HEINDEL L'Oraison dominicale




MAX HEINDEL

Cycle de conférences du Christianisme 
de la Rose-Croix

1908


Dix-huitième Conférence 

L'ORAISON DOMINICALE 


Beaucoup de personnes ayant sérieusement réfléchi aux problèmes de la vie supérieure ont malheureusement abandonné les façons de penser de leur enfance. Elles ont cessé de croire aux enseignements de l'Eglise sur l'expiation, le pouvoir rédempteur de la foi, l'efficacité de la prière et autres dogmes de même ordre. Bien que selon l'opinion de ceux qui recherchent honnêtement et sincèrement la vérité, ces idées puissent sembler fallacieuses, nous voudrions néanmoins donner, des points suivants, une étude impartiale qui permette de les juger en connaissance de cause. Ainsi envisagés, les enseignements de l'Eglise apparaîtront dans une lumière jusqu'ici inconnue, qui leur donnera une signification nouvelle et plus grande, plus satisfaisante pour le coeur et parfaitement acceptable pour l'intelligence. 

Beaucoup d'entre nous ont été poussés par la raison à se retirer de l'Eglise, bien que leur coeur en ait saigné; mais les conceptions intellectuelles de Dieu et de la raison d'être de la Vie ne pouvant nous satisfaire, nos vies depuis s'en sont trouvées singulièrement stériles. 

Que la lumière nouvelle permette, à ceux qui éprouvent encore dans leur coeur le désir d'appartenir à l'Eglise, d'y retourner et d'y reprendre leurs places avec un zèle renouvelé, né d'une compréhension plus profonde des vérités cosmiques contenues dans les enseignements de l'Eglise, telle est la plus fervente prière de l'auteur et son seul mobile en énonçant les enseignements qui vont suivre. 

Il est un fait qui frappe l'étudiant des religions comparées, c'est que plus nous remontons dans le temps et plus la race est primitive, plus aussi la religion est rudimentaire. Quand l'homme avance, ses idées religieuses avancent aussi. Les chercheurs matérialistes tirent de ce fait la conclusion que toutes les religions sont conçues par l'homme, que toutes les conceptions de Dieu prennent leurs racines dans l'imagination humaine. Leur erreur est facile à découvrir si l'on considère que tout ce qui vit tend vers l'auto-préservation. Là où gouverne seule la Loi de survivance du plus fort, comme chez les animaux, où la force prime le droit, il n'y a pas de religion. C'est seulement lorsqu'un pouvoir plus fort se fait sentir du dehors, que cette loi peut être abrogée et que la Loi du Sacrifice entre en jeu comme facteur de vie, comme elle le fait dans une petite mesure, même dans la religion la plus imparfaite. Huxley a reconnu ce fait en démontrant que, si la Loi de survivance du plus fort marque la ligne de progression du règne animal, c'est la Loi du Sacrifice qui est au coeur du progrès humain. C'est elle qui pousse le fort à s'occuper du faible, et chacun à donner ce qu'il pourrait garder, s'améliorant ainsi par ses dons. 

La raison d'être de cette différence ne peut être établie par le matérialiste: elle est pour lui un insoluble problème. Mais quand nous avons compris que l'homme est un être multiple - Esprit, âme et corps - que l'Esprit s'exprime par la pensée, l'âme par le sentiment et le corps par l'action, et que cet homme triple est l'image du Dieu trinitaire, il nous est facile de comprendre aussi cette différence. En effet, par sa constitution un tel être multiple est particulièrement apte à réagir à la fois aux vibrations spirituelles et aux pulsions physiques. 

La plupart des gens se soucient peu aujourd'hui de la vie supérieure: on peut en conclure qu'il dut y avoir un temps où l'homme était presque entièrement insensible aux vibrations spirituelles de l'univers. 

Il sentait vaguement un pouvoir supérieur dans la Nature et, doué à ce moment d'une clairvoyance partielle, il reconnaissait l'existence de pouvoirs qui ne sont plus perçus aujourd'hui, bien qu'ils travaillent avec plus de puissance que jamais. 

L'homme devait être conduit, pour son bien futur. Pour le guider dans le droit chemin et aider la nature supérieure à maîtriser la nature inférieure, ou personnalité, celle-ci fut d'abord travaillée par la crainte. Donner à l'homme une religion d'amour, essayer la persuasion morale eût été parfaitement inutile au moment où l'Ego humain était au début de son état d'enfance et où dominait la nature animale de la personnalité inférieure. Le Dieu qui doit aider une telle humanité doit être un Dieu fort, capable de manier le tonnerre et lancer la foudre. 

