JOLIBOIS Dissertation sur l'Atlantide




DISSERTATION SUR L'ATLANTIDE


Jean-François Jolibois


1846


Table des matières

MEMOIRE SUR L'ATLANTIDE

CHAPITRE I - L’Atlantide a-t-elle existé réellement ?

CHAPITRE II - Situation de l’Atlantide

CHAPITRE III - Histoire des Atlantes

CHAPITRE IV - Destruction de l’Atlantide et époque de cette destruction.

CHAPITRE V - Changements que la disparition de l’Atlantide a dû opérer dans le monde.


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MEMOIRE SUR L’ATLANTIDE.

L’existence de l’antique Atlantide et sa disparition subite et violente sont une des plus grandes questions que présente à résoudre au géologue et à l’historien l’histoire de l’univers. Grand nombre d’écrivains ont écrit, dans tous les temps, mais surtout dans le siècle dernier, sur ce sujet important. Les uns voient dans l’Atlantide une de ces actions heureuses et poétiques que nous présente en si grand nombre la patrie d’Hésiode et d’Homère. Les autres, entraînés par les témoignages nombreux que leur apporte la tradition, par les indices frappants que leur offre l’aspect des lieux, reconnaissent son existence et s’accordent pour assurer que, dans les temps les plus anciens du monde, dans les siècles appelés héroïques, existait une vaste région que les révolutions de la nature ont fait disparaître. Ce sentiment que nous embrassons fera le sujet de cet opuscule. Nous le diviserons en cinq chapitres. Dans le premier, nous examinerons si l’Atlantide a existé réellement ; dans le second, nous discuterons la situation de cette mystérieuse contrée ; dans le troisième, nous essaierons de raconter l’histoire de ses habitants ; le quatrième traitera de la destruction de l’Atlantide et de l’époque de cette destruction ; enfin, dans le cinquième et dernier chapitre, nous parlerons des changements importants que la disparition de l’Atlantide a dû opérer dans l’univers.


CHAPITRE I. - L’Atlantide a-t-elle existé réellement ?

Ceux qui, ainsi que nous, reconnaissent l’existence de l’Atlantide, appuient particulièrement leur sentiment sur deux passages importants des œuvres de Platon qu’il convient de citer en entier, malgré leur étendue. Ces passages se trouvent dans les deux dialogues de Critias et de Timée. Voici d’abord ce que dit Platon dans son Timée :

« Écoute, Socrate, dit Critias, un des interlocuteurs de ce dialogue, une histoire admirable, mais très véritable, que racontait Solon, le plus excellent des sept Sages. Il était lié par les nœuds intimes de l’hospitalité et de l’amitié avec notre bisaïeul Dropis, douce liaison dont il a souvent retracé le souvenir dans ses poèmes. Il a raconté plusieurs fois à mon aïeul Critias, qui me l’a répété dans mon enfance, les évènements remarquables survenus à notre patrie, évènements que les longs siècles écoulés et les calamités qu’a éprouvées le genre humain ont fait oublier généralement. Il citait un évènement plus remarquable que tous les autres, que je crois devoir vous raconter, afin de condescendre au désir de Socrate, afin aussi d’honorer la déesse dont on célèbre aujourd’hui le triomphe (Minerve), par ce récit qui sera comme un hymne consacré à son triomphe.

« C’est bien, dit Socrate ; mais dis-nous ce que ton aïeul t’a raconté de l’histoire antique de notre patrie, d’après le récit de Solon, et ces évènements que celui-ci n’a pas jugé à propos de nous transmettre par écrit ?

« Je vais vous faire connaître, répond Critias, cette ancienne histoire que mon aïeul m’a racontée dans mon enfance. Il avait environ quatre-vingt-dix ans ; j’en avais dix-huit, au plus, lorsque dans un jour solennel auquel on assemblait les jeunes gens pour chanter des hymnes en l’honneur des dieux, je me trouvai réuni avec les enfants de nos amis et de nos proches, et nos parents nous engagèrent à essayer nos voix, afin qu’on pût juger lequel de nous, dans le chant de ces hymnes sacrés, aurait le prix et développerait la voix la plus harmonieuse. On chanta les vers de plusieurs poètes, et en particulier ceux de Solon furent chantés par quelques-uns d’entre nous qui admiraient les charmes de sa poésie. Alors quelqu’un de notre tribu[1] se mit à dire, soit qu’il le jugeât ainsi, soit qu’il voulût flatter mon aïeul, qu’il lui paraissait que Solon, si grand législateur et si grand philosophe, était en outre un excellent poète. Je me souviens fort bien que ces paroles réjouirent grandement le bon vieillard, et qu’il dit en riant : Ô Anymander (c’était le nom de l’auteur de la réflexion), si Solon ne s’était pas occupé de la poésie seulement comme d’un passe-temps agréable, et s’il s’était donné à elle comme tant d’autres, sérieusement et tout entier, s’il avait terminé l’histoire qu’il avait entreprise à son retour d’Égypte, histoire que les agitations de notre république et et les embarras du gouvernement le forcèrent à laisser à moitié faite, il n’aurait cédé à mon avis ni à Homère, ni à Hésiode, ni à quelque autre poète que ce soit. Anymander lui demanda quel sujet traitait Solon dans cette histoire. De grands évènements, lui dit mon aïeul, arrivés autrefois dans notre Athènes, évènement dont la longue suite des siècles et les calamités qu’a souffertes le genre humain ont entièrement enlevé le souvenir. Mais quelle était donc cette histoire, repartit Anymander, de quelle sorte d’évènements traitait-elle, et de qui Solon a-t-il appris ce qu’il nous a transmis comme véritable ?

« Il y a, dans l’Égypte, reprit mon aïeul, un pays appelé Delta, renfermé entre les bras du Nil. Dans le Delta, se trouve une ville appelée Saïs qui a eu pour roi Amasis. Cette ville reconnaît pour fondatrice une déesse que les Égyptiens appellent Neïthes, et les Grecs Αθηνη (Minerve)[2]. Les Saïtiens sont grandement amis de nos Athéniens, et ils se vantent d’avoir la même origine qu’eux. Solon rapporte qu’il fut reçu dans cette ville d’une manière très honorable. Il s’informa des traditions antiques auprès des prêtres les plus savants, et il reconnut par leurs rapports que ni lui, Solon, ni aucun des Grecs n’avait la moindre connaissance de l’antiquité. Quelquefois, pour engager les prêtres à lui dévoiler leurs secrets, il leur parlait des plus anciens évènements arrivés dans notre patrie, des actions de Phoronée et de Niobé, et après la catastrophe de notre déluge, des aventures de Deucalion et de Pyrrha, de leur postérité, ainsi que du temps où chacun avait vécu. Alors le plus âgé de ces prêtres s’écria : Oh ! Solon, Solon ! Vous autres Grecs, vous êtes tous des enfants, et il n’y a aucun vieillard parmi vous.

« Solon lui demandant pourquoi il parlait ainsi, c’est, lui répondit-il, que votre esprit est toujours jeune dans ses souvenirs, vous n’avez aucune idée des traditions antiques, vous n’avez conservé aucune mémoire des siècles écoulés, vous ne possédez aucune connaissance des premiers temps. Cette ignorance vient des nombreuses et différentes mortalités et destructions que votre nation a éprouvées. Les plus grandes ont été procurées nécessairement, ou par des conflagrations subites ou par des inondations générales ; les moindres, par mille autres calamités. Car, ce qu’on raconte parmi vous de Phaëton, fils du Soleil, qui, montant le char de son père, et inhabile à le diriger, mit en flammes la surface de la terre, et fut lui-même la victime des feux célestes, quelque fabuleux que ce récit paraisse, doit être cependant regardé comme vrai. Car il arrive, après de longs intervalles, une certaine perturbation des mouvements célestes que des conflagrations générales suivent nécessairement. Alors ceux qui habitent des lieux élevés et arides périssent en plus grand nombre que ceux qui sont dans le voisinage de la mer et des fleuves. C’est ainsi que le Nil, qui nous est d’ailleurs si utile, éloigne de nous la calamité dont nous parlons. Lorsque les dieux jugent à propos de purifier la terre par un déluge, les peuples pasteurs qui habitent les montagnes évitent ce péril ; mais vos villes, situées dans la plaine, sont emportées par les fleuves débordés et furieux ; au lieu que, dans notre patrie, jamais on n’a vu les eaux venir avec impétuosité ravager nos campagnes : nous n’avons aucune montagne aux environs qui puisse fournir ces torrents ; l’eau, au contraire, nous vient du sein de la terre par des conduits souterrains. Voilà la raison pour laquelle les traditions antiques se conservent si facilement parmi nous. Tout pays qui ne sera exposé ni aux grandes inondations, ni aux feux destructeurs, quelques autres calamités qu’il puisse éprouver, conservera toujours ses habitants. Tout ce qui est arrivé de digne de mémoire, chez vous ou chez les autres nations, pourvu que nous en ayons entendu parler, est écrit et conservé dans nos temples. Vous, ainsi que les autres peuples, vous écrivez bien le récit des faits et des évènements nouveaux, vous les gravez sur les monuments ; mais au temps marqué par les dieux, vient une inondation qui ravage tout le pays, de telle sorte que ceux qui survivent à cette calamité sont privés du secours des lettres et des Muses. Aussi êtes-vous semblables à des enfants ignorants et inexpérimentés, qui ne connaissent absolument rien des choses passées ; car ce que vous venez de me raconter de vos histoires, ce n’est, en quelque sorte, Solon, que des fables propres à amuser des enfants. D’abord vous ne vous rappelez le souvenir que d’une seule inondation, tandis que plusieurs l’ont précédée. Ensuite vous ignorez l’origine de vos ancêtres, cette race excellente et illustre dont les Athéniens sont sortis, faible tige qui a survécu au désastre universel. Cette origine vous est inconnue maintenant, parce que ceux qui ont survécu au déluge et leurs descendants ont, pendant plusieurs siècles, manqué du secours des lettres.

« Avant ce déluge si désastreux, votre ville, ô Solon ! fleurissait déjà riche et puissante : ses lois étaient sages, de beaux ouvrages y étaient composés par des savants ; la renommée des uns et des autres est venue jusqu’à nous, et nous en avons toujours conservé le souvenir.

« Alors Solon, plein d’admiration, pria instamment les prêtres de Saïs de lui faire connaître les ouvrages de ses ancêtres. Un prêtre lui fit cette réponse : La jalousie, ô Solon ! ne nous empêchera pas de vous les faire connaître ; nous vous les découvrirons volontiers, et en votre considération et en celle de votre patrie. Mais rendons grâce avant tout à la Déesse, auguste fondatrice de votre ville et de la nôtre : elle a fondé votre ville, l’a établie 1 000 ans avant de fonder Saïs, s’aidant du secours de la Terre et de Vulcain. Quant à nous, nos livres sacrés contiennent notre histoire pendant une suite de 8 000 années[3]. Je vais vous retracer brièvement, ô Solon ! les actions glorieuses et les institutions utiles de cette longue série de siècles. Ensuite, quand nous aurons plus de loisir, ouvrant les chroniques de notre histoire, nous nous étendrons davantage et ferons un récit plus circonstancié.

« Et d’abord, considérez comme les lois des Athéniens sont en rapport avec les nôtres. Vous y trouverez de nombreux traits de ressemblance. En premier lieu, les prêtres, chez nous comme chez vous, mènent une vie à part et séparée du reste des hommes. Ensuite, les diverses professions sont distinctes, en sorte que chacun ne peut exercer que celle qu’il a choisie, et il lui est défendu d’en exercer d’autres. Il en est de même des bergers, des chasseurs, des laboureurs qui ne peuvent changer d’état. Les guerriers, comme vous le savez déjà sans doute, séparés chez nous des autres classes, sont obligés par les lois de ne s’occuper que des armes ; il en est de même dans votre république. Les armes, elles-mêmes, comme les boucliers et les javelots, sont semblables chez les deux peuples. Nous sommes les premiers qui nous en soyons servis en Asie[4], et la déesse vous en a enseigné l’usage ainsi qu’à nous. Nos lois, comme vous l’avez vu, ont eu grand soin, dès les premiers temps, de faire pratiquer la modestie et la prudence : elles se sont aussi occupées de la divination et de la médecine, et la santé florissante dont nous jouissons généralement est un précieux effet de leur sollicitude, jointe à la protection des Dieux. Enfin, vous trouverez réglé avec détail par les lois, dans l’une et dans l’autre ville, tout ce qui se rattache à ces divers points du gouvernement et des mœurs. La Déesse a commencé par orner votre Athènes qu’elle a fondée, comme nous l’avons dit, avant Saïs, de ces diverses et sages institutions ; elle l’a placée dans une contrée jouissant d’un climat doux, heureux et propre, par là, à produire des esprits sages et prudents ; car cette Déesse, qui préside en même temps à la guerre et aux conseils de la Sagesse, a choisi un pays propre à produire des esprits doués de qualités semblables aux siennes. Les anciens Athéniens, dirigés par de telles lois et de si sages et si prudentes institutions, se distinguèrent bientôt des autres peuples en tout genre de vertus, comme il convenait à une race que les dieux s’étaient plus à former et à élever par leurs soins vigilants. Beaucoup d’évènements glorieux pour votre ville sont consignés sur nos monuments et dans nos livres sacrés ; mais il en est un qui l’emporte sur tous les autres, par son éclat et par le courage qu’y déployèrent vos ancêtres. On rapporte que votre ville a résisté autrefois à des troupes innombrables d’ennemis qui, partis de la mer Atlantique, envahirent presque en même temps et l’Europe et l’Asie ; car, pour lors, notre mer était facile à traverser. À son embouchure, vers l’endroit que vous nommez Colonnes d’Hercule, était une île plus étendue que la Libye et que l’Asie ensemble. De cette île on pouvait facilement se rendre en d’autres îles qui en étaient proches, et par le moyen de ces îles, aux terres qui étaient en face et voisines de la mer[5] ; mais dans ce détroit était un port au fond d’un petit golfe[6]. Cette étendue d’eau était une véritable mer, et cette terre un vrai continent[7]. Dans cette Atlantide régnaient des princes d’une puissance formidable, qui s’étendait sur l’île entière, sur beaucoup d’autres îles et sur la plus grande partie du continent ; ils dominaient en outre sur les terres qui sont maintenant en notre pouvoir, puisque, d’un côté, ils avaient conquis cette troisième partie du monde appelée la Libye, et portaient leurs limites jusqu’auprès de l’Égypte, et que de l’autre, ils avaient occupé la partie de l’Europe à l’occident de la mer tyrrhénienne. Toutes leurs forces réunies envahirent notre pays et le vôtre aussi, Solon, et, en un mot, tout ce qui est en deçà des Colonnes d’Hercule. Alors Athènes se montra, par le courage de ses habitants, supérieure aux autres villes et aux autres peuples. Son courage, son habileté dans la guerre brilla d’un vif éclat. Tantôt, unie aux autres Grecs, tantôt seule et réduite par la lâcheté des peuples voisins à ses propres forces, elle fut d’abord à la dernière extrémité, mais bientôt elle se releva, vainquit les ennemis et rendit à ses alliés le bien précieux de la liberté. Aussitôt après, un terrible tremblement de terre joint à un déluge procuré par une pluie continuelle et torrentielle d’un jour et d’une nuit, entr’ouvrit la terre qui engloutit tous vos guerriers avec ceux des ennemis, et l’Atlantide disparut dans un vaste gouffre. C’est pourquoi cette mer est innavigable à cause du limon et des bas-fonds, débris de l’île submergée. Tel est, Socrate, le résumé de ce que mon bisaïeul disait avoir appris de Solon… Socrate lui répond : Il est important

