MAX HEINDEL
Cycle de conférences du Christianisme
de la Rose-Croix
1908
Deuxième Conférence
OU SONT LES MORTS ?
Un peu de réflexion montrera très vite à tout chercheur que nous vivons dans un monde d'effets qui est le résultat de causes invisibles. Nous voyons la matière et la forme, mais la force qui modèle les formes de la matière et les anime est invisible pour nous. La vie ne peut être connue directement par les sens; elle est invisible, et son existence propre est indépendante des formes variées qui constituent ses manifestations visibles.
L'électricité, le magnétisme, la vapeur, etc., sont des noms donnés à des forces que nos yeux physiques n'ont jamais vues, bien qu'en nous conformant à certaines lois découvertes par l'expérimentation, nous en ayons fait nos serviteurs les plus précieux. Nous voyons leurs manifestations dans le mouvement des véhicules dans la rue, des chemins de fer et des navires; elles éclairent notre voie la nuit et portent nos messages autour du globe avec une vitesse qui supprime les distances, mettant les antipodes à notre porte en quelques secondes. Elles répondent au moindre signe ou au moindre appel à n'importe quel moment, infatigables et fidèles dans l'accomplissement d'innombrables tâches; et pourtant, comme nous venons de le dire, nous n'avons jamais vu ces fidèles et précieux serviteurs.
Ces forces de la Nature ne sont ni aveugles, ni sans intelligence comme nous le pensons par erreur; il en existe de nombreuses catégories et leur vie se manifeste de différentes manières. Peut-être un exemple pourra-t-il éclairer l'état de leurs relations avec nous; supposons qu'un charpentier construise une clôture et qu'un chien l'observe. Le chien voit à la fois le charpentier et son travail, bien qu'il ne comprenne pas entièrement ce que fait son maître. Si le charpentier était invisible pour le chien, celui-ci verrait la clôture s'élever lentement; il verrait s'enfoncer chaque clou, percevant ainsi la manifestation mais non la cause: l'animal serait ainsi, relativement au charpentier, dans l'état où nous sommes par rapport aux forces naturelles qui se manifestent autour de nous en tant que pesanteur, électricité ou magnétisme.
Pendant les siècles passés, mais particulièrement pendant les soixante dernières années, la science a fait des pas de géant dans l'étude du monde où nous vivons, et il en résulte qu'un monde, jusqu'à maintenant invisible nous est révélé. Avec des télescopes de puissance accrue, les astronomes ont pu, dans l'espace, atteindre et découvrir de plus en plus de mondes; avec un admirable esprit inventif, ils ont adapté l'appareil photographique au télescope, et ont pu photographier ainsi des soleils à des distances tellement énormes que leurs rayons n'impressionnent pas nos yeux, et ne peuvent être saisis que par des heures d'exposition d'une plaque photographique sensible.
Dans la direction de l'infiniment petit, la perfection accrue du microscope a donné des résultats analogues: un monde qui jusqu'alors était invisible pour nous, a été découvert, monde qui renferme une extrême activité de vie et qui montre une diversité de formes à peine moins complexe que le monde perçu par nos sens.
L'effort que demandent ces recherches, penché sur l'oculaire du microscope, est sévère et fatigue intensément les yeux; mais là aussi la photographie apporte son aide à l'homme.
Avec une fixation appropriée et à la vitesse de l'éclair, elle permet d'établir des recueils permanents de phénomènes microscopiques, peut-être au taux d'environ soixante-dix négatifs à la seconde. Ceux-ci peuvent ensuite être agrandis et projetés sur un écran comme un film cinématographique; ils peuvent être vus par des centaines de personnes en même temps, confortablement et sans gêne aucune.
