René Guénon et le Dr Tony Grangier |
RENÉ GUÉNON
Correspondance avec Tony Grangier
Le Caire, 29 mars 1932
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Pour ce que vous me dites au sujet du symbolisme, nous sommes sans doute d’accord sur le principe, mais je dois vous dire franchement que le côté de “subjectivité” que vous envisagez là me paraît ne répondre qu’à une vue philosophique. Du reste, vous parlez de “symbolisme humain” ; je ne consentirais pas à employer ce mot en pareil cas, car, au point de vue où je l’envisage, le véritable symbolisme est au contraire quelque chose d’essentiellement “supra-humain”, quant à son origine et quant à son mode d’action. Si le symbolisme, comme toute autre chose, sert parfois de prétexte aux divagations de certains, il ne saurait en être tenu pour responsable ; il y a aussi des gens qui décorent les pires élucubration du noms de métaphysique !
Si je réponds à certaines attaques (et non pas à toutes, loin de là), c’est, croyez-le bien, pour des raisons graves ; là-dedans comme pour tout le reste, je n’écris jamais un mot au hasard. Il n’est pas exact que Le C[our] ait, comme vous le dites, “trouvé le moyen de me faire répondre” ; c’est moi qui ai décidé de répondre au moment voulu, et en toute connaissance de cause. En effet, Le C[our] n’est qu’un toqué qui peut être négligeable, et je l’ai effectivement négligé tant qu’il semblait n’agir que de lui-même ; j’ai répondu seulement quand il est devenu manifeste qu’il était poussé par d’autres qui se servent de lui comme d’un instrument (et le dernier nº de sa revue en apporte encore des preuves éclatantes). Il y a en ce moment une recrudescence d’attaques qui est véritablement inouïe ; la fameuse R. I. S. S. est particulièrement infâme ; on va jusqu’à me contester le droit de vivre comme je l’entends et où il me convient !
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René Guénon
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Le Caire, 3 juillet 1932
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Pour ce qui est d’intenter un procès, vous pouvez être bien tranquille : je n’userai point de ce droit, si incontestable qu’il soit, d’abord parce que j’ai horreur de ces choses et n’ai d’ailleurs aucune confiance dans la prétendue justice, ensuite parce que d’ici ce serait à peu près impossible. Quant à ne rien répondre aux attaques, c’est une autre affaire, et je vais vous donner un exemple qui vous montrera ce que j’aurais à y gagner : il y a un individu qui, depuis plus d’un an, me poursuit de ses incessantes grossièretés ; pour des raisons qu’il serait trop long de vous expliquer, je n’ai jamais fait la moindre allusion ni à lui ni à ses écrits ; cela n’empêche pas qu’il vient de lancer contre moi une des attaques les plus immondes que j’aie encore vues jusqu’ici. Au fond, que je réponde ou que je m’en abstienne, cela ne changera absolument rien à cet égard et n’augmentera ni ne diminuera d’une seule le nombre des attaques, étant donné que j’ai affaire à des gens qui, quoi que je fasse, sont déterminés à mener contre moi une lutte à mort (je ne parle pas des imbéciles qu’on pousse et dont on se sert, je parle de ceux qui les font agir) ; alors, pourquoi se priver bénévolement d’un moyen de défense et laisser de ce côté le champ libre à l’adversaire ? Ce serait d’une belle naïveté, pour ne pas dire plus... Je dois d’ailleurs ajouter que les attaques écrites ne représentent que l’aspect le plus extérieur de cette guerre qui se poursuit de bien d’autres façons ; elles sont en quelque sorte la “matérialisation” d’une action qui a une bien autre portée ; et, bien entendu, il en est exactement de même de mes réponses ; mais, même si ce n’était pas là le plus important, ce n’en est pas moins un appui auquel je n’ai aucune raison valable de renoncer.
