LAUGEL Pythagore : sa doctrine et son histoire


PYTHAGORE

SA DOCTRINE ET SON HISTOIRE


Auguste Laugel


Publié dans la Revue des Deux Mondes,
Deuxième période, tome 52, 1864 (pp. 969-989).


Ceux qui, nés au milieu de la civilisation moderne, se figureraient que l’humanité a toujours été en possession de toutes les idées qui sont les instruments de cette civilisation sont dans une complète erreur : les idées, comme les peuples et les races, ont eu leur histoire, leurs éclipses, leur développement. Que d’éléments complexes entrent dans ce que l’on nomme vaguement la civilisation ! À côté de cette histoire toute d’apparat, faite de coups de théâtre, de catastrophes, remplie par les listes des dynasties, par les dates des batailles, l’érudition moderne étudie la formation lente et obscure des doctrines philosophiques, religieuses et scientifiques, qui sont en quelque sorte l’âme de l’humanité. Les investigations de la critique donnent ainsi à l’histoire son sens véritable, elles expliquent la grandeur et la décadence des nations, elles assignent aux races leur rôle particulier, elles éclairent d’une lumière toute nouvelle ce grand drame dont nous sommes les acteurs et les témoins. Où la critique n’a-t-elle pas porté son flambeau ? Dans la théologie, dans l’étude des langues et des grammaires, dans l’ethnographie, dans la géographie, dans l’art. Même quand elle s’enferme sur le terrain le plus circonscrit et en apparence le plus ingrat, elle réussit, par sa patience et son adresse, à en tirer les fruits les plus précieux. Qui pourrait croire, au premier abord, que l’histoire des mathématiques par exemple fournit des documents très précieux pour l’histoire générale des civilisations ? À ceux qui voudraient s’en assurer, je n’aurais qu’à offrir un volume récent écrit sur les origines des sciences exactes par M. Maurice Cantor, un jeune professeur de l’université de Heidelberg. Pour ma part, je ne me suis point laissé arrêter par le titre un peu effrayant de son livre : Contributions mathématiques à l’histoire de la culture des peuples. J’ai été étonné de trouver dans l’ouvrage de M. Cantor tant de considérations pleines d’intérêt mêlées à des recherches en apparence si arides ; je ne soupçonnais guère, avant de l’avoir lu, jusqu’à quel point l’histoire des mathématiques peut servir à éclairer l’histoire proprement dite. Dans ce champ si étroit, on se figure aisément qu’il n’y a rien ou presque rien à glaner : un peu de réflexion fait pourtant comprendre que rien ne touche d’aussi près que la science mathématique à la vie intime, aux mœurs, aux traditions, à tout ce qui constitue la civilisation d’un peuple. Non-seulement l’arithmétique règle les habitudes du commerce, les relations du capital et du travail, la routine des échanges, elle a encore une fonction plus haute, elle marque dans une race ce qu’on pourrait appeler le niveau du génie spéculatif ; ses signes, ses symboles, ses opérations, tantôt opposent à l’abstraction des obstacles insurmontables, tantôt lui ouvrent des espaces presque sans limites. La science des nombres fournit à toutes les autres sciences les mesures sans lesquelles leur progrès est impossible ; elle contribue ainsi à en provoquer ou à en retarder indéfiniment le développement, selon qu’elle est elle-même fondée sur des conceptions plus ou moins philosophiques.

Si l’on réfléchit au rôle de la géométrie, on comprendra aisément qu’il est tout autre que celui de l’arithmétique : le nombre est une abstraction, la forme parle aux sens et aux regards. Aussi n’est-il pas étonnant que le génie algébrique et le génie géométrique soient tout différents et même en un sens contradictoires : ces deux branches des sciences positives ont eu des développements historiques presque indépendants au début. L’arithmétique scientifique, M. Cantor le démontre, est sortie de l’Asie, elle a eu son berceau dans l’antique Babylonie et dans la Chine : la géométrie, science tout esthétique et extérieure, a d’abord fleuri dans l’Égypte et dans la Grèce. Enfin c’est du mariage du génie asiatique et du génie grec qu’est sortie toute la science des anciens, et cet heureux croisement a été l’œuvre d’un seul homme, de Pythagore.

On s’étonnera peut-être que l’on ose assigner à un individu isolé une si grande mission ; mais plus nous remontons vers les âges de la barbarie et de l’ignorance, plus les individualités qui font saillie sur ce fond ténébreux sont élevées et lumineuses. Dans une civilisation déjà raffinée, l’œuvre du progrès devient un travail commun et solidaire ; quelques noms sortent encore de la foule, mais toujours on voit les grands hommes entourés d’une pléiade pressée d’auxiliaires, de précurseurs, de continuateurs, qui les supportent en quelque façon, et qui méritent aussi leur part de gloire. D’ailleurs, quand la science a fondé ses méthodes, trouvé ses instrumens, établi ses lois principales, le génie lui-même ne trouve plus que des bribes, les découvertes nouvelles ne sont plus de véritables révolutions ; on ne crée plus, on embellit, on achève, on améliore.

Dans l’antiquité au contraire, le génie reste une puissance solitaire : il est pareil à ces cimes qui sortent de la plaine et qui ne sont soutenues par aucun contre-fort de montagnes et de collines. L’œuvre d’un Aristote, d’un Pline, d’un Pythagore, a quelque chose de colossal : ces hommes ont été plus que des hommes, ils ont été des forces vivantes et hors de mesure avec nous, ils ont jeté la civilisation dans des sillons nouveaux, ils peuvent servir de limites entre le temps qui les a précédés et le temps qui les a suivis. Pythagore, dont je veux surtout parler, aurait été mis au rang des dieux, s’il fût venu quelques siècles plus tôt. Sa vie est promptement devenue une légende, on a raconté ses miracles ; la nature n’avait, pensaient ses disciples les plus fervens, rien à lui refuser : les ruisseaux prenaient une voix pour lui parler, la fureur des bêtes sauvages se calmait à son approche. Il a été vu dans plusieurs endroits à la fois ; l’imagination souple et gracieuse des Grecs pouvait-elle ne pas semer ses fleurs légères sur les pas de ce sage, qui possédait les secrets de l’Orient et de l’Occident, qui avait vu les plus lointains pays, et qui, après les mystérieuses leçons de l’école, ne dédaignait pas de parler avec une douce éloquence aux femmes et aux adolescens ? La critique sépare l’histoire véritable de la légende, et reste encore, quand elle a soufflé presque à regret sur tant de mensonges innocens, en face d’une des individualités les plus surprenantes. L’œuvre de Pythagore est de celles dont l’humanité ne devra jamais perdre le souvenir, et il est heureux que les traditions de l’enseignement familiarisent les plus humbles écoliers avec ce nom. Celui qui sut marier le génie grec au génie asiatique a joué dans l’histoire des sciences un rôle égal à celui d’Homère dans la poésie.

