HEINDEL Le mystère du Saint-Graal




MAX HEINDEL

Cycle de conférences du Christianisme 
de la Rose-Croix

1908


Dix-septième Conférence 

LE MYSTÈRE DU SAINT-GRAAL 


Dans cette conférence, nous allons étudier un de ces anciens Mystères qui existaient au Moyen Age en beaucoup d'endroits du monde occidental, et qui ont toujours existé sous différentes formes et en différentes contrées, depuis la naissance de la conscience humaine. 

En Russie du Nord, les Trottes enseignaient une certaine phase du Mystère du Monde. En Irlande, il y avait les Druides; lorsqu'on nous conte que nos ancêtres célébraient leur culte sous un chêne, cela implique la direction des Druides, car Druide signifie chêne; et quand on nous dit que Boniface abattit le chêne, nous pouvons en déduire qu'il mit fin à l'instruction druidique. 

C'est dans le nord de l'Espagne qu'existait le Mystère du Saint-Graal. Ce Mystère était conservé par un groupe de saints chevaliers qui vivaient dans le château de Mont Salvat; leur but était de faire connaître à l'humanité de grandes vérités spirituelles d'une manière qui lui fût compréhensible, et à donner en images ce qui ne pouvait être donné directement à l'intellect. 

L'homme a atteint son degré actuel de développement à partir d'un état où il n'avait aucune conscience à l'intérieur de son corps. Il doit maintenant aller plus haut encore, et les mythes et symboles n'étaient que les moyens de le préparer à la perception intellectuelle du chemin qu'il doit suivre. 

Ceux qui jadis vinrent en contact avec ces mystères, ceux qui reçurent l'enseignement sont devenus aujourd'hui des hommes qui prennent intérêt à la spiritualité; la majorité des gens, qui n'ont évidemment pas pu recevoir autrefois cet enseignement, ne peuvent aujourd'hui pas encore éprouver le désir intérieur de vivre la vie spirituelle. Si donc nous sentons si peu que ce soit l'influence spirituelle en nous, c'est parce qu'un jour, dans certains de ces Mystères, nous avons été préparés à recevoir plus tard ces vérités d'une manière intellectuelle. Et c'est l'impulsion répétée, donnée par les anciens instructeurs, qui mène l'humanité à un degré plus élevé, car la répétition, loin d'être insensée, est de la plus haute importance pour les vérités spirituelles qui doivent être répétées à maintes reprises. 

Nous avons indiqué ici que l'humanité, ou du moins sa plus grande partie, travaille aujourd'hui sur le corps du désir et tente de dominer ses désirs au moyen de la Loi. Lorsqu'un développement occulte est envisagé, pour permettre à un homme de devenir un pionnier, c'est sur le corps vital qu'il faut travailler; et c'est la répétition qui agit plus particulièrement sur le corps vital. 

Le corps vital est le principe le plus important de la plante; c'est lui qui fait que la plante développe alternativement tige et feuillage, la faisant ainsi grandir de plus en plus. Mais rien ne varie, la plante se répète sans cesse: ainsi agit tout ce qui ne possède qu'un corps vital. Si nous désirons agir sur le corps vital, nous devons donc le faire par la méthode de la répétition. 

Nous avons les quatre éthers présents dans notre corps vital, les deux inférieurs prennent soin des fonctions physiques, comme nous l'avons vu en particulier dans la onzième conférence sur la vue et la pénétration spirituelles, et nous devons pouvoir extraire les deux éthers supérieurs lorsque nous désirons fonctionner dans les mondes supérieurs; or c'est la répétition qui rend possible la division entre les deux éthers supérieurs et les deux inférieurs. Sur ce point, les églises sont encore des facteurs de développement spirituel car elles disent à leurs fidèles de prier sans cesse. Mais il ne faut pas prier égoïstement, il faut prier pour autrui et en harmonie avec le Bien Universel. Lorsque nous prions pour la pluie et notre voisin pour la sécheresse, il en résulterait le chaos si nos prières étaient exaucées. 