Lorsque l'homme fut un peu plus avancé, on lui apprit à regarder Dieu comme le Dispensateur de toutes choses; on lui inculqua l'idée que s'il suivait les Lois de ce Dieu il en tirerait la prospérité matérielle. La désobéissance au contraire menait à la famine, la guerre et la peste. 

Pour conduire l'homme plus haut, il fallut lui apprendre la Loi du Sacrifice. A ce degré, l'homme faisait grand cas des possessions matérielles; c'est pour cela qu'on l'invita à sacrifier ses moutons et ses boeufs, grâce à sa foi dans la promesse que " le Seigneur les rendra au centuple", que celui qui donne aux pauvres prête à Dieu, disposé à tout rendre avec abondance. Il n'y avait alors aucune promesse d'un ciel, cela eût été au-delà des possibilités de compréhension de l'homme; il était précisé que "le Ciel, les Cieux même appartiennent au Seigneur, mais il a donné la Terre aux enfants des hommes". (Psaume 115:16) 

L'homme apprend ensuite à se sacrifier lui-même pour une récompense future au Ciel. 

Au lieu de faire le sacrifice occasionnel d'un bien matériel, boeuf, mouton que le Seigneur lui rend aussitôt, on lui demande de se défaire de ses désirs mauvais et, par "sa persévérance dans le bien, d'amasser des trésors dans le ciel", négligeant les biens matériels que les voleurs peuvent ravir ou qui peuvent être détruits par les vers ou la rouille. 

Presque tout le monde peut, pour un court laps de temps, s'élever à un degré d'exaltation où il est facile de tout abandonner dans un acte suprême de renoncement. Il est relativement facile de mourir pour sa foi, comme les martyrs. Mais ce n'est pas assez: la Religion Chrétienne exige de nous le courage de vivre notre foi jour après jour pendant toute notre vie, par la foi en une récompense future, dans un ciel qui n'est que très faiblement esquissé. Les travaux d'Hercule paraissent vraiment peu de chose en comparaison; et qu'y a-t-il d'étonnant à ce que des doutes viennent nous écraser d'un fardeau aussi lourd que celui d'Atlas, nous enlevant notre foi dans le bienfaisant soutien qu'est le pouvoir de Dieu? 

En fait, que nous le sachions ou non, nous vivons par la foi chaque minute de nos vies; c'est dans la proportion même où nous vivons ainsi, que nous sommes heureux ou malheureux. La nuit, nous nous couchons pour dormir, dans la croyance qu'aucun mal ne troublera notre sommeil, que nous nous réveillerons le matin et serons capables d'accomplir nos devoirs prévus le lendemain. Sans cette croyance, si des doutes nous assaillaient sur ce point, oserions-nous mettre notre tête sur l'oreiller, pourrions-nous fermer les yeux dans un calme sommeil? Evidemment non; et en peu de temps nous serions des épaves physiques et mentales, dépêchées prématurément dans la tombe par le démon du doute. Quand nous allons acheter des provisions, nous avons foi dans la droiture du marchand, nous admettons qu'il nous donnera des aliments sains et non de la nourriture empoisonnée; sinon, nos vies seraient pénibles! Au lieu d'apprécier notre nourriture, nous perdrions par le doute notre appétit au point de ne pouvoir faire un repas normal, car même la nourriture saine serait empoisonnée par notre état mental de doute et de crainte, comme le savent bien les physiologistes. 

Grâce à la foi, nous quittons nos maisons le matin, confiants dans la loi de la pesanteur pour les garder à la même place jusqu'à ce que nous rentrions le soir. 

Bien peu d'entre nous ont observé l'ombre de la Terre lorsqu'elle se projette sur la Lune, lors d'une éclipse de Lune, et savent que cette ombre arrondie est la seule preuve positive de la rotondité de la Terre; pourtant chacun affirme que la Terre est ronde. Nous le savons seulement par la foi que nous avons dans les affirmations d'autres personnes. Il en est de même pour le fait que nous voyageons à travers l'espace à la vitesse de près de dix-sept mille kilomètres à l'heure, en vertu de la rotation de la Terre sur son axe propre; et du fait scientifique, encore plus étonnant, que la Terre qui nous semble si tranquille et inerte se déplace en réalité sur son orbite autour du Soleil à la vitesse d'environ deux millions cinq cent mille kilomètres en vingt-quatre heures. Ces faits, et bien d'autres que nous ne pouvons établir nous-mêmes, nous les acceptons et vivons tous les jours avec eux; nous leur donnons le nom de science et nous jouons vie et bonheur sur eux par la vertu de la foi. 