La biographie de Pythagore est d’ailleurs l’une des plus attachantes qu’offre l’histoire des grands initiateurs du progrès scientifique. Sa vie a cela de particulier qu’elle donne le secret et comme la clé de sa doctrine ; aussi mérite-t-elle d’être connue dans tous ses détails. Ce ne sont pas certes les biographes qui lui ont manqué ; mais ce qu’ils ont raconté de lui, après avoir longtemps inspiré créance, a semblé plus tard si extraordinaire qu’une critique hâtive, réagissant contre une crédulité trop confiante, a tout rejeté à la fois. La légende avait chargé de tant de fables cette vie étrange que l’on ne s’est point donné la peine de séparer la trame solide des faits des ornements dont elle avait été surchargée. Aujourd’hui on croit assez généralement que la vie de Pythagore ne saurait être écrite, et qu’on a tout dit quand on a rappelé que le philosophe grec est né à Samos et est mort dans l’Italie méridionale. Sur quoi se fonde cette incrédulité ? et n’y a-t-il donc aucun document qui puisse servir à reconstruire la biographie de Pythagore ? Assurément nous ne sommes plus aujourd’hui disposés à donner aux biographes les plus célèbres de Pythagore les noms pompeux qui les ont si longtemps glorifiés : Porphyre n’est plus pour nous « le divin, » ni Jamblique « le merveilleux ; » la critique moderne considère ces représentants de l’école néo-platonicienne comme des esprits médiocres et de simples compilateurs ; mais, en acceptant cette appréciation, un Allemand, M. Röth, qui a été enlevé prématurément à la science, a fait remarquer que ces deux écrivains, fidèles à leur rôle ordinaire, ont emprunté tous les détails relatifs à Pythagore à deux disciples d’Aristote, Aristogène et Dicéarque, considérés par Cicéron et par toute l’antiquité comme des autorités de premier ordre. Les témoignages de seconde main de Porphyre et de Jamblique ont donc, d’après M. Röth, une valeur réelle, que la critique aurait grand tort de rabaisser. L’ouvrage trop peu connu de M. Röth mérite tous les éloges que lui accorde M. Cantor, qui, adoptant le même point de vue, s’est encore efforcé de corroborer les témoignages de Porphyre et de Jamblique par ceux de Nico-maque, de Théon de Smyrne et de Proclus. Il nous manque malheureusement les œuvres de Théophraste de Lesbos, un contemporain de Dicéarque, dont Diogène Laërce a seulement transmis les titres, ainsi que les ouvrages d’Eudème de Rhodes.

La réaction en faveur de Jamblique et de Porphyre a, en ce qui concerne Pythagore, des conséquences que l’antiquité n’aurait pu prévoir : l’on avait cru longtemps sur leur foi que le célèbre philosophe avait été à Babylone, puis on cessa de le croire ; mais jamais on ne connut exactement l’importance des idées et des doctrines scientifiques que Pythagore avait recueillies en Asie. La fierté grecque ne voulut jamais reconnaître une dette envers les « barbares ; » elle ne soupçonnait même pas qu’elle pût devoir quelque chose à ces nations que ses armes avaient tant de fois défiées, et qu’elles finirent par soumettre. Pythagore ne révéla peut-être à personne, même à ses disciples favoris, tout ce qu’il avait appris pendant sa longue captivité à Babylone. Le mystère était une partie de sa force et de son prestige. Il instruisit la Grèce sans l’humilier, il l’enrichit sans lui dire où il avait pris tous ses trésors ; mais, après plus de deux mille ans, la critique moderne est en mesure de percer quelques-uns des secrets dont s’entourait l’enseignement pythagoricien, et d’accomplir un acte de justice tardive en montrant ce que durent à l’Asie la civilisation grecque et plus tard la civilisation romaine.

Mnésarche, le père de Pythagore, était né à Lemnos, mais il s’était établi dans l’île de Samos, alors soumise à l’autorité de Polycrate l’ancien. Il se livrait au commerce du blé et visitait fréquemment les îles grecques et les villes du littoral de la Méditerranée. C’est dans un de ces voyages que naquit Pythagore, à Tyr, en 569 avant notre ère. Pendant son enfance, il fit plusieurs voyages avec son père et visita notamment les villes alors si florissantes de l’Italie méridionale. Le riche marchand de blé avait de hautes visées pour son fils, qui manifestait de brillantes dispositions pour les sciences et pour la philosophie. Dès l’âge de dix-huit ans, Pythagore résolut de voyager pour s’instruire ; mais les tyrans ne permettaient pas toujours aux jeunes gens de s’expatrier, ni même de faire des voyages. Pythagore fut obligé de s’enfuir la nuit, et il se rendit d’abord à Lesbos. Il y fut bien reçu chez un de ses oncles, et commença par suivre les leçons de Phérécide, penseur sans grande originalité, mais familier avec quelques-uns des enseignemens de la science égyptienne. L’Égypte était alors le sphinx qui attirait la Grèce ; comme de nos jours la Chine a été ouverte aux peuples européens, elle commençait à subir le contact des étrangers. Psamméticus n’avait réussi à établir sa puissance qu’avec l’aide de mercenaires ioniens et cariens : devenu roi par le secours des Hellènes, Psamméticus en appela beaucoup auprès de lui, leur donna des terres et leur accorda des places de sûreté. Pythagore voulut profiter de ces circonstances pour visiter la vallée du Nil ; mais auparavant, et après être resté deux années avec Phérécide, il alla suivre à Milet les leçons d’Anaximandre et de Thalès. Ces nouveaux maîtres lui confièrent leurs conceptions encore informes et grossières sur la figure de la terre, sur les principaux phénomènes astronomiques. Thalès avait apporté d’Égypte la notion de ce que l’on nomme l’année solaire ; il avait appris à mesurer la hauteur des pyramides par la longueur de leurs ombres à midi ; ses connaissances géométriques étaient assez avancées déjà ; il savait par exemple que tout angle inscrit dans un demi-cercle est un angle droit, et connaissait quelques autres propositions aussi élégantes. Pour Anaximandre, il avait construit la première sphère céleste, il y avait tracé non-rseulement la figure des constellations principales, mais il l’avait couverte du premier réseau des grands cercles qui servent à fixer la position des étoiles dans le ciel ; il connaissait le gnomon ; il savait s’en servir pour mesurer la hauteur du soleil au méridien et l’employer comme une montre horaire ; il avait élevé la géographie à la hauteur d’une science et gravé les premières cartes sur des plaques métalliques.