Ne nous figurons pas non plus qu'on puisse faire un marché avec Dieu, comme semblent le croire ceux qui se font le plus entendre aux prières publiques. Il faut arriver à une certaine attitude spirituelle que le mystique connaît bien lorsqu'il rentre en lui-même. 

La prière est comme un contact électrique que l'on actionne; celui-ci ne crée pas le courant, il établit simplement un passage par lequel le courant électrique peut circuler. De même, la prière crée un passage par lequel la vie et la lumière divines peuvent se déverser en nous pour notre illumination spirituelle. 

Si le contact était fait de bois ou de verre, il ne serait d'aucune utilité; il constituerait une barrière non conductrice que le courant électrique ne pourrait franchir. Pour être effectif, le contact doit être fait d'un métal conducteur: il est alors en harmonie avec les lois de l'électricité. 

Si nos prières sont égoïstes, mondaines et négligent notre prochain, elles sont alors comme un contact en bois; elles vont à l'encontre du but recherché, parce qu'elles sont contraires aux dessins divins. Pour avoir une valeur, la prière doit être en harmonie avec la nature même de Dieu, qui est Amour. Les vers suivants, parus dans "London-Light" il y a bien des années, ont été précieusement gardés par l'auteur comme UNE PRIÈRE IDÉALE :

Je ne demande pas plus de lumière, ô Dieu,
Mais des yeux qui voient ce qui est.
Non pas de plus douces chansons, mais une oreille 
Qui mieux entende les mélodies du présent.
Pas plus de force, mais la science d'user
Du pouvoir que je possède.
Pas plus d'amour, mais le talent de changer
En caresse un mouvement d'humeur.
Pas plus de joie, mais de savoir sentir
La douceur de Ta proche présence
Pour donner à autrui tout ce que je possède
De courage et de réconfort.
Je ne demande pas d'autres dons, ô Dieu,
Mais le seul sens de bien voir
Comment utiliser au mieux les précieux talents
Dont tu voulus bien me pourvoir.
Donne-moi la force de dominer toute crainte,
De connaître toutes les saintes joies,
D'être l'ami que je souhaite être,
De parler vrai selon ma voie,
D'aimer ce qui est pur, chercher ce qui est bien,
D'aider de toute mon énergie
Chaque âme à vivre dans la l'harmonie,
Dans la parfaite lumière de la liberté.

C'est là le type de prière qui élève, qui ennoblit l'homme. Plus on cultive cette attitude mentale et entretient ces aspirations sublimes, plus les deux éthers supérieurs s'élèvent hors du corps vital. C'est pourquoi les églises commandent de prier, et prier encore: ce sont bien là des enseignements occultes intérieurs, car de cette manière le corps vital est travaillé par la constante répétition de hautes aspirations. Avant de pouvoir suivre le sentier occulte, nous devons de toute nécessité réaliser le relâchement des liens entre les éthers supérieurs et les éthers inférieurs pour pouvoir fonctionner au dehors, en laissant notre corps dense aux soins des deux éthers inférieurs. 

Là est d'ailleurs le danger pour les médiums, et pour ceux qui développent une certaine clairvoyance involontaire par des exercices respiratoires. Quand une telle personne sort de son corps, elle le fait involontairement; elle emporte trois éthers avec elle, aussi le corps reste-t-il sans soins. Sur ce chemin, on ne trouve que le déclin mental et moral, et trop souvent la folie. 

Il n'y a qu'une seule manière de développer avec sécurité nos facultés latentes. Peu importe que certains puissent dire le contraire; l'expérience prouve que l'obtention des pouvoirs spirituels dépend de la purification et des aspirations altruistes: et c'est cela qu'enseignaient les Mystères de l'ancien temps. 

Pour comprendre le Mystère du Saint-Graal, il est nécessaire que nous reprenions le cours des différents âges depuis le temps où la Terre sortit du chaos. La Terre était alors obscure et l'homme était enrobé en elle; la Vie travaillait à l'en extraire. Adam était fait du limon de la terre, comme les minéraux le sont aujourd'hui. 

