Jean II (Jean Bricaud) Patriarche de l'Eglise catholique gnostique |
LA GNOSE ET L’EGLISE GNOSTIQUE MODERNE
Jean Bricaud
Il est une vérité que les antichrétiens et la plupart des chrétiens ignorent, c’est qu’il n’y a sur la terre qu’une seule religion : la religion universelle ou catholique qui existe non pas depuis la venue de Jésus-Christ, mais depuis l’origine de l’humanité.
Saint-Augustin nous l’apprend : « Ce qu’on appelle aujourd’hui la religion chrétienne, écrit-il, existait depuis l’origine du genre humain, jusqu’à ce que le Christ lui-même étant venu, on a commencé d’appeler chrétienne la vraie religion qui existait déjà auparavant. »
Les premiers hommes jouissant de l’intégrité de toutes leurs facultés intellectuelles, élevées au plus haut degré, possédaient la vraie religion conforme à la pure vérité. Mais, à mesure que les hommes s’éloignèrent de leur berceau, ils dégénérèrent intellectuellement de degré en degré jusqu’à l’abrutissement de quelques races sauvages, et la religion s’altéra dans les mêmes proportions. L’influence des milieux apporte encore un nouvel élément de différenciation ; de là ce qu’on nomme à tort les religions.
Voilà du moins ce que nous enseigne la science des religions comparées.
Nous n’ignorons pas que les déductions de la science des mythologies comparées sont autres. La mythologie comparée enseigne que l’origine des religions les plus transcendantes est l’ignorance des peuples primitifs. Cette idée est en faveur aujourd’hui, en France surtout. Mais nous objectons que si l’on examine d’une façon générale et sans opinion préconçue les formes religieuses, qui ont apparu dans l’humanité à travers les âges, on reste frappé du fait de la réapparition constante, dans toutes ces formes diverses, d’une doctrine identique quant au fond et que l’on désigne sous les noms d’ésotérisme, de doctrine secrète, de Gnose.
La science des religions comparées nous enseigne encore que cette doctrine secrète, cette gnose, ne serait autre que la vraie Religion, qui a été défigurée par les religions. A mesure de la réascension de l’esprit humain, des sages, des prophètes, des initiés se sont élevés chez différents peuples, et ont restauré d’une manière imparfaite la Religion primitive. Jésus est le dernier de ces restaurateurs antiques ; il est venu rappeler et compléter la religion primitive.
Ainsi la Gnose constitue la doctrine ésotérique de toutes les religions anciennes. Elle n’est pas un produit spécifiquement chrétien, comme on le croit généralement ; ses fils conduisent bien loin en arrière dans l’antiquité jusqu’aux cultes des mystères égyptiens, babyloniens, persans, védiques (le mot Veda veut dire connaissance, Gnose).
Notre but, dans cet article, n’étant pas de montrer l’existence de la Gnose dans les religions anciennes, nous ne nous étendrons pas plus longuement sur ce sujet, et nous en arriverons de suite au christianisme.
L’enseignement de Jésus comme d’ailleurs celui de tous les grands sages et prophètes de l’antiquité était divisé en deux parties : l’une exotérique, comprenant les préceptes moraux qu’il enseignait aux foules sous forme de paraboles et qui constituait la foi élémentaire ; l’autre ésotérique, réservée aux apôtres et qui constituait la science profonde ou Gnose.
Nous savons ; en effet, qu’en outre de sa prédication populaire relative à la préparation et à la venue du royaume du ciel, consignée dans les Évangiles, Jésus, dans ses entretiens avec ses disciples, leur enseignait sa doctrine sur le royaume du ciel, sur le chef qui l’établissait, etc.
Ainsi, l’enseignement de Jésus a été un enseignement purement oral (car il n’a rien écrit), réservé dans ses parties les plus importantes à ses seuls apôtres, dont l’assemblée a constitué la première Église.