Auprès de ces maîtres éminens, Pythagore se familiarisa bientôt avec l’astronomie et la géométrie grecques, et c’est sans doute à leur école qu’il apprit à mêler les spéculations métaphysiques aux considérations scientifiques. On a quelque peine aujourd’hui à faire revivre devant l’esprit cette science rudimentaire qui confondait dans une synthèse grandiose les formes de la matière et les formes de l’absolu, les propriétés des corps et les abstractions de la pensée. Thalès, frappé par l’ardeur et par le génie de son élève, l’encouragea dans ses projets de voyage en Égypte, et lui conseilla de se préparer au haut enseignement sacerdotal par un court stage à l’école des prêtres de Sidon. Pythagore s’y arrêta pendant un an, et n’arriva en Égypte qu’en 547. Il y venait dans le moment le plus favorable ; la science égyptienne était à son apogée, la civilisation de la vallée du Nil dans toute sa floraison. Vingt mille cités, villages ou hameaux couvraient les bords du fleuve majestueux. Le commerce était florissant : Néchao, le fils de Psamméticus, avait essayé d’unir la Mer-Rouge à la Méditerranée ; ses flottes trafiquaient avec toutes les villes du littoral méditerranéen ; par ses ordres, des Phéniciens avaient fait le tour de l’Afrique, et, partis de la Mer-Arabique, étaient revenus par le détroit des colonnes d’Hercule. Pythagore n’arrivait point en Égypte en voyageur obscur : il était recommandé par Polycrate de Samos au roi, qui était alors Amasis. Ce grand prince, ami des Grecs, esprit humain et libéral, fit au jeune voyageur un accueil des plus favorables ; mais la caste sacerdotale voyait de mauvais œil les progrès de l’influence étrangère en Égypte, et Pythagore fut d’abord traité avec méfiance. Il fut présenté, par les ordres du roi, aux membres du collège d’Héliopolis ; ceux-ci, soulevant des questions d’hiérarchie et de compétence, le renvoyèrent au collège plus ancien de Memphis. Là mêmes difficultés : on déclare encore qu’il est impossible de recevoir l’étranger sans une autorisation émanant des plus hautes autorités sacerdotales. Enfin Pythagore arrive au plus ancien collège, à Thèbes. Là commencent les épreuves ; il subit tout avec une admirable patience, les ablutions, les jeûnes, le corps rasé, la circoncision même, opération si répugnante pour les Grecs ; il est initié alors et admis à pénétrer dans le sanctuaire de la science égyptienne, entourée de tant de mystères, de superstitions et même de terreurs.

Pythagore put donc à loisir étudier cette civilisation tout indigène, sans précédens, sans traditions étrangères connues, dont la floraison avait déjà commencé deux mille ans au moins avant notre ère, ainsi que le témoignent les monumens, les inscriptions et les papyrus. Dans la culture égyptienne, les sciences géométriques et les sciences mathématiques proprement dites avaient atteint des degrés très inégaux. Il suffit de penser à Thèbes, aux pyramides, aux obélisques, à tant de ruines colossales et majestueuses, pour se convaincre que la science des formes avait trouvé dans la vallée du Nil un terrain favorable : ces monumens, ces figures empreintes d’une étrange grandeur, étaient comme les jeux monstrueux de la géométrie dans l’enfance. Elle s’attachait à des formes pour ainsi dire cristallines, à la pyramide, à l’obélisque, au cube ; les inondations périodiques du Nil avaient sans doute provoqué les premiers progrès de la géométrie par la nécessité de mesurer soigneusement les niveaux, les hauteurs, les distances, les surfaces. Les savans égyptiens étaient d’habiles dessinateurs ; l’astronomie avait également présidé aux premiers progrès de leur géométrie. Ils avaient trouvé des méthodes de construction fort ingénieuses pour représenter le mouvement des planètes, et cette astronomie toute figurative avait été poussée assez loin, si, comme le prétend M. Biot, dès l’année 1780 avant Jésus-Christ, ils purent réformer le calendrier et ajouter cinq jours à l’année, qui n’était auparavant que de 360 jours.

Il n’est pas douteux que Pythagore fit de nombreux emprunts à la géométrie égyptienne. Il resta en Afrique assez longtemps pour être initié à tous les secrets des sciences sacerdotales. La géométrie grecque a servi de base à la géométrie des modernes : le plus ancien traité que l’on en connaisse est celui d’Euclide. Le célèbre auteur des Eléments fut appelé vers l’an 300 avant Jésus-Christ à la cour d’Alexandrie, et put y étudier à loisir la science égyptienne ; mais avant son traité, qui a eu le privilège de demeurer classique jusqu’à nos jours, la Grèce en avait déjà connu d’autres, et c’est sous une forme semblable à celle d’Euclide que plusieurs pythagoriciens avaient fixé la science de leur temps, notamment Hippocrate de Chios. Or ce qui caractérise les traités qui ont conservé ce nom en quelque sorte générique d’éléments, c’est que les propriétés géométriques y sont énoncées sous forme de propositions graduées et successives. La méthode est mnémonique en même temps que rationnelle ; mais une des particularités de l’enseignement égyptien est qu’il commençait par les exercices de mémoire et par les données mathématiques. N’est-il pas bien probable que Pythagore prit aux prêtres, dans la familiarité desquels il fut si longtemps admis à vivre, cette habitude de découper la science en propositions hiérarchiquement disposées en quelque sorte ? Euclide emprunta sans doute un grand nombre de ses propositions aux élémens de l’école pythagoricienne, qui elle-même les emprunta à l’Égypte. La science africaine était déjà très avancée en tout ce qui concerne les propriétés des parallèles, l’étude du triangle, des polygones, de la sphère et du cercle, l’étude des figures semblables, c’est-à-dire composées par des lignes proportionnelles semblablement disposées. Sans doute, ni Thalès ni Pythagore ne se contentèrent de porter en Grèce l’énoncé et la démonstration des propositions égyptiennes ; leur génie ajouta quelque chose à l’œuvre étrangère. Néanmoins, parmi tant de propositions, la plupart anonymes et d’origine inconnue, n’est-il pas permis de supposer que beaucoup aient pris naissance dans les paisibles écoles de la vallée du Nil ? On connaît les principales propositions découvertes par Thalès lui-même ; Proclus nous en a transmis l’énoncé ; de Pythagore, il ne cite que deux propositions originales, dont l’une, il est vrai, d’une importance capitale, est bien connue sous le nom du carré de l’hypothénuse. Proclus a également fait connaître les théorèmes principaux dus aux disciples immédiats de Pythagore, mais il est possible que beaucoup d’entre eux aient d’abord été démontrés par le maître. Le Timée de Platon fournit la preuve que l’école pythagoricienne connaissait les cinq corps réguliers qui jouent un rôle si grand dans la cristallographie moderne, et dont l’étude suppose une géométrie déjà très fine et très élevée, le cube, le tétraèdre, l’octaèdre, l’icosaèdre, le dodécaèdre pentagonal. Il est impossible que l’étude de la sphère, et une étude très approfondie, n’ait point précédé celle de ces corps réguliers qui tous peuvent être inscrits dans une sphère. Quand on joint deux à deux les sommets opposés d’un pentagone, c’est-à-dire d’un polygone régulier de cinq côtés, on obtient une figure en forme d’étoile à cinq branches, qui paraît avoir joué un rôle mystique dans l’école pythagoricienne, et qui servait aux disciples de signe particulier de reconnaissance.

La critique admet aujourd’hui que l’Égypte a été avant la Grèce le berceau de la géométrie. Pythagore familiarisa ses élèves avec cette science et avec le mode d’enseignement qui a rendu un grand nombre de ses découvertes familières à tous les esprits en les gravant d’abord dans toutes les mémoires. Nous comprenons à peine aujourd’hui l’importance de cette science presque enfantine, dont les vérités ont pris de bonne heure pour nous le cachet de l’évidence, et qui a modelé les moules mêmes où tous nos raisonnements prennent leur forme ; mais les peuples et les races ont aussi une période d’enfance, et c’est par les siècles que se comptent leurs lents progrès. Il est devenu presque impossible aujourd’hui de comprendre de quelle importance ont été pour la civilisation ces idées, en apparence si simples, avec lesquelles Pythagore a familiarisé le génie grec, et qu’il a fait passer en quelque sorte des ténèbres à la lumière.