Vient ensuite la seconde Epoque, l'Epoque Hyperboréenne, où l'homme a un corps dense et un corps vital: c'est la phase végétale. La nourriture de l'homme est végétale et Caïn est agriculteur. Puis vient l'Epoque Lémurienne, où l'homme reçoit un corps du désir: il a trois véhicules, comme les animaux. C'est le moment où il faut une nourriture destinée à nourrir ses trois corps: il la reçoit des produits des animaux vivants, au temps où Abel était berger. 

Nous arrivons ensuite à la quatrième Epoque, Atlantéenne, où l'homme développe l'intellect. La pensée détruit toujours les tissus, en produisant une certaine décomposition; l'homme doit donc trouver dans son alimentation un élément de décomposition: il commence donc à manger les cadavres des animaux, et l'on nous dit que Nemrod était un grand chasseur. 

L'homme arrive enfin au degré où il doit oublier sa nature spirituelle, où il doit considérer cette vie comme sa seule vie, et où il lui faut donc trouver quelque chose qui l'aide à oublier. Ce stade est annoncé par Noé et les quelques hommes sauvés avec lui qui furent les pionniers de l'Epoque Aryenne actuelle; Noé cultive donc la vigne et en tire le vin qui doit aider l'homme à oublier. L'homme doit temporairement oublier le côté spirituel de sa nature pour en développer totalement le côté matériel: aussi le Christ change-t-il l'eau en vin, représentation symbolique réalisée dans le premier de ses miracles. 

Dans les religions primitives, l'eau seule était employée dans le service des temples. Le Dieu du vin, Bacchus, était venu en Grèce avant le Christ, pour préparer l'ère de débauche matérielle nécessaire pour obliger l'homme à oublier. Et l'homme devint ainsi de plus en plus matérialiste. 

La religion Chrétienne est la seule qui ait sanctionné l'usage du vin: l'homme s'en est trouvé plus profondément emmuré dans son véhicule physique. Mais actuellement une impulsion doit être donnée pour l'en faire sortir, et il nous est possible de noter des signes de cette impulsion dès maintenant dans beaucoup de directions, en particulier dans le grand mouvement d'abstinence qui a déferlé sur notre pays, cette Amérique que l'on a si justement appelée le "creuset" (melting pot). 

Le vin se transforme à nouveau en eau. Nous avons accompli la conquête du monde matériel, comme le prouvent nos merveilleux progrès dans le monde occidental. Nous devons maintenant retourner à l'emploi de l'eau, pour pouvoir retrouver sur un plan plus élevé la vision spirituelle que nous avons perdue. C'est à quoi tendait le Mystère du Saint-Graal: purifier l'homme pour qu'il redevienne capable de retrouver sa vision spirituelle. De même que nous donnons aujourd'hui à nos enfants des livres d'images, de même on nous donnait autrefois ces mythes pour qu'ils travaillent sur nos sentiments et nous préparent à comprendre. 

Deux caractéristiques marquaient ces chevaliers: ils étaient purs et inoffensifs, et ces deux qualités vont toujours de pair. 

Nous avons vu dans les dernières conférences que lorsqu'une entité, esprit-groupe ou esprit individuel, est extraite violemment de son corps, comme dans un meurtre, il reste toujours quelque chose dans ce corps. 

Si nous coupons une pêche mûre, le noyau se détache facilement; il n'est plus attaché à la chair du fruit. Par contre, s'il s'agit d'un fruit qui n'est pas mûr, un peu de sa chair adhère au noyau. 

Considérons notre corps comme le noyau: il est notre partie dure et cristallisée, alors que l'esprit est notre partie subtile. Si nous extrayons cette partie subtile brusquement, d'un seul coup, qu'arrivera-t-il? 

Le corps physique garde une partie de l'âme, qu'il s'agisse d'un homme ou d'un animal, et cette partie est toujours la plus inférieure. Lorsque le Christ sortit ainsi de manière violente par la mort sur la Croix, quelque chose s'attacha au corps de Jésus: c'était la partie la plus inférieure des principes élevés de Jésus, car même lui, l'homme le plus parfait, avait quelque chose d'imparfait qui devait rester en arrière, pour que seule la partie absolument pure en fût extraite. 