Cette doctrine qu’il enseigna secrètement à ses apôtres fut tenue cachée par eux et transmise à voix basse à leurs disciples.
L’évangéliste Marc nous apprend, en effet, que « lorsque Jésus était en particulier, ceux qui étaient autour de lui avec ses douze apôtres, l’interrogeaient louchant le sens de ses paraboles. Et il leur dit : il vous est donné, à vous, de connaître le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont dehors, tout se traite par des paraboles. » Et plus loin : « Il leur annonçait ainsi la parole par plusieurs similitudes de cette sorte, selon qu’ils étaient capables de l’entendre. Et il ne leur parlait point sans similitudes ; mais lorsqu’il était en particulier, il expliquait tout à ses disciples. »
Dans ces entretiens secrets avec ses apôtres, Jésus leur enseignait ce que depuis on a appelé le dogmatique en leur faisant cette recommandation : « Ce que je vous dis dans le secret, vous le crierez du haut des toits ; mais prenez garde de ne pas jeter les perles devant les pourceaux. »
Même secrètement, Jésus n’a pas enseigné à ses disciples toute la doctrine : « J’aurais encore, dit-il, beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pourriez pas les comprendre maintenant. Lorsque l’esprit de vérité aura envahi le monde, il vous enseignera toutes ces choses. » Cependant, une partie de cette tradition fut écrite par portions et à des époques successives, à mesure que les circonstances permirent de les révéler sans péril.
Ce furent les trois premiers Évangiles. Saint-Paul dans ses Épîtres fit connaître aux fidèles des points de doctrine qui ne se trouvaient pas dans les Evangiles précédents.
Vers le commencement du IIe siècle apparut l’Évangile selon Saint-Jean, qui divulguait une très grande partie des enseignements de Jésus à ses disciples, dans l’intimité. Aussi, le langage de Saint Jean est-il bien différent de celui des trois premiers Évangiles ou Évangiles synoptiques.
Mais, malgré tous ces écrits, il y avait toujours des points de doctrine tenus secrets et qui étaient l’apanage de quelques initiés : les gnostiques. Saint Basile dit, en effet : « Nous recevons les dogmes qui nous ont été transmis par écrit et ceux qui nous sont venus des apôtres sous le voile et le mystère d’une tradition orale. Ce qu’il est défendu aux non-initiés de contempler, comment conviendrait-il de le répandre dans le public ?… C’est pour cela que plusieurs choses ont été transmises sans écritures… »
Saint Clément Alexandrie, dans un ouvrage intitulé Stromata, ouvrage qu’il a défini lui-même comme une « réunion de notes gnostiques à la vraie philosophie », dit : « Le Seigneur nous a permis de communiquer ces mystères divins et cette sainte lumière à ceux capables de les recevoir. Il n’a certes pas révélé à la masse ce qui n’appartenait pas à la masse ; mais il a révélé les mystères à une minorité à laquelle il savait qu’ils appartenaient, minorité capable de les recevoir et de s’y conformer. Les choses secrètes se confient oralement et non par écrit, et Dieu fait de même. Et si l’on vient me dire : il n’y a rien de secret qui ne doive être dévoilé, je répondrai, moi, qu’à celui qui écoute en secret, les choses secrètes elles-mêmes seront manifestées. Voilà ce que prédisait cet oracle. A l’homme capable d’observer secrètement ce qui lui est confié, ce qui est voilé sera montré comme vérité ; ce qui est caché à la masse sera manifesté à la minorité… Les mystères sont divulgués sous une forme mystique, afin que la transmission orale soit possible… »
Parlant des symboles, et après avoir fait remarquer que les personnes ignorantes et sans instruction sont incapables d’en saisir le sens, il ajoute : « Mais le gnostique comprend. Il ne convient donc pas que tout soit indistinctement montré à tous ni que les bienfaits de la sagesse soient accordés à des hommes dont l’âme n’a jamais, même en rêve, été purifiée ; les mystères de la parole ne doivent pas davantage être expliqués aux profanes. »
