LETTRES
A
JEAN-BAPTISTE WILLERMOZ
A
JEAN-BAPTISTE WILLERMOZ
Louis-Claude de Saint-Martin
Paris le 29 décembre 1784
Quoique j'ai chargé le Mtre Paganici T. Ch. Me, de vous souhaiter de ma part une bonne année, à vous et à tous les vôtres, je me fais un plaisir de vous renouveler moi-même l'assurance des sentiments que je vous ai promis solennellement de garder pour vous toute ma vie. Ce n'est pas que vous me gâtiez par de trop fréquents signes de souvenirs. J'espérais qu'étant plus libre depuis que, vous avez laissé le commerce, vous pourriez plus souvent que par le passé me donner de petits rafraîchissements d'amitié, mais mon marché est fait avec vous sans réserve et sans restriction et je vous aimerai jusqu'au tombeau de quelque manière que vous me traitiez.
Je voudrais être moins paresseux, je vous faisais un long détail de ce que j'ai vu à Buzancy et dont je n'ai parlé à la mère qu'en courant. En somme, un jeune homme sourd depuis quinze ans mais complètement guéri en huit jours à entendre comme vous.
Ce même homme guérissant ensuite en quatre jours une femme rongée d'une sciatique épouvantable depuis nombre d'années et la mettant en état de marcher et de se servir de tous ses membres ce même homme attaqué le lendemain de cette cure, d'une maladie de nerfs mêlée de paralysie universelle et de catalepsie et guéri en huit jours au point d'avoir une force double de celle antérieure, un usage plus parfait de tous ses organes qui tous avoient été altérés dès sa jeunesse et enfin d'avoir crû de près d'un pouce dans ce court intervalle.
Tout son pays est dans l'admiration, je ne vous parle point de mille autres petits faits dont j'ai été également témoin mais je dois ajouter que toutes ces cures avec tous leurs symptômes sont annoncées par les malades eux-mêmes plusieurs jours d'avance et je n'ai vu aucune de ces annonces qui ne soit arrivée à l'heure dite et avec toutes les circonstances indiquées. Je ne me suis mêlé en rien de tous ces traitements. J'assistais, j'aidais seulement à prêter les secours ordinaires qu'on donne à tous les malades mais je ne magnétisais point, mon physique ne me paraissant pas assez robuste pour cela.
En revanche j'ai beaucoup observé et je me suis rendu de tous ces phénomènes un compte suffisant pour croire que la raison n'ait point à s'en plaindre. Rien de cela ne paraîtra dans le public. Ce n'est pas dans l'état de combustion où sont les choses que les idées froides comme les miennes peuvent trouver place et cela restera dans le portefeuille avec beaucoup d'autres choses. Si quelque jour nous ne faisons pas comme les montagnes qui ne se rencontrent point, je vous communiquerai ces observations magnétiques.
De votre côté si vous jugez à propos de me mettre au fait de l'état des choses en votre ville je suis prêt à vous entendre. Fait-on des cures par les procédés admis dans votre école ? Êtes vous content des succès ? Voilà des choses que vous pouvez me dire.
Quant à ce que le Mtre Giraud a bien voulu me confier d'après l'aveu de votre société, je vous avoue que j'en crains les suites ou plutôt je vois que la chose ne peut pas rester au point où elle me parait être d'après l'exposé qu'on m'a fait. Elle montera ou elle descendra. C'est à l'événement à m'instruire. Vous ne doutez pas que j'aimasse mieux la voir monter, alors elle serait tout à fait spiritualisme et il n'y aurait plus besoin d'image, chose dont je souhaiterais que l'on pût se passer. Je pense tout haut avec vous, mon cher Mtre mais je ne tiens point à mes idées et j'attendrai tranquillement les vôtres.
Quant à l'objet principal je persévère plus que jamais dans mon goût pour la retraite et l'obscurité. Je trouve que c'est là où je me parfume le mieux de cette huile de joie dont parlent Isaïe et St Paul. S’il plait un jour à la sagesse suprême de m'employer à autre chose, je ferai en sorte qu'elle me trouve prêt. Si elle ne le juge pas à propos. Sa volonté soit faite !