Nous pouvons voir la sève circuler lentement dans les veines d'une feuille, ou observer de quelle manière le sang court comme le ruisseau d'un moulin dans les veines semi-transparentes d'une patte de grenouille. Les vers dans le fromage apparaissent aussi grands que des crabes, allant de côté et d'autre à la recherche d'une proie. Une goutte d'eau contient de nombreuses bulles sombres qui grandissent et éclatent, projetant une foule de globules minuscules qui à leur tour gonflent et rejettent leur postérité. Le docteur Bastian, de Londres, a même pu voir comment une petite tache noire sur l'épine dorsale d'un cyclope (animalcules nombreux dans une goutte d'eau) se transformait en grandissant en un parasite qui se nourrissait sur le cyclope.
Au moyen des rayons X, la science a pu pénétrer dans les recoins les plus intimes du corps dense de l'homme vivant, en photographiant le squelette et tout corps étranger qui a pu s'y loger par accident.
Ainsi, dans de nombreuses directions, un monde jusqu'ici invisible s'est offert à la vue des chercheurs persévérants. Qui oserait dire que la limite est atteinte, qu'il n'y a pas d'autres mondes dans l'espace au-delà des mondes actuellement photographiés par les astronomes, qu'il n'y a pas de vie habitant des formes plus minuscules que celles découvertes par nos meilleurs microscopes d'aujourd'hui? Demain pourrait être conçu un instrument qui dépassera toutes les inventions antérieures, et révélera une grande partie de ce qui nous est caché aujourd'hui. L'infinité de l'infiniment grand et de l'infiniment petit semble être hors de doute et indépendante de l'étendue de notre connaissance.
Si nous considérons les merveilleuses réalisations des sciences physiques, il est un point particulièrement digne d'être noté: c'est que chaque découverte nouvelle a été réalisée grâce à des inventions nouvelles ou à l'amélioration d'inventions existantes, destinées à aider nos perceptions sensorielles; telle est la raison pour laquelle les recherches de la science ont été limitées au monde des sens, le monde physique dense. Les savants ont étudié les éléments chimiques: solides, liquides et gaz; mais au-delà de ces éléments, ils ne possèdent pas d'instruments capables d'atteindre une matière plus fine encore, cet "éther" dont ils sont contraints d'admettre l'existence parce que, sans ce milieu plus subtil, il leur serait impossible d'expliquer la lumière, l'électricité, etc. Nous voyons donc que les sciences physiques reconnaissent implicitement que l'existence d'un monde invisible est une nécessité dans l'économie de la nature.
La science matérielle et la science occulte sont donc toutes deux d'accord sur ce point, et toutes deux cherchent dans le monde invisible la solution de certains problèmes. Elles diffèrent quant à leurs méthodes de recherche et à la créance que l'on peut accorder aux résultats qu'elles donnent. La science physique cherche l'explication de problèmes à résoudre sur des bases uniquement physiques, par exemple le passage des ondes lumineuses à travers le vide ou la ressemblance des fleurs de la saison présente avec celles des étés passés. Dans de tels cas, la science admet comme postulat quelque chose d'invisible et d'intangible, comme l'éther ou l'hérédité, et s'enorgueillit de sa perspicacité et de la simplicité de ses explications.
La science occulte affirme qu'il y a une cause invisible à la base de TOUS les phénomènes visibles. Celle-ci, une fois connue, apportera une connaissance plus exacte des faits de la vie qu'un concept mécanique; et l'idée la plus globale de la vie est obtenue par l'étude à la fois des phénomènes visibles et des noumènes ou causes fondamentales du monde invisible.
C'est pourquoi la science spirituelle poursuit ses recherches dans les mondes invisibles et offre, pour tous les problèmes de la vie, une solution plus précise et plus raisonnable que de simples faits scientifiques uniquement tirés de l'observation de phénomènes physiques.