Quand un animal est tué brusquement, la partie la plus inférieure de l'âme s'attache au corps, l'esprit-groupe perd les passions, qui restent dans la chair que nous mangeons. Toutefois, cet esprit-groupe pense continuellement à se procurer un autre véhicule; cette idée est imprimée dans chaque cellule par la mort violente, aussi trouvons-nous dans chaque parcelle de viande que nous mangeons cet intense désir de reproduction sexuelle qui nous pousse à satisfaire cette exigence. 

Ce fut Nemrod, l'Atlantéen, qui le premier tua pour manger et qui fut à l'origine de ce mal social. Quand nous tuons les animaux, nous nous blessons aussi nous-mêmes, car nous en subissons la conséquence; c'est un vice social qui ne nous quitte plus. Par mal social, nous n'entendons pas seulement tout ce qui est impie dans l'église ou dans l'état, mais tout acte créateur, sauf celui qui est pratiqué dans un esprit de sacrifice pour procurer un corps à un Ego en voie de renaissance. Tout autre emploi de la fonction créatrice, à quelque degré que ce soit est un mal social. 

Si maintenant nous saisissons bien les relations entre ce mal social et le fait de manger de la viande et d'ôter pour cela la vie à d'autres êtres, nous comprenons pourquoi les Chevaliers du Saint-Graal étaient purs et inoffensifs. Quand Parsifal brise son arc et ne veut plus tuer, il dit: "Je ne veux plus introduire dans mon corps ces particules qui réclament une existence séparée et désirent sans cesse créer; je veux vivre la vie pure et inoffensive". C'est seulement lorsqu'on atteint cette phase dans la vie qu'il est possible de ressentir la compassion: tant que nous tuons, nous ne pouvons éprouver la vraie compassion. 

Comme nous vivons dans une société où la tuerie est concentrée en un seul endroit, nous ne voyons évidemment pas tuer les animaux, mais nous sommes aussi responsables de la terreur et de l'angoisse qui les étreint que si nous agissions personnellement. Pourrions-nous entrer dans cet enclos sanglant, prendre ce couteau, regarder ces yeux mourants, et plus tard nous régaler de la chair de notre victime? 

Non, parce que nous avons été trop loin dans l'évolution pour cela, ou simplement parce que nous pouvons nous procurer la viande sans avoir besoin de voir les répugnants spectacles de l'abattoir. Et cependant, nous faisons beaucoup de mal à un de nos semblables, parce qu'en n'accomplissant pas l'acte nous-mêmes, nous l'obligeons à tuer tous les jours de l'année; nous échappons ainsi à la brutalité concentrée dans cette homme - à tel point concentrée qu'en certaines circonstances la loi le traite en paria; elle lui interdit de siéger dans un jury appelé à décider d'une peine capitale, parce qu'il a perdu tout respect de la vie. 

Chers amis, cessons d'être destructeurs. Visons à construire, et à laisser vivre toutes les créatures. Elles ont autant de droits à la vie que nous-mêmes. Ella Wheeler Wilcox se fait leur défenseur dans le poème suivant: 

Je suis la voix de l'inarticulé;
Par moi les muets parleront
Jusqu'à ce que l'oreille d'un monde
Aujourd'hui sourd, soit forcée d'écouter
La plainte du faible qui restait sans voix.
La même force qui a façonné le petit moineau
A modelé l'homme-roi.
Le Dieu de Tout
A donné une étincelle d'âme
A ce qui porte poils et plumes.
Et je suis le gardien de mon frère;
Et je combattrai son combat,
Et je parlerai
En faveur des animaux et des oiseaux jusqu'à ce que
Le monde mette les choses à leur juste place.

