MAX HEINDEL
Cycle de conférences du Christianisme
de la Rose-Croix
1908
Sixième Conférence
LA VIE ET L'ACTIVITÉ DANS LE CIEL
Nous avons vu dans la dernière conférence comment nos actes mauvais de la vie terrestre et nos habitudes indésirables sont traitées par l'impersonnelle loi de cause à effet, et réparés dans les vies futures; et, pour donner des exemples, nous avons noté la manière dont opère cette loi, dans les cas de meurtriers, suicidés, ivrognes et avares. Toutefois, il s'agit ici de cas extrêmes, et beaucoup de gens ont vécu des vies moralement bonnes, entachées plutôt d'égoïsme mesquin (ce péché qui nous assiège si facilement - Hébreux 12:1) que de mal véritable; pour eux, le séjour dans les régions du monde du désir qui constituent le Purgatoire, est naturellement abrégé dans une mesure correspondante, et la souffrance subie est allégée. En temps voulu, tous passent donc dans les régions supérieures du monde du désir, où est situé le premier Ciel.
Celui-ci est le "Summerland" (pays de l'éternel été, du bonheur) des Spirites. C'est avec la matière de cette région que nos pensées, pendant la vie, construisent les formes réelle que nous avons dans notre imagination. Une caractéristique des mondes intérieurs est que leur matière est promptement façonnée par la pensée et la volonté.
Toutes ces formes fantastiques créées par nous vont et viennent, animées par des élémentals, et durent aussi longtemps que durent la pensée et le désir qui les ont formés. Au moment de Noël, par exemple, Saint Nicolas vit réellement et se promène en traîneau. Il demeure en vigoureuse santé pendant un mois ou plus, jusqu'à ce que les désirs des enfants qui l'ont créé cessent d'affluer dans cette direction; il s'évanouit alors jusqu'au moment où il se recrée l'année suivante. La Nouvelle Jérusalem avec ses rues de perles et sa mer de cristal, et toutes les autres évocations pieuses et morales des gens d'église, existe aussi; le Purgatoire a son diable en forme-pensée, avec ses cornes et son pied fourchu, créé par les pensées des hommes.
Mais dans la partie supérieure du monde du désir, demeure seulement ce qui est bon et désirable dans les aspirations humaines. Ici l'étudiant a la joie de trouver des bibliothèques, et peut ainsi poursuivre ses études d'une manière plus effective que lorsqu'il était confiné dans un corps physique; s'il désire un livre, aussitôt ce livre est là. L'artiste, par son imagination, façonne ses modèles à la perfection; il peint avec des couleurs de vie et de feu, au lieu des nuances mortes et sombres de la terre, qui font le désespoir de l'artiste terrestre, car ici-bas il lui est impossible de reproduire les couleurs que lui montre sa vision intérieure. Mais le monde du désir est le monde de la couleur par excellence, aussi l'artiste réalise-t-il le désir de son coeur dans le premier ciel; il y reçoit l'inspiration et le pouvoir de poursuivre son travail dans les vies futures.
Le sculpteur, lui aussi, trouve dans cette partie de l'après-vie joie et exaltation; il modèle avec facilité les matériaux plastiques dans ce monde, pour en faire les statues qu'il a rêvées dans la vie terrestre. Le musicien aussi y ressent un grand bienfait, mais il n'est pas encore dans le vrai monde du son. Cet océan d'harmonie, où résonne la divine "musique des sphères", est dans la partie de la région de la Pensée que, dans la religion Chrétienne ésotérique, nous appelons le deuxième Ciel; aussi le musicien n'entend-il que les échos des accords célestes;
mais ils sont plus doux qu'aucun de ceux qu'il entendit jamais sur la terre, et son âme se délecte de leur exquise harmonie, comme un avant-goût des meilleures choses à venir.
C'est aussi au premier Ciel que vont les enfants directement après leur mort: si leurs amis pouvaient les voir, ils ne se lamenteraient pas, car leur vie y est plutôt enviable. Ils sont toujours accueillis par quelque parent ou amis mort avant eux, et l'on prend soin d'eux à tous égards. Certains esprits amassent un véritable trésor pour eux-mêmes en consacrant beaucoup de leur temps à l'invention de jeux et jouets pour les petits; aussi la vie s'écoule-t-elle dans ce premier Ciel de la manière la plus belle pour les enfants. Leur instruction non plus n'est pas négligée; on les réunit en classes, non seulement selon leur âge et leurs capacités, mais aussi selon leur tempérament. On les instruit particulièrement sur les effets des désirs et des émotions, enseignement si facilement réalisé dans un monde où ces choses peuvent être objectivement démontrées. On leur apprend donc par des leçons de choses le bienfait du développement de désirs bons et altruistes; et plus d'une âme qui vit actuellement une vie morale le doit à la mort dans l'enfance, suivie de quinze ou vingt ans dans le premier ciel avant une nouvelle incarnation.