Cela ne m'empêche pas chemin faisant de donner la main à mes semblables quand j'en trouve d'enfoncés dans le bourbier, et tous les prodiges magnétiques que j'ai vus ne m'ont pas peu servi à faire ouvrir les yeux à quelques aveugles. Cela ne m'empêche pas non plus de causer avec eux quand il y a lieu. Mais cela ne va pas plus loin.
Je ne compte pas mon apparition, il y a six mois, à la loge de la Bienfaisance. J'y aurais même été encore hier à la fête de St Jean où l'on m'a fait la faveur de m'inviter si j'eusse été libre. Je n'y peux voir que les grades inférieurs et je n'y suis que fauteuil ; ainsi cela ne discorde point avec mon gout et mon titre d'indépendant. Enfin cela ne m’empêche pas de prendre communication de toutes les idées et écrits que l'on veut bien me communiquer et j'attends en conséquence que vous autorisiez vos lieutenants à me confier la lecture de la rédaction des grades dont vous m'avez parlé cet été et dont je vous dis que je ne me permettrais pas la demande.
En effet si vous ne m'aplanissez les voies sur cela, je verrais cent ans tous les membres de la bienfaisance que je ne leur en ouvrirais pas la bouche. Bien entendu que cela m'empêche moins encore de me mettre aux pieds d'un Gamaliel s'il s'en rencontrait sur mon chemin. Personne n'en sent plus que moi le besoin, et j'ai eu dans ma cellule des mouvements assez positifs pour me convaincre combien il me serait utile d'en rencontrer.
Vous m'avez promis aussi dans le temps de vous souvenir de moi, s'il y avait du bonbon. Je compte toujours sur votre amitié pour cela si le cas y échoit. Vous savez que je suis un enfant gâté et que c'est vraiment du bonbon qu'il me faut ce qui me rend tiède sur tout le reste.
Vous jugez bien que d'après tout cela je cours peu la cohue de chercheurs que l'ami Delanges va rassembler des quatre coins du monde le 15 février prochain. J'ai reçu une belle circulaire à cet effet dont probablement vous aurez connaissance. Mais ma réponse est toute faite, je n'y mettrai pas les pieds. Ce sera le festin de l'Évangile à cela près que le principal hôte n'y sera pas le plus honoré, car si on croyait en lui on ne se rassemblerait pas pour chercher à qui l'on doit croire. Que ferai-je là mon Dieu ! Je regarde cet homme comme le tourment de la vérité.
Adieu, mon cher Me je me recommande toujours à vos bonnes prières et à celles de tous les nôtres. J'avais prié la mère de deux petites commissions. L'une était bien pressée. C'était du sel pour mon malade. N'entendant parler de rien j'ai écrit directement à Paganuci et j'attends chaque jour de ses nouvelles. L'autre était pour l'ami Pernon, il s'est chargé de me faire reteindre un habit de velours de coton bleu. Voila trois mois qu'il l'a ; j'avais pourtant bien compté m'en servir cet hiver.
Adieu encore une fois, mon cher Mtre,
Ora pro nobis.
Paris, le 26 juillet 1787
J'arrive de Busancy, mon cher F, et c'est pour me rendre auprès de mon pauvre père qui vient de tomber en paralysie. Il a été secouru à temps, on parait ne pas craindre pour ses jours. Mais les suites de cette maladie sont si cruelles ! J'en suis affecté jusqu'au fond de l'âme. Quel spectacle je vais avoir ! et quels moments je vais passer ! Je supplie nos bons amis de ne pas m'oublier ni le malheureux malade que je vais soigner. Faites passer s'il vous plait cette triste nouvelle au F. Giraud. Je ne peux plus faire aucune espèce de projets. Ma vie désormais étant subordonnée à l'état de mon père. Quand je l'aurai vu je manderai au juste ce que j'en pense. J'écrirai au F. Milanois, et si j’ai assez ma tête je lui rerépondrai sa dernière. Mais plus j'y pense plus je trouve l'entreprise difficile. Adieu, mon cher F. priez pour moi.
Mon adresse à Amboise à Mr de St Martin le fils.
J'apprends dans le moment que mon père est mieux, malgré cela je pars.