Il a été dit dans des conférences précédentes que la foi est dans l'homme la force qui ouvre un chemin de communication avec Dieu et nous met en contact avec la Vie et le Pouvoir Divins. Le doute, au contraire, a une influence destructrice et déprimante sur la vie spirituelle. Il est aisé de voir que tels sont bien les effets de la foi et du doute par le simple examen de leur influence sur notre vie journalière; nous savons comment la foi et la confiance qu'on nous témoigne nous soutiennent, et combien est déprimant le fait que les autres doutent de nous. Il en est de même dans les mondes supérieurs, comme le montre le fait suivant: 

Visitant Columbus, dans l'Ohio, en 1907, l'auteur entendit une conférence du Professeur Hyslop sur les "Preuves nouvelles d'une Vie future"; mais sans pouvoir y trouver ni une bribe de preuve nouvelle, ni rien qui n'eût été déjà établi dans les rapports de la Société de Recherches Psychiques dans des centaines de cas semblables. Il fut surpris qu'un homme comme le Professeur Hyslop, qui devait connaître ces rapports, pût nommer tout cela des preuves nouvelles. 

Le problème ne fut résolu qu'au moment où une question d'un auditeur mit en évidence le fait que Mr. Hyslop n'avait aucune confiance dans les expériences de Crookes ou dans les résultats des recherches de quiconque en la matière; il n'était pas préparé à croire un iota de ce qu'il ne connaissait pas par lui-même; ce qu'il avait présenté était donc nouveau, en ce sens seulement, que cela était nouvellement perçu par lui. Cependant, bien que le Professeur Hyslop refusât d'accepter les preuves d'autres chercheurs, il ne se gênait nullement de demander à ses auditeurs d'accepter son témoignage comme la seule lumière valable. 

Mais involontairement Mr. Hyslop fournit une illustration de son incapacité comme chercheur, due à son ultra-scepticisme. Il raconta comment un jour, à une séance avec un médium, il avait eu une communication de feu Richard Hogdson, et s'était entendu avec lui pour le rencontrer par un autre médium; Hogdson devait y donner certaines communications dont ils convinrent entre eux. A l'heure dite, le Professeur Hyslop siégeant avec le médium, Hogdson commença à faire ses communications; mais il paraissait absolument incapable de répondre aux questions et le Professeur Hyslop lui demanda sur un ton irrité: "Que vous arrive-t-il donc, Richard? Quand vous viviez sur la terre, vous aviez toujours une réponse prête; pourquoi ne pouvez-vous plus répondre maintenant?" Alors - dit le Professeur Hyslop en contant cette histoire - alors vint une réponse rapide comme l'éclair: "Oh! chaque fois que j'entre dans votre détestable atmosphère, il me semble que je tombe en morceaux". L'attitude d'ultra-scepticisme du Professeur Hyslop avait le même effet stupéfiant sur l'esprit de R. Hogdson, que l'attitude mentale d'une commission d'experts sur un candidat. Si la commission s'est fait l'idée que le candidat est un cancre, si bien préparé soit-il, il balbutiera, pataugera et échouera, alors que même un ignorant peut se comporter honorablement s'il est soutenu par l'encouragement mental des examinateurs. 

Nous voyons donc que le doute et le scepticisme ont un effet démoralisant et flétrissant sur l'objet qu'ils visent, tandis que la foi ouvre et augmente notre capacité mentale comme la lumière du soleil épanouit la fleur. Nous pouvons ainsi comprendre la nécessité de la foi pour approcher les enseignements spirituels; étudiés sous le signe de la foi, ils apparaissent dans leur vraie lumière; tandis que le doute, la critique et l'agnosticisme flétrissent la beauté de la conception spirituelle comme le froid mordant flétrit la plus belle fleur. Jésus-Christ a dit: "Quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n'y entrera point" (Matthieu 18/3). Cette phrase contient la clé de l'attitude mentale correcte. L'adulte en présence d'un enseignement nouveau, ou bien le rejette parce qu'il s'agit de quelque chose qu'il n'a pas pensé ou établi lui-même, ou bien l'accepte sans contrôle s'il s'agit de quelque chose qui appuie ses propres théories. Il fait de son propre point de vue et de sa science la mesure absolue de la vérité, selon laquelle il jauge toutes les idées qu'on lui présente; mais quelle que soit la largeur de ses vues, elles restent forcément étroites d'un point de vue universel. 