Autant le génie égyptien se montra de bonne heure apte à classer, à définir les formes, à en découvrir les propriétés, autant il paraît avoir été rebelle à l’abstraction mathématique. L’arithmétique hiéroglyphique était, sous certains rapports, très philosophique et très rationnelle, mais elle ne connaissait qu’un fort petit nombre de symboles, et son cercle était extrêmement limité. Elle n’offre d’intérêt qu’au point de vue des signes qui servaient à représenter les nombres : on comprend en effet que, pour la représentation des nombres, les signes hiéroglyphiques présentaient de très grands avantages sur les signes phonétiques. Les nombres ne sont pas des objets, ce sont des idées d’une nature spéciale. Pour combiner ces idées, il était donc beaucoup plus facile de combiner des signes d’idées, c’est-à-dire des hiéroglyphes, que de combiner les signes des mots qui traduisaient ces idées. « Aussi, comme l’a fort bien dit M. Charles Dareste dans son intéressante Histoire de la Numération, tandis que la plupart des signes de l’écriture hiéroglyphique disparaissaient complètement, ou peut-être se transformaient en signes phonétiques ou alphabétiques, c’est-à-dire en lettres, les signes de nombres au contraire se sont partout conservés, et ils ont perpétué leur existence jusqu’à nos jours, sans que la nature propre, c’est-à-dire la signification, s’en soit aucunement modifiée. Les hiéroglyphes numériques ou les chiffres nous présentent donc ce curieux caractère d’être les seuls débris persistants de ces anciennes écritures hiéroglyphiques dont nous avons tant de peine à retrouver le sens, et qui présentent aujourd’hui de si curieuses énigmes aux personnes qui s’occupent des premiers temps de l’histoire. »

L’arithmétique de l’ancienne écriture hiéroglyphique reposait déjà sur le système décimal ; mais il n’y avait qu’un signe pour représenter les unités décimales de chaque ordre. Un nombre quelconque étant formé par la réunion d’un certain nombre d’unités de diverses espèces, il fallait pour l’exprimer répéter le signe de chaque espèce d’unité autant de fois que ce nombre l’exigeait. Les unités simples, de un à neuf, étaient représentées par autant de lignes verticales ; les dizaines, depuis dix jusqu’à quatre-vingt-dix, l’étaient par des cercles entr’ouverts ; le cent était figuré par un signe qui rappelle une feuille de palmier enroulé ; mille était une fleur de lotus, dix mille un doigt recourbé. Il n’y avait point de signe particulier pour exprimer les unités décimales supérieures à dix mille : on ne pouvait les représenter qu’à l’aide d’un signe secondaire, d’un coefficient exprimant une multiplication. Cent mille était regardé comme dix mille multiplié par dix, etc. C’est bien encore par un procédé mental semblable que l’imagination se représente d’ordinaire les unités décimales d’ordre un peu élevé. Ce n’est guère que dans les budgets des grands empires que les millions apparaissent aujourd’hui comme des unités : pour le vulgaire, le million reste toujours mille fois mille ; Le nombre rencontre en quelque sorte des limites naturelles dans les esprits peu familiers avec les abstractions mathématiques ; il a rencontré les mêmes limites dans toutes les numérations primitives : au-delà de certaines grandeurs, les nombres se confondent, s’évanouissent dans une obscurité où les différences et les degrés deviennent insensibles.

L’arithmétique des prêtres égyptiens était beaucoup moins avancée que leur géométrie. Ils savaient, il est vrai, faire quelques calculs : le dieu Teuth avait inventé le nombre en même temps que l’astronomie, que le jeu de dés ; mais la science du nombre était restée dans l’enfance, et ce n’est point dans les temples égyptiens que Pythagore put apprendre cette arithmétique presque transcendante qui devint comme l’âme de toute sa philosophie. Pendant le long règne d’Amasis, Pythagore resta en Égypte, et il y fut élevé aux plus grands honneurs sacerdotaux. Amasis mourut en 527, et à peine son fils Psamménit fut-il monté sur le trône que Cambyse se jeta sur l’Égypte ; ses armées la dévastèrent, et la colère des vainqueurs s’épuisa principalement sur la caste des prêtres, qui représentait ce qu’il y avait de plus élevé et de plus national en Égypte. Avec un très grand nombre de prêtres, Pythagore fut emmené prisonnier à Babylone ; mais tout peut tourner au profit du génie, même le malheur : la captivité fournit à Pythagore l’occasion d’étudier une civilisation à peu près inconnue de la Grèce et de se familiariser avec des idées que le génie égyptien et le génie grec n’avaient jamais connues. Il put achever sur les bords de l’Euphrate l’œuvre commencée dans la vallée du Nil, et préparer le mariage fécond de la science des formes et de la science des nombres. La fortune, d’un coup de baguette, transportait le curieux voyageur sur un théâtre tout nouveau. Babylone était alors dans toute sa splendeur ; c’était le centre d’un immense commerce où se rencontraient les marchands nomades de la Bactriane, de l’Inde et de la Chine elle-même. Les caravanes y apportaient les productions de l’Asie entière. Le Thibet y envoyait ses pierres précieuses, les onyx, les sardoines et le lapis-lazuli, employé pour les cachets, les bagues et les ornemens. L’Inde expédiait la cochenille pour teindre les étoffes et les tapis, les perles pêchées dans l’Océan-Indien et surtout dans les parages de Ceylan, l’ivoire, les bois précieux qui servaient à découper ces bâtons surmontés d’un ornement caractéristique, pomme, rose, lis ou, aigle, dont parle Hérodote dans ses voyages. La laine aussi venait de l’Inde en immenses quantités. La contrée transhymalayenne importait dans la vallée de l’Euphrate jusqu’à des chiens de chasse qui servaient aux riches cavaliers de Babylone. La Chine y envoyait aussi ses produits par les caravanes. Les routes de l’est servaient à l’importation, celles de l’ouest à l’exportation. Babylone vendait ses produits manufacturés, ornemens, eaux de senteur, étoffes, pierres taillées, aux marchands, de Phénicie, dont les vaisseaux trafiquaient sur le littoral de la Méditerranée. Du nord arrivaient à Babylone les blés, et les vins des fertiles régions de l’Arménie et de la Mésopotamie, qui descendaient l’Euphrate sur de légers bateaux de bois revêtus de peaux. Dans une aussi active capitale, Pythagore put aisément, car sa captivité n’était pas étroite, fréquenter des prêtres babyloniens, des marchands de tout pays, des Juifs, des brahmanes, et peut-être des Chinois.