La science matérialiste admet comme postulats l'éther et l'hérédité, en tant que solutions des problèmes cités ci-dessus, bien qu'elle soit incapable de donner une preuve réelle de la vérité de ces hypothèses, à part leur apparence raisonnable. Et pourtant, quand la science spirituelle emploie des méthodes identiques et soutient l'existence de l'âme, son immortalité, son existence antérieure à la naissance et sa persistance après la mort, son indépendance du corps, etc., la science matérialiste se moque et parle avec inconséquence de superstition et d'ignorance. Elle demande des preuves, bien que la démonstration offerte soit au moins aussi bonne que la démonstration scientifique de l'existence de l'éther, de l'hérédité et de beaucoup d'autres idées avancées par la science - implicitement admises par la foule qui admirativement courbe le front dans la poussière devant toute affirmation étayée par le mot magique de Science.
Nul ne peut démontrer la véracité d'un théorème de géométrie à une personne qui n'est pas familiarisée avec les principes des mathématiques. Pour des raisons analogues, les faits des mondes intérieurs ne peuvent être prouvés au savant qui n'étudie que les sciences matérielles. Si la personne dénuée de connaissances mathématiques étudie cette science, elle trouvera facilement satisfaction quant à la solution du problème posé. Quand le savant ès-sciences physiques se sera adapté à saisir les faits hyperphysiques, il obtiendra la preuve des théories qu'il combat aujourd'hui comme des superstitions et se sentira forcé de les approuver.
La science spirituelle commence ses recherches au point où la science matérialiste abandonne les siennes, aux portes des mondes hyperphysiques, dénommés par erreur surnaturels. Rien n'est "surnaturel" ou "pas naturel"; rien au monde ne peut être en dehors de la nature, bien que beaucoup de choses puissent être hyperphysiques, car le monde physique est la partie la plus petite de la Terre.
Cependant, contrairement au savant qui étudie les sciences matérielles, celui qui étudie les science spirituelles ne poursuit pas ses recherches au moyen d'instruments mécaniques, mais en s'améliorant lui-même; en cultivant des facultés de perception qui sont latentes dans tous les êtres humains et peuvent être éveillées par une discipline appropriée. Les mots du Christ: "Cherchez et vous trouverez" (Matthieu 7:7) s'appliquaient particulièrement aux facultés spirituelles et visaient tous les "hommes de bonne volonté". Tout dépend de nous-mêmes; il n'y a personne pour gêner et, au contraire, beaucoup de gens pour aider l'homme qui recherche sérieusement la connaissance. L'étude des voies et moyens est cependant en dehors de notre sujet actuel et sera élucidée dans les conférences suivantes (no 3 et 11).
"Mais, dira-t-on, à quoi bon s'inquiéter d'un monde invisible? Nous sommes placés ici-bas dans ce monde matériel: que faire d'un monde invisible? Et même s'il est vrai que nous y allions après la mort, pourquoi ne pas s'intéresser à chaque monde en son temps? A chaque jour suffit sa peine (Matthieu 6/34); pourquoi en chercher davantage?"
Cette façon de voir est certes à bien courte vue. En premier lieu, une connaissance exacte de l'état qui suit la mort ferait disparaître la peur de la mort qui hante tant de gens, même alors qu'ils jouissent de la santé la plus solide. Dans la vie la plus insouciante, il y a des moments où la pensée du saut dans le noir, qu'il faudra bien faire un jour, émousse le sens du plaisir dans la vie; et toute explication offrant des connaissances précises et dignes de confiance sur cet important sujet devrait sans aucun doute être accueillie avidement.
D'autre part, quand nous regardons autour de nous dans le monde, nous trouvons une loi qui doit être manifeste même pour les plus endurcis: la loi de cause à effet.
Chaque jour, notre travail et notre condition dépendent de ce que nous avons fait ou n'avons pas fait la veille; il nous est absolument impossible de nous arracher à notre passé, de "prendre un nouveau départ". Nous ne pouvons accomplir un acte qui ne soit lié de quelque manière à nos actes précédents, limité et restreint par des conditions antérieures; et il semble tout aussi raisonnable de supposer que le mode d'expression de la vie dans le monde invisible, quel qu'il soit, sera dans une certaine mesure déterminé par notre mode de vie actuel. Autre affirmation logique: si des informations dignes de foi sur ce monde invisible peuvent être obtenues, il serait sage de les connaître pour s'y préparer, pour la même raison que lorsque nous voulons voyager dans un pays étranger, nous nous familiarisons avec sa géographie, ses lois, ses coutumes, sa langue ou autres renseignements nécessaires. Nous le faisons en connaissance de cause, sachant que plus nous aurons sérieusement assimilé cette connaissance, plus nous profiterons de notre voyage et moins nous aurons d'ennuis dus à des conditions inhabituelles. Le même raisonnement doit logiquement tenir en ce qui concerne l'état qui suit la mort.
