CANSELIET Préface de "Aspects de l'Alchimie Traditionnelle" de René Alleau.

 


EUGÈNE CANSELIET


Préface de 

"Aspects de l'Alchimie Traditionnelle" 

par René Alleau


Depuis la naissance de l'Occultisme moderne, au siècle dernier, responsable, par son ignorance et sa vanité, d'une incroyable méprise, depuis longtemps déjà se faisait sentir le besoin d'une étude approfondie, qui exposât, savamment, sainement et clairement, le but et l’idéal de l'alchimie, ainsi que l'universalité de ses principes les plus élémentaires. Enfin, ce livre est né, et le voici, qui présente l'immuable science d'Hermès, sous les divers aspects traditionnels de l'unique et unanime Vérité, et qui, par suite, ne la monopolise pas, si nous osons dire, comme d'aucuns l'ont tenté, au profit de telle ou telle autre civilisation religieuse. Nul, mieux que René Alleau — et nous ne déclarons point cela parce qu'il est notre ami, disciple de Fulcanelli et fils de Science comme nous-même — nul, mieux que lui, ne pouvait traiter ce sujet d'actualité brûlante, en l'étendant au cadre immense du vieux monde, sous la lumière de ses connaissances étendues des antiques philosophies orientales. Son jugement nous apparaît d'autant plus sûr, son autorité d'autant plus grande, que, persuadé du fondement positif de l'alchimie, ainsi qu'il en est, sur notre terre, pour toute incontestable vérité, il a davantage vérifié, dans la matière, l'exactitude des enseignements traditionnels et, par elle, physiquement communiqué avec L'Esprit. Ainsi, éprouvons-nous un plaisir très réel dans le sentiment de collaborer modestement à une œuvre de salut et de charité, en écrivant ces quelques pages, où le lecteur, malgré l'impression première, décèlera vite l'harmonie les unissant intimement au texte, qu'elles précèdent dans le même sentier.

Comme il est plus facile d’exposer ce que l'on connaît bien, on ne s'étonnera pas que nous entrions dans le vif même du sujet, auquel René Alleau ouvre l'accès pour le débutant, avec un souci du détail, de la précision et de la clarté, assurément jamais atteint avant lui. Que le lecteur nous pardonne, en conséquence, de l'entraîner, dès cette préface, au sein même de la philosophie alchimique parvenue à son plus haut degré de perfection, pour l'Occident, avec la pensée flamboyante du moyen âge chrétien. Selon que René Alleau le déclare en citant François Bacon, « l'antiquité est la jeunesse du monde », et c'est pourquoi, profondément, longuement, lui-même y pénètre et séjourne, afin de dissiper les épaisses ténèbres, qui enveloppent la Connaissance dans notre temps terriblement troublé et caduc.

Avec lui, nous reprendrons tout d'abord les paroles de Nicolas Valois, de qui il nous semble inconcevable que les Cinq Livres manuscrits, depuis le milieu du XVe siècle, n'aient jamais été imprimés : « La Patience est l'eschelle des philosophes et l'humilité la porte de leur jardin. » Cette déclaration de l'adepte normand prend l'inestimable valeur d'un apophtegme de base, exprimant avec netteté les deux qualités, qui, avant toute autre, doivent être celles du chercheur et qui sous-entendent, chez lui, la force et la justice, dans tout le sens issu de ces deux vocables. Rien, selon nous, n'est plus propre à souligner les quatre vertus nécessaires, en l'art d'alchimie, que les femmes, sculptées debout, aux angles du tombeau rectangulaire, érigé sur l’ordre de la belle et très instruite Anne de Bretagne, « la bonne duchesse en sabots de bois », dans l'église des Carmes à Nantes, afin qu'il y reçût les restes de ses parents vénérés. Notre maître Fulcanelli a écrit tout ce qu’il était possible de révéler sur cette somptueuse demeure philosophale, sur ce mausolée miraculeusement soustrait à la fureur populaire de 1793, et réédifié, sous Louis XVIII, dans la cathédrale Saint-Pierre. Nous nous devons simplement de rappeler ici que le mors et sa bride, l'horloge médiévale et son aiguille unique, évoquent la Patience, avec l'idée du frein à toute précipitation, par les Anciens, considérée comme œuvre du diable : praecipitatio a diabolo. De même cette seconde créature de marbre, si pleine de virginal maintien, s'observant dans son miroir convexe et tenant un compas ouvert au-dessus du serpent qui expire à ses pieds, figure exactement l'Humilité, surtout avec le faciès de vieillard vénérable et barbu, lui tenant lieu d'occiput et la transformant elle-même en un Janus de nouveau genre.