Nous sommes maintenant assez avancés pour commencer à essayer d'appliquer ce que nous avons vu dans Parsifal et le Saint-Graal. La compassion commence quand nous abandonnons nos désirs inférieurs; nous devenons purs de pensées, de désirs et de corps, et nous allons ainsi de l'avant. Le mythe de Wagner est une des plus merveilleuses interprétations du fait que certains d'entre nous peuvent prendre de l'avance et apprendre à aider l'humanité. Parsifal est l'homme qui, s'étant purifié, est devenu inoffensif. Wagner l'avait pressenti spirituellement ce Vendredi Saint où, assis près du lac de Zurich, il regardait opérer autour de lui les forces de la vie. D'innombrables semences germaient, des bourgeons se développaient, formant un merveilleux flot de vie, et Wagner se demandait quel lien pouvait bien exister entre la mort du Sauveur sur la Croix et cet épanouissement de toute la nature. Et c'est ainsi qu'il toucha au coeur même du Mystère du Saint-Graal. 

La dernière conférence nous a appris, entre autres choses, que l'homme est la plante invertie, et Platon donnait ce même enseignement occulte lorsqu'il disait que "l'Ame du Monde est crucifiée". Le bras horizontal de la Croix représente les influences des esprits-groupes des animaux qui entourent la Terre, se manifestant à travers l'épine dorsale horizontale des animaux. Ceux-ci sont entre les plantes et l'homme: les plantes sont représentées par le bras inférieur de la Croix, et l'homme par son bras supérieur. 

Nous savons que les esprits-groupes des plantes sont au centre de la Terre; ils irradient les lignes de force qui traversent continuellement arbres et plantes. L'homme, au contraire, reçoit son influx spirituel du soleil et par la tête: il est donc, à ce point de vue, la plante invertie. Remarquons aussi que la plante se nourrit par les racines et l'homme par la tête. La plante est chaste et sans passion: elle dresse chastement vers le soleil son organe créateur, la fleur, objet de beauté, contrairement à l'homme dont les organes créateurs pleins de passion sont tournés vers la Terre. 

L'homme exhale l'acide carbonique, alors que la plante répand le vivifiant oxygène. L'homme est donc bien l'opposé de la plante. 

Dans le Mystère du Saint-Graal, l'homme était amené à voir, ou mieux à ressentir ces vérités. On lui disait: 

"Regarde autour de toi; vois partout dans la nature, toutes ces plantes qui croissent, toutes ces semences qui germent. 

"Cette force créatrice que tu vois en elles n'est pas autre chose que ce qui est en toi et en tout être humain; mais dans la plante elle s'exprime en sens opposé. Entre la plante et le dieu, il y a l'abîme de la passion. 

"Les animaux sont aussi pleins de passion; ils ont le sang rouge qui donne les passions; mais dans la plante nous voyons la chasteté et cette chasteté doit être recouvrée. 

"Il est certaines étapes de l'évolution par lesquelles il te faut passer; tu dois redevenir pur et exempt de passion. C'est pourquoi cet emblème, le Calice du Saint Graal, que tu vois ici, est comparable au calice de la plante, qui contient la semence. Il est l'emblème de la pureté, qu'il faut avoir sans cesse devant les yeux pour aspirer à cet idéal élevé, à cette pureté que renferme la plante." 

Cette conception est aussi représentée par la coupe de communion utilisée dans les églises, emblème de l'idéal pour lequel nous luttons. En allemand, la coupe de communion a le même nom que le calice de la fleur (Kelch); dans d'autres langues son nom a une signification semblable (en français: calice).

Le Calice de la Communion n'est donc pas une coupe de vin: c'est un calice qui pour nous contient l'essence même de la vie dans sa pureté première: une essence spirituelle, vivifiante. Elle n'est pas l'esprit paralysant, l'esprit fermenté et destructeur que nous donna Noé, mais ce fluide générateur de vie qu'est le sang de la plante. Nous venons de décrire l'un des emblèmes offerts à l'étudiant des Mystères comme idéal à réaliser en lui. 