La science assyrienne, sept siècles lavant, Jésus-Christ, bien longtemps par conséquent avant le voyage forcé de Pythagore en Asie, comprenait déjà « la mythologie » l’histoire, la géographie et la statistique, la botanique, la zoologie, l’astronomie et l’astrologie, la science du calendrier, l’arithmétique, l’architecture, la grammaire, » Cette liste si complète a été retrouvée sur les briques de la bibliothèque du dernier roi de Ninive, de l’infortuné Sardanapale. Pour ne parler ici que de l’arithmétique, sur les marches de l’Assyrie, les plus important de toute l’Asie, les calculs pratiques étaient exécutés, à l’aide de planchettes munies de cordes sur lesquelles on pouvait faire avancer ou reculer des boules qui marquaient des unités numériques d’ordre divers. Cet appareil primitif, qui rappelle un peu les compteurs de nos billards, remonte à une très haute antiquité, et était déjà en usage à Ninive avant de l’être à Babylone. Aujourd’hui encore les populations de l’extrême Orient, les Chinois et les Tartares, possèdent une machine à calcul nommée le souanpan, sans cesse employée pour tous les besoins du commerce. Qu’on se figure un carré oblong, renfermant trois rangées de boules mobiles sur des fils tendus à l’intérieur du cadre : cette machine, que les marchands chinois manœuvrent avec une merveilleuse rapidité, a été importée en Russie par les conquérans mongols vers la fin du moyen âge. Les Russes colorent diversement les boules qui représentent les unités, les dizaines et les centaines. Le général Poncelet, pendant sa captivité en Russie, apprit à connaître cette machine nommée tchotu, et la rapporta en France. D’après les indications de M. Poncelet, on a depuis employé le boulier (c’est le nom français du souanpan chinois) dans les salles d’asile pour familiariser les enfants avec les premiers éléments de l’arithmétique. La machine à calcul de l’Asie a de tout temps été fondée sur le système décimal : une boule de la deuxième ligne vaut dix boules de la première, une boule de la troisième ligne dix boules de la seconde. On imagine sans peine comment, grâce à ce petit appareil, on peut faire avec rapidité des additions, des soustractions, des multiplications peu compliquées, enfin représenter un nombre quelconque. Dans ce système, le zéro fait défaut par la simple raison qu’on n’en a aucun besoin. Quand une unité d’un certain ordre manque, il suffît de laisser une place vide du côté où se rangent d’ordinaire les unités de cet ordre.

La machine à calcul n’a pas été inventée seulement en Asie : des besoins semblables en ont provoqué la découverte chez les anciens Étrusques et dans l’Inde ; elle a servi de modèle pour les tables de métal ou de pierre employées chez les Grecs. Ces tables contenaient d’abord des entailles ou des rainures où l’on plaçait soit des pierres, soit des jetons représentant les unités de divers ordres et correspondant aux boules du souanpan. M. Cantor pense que c’est Pythagore qui perfectionna le premier l’ancienne table à calcul grecque et qui en fit le véritable abaque. Le mot grec abax ressemble au mot sémitique abak, qui veut dire poussière. Les tables à rainures devinrent des tables à poussière ou à sable, sur lesquelles on put tracer et effacer à volonté les signes représentant les nombres. C’est à Babylone que Pythagore aurait acquis les connaissances arithmétiques qui l’obligèrent à employer la table à poussière au lieu de l’ancienne table, qui ne se prêtait qu’à un nombre trop restreint d’opérations. Il apprit aussi à représenter les nombres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 par des signes différens ; or toute l’arithmétique repose sur la double convention qui permet de représenter les unités des divers ordres par les mêmes signes et de les distinguer cependant les unes des autres par la place qu’elles occupent. L’arithmétique se condamnait à l’impuissance tant qu’elle ne savait point donner à des symboles uniformes une valeur de position variable avec le rang où ils se trouvent placés. L’instrument de cette grande révolution fut la table de sable ou de poussière, où le maître pouvait également enseigner la géométrie et l’arithmétique, et où, par cette communauté même d’emploi, il était conduit à assigner aux nombres une valeur en quelque sorte géométrique. Polybe, qui vécut entre les années 203 et 121 avant Jésus-Christ, compare les courtisans aux marques de l’abax, qui, suivant leur place, valent tantôt un marc et tantôt un talent, ce qui prouve que la table pythagoricienne ou l’abaque proprement dit ne se substitua pas entièrement à l’ancienne table à calcul. Cela tient peut-être à ce que cette dernière servait aussi pour les jeux. Elle a certainement donné l’idée des premiers échiquiers, et en Angleterre aujourd’hui encore le ministre des finances du royaume n’a-t-il pas conservé le titre de chancelier de l’échiquier ? Le souanpan servit aussi à d’autres usages que le calcul : on a cru trouver par exemple un lien naturel entre les fils de cet instrument chargé de ses boules mobiles et le rosaire, que les croisés apportèrent d’Asie pendant le moyen âge.

Les peuples asiatiques n’étaient pas seulement très habiles à exécuter les calculs sur ces instrumens où les divers éléments des opérations arithmétiques sont en quelque sorte représentés d’une manière sensible : leurs savants avaient érigé l’arithmétique à l’état de science véritable. Chez les Grecs, on l’a vu, cette science était restée toute figurative ; les quantités étaient dessinées ou représentées matériellement, au lieu d’être symbolisées ; le génie plastique de la race hellénique répugnait aux abstractions trop sévères. Les Égyptiens représentaient des tendances semblables ; mais l’Asie dégagea de bonne heure le nombre de son enveloppe grossière et l’aperçut dans sa pureté. Elle devina cette science étrange qu’on appelle la théorie des nombres, science sans méthode fixe, qui exige de l’esprit une sorte de divination intuitive et une puissance d’abstraction extraordinaire. C’est dans la vallée de l’Euphrate que Pythagore apprit à jouer avec les séries et les combinaisons des nombres, et prit l’habitude d’en chercher les lois mystiques et imprévues. Avant lui, il n’est nulle part question de l’arithmétique comme science : le calcul demeure chose banale, bonne seulement pour les marchands ; après lui, la science des nombres envahit la musique et jusqu’à la métaphysique. L’Inde, la Chine, ont-elles été pour quelque chose clans le développement de l’arithmétique primitive ? M. Cantor incline plutôt à croire que son berceau a été dans la Babylonie, et que ses découvertes ont été apportées au-delà de l’Hymalaya et dans l’empire du milieu, comme elles l’ont été par Pythagore dans le monde hellénique.