qu’on regarde ce que tu viens de dire, non comme une fable inventée par nous, mais comme une histoire véritable[8]. »

Voyons maintenant ce que dit Platon dans son Critias. Remarquons que ce dialogue de Critias porte aussi dans les œuvres de Platon le nom d’Atlantique, preuve que la description et l’histoire de notre Atlantide en faisait le principal sujet. Malheureusement une partie de ce dialogue nous manque ; mais ce qui a été perdu peut être assez facilement suppléé par ce que dit Platon dans son Timée.

Dans ce dialogue de Critias, c’est toujours le même Critias qui raconte ce que lui avait appris son aïeul qui, lui-même, avait été instruit par Solon sur ces traditions qu’avait conservées l’Égypte.

Hermocrate, un des interlocuteurs, ayant dit à Critias qu’il fallait, après avoir invoqué le secours de Phœbus et des Muses, célébrer par de dignes louanges le souvenir des hommes illustres des premiers temps et de ceux qui ont bien servi leur patrie. « Il faut joindre, lui répond Critias, à l’invocation de Phœbus et des Muses, celle de Mnémosyne, la déesse de la mémoire[9], car c’est d’elle que dépend particulièrement le succès du récit que je vais faire. Car, si nous nous rappelons suffisamment, et rapportons avec exactitude les traditions que les prêtres ont confiées à Solon, et que Solon nous a transmises, il me semble que nous nous serons suffisamment acquittés de l’office qui nous était confié. Mais commençons, et ne retardons pas davantage.

« Rappelons-nous d’abord, qu’il y a neuf mille ans, à ce que rapporte la tradition, qu’une guerre eût lieu entre les peuples qui habitaient au-delà des Colonnes d’Hercule et ceux qui habitaient en deçà. C’est de cette guerre que nous allons parler. Notre ville se trouva alors à la tête des peuples de l’Orient, et soutint, comme on sait, tout le poids de cette guerre. À la tête des peuples occidentaux étaient les rois de l’île Atlantide, île plus grande que l’Asie et que la Libye ensemble, comme je l’ai déjà dit autre part ; mais cette île ayant été engloutie par un tremblement de terre, on ne trouve plus à sa place que des bas-fonds dangereux qui rendent ces parages innavigables. Dans le cours de mon discours, je désignerai, quand l’occasion se présentera, les nations barbares et les nations grecques qui furent mêlées dans cette guerre[10]. Il convient d’abord d’exposer quelles étaient les forces, le gouvernement politique et la manière de combattre des Athéniens d’alors et de leurs adversaires. Nous allons commencer par nos ancêtres. »

Il fait alors une description agréable de l’état d’Athènes dans ces premiers temps ; il parle assez au long de l’étendue de son territoire, de la fertilité du pays, du nombre des habitants, de leur habileté et de l’autorité et du crédit qu’ils s’étaient acquis sur les autres peuples de la Grèce. Ensuite, en venant aux Atlantes, il s’exprime ainsi :

« Quant à nos adversaires, et aux premiers temps de leur histoire, je vous raconterai familièrement ce qui est resté dans mon souvenir du récit qu’on m’en a fait dans mon enfance ; mais, avant tout, je vous avertis de ne pas vous étonner si vous entendez exprimés en grec presque tous les noms des princes et des héros barbares. En voici la cause : Solon, lorsqu’il s’occupait à mettre leur histoire en vers, chercha à découvrir la valeur et la signification de leurs noms[11], et il s’aperçut que les habitants de Saïs, qui avaient écrit les premiers sur ce sujet, avaient fait de ces noms des noms égyptiens. Il crut être autorisé à prendre la même liberté, et à faire de ces noms des noms grecs, en en conservant la signification. Mon aïeul les avait mis en écrit ; mais moi je ne pourrai que vous les répéter de mémoire, autant que me le permettra le long temps qui s’est écoulé depuis mon enfance. Si donc vous voyez des princes et des rois Atlantes revêtus de noms grecs, ne vous en étonnez pas, vous en savez la raison.

« J’aurais besoin d’un long discours, s’il fallait reprendre dès l’origine ce que je vous ai dit par rapport à notre patrie, du partage de la terre entre les différentes divinités, d’abord en parts plus grandes, ensuite en parts plus petites, suivant que le nombre des dieux augmentait[12], et comme ils se firent élever des temples et établir des sacrifices en leur honneur. Neptune, ayant eu pour sa part l’île Atlantide, eut des enfants d’une femme mortelle ; et cela arriva de cette manière : l’île, qui était sans montagnes le long de la mer, renfermait dans son milieu une plaine qu’on rapporte n’avoir jamais eu son égale pour la beauté et pour la fertilité. Près de la plaine, à cinquante stades de distance, mais toujours vers le milieu de l’île, était un mont peu élevé, ce mont était habité par un de ces hommes qu’on dit sortis, dès le commencement du sein de la terre, et nommé Evénor. Celui-ci, de sa femme Leucippe, avait eu une fille nommée Clito ; cette fille, après la mort de ses parents, fut aimée de Neptune qui l’épousa, et environna le mont où elle habitait de retranchements et de fossés. Les retranchements étaient au nombre de deux ; les fossés que l’eau de la mer remplissait au nombre de trois, tous à égales distances les uns des autres, rendaient ce mont inaccessible. On ne connaissait alors ni les vaisseaux, ni l’art de naviguer. Étant dieu, il pût embellir facilement l’intérieur de l’île, et fit sortir de la terre deux courants d’eau, l’un chaud, l’autre froid ; les fit parcourir l’île qu’ils fertilisaient et fécondaient extrêmement. Il éleva dans ce lieu enchanteur cinq couples d’enfants mâles et jumeaux dont il était le père. Il partagea l’Atlantide en dix parties ; il donna à l’aîné le domaine maternel et la plage d’alentour, part qui était certainement la meilleure et la plus grande ; il l’établit roi et suzerain de ses frères ; il établit ceux-ci princes de plusieurs régions et chefs de nations diverses. Il donna des noms à chacun. Le premier qu’il avait établi roi de l’île entière, il le nomma Atlas : c’est de lui que la mer environnante fut nommée Atlantique. Son frère jumeau, il le nomma dans la langue Atlante Gadir et nous le nommons Eumelus : il eut pour sa part l’extrémité de l’île vers les Colonnes d’Hercule, et cette partie s’appelle encore de son nom Gadirique[13]. Les deux jumeaux suivants s’appelaient, l’un Amphise, l’autre Eudémon. Les deux jumeaux qui venaient après se nommaient le premier Mnésée, le second Autochtone. Le quatrième couple s’appelait Elasippe et Mestor. Enfin, les deux jumeaux les plus jeunes avaient pour noms Azaës et Diaprèpe. Ces princes et leur postérité régnèrent sur cette île pendant plusieurs siècles et établirent, comme nous avons dit, par le moyen de la mer, leur domination sur plusieurs autres îles, même sur celles qui sont près de l’Égypte et de la Tyrrhénie.

« La postérité d’Atlas se maintint sur le trône principal pendant plusieurs siècles par une succession non interrompue et fut toujours en grande vénération. Leurs richesses étaient si grandes, qu’elles surpassaient celles des rois des siècles précédents, et qu’aucun souverain des siècles suivants n’a pu sous ce rapport leur être comparé. Leur sage industrie avait établi et disposé dans la ville capitale et dans tout le royaume tout ce qui peut être utile à la vie et contribuer à la rendre agréable. Leur puissance leur procurait toutes les productions des pays étrangers, et l’île leur en fournissait en outre en abondance. D’abord, on tirait de plusieurs endroits de l’île toutes sortes de pierres et de minéraux, et surtout ce minéral qu’on ne connaît plus que de nom seulement, l’orichalque, le plus précieux des métaux, après l’or. L’île produisait aussi en abondance toutes sortes de bois de construction : elle nourrissait de nombreux troupeaux d’animaux domestiques et d’animaux sauvages : les éléphants y étaient en grand nombre : ils y trouvaient suffisamment de nourriture le long des marais, des lacs et des fleuves, dans les plaines et les montagnes, quelque monstrueux et vorace que soit cet animal. On trouvait aussi dans l’Atlantide tout ce que la terre produit maintenant d’odoriférant et de suave, racines, grains, bois, gomme, fleurs et fruits, le doux jus de la vigne et le blé si nourrissant, toutes les viandes désirables et les légumes pour les assaisonner. Les arbres prodiguaient à ces heureux habitants et les sucs variés et les fruits de diverses espèces qui pouvaient apaiser leur faim ou étancher leur soif. La chasse leur offrait aussi ses exercices si pénibles, mais en même temps si agréables. On trouvait, en un mot, dans cette île qui, malheureusement a disparu, tout ce qui peut satisfaire le corps, l’esprit et la piété envers les Dieux.

« Riches de tant de productions que leur fournissait une terre libérale, les Atlantes bâtirent des temples, des palais, des ponts, creusèrent des ports et dirigèrent d’une manière utile les eaux qui formaient un triple cercle autour de leur antique métropole. Ils commencèrent par construire des ponts pour pouvoir d’un côté communiquer avec le dehors, et d’un autre aborder le Palais Royal bâti sur l’emplacement de la demeure de Neptune et de leurs aïeux. Ornant ce palais à l’envi l’un de l’autre, ils parvinrent avec la succession des siècles à en faire un édifice aussi admirable par sa grandeur que par sa magnificence. Ils ouvrirent un canal du premier fossé extérieur à la mer : ce canal avait trois arpents de large, cent pieds de profondeur et cinq cents stades de long. Les plus gros navires pouvaient ainsi se rendre de la mer au premier fossé qui leur servait de port. Les deux enceintes étaient coupées par des canaux assez larges, pour qu’une trirème pût se rendre d’un fossé à l’autre, et sur les canaux étaient des ponts pour la communication ; mais les ponts étaient assez hauts pour que les vaisseaux pussent passer dessous ; car les berges étaient très élevées. Le premier fossé que la mer remplissait avait trois stades de largeur, ainsi que l’enceinte qui le suivait : le second avait ainsi que son enceinte deux stades et la troisième qui environnait immédiatement l’île n’en avait qu’une. Le diamètre de l’île dans laquelle se trouvait le palais était de cinq stades. L’île et chaque enceinte était entourée de murs construits en pierre. À l’entrée des ponts étaient construites des portes surmontées de leurs tours pour les défendre. Le pont de la principale entrée avait jusqu’à cent pieds de large. La pierre dont on se servait pour ces immenses constructions était tirée de l’île même : elle était noire, blanche ou rouge, et les carrières qu’avait creusées l’exploitation formaient de beaux havres pour les vaisseaux. Les édifices étaient tantôt de couleur uniforme, tantôt construits de pierre de couleurs différentes pour le plaisir des yeux. Le mur qui entourait l’enceinte extérieure était revêtu d’une légère couche d’airain ; celui de l’enceinte intérieure était revêtu d’étain : enfin l’orichalque de couleur de feu resplendissait sur les murs de la citadelle.

« Le palais était dans la citadelle et voici sa disposition. Au milieu, dans l’endroit le plus inaccessible, était le temple de Clito et de Neptune, tout revêtu d’or. C’est là qu’avaient pris naissance ces dix familles de rois, et que leurs descendants se réunissaient chaque année pour offrir des sacrifices pieux aux Dieux de leurs ancêtres. Le temple de Neptune avait une stade de long, trois arpents de large et une hauteur proportionnée à sa longueur et à sa largeur. Mais son architecture était bizarre. Tout son extérieur, à part le comble, était revêtu et garni d’argent ; le comble et les aiguilles étaient d’or : sur les lambris, brillaient à l’envi l’ivoire, l’or, l’argent, l’orichalque ; mais l’orichalque dominait sur les murs, les planchers, les statues. Il y avait aussi des statues d’or pur. Neptune était représenté monté sur son char, tenant les rênes de ses coursiers ailés et portant sa tête superbe jusqu’au faîte du temple. Autour de lui se voyaient cent Néréïdes portées par des dauphins : c’est le nombre qu’assignait la tradition à ces filles de Nérée. On voyait aussi dans le même temple un grand nombre de statues de toutes les princesses et de tous les princes de la lignée royale et beaucoup d’autres représentations et dons votifs des Rois et des habitants, tant de la ville capitale que des autres villes soumises à l’empire des Atlantes. L’autel des sacrifices, par sa grandeur et la beauté de ses décorations, était digne de la magnificence du temple. Le reste du palais répondait par sa splendeur à la beauté du temple qu’il renfermait et à la puissance du royaume.

