WIRTH Le Point au centre du Cercle




OSWALD WIRTH

Le Point au centre du Cercle


Parmi les symboles  qu'elle soumet à la méditation de ses néophytes, la Maçonnerie anglo-saxonne attache une importance particulière au point marqué au centre d'un cercle. Deux tangentes verticales complètent la figure, à laquelle s'ajoute parfois l'inévitable Bible, que nous envisageons comme superfétatoire.

Aucune explication n'accompagnait primitivement ce tracé traditionnel, que les Freemason's Monitors modernes ont cru devoir commenter discrètement. Nous apprenons ainsi que les deux perpendiculaires latérales figurent les deux patrons chrétiens de la Maçonnerie : saint Jean-Baptiste et saint Jean l'Evangéliste, auxquels s'associent les Saintes Ecritures. « En parcourant le cercle, nous est-il expliqué, nous touchons nécessairement aux deux lignes et au Livre Sacré (posé sur le bord supérieur du cercle) ; aussi, tant qu'un Maçon se maintient dans les limites de l'enseignement sacré, il est impossible qu'il se trompe matériellement. »

Nous estimons que la Bible est ici mentionnée hors de propos, dans un esprit étroit qui n'a rien d'initiatique. Le symbole purement géométrique se passe admirablement d'un texte détournant de son approfondissement méditatif. L'Initiation est plus ancienne que toutes les écritures saintes et, sans les mépriser, elle en fait abstraction lorsqu'elle enseigne à chercher la vérité, non dans les mots qui la traduisent imparfaitement, mais dans les signes et les figures propres à faire penser. En écoutant ceux qui parlent, nous nous instruisons profanement, puisque nous recevons du dehors, sans pénétrer dans notre sanctuaire intérieur, où, seul en présence de lui-même, notre esprit s'interroge, pour s'instruire initiatiquement, dans le silence que ne trouble aucun écho extérieur. Les prédications que nous entendons et les livres que nous lisons nous sont d'un immense profit et nous aurions tort de nous fermer aux richesses de l'enseignement profane. Il nous est loisible de rester devant le temple – pro fanum – ; mais, en ce cas, ne trompons personne et ne nous posons pas en initiés.

L'initié pénètre dans ce qui est fermé à la masse incapable de penser par elle-même ; il ne s'en tient pas à l'endoctrinement général et veut savoir par lui-même, en redécouvrant la vérité, telle qu'elle s'est révélée aux sages, qui sont descendus eux-mêmes pour l'apercevoir au fonds du puits symbolique où elle se cache pudiquement.

Si notre ambition est de nous initier, apprenons à penser avec indépendance, en rigoureuse autonomie, en dehors de toute suggestion verbale. Ce qui nous y aidera le mieux, ce sont les signes les plus simples et les plus élémentaires tracés géométriques ; or, rien ne dépasse, à cet égard, la simplicité du point, envisagé comme centre d'un cercle.

A strictement parler, le centre est une pure conception de l'esprit, qu'il est impossible de figurer visiblement et même de se représenter mentalement. C'est un point mathématique sans dimensions, donc un rien que cependant, nous localisons. Nous concevons un rien pouvant être quelque part pour remplir une fonction.

Voilà de quoi méditer très sérieusement. L'idée de centre s'impose à nous : tout a un centre et un centre rigoureux ne peut être qu'un point mathématique ! Moi-même, personnalité agissante, consciente et voulante, j'ai mon centre auquel se rapporte mon moi. Tout part en moi d'un point mathématique insaisissable, d'un rien mystérieux, qui se retrouve en tout ce qui a forme. L'univers a son centre comme chaque être particulier a le sien, et tous ces centres agissent comme tels de façon analogue ; sur eux se concentre l'universalité, qu'ils répercutent à leur façon. Des ondes vibratoires partent de chaque centre, puis reviennent sur lui, d'où le double aspect de mouvement vital.

Tout cela est suggéré par le modeste symbole du point dans le cercle, dont les astrologues ont fait l'idéogramme du Soleil, source de la lumière qui débrouille et coordonne le chaos. Cette lumière devient créatrice au sein de la substance primordiale, en tant que radiation partant simultanément de partout, donc de tous les points-centres de l'immensité. Les Hermétistes ont rapporté à leur Soufre l'énergie expansive contenue en tout centre de vie, tout en se figurant leur Mercure comme exerçant l'action centripète universelle. Il y a simultanément dilatation procédant de tous les centres et compression exercée sur chaque centre par le rayonnement expansif de tous les autres. Autour de chaque centre se constitue ainsi une zone d'équilibre, où l'expansion individuelle est neutralisée par la réaction de l'ambiance. Cette sphère limitative prend nom de Sel.

Cette théorie n'est pas abracadabrante et ne doit pas terroriser le Maçon soucieux de s'instruire des principes de son art. Il y est conduit, pour peu qu'il réfléchisse sur le point dans le cercle.

Mais que signifient les tangentes chrétiennement sanctifiées par nos FF:. anglo-saxons ? Elles font songer aux solstices, consacrés, eux aussi, aux deux Saint Jean. Or, les solstices délimitent la course du soleil, qui ne s'élève pas plus haut que le solstice d'été (fête de saint Jean-Baptiste), et ne descend pas plus bas que le solstice d'hiver (fête de saint Jean l'Evangéliste). A ces limites correspondent les Colonnes d'Hercule dressées aux confins du monde, colonnes que la Maçonnerie christianisée a retrouvées devant le temple de Salomon. Ce sont pour elle les extrêmes entre lesquels se développe la réalité accessible à l'esprit humain.

Ces deux colonnes ont toujours été envisagées comme les piliers de la sagesse maçonnique. Elles sont en relation avec le Soleil et la Lune, avec Soufre et Mercure, Niveau et Perpendiculaire, Force et Beauté. Il y a là des rapports subtils qui peuvent échapper à la brutalité raisonneuse ; mais l'artiste n'est pas une brute et, si le manœuvre chargé de démolir peut laisser jouer ses muscles, l'ouvrier constructeur ne peut se dispenser de faire intervenir son cerveau.

Cela parut évident dès les temps les plus anciens, où la géométrie fut en honneur parmi les Maçons. Or, toute spéculation géométrique remonte au point sans dimensions, rien dont le mouvement engendre la ligne dépourvue de largeur, de laquelle naît la surface, génératrice à son tour de la forme à trois dimensions.

Rien de plus positif, de plus solide en ses démonstrations que la géométrie. Et pourtant – cruelle ironie – toute la science de l'espace procède d'une notion absurde : celle du point mathématique, entité fictive, qui est sans être, tout en étant. Quelle leçon d'humilité ! Le rituel a raison, lorsqu'il nous fait plier jusqu'à terre pour franchir la porte du sanctuaire où se cherche la Vérité.





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