Un enfant n'est pas gêné par la limitation due à des connaissances antérieures; son esprit est ouvert à toutes les vérités, et il accueille sans hésitation et avec foi tout enseignement. Le temps fera surgir des faits qui lui montreront ce qui est vrai ou non, et ce test seul est concluant. L'élève de l'école occultiste cultive une attitude d'esprit comparable à celle de l'enfant; lorsqu'il examine un enseignement nouveau ou qu'il étudie des phénomènes encore inconnus de lui, il oublie tout le reste, pour éviter toute déviation de l'esprit. Evidemment il n'admet pas d'emblée que le blanc est noir, mais il est toujours prêt, lorsqu'on lui soumet une proposition, à admettre qu'il peut y avoir un point de vue encore inconnu de lui d'où un objet qu'il croyait blanc peut paraître noir, ou vice-versa. C'est là une attitude d'esprit extrêmement avantageuse, car l'homme qui la cultive est capable d'apprendre et d'augmenter ses connaissances de la même manière que l'enfant qui écoute au lieu de discuter. 

Ainsi, l'attitude mentale semblable à celle des enfants conduit tout particulièrement à l'acquisition de la science symboliquement nommée le Royaume de Dieu, contrairement à l'ignorance qui est l'état de l'homme adulte. 

Il est bien entendu que la foi requise n'est pas une foi aveugle, ni une foi qui ne raisonne pas et s'accroche à une croyance ou un dogme contraires à la raison: c'est au contraire un état d'esprit ouvert et sans détours, prêt à accueillir toute affirmation jusqu'à ce qu'un examen sérieux ait prouvé qu'elle est à rejeter. 

Dans un chapitre précédent, nous avons dit que la Prière ouvre un chemin par lequel la Vie et la Lumière divines peuvent se répandre dans l'Esprit, de même qu'un contact électrique ouvre un chemin au courant qui vient de l'usine jusqu'à notre maison. La foi dans la prière est l'énergie qui met le contact: sans effort musculaire nous ne manipulerions pas le contact pour obtenir la lumière physique, et sans la foi nous ne pouvons prier de manière à recevoir l'illumination spirituelle. Si nous prions à des fins matérielles, à des fins contraires à la loi d'amour et au bien universel, nos prières seront aussi inefficaces qu'un contact en verre dans un circuit électrique. Le verre n'est pas bon conducteur, il constitue une barrière pour le courant électrique: de même les prières égoïstes sont des barrières pour les desseins de Dieu, et elles doivent rester sans réponse. Pour prier utilement, il faut prier de la bonne manière. 

L'Oraison Dominicale, ou "Pater", est précisément un merveilleux modèle de prière, car elle pourvoit aux besoins de l'homme comme nulle autre formule ne pourrait le faire. En quelques brèves phrases, elle fait le tour de toutes les relations complexes de Dieu avec l'homme. 

Pour bien comprendre cette sublime prière, et pour pouvoir la dire avec compréhension et efficacité, rappelons brièvement quelques-uns des enseignements donnés dans les conférences précédentes: 

Le Père est le plus haut Initié de la Période de Saturne.
Le Fils est le plus haut Initié de la Période du Soleil.
Le Saint-Esprit est le plus haut Initié de la Période de la Lune
L'Esprit Divin et le corps dense de l'homme ont commencé leur évolution dans la Période de Saturne et sont donc sous la protection spéciale du Père. 

L'Esprit de Vie et le corps vital ont commencé leur évolution dans la Période du Soleil et sont donc pris particulièrement en charge par le Fils. 

L'Esprit Humain et le corps du désir ont commencé à évoluer dans la Période de la Lune et sont donc confiés spécialement à la garde du Saint-Esprit. 

L'Intellect, qui fut ajouté pendant la Période de la Terre, n'est pas protégé par des êtres extérieurs, mais doit être soumis par l'homme lui-même, sans aucun secours extérieur. 