On se demande souvent pourquoi les enfants meurent. Nombreuses en sont les causes: l'une est la mort dans les conditions épouvantables d'un accident, par le feu, ou sur le champ de bataille, dans une vie antérieure; car dans de telles circonstances, l'Ego qui s'en va n'a pu se concentrer normalement sur la vue panoramique de sa vie passée; c'est aussi le cas lorsque les bruyantes lamentations de la famille l'en ont empêché. Le résultat est fatalement une faible impression des expériences de la vie sur le corps du désir, avec une vie insipide au purgatoire et au premier Ciel. Dans de tels cas, l'Ego ne récolte pas ce qu'il a semé; et il risquerait ainsi de commettre vie après vie les mêmes sottises et péchés.
Pour éviter cette éventualité, la leçon nécessaire doit être gravée sur le nouveau corps du désir dont se munit l'Ego pour sa prochaine naissance. Pendant qu'il va vers une nouvelle naissance, l'Ego est toujours inconscient, aveuglé par la matière qu'il attire autour de lui, comme nous sommes aveuglés quand nous entrons dans une maison un jour de soleil; et c'est seulement après la naissance que la conscience revient dans une certaine mesure. Donc, lorsqu'à sa mort cet Ego arrive dans le premier Ciel, il y apprend objectivement, d'une manière différente, la leçon qu'il aurait dû apprendre pendant son passage sur la terre dans sa vie précédente. Quand cette leçon a été bien assimilée et gravée sur le corps du désir avant la naissance, l'Ego renaît sur terre et évolue de la manière ordinaire.
Les enfants qui meurent avant leur septième année n'ont réellement vécu qu'en ce qui concerne leurs corps physique et vital, et ils ne sont pas responsables devant la loi de cause à effet. C'est même jusqu'à l'âge de douze ou quatorze ans que le corps du désir n'est qu'en gestation, comme nous l'expliquerons plus complètement dans la prochaine conférence; et comme ce qui n'a pas été animé ne peut mourir, seuls les corps dense et vital sont détruits quand un enfant meurt. Cet enfant garde ses atomes-germes du corps du désir et de l'intellect jusqu'à la naissance suivante. Il ne passe donc pas tous les degrés que traverse habituellement l'Ego dans le cadre d'une vie, mais il monte seulement au premier Ciel pour y apprendre les leçons nécessaires; et après une attente de un à vingt ans, il naît à nouveau, souvent dans la même famille en tant qu'enfant cadet.
C'est une erreur de croire que le ciel est un lieu de bonheur sans mélange pour tous. Personne ne peut récolter plus de bonheur qu'il n'en a semé sur terre: notre joie au ciel sera mesurée par les bonnes actions que nous avons faites pendant notre vie terrestre. Le panorama d'après-vie, gravé sur notre corps du désir émotionnel, juste après la mort, forme la base de notre bonheur au ciel, de même qu'il commandait nos souffrances dans le purgatoire.
Nous avons vu que, pendant que se déroulait au purgatoire le panorama de la vie passée, seules les scènes où nous avions nui à quelqu'un agissaient pour produire de la douleur. Dans le premier ciel, seuls les désirs bons et les actes dénués d'égoïsme peuvent produire des sentiments. Quand nous contemplons une scène où nous avons aidé quelqu'un, adoucissant son chagrin ou allégeant sa souffrance, nous n'éprouvons pas seulement la satisfaction personnelle la plus intense, mais nous éprouvons encore tout le soulagement physique et mental, et la gratitude que le bénéficiaire a ressentis pour son bienfaiteur. Il est sans importance qu'il ait pu savoir ou non qui lui venait en aide; les sentiments qu'il répandait sur nous pendant que nous l'aidions se réaliseront là, indépendamment de toutes circonstances. Inversement, si nous avons nous-mêmes été reconnaissants à nos bienfaiteurs, nous éprouverons à nouveau le même sentiment de soulagement de notre détresse et de gratitude pour l'aide qui nous fut donnée. Tous ces sentiments et ces désirs, au moment de leur réalisation au premier ciel, développent des forces spirituelles qui les fixeront dans l'Ego, où ils seront transformés en facultés utilisables dans des incarnations futures: on voit donc combien il est important pour le développement de notre âme que nous sentions et exprimions notre gratitude pour les faveurs que l'on nous accorde; car c'est ainsi que nous serons fondés à recevoir de nouvelles faveurs, à la fois dans cette vie et dans les vies futures. Il est dit que Dieu aime celui qui donne avec joie (II Corinthiens 9/7); il est également vrai que la "loi" de cause à effet aime le coeur reconnaissant.