Très pressée / A Monsieur / Monsieur J.-B. Willermoz / chez Mr A. Willermoz / rue Buisson / à Lyon
Lyon le 10 7bre 1787
La mère me charge de vous dire mon cher F. qu'elle a reçu votre lettre. Son fils va beaucoup mieux, la fièvre lui a manqué deux fois. Mais en revanche, Jeannette a une fièvre très forte ; on l’aurait saignée ce soir sans les portes ; elle le sera demain pour prévenir 1'inflammation. Tout va bien chez Mme Willermoz Toni. Au lieu de faire venir la nourrice, docteur a fait partir toute la famille pour la campagne. La petite s'est trouvée fort bien de la nourrice, la mère fort bien de ne l'être plus, et Toni est revenu seul ce soir fort content de tout son monde.
Giraud est arrivé hier fort peu satisfait des procédés de sa duchesse, qui dans le vrai sont peu flatteurs. Il vous contera cela à son retour.
Mr Perrin est venu me voir samedi matin, et a voulu m'étaler tout plein de raisons, J’ai tenu ferme et il s'est en allé résolu de vous poursuivre aussi vivement que je lui ai (paru) disposé à poursuivre son frère; je lui ai dit que j'attendrais la réponse de son frère à la lettre que vous lui avez écrite à Paris. Je lui ai répété la proposition des six milles livres, avec promesse d'être tranquille pendant un an ; il n'en veut point et m'a offert la moitié des 9 milles livres, en vous laissant la charge de l'autre moitié, je n'en ai pas voulu non plus et nous en sommes là. Adieu, mon cher frère, je me recommande à votre bon souvenir. Recommandez-moi à celui de vos aimables hôtes. Je désire beaucoup être pas parti avant votre retour, mais j'ignore encore si je puis m'en flatter ; je ne le saurai qu'à la fin de la semaine.
N'ayez nulle inquiétude sur la santé de la mère, elle est fort bonne ; elle ne s'est reposée sur moi du soin de vous écrire qu'en raison des embarras que lui donnent tous ses malades.
Rome le 24 8bre 1787.
Je suis ici depuis hier, mon cher F. et je n'ai pu m'empêcher de courir tout de suite à la fameuse église de St-Pierre. Je suis tout étourdi de ce merveilleux ouvrage. Je n'ai encore satisfait que ma première faim. Mon éblouissement ne m'a pas empêché de prier Dieu pour tous nos bons amis, et par conséquent pour vous, mon cher F. dans le temple de notre premier apôtre.
La mère Provensal a du recevoir une lettre de moi datée de Sienne où je lui mandais que je ne m’étais point arrêté à Florence, et où je la priais de dire au F. Giraud de m'envoyer désormais mes lettres à Rome chez Mr Pio place d'Espagne. Cette lettre j’ai été obligé de la confier sur les grands chemins à un courrier qui passait ; et dans la crainte qu'elle ne soit pas arrivée je prends le parti de vous retracer ici ce qu'elle contenait ; en vous priant d'en faire part à qui il appartient, et notamment au F. Giraud pour que mes lettres ne retardent pas davantage. Il y a un article dont je ne parlais point à la mère de peur de 1'inquiéter, c'est qu'en passant à Sienne, j'y trouvai tout le monde dans une consternation générale. Depuis vingtquatre heures on y avait senti dix-huit secousses de tremblement de terre, dont une avait été assez forte pour faire sonner les cloches des églises. Il y en eut une dix-neuvième pendant que nous dînions ; mais elle fut légère. Je crois que cela n'aura pas eu de suite ; mais il se pourrait qu'il y eut eu quelque chose de grave ailleurs, et dont Sienne, n'aurait eu que les éclaboussures. La veille nous avions eu une forte tempête du coté de Bologne. Les gazettes nous l'apprendront. Mais quant à ce pays-ci tout y est fort tranquille, et on ne s'y est aperçu de rien.
J’ai vu ici à mon auberge le comte Collovatz que bien connaissez ; il m'a reconnu. Pour moi je ne l'aurais jamais reconnu. Il ne me parait pas plus avant que par le passé ! Adieu, mon très cher F. Je me recommande toujours à vos bonnes prières et à celles de tous les nôtres il fait aussi froid ici qu'à Lyon.
A Monsieur / Monsieur J.-B. Willermoz / rue Buisson / à Lyon.