L'autre emblème était la lance sacrée, symbolisée par le rayon de soleil qui descend ouvrir la fleur. Le rayon de soleil est la représentation du pouvoir spirituel qui travaille à produire partout dans l'univers; un pouvoir particulièrement puissant, mais aussi fort dangereux lorsqu'employé sans discernement ou de manière abusive. Nous le voyons bien dans la légende de Parsifal, où Parsifal, Amfortas et Klingsor représentent trois classes: Amfortas utilisant le pouvoir spirituel sans discernement, Klingsor l'utilisant à des fins égoïstes, et Parsifal l'employant de la seule façon correcte. Le pouvoir est le même, mais ses diverses utilisations produisent des effets différents. Le feu est le plus grand allié de l'homme lorsque ce dernier en est le maître et s'en sert à des fins utiles; mais son emploi dans des intentions mauvaises ou avec ignorance le rend dangereux. 

Parsifal représente le mystique dont les sentiments ont été éveillés. Il n'est pas apte à posséder le pouvoir spirituel jusqu'à ce qu'il ait été tenté et mis à l'épreuve, car l'homme dont les sentiments sont intenses est particulièrement sujet à commettre des erreurs. Contre le mal évident, il est en sécurité, du fait de son innocence même, comme lorsque Parsifal ne perçoit rien de sensuel dans les avances que lui font les Filles-fleurs; il est si sincère et pur que cela ne le touche en rien. Mais innocence n'est nullement synonyme de vertu: l'innocence est une pureté négative comme celle des enfants; elle est profondément différente de la vertu, qui a passé saine et sauve à travers le feu des tentations et qui est maintenue dans le droit chemin par un sentiment inné de la vérité. N'ayant pas été mise à l'épreuve, l'innocence est inférieure à la vertu du pécheur qui s'est repenti et réformé, et qui s'en tient fermement à la droiture comme étant le chemin de la paix et de la joie, parce qu'il a connu les souffrances rencontrées dans le chemin de l'erreur. 

Amfortas est tenté, il succombe et souffre. Parsifal, témoin de ses souffrances, éprouve de la compassion pour sa douleur, parce qu'ayant brisé son arc, il est devenu inoffensif. 

L'homme capable de tuer ne peut éprouver de compassion; celui qui est incapable de faire le mal possède un coeur tendre. Et voyez quel bienfait peut être cette commisération! Parsifal est habituellement si heureux et joyeux qu'il a laissé Herleide - le chagrin - loin de lui; voyez-le dans le jardin où il rencontre les Filles-fleurs, sa figure resplendit de joie innocente. Vient alors la tentation de Kundry: elle lui cause une souffrance, chose à laquelle Parsifal n'est pas habitué; et l'association d'idées ramène devant sa vision intérieure cette autre scène où il a éprouvé de la souffrance, la scène du Château du Graal où le roi blessé officiait selon le rite sacré. Il regarde et il comprend grâce à la sympathie que son innocuité a éveillée: sans elle, lui aussi risquait de succomber aux subtiles tentations de Kundry. 

Klingsor est l'antithèse complète de Parsifal. Ce n'est pas un naïf; il possède la science, et par cette science il dirige son pouvoir en dehors de tout sentiment. Il s'est mutilé: il a tué en lui tout sentiment au lieu de chercher à le contrôler. Quand nous suivons le sentier mystique, les sentiments sont puissamment excités; et si nous ne sommes pas devenus inoffensifs et n'avons pas cessé de vivre d'une nourriture imprégnée de sentiments bas, nous sommes très exposés à la chute. On sait que les plus fervents zélateurs sont excessivement sensuels et ont été la cause de grands scandales religieux: ils sont accusés d'hypocrisie, alors qu'en réalité ils étaient très sincères, mais incapables de discipliner les profondes vagues de sentiments qui les ont emportés, à cause de leur nourriture impure. 

Klingsor n'est pas disposé à courir de tels risques; c'est pourquoi il a mutilé ses organes sexuels, se mettant ainsi dans l'impossibilité de satisfaire ce désir et de perdre son pouvoir, comme il en est advenu d'Amfortas lorsqu'il a succombé aux charmes de Kundry. Dans l'Anneau des Niebelungen, nous rencontrons le même principe: celui qui désire le pouvoir doit être parjure à l'amour; Alberich le fait pour posséder l'Or du Rhin, et c'est une calamité pour les dieux et les hommes. Quand la tête ou l'intellect commande en dehors des sentiments, comme c'est le cas chez l'occultiste intellectuel, c'est le sentier noir qui s'ouvre devant lui. 