Quand nous parlons de "donner", gardons-nous de l'idée fallacieuse que seul l'homme riche peut donner. Donner de l'argent sans discernement est une malédiction, à la fois pour celui qui donne et pour celui qui reçoit.
C'est seulement lorsque le donateur offre en même temps sa pensée et son coeur que l'argent peut avoir quelque valeur. Qu'est-ce que l'argent donné avec indifférence, comparé à la sympathie? Exprimer sa confiance à quelqu'un peut lui donner le courage de recommencer et de vaincre; en excitant son ambition, nous l'aidons à s'aider lui-même, alors qu'une aide financière le rendrait irrémédiablement dépendant de notre générosité. Quand nous donnons, donnons-nous d'abord nous-mêmes.
L'éthique de la façon de donner et la leçon spirituelle qu'il procure au donateur sont admirablement mis en évidence dans "La Vision de Sir Launfal" de Lowell. Le jeune et ambitieux chevalier, Sir Launfal, revêtu d'une armure éclatante et montant un splendide destrier, quitte son château à la recherche du Saint-Graal. Sur son écu brille la croix, le symbole de la bonté et de la tendresse de notre humble et doux Sauveur; mais le coeur du Chevalier est rempli d'orgueil et d'arrogant dédain pour les pauvres. Il rencontre un lépreux demandant l'aumône et, avec un regard méprisant, lui jette une pièce, comme on jetterait un os à un chien affamé; mais le lépreux ne ramassa pas l'or tombé dans la poussière:
"Mieux vaut pour moi la croûte du pauvre,
Mieux vaut pour moi sa bénédiction,
Même si je quitte sa porte les mains vides.
L'aumône que la main peut tenir est sans valeur;
Celui qui donne par sentiment du devoir
Ne donne qu'un métal dont l'éclat est trop vain.
Mais celui qui partage son maigre avoir
Et donne à ce Tout qui échappe à la vue,
A cette trame qui unit le monde, la Beauté
Qui, reliant toute chose, à tout est étendue,
La main ne peut étreindre son don entier;
Le coeur se tend, avide, pour le recevoir,
Car un dieu accompagne cette aumône et la rend abondante
Pour l'âme qui, auparavant, mourait de faim dans l'ombre".
A son retour, Sir Launfal trouve quelqu'un d'autre en possession de son château; on le chasse de l'entrée.
"Vieux, courbé, épuisé et fragile,
Il revient de sa quête du Saint-Graal
Il s'inquiète peu de la perte de son comté,
Sur son manteau, la croix n'est plus blasonnée,
Mais au fond de son coeur il porte la marque,
L'insigne des souffrants et des miséreux.
De nouveau, il rencontre le lépreux qui renouvelle sa demande d'aumône. Cette fois la réponse est différente:
Et Sir Launfal dit: Je contemple en toi
L'image de Celui qui mourut sur la croix;
Tu as eu, toi aussi, ta couronne d'épines,
Toi aussi, tu as essuyé les coups et les mépris du monde,
Et dans ta vie n'ont pas été épargnées
Les blessures aux mains, aux pieds et au flanc;
Doux fils de Marie, reconnais-moi;
Vois, à travers lui, c'est à Toi que je donne!"
Un regard dans les yeux du lépreux éveille un souvenir; il le reconnaît, et
Son coeur en lui était cendre et poussière;
Il partagea en deux son unique croûte,
Il brisa la glace au bord du ruisseau,
Et tendit à manger et à boire au lépreux.
Une transformation s'accomplit:
Le lépreux n'était plus accroupi à son côté, mais se tenait devant lui, glorifié. (...)