Janua est, en latin, la Porte. Si le Dieu romain à deux visages était, sur les voies publiques, celui des arcs voûtés de grandes dimensions, l'étrange bifrons de la reine Anne surveille toujours l'étroite entrée dont parle l'Evangile :

« Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront pas. »

Voilà bien, précisément, l'accès exigu et dérobé offert au petit nombre, que René Alleau a su découvrir, sans ménager ses efforts et ses sacrifices, dans le double domaine de l'étude livresque et de l'expérimentation au laboratoire.

De cette petite porte, un marquis italien du nom de Palombara, savant compagnon, en l'art d'Hermès, de l'étrange roi de Suède Christine*, voulut laisser l'instructive figuration dans le mur extérieur de sa magnifique villa romaine. 

*(Note de L.A.T. : "roi de Suède", et non "reine de Suède", est bien le titre réel de Christine, voulu par son père pour lui permettre de monter sur le trône).


La Porte Magique du Marquis de Palombara, à Rome


Détails de la Porte Magique


Par miracle, selon qu'il convenait pour un message de cette importance, le précieux grimoire du gentilhomme-adepte, sous la forme du seul chambranle de pierre, nous reste, à Rome, dissimulé dans le square Victor-Emmanuel, après avoir échappé à la démolition du somptueux logis. Demeure, initiatique entre toutes, dont une plaque de marbre, au-dessus de la grande porte, précisait la transcendante destination par cette phrase latine, ponctuée du millésime 1680 :

Villae Ianuam Tranando Recludens Iason Obtinet Locuples Vellus Medeae 

"Jason, en poussant la porte de la villa, découvre et conquiert la précieuse toison de Médée"

Les initiales des mots latins de cette phrase suggestive, rapprochées dans l'ordre où elles se trouvent, reproduisent, comme on le voit, le vocable vitriolum, vitriol, lequel désigne l'agent chimique secret, jouant un rôle capital dans le Grand Œuvre philosophal. Il convient, à ce propos, que nous soulignions, ainsi que, de son côté, René Alleau n'y manque pas très pertinemment, la confusion que provoque trop souvent la lecture des vieux auteurs, faite de manière superficielle ou avec idée préconçue. Que le curieux instruit y relève, par exemple, les termes mercure, soufre, aigle noir et lion rouge se succédant en quelque passage ou la pratique est serrée de plus près, aussitôt il traduira : Hg + S = HgS. Ce qui revient, pour lui, à triturer au mortier, jusqu'à extinction, du vif-argent et de la fleur de soufre, obtenant ainsi du sulfure mercurique, appelé autrefois, par les spagyristes, éthiops minéral. Voilà l'aigle noir expliqué par cette masse amorphe très obscure, qui, sublimée dans une cornue avec allonge et récipient, se transformera, sur les parois froides, en une poudre rouge. Par ce cinabre artificiel, par ce vermillon qui n'est qu'une variété, allotropique et rutilante, du précédent sulfure noir, à son tour, le mystère du lion rouge est parfaitement dissipé. Ainsi, le profane savant croira-t-il avoir définitivement percé le sens d'un passage d'apparence abstruse, et qui ne constituait, à ses yeux, qu'un problème primaire d'une étonnante simplicité.

On verra, dans la troisième partie d'« Aspects de l'Alchimie traditionnelle » ce que sont, chez les alchimistes, ce mercure, ce soufre et même la matière première. Pour nous, il ne nous apparaît pas inutile d'insister sur les grossières erreurs d'interprétation commises par des hommes éminents et de savoir aussi grand qu'incontestable. Le modèle, le plus frappant parce que de certaine importance, nous est fourni par un « numéro hors-série », volume XXXVII, avril 1948, de la revue Biologie Médicale, éditée par Specia. Il comporte un seul article, de 59 pages, dû à M. Paul Chevallier et intitulé La Table d'Émeraudesecret de la préparation de l'acide sulfurique. Ce sous-titre résume tout l'opuscule, ramenant au niveau inférieur des formules entassées dans les recueils de secrets, ce texte qui demeure à la fois le plus ancien et le plus considéré parmi les classiques de l'alchimie, et dont les phrases sont si souvent citées chez les vieux auteurs, à la manière de versets évangéliques, suivant leur rapport propre avec la phase examinée dans le processus du labeur physique. L'Émeraude des philosophes, c'est-à-dire la gemme précieuse qui orne le front de Lucifer et dans laquelle sera taillé le Graal, celle-là même encore de la bague de Peau d’Âne, est biffée d'un trait de plume, n'existe plus et a cédé la place au sulfate ferreux, au vitriol vert ou couperose du commerce...