Dans l'Oraison Dominicale, il y a sept prières; ou, plus exactement, il y a trois groupes de deux prières et une supplique. Chacun des trois groupes est en rapport avec les besoins de l'un des aspects de l'esprit triple et de sa contre-partie dans le corps triple. 

La phrase du début: "Notre Père qui es aux Cieux" est comme l'adresse sur une enveloppe. Le tableau "L'Oraison Dominicale" donne la clé de cette prière; il montre les relations entre la Trinité, l'Esprit triple, le corps triple et l'intellect; chaque aspect de l'Esprit est relié par une ligne à la prière spécialement appropriée à sa contrepartie dans le corps triple, et placé à proximité de l'élément de la Trinité qui le tien en garde. 

L'Esprit Humain s'élève sur les ailes de la dévotion jusqu'à son aspect correspondant dans la Sainte Trinité, le Saint-Esprit, et prononce l'incantation: "Que Ton Nom soit sanctifié". 

L'Esprit de Vie s'élève par l'amour et s'adresse à la source de son être, le Fils: "Que Ton Règne vienne". 

L'Esprit Divin s'élève par la vision intérieure supérieure jusqu'à la source capitale d'où il émana à l'aube des temps, le Père, et manifeste sa confiance dans cette universelle Intelligence: "Que Ta Volonté soit faite". 

Ayant ainsi atteint le Trône de Grâce, l'Esprit triple en l'homme présente ses requêtes touchant la personnalité ou corps triple. 

L'Esprit Divin prie le Père pour sa contrepartie, le corps dense: "Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien". 

L'Esprit de Vie prie le Fils pour sa contrepartie le corps vital: "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés". 

L'Esprit Humain adresse une supplique pour le corps du désir, dans les mots: "Ne nous soumets pas à la tentation". 

Et tous enfin se joignent en un commun appel pour l'intellect: "Délivre-nous du mal!" 

La phrase ajoutée: "Car c'est à Toi qu'appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire, aux siècles des siècles" n'a pas été donnée par le Christ et n'est pas une prière. 

Considérons l'explication ci-dessus du point de vue analytique; nous voyons qu'il y a trois enseignements religieux qui doivent être donnés à l'homme pour l'aider à atteindre la perfection: l'un est la religion du Saint-Esprit, le second est la religion du Fils, et le dernier la religion du Père. 

Sous le régime du Saint-Esprit, la race humaine fut divisée en nations, et les hommes, par leur adhésion à un groupe, se séparèrent de la communauté des nations. Puis chacun des groupes fut détaché des autres par l'emploi d'un langage propre. Tous furent soumis à certaines lois et apprirent à révérer le nom de leur Dieu: un peuple l'adorait sous le nom de Iao, un autre sous le nom de Tao, un autre sous celui de Bel. Partout le nom de ce donneur de Loi était considéré comme saint. La méthode de la séparation avait l'avantage de permettre au chef des Esprits de Race, Jéhovah, de se servir d'un peuple pour en punir un autre qui avait transgressé la loi; mais elle avait l'inconvénient d'encourager l'orgueil et de séparer l'humanité au détriment du bien universel. 

Un axiome dit que ce qui ne profite pas à tous ne peut vraiment profiter à personne. Aussi fallait-il trouver les moyens de réunir les nations et de les fondre en une Fraternité universelle: cela doit être l'oeuvre de la religion du Fils, le Christianisme. 

L'esprit guerrier des nations est développé par les Esprits de Race, mais la Religion Chrétienne les unira finalement, leur fera transformer leurs épées en socs de charrues, et amènera paix et bonne volonté sur la Terre lorsque le royaume du Fils aura remplacé les tribus et les races. Plus tard, un enseignement religieux encore plus élevé, la religion du Père, doit unir encore plus étroitement l'humanité. Dans le Royaume du Fils, il y aura une Fraternité universelle d'individus séparés ayant des intérêts variés, mais prêts à donner et à recevoir par amour, abandonnant leurs préférences individuelles pour le bien commun. Mais lorsque la religion du Père deviendra un fait de la vie, le soi sera entièrement immergé dans le but commun, dans la volonté unique. Alors la Volonté de Dieu sera faite sur la Terre comme elle l'est au Ciel, où il n'y a plus ni toi ni moi, mais où Dieu est Tout en Tous. 

Dans l'intervalle, un certain travail doit être accompli par l'Esprit triple sur le corps triple, pour le spiritualiser et en extraire l'Ame triple. 