Et la voix plus douce que le silence dit:
"Vois c'est Moi, ne sois point effrayé!
Dans bien des pays, sans succès,
Tu as passé ta vie à chercher le Saint Graal,
Vois, il est ici! Cette coupe que tu viens
De remplir pour moi au ruisseau,
Cette croûte est mon corps brisé pour toi,
Cette eau, le sang que je versai sur la croix;
La Sainte Cène est célébrée vraiment
Lorsque nous partageons pour les besoins d'autrui;
Non lorsque nous donnons, mais quand nous partageons,
Car le don, sans celui qui donne, est stérile.
Celui qui se donne avec son aumône nourrit trois personnes:
Lui-même, son prochain affamé et moi-même".
Il est deux catégories de personnes pour qui l'existence après la mort est particulièrement morne et monotone: les matérialistes, et les gens qui ont été si absorbés dans leur travail matériel qu'ils n'ont jamais accordé une pensée aux mondes spirituels. Inutile d'en chercher bien loin la raison. Ils ont mené généralement des vies bonnes et morales, sans tomber dans aucun de ces vices qui subissent leur épuration dans le purgatoire du monde inférieur du désir; mais ils n'ont fait non plus aucun bien, de ce bien qui trouverait son épanouissement dans les sentiments de bonheur éprouvés au premier ciel. Avoir donné même de grosses sommes d'argent pour la construction d'églises, de bibliothèques ou de parcs ne servirait à rien làhaut, à moins que le donateur n'ait pris un intérêt particulier à sa donation et ne se soit ainsi donné lui-même avec son argent. Donner simplement de l'argent apportera l'abondance dans une vie future; mais se donner soi-même est mieux que l'argent, c'est du développement spirituel. C'est pourquoi l'homme d'affaires matérialiste va dans la quatrième région, qui est une sorte de région limitrophe entre le purgatoire et le premier ciel. Il est trop bon pour souffrir au purgatoire , et pas assez bon pour vivre au premier ciel. Il a encore un fort désir pour "les affaires"; et comme il n'a d'autre intérêt que des désirs impossibles à satisfaire en cette région, sa vie y est d'une monotonie peu enviable, bien qu'il ne souffre en aucune autre manière.
Le matérialiste complet, qui nie Dieu et pense que la mort est un anéantissement, est dans la pire détresse. Il voit son erreur; mais étant complètement étranger aux idées spirituelles, il ne peut croire qu'il s'agisse d'autre chose que d'un prélude à l'anéantissement. Ce doute terrifiant pèse affreusement sur ces gens, et il n'est pas rare de les voir aller et venir en murmurant: "Est-ce bientôt la fin?" Et même, si quelqu'un qui est au courant essaie de les renseigner, ils nient toujours l'existence de l'esprit, là autant que pendant leur vie sur terre, traitant de visionnaire l'esprit qui croit à l'existence dans l'au-delà.
La tendance naturelle du corps du désir est de durcir et de solidifier toutes les choses avec lesquelles il entre en contact. La pensée matérialiste accentue cette tendance à tel point qu'elle aboutit souvent, dans les vies ultérieures, à cette redoutable maladie, la tuberculose pulmonaire, alors que les poumons devraient normalement rester mous et élastiques. Il arrive aussi parfois que le corps du désir écrase le corps vital dans la vie suivante, si bien que celui-ci cesse tout à fait de s'opposer au processus d'induration: nous avons alors la phtisie galopante. Dans certains cas, le matérialisme rend le corps du désir fragile et cassant; il ne peut alors mener à bien son travail normal de solidification du corps dense; le résultat en est le" rachitisme", où les os se ramollissent. Nous voyons donc quels dangers nous courons en entretenant des tendances matérialistes: tantôt l'induration de parties molles du corps comme dans la tuberculose, tantôt le ramollissement des tissus osseux durs, comme le rachitisme. Bien entendu, tous les cas de tuberculose ne signifient pas que le malade était un matérialiste dans une vie antérieure, mais la science occulte nous apprend que c'est là le résultat fréquent du matérialisme. Il est d'ailleurs, à l'existence de ce mal redoutable, une autre cause qui remonte au moyen âge.