Quelque objecteur pourra dire encore: "Ah mais, c'est précisément là le hic! Ce que peuvent être les circonstances après la mort, personne ne le sait avec certitude. Ceux qui prétendent savoir ne sont pas d'accord dans leurs récits, dont beaucoup sont déraisonnables, impossibles...".
En premier lieu, personne n'a moralement le droit d'affirmer que nul ne sait, à moins d'être lui-même omniscient et de connaître l'étendue du savoir de tous les vivants; et c'est le comble de la prétention que d'essayer de juger les capacités mentales de tous les autres avec des idées exagérément étroites, comme le sont habituellement celles des pédants qui émettent de telles affirmations. Le sage a toujours une oreille ouverte aux idées nouvelles, il est toujours désireux et avide de recherches nouvelles.
Même s'il n'y avait qu'un seul homme possédant la connaissance des mondes invisibles, cela ne prouverait pas nécessairement qu'il se trompe. Galilée n'était-il pas seul à soutenir sa théorie sur le mouvement des corps célestes, à laquelle le monde occidental tout entier s'est converti depuis?
Quant aux différences entre les récits de ceux qui prétendent connaître les mondes invisibles, non seulement on doit s'y attendre, mais elles constituent un élément de valeur, comme va nous le montrer un exemple pris dans la vie de chaque jour.
Supposons que la ville de San Francisco ait été entièrement reconstruite à une échelle imposante avec tous les perfectionnements les plus récents et les plus modernes, et que la ville ait décidé d'organiser à cette occasion une grande fête. Des milliers de gens accourraient en foule à Golden Gate pour se réjouir de voir le nouveau Phénix sorti des cendres de cette belle cité, si soudainement effacée de la surface du globe par un terrible incendie. Entre autres viendraient sans doute en grand nombre, des journalistes, des correspondants de différentes régions pour envoyer des comptes rendus à leurs journaux respectifs. Bien que les journalistes soient des observateurs exercés, on peut prédire d'avance qu'il n'y aurait pas deux articles pareils. Il en est qui pourraient avoir des points communs; mais certains différeraient des autres à tous égards, pour la simple raison que chaque journaliste voyait la cité selon son propre point de vue et notait seulement ce qui l'attirait. Aussi, au lieu que la diversité des comptes rendus soit un argument contre leur exactitude, il est évident qu'ils auront tous une valeur en tant que phases différentes d'un même tout; et l'on peut affirmer qu'une personne ayant lu tous les comptes rendus aurait une idée beaucoup plus générale de San Francisco que si elle avait lu un article unique signé par tous les journalistes.
Le même principe est valable en ce qui concerne les différents récits qui décrivent les mondes invisibles: ils ne sont pas nécessairement faux parce qu'ils varient mais au contraire, ils forment par leur réunion une narration plus complète.
Quant aux histoires "impossibles", supposons que l'un de nos journalistes de San Francisco ait passé le temps à s'amuser au lieu d'observer, qu'il ait rédigé un article de pure imagination: cela ne saurait infirmer les articles honnêtes. Supposons encore que l'un d'eux porte une paire de lunettes jaunes, qu'on lui aurait mise à son insu, et qu'il dise que les maisons et les rues étaient d'or: cela montrerait seulement son ignorance du fait que cette couleur était celle des verres et non de la ville, et son erreur ne saurait diminuer l'exactitude et la véracité des autres récits.
