SUARES Satân


SÂTAN


Extrait de 

Mémoire sur le retour du Rabbi qu’on appelle Jésus (1975)


Carlo Suarès



Sîn 300 ש

Teith 9 ט

Noun (50) final 700 נ

Sîn est le même signe que Schîn, sauf que Schîn est surmonté d’un point sur la branche droite et que le point de Sîn est à gauche. Leur nombre est le même : 300.

Ils représentent tous deux l’agent actif de Aleph dans l’espace et le temps, agent nécessaire, puisque Aleph est infini. Ils ont pourtant la même différence qu’entre une lumière diffuse et un rayon passant par une lentille. L’énergie Schîn est partout, mais n’opère qu’en énergie Sîn : celle-ci pénètre dans la cellule, dans la graine, dans tout centre qui provoque une concentration d’énergie. C’est Sîn et non Schîn qui agit dans nos centres de conscience, qui pénètre notre moi, notre « je », notre ego, la conscience que nous avons de nous-mêmes (appelez-la comme vous voudrez).

Où va l’énergie Schîn ? Que veut-elle ? Se transformant en Sîn, elle cherche à atteindre le but de son jeu cosmique : le Principe d’Indétermination. La conscience cosmique a projeté des univers en tohu-bohu et ne peut se retrouver que par leur « fécondation », en passant par cette fécondation sans se laisser capter par sa nature répétitive (chaque graine selon son espèce : Gen., I, 12). Ce processus général qui, dans ce mode de pensée analogique, inclut toute chose, de la cellule aux galaxies, s’exprime par l’équation Sîn (300) – Teith 9 : toute concentration d’énergie femelle) – Noun final (700 : principe d’indétermination).

Cette équation Sîn – Teith – Noun, n’est autre que Satân.

Dans cette équation, la seule variante est Teith. Je viens de dire qu’elle est femelle. Elle l’est, dans ce mode de pensée, comme tout ce qui est corporel, matériel comme tout ce qui est constitué d’un blocage des deux énergies opposées (appelez-les positives et négatives si vous voulez), blocage si, lorsqu’il se laisse pénétrer par le Sîn, s’appelle biosphère.

Teith, variable, peut se comporter de toutes les façons possibles. Elle peut recevoir l’information et la renvoyer sans se laisser pénétrer, à la façon d’un miroir ; elle peut l’absorber au profit de sa propre prolifération et n’en rien restituer ; elle peut la modifier, la brouiller, la diffuser « pour » elle (en vérité pour soi-même). Cette « cellule » peut être un arbre, un homme, une espèce végétale ou animale, une tribu, une « cellule politique ». Que voit-on dans ce sens de cellule, élargi au maximum ? Que ce qui la fait agir de façon contradictoire et confuse est sa double fonction contradictoire et confuse ; absorber le monde extérieur et le restituer, aspirer et expirer, prendre conscience d’elle-même par tout ce qui n’est pas elle, prendre conscience que tout ce qui n’est pas elle n’est autre qu’elle-même.

Ainsi devient Satân à la fois Pierre et Judas.

Telle est la dramatisation du jeu cosmique de la conscience ; l’équation Satân par laquelle elle doit passer n’est jamais résolue, car pour que l’Indétermination se retrouve dans l’indéterminé (homme ou institution) il faut que le déterminé meure dans tout ce que lui, le déterminé, a pu produire en soi d’indéterminé, faute de quoi il meurt de cette « mort morte » que je mentionnais : l’entropie.

Le Rabbi (qu’on appelle Jésus) savait tout cela, et, s’il a choisi parmi les douze, deux « Satân », c’était à dessein. Pierre en nommant apôtre l’obscur Matthias en remplacement de Judas, et en répétant des calomnies au sujet de ce dernier, n’a rien compris. (Actes, I, 15-26). C’est bien lui qui a trahi. Judas, en livrant aux ténèbres la lumière que les ténèbres n’avaient pas reçue, a fait ce que le Rabbi ne pouvait pas faire. Il l’a accompli.

Mais si Pierre n’avait pas, tel un rayon laser lancé dans les espaces sidéraux, projeté le Rabbi dans le surnaturel, ce petit rabbin – crucifié ou non – n’aurait laissé de traces. Mais si Judas n’avait pas accepté, telle une flèche empoisonnée, de projeter dans les consciences leur culpabilité (donc leur haine pour lui, le révélateur), ce petit rabbin, crucifié ou non, n’aurait pas laissé de traces. 


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