Paris le 29 avril 1788
J’ai reçu les deux malles que le cher F. W. le jeune a eu la bonté de m'envoyer, et je le remercie des soins qu'il a bien voulu se donner pour cela. J’ai vu le cher F. Virieu qui a fait lire au duc la lettre en question. Il doit vous en écrire. Mais d'avance je peux vous dire, mon cher F. qu'il y a apparence que tout est fini de ce côté là, et qu'il n'y a pas à espérer qu’on revienne sur ses pas. D'autant que le parti était, pris dit-on, depuis longtemps. Je laisse au F. de Virieu à vous rendre un compte plus détaillé. Quant au Vte les choses sont toujours dans le même état, et malheureusement cela commence beaucoup à transpirer dans le public. La plus grande partie ne l'attribue qu'au magnétisme, mais gare à nous, notre tour viendra, et je prévois avec douleur combien ce sera un grand obstacle au bien que l'on aurait pu faire. J’ai fait retirer tous mes effets de chez lui, et je les ai déposés dans une maison où l'on veut bien les garder jusqu'à ce que j'aie pris un poste fixe.
Je vous prie en conséquence de ne plus m'écrire à son adresse. Mais à la suivante :
rue du Doyenné St-Louis-du-Louvre n° 5.
Je vous serai obligé de la donner au F. W. le jeune, et à tous ceux qui auraient la bonne volonté de me gratifier de quelques-unes de leurs lettres ; la mère, Milanois, Grainville, Bory, Giraud.
Le F. Milanois avait chargé de lui faire savoir ce que j'apprendrais au sujet de Mde de Vortens Lebon. Elle n'est plus à Montbéliard. Elle est partie pour la Saxe. Voilà tout ce que je sais sur son compte.
Je vois souvent ici les Russes qui sont de la connaissance du F. Zinovief. Lorsque vous le verrez, dites-lui je vous prie que nous parlons souvent de lui et que nous l'aimons bien. Je n'ai rien appris ici au sujet de Mde la duchesse de Brissac ; mais j'avais vu en passant Mde de Gleon qui arrivait de Nice, et qui ne me parut pas extrêmement persuadée de sa bonne santé. Voudrez-vous bien lire cet article au F. Giraud.
Je pars dans l'instant pour chez mon père ; le défaut de places dans les diligences m'a retenu jusqu'a[u] moment. En conséquence j'y resterai peu. Et si l'on a quelque chose à me faire savoir on peut toujours l'envoyer à adresse ci-dessus qui sera le dépôt de toutes mes correspondances, quoique je loge ailleurs dans un hôtel garni, attendu que je ne suis ici qu'en passant. Adieu mon très cher F. Je me recommande à votre bon souvenir et à vos bonnes prières, j'en demande autant par votre organe à tous nos amis. Ne m'oubliez pas auprès de ma tante confrère, et de mesdames de St-Didier, et priez Mr de Bory de ne pas m'oublier auprès de mesdames Mermier.
A Monsieur / Monsieur J.-B. Willermoz, / rue Buisson / à Lyon.
Strasbourg le 10 juin 1788.
Votre lettre m'a été renvoyée ici, mon T. Ch. F. où je suis arrivé depuis quatre jours. Elle m'a fait plaisir en m'apprenant la bonne santé de toute la famille. En partant de Paris j’ai appris que le Vte allait mieux. Dieu veuille que cela se soutienne ! On va remettre sa fille au couvent. L'instituteur de son fils se retire, car ses jours ont été souvent en danger dans les accès de notre malheureux ami. Je ne sais rien de plus. Le F. de Virieu qui est sur les lieux pourra vous en apprendre davantage. On ne sait rien ici de toute cette aventure. Je m'en suis seulement ouvert à Tieman. On n'y sait rien non plus du coup que le directoire va recevoir ; et en général tout ce qui concerne cet établissement parait absolument oublié ici Ni en bien ni en mal on n'en ouvre seulement pas la bouche. J’ai vu les Turkheim, Mayer, Salzmann. Chacun est occupé dans son coin les uns à leur banque et commerce, les autres aux affaires municipales, d'autres à des somnambules qui paraissent intéressantes, mais que je ne peux juger que sur des extraits qu'on me traduit, parce qu'elles ne parlent que l'allemand dont je ne sais pas un mot ; et moi je m'occupe à mon ordinaire dans la route simple qui me convient. Je ne suis point étonné que vous n'ayez pas compris ma dernière ; je ne me proposais pas de l'être encor ; je ne me prescris même aucun tems pour vous parler plus clair, ce seront les circonstances qui me régleront ; et vous avez trop de peines à présent.