Dans l’arithmétique si avancée de l’école pythagoricienne, il sera sans doute toujours impossible de préciser avec netteté quelle est la part personnelle du maître, et quelle est celle des écoles assyriennes. On n’exagère rien en déclarant que celte dernière arithmétique était déjà très raffinée, et, si l’on me permet le mot, très idéale. Des proportions ordinaires, arithmétiques ou géométriques, elle s’était par exemple élevée à ce que l’on nomme la proportion harmonique, combinaison de grandeurs qui n’a aucun emploi quotidien, et qui n’a que des propriétés transcendantes propres à satisfaire l’esthétique innée de l’esprit humain. Pythagore et son école prenaient un plaisir singulier à rechercher les propriétés des nombres tout, à fait indépendantes du système de numération, ils aimaient à établir des séries, ou suites de nombres et à en rattacher les termes par quelque loi particulière. Ils distinguaient les nombres premiers, qu’ils nommaient linéaires, parce que, n’ayant qu’un seul facteur, ils représentent géométriquement des longueurs, les nombres-surfaces, c’est-à-dire formés par le produit de deux facteurs, les nombres corporels ou à trois dimensions (ou trois facteurs). Ils avaient dans les séries des nombres découvert des rapports extrêmement curieux, tels par exemple que celui qu’exprime l’Epanthème de Thymaridas, l’un des disciples immédiats du maître. Ils connaissaient les nombres dits quadratiques, les nombres triangulaires, les nombres pyramidaux, etc. C’est par l’analyse des propriétés des nombres que Pythagore fut conduit à son fameux théorème géométrique du carré de l’hypothénuse. Remarquant que la somme de 9, carré de 3 et de 16, carré de 4, est égale à 25, carré de 5, il chercha l’interprétation géométrique de cette propriété sur le triangle rectangle dont les trois côtés sont égaux à 3, à 4 et à 5. Il vérifia ensuite que dans tous les triangles rectangles, quelle que soit la longueur des côtés, le carré fait sur l’hypothénuse est égal à la somme des carrés faits sur les deux autres côtés. Il semble du moins extrêmement probable que l’arithmétique conduisit Pythagore à ce beau théorème, car on n’en connaît plus la démonstration géométrique originale, et les géomètres modernes le démontrent de façons très diverses. En envisageant par un procédé inverse le théorème géométrique au point de vue arithmétique, Pythagore se trouva conduit aux racines des nombres qui ne sont point carrés parfaits, c’est-à-dire aux quantités dites irrationnelles, que l’on ne peut exprimer exactement avec des nombres, et que la science est obligée de symboliser d’une manière particulière. En traitant enfin son théorème au point de vue algébrique, Pythagore se vit amené à poser, la première équation des indéterminées du second degré ; il en fournit une solution, et plus tard Archytas, un de ses disciples, devait en trouver une autre.

La simple indication de ces problèmes montre assez que, du premier coup en quelque sorte, Pythagore avait porté l’arithmétique à des hauteurs où aujourd’hui même n’atteignent que les esprits d’élite. L’échafaudage presque entier de la science des nombres fut élevé par les mains d’un seul homme, et l’on ne peut s’étonner que celui qui avait su pénétrer si profondément les mystères de la grandeur absolue ait regardé le nombre comme quelque chose de supérieur, de mystique et presque de divin. Il ne convient pas d’entrer ici dans le détail de l’arithmétique pythagoricienne : on voudrait seulement faire bien comprendre comment, dans l’œuvre du grand philosophe, la géométrie et l’arithmétique se montrent toujours réunies, comment elles s’éclairent mutuellement et se fécondent. Pythagore vit le nombre dans sa pureté abstraite, mais son génie grec lui permit de découvrir l’expression géométrique et pour ainsi dire corporelle des propriétés numériques. C’est là le côté admirable et vraiment original de son œuvre ; sans lui, la théorie des nombres fût demeurée stérile et perdue dans les rêveries cosmogoniques des disciples de Zoroastre.

Sans chercher à diminuer la part de reconnaissance due au philosophe grec, il faut néanmoins rendre justice à cette science asiatique, où il put puiser à pleines mains pendant son séjour dans la vallée de l’Euphrate. Que Pythagore ait tiré de son propre fonds tout ce qui constitua plus tard son enseignement, on ne peut raisonnablement l’admettre, et d’ailleurs la critique fournit la preuve convaincante que certaines idées importées par Pythagore en Grèce ont été répandues aussi dans la Chine. S’il s’agissait uniquement de théorèmes mathématiques, on pourrait concevoir que le raisonnement ait pu y conduire en même temps dans des lieux différents, mais la preuve est rendue plus parfaite, plus complète par cette circonstance, qu’il s’agit de considérations bizarres qui sont comme l’alliage impur de la doctrine pythagoricienne, et qu’on retrouve pourtant aussi dans certains ouvrages chinois.

Parmi leurs spécifications sur les vertus des nombres, les pythagoriciens furent conduits à considérer le nombre 36 comme le symbole du monde. Si l’on prend la somme des quatre premiers nombres pairs et des quatre premiers nombres impairs, on obtient la somme 36 ; mais les quatre premiers nombres pairs représentent les quatre élémens terrestres ou impurs, les quatre premiers nombres impairs figurent les quatre élémens purs ou célestes. On attribua donc de grandes vertus au nombre 36. Plus tard, Platon détrôna ce nombre au profit du nombre 40, en supprimant 5 dans la série des nombres impairs et en remplaçant la série 1, 3, 5, 7 par 1, 3, 7, 9. Le nombre 5 était mis à part comme le premier principe, le nous, l’intelligence suprême et divine. N’est-il pas surprenant que les Chinois considèrent Fo-hi comme l’inventeur du premier système, et que Vou-vang, père de l’empereur Vou-yang, qui régna vers 1120 avant Jésus-Christ, se soit donné comme l’inventeur du second ? Ne faut-il pas que ces imaginations étranges, qui ne s’appuient sur aucune réalité, sur aucune cosmogonie scientifique, aient une source commune ? Et où peut-on la chercher, si ce n’est dans les régions où le hasard amena Pythagore après son séjour en Égypte ?

Voici une autre preuve bien remarquable encore citée par M. Cantor pour montrer la communauté d’origine de la science grecque et de la science chinoise. Les nombres 3, 4, 5 jouaient dans la doctrine pythagoricienne un rôle très important : ils avaient servi au maître à découvrir la propriété des triangles rectangles. Si dans un triangle de cette sorte les deux côtés de l’angle droit sont égaux à 3 et à 4, la longueur de l’hypothénuse est exactement 5. Le triangle de Pythagore demeura toujours en honneur parmi les architectes de l’antiquité, et Vitruve en parle comme fournissant une méthode très simple et très expéditive pour construire un angle droit. La critique moderne a retrouvé en Chine ce triangle fameux. L’empereur Tchaou-kong, qui vivait vers 1100 avant Jésus-Christ, aimait particulièrement les mathématiques. Il y excellait lui-même, car on possède encore de lui un ouvrage sur ces matières, écrit sous la forme d’un dialogue entre Tchaou-kong et un savant nommé Schang-kaou. L’ouvrage comprend plusieurs chapitres, et le premier est une introduction qui résume à peu près tout le reste. Le sinologue Biernatzki a traduit ce premier chapitre en entier ; en voici quelques paragraphes :

« Tchaou-kong dit un jour à Schang-kaou : — J’ai appris, seigneur, que tu es très expert dans les nombres. Je voudrais donc te demander comment l’ancien Fo-hi a fixé les degrés sur la sphère céleste. Il n’y a point d’échelons avec lesquels on puisse gravir le ciel : le fil à plomb et la mesure de la grandeur de la terre sont des moyens qui ne peuvent s’appliquer au ciel. Je voudrais donc savoir comment on a fixé ces nombres.

« Schang-kaou répondit : — L’art de compter se ramène au cercle et au carré.

« Si l’on analyse un angle droit, la ligne qui joint les deux extrémités de la base et de la hauteur est égale à cinq, quand l’une est égale à trois et l’autre à quatre.

