VOLTAIRE Opinion de Voltaire sur l'Astrologie




OPINION DE VOLTAIRE SUR L'ASTROLOGIE


Extrait du "Dictionnaire Philosophique" de Voltaire


      L'astrologie pourrait s'appuyer sur de meilleurs fondements que la magie ; car si personne n'a vu ni farfadets, ni lémures, ni dives, ni péris, ni démons, ni cacodémons, on a vu souvent des prédictions d'astrologues réussir. Que de deux astrologues consultés sur la vie d'un enfant et sur la saison, l'un dise que l'enfant vivra âge d'homme, l'autre non ; que l'un annonce la pluie, et l'autre le beau temps, il est bien clair qu'il y en aura un prophète.

      Le grand malheur des astrologues, c'est que le ciel a changé depuis que les règles de l'art ont été données. Le soleil, qui, à l'équinoxe, était dans le bélier du temps des Argonautes, se trouve aujourd'hui dans le taureau ; et les astrologues, au grand malheur de leur art, attribuent aujourd'hui à une maison du soleil ce qui appartient visiblement à une autre. Cependant, ce n'est pas encore une raison démonstrative contre l'astrologie. Les maîtres de l'art se trompent ; mais il n'est pas démontré que l'art ne peut exister.

      Il n'y a pas d'absurdité à dire : « Un tel enfant est né dans le croissant de la lune, pendant une saison orageuse, au lever d'une telle étoile, sa constitution a été faible, et sa vie malheureuse et courte, ce qui est le partage ordinaire des mauvais tempéraments : au contraire, celui-ci est né quand la lune est dans son plein, le soleil dans sa force, le temps serein, au lever d'une telle étoile ; sa constitution a été bonne, sa vie longue et heureuse. » Si ces observations avaient été répétées, si elles s'étaient trouvées justes, l'expérience eût pu, au bout de quelques milliers de siècles, former un art dont il eût été difficile de douter : on aurait pensé, avec quelque vraisemblance, que les hommes sont comme les arbres et les légumes, qu'il ne faut planter et semer que dans certaines saisons. Il n'eût servi de rien contre les astrologues de dire : « Mon fils est né dans un temps heureux, et cependant il est mort au berceau » ; l'astrologue aurait répondu : « Il arrive souvent que les arbres plantés dans la saison convenable périssent ; je vous ai répondu des astres, mais je ne vous ai pas répondu du vice de conformation que vous avez communiqué à votre enfant : l'astrologie n'opère que quand aucune cause ne s'oppose au bien que les astres peuvent faire. »

      On n'aurait pas mieux réussi à décréditer l'astrologie en disant : « De deux enfants qui sont nés dans la même minute, l'un a été roi, l'autre n'a été que marguillier de sa paroisse » ; car un aurait très bien pu se défendre, en faisant voir que le paysan a fait sa fortune lorsqu'il est devenu marguillier, comme le prince en devenant roi.

      Et si on alléguait qu'un bandit que Sixte-Quint fit pendre était né au même temps que Sixte-Quint, qui de gardeur de cochons devint pape, les astrologues diraient qu'on s'est trompé de quelques secondes, et qu'il est impossible, dans les règles, que la même étoile donne la tiare et la potence. Ce n'est donc que parce qu'une foule d'expériences a démenti les prédictions, que les hommes se sont aperçus à la fin que l'art est illusoire ; mais, avant d'être détrompés, ils ont été longtemps crédules.

      Un des plus fameux mathématiciens de l'Europe, nommé Stoffler, qui florissait aux XVème et XVIème siècles, et qui travailla longtemps à la réforme du calendrier proposée au concile de Constance, prédit un déluge universel pour l'année 1524. Ce déluge devait arriver au mois de février, et rien n'est plus plausible ; car Saturne, Jupiter et Mars se trouvèrent alors en conjonction dans le signe des Poissons. Tous les peuples de l'Europe, de l'Asie, et de l'Afrique, qui entendirent parler de la prédiction, furent consternés. Tout le monde s'attendit au déluge, malgré l'arc-en-ciel. Plusieurs auteurs contemporains rapportent que les habitants des provinces maritimes de l'Allemagne s'empressaient de vendre à vil prix leurs terres à ceux qui avaient le plus d'argent, et qui n'étaient pas si crédules qu'eux. Chacun se munissait d'un bateau comme d'une arche. Un docteur de Toulouse, nommé Auriol, fit faire surtout une grande arche pour lui, sa famille et ses amis ; on prit les mêmes précautions dans une grande partie de l'Italie. Enfin le mois de février arriva, et il ne tomba pas une goutte d'eau : jamais mois ne fut plus sec, et jamais les astrologues ne furent plus embarrassés. Cependant ils ne furent ni découragés, ni négligés parmi nous ; presque tous les princes continuèrent de les consulter.

      Je n'ai pas l'honneur d'être prince ; cependant le célèbre comte de Boulainvilliers, et un Italien, nommé Colonne, qui avait beaucoup de réputation à Paris, me prédirent l'un et l'autre que je mourrais infailliblement à l'âge de 32 ans. J'ai eu la malice de les tromper déjà de près de trente années, de quoi je leur demande humblement pardon.


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