Souvenons-nous enfin que, si certains faits dépassent pour le moment notre pouvoir de raisonnement, cela ne prouve pas qu'ils sont déraisonnables. Le fait qu'un bébé ne peut comprendre les racines carrées ne constitue pas un argument valable contre les mathématiques.
En résumé, aucun argument raisonnable ne peut être avancé par le matérialiste pour prouver qu'il n'y a pas de monde invisible, pas plus qu'un aveugle-né ne saurait discuter avec succès pour réfuter l'existence de la lumière et de la couleur dans le monde qui l'entoure. S'il recouvre la vue, il les verra. Aucun argument de la part de ceux qui sont aveugles aux mondes invisibles ne peut donc convaincre le clairvoyant que ce qu'il voit n'existe pas; et si le sens nécessaire est éveillé chez ces gens, eux aussi en viendront à percevoir un monde auquel ils étaient auparavant insensibles, bien qu'il entoure chacun de nous - de même que la lumière et la couleur sont répandues dans le monde des sens, qu'elles soient perçues ou non.
Passant de cette épreuve négative de l'existence des mondes hyperphysiques à une évidence plus positive, un exemple simple va nous montrer comment, dans la nature, la matière est en perpétuel changement, d'un état plus dense à un état plus subtil. Si nous prenons un bloc de glace, nous avons un "solide"; en le soumettant à l'action de la chaleur, nous augmentons les vibrations des atomes qui le composent, et il devient un "liquide" appelé "eau".
Si nous chauffons encore davantage, nous élevons les vibrations des atomes de l'eau à un tel degré qu'elle devient invisible à l'oeil: nous avons alors un "gaz" que nous appelons "vapeur". La même matière qui était visible dans la glace et dans l'eau a disparu de notre vue, mais n'a pas cessé d'exister: car par refroidissement elle peut être condensée en eau et peut ensuite être congelée en bloc de glace.
Bien que la matière puisse cesser d'être à portée de notre perception, elle persiste toujours. De même, la conscience continue, bien qu'elle puisse être incapable de nous donner le plus léger indice de son existence. Nous en avons la preuve dans des cas de mort apparente où ni le plus faible battement du coeur ni le plus léger mouvement respiratoire ne peuvent être perçus, et au dernier moment, peut-être avant l'enterrement, le supposé mort revenait à la vie, répétant chaque mot et décrivant chaque de ceux qui l'entouraient durant sa léthargie.
Nous savons tous que la matière, qui est indestructible, peut exister en des états invisibles et intangibles; et la conscience est aussi éveillée ou même plus subtile lorsque le corps physique est en état de léthargie, que dans l'état de veille de la vie ordinaire; dès lors, n'est-il pas raisonnable de supposer que cette conscience puisse modeler la matière invisible pour nous et y fonctionner dans l'état d'après-vie, de même qu'elle façonne la matière de ce monde pendant la vie terrestre? Elle apporterait ainsi la vie à un autre monde de forme et de conscience, aussi réel pour l'esprit désincarné, que ce monde pour les yeux des corps de chair.
Même pendant la vie dans le corps physique, nous connaissons le monde invisible et avons affaire à lui à tout moment de notre existence; et la vie que nous vivons en lui est la part la plus importante de notre être, la base de notre vie dans le monde physique.
Nous avons tous une vie intérieure où nous vivons au milieu de nos pensées et de nos sentiments, dans des scènes et des conditions inconnues de notre entourage extérieur. C'est là que l'intellect forme nos idées en images mentales que nous extériorisons ensuite. Gens et choses que nous voyons autour de nous, avec qui nous prenons contact par nos sens et que nous considérons comme réels, tous ne sont que les ombres éphémères d'un monde invisible et intangible. Le monde visible est une cristallisation des mondes invisibles, essentiellement semblable à la cristallisation des sécrétions du corps mou de l'escargot en une solide coquille. La maison de l'escargot est inerte et resterait immobile si l'animal ne la déplaçait; de même les corps des plantes, des animaux et des hommes ne sont que des émanations inertes de l'esprit qui habite les mondes invisibles; et sans cette vie intérieure qui stimule les formes et les fait agir, elles seraient incapables de mouvement. Le corps est conservé aussi longtemps qu'il sert les desseins de l'esprit; quand celui-ci le quitte, rien ne maintient plus la cohésion de la forme, et elle meurt.
