RENÉ GUÉNON
Correspondance avec Roger Maridort
Le Caire, 20 Avril 1948.
Cher Monsieur,
J’ai reçu hier votre lettre du 14 avril, avec les revues qui l’accompagnaient et dont je vous remercie.
Chacornac m’a dit dans sa dernière lettre que la « Grande Triade » se vendait beaucoup moins que « L’Homme et son devenir » (il avait déjà vendu alors 400 exemplaires de celui-ci) bien qu’il ait fait paraître une annonce semblable pour les 2 volumes dans la « Bibliographie de la France » ; je ne m’explique pas bien quelles peuvent en être les raisons. Enfin, tant mieux qu’il s’en soit tout de même vendu 200 exemplaires et que cela ait permis de régler une partie de ce qui restait dû à Didry. Pour ce qui est de l’augmentation de prix dont vous parlez, elle n’aurait sans doute rien d’anormal actuellement, mais naturellement je ne peux pas me rendre compte de l’effet quelle aurait au point de vue de la vente ; je demande à Allar d’examiner cette question avec vous, et je m’en rapporte d’avance à ce que vous déciderez tous les deux.
Je suis très heureux de savoir que votre admission au 3ème degré pourra avoir lieu bientôt ; je ne crois pas, en effet, qu’il puisse y avoir la moindre opposition de la part d’A. Coën. Je ne pensais pas que l’initiation de Bouyer et de Taeck devait avoir lieu si tôt ; je crois comprendre, d’après ce que vous me dite, qu’elle a eu lieu en tenue collective ; je me demande si cette façon de procéder, d’ailleurs assez courante, ne peut pas avoir quelques inconvénients, parce que toutes les LL∴ ne sont pas également strictes au point de vue rituélique ; pour cette raison, on ne l’admettait pas autrefois à Thébah.
En ce qui concerne Cerf, je vois qu’il est toujours difficile de savoir à quoi s’en tenir exactement, et c’est dommage, car, dans ces conditions, on ne peut pas compter entièrement sur lui ; F. Schuon me fait à ce sujet quelques réflexions que je transcrirai à Clavelle la prochaine fois que je lui écrirai. Je me demande, comme vous, s’il finira réellement par m’écrire ; c’est là encore une chose que je ne comprends pas très bien. Quant à sa rentrée au Conseil Fédéral, il est certain que cela lui donnerait encore des occupations, mais je crois comme lui que ce ne serait pas inutile, surtout au point de vue de l’influence que la G∴T∴ peut avoir d'une façon générale dans l’Obédience.
Merci pour le renseignement concernant 1e F∴ Nordberg ; j’en ferai part à Hillel à la prochaine occasion. Barquissau semble décidément être un singulier personnage ; est-ce que les anciens membres de la L∴ Agartha ne seraient pas passés en grande partie à la L∴ Chéops ?
J’ai su que le F∴ Corneloup avait eu de sa visite à la G∴T∴ (Grande Triade) une impression très favorable, beaucoup plus que je ne m’y serais attendu, et qu’il avait été surtout très frappé par le travail de Clavelle ; je ne suis donc pas surpris qu’il lui ait écrit, mais je serais curieux d’avoir connaissance de cette lettre. Quant au « Symbolisme », je ne crois pas que Chacornac en reçoive le service, car je me souviens très bien qu’il n’a pas voulu en faire l’échange avec les « Etudes Traditionnelles », sous prétexte qu’il y a une disproportion entre le prix d’abonnement de ces 2 revues... Quoi qu’il en soit, Marius Lepage m’a finalement envoyé lui-même un paquet contenant tous les N°s depuis janvier 1947 jusqu’à mars 1948 ; il y en a donc quelques unes que je me trouve avoir en double, et il ne me manque maintenant que celui de décembre 1946 mais je ne sais pas si l’envoi me sera fait régulièrement par le suite.
La communication du « Comité de la Paix » témoigne d’une incompréhension qui ne m’étonne pas trop, car elle procède d’une mentalité qui est sûrement celle de la grande majorité des Maçon actuels ; c’est toujours la prépondérance accordée au point de vue social qui sera pour beaucoup un des plus grands obstacles à la compréhension des choses d’un autre ordre...
Je n’aurais pas pensé que la notice dont il est question à la dernière page du Bulletin était une chose distincte de la brochure dont Clavelle m’avait parlé ; il serait bien à souhaiter qui puisse préparer aussi celle-ci le plus tôt possible, car ce serai certainement fort utile ; Rocco a déjà l’intention d’en faire la traduction en italien.
Je suis stupéfait de l’histoire de Sartre qui aurait sa place à la G.T. ; qui a bien pu dire une pareille énormité ?