« On voyait, en plusieurs endroits de la ville, des sources thermales et des fontaines d’eau froide : les unes et les autres coulaient avec abondance et sans interruption et servaient admirablement à la santé et à l’agrément des habitants. Autour de ces sources on avait construit des bâtiments et planté des arbres : de vastes bassins avaient été creusés : les uns étaient à découvert, les autres étaient surmontés d’un toit et renfermés par des murs, afin qu’on pût prendre des bains chauds pendant l’hiver. Il y avait des bassins pour la famille royale, d’autres pour les particuliers : quelques-uns étaient réservés aux femmes, et il y en avait même pour les chevaux et les autres animaux domestiques. Chaque bassin était tenu avec la décence et les égards qui convenaient aux diverses classes qui s’en servaient.

« Du reste des eaux, les habitants formèrent un ruisseau dont ils dirigèrent le cours vers un bois consacré à Neptune, et ces eaux vivifiantes, jointes à la fertilité du sol, couvrirent bientôt ce bois d’arbres d’une hauteur et d’une beauté admirables. De là les eaux étaient dirigées par des aqueducs vers le fossé extérieur, du côté des ponts. Chacune des deux enceintes de la ville était remplie de temples, de sanctuaires, de bosquets, de gymnases, de manèges. Vers le milieu de l’île centrale qui était certainement la plus grande, il y avait un hippodrome circulaire d’une stade de diamètre. Autour de l’hippodrome étaient rangées les demeures des appariteurs et des gardes. Les soldats de la garde royale étaient logés près du château, tout autour de la montagne qu’il couronnait, mais les gardes les plus fidèles avaient leurs habitations dans le château royal lui-même, auprès des appartements des princes. Les havres et les chantiers étaient remplis de trirèmes et abondamment pourvus de tout ce qu’il fallait pour les équiper. Voilà quel était l’état des demeures du roi et des princes.

« Celui qui passait les portes de l’enceinte extérieure (il y en avait trois) trouvait un mur qui commençait à la mer, entourait l’île et ses enceintes à la distance de cinquante stades de tous les côtés et revenait joindre le mur de l’autre côté du canal de communication[14]. Presque tout cet espace était cultivé : la partie qui regardait la mer était remplie de maisons et de magasins : le golfe était couvert de navires, et les quais peuplés de marchands qui s’y rendaient de toutes parts. Cette foule nombreuse entretenait dans le port un mouvement et un bruit continuel. C’est là ce que ma mémoire me fournit sur ce que la tradition nous rapporte de l’état de cette île et de cette capitale de l’Atlantide.

« Je vais m’efforcer de rappeler maintenant à ma mémoire ce qu’on m’a rapporté de la nature et de la culture du reste du pays. D’abord l’île était très montagneuse et présentait du côté de la mer des rivages escarpés. Tout autour de la ville Royale régnait une grande plaine entourée elle-même de montagnes, excepté du côté de la mer, où de ce côté-là seul, l’abord était doux et facile. La longueur de l’île était de trois mille stades et sa largeur de deux mille. L’île regardait le sud ; les lieux les plus élevés étaient les seuls exposés aux ravages de Borée. Nos montagnes ne peuvent donner qu’une faible idée des montagnes de cette île. Leur hauteur majestueuse, leurs chaînes continues, les forêts verdoyantes qui les couvraient excitaient l’admiration. Elles étaient remplies de bourgs riches et peuplés, diversifiées par des fleuves, des lacs, des prairies, et fournissaient une nourriture abondante à un nombre infini de bêtes sauvages et d’animaux domestiques. On trouvait dans les forêts toutes sortes de bois utiles. Telle était cette île qui devait son aspect florissant et aux bienfaits de la nature et aux soins et aux richesses de tant de rois qui y avaient fait leur résidence.

« L’île formait d’abord un carré long : mais le canal et les fossés qui avaient été creusés lui avaient fait perdre un peu de cette figure. Ce canal avait une profondeur, une longueur, une largeur incroyables. Quand on compare cet ouvrage avec les autres ouvrages de l’industrie humaine, l’esprit se refuse à croire qu’il soit sorti de la main des hommes. Nous devons rappeler cependant ce que l’on nous en a dit, quelque incroyable que cela paraisse. La profondeur était d’un arpent : la largeur était d’une stade et la longueur totale, par les détours que ce canal faisait dans les campagnes, était de dix mille stades : il recevait toutes les sources qui descendaient des montagnes, et entrant dans la ville par plusieurs canaux particuliers, il en sortait pour se jeter à la mer. Du haut de ce canal, étaient dérivées de grandes rigoles de plus de cent pieds de largeur ; qui, coupées droit par la campagne, se réunissaient de nouveau au canal du côté de la mer. Ces rigoles étaient distantes de cent stades l’une de l’autre : elles servaient à conduire à la ville, par le moyen de grandes embarcations, le bois et les récoltes que la terre fournissait deux fois chaque année. Car des canaux partant de la ville coupaient et traversaient toutes les rigoles et ouvraient par-là mille voies de communication. La terre, comme nous l’avons dit, produisait deux récoltes par an de toutes sortes de fruits et de céréales. L’hiver, par la protection des Dieux, la terre était arrosée par des pluies fréquentes et par les eaux que des aqueducs et des canaux amenaient de tous côtés. La plaine fournissait soixante mille hommes en état de porter les armes. Le pays était divisé par cantons de cent stades carrés de superficie, et chaque canton fournissait son contingent et nommait son chef. Les montagnes et le reste du pays donnaient une multitude innombrable de guerriers, qui tous, étaient divisés comme ceux de la plaine et se donnaient leurs chefs suivant les cantons. Il était établi par les ordonnances que le chef d’un canton devait fournir la sixième partie des voitures et des équipages du canton. Sur mille chars de guerre, il devait en fournir dix, deux chevaux et deux cavaliers et un de ces chars à deux chevaux en usage chez ce peuple : c’est là qu’il se plaçait et il avait toujours avec lui un cocher qui pouvait au besoin combattre à pied, et, par cette raison, était muni d’un petit bouclier. Il devait fournir encore deux soldats pesamment armés, deux archers, deux frondeurs, enfin, pour les soldats armés à la légère, trois lanceurs de javelots et trois balistiers, quatre matelots, en outre, pour contribuer à l’équipement de vingt mille vaisseaux. Telle était l’économie militaire de la partie de l’Atlantide où était la ville Royale. Les neuf autres parties avaient chacune une économie différente ; mais il serait trop long de les rapporter.

« Quant au gouvernement, les places de la magistrature et les récompenses honorifiques avaient été dès le commencement réglées de la sorte : Chacun des dix rois avait dans son royaume et dans sa ville capitale pouvoir absolu de vie et de mort sur ses sujets. Presque aucune loi ne bornait leur pouvoir. Seulement leur administration et leurs rapports entre eux étaient réglés par des ordonnances gravées par les anciens chefs Atlantes sur une colonne d’orichalque située au milieu de l’île, dans le temple de Neptune. Ils se réunissaient dans ce temple tous les cinq ou six ans… Étant rassemblés, ils délibéraient sur les affaires publiques, et examinant toutes choses avec une attention religieuse, ils condamnaient celui qui s’était rendu coupable en quelque point. Avant de commencer le jugement, ils s’obligeaient par un serment qui se faisait ainsi.

« Dans le temple de Neptune, il y avait dix taureaux laissés en liberté dans l’enceinte. Chaque roi, en son particulier, faisait vœu de prendre, sans employer le fer, un de ces taureaux et de l’offrir en victime au Dieu du temple ; ainsi, il ne se servait que de pieux et de lacets. Dès qu’il avait pris son taureau, il l’amenait vers la colonne et l’immolait aussitôt sur le faîte où étaient gravés les préceptes régulateurs de la nation. Outre ces préceptes, on y voyait aussi gravée une espèce d’anathème et des imprécations terribles contre les prévaricateurs. Quand s’étant acquittés de toutes les cérémonies du sacrifice, les rois se disposaient à faire passer par le feu les membres de chaque taureau, ils remplissaient de sang une coupe et faisaient une libation d’une goutte de sang pour chacun d’entre eux : ils arrosaient la colonne de ce sang et faisaient brûler la victime. Après cela, ils puisaient dans la coupe le reste de ce sang avec de petits vases d’or et en arrosaient le feu, et en même temps faisaient un serment solennel de juger toujours suivant les lois gravées sur la colonne et de punir ceux qui les auraient violées. En outre, ils juraient de ne jamais, de leur plein gré, transgresser les règles qui leur étaient imposées. Ils juraient aussi de ne commander jamais rien qui ne fût conforme aux préceptes de leur père commun Neptune et de n’obéir jamais à celui qui leur commanderait quelque chose contraire.

« Après avoir fait ce serment solennel en leur nom et en celui de leurs descendants, ils buvaient le reste du sang, et consacraient le vase d’or à Neptune[15] : ils se retiraient ensuite vers l’approche de la nuit, pour prendre leur repos et vaquer à leurs affaires particulières. La nuit venue, ils revenaient au temple, et le feu qui consumait les victimes étant presque éteint, chacun revêtu d’une riche robe de couleur bleue, s’asseyait près des restes des victimes consumées : ils achevaient d’éteindre le feu sacré, ils se jugeaient les uns les autres, et ils examinaient mutuellement les diverses prévarications dont ils s’étaient rendus coupables. Le jugement terminé et au lever de l’aurore, ils gravaient les sentences qu’ils avaient prononcées sur une table d’or et la suspendaient dans le temple avec leurs vêtements de la nuit, pour l’instruction des siècles futurs.

« Les autres lois et les autres ordonnances sur les sacrifices étaient laissées à la volonté de chacun des dix rois. Voici les principaux points convenus entre eux : Ils ne devaient jamais se faire la guerre, mais tous se secourir, si l’on attaquait quelqu’un des rois et sa famille. Quand, dans quelqu’une des délibérations dont nous venons de parler, ils décidaient quelque expédition de conquête, ou quelque guerre qui exigeât le concours de toute la nation, ils en donnaient le commandement aux enfants d’Atlas. Les rois n’avaient le pouvoir de faire mourir quelqu’un de leur famille, que d’après l’avis du congrès et à la majorité de six voix.

« Comment la Divinité permit-elle qu’une nation, si puissante et si bien ordonnée, abandonnât sa patrie pour envahir nos contrées ? En voici la raison. Pendant plusieurs siècles, ils ne perdirent point de vue leur auguste origine, ils obéirent aux lois et furent religieux adorateurs des Dieux qu’ils comptaient parmi leurs ancêtres. La sincérité régnait dans leurs cœurs : ils n’avaient que des idées nobles et dignes de leur race : la modération et la prudence dirigeaient toutes leurs démarches et réglaient leurs rapports entre eux et avec les étrangers. N’estimant que la vertu, ils faisaient peu de cas des choses terrestres. À l’abri des atteintes de l’orgueil et de l’avarice, ils regardaient comme un poids lourd et pesant l’or et les richesses. Les dons que la terre leur prodiguait deux fois chaque année ne les portaient à aucun excès : ils en usaient avec sobriété et pensaient sagement que le moyen de les rendre utiles et profitables était d’en user avec modération et de faire part amicalement aux autres du superflu, mais que s’ils attachaient à ces dons terrestres leur admiration et leur cœur, ils en pervertiraient bientôt l’usage et perdraient la vertu et cette douce concorde qui faisait leur bonheur.

« Tant qu’ils conservèrent ces beaux sentiments et cette manière de penser digne des Dieux leurs ancêtres, leur puissance et leurs richesses ne firent que s’accroître. Mais, à la suite des temps, les vicissitudes des choses humaines corrompirent peu à peu ces mœurs divines et ces heureuses institutions : ils commencèrent à se conduire comme les autres enfants des hommes, et, ne pouvant porter le poids du bonheur présent, ils déchurent honteusement. Ceux qui jugeaient sainement trouvaient déshonorant pour les Atlantes de perdre ainsi le plus précieux de tous les biens. Ceux, au contraire, qui ne connaissaient pas la voie sûre qui conduit au bonheur, les proclamaient grands et heureux, en les voyant suivre les conseils de l’ambition et chercher à dominer par la violence.