Le corps dense n'est qu'un instrument irresponsable. Il est cependant un instrument d'une incomparable valeur, que nous devons soigner et apprécier comme un artisan soigne et apprécie un outil de prix. Maintenons constamment devant notre vision mentale le fait que nous ne sommes pas notre corps, pas plus que l'artisan ne s'identifie à ses outils ou le maçon à la maison qu'il construit. Ce fait devient évident si nous considérons que notre corps est un agrégat de cellules en perpétuel changement, tandis que nous gardons l'identité de notre "Je" au milieu et en dépit de ces changements, ce qui serait impossible si nous étions identifiés à notre corps physique. 

Ce corps doit être apprécié et soigné: "Donne-nous notre pain quotidien", dit la quatrième prière. Beaucoup de gens mangent trop, et pour eux un jeûne occasionnel peut être utile; toutefois le jeûne n'est pas nécessaire pour ceux qui ne festoient pas, mais vivent une vie simple tous les jours. Quand le corps est trop nourri, l'esprit peut être toujours aussi plein de volonté, mais la chair manque de force. 

Aussi, lorsqu'un Esprit jeune entreprend de se spiritualiser, il cherche à dominer la nature inférieure par des jeûnes, des tortures, à l'exemple des Yogis hindous qui émacient leur corps et dessèchent leurs membres pour permettre à l'Esprit de resplendir. C'est là une faute aussi déplorable pour le vrai développement spirituel que l'habitude de trop manger. Comme nous l'avons dit, l'homme qui est le maître de son appétit et nourrit son corps d'aliments purs n'a nul besoin de jeûner, mais peut donner à son corps le pain quotidien. 

En Asie, où les lois de cause à effet et de renaissance sont bien connues et clairement énoncées, les gens voient nettement que leur action doit, un jour, élever l'humanité à un état céleste et glorieux. Mais il est nécessaire, pour l'évolution de la précision de la pensée, qui sera pour l'homme un jour le moyen de créer, que son attention entière soit pour un temps concentrée sur le monde physique; c'est pourquoi sa connaissance du monde spirituel doit être voilée. Pour atteindre ce but, les guides de l'humanité ont donné à aux pionniers de la race humaine le breuvage de l'oubli, le vin, et l'homme a oublié temporairement les mondes d'en haut. Il en est venu à considérer la vie actuelle comme la seule qui doive être vécue ici-bas, et naturellement s'évertue à la rendre la meilleure possible. C'est à cause de cela que l'énergie occidentale est en train de conquérir par étapes le monde matériel tandis que la lassitude orientale le regarde faire. Dans les temps qui viennent, les Orientaux devront aussi oublier et suivre notre sentier de conquêtes. 

Mais comme la Religion Occidentale, le Christianisme, ne nous apprend pas le fait qu'une loi cosmique se hâte lentement de purifier l'homme et de le conduire à l'état de Dieu à travers de nombreuses vies, il a fallu lui donner un enseignement de compensation: sans lui l'homme aurait désespéré, car son intelligence lui dit bien son imperfection, et l'oblige à saisir l'impossibilité absolue de réaliser son développement spirituel complet en une seule vie, une vie dans laquelle, par la force des circonstances, il est contraint de se vouer principalement à des objectifs matériels. 

Telle est la raison pour laquelle lui fut donnée la doctrine de la Rémission des péchés, par la foi dans la Justice du Christ, le Phare de l'Espérance, le "Soleil de Justice". 

C'est l'évidence même que, dans un univers de loi et de vérité, les grands Guides ne pourraient enseigner un mensonge pour sauver l'homme d'un désespoir qui aurait inévitablement mis fin à tout effort spirituel, si l'homme n'avait eu que le seul enseignement de la Loi de cause à effet selon laquelle nous récoltons ce que nous avons semé. La doctrine de la Rémission des péchés doit donc être une Loi de la Nature au même titre que la Loi de cause à effet; elle doit même être une Loi plus élevée, puisqu'elle est capable de l'emporter sur la Loi de cause à effet. Toutes les deux ont leur place dans la vie humaine. 