Ce n'est pas ici le lieu que nous réfutions, point par point, l'étude de M. Paul Chevallier, d'ailleurs fort bien conduite et disposée, pleine d'érudite conscience, publiée enfin dans un décor de documents et d'images reproduits de livres anciens, qui fait de cette plaquette, en tout état de cause, un document curieux qu'on recherchera. Tout le malentendu, au reste, ressort de la déclaration que le distingué professeur à la Faculté de Médecine fait au chapitre IV, avant de commencer sa traduction littérale de la Table d'Émeraude :

« L'idée directrice doit être : le texte latin n'est obscur et philosophico-mystique que pour les non-initiés ; les initiés y trouvent une formule chimique de lecture aisée. »

Que n'eût pas été la réaction indignée des Eliphas Levi, des Papus, des Guaita et de tutti quanti, s'ils s'étaient vu reléguer, de la sorte, parmi les non-initiés! René Alleau met tout le monde d'accord, mages, chimistes, voire hyper-chimistes, qui, de toute évidence, ne tireront jamais quoi que ce soit de réel des traités les plus véritables : « A cet égard, écrit-il, ni les critiques « rationalistes », ni les auteurs « de l'école occultiste » contemporaine ne semblent se soucier des équivoques et des erreurs qu'entraînent, inévitablement, des interprétations « chimiques » ou « mystico-morales ».

Nous n'y ajouterons rien, pour notre part, sinon que le vitriol des philosophes, s'il est bien un sel, doit sa couleur verte au fluide cosmique, au spiritus mundi des alchimistes, qu'il retient après l'avoir reçu du mercure des sages. Ce dernier est l'aimant de Philalèthe, la parcelle du chaos primordial que le Père a laissée sur la terre à la disposition des hommes de bonne volonté, le corps unique par lequel Il fait à l'Élu le don de son Fils.

La notion philosophique de l'esprit universel est sincèrement éveillée, en une claire similitude, par Etteilla, que rien ne rebutait, ni la sotte curiosité des fâcheux, ni même la désolante abjection d'un peuple se donnant carrière :

« Cette première matière semble assez bien être cette « légère mousse qui croît avec le temps sur les vieux toits de chaume et sur les ruines des édifices. » (Les Sept Nuances, de l'Œuvre, page 3).

Quel singulier alchimiste il fut (sous ce nom d'emprunt formé de son patronyme Alliette lu à rebours) coiffeur de son état, 48, rue de l'Oseille, dans le Marais et s'intitulant « professeur d'algèbre, astro-philastre et restaurateur de la cartomancie pratiquée chez les Egyptiens » ! Il se disait disciple du comte de Saint-Germain, qu'il affirmait être « le vrai et unique auteur du « Philalèthe » et de qui il  annonçait le voyage à Paris, en 1787 ou 88 au plus tard, encore que le mystérieux personnage fût décédé, croit-on, en 1784. Voici en quels termes il invoque son puissant maître, avec qui il est tout de même indéniable que Louis XV et Mme de Pompadour, nonobstant la rigoureuse étiquette de l'époque, soupaient intimement en de longues soirées, allant jusqu'à lui réserver un appartement tout auprès d'eux pendant leurs courts déplacements en province :

« Agréé de la Rose + Croix, savant et sage Saint-Germain, le favorisé de bientôt soixante-cinq lustres, qui m'avez confié la première éducation de l'une de vos parentes, rendez-vous à ma prière en m'aidant de vos sages conseils à éclairer, sur les hautes sciences, mes inestimables contemporains. »