Vous me demandez quel danger je peux craindre ? En fait, la bande de brigands et de sorciers à laquelle j’ai affaire a déjà assez bien travaillé : elle m’a suscité les terribles difficultés de famille que vous savez (j’ai encore eu dernièrement une nouvelle preuve que tout cela avait bien été machiné par ces gens-là) ; elle a réussi à me rendre la vie à Paris tout à fait intenable ; elle m’a enlevé le plus clair de mes ressources financières ; elle a détourné une maison d’édition fondée sur mon initiative et expressément destinée à la publication de mes ouvrages et de ceux qui seraient présentés par moi ; elle a ruiné ma santé ; voilà, je crois, des résultats assez tangibles ; n’est-ce pas encore suffisant, et que faut-il de plus pour que je m’inquiète de ce qui peut encore arriver ? Assurément, vous pourrez me dire que ce ne sont là que de toutes petites contingences, et je veux bien l’admettre ; même si je reçois un mauvais coup d’un fanatique, ou quelque autre chose de ce genre, cela non plus n’aura en soi aucune importance, mais alors il ne pourra même plus être question que j’écrive de nouveaux livres... Au fond si j’étais seul en cause dans tout cela, et si je n’estimais pas avoir encore quelque chose à faire, croyez-vous que je n’userais pas du seul moyen que j’aie à ma disposition pour avoir la paix, et qui consisterait à ne plus rien écrire du tout ? Je me moque bien de la “notoriété”, et je n’ai, je l’avoue, qu’un seul regret : c’est que mes livres n’aient pas paru sans signature... Du reste, il ne faut pas se laisser tromper par l’allure “personnelle” des attaques (laquelle s’explique par l’impossibilité de les porter sur le terrain doctrinal) ; il ne s’agit en réalité de rien d’autre que d’une campagne anti-orientale ; il n’y a pas d’autre lien entre tous ces gens-là que leur commune haine de l’Orient ; et, si je suis visé spécialement, c’est uniquement parce que je représente l’Orient à leurs yeux, et que d’ailleurs il n’y a personne d’autre à qui ils puissent s’en prendre “concrètement”, si j’ose dire ; dans ces conditions, je pense n’avoir pas le droit de “lâcher”...
Maintenant, il est certain que les dangers immédiats sont actuellement très atténués du fait de mon éloignement ; mais, si j’étais en France, je n’en dirais pas autant. Ce qui augmente la fureur de ce joli monde dans de telles proportions, c’est bien précisément de voir que j’ai pu échapper à leurs griffes ; évidemment, ils trouvent cela monstrueux !
Je ne crois pas du tout qu’il suffise de se refuser à voir un danger pour qu’il n’existe pas, ni, comme les “Christian Scientists”, de nier la maladie pour la guérir ; ce serait vraiment trop commode ! J’ai toujours considéré qu’“optimisme” et “pessimisme” ne valaient pas mieux l’un que l’autre ; ils sont exactement du même ordre, et également illusoires ; et, pour moi, toute illusion, quelle qu’elle soit, est pareillement à rejeter ; il faut voir les choses telles qu’elles sont, tout simplement... Seulement, pour cela, il faut bien se garder de vouloir appliquer des notions de “vie ordinaire”, au sens où l’entendent la généralité des Occidentaux, à un cas auquel elles ne sont nullement applicables.
Excusez ces trop longues considérations, plutôt ennuyeuses, et qui n’ont même pas la moindre prétention de vous convaincre... Mais je ne puis m’empêcher de regretter, alors que vous comprenez si parfaitement les choses du côté théorique, que vous vous refusiez à envisager l’application dans les faits ; cela ne tiendrait-il pas un peu aux mêmes raisons que vos préventions à l’égard du symbolisme ?
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René Guénon
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Le Caire, 30 avril 1933
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Ce que vous me dites de Nietzsche correspond très exactement à ce que j’en pensais, sans pourtant l’avoir lu ; son influence n’est pas contestable, mais il ne semble pas que les effets en aient été des plus heureux, au point de vue spirituel.