« Alors Jupiter, le maître des Dieux, le suprême régulateur de l’univers, dont la sagesse pèse les choses de ce monde et les estime à leur juste valeur, voyant se dépraver ainsi une race si noble, résolut de la punir, afin qu’apprenant par une triste expérience à modérer son ambition, elle devint plus juste et moins orgueilleuse. Il convoqua donc le conseil des Dieux dans l’Olympe, dans ce lieu sublime d’où, dominant sur la terre entière, ils voient toutes les générations à leurs pieds, et il leur tint ce discours : »

Le reste de ce dialogue est perdu. Il présente des détails qui sont sans doute fictifs et allégoriques ; mais le fond est historique et vrai. Remarquons que Critias invoque, en commençant, Mnémosyne, déesse de la Mémoire. Remarquons encore comme il prévient l’objection qu’on pourrait lui faire des noms des héros Atlantes hellénisés, et que, d’ailleurs, tous ces détails historiques sont confirmés par ce que rapporte le Timée. Mais ces détails descriptifs de l’île capitale de l’Atlantide, le tableau enchanteur qu’en trace Platon, ce qu’il rapporte au long des princes du pays, et de leur réunion dans le temple de Neptune, tout cela nous paraît fictif et allégorique. Des réminiscences et des allusions que nous avons indiquées nous le démontrent assez clairement. Mais il ne faut pas de là conclure, comme l’a fait le Père Bertoli[16], que c’est Athènes et les vicissitudes de cette république que Platon a voulu dépeindre dans tout ce qu’il rapporte de l’Atlantide. Cette opinion ne peut se soutenir. Platon qui oppose les Athéniens aux Atlantes n’aurait pas caché les premiers sous le voile et le nom des seconds[17]. Pour en revenir à ce que nous regardons comme fictif dans le récit de Platon, remarquons que les prêtres de Saïs n’ont pas probablement conservé dans leurs annales tous ces détails descriptifs et moraux. Les annales des peuples anciens, courtes et succinctes, ne comprenaient guère que les évènements principaux des villes et des peuples et la généalogie des princes et des rois.

Quant au Timée, voyons avec quel soin Platon cite ses autorités. Voyons comme il annonce, au commencement de son récit, comme il répète à la fin que son Histoire des Atlantes, quoique peu vraisemblable, est cependant très vraie. Si tout son récit n’était qu’une fiction, aurait-il osé parler ainsi et commencer d’un ton si propre à inspirer la confiance. « Toutes les fois que Platon avance une pure fiction, dit Marsilius Ficin[18], un de ses plus savants traducteurs et commentateurs, il l’annonce expressément comme fiction. » D’ailleurs, nous verrons que l’Égypte pouvait avoir conservé, plus que toute autre contrée, la tradition de l’Atlantide, et il n’est pas étonnant que les prêtres de ce pays depuis si longtemps civilisé, aient communiqué à Solon ce qui avait été consigné dans les mémoires du temps et sur les monuments publics, touchant cette vaste région et l’évènement désastreux qui l’avait fait disparaître.

Voyons, d’ailleurs, quel était le but du Timée. Le Timée est un traité où, sous la forme du dialogue, à la manière de Socrate, Platon se propose de donner la connaissance des facultés de l’âme, de faire connaître qu’il y a des Dieux vengeurs du crime et rémunérateurs de la piété et de la vertu, et, en même temps, de détruire les objections et les blasphèmes des athées contre la Providence. Or, il commence son livre par l’histoire des Atlantes, qui est parfaitement appropriée à son sujet. L’histoire de ce peuple comblé des bienfaits du ciel, tant qu’il est juste, puni, anéanti par une catastrophe générale et terrible, quand par ses crimes il a attiré sur lui le courroux des Dieux, est une magnifique préparation à son livre et à son projet sublime de justifier la providence de la Divinité aux yeux des mortels. Or, je le demande, une fable, une pure fiction était-elle propre à produire cet effet ? Et une proposition d’une importance morale et religieuse aussi grande ne devait-elle pas s’appuyer sur un fait aussi vrai qu’il était éclatant, sur une tradition dont les peuples ne pussent disputer la sincérité ? En outre, nous allons voir tout-à-l’heure les contemporains de Platon, loin de le démentir, ce qu’ils n’auraient pas manqué de faire, si son Histoire des Atlantes n’était qu’une fiction, rapporter la même tradition et en orner ainsi que lui leurs ouvrages.

L’astronome Eudoxe de Cnide regardait comme véritable l’histoire racontée par les prêtres de Saïs à Solon, malgré l’exagération fabuleuse de leurs calculs chronologiques. Proclus, disciple de Platon, dans ses Commentaires sur les écrits de son illustre maître, parle d’une histoire d’Éthiopie, composée par un certain Marcellus, qui confirme tout ce que Platon avance d’historique dans ses deux dialogues. Crantor, le premier commentateur de Platon, et qui vivait seulement un siècle après lui, regarde comme vrais et nullement allégoriques les récits du Timée et de Critias.

Suivant Proclus, Crantor avait retrouvé cette tradition de l’Atlantide chez les prêtres de Saïs qui lui montraient les stèles couvertes d’inscriptions, où cette histoire était, disaient-ils, consignée.

On pourrait nous opposer que les disciples de Platon, qui, certes, avaient bien étudié les écrits et l’esprit de ce grand homme, ont vu dans tout ce que leur maître dit des Atlantes un sens allégorique. Origènes voit figuré dans la guerre des Atlantes et des Grecs le combat entre les anges et les esprits rebelles ; Porphyre, le différend entre les démons et les âmes. Proclus, Syrianus, Jamblique, l’opposition qui existe entre l’unité et l’infini, le repos et le mouvement. J’en conviens ; mais on doit connaître l’usage des philosophes de l’École platonicienne, de trouver un sens allégorique dans tous les écrits de leur maître et l’abus qu’ils en ont fait ; mais ce sens allégorique qu’ils rencontraient dans ce récit de Platon ne les empêchait pas d’y reconnaître une histoire véritable : nous le voyons dans l’exemple de Proclus cité plus haut : ils savaient que Platon appuyait aussi souvent ses leçons et sa philosophie sur les faits et sur les évènements que l’histoire rapporte, que sur les fictions et les traditions fabuleuses, afin de graver ses enseignements plus facilement dans la mémoire, et d’adoucir auprès de ses auditeurs ce que la métaphysique pouvait leur présenter de sec et d’aride.

Platon n’est pas le seul auteur qui ait marié la fiction avec la vérité dans ses écrits. Xénophon, disciple de Socrate, et par conséquent condisciple de Platon lui-même, dépeint, dans sa Cyropédie, les mœurs des Perses « non pas entièrement suivant la vérité, ainsi que le dit Cicéron, mais suivant la modèle supposé d’un bon et parfait gouvernement[19]. »

Ainsi, reconnaissons que, si, dans le dernier dialogue, certains détails peuvent être rapportés à une de ces fictions heureuses si familières au génie du philosophe d’Athènes, et dont il savait si gracieusement revêtir ses préceptes et sa morale, le fond du récit, c’est-à-dire ce qui est dit de l’existence, de la situation, de l’étendue de cette contrée, de l’origine et de l’histoire de ses habitants est historique et vrai. Car ce récit de Platon s’appuie évidemment sur d’anciennes traditions historiques que celui-ci a seulement mis en œuvre. L’antiquité nous fournit nombre de témoignages qui viennent établir et fortifier cette tradition. Avant Platon, nous voyons Homère et Hésiode[20], ces pères de la poésie, nous dépeindre des îles appelées à juste titre Fortunées, placées aux extrémités de la terre, jouissant du climat le plus heureux, de la plus douce température, d’un sol excessivement fertile. Leurs habitants gouvernés par des lois sages coulaient leurs jours dans un repos et dans une félicité si grande qu’on lui comparait la félicité et le bonheur dont les Dieux faisaient jouir dans les champs élyséens ceux qui avaient honoré leurs autels et pratiqué la vertu sur la terre. Hésiode, en particulier, dans sa Théogonie, cite plusieurs traits frappants de la guerre des Atlantes et des Athéniens. Parmi les contemporains de Platon, nous voyons Euripide parler de cette terre mystérieuse, la désigner sous le nom d’Hespéride, et, la plaçant comme tous les autres écrivains vers le mont Atlas, nous la dépeindre sous les mêmes traits qu’Homère et qu’Hésiode.

« J’irais, dit le Chœur, au troisième acte de la tragédie d’Hippolyte[21], aux riches jardins des Hespérides, nymphes dont la voix charme les oreilles, dans ces climats où Neptune ne laisse plus de passage libre aux nautonniers effrayés : car il a pour terme le ciel soutenu par Atlas. »

Théopompe, cité par Elien[22], fait ce récit qui a beaucoup de rapport avec celui de Platon. Remarquons qu’il le place dans les siècles héroïques, temps où nous devons placer l’existence de l’Atlantide.

« Silène dit à Midas : L’Europe, l’Asie et la Libye sont des îles que les flots de l’Océan baignent de tous côtés : hors de l’enceinte de ce monde, il n’existe qu’un seul continent dont l’étendue est immense. Il produit de très grands animaux et des hommes d’une taille deux fois plus haute que ne sont ceux de nos climats. Aussi, la vie de ces hommes n’est-elle pas bornée au même espace de temps que la nôtre ; ils vivent deux fois plus longtemps. Ils ont plusieurs grandes villes, gouvernées suivant des usages qui leur sont propres : leurs lois forment un contraste parfait avec les nôtres. Entre ces villes, il y en a deux d’une prodigieuse étendue et qui ne se ressemblent en rien. L’une se nomme Machimos la guerrière, et l’autre Eusébie la pieuse. Les habitants d’Eusébie passent leurs jours dans la paix et l’abondance : la terre leur prodigue ses fruits, sans qu’ils aient besoin de charrue et de bœufs : il serait superflu de labourer et de semer. Après une vie qui a été constamment exempte de maladies, ils meurent gaîment et en riant. Au reste, leur vie est si pure que souvent les Dieux ne dédaignent pas de les visiter. À l’égard des habitants de Machimos, ils sont très belliqueux : toujours armés, toujours en guerre, ils travaillent sans cesse à étendre leurs limites. C’est par là que leur ville est parvenue à commander à plusieurs nations. On n’y compte pas moins de deux millions de citoyens. Les exemples des gens morts de maladie y sont très rares. Tous meurent à la guerre, non par le fer (le fer ne peut rien sur eux), mais assommés à coups de pierres ou de bâton. Ils ont une si grande quantité d’or et d’argent, qu’ils en font moins de cas que nous ne faisons du fer. Autrefois, continua Silène, ils voulurent pénétrer dans nos îles, et après avoir traversé l’Océan avec dix millions d’hommes, ils arrivèrent chez les Hyperboréens ; mais ce peuple parut à leurs yeux si vil et si méprisable, qu’ayant appris que c’était néanmoins la plus heureuse nation de nos climats, ils dédaignèrent de passer outre. »

Nous voyons, dans ce récit de Théopompe, l’immense étendue de l’Atlantide, sa position hors de l’enceinte du monde, et du côté de l’Océan, et l’invasion en Europe de ses belliqueux habitants. Ces deux villes, la pieuse et la guerrière, semblent nous désigner les deux époques de l’histoire des Atlantes, celle où, suivant les préceptes des Dieux leurs ancêtres, ils vécurent bons, justes et heureux, et la seconde dans laquelle, ouvrant leurs cœurs à l’ambition et à l’amour des conquêtes, ils devinrent la terreur de leurs voisins et s’attirèrent les châtiments célestes. Voilà des rapports assez frappants avec ce que nous apprennent le Timée et le Critias. Elien ne voit dans ce récit qu’un tissu de fables. Il a tort : il aurait dû distinguer le fond vrai de ce récit établi sur une tradition antique et constante et les ornements dont le génie poétique des philosophes de l’école de Socrate ne dédaignaient pas d’embellir leurs écrits et leur morale. Théopompe, disciple de Socrate, qui avait étudié la philosophie avec Platon, suivait à l’exemple de son illustre contemporain, la méthode d’employer dans ses écrits la poésie et ses heureuses fictions.

Ainsi, l’autorité de Platon et de ses contemporains nous paraît une preuve bien forte de l’existence de l’Atlantide. Mais combien d’autres preuves, combien d’autorités nombreuses viennent à l’appui !

Tous les historiens et géographes qui, après Platon, ont parlé de l’Atlantide, ont regardé son existence comme réelle ou du moins comme grandement probable. Pline parle de l’Atlantide et de sa disparition comme d’un fait reconnu par une tradition constante, et ne cite le témoignage de Platon que pour l’immensité de l’étendue de cette île. Voici son texte :

« In totum abstulit terras, primum omnium ubi Atlanticum mare est, si Platoni credimus, immenso spatio[23]. La nature a retranché totalement certaines régions : témoin premièrement cette terre Atlantique, où est aujourd’hui la mer du même nom et qui, s’il faut en croire Platon, avait une étendue immense. »

Possidonius, cité par Strabon[24], avait foi à l’ancienne existence de l’Atlantide. Strabon[25] lui-même dit que l’Atlantide pourrait bien ne pas être une fiction, et cependant, dans son pyrrhonisme historique, ce critique si judicieux et même trop sévère refuse d’ajouter foi à ce qu’Hérodote rapporte du voyage autour de l’Afrique, fait par les Phéniciens, à ce que Héraclide du Pont raconte d’un voyage semblable fait par un Mage, il regarde comme une imposture le récit d’Eudoxe de Cyzique et sa circumnavigation des côtes de l’Afrique. Philon est du même avis que Strabon[26]. Tertullien[27] et Arnobe[28] font aussi mention de cette tradition d’une terre atlantique. Enfin, Diodore de Sicile, qui a rassemblé dans son Histoire universelle toutes les traditions des temps anciens nous dépeint les îles Panchée[29], Jambule[30], Hyperborée[31] avec les mêmes traits que ceux avec lesquels Platon nous dépeint son Atlantide, quoiqu’il les place sous des climats différents : il donne à leurs habitants les mêmes mœurs sages et pieuses, nous présente le même tableau de leur félicité : ce qui fait voir que ces traditions diverses et qui présentent tant de rapports entre elles tirent leur origine de cette tradition primitive de l’Atlantide, et en sont de véritables imitations. Mais nous ne saurions rapporter à l’Atlantide ce qu’Aristote[32] et Diodore de Sicile[33] racontent d’une île découverte par les Carthaginois au-delà des Colonnes d’Hercule et qu’ils défendirent d’habiter. L’Atlantide avait déjà disparu avant que Carthage fût fondée. Cette île, la même sans doute que celle dont parle Plutarque[34] dans la vie de Sertorius ne peut être qu’une des îles que les anciens appelaient Fortunées, et que nommons maintenant les Canaries[35].