Quant à la corporification du fluide universel, l'image offerte par Etteilla se montre en accord avec le choix que les vieux auteurs, avant lui, firent du Nostoc, dans le même but. On connaît cette algue terrestre, qui, au printemps, apparaît soudain dans les allées des jardins, telle une sorte de gelée gluante et vert sombre. Elle s'y évanouit, d'ailleurs, aussi rapidement, sous les rayons du soleil, sans laisser la moindre trace, quel qu'en ait été le volume parfois très important. Où ce cryptogame prend-il l'humidité qui le forme et le colore et par laquelle il se prête si parfaitement à l'analogie philosophique ? Celle-ci, en effet, lui fait partager, avec l'émeraude des Sages, les expressions nombreuses qui les signalent dans les traités : Crachat de mai, crachat de lune, archée du ciel, vitriol végétal, beurre magique, écume printanière, fleur du ciel, graisse de rosée, purgatoire des étoiles, trône de la terre, etc... L'étymologie, que nous tirons du grec, est à retenir en tout cas, pour laquelle nous séparons le vocable en ses deux syllabes nos et toc ; la seconde reproduisant le substantif TokoV, tokos : enfantement, naissance ; la première, le génitif de nooV, c'est-à-dire NooV, noos : de l'esprit. "Le Nostoc serait donc, littéralement, la génération de l'esprit. C'est bien ce que l'artiste vérifie — pour peu que les conditions extérieures de travail soient respectées — au cours des réitérations du premier œuvre, dans le bel émail vert olive qu'il recueille et qui lui révèle également que le rayonnement cosmique est pesant et odoriférant. Cette matière subtile possède, en vérité, la pondérabilité du Christ incarné, sa couleur verte et son odeur qui est celle de la fumée de l'encens.

Il est facile de s'imaginer quel agent thérapeutique constitue l'émeraude des philosophes, de la sorte chargée de l'esprit cosmique, qui, maintenant l'harmonie du monde, la conservera ou la rétablira dans le microcosme humain menacé de déséquilibre ou livré à l'anarchie. L’analogie est complète, puisque, au siècle dernier encore, les savants considéraient la nostocacée de nos prairies comme un remède contre le cancer. Au demeurant, nous ne laissons pas d'être frappé de l'irrésistible attraction, qui conduisit M. Paul Chevallier, spécialiste de la pathologie cancéreuse, à effectuer, sur la Table d'Émeraude d'Hermès, son étude assez considérable, malheureusement restée dans le domaine spagyrique.

Nous avons parlé de conditions extérieures d'exécution manuelle ; qu'on sache bien qu'elles résident dans la triple influence, astrale, atmosphérique et humaine. Dans le Grand Œuvre, la saison et l'état de la lune jouent un rôle primordial, ainsi que la pureté et le calme du ciel, selon que le soulignent ces deux passages catégoriques de deux excellents auteurs :

« Pour le Bélier et le Taureau, ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre, l'un au-dessus de l'autre, et qui règnent au mois de mars, d'avril et de mai, ils apprennent que c'est dans ce temps-là que le sage alchimique doit aller au-devant de la matière, et la prendre à l'instant qu'elle descend du ciel et du fluide aérien. » (Explication très curieuse des Enigmes et Figures de Notre-Dame de Paris, par Esprit Gobineau de Montluisant.}

« Tu prends du feu, consyderant toutes foys, l'estât de la lune, pour ce que c'est de grande conséquence. l'ay oui d'iceulx qui vieulx sont dans l'art, et ont expérience, que choisissant d'avoyr le feu sus le desclin de la lune, la claïrté du feu vient à manquer tellement quellement icelle lune manque d'esclat. En le faicsant, consydère sur toutes chouses les seignes de pluye, ce qui seroyt grand dangier, et tu les lairras passer... » (Les Troys Libvres de l'Art du Potier, du cavalier Cyprian Piccolpassi)

Notons surtout que le singulier maître potier de la terre de Durante n'envisage pas, en cet endroit, le feu vulgaire du fourneau ou de la lampe, mais celui que les adeptes s'accordent à qualifier de philosophique et de secret.

Il ne nous apparaît pas inopportun maintenant de fournir un témoignage historique de réalisation scientifique de la Pierre philosophale, si ce n'est dans sa vertu de Médecine Universelle, tout au moins lorsqu'elle est orientée vers le règne minéral, dans sa propriété de transmuer en or les métaux inférieurs. Pour cela, nous donnons, immédiatement après cette préface, la photographie de la gravure reproduisant, d'après l'original, dans un traité de Jean-Joachim Bêcher, la médaille que fit frapper, en 1648, l'empereur d'Allemagne Ferdinand III, que plusieurs personnages très savants des XVIIe et XVIIIe siècles purent examiner à loisir et dont il n'est pas impossible qu'elle soit toujours conservée en quelque musée germanique. Ce monarque, très instruit dans les sciences naturelles, voulut attester de cette manière la transmutation exécutée par lui-même, à Prague le 15 janvier 1648, avec la poudre de projection d'un alchimiste venu de Vienne, non sans qu'il eût pris auparavant toutes ses dispositions afin de n'être pas trompé. C'est ce que nous annonce l'exergue de l'avers, dont Lenglet-Dufresnoy, au tome second de L'Histoire de la Philosophie hermétique, a fourni l'image dépouillée de sa grâce originale, comme on le verra en la conférant avec notre document emprunté, nous le précisons, au Tripus hermeticus fatidicus pandens oracula chimica Johannis Joachimi Becheri ; l’Oracle hermétique qui dit l'avenir, ouvrant les sanctuaires chimiques. Les deux lignes parallèles, séparant les deux plans, y indiquent, grandeur nature, soit 8 millimètres, l'épaisseur de la pièce (nummi crassities) dont le diamètre mesure 6 centimètres et demi dans la réalité. Voici la traduction de la légende qui couvre le revers et que Lenglet-Dufresnoy de rendre :