« Tchaou-kong s’écria : — A la vérité, voilà qui est merveilleux ! »

Rêveries fantastiques sur les rapports des nombres et de l’univers, théorèmes rigoureux de la géométrie, voilà donc ce que la critique retrouve, avec des caractères identiques, dans la doctrine pythagoricienne de la Grèce et dans les livres de la Chine ? Ne faut-il pas que ces idées communes soient issues de quelque point intermédiaire entre des régions si éloignées ? Et n’est-on pas autorisé à chercher dans l’antique Babylonie le berceau commun de la science hellénique et de celle du grand empire de l’Asie ? 

D’autres questions se rattachent à ces rapports scientifiques de la Grèce et de l’Asie, la question par exemple de l’origine des chiffres modernes. L’école pythagoricienne employait, pour exprimer les nombres, d’autres signes que les lettres, comme faisaient les Grecs : hors de l’école, on ne comprenait pas le sens figuratif de ces symboles, et dans l’école même on finit par le perdre. Quelle était l’origine de ces signes étranges, d’où sont issus nos chiffres modernes, bien improprement nommés chiffres arabes ? C’est là un des problèmes les plus difficiles de l’histoire des mathématiques. L’analyse de tous les travaux publiés depuis la renaissance jusqu’à nos jours sur cette question presque insoluble serait à elle seule un livre considérable. La numération monumentale de l’Assyrie ressemblait beaucoup en principe à celle des Égyptiens, en ce sens que les unités de divers ordres y étaient répétées, sans qu’il y eût de signes spéciaux pour exprimer 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9. Les unités décimales des divers ordres étaient pourtant mieux séparées à Ninive et à Babylone que sur les monuments égyptiens ; on distinguait très nettement les mille, les dizaines de mille et les centaines de mille, bien qu’on eût besoin d’un signe multiplicateur pour représenter ces dernières. Toutefois, à côté de la numération monumentale, la plus ancienne et la plus vénérée (aujourd’hui encore ne grave-t-on point les dates sur beaucoup de monuments en caractères romains ?), l’Égypte avait un autre système de numération qui présentait des signes spéciaux pour les neuf premiers nombres. On ne trouve pas seulement ce système dans l’écriture hiératique et démotique de la vallée du Nil ; il existe aussi en Chine, chez les Indiens de race aryenne, et des besoins semblables l’ont fait naître chez les Azteks en Amérique. Où Pythagore prit-il les signes qui sont devenus nos chiffres modernes ? Ces signes dérivent très probablement des chiffres dévanagaris ou de l’écriture des dieux, comme on appelait l’écriture sanscrite : on a essayé de rattacher ces chiffres dévanagaris eux-mêmes aux chiffres singhalais, mais l’origine véritable en reste un mystère. L’arithmétique des savans babyloniens était trop avancée pour qu’ils n’aient pas eu une numération cursive différente de la numération cunéiforme, visiblement incommode et compliquée. Est-ce à Babylone ou en Égypte que Pythagore apprit à connaître les signes dont il se servit pour représenter les nombres depuis 1 jusqu’à 10 ? Nous ne saurions vraiment répondre à cette question ; mais la critique a beaucoup plus d’élémens pour résoudre le problème des origines de nos signes numériques actuels. Ceux-ci sont-ils d’origine arabe, comme on l’a cru longtemps, ou grecque et pythagoricienne, comme le prétendait déjà Vossius au XVIIe siècle, et comme le pensent au jourd’hui plusieurs érudits, notamment M. Chasles, le savant géomètre, M. Vincent et M. Cantor ? La discussion sur ce point dure depuis deux siècles, et le nœud du problème est l’existence de certains signes numériques nommés apices, que l’on trouve dans les manuscrits du célèbre ouvrage de Boëce sur la géométrie, signes qui, au dire de l’écrivain, auraient été usités dans l’école de Pythagore. Les apices ressemblent beaucoup à nos chiffres : sont-ils les véritables signes pythagoriciens ou des signes arabes que les copistes des manuscrits y auraient substitués ? Malgré l’intervention de bien des autorités scientifiques, le débat reste ouvert.

Quoi qu’il en soit, on ne peut douter que Pythagore n’employât dans ses calculs arithmétiques des signes spéciaux pour les nombres, depuis un jusqu’à neuf, et n’eût ainsi été conduit, en représentant les unités des divers ordres parles mêmes symboles, à leur donner une valeur de position et à créer une arithmétique toute semblable à la nôtre. Cette grande révolution ne porta malheureusement que des fruits tardifs : les signes pythagoriciens restèrent enfouis dans les secrets de l’école, la Grèce continua d’employer des lettres pour représenter les chiffres, et resta asservie à sa numération stérile. Les Romains employèrent toujours le même système, et sous leur long empire l’histoire des sciences nous fait assister à un véritable recul de l’esprit humain. Le génie romain répugnait aux mathématiques aussi bien qu’à la philosophie : les arts du gouvernement et de la guerre étaient la seule préoccupation des fiers conquérans de la terre. La philosophie de Rome n’était qu’un éclectisme sans grandeur ni originalité ; son astronomie était purement physique, sa géométrie resta un simple arpentage : la théorie des nombres, poussée si loin par les écoles pythagoricienne et platonicienne, y était tout à fait négligée. Boëce chercha en Grèce toutes ses inspirations ; il fréquenta les écoles d’Athènes ; il étudia les œuvres d’Euclide, de Platon, d’Archytas de Tarente, qui était un pythagoricien, et qui avait lui-même initié Platon à la doctrine de son maître. Boëce fut avant tout un compilateur et un commentateur ; il employa le mot de quadrivium en souvenir de l’école pythagoricienne, qui classait les sciences en quatre branches : l’arithmétique, la musique, la géométrie, l’astronomie. Il ne prit rien à des sources arabes, et dans son œuvre originale les apices furent bien certainement les signes pythagoriciens.

Nous avons laissé Pythagore à Babylone. Il y resta pendant douze ans prisonnier, mais sans doute jouissant d’une demi-liberté qui lui permit de se livrer à ses recherches et à ses études favorites. Il recouvra la liberté en 513, dans des circonstances assez extraordinaires. À Cambyse avait succédé Darius après le court interrègne du faux Smerdis. À la cour de Darius vivait un médecin de Crotone, nommé Démocède, qui avait obtenu toute la confiance du puissant monarque. Celui-ci le chargea du commandement d’une expédition qui devait reconnaître les côtes de la Grèce ; mais Démocède viola ses instructions, débarqua à Tarente, et abandonna les Perses placés sous son commandement. Ceux-ci quittèrent les rivages de l’Italie méridionale, firent naufrage, furent recueillis et vendus à un certain Gillos de Tarente. La réputation de Pythagorë était déjà bien grande, puisque Gillos renvoya ses esclaves persans à Darius, à là condition que le roi fendrait son prisonnier grec à la liberté. Le grand philosophe revint dans son pays, après une si longue absence, à l’âge de cinquante-six ans, et il eut encore le temps de fermer les yeux à son premier maître Phérécide. Il voyagea pendant un an dans toutes les parties de la Grèce pour revoir les lieux d’où il avait été si longtemps éloigné. C’est seulement après ce voyage qu’il ouvrit sa célèbre école.