Avec le temps, chaque décédé se prépare à monter au deuxième ciel, qui est situé dans la région de la pensée concrète. Toutes les bonnes aspirations et tous les bons désirs de la vie passée sont marqués et gravés sur l'intellect, qui contient alors tout ce qui possède une valeur permanente. L'Ego se retire du corps du désir, qui n'est plus désormais qu'une coquille vide; et, revêtu seulement du mental, il monte au deuxième ciel.
Nous avons vu que lorsque l'Ego, après la fin du panorama qui suit immédiatement la mort, a quitté le corps vital, il est passé par une période d'inconscience avant de s'éveiller dans le monde du désir.
Il y a de même un intervalle entre l'abandon du corps du désir dans le premier ciel et le réveil dans le deuxième ciel. Mais cette fois il n'y a plus d'inconscience; chaque faculté est vive et éveillée; il existe un état d'hyperconscience pendant que l'esprit passe par cet intervalle, dénommé "Le Grand Silence". Peu importe à quel point un homme a pu être matérialiste sur la Terre, cet état de pensée a maintenant disparu; et c'est être sait qu'il est divin par nature, lorsqu'il atteint ce Grand Silence, qui est la porte de sa maison céleste. C'est alors comme un réveil après un rêve plein d'épouvante, suivi d'un soupir de soulagement de trouver que les éléments du rêves n'avaient rien de réel. Ainsi l'Ego, lorsqu'il entre dans le Grand Silence, s'éveille des erreurs et des illusions de la vie terrestre avec un sentiment d'allègement infini; il se sent plein d'une indéfectible sécurité; il éprouve à nouveau le repos plein de détente de se retrouver dans les bras éternels du Grand Esprit universel.
C'est là que parviennent à l'oreille de l'Ego les indescriptibles harmonies de la musique céleste qui remplit sans cesse cette Région. Ce n'est point un trait de notre imagination que de parler de musique céleste, bien qu'il soit inexact de penser que les morts qui possédaient peu ou point le sens de la musique pendant leur vie terrestre, aient pu soudain au moment de la mort développer une passion pour la musique, ainsi que la faculté de l'exprimer. En fait, le monde de la pensée où est situé le deuxième ciel, est aussi le domaine du son, comme le monde du désir est le monde de la lumière et de la couleur, et comme le monde physique est celui de la forme. L'artiste prend ses thèmes de couleur et ses effets de lumière dans le monde du désir; mais le musicien doit tirer ses inspirations du monde plus subtil de la pensée, et c'est là où nous trouvons la raison qui fait de la musique l'art le plus élevé que nous possédions. Le peintre puise dans un monde mieux à la portée de la main, et peut ainsi fixer sa création une fois pour toutes sur la toile, où elle sera vue de tous ceux qui ont des yeux, et n'importe quand.
La musique ne peut être ainsi fixée; elle est plus insaissisable; elle doit être recréée chaque fois, et s'évanouit aussitôt dans le silence. En revanche, combien son pouvoir de nous parler est plus grand que celui du plus beau tableau! car elle vient directement du monde céleste, fraîche et parfumée des échos du domaine de l'Ego, éveillant le souvenir et nous mettant en contact avec ce que, si souvent, nous oublions dans notre existence matérielle. Voilà pourquoi la musique, au-dessus de tous les arts humains, a seule le pouvoir de toucher le plus endurci des êtres et de nous émouvoir comme rien d'autre ne saurait le faire.
Goethe était un initié, et son "Faust" met à deux reprises en évidence le fait que, dans les mondes célestes, tout peut être ramené à l'expression de sons. La scène d'ouverture est située au ciel, et l'Archange Raphaël est représenté disant:
"Le soleil, entonnant sa chanson de toujours, Parmi les chants rivaux de tous ses astres-frères Se hâte sur le cours que lui prescrit la Loi, En grondant, à travers les ans, comme un tonnerre". Et dans la seconde partie, nous lisons:
"Et c'est le son qui, à l'oreille de l'esprit, Proclame que le jour qui doit venir est proche. Des craquements secouent les barrières de roche, Et les roues de Phébus chantent dans les ornières; Quelle immense clameur apporte la lumière!"
La "musique des sphères" de Pythagore est une réalité au deuxième ciel; et pour certains musiciens ce n'est pas là une idée étrange, car ils savent que chaque ville, chaque lac est chaque forêt a sa tonalité particulière. Le babil du ruisseau, et le zéphir d'été qui agite les jeunes feuilles dans les bois, parlent le langage de l'âme universelle. Le vrai musicien entend cette grande voix majestueuse dans le torrent des montagnes et dans la tempête sur l'océan; aucune conception purement intellectuelle de Dieu, de la vie et des choses hyperphysiques ne pourra jamais monter jusqu'aux sublimes hauteurs qu'il atteint parce qu'il sait.