Peut être dans quelque temps ici se présentera-t-il à vous un jeune Américain nommé Mr Despallieres avec un billet où son nom sera écrit de ma main. C'est un jeune homme que la Providence a tiré de la corruption et de l'abomination des systèmes philosophiques. Il a une grande démangeaison d'aller plus loin : il est venu me chercher en Touraine, il voulait me suivre dans tous mes voyages. Je l'ai parfaitement assuré de mon impuissance, et j’ai fait tous mes efforts pour le ramener à la marche simple et aux pratiques de notre Eglise. J’ai gagné quelque chose sur lui, mais non pas tout. Il a eu le désir de faire votre connaissance, et même d'être admis dans la maçonnerie. Je l'ai assuré qu'il ne pouvait mieux faire et je vous adresse, car par moi-même je n'aurais pas pu le mener loin dans ce sentier. Je vous prie donc de faire pour lui ce que votre sagesse vous dictera. C'est un excellent coeur. La tête un peu ardente, comme on l'a dans son climat mais il est doux et a de l'esprit. Avec cela il a toujours de la ressource. Je l'ai laissé à Paris où il demeure, et où il reviendra après son voyage de Lyon, pour s'en aller ensuite en Amérique dans quelqu[es] mois.
Adieu, mon très cher F. ne doutez point que mon amitié ne vous soit acquise pour l'éternité. Je me plais à croire qu'il en est de même de la votre. Je me recommande à vos prières et à celles de tous nos amis.
Le F. Tieman me charge de mille choses pour vous et pour eux. /.
Mon adresse à Strasbourg poste restante.
Je vous prie de présenter mes hommages à Mr le doyen et à son aimable mariée ; si je ne lui envoie pas encore de présent de nous, elle voudra bien m'excuser, attendu que nous ne sommes pas encore en vendanges.
A Monsieur / Monsieur J.-B. Willermoz, / rue Buisson / à Lyon.
Strasbourg le 16 octobre 1789
La réponse laconique que je désirais, mon cher frère, aurait mieux rempli mes vues que celle détaillée que vous avez la bonté de me faire, et elle eut ménagé votre temps.
Indépendamment de mes raisons de délicatesse qui sont vraies, j'en ai d'autres qui sont vraies aussi.
Je ne vous en parlais point parce que vous devez les connaître au moins en partie, et que je voulais éviter de revenir avec vous sur des objets que je ne pourrais traiter sans vous déplaire. Ce même motif d'attention pour vous qui m'a toujours animé, lors même que vous lui prêtiez des couleurs si différentes, me retiendra encore aujourd’hui ; et sans entrer dans d'autres détails, je vous supplie de me faire savoir par un oui ou par un non si sans tenir à la société maçonnique ni intérieure, ni extérieure, je serais néanmoins apte à participer aux instructions secrètes de l'initiation, dans le cas où mes pas se dirigeraient vers votre bonne ville. Un article de votre lettre semblerait décider la question pour la négative ; puisqu'il y est dit que je ne pouvais participer à l'initiation annexée au régime rectifié, qu'autant que je serais préalablement membre d'une loge symbolique du régime ; et je sens bien que la loi qui a prononcé ainsi au commencement, se désistera difficilement. Mais je désirerais d'avoir sur cela quelque chose de plus positif que ma conjecture. En attendant le parti quelconque que je prendrai d'après votre réponse, je vous prie, de faire rayer le titre de gentilhomme qu'on a toujours joint à mon nom sur la liste des membres ; il y a longtemps que j'avais prié le frère Paganucci de me rendre ce service ; mais il ne l'a pas jugé à propos.
Adieu, mon Tr. Ch. F. Je me recommande toujours à vos bonnes prières, et à celles de tous nos amis. Je fais les voeux les plus sincères pour votre bonheur, et pour le leur dans la nouvelle année qui nous arrive.
A Monsieur / Monsieur J.-B. Willermoz / rue Buisson / à Lyon.
Strasbourg le 4 juillet 1790.
