PLAIDOYER POUR L'OCCULTISME
Marius Lepage
Article paru dans la revue "Le Symbolisme" (novembre 1930)
J'ai lu, avec une surprise non déguisée, l'article paru dans Le Symbolisme de juin dernier, sous le titre « La crédulité occultiste ». Sans vouloir, en aucune façon, sembler engager une polémique, j'ai cru devoir essayer une tentative de réfutation. Tentative peut-être imprudente, peu d'années ayant encore passé depuis ma naissance profane, mais qui aura tout au moins le mérite d'une parfaite sincérité.
Donc, s'il faut en croire M. Diogène Gondeau, les occultistes sont « des croyants qui ont retrouvé le Paradis » ou, pour résumer en une phrase tout l'article : « ils savent qu'ils savent et sont satisfaits ». Fatuité, orgueil... peut-être bêtise, tel est l'apanage des occultistes. Appréciation sévère, sans être pour cela très juste. Elle mérite qu'on s'y arrête. Surtout, il importe de marquer les liens étroits, indissolubles, qui unissent la Franc-Maçonnerie à l'occultisme.
La science occulte , c'est la science des choses cachées, ne tombant pas immédiatement sous les sens. C'est aussi la science cachée dans l'intérieur des temples, où nul n'est admis sans avoir subi les épreuves initiatiques. Enfin, c'est la science cachant ce que le profane ne doit pas savoir. Il n'est, pas bon que certains secrets tombent dans le domaine, public, où chacun pourrait les exploiter pour des fins plus ou moins bonnes .
La science occulte, divisée en un certain nombre de branches (astrologie, alchimie, chirologie, etc...) s'appuie sur une philosophie : l'occultisme. Je n'ai point qualité pour faire ici un exposé, d'ailleurs inutile, de l'occultisme. J'en donnerai simplement une définition qui m'a semblé assez juste, renvoyant pour plus de détails aux ouvrages spéciaux des Eliphas Levi, Papus, Stanislas de Guaïta et autres.
« De ce premier et lent contact d'une humanité fougueuse, jeune, avide, avec les phénomènes planétaires, naquit l'Hermétisme qui fut, pour les sages et les initiés, l'unification essentielle des connaissances acquises, du symbolisme religieux divers et contradictoire aux yeux des profanes et des foules, l'élucidation, déjà méthodique parfois, de certains problèmes, mais surtout et fatalement le triomphe de l'intuition. Par là se constitua une synthèse remarquable, mais souvent hypothétique, basée sur des déductions théoriques et sur un vaste aperçu d'idées, des systèmes s'édifièrent, soutenus par des affirmations, étayés par une science dont la profondeur nous échappe, parce qu'elle était l'apanage exclusif d'initiés qui la cultivaient en secret et qui n'apparut sous sa forme exotérique que mélangée à des connaissances rudimentaires, à des expériences imparfaites, fruits d'un mariage entre l'instinct et l'intelligence, entre l'ésotérisme et l'exotérisme.
L'Hermétisme découvrit de nombreuses lois, pressentit à coup sûr l'ordre universel, comprit et étudia l'harmonie du Monde, puisqu'il enseigna dans le mystère de ses temples la véritable mécanique céleste et la puissance des nombres d'où sortent les mathématiques les plus complexes et les plus profondes. »
Revenons maintenant, après ce préambule peut-être touffu mais nécessaire, à l'article de M. Diogène Gondeau. L'occultiste, dupe des fantasmagories du Bateleur, soulève le voile d'Isis tendu derrière la, Papesse. Certes, mais n'y est-il pas convié par son attitude même ? Le livre de la nature qu'elle tient entr'ouvert, la clef des symboles qu'elle possède ne sont-ils pas des invitations précises aux études occultes ? Les images projetées sur le voile de l'illusion sont-elles moins réelles que les écrans interposés entre ce dernier et la Lumière Infinie ? L'objectivation sur le plan matériel est-elle moins réelle que le cliché astral ? Ne peut-on pas connaître celui-ci en examinant attentivement celle-là ? Point n'est besoin, pour l'occultiste, de contempler la réalité sous-jacente aux phénomènes. L'expérience risquerait d'être dangereuse, et peut-être trompeuse.