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René Guénon
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Le Caire, 28 octobre 1933
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Je n’ai pas lu la “Philosophie de l’Inde” de Grousset, mais je sais que ce n’est en somme qu’une réédition remaniée et amplifiée de son “Histoire de la Philosophie orientale” : résultat de nombreuses lectures, travail de seconde main et parfois tendancieux... On m’a signalé qu’il avait supprimé les quelques passages me concernant ; cela est évidemment dû à l’influence du groupe Maritain ; il y a d’ailleurs, à ce qu’il paraît, une préface d’un certain Olivier Lacombe qui fait partie de cette bande. Ces gens s’acharnent depuis quelque temps à travestir en “mysticisme” les doctrines orientales, de l’ésotérisme islamique au Vêdânta, pour des raisons qui, comme vous pouvez le penser, n’ont rien de purement intellectuel !
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René Guénon
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Le Caire, 31 mars 1934
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[L’intuition selon Bergson] n’est qu’une caricature de la véritable intuition, étant d’ordre sensible, instinctif et “vital”, et non pas d’ordre intellectuel ; il ne faut pas s’y tromper, et d’ailleurs Bergson est évidemment incapable de comprendre quoi que ce soit dans le domaine métaphysique, qui ne peut même pas exister pour lui, puisqu’il place toute réalité dans le “devenir”. Au fond, le bergsonisme a été une “mode”, la psychanalyse en est une autre ; il ne restera sans doute pas grand’chose de tout cela...
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René Guénon
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Le Caire, 12 août 1934
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Il faut en effet que je vous annonce une nouvelle dont je n’ai encore fait part à personne : c’est que me voilà marié, depuis tout juste 15 jours ! Je suis fort heureux de ce changement d’existence, car il me devenait de plus en plus difficile de vivre ainsi seul ; et tout le monde remarque déjà en moi une différence vraiment extraordinaire en si peu de temps... Ma femme est, par sa mère une descendante directe du Prophète ; en France, on trouverait peut-être qu’il y a une trop grande différence d’âge entre nous (elle a 22 ans), mais ici cela est considéré comme une chose tout à fait normale. Mais vous voyez que je ne prends guère le chemin d’aller en France ; peut-être irons-nous tout de même quelque jour, mais sûrement pas tout de suite ; ce n’est pas le moment de faire les frais d’un tel voyage !
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René Guénon
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Le Caire, 11 février 1935
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...je n’accepterai jamais de publier un livre autrement qu’aux frais de l’éditeur, toute autre condition étant considérée comme déshonorante dans le monde de l’édition... peut-être suis-je trop méfiant, mais j’en suis à me demander si, venant de ce côté, cela ne cache pas quelque piège... Je ne parle de cette affaire à personne autre qu’à vous ; vous me rendrez grand service en me disant le plus tôt possible ce que vous en pensez, car vraiment je ne sais que faire !
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René Guénon
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Le Caire, 25 janvier 1936
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Il paraît que ledit Maritain manifeste depuis quelque temps des sympathies nettement communistes, et que son influence dans les milieux catholiques (sauf dans quelques groupes de jeunes gens qui le suivent toujours) en est fortement atteinte ; même à l’Institut Catholique, on commencerait à le trouver plutôt compromettant ; et, avec ses variations continuelles, on finira par ne plus pouvoir le prendre au sérieux !
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René Guénon
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Le Caire, 1er décembre 1936
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Dans ses articles, ce pauvre Wirth s’efforce de plus en plus de prendre le contrepied de tout ce que j’écris ; il semble que cela devienne chez lui une véritable obsession ; en général, il s’abstient d’ailleurs soigneusement de me nommer, bien qu’il s’y soit résigné tout de même dans le dernier ; bien entendu, il ne comprend pas un mot de ce qu’il prétend contredire ainsi.
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René Guénon
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Le Caire, 24 décembre 1937
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...franchement, je ne peux pas être de votre avis : s’il y en a quelques-uns à qui il [Romain Rolland] a pu donner l’idée d’aller plus loin, ce que j’admets volontiers, il y en a certainement bien davantage qu’il aura dégoûtés à tout jamais de l’Orient en le mêlant à ses platitudes sentimentales et à ses pleurnicheries humanitaires ; ce malheureux homme me donne une impression de niaiserie vraiment prodigieuse ! Du reste, les théosophistes eux-mêmes ont bien pu aussi amener accidentellement quelques personnes à étudier sérieusement les doctrines orientales ; est-ce une raison suffisante pour supporter leur façon de les dénaturer et pour ne pas repousser toute solidarité avec eux ?...