Ici finit la partie romanesque de la vie de Pythagore, la partie que la critique allemande a essayé de restituer. Revenu en Grèce, le célèbre philosophe s’établit d’abord à Crotone ; il y trouvait une école de médecine en renom, des savans distingués, un public intelligent et cultivé, un état politique qui n’était ni le despotisme des tyrans, ni la domination brutale du parti démagogique, ni la corruption de Sybaris. Il s’appliqua d’abord à réformer les mœurs, et parla aux cœurs avant de parler aux esprits ; son éloquence persuasive gagna du premier coup les jeunes gens et les femmes ; il traça ensuite les cadres de l’école et sépara son enseignement public de l’enseignement privé. Il n’admit au dernier que des disciples favoris, et les initia dans le secret à l’ensemble de sa doctrine, qui embrassait depuis les mathématiques pures jusqu’à la philosophie. Encore imbu des préjugés de l’Égypte et de l’Asie, il ne croyait pas la science faite pour le vulgaire, il ne parlait à celui-ci que de morale, il ne lui offrait que les maximes d’une philosophie générale et pratique. À ceux qui jouissaient de toute sa confiance et qu’il avait éprouvés, il révélait les secrets de cette métaphysique qui embrassait dans une ambitieuse synthèse toutes les choses de l’esprit et celles de la matière. Le caractère exclusif de son enseignement et la hauteur même de sa doctrine durent nécessairement lui faire des ennemis : pendant les tristes agitations qui furent le contre-coup des guerres de la Perse et de la Grèce, la paix de l’école fut troublée. Pythagore était regardé comme un aristocrate par les chefs du parti démocratique, et subit leurs persécutions envieuses et brutales. Il fut exilé de Crotone et se réfugia d’abord à Tarente, puis à Métaponte ; mais il ne trouva nulle part le repos. Ses dernières années furent sans cesse troublées, et le noble vieillard mourut à quatre-vingt-dix-neuf ans au milieu des discordes civiles.

Dans le cours de cette étude, j’ai dégagé entièrement l’œuvre scientifique de Pythagore de son œuvre philosophique, bien qu’elles fussent combinées et unies par toute sorte de liens. J’ai voulu montrer Pythagore, non tel qu’il apparaissait aux yeux de ses élèves favoris, avec les prestiges réunis et accrus les uns par les autres du savant, du voyageur, du métaphysicien, de l’initiateur : je l’ai fait voir tel qu’il se montre à la science moderne, avec des titres indiscutables et sans aucun appareil trompeur ou inutile. Même ainsi, on le trouvera sans doute assez grand : la critique doit s’incliner devant ce penseur profond et ardent qui, mettant son âme au-dessus des préjugés de son temps, alla chercher la vérité loin de sa patrie, qui sut profiter à la fois de toutes les conquêtes du génie grec et de toutes celles du génie asiatique. Ceux qui sont un peu familiers avec les sciences sont seuls capables de comprendre toute l’étendue des services que Pythagore a rendus à l’esprit humain en mettant en contact la géométrie et l’arithmétique, en élevant la dernière à une hauteur qu’elle a dépassée à peine dans les temps modernes. De tels services sont de ceux dont l’humanité ne comprend pas facilement la portée et qui ne forcent point sa reconnaissance, comme les travaux des ingénieurs, des physiciens, des architectes, de tous ceux qui sont en quelque sorte ses serviteurs de chaque jour. Et pourtant, depuis l’enfant qui balbutie ses leçons jusqu’à l’astronome qui mesure le mouvement des astres, depuis le marchand qui compte ses écus jusqu’au mathématicien qui joue avec de purs symboles, y a-t-il un de nous qui ne doive quelque chose au maître dont les enseignements ont dépassé l’étroite enceinte de l’école et ont pris place parmi ces notions fondamentales qui servent de base et de soutien à la civilisation moderne ? L’histoire a été en définitive assez juste pour Pythagore. Bien peu sans doute sont capables d’apprécier son ouvrage ; depuis longtemps, sa vie et sa doctrine sont enveloppées de ténèbres, où la critique moderne commence seulement à s’orienter ; mais sur les ruines de l’école et dans la poussière des commentateurs, malgré la confusion qui a fait méconnaître l’origine de tant de découvertes, son nom a continué à planer, porté par l’instinctive vénération des siècles et par la conscience cachée de l’humanité.

L’histoire de Pythagore offre un double enseignement : elle nous montre jusqu’où peut atteindre la grandeur d’un seul homme ; elle fait également comprendre combien est lente l’œuvre des sciences et des civilisations primitives. On a longtemps pu prendre la petite terre hellénique comme le centre, le premier foyer du progrès dans le monde ; mais aujourd’hui l’on ne saurait plus considérer la culture culture grecque comme une œuvre tout à fait spontanée, sans liens avec le dehors et avec le passé. La critique a établi une connexité visible entre cette civilisation qui a brillé d’un si vif éclat et les civilisations antérieures mal connues, mais qui appartiennent encore pourtant à l’histoire. Enfin, par-delà celles-ci elles-mêmes, on entrevoit un passé plus lointain encore, qui ne se manifeste que par des systèmes grammaticaux, des symboles, des signes numériques particuliers. Plus grand chaque jour se montre le rôle de l’Asie dans cette ténébreuse antiquité. Du vaste continent dont l’Europe ne semble qu’une excroissance ne sont pas seulement sorties nos races, mais encore nos idées philosophiques, religieuses, scientifiques. L’histoire de notre civilisation, qui a pu sembler si courte tant qu’on n’a pas regardé hors des frontières de l’Europe, s’étend à d’incalculables distances quand on la rattache à ce passé que l’érudition patiente cherche à reconstituer aujourd’hui avec quelques débris, comme le naturaliste restaure des espèces perdues à l’aide de quelques ossements. N’est-il pas bien remarquable, par exemple, de constater l’extrême antiquité du système décimal ? Si loin que remontent les traditions, on le retrouve, et pourtant l’arithmétique décimale a dû être précédée d’une arithmétique plus grossière qui ne connaissait que des unités successives, sans les subdiviser en groupes réguliers.

Cette lente évolution des idées fondamentales qui servent de base aux sciences offre les phénomènes les plus saisissants. Le dernier chiffre que l’arithmétique ait découvert a été le zéro. Il est né en quelque sorte spontanément dans plusieurs endroits à la fois et vers la même époque, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Il est tombé, comme un fruit mûr, de l’arbre de l’arithmétique, et, avec le secours de ce précieux, de cet indispensable symbole, l’arithmétique de position a pu se constituer sur des bases définitives. L’histoire du zéro forme une des parties les plus intéressantes du livre de M. Cantor ; elle montre par un exemple de plus que les idées se développent dans l’esprit humain suivant un ordre logique. Tout se tient dans l’ordre mental comme dans l’ordre des faits. L’humanité enfin a une histoire intellectuelle comme elle a une histoire extérieure et matérielle. Il ne faut donc pas que les nations et les races aient souci seulement de cette gloire bruyante que célèbre l’histoire ordinaire ; il importe qu’elles restent fidèles aux choses de l’esprit, et ne laissent jamais pâlir cette flamme que nul doigt ne peut toucher, mais qui colore toutes choses de ses rayons.


Auguste Laugel.

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