IRMINSUL
Louis de Jaucourt (D.J.)
Extrait de l'Encyclopédie de Diderot
1765
S. m. (Histoire germanique) dieu des anciens Saxons. On ignore si ce dieu était celui de la guerre, l'Arès des Grecs, le Mars des Latins, ou si c'était le fameux Irmin, que les Romains appelèrent Arminius, vainqueur de Varus, et le vengeur de la liberté germanique.
Il est étonnant que Schedius qui a fait un traité assez ample sur les dieux des Germains, n'ait point parlé d'Irminsul ; et c'est peut-être ce qui a déterminé Meibom à publier sur cette divinité, une dissertation, intitulée Irminsula Saxonica. Je ne puis faire usage de son érudition mal-digérée ; je dois au lecteur des faits simples, et beaucoup de laconisme.
Dans cette partie de l'ancienne Germanie, qui était habitée par les Saxons Westphaliens, près de la rivière de Diemele, s'élevait une haute montagne, sur laquelle était le temple d'Irminsul, dans une bourgade nommée Eresberg ou Eresburg. Ce temple n'était pas sans-doute recommandable par l'architecture, ni par la statue du dieu, placée sur une colonne ; mais il l'était beaucoup par la vénération des peuples, qui l'avaient enrichi de leurs offrandes.
On ne trouve dans les anciens auteurs aucune particularité touchant la figure de ce dieu ; car tout ce qu'en débite Kranzius, écrivain moderne, n'est appuyé d'aucune autorité : l'abbé d'Erperg, qui vivait dans le XIIIe siècle, 300 ans avant Kranzius, nous assure que les anciens Saxons n'adoraient que des arbres et des fontaines, et que leur dieu Irminsul n'était lui-même qu'un tronc d'arbre dépouillé de ses branches. Adam de Breme, et Beatus Rhenanus nous donnent la même idée de cette divinité, puisqu'ils l'appellent columnam ligneam sub divo positam.
Si l'on connaissait la figure de cette idole, et des ornements qui l'accompagnaient, il serait plus aisé de découvrir quel dieu la statue représentait ; mais faute de lumières à cet égard, on s'est jeté dans de simples conjectures. Suivant ceux qui pensent que Irmin ou Hermès sont la même chose, Irminsul désigne la statue d'Hermès ou de Mercure. D'autres prétendent que Eresburg étant aussi nommé Marsburg, qui veut dire le fort de Mars, il est vraisemblable que les anciens Saxons, peuple très-belliqueux, adoraient sous le nom d'Irminsul le dieu de la guerre. Enfin le plus grand nombre regardant Irminsul comme un dieu indigène, se sont persuadés que c'est le même que le fameux Arminius, général des Chérusques, qui brisa les fers de la Germanie, défit trois légions romaines, et obligea Varus à se passer son épée au-travers du corps. Velleius Paterculus qui raconte ce fait, ajoute que toute la nation composa des vers à la louange d'Arminius, leur libérateur. Elle put donc bien, après sa mort, en faire un Dieu, dans un temps surtout où on élevait volontiers à ce rang ceux qui s'étaient illustrés par des actions éclatantes.
Quoi qu'il en soit, Irminsul avait ses prêtres et ses prêtresses, dont les fonctions étaient partagées. Aventin rapporte, que dans les fêtes qu'on célébrait à l'honneur de ce dieu, la noblesse du pays s'y trouvait à cheval, armée de toutes pièces, et qu'après quelques cavalcades autour de l'idole, chacun se jetait à genoux et offrait ses présents aux prêtres du temple. Meibom ajoute que ces prêtres étaient en même temps les magistrats de la nation, les exécuteurs de la justice, et que c'était devant eux qu'on examinait la conduite de ceux qui avaient servi dans la dernière guerre.
Charlemagne ayant pris Eresburg en 772, pilla et rasa le temple du pays, fit égorger les habitants, et massacrer les prêtres sur les débris de l'idole renversée. Après ces barbaries, il ordonna qu'on bâtit sur les ruines du temple, une chapelle qui a été consacrée dans la suite par le pape Paul III. Il fit encore enterrer près du Véser la colonne sur laquelle la statue d'Irminsul était posée ; mais cette colonne fut déterrée par Louis-le-débonnaire, successeur de Charlemagne, et transportée dans l'église d'Hildesheim, où elle servit à soutenir un chandelier à plusieurs branches.
Un chanoine de cette ville nous a conservé les trois vers suivants, qui sont des plus mauvais, mais qui étaient écrits en lettres d'or autour du fût de la colonne :
Si fructus vestri, vestro sint gaudia patri,
Ne damnent tenebrae quae fecerit actio vitae,
Juncta fides operi, sit lux super addita luci.
Apparemment que cette inscription avait été gravée sur cette colonne, lorsqu'on la destina à porter un chandelier dans le chœur de l'église d'Hildesheim.
On dit qu'on célèbre encore tous les ans dans cette ville, la veille du dimanche que l'on appelle laetare, la mémoire de la destruction de l'idole Irminsul : les enfants font enfoncer en terre un pieu de six pieds de long, sur lequel on pose un morceau de bois en forme de cylindre, et celui qui d'une certaine distance peut l'abattre, est déclaré vainqueur.