Bien plus, tout ce que nous voyons autour de nous: maisons, voitures, navires, téléphones, bref, tous les objets qui ont été façonnés par la main de l'homme, ne sont que des imaginations concrétisées qui avaient leur origine dans le monde invisible. Si Graham Bell n'avait pas été capable d'imaginer le téléphone, celui-ci n'aurait jamais existé. La "vie intérieure" de Fulton fut le premier témoin de la naissance du bateau à vapeur, bien avant qu'il ne devînt le visible "Clermont".
Quand à la réalité et à la permanence des objets dans le monde invisible, elles sont bien plus grandes que celles des choses visibles que nous considérons par erreur comme le comble du "réel". Nous pensons que nos images mentales et nos imaginations sont moins réelles qu'un mirage, et nous en parlons avec légèreté comme d'une "simple pensée" ou "juste une idée", alors qu'en vérité elles sont les réalités fondamentales de tout ce qui nous entoure.
Un exemple fera mieux ressortir ce point.
Lorsqu'un architecte veut construire une maison, il ne se contente pas d'envoyer du bois et d'autres matériaux là où l'on doit construire, d'embaucher des ouvriers et de leur dire de s'y rendre et de construire. Il formule une idée; il l'étudie entièrement, construisant d'abord la maison "dans son esprit" avec autant de détails que possible. Ce modèle mental permettrait de construire la maison, s'il pouvait être vu par les ouvriers; mais il est encore dans le monde invisible, et, bien que l'architecte le perçoive clairement, "le voile de la chair" empêche les autres de la voir. Il devient donc nécessaire d'apporter ce modèle dans le monde des sens, et de faire un plan visible que les ouvriers pourront suivre. C'est là la première réalisation matérielle de l'image mentale de l'architecte; et, quand la maison est construite, nous voyons en pierre et en bois ce qui fut d'abord dans l'esprit de l'architecte une idée invisible pour nous.
Quant à la solidité relative de l'idée et de la construction, il est évident que la maison peut être détruite par la dynamite ou tout autre puissant élément de destruction, alors que l'"idée" dans l'esprit de l'architecte ne peut être détruite même par lui; et en partant de cette "idée", une maison semblable peut être construite à n'importe quel moment que vit l'architecte. Même après sa mort, l'idée peut être retrouvée dans la "mémoire de la nature" (que nous expliquerons plus longuement dans la prochaine causerie), par toute personne qualifiée pour cette recherche; car, quel que soit le temps écoulé depuis que l'impression s'y est faite, elle n'est jamais perdue ni détruite.
Nous pouvons donc "conclure" ainsi par induction à l'existence d'un monde invisible; mais ce n'est pas là le seul moyen de la prouver. Il y a abondance de témoignages directs pour montrer qu'un tel monde existe, témoignages de personnes d'une intégrité indiscutable, dont la véracité et l'exactitude n'ont jamais été mises en doute sur d'autres sujets; toutes déclarent que le monde invisible est habité par ceux que nous appelons les morts qui vivent là en pleine possession de leurs facultés mentales et émotionnelles, dans des conditions qui rendent leur vie aussi réelle et profitable que la nôtre, peut-être même plus. De plus, il est possible de prouver qu'au moins certains d'entre eux prennent un intérêt considérable aux affaires du monde physique. Il nous suffira de prendre deux exemples dont la renommée est mondiale.