« COMME CET ART EST CELUI D'UN TRES PETIT NOMBRE D'HOMMES, AINSI RAREMENT IL PRODUIT AU GRAND JOUR. DIEU EST LOUE ETERNELLEMENT, QUI NOUS COMMUNIQUE UNE PARTIE DE SON INFINIE PUISSANCE A NOUS SES PLUS VILES CREATURES. »



La vignette de Becher est accompagnée, en regard, d'une note latine qui achève de nous exposer les circonstances de la divine métamorphose :

« Cette pièce d'or, qui vient de vif-argent transmué en or par, le moyen d'une teinture dont une partie avait teint dix mille parties, est conservée, en souvenir, dans le Trésor impérial. L'Empereur rédigea lui-même l'inscription, comme il fit, de sa propre main, la projection avec la teinture remise par Richthausen, nommé encore baron du « chaos. »

Baron du Chaos ! ne doutons point que ce singulier titre nobiliaire ne reflète la sagesse hermétique de l'adepte, par le rappel de la matière première, laquelle demeurera la base des opérations. Etudiant cette « constellation » dans le domaine psychologique, qu'il a spécialement exploré, pendant dix années, à travers les religions, René Alleau évoque le drame, en citant Antonin Artaud. Il souligne, en un autre endroit, cette « perturbation de l'équilibre du mécanisme logique de la conscience profane », matière première et, conséquemment, chaos du Grand Œuvre sur le plan mental et spirituel, que l'alchimiste ne saurait abandonner sans qu'il revînt aussitôt aux manipulations ordinaires des manuels de chimie.

Là  réside l'explication ésotérique de certaines œuvres poétiques, la justification des poètes inspirés, qualifiés de maudits. Quelle insondable névrose s'attache aux visions des malades observés par le professeur C.G. Jung, parmi lesquels  certains,  quoique  ignorant jusqu'à  l'existence de l'alchimie, décrivent des images presque calquées sur celles des plus rares volumes ! Rappelons, à ce propos, avec Yves Duplessis, « le sens gnostique du tourbillon de vie qui dévore les ténèbres » (Le Surréalisme), et qui pourrait expliquer, par exemple, le sonnet de Rimbaud, consacré à ces Voyelles non sans rapport cabalistique avec la Poussière de Soleils de Raymond Roussel.  André Breton et Jean  Ferry ont étudié, très exactement, cette pièce de théâtre acroamatique, dans les Cahiers de la Pléiade de l'été 1948 ; le premier surtout en une exégèse magnifique, savante et décisive, sous le titre : Fronton Virage.

Dans quel subconscient insoupçonné et vertigineux, l'adolescent du collège de Charleville, que l'avenir promettait à la double réputation, de voyou pour les uns ou de voyant pour les autres, où Rimbaud puisa-t-il les indications opératoires de ces deux vers ?

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes. »

Quand le jeune poète eût pu suivre l'harmonie colorée du prisme, quand, à coup sûr, il ignorait tout de l'élaboration physique au foyer, quelle divine illumination lui fit choisir les trois couleurs principales de la Grande Coction, à savoir, le noir, le blanc et le rouge ; le vert du vitriol ; puis le bleu du mercure ? Il se trouvait pourtant bien éloigné encore de cette « paix des vides »...

« Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux. »

Le dernier vers du sonnet fameux chante le petit poisson d'Hermès, l'Ichthys des catacombes chrétiennes, la rémore des vieux alchimistes, cette pastille, minuscule eu égard à la masse minérale engagée, qui en est la partie sulfureuse, purissime et spirituelle, recueillie, laborieusement, au cours du second œuvre, et dont la cassure s'offre superbement brillante et violacée :

— O l'Oméga ! rayon violet de ses Yeux !

Eugène CANSELIET. Savignies, décembre 1952.



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