Parmi les écrivains modernes, presque tous ceux qui ont traité cette grande question reconnaissent l’existence de l’Atlantide. Les différents systèmes qu’ils ont proposés pour fixer sa position ancienne, montrent qu’ils reconnaissent comme vrai le fait de son existence dans les premiers siècles. Nous ne pouvons guère citer que deux auteurs qui lui aient refusé leur assentiment. Il faut avouer que leur nom est d’une grande autorité dans l’Histoire de la Géographie ancienne. C’est d’Anville et Gosselin[36]. Examinons leur opinion et considérons si les raisons qu’ils apportent et le poids de leur réputation peuvent contrebalancer suffisamment cette multitude de témoignages que nous présentons en preuve.

D’Anville[37] appuie ses raisons de nier l’existence de l’Atlantide sur ce que « le narré de Platon touchant cet évènement est le récit d’un Athénien qui veut illustrer sa patrie, et qu’on voit dans ce qu’il débite sur la patrie des Atlantes un philosophe occupé de spéculations plus magnifiques que vraisemblables. » Gosselin ne voit dans cette Atlantide qu’une île fantastique créée par le philosophe d’Athènes, et que celui-ci a soin d’abîmer au fond de l’Océan, pour qu’on ne la cherchât pas après lui[38]. »

Mais Platon est-il l’inventeur de cette tradition prétendue fabuleuse de l’Atlantide ? N’existait-elle pas avant lui ? Ne voyons-nous pas ses contemporains, Euripide et Théopompe, nous la représenter comme une antique croyance fondée sur les souvenirs et les monuments des peuples ? Tous les auteurs de l’antiquité, le critique Strabon surtout, si peu prodigue de son assentiment aux traditions antiques, tous ces auteurs plus rapprochés que nous des temps anciens, ayant en main des preuves et des témoignages que nous avons perdus, n’ont-ils pas admis cette tradition comme vraie, ou du moins comme grandement vraisemblable ? Ces nombreux défenseurs ne doivent-ils pas l’emporter sur deux ou trois auteurs isolés, quelque grande d’ailleurs que soit leur réputation et leur connaissance de la géographie ancienne, vu qu’en outre ceux-ci n’ont pas examiné profondément cette question, ils l’ont regardée comme bien incidente dans leurs ouvrages, ils n’ont pas discuté les témoignages et se contentent d’émettre leur opinion sans l’appuyer sur presque aucune preuve ? Et d’ailleurs, ils ne laissent pas d’avoir laissé échapper quelques erreurs particulières dans le peu qu’ils ont dit de l’Atlantide. Gosselin avance que les contemporains de Platon ne crurent pas à son récit ; nous venons de voir le contraire : il dit que Platon tantôt donne une étendue immense à son île, tantôt le rétrécit jusqu’à une étendue médiocre ; mais il confond dans le récit de Critias l’Atlantide toute entière et l’île particulière qui renfermait la capitale du pays et le chef-lieu de la confédération des Atlantes. D’Anville regarde comme une fable ce qu’Aristote, Diodore racontent de cette île dont nous avons parlé plus haut, et que les Carthaginois découvrirent et défendirent d’habiter, et Gosselin cependant l’admet et reconnaît l’identité de cette île avec une des îles Canaries.

Le célèbre Cuvier, dans son beau discours sur les révolutions de la surface du globe, regarde aussi comme romanesque la tradition de l’Atlantide ; mais il n’en parle qu’en passant ; il n’entrait pas sans doute dans son plan d’examiner à fond cette question. S’il l’avait examinée, il l’aurait sans doute traitée avec ce génie profond et créateur qui l’a rendu un des plus illustres historiens des secrets de la nature et aurait sans doute été frappé des preuves si nombreuses et si fortes qui ont entraîné notre conviction.

Ce concert d’auteurs grecs et latins à peine infirmé par deux ou trois auteurs modernes, quelque renommés qu’ils soient, ce concert d’auteurs anciens (que serait-ce, si tous étaient parvenus jusqu’à nous ?) ne semble-t-il pas nous indiquer une tradition constante de ce grand évènement, tradition qui, passant d’âge en âge et s’affaiblissent à chaque siècle, a laissé du moins après elle une idée confuse et vague ?

Ainsi, l’existence de l’Atlantide doit être reconnue, et nous ne saurions raisonnablement la reléguer au nombre des îles fabuleuses ; et notre sentiment paraîtra bien plus vrai, quand nous aurons rapporté dans les chapitres suivants les preuves physiques qui nous autorisent puissamment à croire à l’existence ancienne et à la disparition subite d’une vaste étendue de terres entourées par les eaux.


NOTES DU CHAPITRE I

1) On sait qu’Athènes et l’Attique étaient divisées en dix tribus, et chaque citoyen devait être inscrit en l’une de ces dix tribus.

2) Voyez, dans Barthélemy, ce qu’il dit du rapport qui existe entre le nom égyptien Neith, et le nom grec Αθηνη (Réflexions générales sur les rapports des langues égyptienne, phénicienne et grecque. Œuvres complètes, tom. IV, p. 17).

3) Eudoxe l’astronome réduit beaucoup cette chronologie fabuleuse des Égyptiens, en ne voyant dans ces années que de simples mois lunaires. C’était aussi l’opinion d’Eusèbe. Voyez Chronicorum Canonum librum priorem, n° 17.

4) L’Égypte, chez les Anciens, faisait partie de l’Asie.

5) Le texte est un peu obscur en cet endroit. Sans doute, Platon veut parler de cette chaîne d’îles qui occupait alors le lit de la Méditerranée (Voyez chapitre V), et permettait de se rendre facilement en Grèce et en Italie.

6) C’est là sans doute le port dont Platon fait mention dans le Critias, et près duquel étaient construits le temple de Neptune et le chef-lieu de la confédération des Atlantes.

7) N’y aurait-il pas une lacune entre cette phrase et la précédente ?

8) Plusieurs passages de ce dialogue semblent confirmer ce que la géologie moderne nous apprend que, dans les premiers âges du monde, les éruptions de volcans, les tremblements de terre, les convulsions de la nature étaient bien plus fréquentes que maintenant, et venaient bien plus souvent que dans ces derniers siècles effrayer l’Univers.

9) Pourquoi invoquer la Déesse de la mémoire, si le récit que Critias va faire n’est qu’une fiction ?

10) Comme le fragment du Critias qui nous reste va jusqu’à la punition des Atlantes, il ne paraît pas probable que Platon ait l’occasion de nommer ces nations. Peut-être y a-t-il des lacunes dans ce fragment.

11) On doit se rappeler que, chez les Anciens, tous les noms propres, même ceux de peuples, avaient une signification tirée des qualités morales et physiques de ceux qui les portaient, ou de quelque circonstance de leur vie. Voyez les noms grecs et romains, ceux des nations Celtes, et même, maintenant, ceux des peuples sauvages de l’Afrique et de l’Amérique.

12) Ce passage ne nous rappelle-t-il pas le partage de la terre entre les enfants de Noé, et les divisions successives de territoire que l’augmentation des familles dût amener ? Voyez Genèse, chapitre X.

13) Le nom de Gadir nous semble conservé dans celui moderne de la ville de Cadix. Le nom de Gadir se trouve aussi dans la langue phénicienne, preuve du rapport qui devait exister entre cette langue et celle des Atlantes. Plus les langues se rapprochent des temps antiques, plus elles doivent avoir de rapport entre elles, parce qu’elles sont peu éloignées alors de la souche commune. D’ailleurs, les Phéniciens sont une colonie d’Éthiopie.

14) Cette muraille rappelle les longs murs qui unissaient le Pirée à Athènes.

15) Ce serment est sans doute chez Platon une réminiscence du serment des sept chefs thébains, rapporté par Eschyle, et que Boileau a traduit dans ces beaux vers :
« Sur un bouclier noir, sept chefs impitoyables
« Épouvantent les Dieux de serments effroyables :
« Près d’un taureau mourant qu’ils viennent d’égorger,
« Tous, la main dans le sang, jurent de se venger :
« Ils en jurent la Peur, le dieu Mars et Bellone. »
Traité du Sublime, ch. XIII.

16) Réflexions importantes sur le progrès réel ou apparent des sciences et des arts, au xviiie siècle, page 39.

17) « Il n’y a pas plus de raison, dit Baudelot de Dairval, dans sa Dissertation sur l’Atlantide, insérée dans Les Mémoires des Inscriptions et Belles-Lettres, tome V, page 49, il n’y a pas plus de raison de donner un sens allégorique au Critias de Platon, qu’au Menéxénus de ce même auteur. Dans l’un et dans l’autre de ces deux dialogues, le dessein du philosophe est de louer les Athéniens, en faisant l’histoire des guerres qu’ils avaient eues en Orient et en Occident, contre les peuples de l’île Atlantide. Or, puisque personne ne s’est avisé de dire que le Menéxénus fut un dialogue allégorique, pourquoi avancer que le Critias l’est ? Le sujet n’en paraît plus fabuleux, que parce qu’il y est parlé des peuples d’une île qui ne subsiste plus ; mais, n’est-il pas arrivé des déluges et des tempêtes, des évènements très considérables dont la mémoire s’est perdue avec les monuments qui en parlaient ? »

18) Argumentum in Critiam vel Atlanticum.

19) Ep. ad Quintum.

20) Homère : Odyssée, ch. I ; ch. IV, v. 563. Hésiode : Travaux et Jours, v. 110.

21) Théâtre des Grecs, t. VII, p. 68. (Et. de Cussac).

22) Ælien, livre III, ch. 18. Tr. de Dacier, p. 121.

23) Livre II, ch. 90.

24) Livre II.

25) Idem.

26) De mundo non corrupto.

27) Apologétique n° 40.

28) Livre I, Adversus gentes.

29) Livre VI, ch. 8.

30) Livre II, ch. 31, 32.

31) Livre II, ch. 28.

32) Liber de mirabilibus auditis.

33) Livre V, ch. 15.

34) Plutarque, dans son Traité de la Face de la Lune, traité composé à l’exemple des dialogues de Platon, parle de l’île d’Ogygée qu’il place au loin dans les vastes mers, à peu près dans la même position où nous plaçons l’Atlantide. Mais ce qu’il en raconte n’est, ainsi qu’il le dit lui-même, qu’une agréable fiction.

35) Remarquons cette tradition des Anciens qui a placé, dans tous les temps, les plus heureuses des nations dans ces îles fortunées, dans ces Hespérides, restes de cette antique Atlantide, dont les peuples étaient si sagement gouvernés, et jouissaient d’une si grande félicité. Voyez Horace, Epode.

36) Il faut y ajouter Cellarius : Voyez sa Géographie ancienne, tome II.

37) Géogr. ancienne, abrégé, tome III, p. 123.

38) Recherches sur la Géographie des Anciens, tome I, p. 144.


CHAPITRE II - Situation de l’Atlantide

Sur ce sujet, que de systèmes divers ont été enfantés ! Presque tous les auteurs qui, admettant l’existence de l’Atlantide, ont voulu s’occuper de sa situation antique, ont apporté quelque système particulier. C’est un véritable dédale d’opinions diverses et même contradictoires. On peut reprocher en quelque sorte à tous de n’avoir pas assez suivi les vestiges de la tradition et de n’avoir pas donné une attention assez grande aux indices que nous fournissent les écrits de Platon et des autres auteurs de l’antiquité.

Avant d’exposer tous ces systèmes et de les examiner, il me semble convenable de rappeler quelques points tirés du récit de Platon, et sur lesquels notre jugement doit nécessairement s’appuyer. Car c’est d’après la manière dont ces systèmes s’en rapprocheront, ou qu’ils s’en éloigneront, que nous devrons juger du degré de probabilité qu’ils présentent.

Le premier point : c’est que l’Atlantide était située principalement dans la mer appelée de son nom Atlantique et vers les colonnes d’Hercule.

Le second : c’est qu’elle était étendue, comme la Lybie et l’Asie réunies[1].

Le troisième : une partie devait longer la Méditerranée, ses limites s’approcher de l’Égypte et de la Lybie, et être à la portée de la Grèce que ses peuples envahirent.

Le quatrième : elle a dû disparaître, du moins en grande partie.

L’auteur moderne qui s’est le premier occupé de la situation de l’Atlantide, est le suédois Olaüs Rudbeck, qui, dans un ouvrage intitulé : Atlantica vera Japeti posterorum series et patria [2], prétend que la Suède et la Scandinavie sont la région où l’on doit placer l’antique Atlantide. Excité par son patriotisme, frappé de la tradition de l’île Hyperborée qui, suivant lui, ne pouvait être placée que bien reculée vers le nord, il s’est cru autorisé à placer dans sa patrie et l’Atlantide des anciens et l’habitation du peuple primitif qui, se trouvant renfermé dans des limites trop étroites, s’est répandu à grands flots dès les siècles les plus reculés, dans le midi de l’Europe et même dans le nord de l’Afrique, et y a porté ses lois, ses coutumes et ses dieux. Que serait-ce, s’il avait connu l’hypothèse ingénieuse de Whiston, développée par Mairan, du refroidissement successif du globe, hypothèse que les découvertes récentes de la science ont si victorieusement réfutée ? Avec quel empressement il l’aurait appelée à l’appui de son système, pour prouver que sa patrie si froide et si peu fertile, avait pu jouir, dans les temps anciens, de ce soleil brûlant et de cette merveilleuse fécondité dont Diodore de Sicile et la tradition de son temps décorent l’île Hyperborée. Mais ce système que Rudbeck appuie d’une prodigieuse érudition ne peut soutenir un examen et une critique sérieuse. D’abord le pays qu’habitaient les Hyperboréens et que l’antiquité appelait une île, suivant sa coutume d’appeler ainsi les régions qui lui étaient inconnues, ne peut être placé dans la Suède. Les rapports de ces peuples avec les Grecs, les députations qu’ils envoyaient chaque année à l’île de Délos, pour y adorer dans son principal sanctuaire le Dieu auquel ils étaient consacrés, doivent nous les faire placer dans des régions peu éloignées de la Grèce. Aussi, les renseignements les plus sûrs les font habiter les côtes du Pont Euxin et le Palus-Meotides[3]. D’ailleurs, pourquoi chercher au loin dans le nord cette Atlantide qui était placée vers les Colonnes d’Hercule, et qui rapprochée de la Grèce, confinait avec la Lybie et avec l’Égypte ? Et, en outre, la Suède n’a nullement subi la catastrophe qui a fait disparaître l’Atlantide. L’aspect physique du pays le montre évidemment.

