en haut, près des éléments mêmes d’où ils sont sortis. 20 Ceux qui ont reçu beaucoup de feu, peu d’air, une égale quantité d’eau et de terre, sont devenus hommes ; et, dans cet être vivant, l’excès de chaud s’est converti en intelligence : en effet l’intellect en nous est une sorte de feu, qui ne peut consumer, mais qui s’insinue en tout et qui préside sur tout. 21 Ceux qui ont reçu beaucoup d’eau, beaucoup de terre, une quantité moyenne d’air, et enfin peu de feu, sont devenus quadrupèdes ; ceux qui ont le plus de feu étant plus pugnaces que les autres. 22 Ceux qui ont reçu une part égale de terre et d’eau sont devenus reptiles ; privés de feu, ils manquent d’audace et ne sont pas francs d’allure ; la part qu’ils ont reçue d’eau les a rendus froids, celle de terre lourds et engourdis, celle d’air agiles, quand ils ont décidé de se mouvoir. 23 Ceux qui ont reçu beaucoup d’humide, peu de sec, sont devenus poissons ; privés de chaud et d’air, ils sont timides eux aussi ; l’excès de l’humide et la présence en eux de l’élément terreux les font habiter dans un mélange de terre dissoute et d’eau à cause de leur affinité avec ces éléments. 24 En outre, l’accroissement proportionnel des éléments qui composent les corps amène ceux-ci à croître, et quand la mesure est atteinte, leur développement s’arrête. 25 Et voici encore, mon enfant bien aimé, ce que je dis : tant que le mélange qui s’est formé d’une telle combinaison des éléments selon leur assemblage originel et que la vapeur qui s’exhale de cette combinaison conservent leur individualité particulière, en sorte que le chaud ne reçoive pas surcroît de chaud et l’élément aérien surcroît de souffle, ni l’humide surcroît d’humidité, ni le terreux surcroît de densité, alors l’être vivant est en bonne santé. En effet, mon enfant, quand ces éléments ne s’en tiennent pas ainsi aux mesures qu’ils ont reçues à l’origine, mais que ou bien ils excèdent, ou bien ils sont en défaut, – je ne parle pas ici d’une action exercée par l’élément selon son amplitude, ni des variations de croissance qui se produisent dans l’espèce et les corps individuels, mais du mélange formé, nous l’avons dit, de la combinaison première des éléments, – en sorte que le chaud soit allé en augmentant ou en diminuant et de même pour les autres éléments, alors, dans ces conditions, l’être vivant est malade. 26 Quand en effet le chaud et l’élément aérien, ces éléments, dis-je, qui sont les compagnons inséparables de l’âme, ont été disposés de la sorte, alors l’être vivant se livre à des paroles sans suite, en proie à des crises de délire, car il y a eu épaississement des éléments, raison pour laquelle le corps est endommagé. 27 Car le terreux, quant à lui, constitue la charpente du corps, l’humide est l’élément fluide répandu dans le corps de manière à ce que les jointures soient bien ajustées, l’aérien est ce qui en nous cause le mouvement, et, tout cet ensemble, c’est le feu qui l’excite à agir. 28 Bref, c’est comme si le souffle chaud – ou peut-être faut-il dire effervescence et exhalaison – issu de l’assemblage et du mélange originels des éléments, c’est comme si ce souffle, quel qu’il soit, s’était mêlé à l’âme par une sorte de fusion, et lui imprimait son caractère propre, bon ou mauvais. 29 L’âme conserve son rang en demeurant dans cette association naturelle ; mais s’il vient à s’ajouter de l’extérieur, soit à l’ensemble de la combinaison, soit à plusieurs ou à l’une de ses parties, une portion d’élément plus grande que celle qui avait été établie d’abord, alors le souffle chaud, subissant de ce fait une altération, altère à son tour la disposition de l’âme et du corps. 30 Le feu et l’air, éléments tendant vers le haut, entraînent l’âme, dont le lieu naturel est pareil au leur, l’humide et le terreux, éléments tendant vers le bas, s’appesantissent sur le corps, qui a pareil lieu de séjour ».