L'Eglise Catholique enseigne toujours la manière scientifique d'obtenir la rémission des péchés, lorsqu'elle encourage ses fidèles à revoir les évènements de la journée, chaque soir en se couchant, et à se blâmer pour tout acte mauvais. C'est en substance ce qui a été enseigné ici dans nos précédentes conférences; toutefois l'enseignement occulte est plus clairement énoncé, et les effets ultérieurs de cet exercice ont été particulièrement indiqués dans la onzième conférence. L'action bienfaisante de la Loi de cause à effet, qui nous purifie du mal dont nous ne nous sommes pas repentis et qui n'est pas pardonné, est aussi énoncée dans les enseignements catholiques sur le purgatoire, bien que ce soit une erreur de considérer cette phase comme une punition. En effet même si quelque démon personnel devait nous y tourmenter, la douleur qu'il causerait en nous débarrassant du péché serait analogue à celle que ferait un chirurgien en extrayant une balle d'une blessure qu'on se serait faite à soi-même: le démon n'agirait pas plus par vengeance que le chirurgien. 

Le corps vital étant le dépôt du panorama de la vie, nos propres péchés et le mal dont nous avons souffert par le fait des autres y sont inscrits; 

d'où la cinquième prière: "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés", qui traduit les besoins du corps vital. Notons que cette prière enseigne la doctrine de la Rémission des péchés dans les mots: "Pardonne-nous", et la Loi de cause à effet dans les mots: "comme nous pardonnons", faisant ainsi de notre attitude à l'égard des autres la mesure de notre rédemption. 

"Ne nous soumets pas à la tentation" est la prière pour le corps du désir, qui est le dépôt de l'énergie, et qui fournit, par le désir, des motifs à l'action. Une maxime orientale dit: "Tuez le désir", et les Orientaux fournissent de bons exemples de l'indolence qui en résulte. "Tuez votre tempérament" est le très mauvais conseil donné parfois à ceux qui s'emportent facilement. Or le désir et le tempérament sont des alliés de valeur, de trop grande valeur pour qu'on les limite ou les tue: l'homme sans désirs est comme l'acier non trempé; ne comptez pas sur lui. Dans l'Apocalypse, alors que six des Eglises reçoivent des louanges, la septième reçoit l'anathème parce qu'elle n'est "ni chaude ni froide", elle n'est qu'une médiocre communauté. "Plus grand est le pécheur, plus grand sera le saint" est un adage vrai, car il faut de l'énergie pour pécher; et quand cette énergie se tourne dans la bonne direction, elle a autant de puissance pour bien faire qu'elle en avait avant pour mal faire. Un homme peut être bon parce qu'il ne peut pas rassembler assez d'énergie pour être mauvais; il est alors si bon qu'il n'est bon à rien, comme les Nicolaïtes (Apocalypse 2/6 et 15). Tant que nous sommes faibles, nos désirs nous maîtrisent et nous induisent en tentation; mais quand nous apprenons à dominer nos désirs, nous pouvons alors guider notre caractère en harmonie avec les Lois de Dieu et des hommes. 

Le pouvoir qui guide et dirige cette énergie de nos désirs est l'intellect. Et la septième prière: "Délivre-nous du mal" est donc faite pour l'intellect. 

Les animaux suivent aveuglément leurs désirs et ne commettent pas de péché: pour eux, le mal n'existe pas. Le mal ne vient à notre connaissance que par et à travers l'intellect et son discernement qui permettent à l'homme de voir différentes modalités d'action et de choisir. S'il choisi d'agir en harmonie avec le bien universel, il cultive la vertu; sinon il se souille de vice. Notons encore que l'"innocence" tant vantée de l'enfant n'est en rien de la vertu: l'enfant n'a pas encore été tenté et soumis à l'épreuve, c'est pour cela qu'il est innocent. Avec le temps, les tentations issues de ses désirs viendront éprouver son courage; et c'est de la maîtrise de ses désirs par son intellect que dépendra sa marche vers le bien ou sa chute en cours de route. Si l'intellect est assez fort pour nous "délivrer du mal", nous devenons vertueux, ce qui est une qualité positive; et même si nous succombons pendant quelque temps avant de bien nous rendre compte du mal que nous faisons, nous acquérons la vertu dès que nous nous repentons et réformons ce qui doit l'être. Nous remplaçons ainsi l'innocence négative par la vertu qui est une qualité positive. 

C'est ainsi que l'Oraison Dominicale s'étend à toutes les parties de la constitution humaine et énonce les besoins de chacune d'elles, ce qui montre la merveilleuse sagesse contenue dans cette simple formule. 

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