Au purgatoire, les habitudes et actions mauvaises de la vie ont produit de la souffrance, qui s'est transformée en Sentiment juste au premier ciel. Le bien de la vie passée a été extrait dans ce premier ciel; et quand l'Ego entre au deuxième ciel, il médite sur ce bien de manière à le transformer en Pensée juste, qui sera son guide dans ses vies futures sur la Terre. Ainsi, à chaque nouvelle naissance, l'Ego apporte avec lui la sagesse accumulée puisée dans les expériences de toutes ses vies passées, sagesse qui est son capital. L'expérience de chaque vie nouvelle en constitue les intérêts qui, au deuxième ciel, sont ajoutés au capital.
Là, l'homme se prépare aussi à sa prochaine immersion dans la matière; il s'apprête pour une nouvelle bataille contre l'ignorance, pendant son prochain jour de vie dans la grande école de Dieu. S'il n'avait pas pu réaliser certaines ambitions honorables, il voit en quoi il a fait erreur, ce qui lui apprend à mener à bien la prochaine fois ses desseins selon des voies meilleures. Le musicien emporte avec lui des mélodies plus sublimes lorsqu'il retourne réjouir les coeurs des hommes pendant leur exil dans la vie terrestre. Le peintre emporte de nouvelles aspirations, car il ne faudrait pas supposer que le deuxième ciel est dépourvu de couleur parce qu'on l'a dénommé la région du son. On y trouve à la fois la couleur et la forme, comme dans le monde physique, mais le son est le trait dominant du monde de la pensée. C'est la couleur surtout qui domine dans le monde du désir, et la forme dans le monde physique; Mais il est certain que couleurs et formes sont beaucoup plus belles dans le deuxième ciel que dans aucun de ces deux autres mondes.
Nous avons parlé de ce processus de méditation et d'assimilation de la partie bonne et durable des expériences de la vie passée, comme si ce processus était négatif;
et beaucoup d'étudiants s'imaginent que l'existence au deuxième ciel est une expérience pleine de rêves et d'illusions. Rien n'est plus faux, car nombreuses sont les formes d'activité positive dans la vie au ciel. L'homme non seulement récapitule ou revit son passé, mais prépare aussi activement son avenir.
Nous avons l'habitude de parler d'évolution: mais avons-nous jamais analysé ce qui fait l'évolution, et pourquoi elle ne s'arrête pas, et ne demeure pas en état de stagnation? Nous devons nous rendre compte de l'existence de forces derrière le monde visible, qui produisent les altérations de la flore et de la faune ainsi que les changements climatiques et topographiques constamment en cours. Et il est tout naturel de se demander; que sont ou qui sont les forces ou agents de l'évolution?
Evidemment, nous savons que les hommes de science en donnent certaines explications mécaniques. Ils méritent une grande estime, ils ont accompli beaucoup de choses, si nous considérons que la science n'est qu'un petit enfant disposant seulement de cinq sens et d'ingénieux instruments. Ses déductions sont merveilleusement justes - mais cela ne veut pas dire qu'il n'y ait point des causes profondes qu'elle ne peut encore percevoir, mais qui donnent une meilleure compréhension de la question que les simples explications mécaniques. Un exemple illustrera ce point.
Deux hommes sont en conversation quand soudain l'un d'eux, frappant l'autre du poing, le jette à terre. Nous avons là un événement, un fait, et nous pouvons l'expliquer de manière mécanique en disant: "J'ai vu l'un des hommes contracter les muscles de son bras, donner un coup à l'autre et le jeter à terre". C'est une version exacte, jusque-là; mais le savant occultiste verrait aussi la pensée de colère qui a inspiré le coup, et donnerait une version plus complète en disant que l'homme a été jeté à terre par une pensée, car le poing fermé n'a été que l'instrument irresponsable de l'agression. Si la force impulsive de la pensée de colère avait manqué, la main serait restée inerte et le coup n'aurait jamais été porté.
Ainsi la science occulte rapporte toutes causes à la région de la pensée concrète, et dit comment elles sont créées par des esprits humains ou suprahumains.