Plus loin, Saint Clément déclare que la Gnose « communiquée et révélée par le Fils de Dieu est la Sagesse ; or, la Gnose elle-même est un dépôt qui est parvenu par transmission à quelques hommes ; elle avait été communiquée oralement par les apôtres. »
Origène, disciple de Clément d’Alexandrie, vient à son tour nous apporter son témoignage : Celse ayant allégué que le christianisme était un système secret, Origène déclara que si certaines doctrines étaient secrètes, bien d’autres étaient publiques et que ce système d’enseignement exotérique et ésotérique, adopté par les chrétiens, était répandu de même parmi les philosophes. Il ajoute que l’Église conserve les enseignements secrets de Jésus ; il invoque, en termes précis, les explications données par Jésus à ses disciples dans ses paraboles : « Je n’ai pas encore parlé de l’observance de tout ce qui est écrit dans les Evangiles, car chacun d’eux contient de nombreuses doctrines difficiles à comprendre, non seulement pour la masse, mais aussi pour certains esprits plus intelligents ; par exemple une explication très profonde des paraboles adressées par Jésus à ceux du dehors, paraboles dont il réservait l’interprétation complète aux hommes qui avaient dépassé le stage de l’enseignement exotérique et qui venaient vers lui en particulier dans la maison. »
On le voit, il est impossible de mieux dire que si le christianisme est ouvert aux ignorants, il ne leur est pas entièrement réservé ; pour les esprits « cultivés et plus capables », il y a des enseignements plus profonds.
Ces enseignements profonds, on l’a vu, étaient désignés par plusieurs Pères de l’Église sous le nom de Gnose. Ceux qui étaient en possession de la gnose étaient nommés gnostiques ; en sorte que les premiers chrétiens initiés étaient des gnostiques.
Depuis la fondation du royaume grec d’Égypte, s’accumulaient à Alexandrie tous les livres scientifiques et philosophiques de l’Orient et de l’Occident ; et les intellectuels de l’époque, animés d’un large esprit éclectique, cherchaient à faire la synthèse de toutes les connaissances contenues dans ces livres.
Plusieurs chrétiens, et non des moins illustres, essayèrent d’expliquer et de développer la doctrine chrétienne, ou la gnose à l’aide de ces connaissances.
Il s’établit alors un double courant composé : 1° de ceux qui ne voulaient trouver les antécédents de la doctrine chrétienne que dans la Bible hébraïque, c’est-à-dire dans la tradition du peuple hébreu ; 2° de ceux qui reconnaissaient les antécédents du christianisme dans les traditions des divers peuples.
Dans la suite, les premiers abandonnèrent la dénomination de gnostiques pour se désigner uniquement sous le nom de chrétiens ou judéo-chrétiens. Leur doctrine expliquée et développée à l’aide de la philosophie grecque a pris, dans la suite, le nom de théologie. Grâce à une forte discipline, ils ont réussi à maintenir parmi eux l’unité de doctrine. Ils forment aujourd’hui ce que l’on appelle les catholiques grecs et romains.
Les seconds conservèrent le nom de gnostiques, mais en faisant prédominer dans la doctrine chrétienne, tantôt certaines idées particulières à l’Égypte, tantôt certaines idées d’origine perse. Ils divisèrent de bonne heure la Gnose en deux grands rameaux :
1° celui dont Valentin est le plus illustre représentant ;
2° celui qui est connu dans l’histoire sous le nom de Manichéisme.
Mais plus tard, par suite du dévergondage d’imagination d’un grand nombre de sectaires sans valeur intellectuelle et morale, il surgit une foule de doctrines absurdes qui prétendaient se rattacher à la Gnose, et ces doctrines ont été et sont encore confondues avec la Gnose sous une même appellation, celle de gnosticisme.