C'est dans l'alliance de la tête et du coeur que se trouve le véritable équilibre et la seule sécurité. 

Amfortas n'aurait pu succomber s'il avait été inoffensif, mais il envisageait un mauvais usage du pouvoir spirituel symbolisé par la lance: il allait s'en servir sans discernement contre Klingsor, c'est pourquoi elle réagit contre lui et le blessa. Le mage noir et le mage blanc utilisent tous les deux la même force, le pouvoir spirituel. Or il est aussi impossible d'employer une force spirituelle contre un être spirituel que de noyer un poisson dans l'eau: c'est pour cela qu'au moment où Klingsor jette la lance - le pouvoir spirituel - contre Parsifal, elle flotte inoffensive au-dessus de lui. Parsifal à son tour la dirige seulement contre le château, et pas contre Klingsor: les êtres bons ne peuvent employer le bien pour détruire le mal directement, mais seulement de manière indirecte en montrant aux méchants le grand pouvoir de Dieu. 

De même que la fleur attire purement et chastement la force vitale - le pouvoir spirituel - du rayon de soleil, de même qu'elle développe sa beauté inoffensive, nous devons développer dans la pureté et dans une vie inoffensive les pouvoirs spirituels latents chez l'homme. Nous ne devons ni tuer nos sentiments, ni chercher à échapper à leur expression comme le font ceux qui prononcent des voeux et entrent dans des cloîtres pour se mettre à l'abri de la tentation, ou du moins de sa réalisation en actes. Le désir peut être aussi violent chez un moine que chez un chevalier, mais le moine a rendu impossible par son voeu la satisfaction de son désir tandis que le chevalier est libre de choisir le bien ou le mal. S'il surmonte virilement la tentation, comme le fit Parsifal, il éveille en son être cet amour sublime qui est aussi dégagé des passions sensuelles que le ciel est éloigné de l'enfer. Nous, Chrétiens, ressemblons au Roi Amfortas; nous avons temporairement perdu nos pouvoirs spirituels du fait de nos excès et de notre impureté; mais des cendres de cet état actuel sortira la Chrétienté nouvelle, symbolisée par Parsifal, qui guérira les souffrances de l'ancienne et prendra sa place. 

Cet état personnel dont le Saint-Graal est l'emblème, est le degré où ce qui est temporaire cède la place à ce qui est durable et permanent. 

Nous construisons nos corps avec des aliments carnés, qui le quittent rapidement; les végétaux eux-mêmes ne sont pas stables. Nos corps changent entièrement en quelques années. Le végétal, au contraire, a un corps qui dure à travers les âges, même après que la vie l'a quitté, comme nous le voyons dans les constructions de bois qui durent un siècle ou plus. Quel est le secret de cette durée? 

L'arbre est presque exclusivement fait de carbone. Ce carbone lui vient de l'acide carbonique exhalé par les animaux et l'homme; en d'autres termes, nous rejetons à chaque expiration ce qui, si nous le gardions, construirait un corps durable. Et que devient ce bois? Après des millénaires, il est transformé en charbon, du carbone noir. La substance la plus dure et la plus durable sur la Terre est le carbone blanc, le diamant. 

Si nous pouvions trouver le moyen de conserver ce carbone, nous deviendrions ce que les Hindous appellent l'Ame de Diamant, le corps parfait et immortel. Nous construirions ce que les Rosicruciens appellent la Pierre Philosophale, qui est l'élixir de vie, la panacée contre les souffrance du monde. Nous comprendrions alors la signification de la mer de verre de la Nouvelle Jérusalem, et celle de la "mer de fonte" qui fut le dernier travail de Hiram Abiff, le grand Architecte du Temple de Salomon, travail non fait de main d'homme. Car toutes ces choses expriment la même vérité que le Saint-Graal: elles ne peuvent être atteintes que par ceux dont le coeur est pur et qui ayant vaincu les embûches du monde, sont capables d'aider l'humanité. 


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