Je ne parle pas d’un Allemand nommé Hafer qui, en réfutant Rudbeck vers 1745, prétendait que les marques de l’Atlantide et de l’île Hyperborée ne pouvaient convenir qu’aux provinces septentrionales de l’Allemagne, arrosées par la Baltique, telles que la Pomeranie et le Mecklembourg : il trouve sans doute le sanctuaire des Atlantes dans l’île de Rugen et dans son temple du Dieu Sandewit, divinité si honorée par les peuples septentrionaux.

Citerai-je aussi Grave, écrivain flamand, qui prétend trouver l’Atlantide dans la Hollande ? Qu’il nous suffise de citer le titre de son ouvrage qu’il fit imprimer en 1806. Ce titre seul nous fera voir dans quelles aberrations peut nous entraîner une érudition indigeste et peu intelligente ainsi qu’un faux patriotisme. Le voici : « République des Champs Élysées ou Monde ancien, ouvrage dans lequel on démontre principalement que les Champs Élysées et l’enfer des anciens sont les noms d’une ancienne république d’hommes justes et religieux, située à l’extrémité septentrionale de la Gaule et surtout dans les îles du Bas-Rhin ; que cet enfer a été le premier sanctuaire de l’initiation aux mystères, et qu’Ulysse y a été initié ; que la déesse Cérés est l’emblème de l’Église élysienne ; que l’Élysée est le berceau des arts, des sciences, de la mythologie ; que les Élyséens nommés aussi, sous d’autres rapports, Atlantes, Hyperboréens, Cimmériens, etc., ont civilisé les anciens peuples, y compris les Égyptiens et les Grecs ; que les Dieux de la fable ne sont que les emblèmes des institutions sociales de l’Élysée ; que la voûte céleste est le tableau de ces institutions et de la philosophie des législateurs Atlantes ; que l’aigle céleste est l’emblème des fondateurs de la nation gauloise, que les poètes Homère et Hésiode sont originaires de la Belgique, etc., etc. »

Ne croirait-on pas, en lisant ce long titre d’ouvrage, entendre le père Hardouin renouveler ses doctes rêveries ? Pourrait-on penser que l’auteur d’une opinion si absurde ait pu trouver quelqu’un pour la défendre et la soutenir ? Cependant une pareille thèse a été soutenue vers le même temps par un antiquaire anglais, le docteur Davies, dans ses Recherches celtiques.

Eurénius, compatriote de Rudbeck, dans son Atlantica orientalis, présente un système tout différent. Il prétend trouver l’Atlantide dans la Palestine. Ce système a été suivi par Baër, théologien de Strasbourg. L’un et l’autre appuient particulièrement leur opinion sur les rapports étymologiques qu’ils prétendent exister entre les noms des premiers héros des Atlantes et les noms des enfants de Jacob. Mais ces rapports sont évidemment forcés et arbitraires, et la saine critique les rejette. Ensuite, la Palestine est bien loin d’offrir toutes les qualités que demande le récit de Platon. Jamais Platon n’aurait appelé une île, un pays si rapproché de la Grèce, pays que les Phéniciens, les Tyriens avaient fait connaître depuis longtemps, et dans lequel les Grecs eux-mêmes avaient placé la scène de plusieurs de leurs faits mythologiques[4]. Son étendue si resserrée ne peut correspondre à l’étendue immense que donne Platon à l’Atlantide : sa situation si éloignée du lieu que toute l’antiquité a appelé les colonnes d’Hercule[5], doit encore nous empêcher d’y reconnaître notre île mystérieuse. Il est vrai que la Palestine a été tourmentée par des tremblements de terre et des feux souterrains qui ont formé la mer Morte, ont arrêté le cours du Jourdain et l’ont empêché de se jeter dans la mer Rouge, vers le golfe d’Akabah qui était peut-être son ancienne embouchure ; mais ces révolutions se sont opérées dans un espace bien circonscrit, et on ne peut dire qu’elles aient fait disparaître la Palestine, puisque les Hébreux l’ont retrouvée sous Josué, dans le même état physique que lorsque leurs pères l’avaient abandonnée[6].

À la fin du dernier siècle, le savant Bailly, auteur célèbre de l’Histoire de l’Astronomie, mais esprit moins juste, qu’écrivain habile et ingénieux, a traité avec un talent remarquable, dans ses Lettres sur l’Atlantide, la grande question, qui nous occupe. Embrassant le sentiment de Rudbeck en partie, se fortifiant de l’opinion de Whiston, dont nous avons parlé plus haut, il place dans le nord la patrie de nos Atlantes et la fixe sur le plateau de la Tartane. Je ne m’arrêterai pas à répéter les raisonnements spécieux, par lesquels il essaie d’autoriser sa brillante théorie. Mais il est étonnant que, prenant le récit de Platon pour base de son système, il ne le suive presque en aucun point. D’abord, il trouve dans tous les endroits du monde les colonnes d’Hercule, au mépris de l’antiquité qui les a constamment fixées vers la Bétique [7]. Ensuite, il place au loin, au nord de l’Asie, un pays que la tradition nous dépeint longeant la Méditerranée et rapproché de l’Égypte et de la Grèce. Embarrassé d’expliquer la catastrophe qui a fait disparaître l’Atlantide, il trouve plus facile pour lui de ne pas l’admettre et de la regarder comme une fiction.

M. Latreille, dans un Mémoire lu à l’Académie des Sciences, le 5 juillet 1819, se rapproche du sentiment de Bailly et pense que l’Atlantide occupait la place de la Perse actuelle qui jadis, suivant lui, dut former une île, alors que la mer Caspienne, l’Aral occupaient une plus grande étendue. Mais ce système, pas plus solide que les systèmes précédents, doit être rejeté d’après les mêmes principes qui nous ont guidé pour rejeter les autres. D’ailleurs, nous allons expliquer bientôt la véritable cause de la diminution de la mer Caspienne et du dessèchement des terres environnantes.

Abandonnant les auteurs qui ont placé l’Atlantide au nord et à l’orient, voyons ceux qui, se rapprochant davantage de la vérité, l’ont placée à l’occident et au midi.

Fabre d’Olivet croit que l’Amérique est l’Atlantide des anciens ; mais il prétend qu’elle était autrefois figurée autrement, et apporte pour raison, des changements chimériques du pôle Boréal et du pôle Austral. Mais ce système présente si peu de probabilités et est si peu en rapport avec la tradition, qu’il ne mérite pas la peine d’être réfuté.

Oviedo place aussi l’Atlantide en Amérique, vers l’embouchure de Maragnon, ou rivière des Amazones. Mac-Culloch la retrouve de même en Amérique dans l’emplacement des Antilles. Nous n’avons qu’à comparer ces deux systèmes avec le récit de Platon pour les trouver inadmissibles. Comment à une si grande distance, les Atlantes auraient-ils pu attaquer la Grèce et l’Asie [8] ?

Kircher [9] et Tournefort [10] sont les premiers qui aient soupçonné que l’Atlantide aurait pu exister dans ce vaste espace qui sépare l’Afrique et l’Europe de l’Amérique.

Le géographe Engel, dans son Essai sur cette question : Quand et comment l’Amérique a été peuplée d’hommes et d’animaux, embrasse le même sentiment qui a été suivi par un grand nombre d’auteurs, parmi lesquels nous devons remarquer De Brosses [11], Carli [12], Mentelle [13], Buache [14], Golberry [15], Ledru [16], et en dernier lieu Rienzi [17] et Bory de St-Vincent qui, dans son Essai sur les îles Fortunées, a donné un grand degré de probabilité à cette opinion qu’appuient et fortifient de nombreuses preuves physiques [18]. Ce système parait se concilier assez bien avec la tradition et le récit de Platon ; mais il est un point sur lequel il présente une difficulté bien grande et presque insurmontable. Comment éloignée de l’Égypte, de toute la longueur de la Méditerranée, comme le serait l’Atlantide, l’antiquité aurait-elle pu dire qu’elle y confinait ? Et comment à une si grande distance, les Atlantes auraient-ils pu attaquer la Grèce et l’Égypte et devenir pour ces pays des adversaires si redoutables ?

Vient ensuite l’opinion de Delisle de Sales qui, dans son Histoire philosophique du Monde primitif, place l’Atlantide dans la bassin même de la Méditerranée qu’il pense, avant la rupture du Bosphore, avoir été moins étendue qu’elle ne l’est maintenant, et avoir été occupée en grande partie par une île immense dont les débris sont la Corse, la Sardaigne et les îles environnantes. « Mais cette position, dit le célèbre voyageur Badia, où autrement Aly-Bey, beau-père de Delisle de Sales, ne répond pas aux données que tenons des prêtres de Saïs, puisque l’Atlantide ne serait plus sur les bords de la mer Atlantique, si on la plaçait, comme il le fait, au milieu de la Méditerranée, qui jamais n’a porté le nom d’Atlantique, ni vis-à-vis l’embouchure que les Grecs appellent dans leur langue les colonnes d’Hercule, c’est-à-dire le détroit de Gibraltar, d’où, selon l’auteur cité, elle aurait été éloignée de près de deux cents lieues. Dans cette hypothèse, aucune ligne droite tirée de l’île n’eut aboutie au détroit, sans passer par des terres intermédiaires, à cause de la projection des côtes de cette mer ; d’ailleurs le petit espace où il place cette île ne pouvait contenir un territoire aussi étendu que la Lybie et l’Asie ensemble, quelque soit la réduction que l’on fasse subir aux pays connus alors sous ces noms, et encore moins un territoire sur lequel régnaient plusieurs rois célèbres par leur puissance, qui étendaient leur empire sur de grands pays adjacents et qui étaient fiers de tant de forces[19]. »

Il nous reste maintenant à examiner le système de ce dernier. Il pense que l’ancienne Atlantide était formée par la chaîne du mont Atlas[20]. Ce système paraît offrir encore plus de probabilités que celui de Tournefort et une conformité plus grande aux traditions de l’antiquité. Je vois par là une île ou presqu’île dans l’Atlantide, surtout en admettant la supposition de l’auteur que le Sahara formait une mer qui entourait l’Atlas vers l’orient et le midi et se joignait peut-être à l’Océan vers le cap Nun. Je vois ces côtes occidentales baignées par une autre mer qui, de la montagne d’Atlas et de l’île qu’elle bornait, a pris le nom d’Atlantique. Je vois son étendue répondre à peu près à celle que lui donne Platon. Je la vois longer la Méditerranée, ses limites se rapprocher beaucoup de la Libye, et donner à ses habitants la facilité d’attaquer l’Égypte et la Grèce. Mais là, cessent les rapports avec les traditions antiques. Je ne vois pas l’Atlantide placée par rapport à la Grèce vers les colonnes d’Hercule qu’elle ne touchait que par sa partie la plus éloignée, et je n’y vois pas les vestiges de cette catastrophe qui a dû la faire disparaître en grande partie. Car ce que dit Aly-Bey[21] des terres submergées dans l’espace formé par les deux Syrtes, quoique vrai, ne peut avoir pour cause les tremblements de terre, ni les feux souterrains, puisqu’aucun indice volcanique ne se trouve dans ces parages. On doit attribuer uniquement la submersion de cette partie de la côte, à la rupture du Bosphore, dont nous parlerons bientôt, rupture qui, remplissant la Méditerranée des eaux de l’Asie centrale qu’elle a laissé écouler, força cette mer à élever ses flots et à submerger au loin ses rivages.

Voilà donc exposés tous les différents systèmes qu’a enfantés cette grande question de l’Atlantide, leur plus ou moins grand degré de probabilité, et les différentes contradictions qu’ils présentent avec les traditions de l’antiquité.

Mais ne pourrait-il pas se trouver une opinion qui, par une heureuse alliance, à l’explication des traditions antiques, réunirait les preuves physiques que fournit la nature ? On a déjà vu les probabilités nombreuses que présentent les deux systèmes de Tournefort et d’Aly-Bey ; mais chacun d’eux s’offre à nous avec de sérieuses difficultés, et ne peut expliquer d’une manière satisfaisante la tradition des premiers temps. Mais réunissons ces deux systèmes, et ces difficultés disparaîtront, et l’histoire de l’antiquité s’expliquera, et les problèmes que présente au savant et au géologue l’aspect physique de la terre et des mers ne resteront pas sans solution.

Ainsi, l’Atlantide, suivant nous, était composée de la chaîne de l’Atlas, de l’Espagne en tout ou en partie[22] et d’une terre immense qui remplissait l’espace circonscrit entre les îles du Cap-Vert, les Canaries, Madère, et peut-être même aussi les Açores. Cette île ou presqu’île, ou plutôt ce vaste continent devait avoir à peu près 4,800 milles géographiques de long du nord-ouest au sud-est et 1,500 de largeur.