Nous avons d'abord le témoignage de Jeanne d'Arc, la "pucelle d'Orléans", entendant "des voix qui lui parlaient et la conduisaient". Examinons l'histoire de sa vie et voyons si elle ne porte pas le sceau de la vérité. C'est une jeune paysanne simple, pure et innocente, à peine plus qu'une enfant, qui n'avait jamais quitté son village natal avant de partir pour sa "mission. Elle était timide à l'extrême et craignait de désobéir à son père; mais les "voix" impérieuses la poussèrent à braver son mécontentement, et elle partit pour aller voir le Roi de France. Après bien des aventures, toujours guidée par ses voix, elle obtint finalement une audience du Roi. Lorsqu'elle entra, le Roi se tenait au milieu de ses courtisans, un mannequin occupait le trône, et chacun s'attendait à la voir déconfite, car elle n'avait jamais vu le Roi; mais, guidée par les voix fidèles, Jeanne marcha vers lui sans hésitation et le salua. Elle le convainquit de la vérité de sa mission en lui murmurant à l'oreille un secret d'une importance capitale qu'il était seul à connaître.
Par suite des preuve données, le commandement de l'armée française fut enlevé aux généraux expérimentés, qui avaient été battus par les Anglais en toutes occasions, et remis aux mains de cette enfant qui ne savait rien elle-même de l'art de la guerre; pourtant, conseillée par ses aides invisibles, elle conduisit les troupes françaises à la victoire. Sa science de la tactiques militaire fut un constant sujet d'étonnement pour ses compagnons, et constitue une preuve de l'existence des guides dont elle se réclamait.
Nous la voyons ensuite prisonnière, soumise à des menaces ou des flatteries trompeuses, selon l'humeur de ses cruels persécuteurs, pour l'amener à reconnaître qu'il n'y avait pas eu de voix; mais les registres des procès-verbaux de ses différents interrogatoires montrent dans ses réponses une simplicité de pensée, une innocence et une franchise sans égale dans les annales de l'histoire, et qui confondaient ses juges en toutes occasions. Même la mort sur le bûcher ne put lui faire abjurer la vérité telle qu'elle la connaissait; et aujourd'hui encore son témoignage quant aux voix du monde invisible qui la guidèrent demeure inébranlable, scellé de son sang. Cette martyre de la vérité a plus tard été canonisée par l'Eglise qui l'avait brûlée.
"Mais, pourra-t-on dire sans doute, elle était honnête, mais elle n'était qu'une simple petite paysanne, ignorant qu'elle souffrait d'hallucinations!" Etranges hallucinations, qui lui permettaient de découvrir sans hésitation le Roi qu'elle n'avait jamais vu, de lui dire un secret inconnu de toute autre personne, et de donner des descriptions exactes de batailles qui se livraient bien des lieues plus loin, descriptions ultérieurement confirmées par les participants.
Mais passons à notre second témoin, qui n'est en aucune manière un "simple d'esprit". A ce point de vue, Socrate forme le plus absolu contraste avec Jeanne d'Arc, car son intelligence était la plus subtile et son esprit le plus grand que nous connaissions, et demeurent inégalés jusqu'à ce jour. Lui aussi paya de sa vie son témoignage relatif à des voix le guidant du monde invisible; et il apparaît bien évident qu'il devait s'agir d'une voix extraordinairement intelligente, ou elle n'aurait jamais été capable de conseiller un sage aussi grand que Socrate.
Nul ne peut dire qu'il était fou ou souffrait d'hallucinations, car un homme comme Socrate, habitué à peser toutes choses avec tant de subtile exactitude, est au-dessus de tout soupçon à ce point de vue. L'attitude la plus raisonnable est donc de reconnaître "qu'il y a plus de choses au ciel et sur la terre" que nous n'en connaissons individuellement ou collectivement, et de commencer aussitôt nos recherches.
C'est là ce que font de nos jours les personnes les plus avancées, comprenant qu'il est tout aussi absurde d'être trop sceptique dans ses recherches, que d'être trop crédule et de prendre pour parole d'évangile tout ce qu'on entend dire. C'est seulement en nous informant correctement qu'il nous est possible d'arriver à une conclusion digne de notre qualité d'êtres humains, quelle que soit cette conclusion.