Je suis content que Maugy ait bien reçu ma lettre cette fois et aussi que vous deviez l’aider dans son travail pour le Rituel qui semble maintenant devoir « officiellement » retomber sur le seul Marty. Il y a bien des questions qui mériteraient d’être examinées de près, et je n’ai pu naturellement, pour le moment, que lui en indiquer quelques-unes auxquelles j’ai pensé tout de suite. Il est un peu étonnant que celle de la formule « Au Nom du G∴A∴ de l’U∴ n’ait pas retenu l’attention de Cerf, car il me semble qu’elle est loin d’être sans importance.
La correspondance du Ternaire « Sagesse, Force, Beauté » est bien toujours donnée dans cet ordre : Salomon, Hiram roi de Tyr, Hiram-Abi, c’est-à-dire Vén∴, 1er Surv∴, 2° Surv∴ quelles que soient les raisons qui peuvent la justifier. Dans l’Ordre Royal d’Écosse, les 3 premiers Officiers sont même respectivement désignés, dans l’exercice de leurs fonctions, par les appellations Wisdom, Strongth, Beauty.
Pour ce que vous me signalez au sujet du grade de Comp∴ il est possible que le nombre des outils ait été primitivement de 5 à cause de la prépondérance donnée à ce nombre dans le grade, et d’ailleurs vous savez qu’il y a beaucoup de variantes dans ce Rituel ; mais cependant il n’y a pas de relation nécessaire entre nombre des outils et celui des voyages, puisque le dernier de ceux-ci doit se faire les mains libres. Dans le Rituel de Gloton, les outils sont indiqués ainsi : 1° maillet et ciseau ; 2° équerre et compas ; 3° règle et levier ; Plantagenêt indique d’ailleurs le même ordre, tout en faisant remarquer qu’il n’est pas toujours respecté ; il signale aussi que, dans les pays germaniques, les voyages se font sans outils et en formant la chaîne d’union, et que, en Suisse et en Autriche, leur nombre est même généralement réduit à 3, ce qui est évidemment tout à fait incorrect...
Bien cordialement à vous.
R.Guénon
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Le Caire, 27 septembre 1949
Cher Monsieur,
J’ai reçu hier vos deux lettres des 17 et 19 septembre (avec 6 coupons dans chacune).
Je vois qu’en somme il n’y a pas eu d’incidents fâcheux au Convent, comme on l’avait craint, au sujet de la question des rituels et j’en suis naturellement heureux ; mais d’un autre côté, le résultat n’est tout même pas très brillant, puisqu’il s’agit de maintenir purement et simplement les rituels précédemment en usage, qui sûrement ne sont guère satisfaisants au point de vue traditionnel ; je me demande si ces rituels vont maintenant être rendus obligatoires… Malgré les défauts du projet Marty, il est un peu étonnant qu’il n’ait pas attiré davantage l’attention des LL∴, surtout après le succès qu’avait eu le rapport de Marty au Convent l’an dernier ; je suppose que ce que Cerf avait dit il y a quelque temps devait se baser sur les éléments qu’il avait déjà à ce moment-là pour la préparation de son rapport. Pour ce qui est du voeu concernant la refonte du rituel de 2ème degré, il est bien certain que celui-ci en a en effet encore plus grand besoin que les autres ; mais il me semble un peu difficile de le prendre ainsi isolément, sans rien faire pour « harmoniser » l’ensemble des trois rituels, car, quoi qu’on en puisse dire, il n’est pas douteux que ceux-ci doivent être considérés comme constituant un tout.
L’impression désagréable que vous avez ressentie a probablement été à l’« atmosphère » produite par la réunion des gens dont les idées et les tendances sont sûrement discordantes à bien des égards ; s’il n’y a rien de semblable en temps ordinaire, il n’y a sans doute pas trop lieu de s’en inquiéter…
Quand vous verrez Cerf, vous serez bien aimable de lui transmettre mes félicitations pour son élection au C∴F∴ ; mais n’a-t-il pas repris l’office de G∴ Orat∴ ni même aucun autre ? Je suppose en effet, pour les G∴ Off∴, il n’y a pas d’autres changements importants que ceux que vous m’indiquez.
Je suis content de savoir que Mordvinoff a bien reçu ma lettre ; pour ce qu’il vous a dit au sujet de la succession éventuelle de Cerf, ce n’est pas seulement moi qui suis d’accord avec lui, mais avec le F∴ Orat∴ adj∴, qui pour plusieurs raisons, ne veut pas entendre parler de s’en charger lui-même, ce qui change naturellement l’aspect de la question ; comme d’ailleurs il va de soi que vous pourriez toujours compter sur son aide et vous entendre avec lui pour tout, je ne vois vraiment pas ce qu’on pourrait objecter dans ces conditions.
Bien cordialement à vous.
René Guénon
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