On sait comment le courant judéo-chrétien finit par triompher du courant gnostique. Ce ne fut point au nom de la raison, mais par la force. Alliés au prince de ce monde, représenté par l’empereur romain, les judéo-chrétiens obtinrent par son ordre la fermeture, des écoles gnostiques. Les gnostiques furent considérés comme de dangereux hérétiques ; et par le mensonge, la calomnie et la force, les judéo-chrétiens les forcèrent à disparaître et à se cacher. Une à une s’éteignirent les lumineuses clartés qu’avait projetées le gnosticisme. Ce fut la longue nuit du moyen âge.
La gnose ne disparut cependant pas pour cela. Les gnostiques se réunirent en secret jusqu’en 1208, époque à laquelle le patriarche gnostique Guilhabert de Castres, réunit les évêques gnostiques cathares en un concile à Montségur, où furent fixés les détails de la liturgie et les principaux points de la doctrine gnostique albigeoise.
L’Église romaine s’émut. Elle envoya des missionnaires dans le but de ramener à elle ceux qu’elle appelait des hérétiques. Mais ses efforts furent vains. Alors elle déchaîna l’Inquisition.
Lutte longue, épouvantable, acharnée, atroce, dans laquelle les Albigeois furent dispersés, traqués, pendus, brûlés.
On croyait qu’il ne restait plus rien du gnosticisme. Erreur ! Les Templiers en avaient fait leur religion. Au commencement du quinzième siècle, l’Église romaine anéantissait les Templiers en même temps que le Concile de Vienne condamnait leur doctrine.
La Gnose fut néanmoins conservée par la Société des Rosicruciens ainsi que par quelques Templiers qui avaient réussi à échapper au bûcher, et dont les descendants s’allièrent avec la Franc-Maçonnerie. Ainsi la Franc-Maçonnerie est d’origine gnostique ; mais le gnosticisme qui s’abrita derrière les symboles des ouvriers maçons ne fut pas un gnosticisme très pur. Il n’y a, d’ailleurs, rien d’extraordinaire à ce qu’avec le temps il se soit corrompu.
C’est pourquoi aujourd’hui des maçons instruits et des spiritualistes initiés, armés des magnifiques découvertes de la science moderne, se sont donné pour tâche de recommencer avec plus d’espoir de succès, le travail entrepris par les premiers gnostiques chrétiens.
Au lieu de se servir de la philosophie et de la science moderne pour démolir la doctrine chrétienne, ils veulent au contraire s’en servir pour rajeunir et développer cette doctrine vénérable entre toutes et par sa haute antiquité et par les services qu’elle a rendus à la société aussi bien avant le Christ-Jésus qu’après lui, et pour le trésor des vérités qu’elle contient.
Ils veulent reconstituer la doctrine chrétienne intégrale, c’est-à-dire une religion appuyée aussi bien sur la science contemporaine que sur la tradition constante de l’humanité civilisée.
Cette religion qui existe déjà depuis quelques années et dont les adhérents sont restés jusqu’à ce jour sans liens, dispersés çà et là, en France et en Europe, arrive maintenant à la phase de son histoire où elle doit les associer et les rassembler autour de son centre épigénésique qui se trouve à Lyon. Elle doit former une vaste association ou Église, qui a déjà pris le nom d’Église gnostique universelle et réuni des anciens gnostiques johannites, valentiniens, carmeléens, et chrétiens modernes.
Son but essentiel, outre la reconstitution de la doctrine et du culte gnostique, est de faire :
1° L’unité par les moyens de la raison et de la science moderne entre toutes les églises chrétiennes et entre les divers systèmes philosophiques ;
2° L’unité du christianisme depuis Jésus-Christ et du christianisme d’avant Jésus-Christ et mériter par là d’être vraiment catholique ou universelle.
JOANNY BRICAUD
Patriarche de l’Église gnostique universelle