Examinons les raisons qui nous font donner à l’Atlantide une telle position et une étendue si vaste. Les preuves et les documents seront si nombreux que nous n’aurons en quelque sorte qu’à choisir.

D’abord, il convient de comprendre le mont Atlas dans l’Atlantide, soit qu’il lui ait donné son nom, soit qu’il l’ait reçu d’elle, soit que l’un et l’autre l’ait reçu, ce qui est bien plus probable, d’un des premiers rois, un des premiers chefs du pays. Il est hors de doute qu’il y était compris et même que sa chaîne a été la première partie habitée de cette région, puisque c’est là que paraissent avoir vécu les premiers Atlantes. Sa proximité de l’Égypte et de la Grèce en est encore une nouvelle preuve. Il est étonnant que cette considération si simple n’ait pas frappé les auteurs qui se sont occupés de la situation de l’Atlantide, et que tous, à part Aly-Bey, aient cherché loin de l’Atlas un pays qui avait avec lui un rapport de nom si frappant. Si les détails que donne Platon sur la nature du terrain et les productions de l’Atlantide ne sont pas un jeu de sa brillante imagination, ils semblent convenir parfaitement à cette côte septentrionale de l’Afrique.

Il convient ensuite d’étendre l’Atlantide dans cet espace immense que circonscrivent les Açores, les Canaries et le Cap-Vert. Par là sont justifiées les traditions que l’antiquité nous a laissées sur son étendue et sur sa situation[23]. Et d’ailleurs que de preuves physiques, que de témoignages nombreux de savants et de voyageurs se réunissent pour nous faire voir, dans ce vaste espace dont nous parlons, les débris d’un immense continent, détruit par quelque convulsion violente de la nature, convulsion dans laquelle l’eau et le feu ont employé leur pouvoir dévastateur ! Quel aspect nous présentent ces îles diverses ! Des montagnes dont la hauteur prodigieuse est hors de proportion avec l’étendue de ces îles, un terrain volcanisé, bouleversé par des tremblements de terre, souvent soulevé par des feux souterrains, sillonné par de longues et effrayantes anfractuosités, présentant des couches de lave amoncelées. De loin en loin, on voit encore fumer des volcans en action, dont les éruptions assez fréquentes portent partout sur ces rivages la terreur et l’effroi. Mais ce terrain n’est pas partout volcanique : on trouve dans presque toutes les îles des débris de roches primitives, le granit, la siénite, et autres indices frappants d’un terrain primitif.

Voilà l’aspect général que présentent les Açores, les Canaries et le Cap-Vert. Toutes les relations des voyageurs, tous les rapports des géologues sont unanimes à nous les représenter sous cet aspect.

Le groupe des Açores en particulier qui devait former l’extrémité de notre Atlantide offre les débris d’une terre violemment bouleversée et abîmée en grande partie. Un foyer volcanique y a exercé les plus grands ravages : des cratères de soulèvement y surgissent de toutes parts : quelques-uns sont encore en activité et vomissent encore de temps en temps la lave et le feu : des volcans sous-marins y font surgir et disparaître tour-à-tour des îles et des terres nouvelles[24]. Partout on foule aux pieds dans ces îles la trachite et la pierre ponce. Cependant les îles les plus éloignées du centre et du foyer présentent le terrain primitif. Le schiste constitue l’île de Ste-Marie et le marbre abonde dans la petite île de Corvo, à l’extrémité opposée du groupe. Remarquons aussi la montagne volcanique du Pic, dans l’île du même nom, dont la hauteur prodigieuse de 2363 mètres, semble avoir dû appartenir primitivement à des terres bien plus étendues.

Même aspect quant aux Canaries et à Madère. Madère et sa voisine Porto-Santo, avec leurs volcans éteints, leurs masses de lave antique et de basalte, ont présenté à Bowdich, qui a étudié avec soin leur constitution physique, des indices nombreux de terrain primitif. « Madère, dit-il, en se résumant, et Porto-Santo, par leur voisinage des Canaries, permettent de croire qu’elles appartiennent à la même formation, et nous en pouvons déjà inférer, avant même de nous livrer à aucun examen, qu’elles n’ont pu être créées par un volcan sous-marin. Il est d’abord irrécusable que les masses de basalte ne formaient pas dans l’origine une roche d’une autre nature, que la chaleur aurait dilatée dans la place qu’elle occupait, et qui se serait pénétrée de vapeur pour former la roche actuelle ; tout semble prouver, au contraire, que ces masses se sont élevées liquides et qu’elles se sont écoulées de la bouche d’un cratère. En second lieu, si l’île de Madère avait été entièrement créée par un volcan marin, sa base, je dirai même, toute sa masse devrait, à en juger par l’analogie, être composée de pierre ponce et de houille ; or, ces deux substances se trouvent en quantité extrêmement petite et en couches alternantes avec le basalte et le tuf. La découverte de la vaste couche de calcaire de transition située au dessous du basalte et descendant à une profondeur de sept cents pieds, jusqu’au point où le niveau de la mer ne permet plus de la poursuivre confirme notre opinion et semble démontrer que Madère a d’abord existé à l’état de roches de transition, qui ont été déchirées ensuite par un volcan marin, dont les éruptions successives de basalte et de tuf ont recouvert l’île et en ont accru l’élévation[25] »

Les Canaries offrent des traces encore plus fréquentes de terrain primitif, malgré leurs volcans nombreux et les débris ignés dont leurs éruptions ont couvert la surface de ces îles. « Nous y avons retrouvé, dit Bory de Saint-Vincent, des débris de roches primitives, des granits parfaitement conservés, ou qui, pour avoir éprouvé un feu violent, n’en existaient pas moins avant les incendies souterrains » des lits de sable ferrugineux qui n’ont éprouvé aucune altération, des couches d’argile qui ont conservé leur disposition et tous leurs caractères, enfin des amas de corps fossiles où l’on distingue des productions marines et des empreintes de végétaux[26]. » Même Léopold de Buch, qui prétend que ces îles sont le produit de volcans sous-marins dont les efforts les ont fait surgir au dessus des eaux, est forcé de reconnaître la roche primitive dans l’île de Palma. Escolar a trouvé la siénite à Fortaventura, et Broussonnet la siénite et le schiste micacé dans l’Ile de Gomère [27]. Enfin, l’illustre voyageur de Humboldt, qui a séjourné dans ces îles, à son passage en Amérique, les reconnaît comme le reste d’une chaîne de montagnes déchirées et submergées dans la mer par une des grandes convulsions du globe, et il pense contradictoirement à Léopold de Buch que nous avons cité plus haut, que les Canaries n’ont pas plus été créées par des volcans, que l’ensemble des petites Antilles n’a été formé par des madrépores[28]. Remarquons encore, dans l’Île de Tenériffe, le Pic de Teyde qui, ainsi que celui des Açores, semble par sa hauteur avoir eu primitivement pour base une terre bien plus étendue que la sphère assez circonscrite de cette île.

Quant au groupe des îles du Cap-Vert, il a été moins étudié que les autres ; mais ce qu’on en sait présente tant d’analogie avec le reste, qu’on peut hardiment lui attribuer la même constitution physique et la même formation[29]. On y voit un pic, ancien volcan, dont les éruptions ont cessé depuis tout au plus un siècle, et dont la hauteur prodigieuse effraie les navigateurs et est hors de proportion avec la petite étendue de l’île qu’il renferme. On y voit aussi des masses de basalte et de tuf, qui, nombreuses autour du foyer principal, deviennent plus rares dans les îles éloignées de Buenavista, St-Nicolas, St-Vincent, St-Antoine, que Léopold de Buch lui-même croit composées de roches autres que le basalte.

Voilà l’aspect que présentent ces îles : voilà l’idée qu’en ont eu les savants et les voyageurs les plus accrédités. Maintenant parcourons les mers qui les entourent et qui les séparent du continent, et examinons si ces mers ne nous présenteront pas encore quelque indice d’une terre submergée.

Entre les Açores et les Canaries, existent des bas-fonds et des vigies assez nombreuses que mentionnent Frézier[30] et Fleurieu[31] qui ont exploré ces parages. Des couches de varec se montrent en abondance entre le vingt-troisième et le trente-troisième parallèles, et l’on sait fort bien que cette plante marine ne peut croître et s’élever au dessus des eaux, que dans une mer peu profonde. Du côté des Açores, à trente lieues au loin de Madère et de Porto-Santo, sont des vigies et des roches sous l’eau. Entre Madère et les Canaries, se voient sur une même ligne les Îles Désertes, l’Île Sauvage et sa chaîne de rochers qui semble lier ces deux groupes et en faire un seul et même système ; et entre les Canaries et les îles du Cap-Vert, les eaux de l’Océan disparaissent sous une couche épaisse et merveilleuse de varec et de goëmon qui, s’étendant au loin et remplissant presque tout l’espace entre les deux Archipels, couvre une superficie immense de soixante mille lieues carrées.

Cette partie de l’Océan présentait déjà le même aspect dès les temps les plus reculés. Aristote[32] en fait mention, et le Périple de Sylax[33] s’exprime ainsi : « La mer au-delà de Cerné (la petite île Fédal sur la côte du Maroc), n’est plus navigable à cause de son peu de profondeur, des marécages et des varecs. » Si l’autorité de Sylax méritait une entière confiance, ce que je n’oserais assurer, ne pourrait-on pas induire de ce passage que les débris de l’Atlantide, plus nombreux alors que maintenant, et s’élevant presque à la surface de la mer, devaient procurer ces bas-fonds, ces eaux vaseuses, et ces plantes dont parle le Périple, mais que la suite des siècles, les commotions violentes et volcaniques dont ces mers ont été si souvent le théâtre, les courants dont la force est si grande dans ces parages, ont emporté ces débris pièce à pièce et ont donné peu à peu à la mer cette profondeur qu’on y trouve maintenant ? Par là, serait confirmée la vérité de la fin du récit de Platon dans le Timée, qui nous représente les débris de l’Atlantide formant un limon qui empêche les vaisseaux de naviguer.

Entre les Canaries et la côte de Maroc, la mer est si peu profonde que Vieyra qui, né à Ténériffe et y ayant passé la plus grande partie de sa vie, avait pu observer plus longtemps et mieux que tout autre la nature physique de ces îles et l’état des mers qui les entourent, assure qu’elles devaient être jointes autrefois à la côte de Maroc, et qu’une convulsion violente de la nature a pu seule les en séparer[34]. M. de Humboldt embrasserait volontiers ce sentiment ; mais il voudrait pour plus de certitude qu’on explorât les montagnes voisines de Maroc, et qu’on trouvât de l’homogénéité de terrain entre les deux chaînes[35]. D’ailleurs, les voyageurs et les marins qui ont exploré la côte d’Afrique depuis le cap Spartel jusqu’au cap Blanc, y ont remarqué des déchirements multipliés, des monts latéraux séparés par des gorges très ouvertes et paraissant divisés par l’action d’un violent effort[36].

Tels sont les preuves et les documents nombreux qui fortifient notre opinion et qui lui donnent ce degré de probabilité qui sollicite avec force l’assentiment de tout lecteur attentif et exempt de prévention. Ajoutons que, plaçant l’Atlantide dans la partie où nous la plaçons, elle se trouve précisément sous ce beau ciel, dans ce climat heureux, dans cette terre fertile que lui attribuent Platon et les traditions des premiers siècles, et sous la même zone, où, dans des temps postérieurs, les anciens ont trouvé ces îles qu’ils ont revêtues de traits si enchanteurs et auxquelles ils ont donné le doux nom de Fortunées.


NOTES DU CHAPITRE II

1) Remarquons que les Grecs, surtout au temps de Platon, ne connaissaient guère l’Asie que jusqu’à l’Euphrate. Alexandre et ses conquêtes n’avaient pas encore reculé jusqu’à l’Indus les bornes de cette partie du monde.

2) Ou plutôt : lAtlantica sive Manheim, vera Japheti posterorum series e patria. Upsalia, 1675 et 1689.

3) Mentelle : Dict. de Géog. ancienne. — Gedoyn : Mémoires des Inscriptions et Belles-Lettres, Liv. VII. Banier : idem.

4) Telle que l’histoire d’Andromède, à Joppé, et celle d’Adonis.

5) Baër trouve les colonnes d’Hercule dans le temple de Tyr ; il dit, d’après Hérodote (livre I), que la statue de ce dieu était accompagnée de deux colonnes, l’une, consacrée au feu, l’autre, aux nuées et aux vents. Mais cet usage n’était pas particulier aux temples d’Hercule. Presque tous les temples élevés dans, les premiers siècles avaient ces deux colonnes à leur vestibule. Qu’on se rappelle les deux colonnes, Jachin et Booz, du temple de Salomon (Rois, liv. III, ch. 7), et les deux obélisques qui décoraient d’ordinaire l’entrée des plus anciens temples égyptiens.

6) Les Hébreux ont retrouvé dans la Palestine la grotte de Mambré le lieu de l’échelle de Jacob, et le mont Moria.

7) Lettre XV, p, 109.

8) Mundus subterraneus, lib. II, ch. 13.

9) Voyage au Levant, lettre 14.

10) Hist. de la Rép. Romaine, liv. IV, p. 400.

11) Lettres sur l’Amérique.

12) Dict. de Géog. ancienne.

13) Dissertation sur l’Isle Antilla.

14) Fragments d’un voyage en Afrique, t. I.

15) Voyage à Teneriffe et à Porto Rico, t. I, p. 205.

16) Encyclopédie du XIXe siècle.

17) Ortelius, Baudrand, Sanson sont du même sentiment, et placent de même en Amérique notre île Atlantide.