Reconnaissant ce principe et l'importance capitale du sujet, la Société pour les Recherches Psychiques s'est créée il y a plus d'un quart de siècle; elle compte parmi ses membres quelques-unes des plus brillantes intelligences de notre époque. Ils n'ont épargné nulle peine pour séparer la vérité de l'erreur dans les milliers de cas soumis à leur examen; le résultat obtenu est tel que Sir Olivert Lodge, un des plus éminents savants de notre époque, a pu, comme président de la société, donner au monde il y a plusieurs années l'affirmation suivante:
"L'existence d'un monde invisible habité par les soi-disant morts, et leur pouvoir de communiquer avec notre monde, ont été établis en dehors de toute erreur possible dans un nombre de cas tellement élevé, qu'il ne peut rester de place pour le doute".
Venant d'un des plus grands savants modernes, qui apportait à ses études psychiques un esprit aiguisé par la science, qui était de ce fait bien protégé contre toute duperie possible - un tel témoignage doit imposer le plus grand respect à tous ceux qui cherchent la vérité.
Ayant ainsi offert des preuves par induction, par déduction ou directes, nous pouvons ajouter que l'existence d'un autre monde intangible aux cinq sens, mais réellement étudié grâce à un "sixième sens", fait partie de la Nature, que nous le reconnaissions ou non, comme la lumière et la couleur existent tout autour de l'aveugle aussi bien que de celui qui voit. C'est une grande perte pour l'aveugle de ne pas voir lumière et couleur autour de lui; c'est la même perte pour nous, si nous sommes "aveugles" aux mondes hyperphysiques; mais pour tous ceux qui prendront la peine d'éveiller leurs facultés latentes, l'apparition du sens nécessaire n'est qu'une question de temps.
Quand viendra ce temps, nous verrons que les soi-disant "morts" vivent autour de nous, et qu'en fait, "il n'y a pas de mort", comme le dit John Mac Creery dans ce beau poème:
"Il n'y a pas de mort.
Les étoiles se couchent
Pour se lever sur un autre rivage,
Et dans la brillante couronne de joyaux du ciel,
Elles brillent à jamais.
Il n'y a pas de mort.
Les feuilles des forêts
Convertissent en vie l'air inerte;
Les rocs se désagrègent pour nourrir
La mousse affamée qu'ils portent.
Il n'y a pas de mort.
La poussière foulée
Se changera, sous les averses de l'été,
En grain doré ou en fruit mûr,
Ou en fleur couleur d'arc-en-ciel.
Il n'y a pas de mort.
La feuille peut tomber
Et la fleur se faner,
Elles attendent seulement, dans les heures d'hiver
La douce et chaude brise de mai.
Il n'y a pas de mort, bien que nous soyons tristes,
Quand les belles formes familières
Que nous avons appris à aimer
Sont enlevées à nos bras serrés.
Bien qu'avec un coeur déférent et brisé,
En vêtement de deuil, d'un pas silencieux,
Nous portions au repos leur poussière insensible,
Et disons qu'elles sont mortes,
Il n'y a pas de mort. Elles ont seulement passé
Au-delà du brouillard qui nous aveugle ici,
Dans la vie nouvelle et plus large
D'une sphère plus sereine.
Elles ont seulement laissé leur vêtement d'argile
Pour revêtir une robe de lumière,
Elles n'errent pas au loin,
Elles ne sont ni "perdues", ni "parties".
Bien qu'invisibles à nos yeux mortels
Elles sont ici et nous aiment encore;
Elles n'oublient jamais
Les êtres chers laissés derrière elles.
Quelquefois, sur nos fronts enfiévrés,
Nous les sentons comme une brise apaisant.
Notre esprit les voit et notre coeur
Se réconforte et se calme.
Oui, toujours près de nous, bien qu'invisibles,
Vont nos esprits chers et immortels,
Car tout l'Univers sans limite de Dieu
Est Vie - Il n'y a pas de "morts".