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Je ne trouve pas regrettable que Sandoz ait cessé sa collaboration avec M[arquès]-R[ivière], mais il est assez singulier que quelqu’un puisse avoir qualité pour lui donner des ordres à ce sujet, ne le trouvez-vous pas aussi ? Je ne serais d’ailleurs pas très étonné qu’il s’agisse de Juk[anthor], comme vous le supposez, car il est bien possible en effet qu’il ait quelque chose contre M[arquès]-R[ivière] et qu’il s’emploie à faire échouer ses projets ; cela doit se rattacher à la rivalité dudit Juk[anthor] avec un prétendu “Bouddha vivant” qui a conféré à M[arquès]-R[ivière] je ne sais trop quels diplômes extravagants ; ces deux intéressants personnages ne se trouvent guère d’accord, je crois, que quand il s’agit de m’injurier ! Le “Bouddha vivant” en question, qui se prétend à la fois héritier des rois Khmers (d’où sa querelle avec Juk[anthor]), de Gengis-Khan et du dernier Dalaï-Lama, est en réalité totalement inconnu au Thibet, ainsi que les titres dont il se pare et les organisations dont il se dit le chef ; j’ai eu là-dessus des renseignements tout à fait édifiants venant d’un Lama authentique... Je ne sais plus si je vous ai dit que les publications projetées par M[arquès]-R[ivière] devaient se faire en association avec les Éd[itions] V[éga] ; il a d’ailleurs toujours été en excellents termes avec le sieur R[ouhier], qui, à l’occasion d’un de ses livres, a même fait dans sa vitrine une exposition où figuraient les diplômes dont je parlais tout à l’heure ; c’est d’ailleurs par là que j’en ai eu connaissance... Mais, si M[arquès]-R[ivière] est plus que suspect, il n’est en tout cas qu’un instrument subalterne, tandis que Juk[anthor] est sûrement quelque chose de plus dangereux ; c’est un individu absolument sinistre, qui s’entend singulièrement à détraquer les gens qui se laissent dominer par lui (je ne sais si vous vous souvenez du malheureux G. de Mengel, qu’il a rendu complètement fou) ; et je connais peu de choses qui donnent une impression “satanique” aussi caractéristique que ce qu’il écrit ! Il est vraiment bon de se tenir autant que possible à l’écart de tout ce joyeux monde...
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René Guénon
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Le Caire, 28 juin 1938
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Il est d’ailleurs évident que, sans être musulman, je n’aurais jamais pu vivre ici un seul instant ; je ne m’y vois pas du tout “faisant l’étranger”, ce qui, du reste, serait en opposition avec toute règle initiatique ! Mais il va de soi que, pour moi, cela a un tout autre sens que tout ce que peuvent supposer ou imaginer ces imbéciles haineux du genre Massignon et Cie (car c’est surtout de là que cela sort), qui éprouvent le besoin de se mêler de ce qui ne les regarde pas et de ce qu’ils sont incapables de comprendre. On pourrait, à ce propos, les renvoyer à l’article de Coomaraswamy sur Râmakrishna qui a paru dans les “É[tudes] T[raditionnelles]”, mais, même alors, ils ne comprendraient sans doute pas davantage... Quoi qu’il en soit, il n’y a là rien de nouveau en ce qui me concerne, loin de là, puisque mon rattachement aux organisations initiatiques islamiques remonte exactement à 1910 ; en comparant cette date à celle de mes livres, vous pourrez vous rendre compte que cela n’empêche absolument rien d’un autre côté ! Et puis, il y a aussi mes articles actuels ; je ne pense pas qu’ils puissent donner l’impression que je “lâche” quoi que ce soit ; mais ces gens prennent évidemment leur désir pour la réalité, car, au fond, ce qu’ils voudraient surtout, c’est que je cesse d’écrire... Il faut dire aussi qu’il y a de grands avantages, à tous les points de vue, à “s’installer” en quelque sorte dans une civilisation traditionnelle (le Christianisme seul, dans son état actuel, n’en donne plus la possibilité), du moins pour qui ne peut pas se contenter d’être un simple “théoricien”.