Il est, sans doute, des charlatans de l'occultisme. Bateleurs impénitents, ils jettent aux yeux d'un public ébahi la poudre des miracles à bon marché. Oracles plus ou moins sûrs, somnambules extra-lucides, tireuses de cartes tapies dans des galetas, se réclament tous de la Science Cachée. Malheureusement, M. Diogène Gondeau semble n'avoir vu que ceux-là. Pourtant, consultant ses tarots, il eût pu leur demander, sans trop de peine, de plus amples renseignements. N'est-ce pas un étudiant en occultisme, l'Amoureux de l'arcane VI ? Reprenant le geste sacré du Rose-Croix, il s'avancera sans rechigner sur la route aride des sciences occultes. Il marchera longtemps, la vie ne lui sera pas douce. Peu à peu, ayant parcouru tout le cycle de son existence terrestre, l'occultiste, au déclin de ses jours et de ses forces, sera devenu l'ermite de l'arcane IX. Il ne croit pas savoir, celui-là. Les ans l'ont courbé. Il a sans doute beaucoup vu, beaucoup retenu. Pourtant, la lanterne tenue à la main ne projette qu'un bien faible rayon dans l'ombre environnante. Occultiste loyal, l'ermite, symbole du silence, ne peut véritablement et sincèrement prononcer que ces mots : « Je sais que je ne sais rien ». Il a soulevé le voile d'Isis, il n'a point trouvé la réalité derrière le rideau des apparences. « Aucun système philosophique, scientifique ou religieux ne peut satisfaire entièrement celui qui a la véritable aspiration profonde vers la vérité. Celle-ci, dans sa totalité, n'est pas accessible à l'homme, au degré de développement où il se trouve en ce moment. D'ailleurs, dès qu'on a reconnu en soi l'existence d'un domaine supérieur, on demeure insatisfait par les systèmes philosophiques quels qu'ils soient. On sent qu'au delà de leur formule, de leurs explications dogmatiques, il y a toujours une lumière plus parfaite. On sent qu'elle rayonne plus loin, mais on ne peut l'atteindre. »
L'occultiste n'a point horreur de la Chambre du Milieu, comme le prétend M. Diogène Gondeau. Mais il pense que toute illusion ne s'évanouit pas lorsqu'on a cueilli la branche d'acacia ou ressuscité Hiram. Il songe, au contraire, que tout est illusion, sauf peut-être, au tréfonds de lui-même, une petite lueur, clignotante et plus faible que la lanterne de l'Ermite. Ce reflet, enfoui dans la matière, n'est-ce pas ce qui, en nous, représente la plus grande réalité ?
Quelle sera la position de l'occultiste vis-à-vis de la F:.M:. ? Il la vénérera parce qu'elle est une branche, non la moindre, de l'occultisme. Elle a gardé intact le symbolisme des nombres et des figures. Il s'y attachera, car son étude est féconde en enseignements initiatiques. Surtout il essaiera, s'il a pu la comprendre, de faire partager sa compréhension aux FF:. de son atelier qui trop souvent, tels de mauvais Compagnons, frappent à coups redoublés notre Maître Hiram.
Vouloir séparer la F:.M:. de l'occultisme est chose impossible et vaine. Vouloir la comprendre en dehors de l'occultisme amène à la rabaisser au niveau d'une société philanthropique ou politique. Elle est, ou devrait être, mieux que cela.
C'est la Papesse du Tarot, placée entre les deux colonnes. Elle garde l'accès du Temple. Pour en franchir le seuil faudra lui demander la clef, il faudra déchiffrer le livre sacré. Quoi qu'en dise M. Diogène Gondeau, seul un occultiste se hasardera de s'y risquer avec quelque chance de succès. S'il y parvient, il n'en sera pas plus fier pour cela, sachant fort bien qu'il lui reste encore beaucoup de pas à faire, d'obstacles à franchir avant de retrouver, s'il la retrouve, la Parole perdue.