Je vous remercie de votre attention, mon cher F. et je suis fâché de toutes les peines que vous avez prises. Ce ne sera ni sur vous, ni sur Mr Julien que je tirerai. Je vous renvoie votre mandat ; on prend difficilement ici du papier sur Lyon, et sur Paris, à cause de la perte qu'il éprouve, Mais la maison Frank a tout arrangé ; vous pouvez faire porter la somme de 625 francs chez Mrs Braun, Bergasse et Cp. correspondants de cette maison. Ils sont prévenus par ce même courrier, et ils vous donneront sur cette maison Frank une lettre de change que vous m'enverrez et qui sera acquittée ici sans la moindre difficulté, Quant à l'avenir nous verrons ici là ce qu'il y aura à faire. Je pense comme vous, mon cher F. que les intérêts humains ne devraient pas diviser les hommes. Je ne mêle peu de ces choses terrestres ; au moyen de quoi je garde la paix avec mes semblables autant que je peux. Vous faites bien de jouir tranquillement de votre bonheur domestique tant à la ville qu'à la campagne, et je regrette de tout mon coeur de ne pas être à portée de le partager avec vous. Vous ne me parlez pas d'une seule personne de la famille. Dites, je vous prie, à Mr le marquis que malgré le décret contre les titres, je lui conserve le sien, et qu'il devient d’autant plus beau, qu'il sera le seul dans le royaume. Dites à la mère, et à mon confrère, que je les prie toujours de m'aimer un peu.
Dites aussi s'il vous plaît au Ch. F. aîné que j'attendais de lui une réponse qui n'aurait pas été bien longue ; que ne la voyant pas venir je peux présumer d'avance de quelle nature elle serait, ce qui me détermine à prendre mon parti. Qu'en conséquence je le prie de présenter et de faire admettre ma démission de ma place dans l'ordre intérieur, et de vouloir bien me faire rayer de tous les registres et listes maçonniques où j’ai pu être inscrit depuis 85. Mes occupations ne me permettant pas de suivre désormais cette carrière. Je ne le fatiguerai pas par un plus ample détail des raisons qui me déterminent. Il sait bien qu'en ôtant mon nom de dessus ses registres il ne se fera aucun tort, puisque je ne lui suis bon à rien ; il sait d'ailleurs que mon esprit n'y a jamais été inscrit ; or ce n'est pas être liés que de ne l'être qu'en figure. Nous le serons toujours, je l'espère, comme Cohens, nous le serons même par l'initiation si toutefois ma démission n'y met pas d'obstacle, car alors je ferai même le sacrifice de l'initiation ; attendu que tout le régime maçonnique devient pour moi chaque jour plus incompatible avec ma manière d'être, et la simplicité de ma marche. Je n'en respecterai pas moins jusqu'au tombeau celle de ce cher frère, et il peut être sur que je ne le troublerai de ma vie. Adieu, cher frère, présentez mes hommages à toute la famille ; et à tous nos frères spirituels et temporels
./. Ora pro nobis.
Vous avez su qu'au printemps dernier j’ai été faire un voyage en Touraine où j’ai trouvé mon père et toute ma famille très bien portants, et préservés de tout trouble et de toute inquiétude au milieu des bagarres de la France. J’ai vu à mon retour à Paris quelques-uns de nos amis. Tous ces objets remplis, je n'ai pu m'empêcher de revenir à mon Strasbourg qui semble avoir été pour moi dans ce monde la terre promise par les consolations et le bonheur dont j’ai joui ; et cela dans ma solitude, avec un très petit nombre de connaissances, et sans aucune espèce de vestige de ces routes compliquées qui m'ont toujours gêné et dont je crois devoir me séparer pour jamais. Cependant je présume qu'à la fin de l'[é]té je rentrerai dans mon Paris où quelques devoirs semblent m'obliger de fixer ma demeure principale ; car ici je n'y suis que par égoïsme, et pour mon propre compte.
Ma soeur qui était en Dauphiné dans une maison de mécontents de tout ce qui se passe en France vient de se sauver avec eux à Chambéry
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A Monsieur / Monsieur Antoine Willermoz / ngt rue Buisson/à Lyon.
Nos propos s’envolent comme fumée d’encens, puis deviennent odeur reçue par nos sens…