L.A.T. A propos de la légende d'Hiram

 

Le vitrail d'Hiram Abif,
en la St-John Church, Chester



A PROPOS DE LA LÉGENDE D'HIRAM

L.A.T.



Au point de vue maçonnique, la légende d’Hiram a connu cinq (?) phases majeures de développement, sans tenir compte de multiples variations mineures. 

La première phase, c’est la présentation historique :  la Bible, l’Ancien Testament, Rois et Chroniques, ces deux textes ayant été  donc rédigés aux environs du 5ème ou 6ème siècle avant notre ère… Hiram Abif, l’artisan, notre « Hiram maçonnique », qu’il ne faut pas confondre avec le roi Hiram de Tyr ou avec Adoniram qui est lui un « préposé aux hommes de corvée » aux ordres de Salomon que beaucoup de textes et rituels confondront avec Hiram Abif, Hiram l’artisan donc, Phénicien par son père et Juif par sa mère, apparaît pour la première fois. « Apparait » dans l’histoire… Car ici, nous sommes dans le récit historique. C’est en tout cas ce que l’on suppose de ces textes bibliques. Donc voilà, c’est un artisan, spécialisé en « décorations symboliques », forgeron et fondeur,  mais nullement « architecte ». Il crée des pièces et objets - les deux colonnes Jakin et Boaz notamment - sous la direction de Salomon. Et c’est tout :  aucune allusion aux « trois mauvais compagnons », aucune allusion à son assassinat, aucune allusion à tout ce qui fait l’intérêt et la surprise du rite d’élévation au 3ème degré de la Franc-Maçonnerie spéculative.

La deuxième phase est manifestée pendant le Moyen-Age.  Les premières constitutions et rituels de la Franc-Maçonnerie opérative, connus sous le nom de « Anciens Devoirs » ou « Old Charges », définissent de manière formelle les liens qui existent - ou existeraient ? – entre l’érection du premier temple de Jérusalem par le roi Salomon, et la construction des cathédrales chrétiennes, nombreuses, en Europe occidentale. Les « bâtisseurs de cathédrales » affirment le lien qui les unit au roi Salomon, supposé être l’un des premiers Franc-Maçons du monde… Hiram Abif n’est évidemment pas absent de ce contexte, mais, présenté sous des noms divers dont l’abondance et la variété posent toujours problème, et sans encore être le héros de la légende où apparaitront les trois mauvais compagnons, sans qu’il soit encore question de son assassinat, bref, restant toujours le personnage relativement discret du texte biblique, il est mis en sérieuse concurrence avec d’autres personnages, et notamment Euclide, géomètre grec qui devient,à ces époques, le représentant symbolique de cet Art proprement maçonnique qu’est la Géométrie.  Nous sommes dans le contexte opératif, et la Géométrie est, forcément, reine. Ajoutons enfin qu’Hiram, dans ces Anciens Devoirs de la Maçonnerie opérative, est souvent, mais non systématiquement, présenté comme étant le propre fils du roi Hiram de Tyr, élément qui disparaît à partir de 1730.

La troisième phase est une sorte de tour de passe-passe, ou d’avant passe-passe… Dans le Manuscrit Graham de 1726 (l’une de nos fameuses « Old Charges »), apparaît pour la toute première fois une partie importante de notre légende d’Hiram :  la recherche et la découverte par trois personnes d’un corps putréfié, et aussi la recherche d’un secret… mais il ne s’agit pas d’Hiram !  Ce sont les trois fils du patriarche Noé – celui de l’arche, bien évidemment – qui partent à la recherche du corps de leur père. Pas de confusion possible, puisque dans le même document, mention précise est faite, à un autre moment, de notre Hiram Abif :  il nous est présenté conformément au récit biblique, mais avec une variation tout à fait intéressante que l’on retrouvera, plus développée, dans la version définitive de la légende, en fait une dispute à propos de salaires, mais sans plus. Donc, la légende commence d’exister, mais pas encore avec Hiram… C’est en 1730, dans « Maçonnerie disséquée » de Prichard, qu’Hiram remplace Noé, avec d’autres développements. Pourquoi Noé ?  On le sait peu, mais il existe une Maçonnerie « noachite », prenant pour base mythique l’histoire du « patriarche diluvien ». Des rituels, encore occasionnellement pratiqués de nos jours, rappellent ce fait, et cela dans la Maçonnerie bleue même. Il existe en outre certain haut grade de la Maçonnerie dite écossaise se référant directement à Noé. Car ce patriarche est aussi, en quelque sorte, un architecte. Je n’en dirais pas plus à ce sujet ;  on pourra trouver d’intéressants points de vue sur tout cela en Prusse… Je noterai cependant que cette introduction, même partielle, de la légende qui nous intéresse, incline à penser que le grade de Maître existe déjà en 1726. Aucune certitude, mais ce qui est dit dans le Manuscrit Graham concorde trop avec le rituel d’élévation au grade de Maître tel que nous le pratiquons. Bref, on se demande toujours pourquoi Noé d’abord, très vite remplacé par Hiram… ?