Les modèles ou archétypes, créateurs de tout ce que nous voyons dans le monde des sens, sont dans le monde de la pensée qui est le monde du son: ceci nous amène à comprendre que les forces archétypales jouent constamment sur ces archétypes, leur faisant émettre certains sons; ou même, lorsqu'un certain nombre d'entre eux ont été groupés pour créer une espèce de plante, ou des formes animales ou humaines, les différents sons se fondent en un grand accord unique. Cet unique son, ou accord selon le cas, est alors la tonique de la forme ainsi créée, et tant qu'elle résonne, la forme ou l'espèce peut durer; quand elle cesse, la forme unique meurt ou l'espèce s'éteint.
Un mélange de sons n'est pas plus de la musique que des mots réunis au hasard ne forment une phrase; mais le son rythmiquement ordonné est le vrai constructeur de tout ce qui existe, comme Jean le dit dans les premiers versets de son Evangile: "Au commencement était le Verbe... et rien n'a été fait sans Lui"; et encore: "Le Verbe a été fait chair".
Nous voyons donc que le son est le créateur et le soutien de toutes les formes; et au deuxième ciel l'Ego s'unit avec les forces de la Nature: Avec elles, il travaille sur les archétypes des terres et des océans, sur la flore et la faune, pour accomplir les changements qui graduellement modifient l'aspect et l'état de la Terre; ainsi se forme un nouveau milieu créé par l'Ego lui-même, et dans lequel il pourra récolter de nouvelles expériences.
Il est dirigé dans ce travail par de grand maîtres appartenant aux Hiérarchies créatrices, qui portent les noms d'Anges, d'Archanges ou d'autres noms, et qui sont les ministres de Dieu. Ils l'instruisent alors consciemment dans l'art divin de la création, en ce qui concerne à la fois le monde et les objets qu'il contient.
Ils lui apprennent comment construire une forme pour lui-même, lui donnant pour aides les "esprits de la nature", et l'homme fait ainsi son apprentissage de Créateur chaque fois qu'il va au deuxième ciel. C'est là qu'il construit l'archétype de la forme qu'il extériorisera plus tard à sa naissance.
Dans la troisième conférence, nous avons parlé des quatre éthers, et nous avons dit que les forces d'assimilation travaillent dans l'éther chimique. Ce sont les Egos du monde céleste qui constituent ces forces: ces mêmes gens que nous appelons les morts sont donc précisément ceux qui construisent nos corps et nous aident à vivre. Notons aussi que personne ne peut avoir un corps dense supérieur à celui qu'il peut construire. Ceux qui font des erreurs au ciel s'en aperçoivent lorsqu'ils en viennent à user de ce corps défectueux sur la Terre; et ils apprennent ainsi à corriger l'erreur la fois suivante.
Ceci nous remet en mémoire une phase intéressante de la Loi de cause à effet, dans le cas d'Egos qui ont besoin d'un corps de construction particulière; chez les musiciens, par exemple, non seulement la main, mais aussi l'oreille, doivent être spécialement ajustées; les trois canaux semi-circulaires doivent en effet pointer aussi exactement que possible vers les trois dimensions de l'espace, et les fibres de Corti être exceptionnellement délicates. Un tel instrument ne peut être formé de matériaux trop grossiers, aussi un tel Ego doit-il naître dans une famille où d'autres l'ont déjà construit selon des données semblables - ce qui n'est pas toujours facile à trouver.
Et maintenant, supposons qu'une occasion s'offre cent ans avant le moment où un tel Ego devrait normalement renaître, et que les Anges de Justice qui ont la charge d'appliquer la Loi de cause à effet voient qu'une autre occasion ne se présentera pas avant peut-être trois cents ans: cet Ego peut alors être amené à naître cent ans avant le temps normal; et la perte du temps passé au ciel sera compensée une autre fois. Nous voyons donc que vivants et soi-disant morts agissent sans cesse les uns sur les autres, tandis qu'ils avancent sur le chemin de l'évolution.
Ayant ainsi progressé à travers le deuxième ciel, l'Ego se retire enfin de la gaine que lui formait le mental; désormais complètement libre et sans entraves, il entre dans le troisième ciel, qui est le point le plus élevé auquel l'homme puisse atteindre dans son degré actuel de développement. C'est là que nous le suivrons dans notre prochaine conférence.