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René Guénon
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Le Caire, 10 août 1938
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Quant à l’identité de la “Mère”, j’ai été tout à fait fixé par une lettre reçue de l’Inde il y a peu de temps : comme je le pensais, il s’agit bien de Mme Rich[ard] ; il est possible que, comme vous le dites, son individualité importe peu, mais ce qui importe davantage, c’est l’influence que ses idées “cosmiques” peuvent exercer sur les tendances de l’Ashram [d’Aurobindo]. – Permettez-moi de vous dire, à ce propos que vous vous placez à un point de vue un peu trop exclusivement “théorique”, ce que je ne peux pas faire ; que je le veuille ou non, je suis bien obligé de tenir compte de certaines “réalités”, surtout quand elles ne sont pas indifférentes à l’égard de l’orthodoxie traditionnelle...
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Pour le Swâmî Siddhêswharânanda, je vois qu’au fond nous sommes bien d’accord ; il est à souhaiter qu’il tienne compte des remarques que vous lui avez faites, si vraiment, comme vous le pensez, il est capable de se dégager de ces regrettables confusions philosophico-sentimentales qui sont si éloignées de la pure doctrine.
Il y a un point sur lequel je ne peux pas être de votre avis : aucune religion authentique n’est simplement une “expression humaine” ; ce qui est l’essentiel, au contraire, c’est un élément supra-humain ; faute de celui-ci, on ne peut avoir qu’une “pseudo-religion”, c’est-à-dire une caricature ou une parodie. Rien de ce qui est traditionnel ne peut être “purement extérieur” ; il peut seulement arriver qu’une tradition devienne incomplète par perte de la conscience de son sens profond ; mais, en fait, je n’en connais d’ailleurs pas d’autre exemple que celui du Christianisme dans son état actuel...
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René Guénon
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Le Caire, 12 février 1939
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Les articles d’Aurobindo ont produit chez les lecteurs des réactions non seulement très différentes, mais même tout à fait contraires, à en juger par les lettres que j’ai reçues de divers côtés : tandis que les uns les apprécient comme vous, d’autres s’en déclarent déçus et me reprochent même d’avoir, dans les comptes rendus de ses livres, présenté les choses d’une façon trop favorable ! À vrai dire, je crois qu’il n’explique pas suffisamment sa terminologie et que cela peut donner une certaine impression de vague... Pour ce qui est du “Cosmique”, je vois qu’il y a eu méprise, et d’ailleurs mes articles sur la “réalisation ascendante et descendante” vous montreront qu’en réalité nous sommes bien d’accord ; ce n’est pas du tout de cela que j’avais voulu parler, mais de l’organisation dite “mouvement cosmique”, dans laquelle Mme R[ichard] a joué un rôle important. Je voudrais bien croire que celle-ci n’exerce pas une vraie influence sur Aurobindo, comme vous le dites ; mais alors comment expliquer, d’abord, la place qu’elle tient à son Ashram, et ensuite le fait que les livres d’Aurobindo portent une marque qui n’est que celle des publications “cosmiques” légèrement modifiée, sans parler de certaines expressions typiques qui se trouvent dans le texte anglais aussi bien que dans la traduction (par exemple “l’hostile” employé comme substantif), et qui ne peuvent venir que d’elle ? En tout cas, même en mettant à part Aurobindo lui-même, cette présence et celle de B[arbier] St H[ilaire] donnent à l’Ashram une physionomie un peu inquiétante... Quant au changement d’existence d’Aurobindo, il faut tout de même quelque chose de plus que la méditation pour l’expliquer ; il ne fait jamais allusion à la question d’un rattachement initiatique ; mais je pense, sans pouvoir l’affirmer, que, dès la première partie de sa vie, il avait dû recevoir quelque transmission de Tilak lui-même, comme cela a été le cas pour d’autres que j’ai connus...
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René Guénon
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