La quatrième phase est sans doute la plus importante, pour nous, « Franc-Maçons spéculatifs ». C’est en 1730 – à un jet de pierre du début officiel de la Maçonnerie spéculative (1717), à un jet de pierre de la création du grade de Maître (?) -, qu’un certain Samuel Prichard, Maçon déjà déçu du propos maçonnique, fait publier dans un journal londonien un pamphlet, manifestation d’anti-maçonnerie asse évidente, qui décrit avec grande exactitude un rituel d’élévation au 3ème degré… C’est cette histoire-là qui prévaudra dans nos rituels ultérieurs. Et il faut bien le répéter :  aucune source actuellement connue ne nous permet de connaître l’origine de la légende ; Prichard, quant à lui, ne fait que rapporter des éléments qui lui sont antérieurs…

En intermède, notons que les Constitutions d’Anderson, de 1723, n’évoquent pas la légende…

La cinquième phase n’aura pas l’importance de la quatrième… Mais puisqu’elle fait florès dans quelques milieux maçonniques, puisqu’elle a l’honneur de figurer dans certaines créations artistiques (« La reine de Saba » en 1862 notamment, opéra maçonnique de Charles Gounod), puisqu’enfin, certaines « grosses pointures » de l’ésotérisme et de la Maçonnerie s’en seront préoccupé, il serait difficile de la passer sous silence (je citerai au sujet de ce dernier point, un Robert Ambelain qui en fera la promotion, et puis un René Guénon qui la qualifiera de « fantaisie de l’imagination »). Bref, en 1851, Gérard de Nerval, poète et écrivain bien connu, féru d’ésotérisme et de symbolisme maçonnique, nous livre un très beau texte… dont on ne sait trop quoi penser. Son « Histoire de la reine du matin et de Soliman, prince des génies » est assurément captivante, mais introduit des éléments pour le moins inattendus :  Balkis, la reine de Saba, dont il est bien fait mention dans l’Ancien Testament, rend visite à Salomon, ou Soliman, dans une intention sans doute politique ; Balkis donc, tombe éperdument amoureuse d’Adoniram-Hiram… A la surprise générale sans doute, puisque cette « love affair » ne figure nulle part dans les documents historiques ou maçonniques en notre actuelle possession. Adoniram-Hiram, présenté avec une carrure morale et spirituelle forte, succombe lui-même aux flèches du petit dieu ailé… On le verra aussi faire sa petite descente aux enfers, comme dans l’Enéide de Virgile ou comme dans certains mythes babyloniens, et cela sous la direction d’un Tubal-Caïn très-très… mythique. Salomon, pour sa part, est immédiatement considéré comme un niais, que Balkis « met en boîte » à loisir ;  ce qui ne correspond pas exactement au rôle vraiment royal et spirituel que lui octroient nos rituels maçonniques depuis le Moyen-Age. On soulignera  aussi une « charge », encore qu’assez discrète, contre le Judaïsme, assortie d’une sorte de « dédain gnostique ou païen» à l’encontre de Jéhovah (Je n’y vois pas d’antisémitisme, mais bien plutôt une charge générale contre toutes les religions)… Ces « suppléments », qui ne font donc pas partie des éléments sur lesquels les diverses branches de la Franc-Maçonnerie spéculative sont « tombés d’accord » pour en faire une sorte de « landmark » au-delà de quoi on s’écarte du propos maçonnique,  nous sont proposés comme étant la légende elle-même, préservée par des traditions musulmanes. Pourquoi pas ?... mais est-ce vraiment cela, ou bien est-ce un procédé « à la Dan Brown », qui,lui,tente par exemple de nous faire croire que Jésus a eu une relation sentimentale et sexuelle avec Marie-Madeleine ?  Quoi qu’il en soit, Nerval conclut son histoire par une affirmation retentissante :  la Veuve dont nous sommes les enfants, n’est autre que Balkis, reine de Saba !  A bon entendeur…

Je conclurai en signalant que la version de Gérard de Nerval a été reprise par certains anti-maçons, y croyant ou faisant semblant d’y croire, pour démontrer que les « suppléments » sont cachés aux profanes, et même aux Maçons débutants, parce que l’on voudrait à tout prix éviter, au sein d’une Maçonnerie machiste, que nos chères compagnes s’en montent le collet et veuillent, à nous mâles, nous tenir la dragée un peu trop haute… Il est vrai que le couple Hiram-Balkis semble constituer le couple maçonnique idéal.


L.A.T.




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