18) Ajoutons-y Baumann : Historia Orientalis, ch. 5 ; Historia Insularum, ch. 5 ; Buffon : Théorie de la terre, tome III ; Bruzen de la Martinière qui, dans son Dictionnaire, a un article remarquable sur l’Atlantide et les Espagnols Espinosa : Historia de las appariciones de la Candeloria ; Clavijo : Noticias de la Historia general de las islas Canarias.

19) Voyages, t. I, p. 374.

20) Voyages, t.1, ch. 19.

21) Voyages, t.1, ch. 19.

22) Les raisons qui nous font admettre l’Espagne, en tout ou en partie dans l’Atlantide, sont : 1° Son union avec l’Afrique, avant la rupture des Colonnes d’Hercule ; 2° Le texte du Critias de Platon, qui nous montre Gadir, frère d’Atlas, ayant pour part de son héritage l’extrémité de l’Atlantide, à laquelle il donne son nom de Gadir, nom que l’Antiquité a toujours regarde comme le nom primitif de Cadix, et de la région depuis appelée Bétique ; 3° La tradition des temps anciens qui nous parle de l’expédition d’Osiris en Égypte, et de celle de l’Hercule Lybien, expéditions certainement fabuleuses, mais fondées sur un souvenir obscur des Atlantes, et nous rappelant la conquête qu’ils firent de ce pays, ainsi que de l’Afrique septentrionale, à leur sortie de l’Éthiopie, qui pouvait si facilement être confondue avec l’Égypte ; 4° Ces mêmes traditions qui citent un Atlas souverain en Espagne, et y fondant une dynastie, un Lybien nommé Testa, régnant dans le même pays (Voyez Mariana, liv. I, chap. 10 et 11). Il est difficile de désigner jusqu’où s’étendaient les limites de la puissance des Atlantes en Espagne. Peut-être se sont-ils avancés successivement, par les conquêtes, jusqu’aux Pyrénées ? Peut-être se sont-ils arrêtés sur les bords de l’Ebre. Il est à remarquer que le nom de ce fleuve qui a servi à nommer le pays tout entier (Ibérie), signifie dans le langage primitif borne ou limite (Histoire Universelle, tom. XIII, p. 185).

23) Pline parle d’une île appelée de son temps Atlantide, située vis-à-vis l’Atlas, et qui avait sans doute conservé le nom de la grande terre dont elle faisait partie. Ce devait être une des Canaries (Livre VI, ch. 31).

C’est sans doute de notre ancienne Atlantide, qui en occupait une grande partie, que la mer Atlantique a reçu son nom, qu’elle porte depuis l’antiquité la plus reculée, et non du mont Atlas, qui ne la borde que dans une faible étendue de côtes et à son extrémité occidentale. C’est l’opinion de Citri, traducteur de Zarate, auteur espagnol d’une histoire de la découverte et de la conquête du Pérou, et nous l’admettons volontiers (Voy. tom. I, Discours préliminaire).

24) Léopold de Buch : Description des Canaries, p. 357 et s.

25) Excursions dans les îles de Madère et de Porto-Santo, p. 107.

26) Essai sur les îles Fortunées, ch. VII, p. 431.

27) V. Humboldt, Relation historique : supplément.

28) Idem. Rel. Hist., t.1, ch. 2.

29) Léopold de Buch : Description physique des Canaries, p. 370.

30) Frézier : Relation du Voyage de la Mer du Sud, p. 289.

31) Fleurieu : Voyage fait par ordre du Roi, t. I, p. 606.

32) De Mirabilibus, p. 1157.

33) Ed. de Gronovius, p. 126.

34) Cité par Bory de Saint-Vincent : Essai sur les Îles Fortunées.

35) Golberry : Fragments d’un Voyage en Afrique, t. I, ch. 2. Bory de Saint-Vincent, p. 440.

36) Il paraît que la chaîne de l’Atlas se continuait dans la partie qui a été submergée. Le cap Ghir, l’ancien promontoire d’Hercule, qui fait l’extrémité de l’Atlas, est en rapport avec les Canaries qui ont la même inclinaison sud-ouest. Solin dit que l’Atlas avait un faîte couvert de neige et que des flammes sortaient de ses flancs (ch. 37). Ce qui semble convenir parfaitement au Pic de Teyde qui est toujours couvert de neige, et qui, en outre, est un ancien volcan dont les éruptions n’ont cessé qu’à une époque bien rapprochée (1798).


CHAPITRE III - Histoire des Atlantes

L’histoire d’un peuple qui a disparu dès les temps nommés héroïques, doit être nécessairement bien obscure et enveloppée de ténèbres épaisses. L’antiquité nous fournit, en effet, des documents bien peu nombreux, et encore sont-ils mêlés de ces fables et de ces fictions qui accompagnent d’ordinaire les traditions des premiers temps[1]. Cependant, du milieu de ces nuages que la succession des siècles a accumulés, tâchons de saisir quelques lueurs qui puissent nous diriger et nous faire entrevoir ce qu’il y a de vrai dans l’histoire des Atlantes.

Il paraît que l’Atlantide a été primitivement peuplée, dès les siècles les plus reculés, par le même peuple que l’Égypte, dont elle était si voisine, c’est-à-dire par les habitants de la haute région du Nil, ou autrement les Éthiopiens[2]. En s’avançant dans la région inférieure du fleuve, ils y portèrent leurs arts et leur civilisation, et fondèrent la célèbre Thèbes aux cent portes. Les Égyptiens durent d’abord leurs arts et le principe de leur civilisation aux Éthiopiens ; mais, dans la suite, les Éthiopiens étant tombés dans une espèce d’affaiblissement et de barbarie, furent civilisés de nouveau au temps de la conquête qu’en firent les Égyptiens, qui leur rendirent leurs coutumes et leurs arts portés à un haut degré de perfection [3].

Les émigrations des Éthiopiens ne se bornèrent pas, sans doute, à l’Égypte : ils se répandirent aussi vers l’Ouest et occupèrent la chaîne de l’Atlas qu’ils suivirent jusqu’à l’Océan. Ils portèrent dans cette vaste contrée la même civilisation, les mêmes arts qu’ils avaient apportés au bord du Nil. Cette opinion que nous émettons ici n’est pas, certes, dénuée de fondement ; des preuves assez fortes viennent l’appuyer. Nous les ferons connaître, quand nous parlerons de la langue et des usages. Nous dirons ici seulement que le nom d’Éthiopie n’aurait pas été donné à toute la côte septentrionale d’Afrique, si les Éthiopiens ne l’avaient pas occupée. En outre, Diodore de Sicile, faisant mention d’une île qu’il nomme Hespérie, et qui, d’après la position qu’il lui donne, ne peut être que l’Atlantide, l’a dit habitée par des Éthiopiens[4].

Il paraît qu’un des chefs de ces émigrations s’appelait Ποσειδων, le Neptune des Grecs[5] ; il divisa sa conquête avec plusieurs autres chefs qui étaient peut-être ses enfants. C’est, du moins, ce que marque Platon dans son Critias, et l’Atlantide fut partagée en dix parties ou dix états particuliers. Ces états étaient réunis dans une espèce de confédération, semblable à celles des Amphictyons de la Grèce et des douze tribus d’Israël, et encore aux confédérations qui unissaient autrefois entre elles les nations de la Gaule et les peuples Scandinaves. Cette espèce de gouvernement fédéral était plus commun qu’on ne pense chez les peuples de l’antiquité. Mais de tous ces états, le plus important fut toujours celui gouverné par Allas, le plus célèbre des fils de Neptune et par ses descendants. Ils donnèrent apparemment leur nom à la montagne principale du pays, nom qui, de là, passa à la contrée tout entière[6]. La capitale même des descendants d’Atlas devint le chef-lieu de toute la confédération[7].

Je ne répéterai pas ce que Platon nous marque dans les deux dialogues que nous avons vus plus haut, de la splendeur de la ville capitale, de la magnificence du principal temple, de la fertilité du paya, de la richesse des habitants, de la puissance des rois et des cérémonies extraordinaires qui accompagnaient leurs réunions et leurs conférences dans la capitale générale de la contrée. Ces détails, quelque fabuleux qu’ils paraissent au premier abord, ne sont point invraisemblables. Nous avons indiqué l’antique civilisation de l’Éthiopie, dont Diodore rend témoignage. C’est à peu près au temps que l’Atlantide florissait que fut bâtie Thèbes, cette célèbre métropole de la haute Égypte, et qu’elle fut embellie d’une partie du moins de ces temples, de ces édifices superbes que tant de siècles ont admirés, et qui servent de monuments éternels pour constater d’une manière éclatante la civilisation déjà si avancée de ces temps si reculés[8].

Diodore nous donne quelques détails sur les Atlantes, mais il est difficile chez lui de distinguer le fabuleux du vrai, puisqu’il admet indistinctement toutes les traditions. Il vante la fertilité du pays qu’ils occupaient près de la mer, il fait l’éloge de leur piété pour les dieux et de l’hospitalité qu’ils exerçaient envers les étrangers, il rapporte leurs prétentions d’avoir vu prendre naissance chez eux, à tous les Dieux, même à ceux de la Grèce, leur ennemie. Leur premier roi, suivant lui, fut Uranus, sans doute le même que Platon nomme Ποσειδων ou Neptune : il nous le dépeint civilisant les peuples, leur apprenant des inventions utiles, savant dans l’astronomie[9] et étendant sa puissance, surtout dans l’occident et dans le septentrion ; ce qui est conforme à l’idée que nous nous faisons de l’étendue et de la situation de l’Atlantide : il nous parle de sa femme Titée, mère des Titans, de son fils Atlas, qui donna son nom à ces peuples et à la plus haute montagne du pays : il rapporte ensuite d’autres traditions peu importantes dont l’histoire ne peut tirer parti.

Les Atlantes, après de longues années de paix et d’une sage tranquillité[10], devenus remuants et belliqueux, eurent plusieurs guerres à soutenir contre leurs voisins dont ils cherchèrent à envahir les frontières. L’histoire d’Égypte nous apprend que du temps de Nechérophis, premier roi de la troisième dynastie, les Atlantes sous le nom de Lybiens, oublieux de leur origine commune avec les Égyptiens, les attaquèrent mais sans succès. Dans les monuments de l’Égypte et de la Nubie, les Atlantes, sous le nom de peuples de Phot, sont représentés comme une des nations les plus hostiles à l’Égypte, et comme ses ennemis les plus acharnés[11].

Les Amazones, nation dont on ne peut méconnaître l’existence, malgré sa bizarre organisation, se trouvaient dans le voisinage des Atlantes : elles leur déclarèrent la guerre, et, sous la conduite de leur reine Myrène, les vainquirent en bataille rangée, s’emparèrent de Cercène[12], une de leurs principales villes, et la saccagèrent, passant tous les hommes au fil de l’épée et réduisant en servitude les femmes et les enfants[13]. Les Atlantes effrayés se soumirent et se rendirent tributaires des Amazones qui les secoururent dans une guerre qu’ils eurent à soutenir contre les Gorgones ou Gorilles, nation dont Diodore fait un autre peuple de femmes, mais que Gosselin reconnaît pour habitants de quelques îles de l’Atlantique.

On ignore l’époque à laquelle les Atlantes secouèrent ce joug également dur et honteux. Mais ils se relevèrent, sans doute, bientôt de cette humiliation ; car on les voit peu après envahir les îles de la Méditerranée, la Sardaigne, la Corse, la Sicile, Malte, y établir des colonies, y élever des monuments qui subsistent encore, et qui témoignent encore hautement de leur civilisation et de leur puissance. Tels sont les Nuraghes de la Sardaigne, ces constructions cyclopéennes que Petit-Radel attribue à tort aux Grecs, et que l’on doit plutôt attribuer aux Atlantes qui, sortis de la haute région du Nil, avaient appris de leurs ancêtres à élaborer ces masses colossales qu’ils transformaient en temples et en statues de leurs Dieux. Et en outre, Pausanias[14] ne nous dit-il pas que ce sont les Libyens, autrement Atlantes qui, sous la conduite de Sardus, ont les premiers colonisé cette île. Tels sont encore les monuments de Malte, et surtout ceux de Gozo, constructions cyclopéennes comme celles de la Sardaigne, et qui doivent être attribuées au même peuple. L’état de la Méditerranée, dans ce temps-là, bien moins grande et moins profonde qu’avant l’irruption du Bosphore, dût leur favoriser ces conquêtes.

L’ambition des princes de l’Atlantide s’accrut de plus en plus, nous dit Platon, et devint à la fin si grande qu’ils voulurent envahir tout ensemble l’Europe et l’Asie, c’est-à-dire l’Égypte qui en faisait partie. L’antiquité nous a laissé peu de détails sur cette invasion, à part la circonstance de la belle résistance des Grecs qui, confédérés comme les Atlantes, ayant à leur tête les chefs particuliers des Athéniens, repoussèrent ces agresseurs injustes, après dix ans d’une guerre acharnée et sanglante[15] et les forcèrent à rentrer dans leurs limites. Zeus (Ζευς), et une princesse guerrière nommée Athéné (Αθηνη)[16], commandaient les Athéniens dans cette guerre si juste, dans cette héroïque défense de leur patrie, et ceux-ci portèrent leur reconnaissance et leur admiration envers leurs libérateurs jusqu’à leur rendre les honneurs divins. Tous les Grecs délivrés également par l’habileté et le courage de ces deux chefs, imitèrent les Athéniens, et considérèrent comme des Divinités ceux qui les avaient préservés de l’esclavage[17]. Ainsi la reconnaissance, non moins que la crainte, a contribué à peupler l’Olympe des Grecs et des Barbares. Ne serait-ce pas la défense des Athéniens contre les Atlantes qui serait l’origine de la fable du différend entre Minerve (Athéné) et Neptune (Poséïdon), de qui les Atlantes descendaient et qu’ils reconnaissaient comme leur père.

Eusèbe rapporte la tradition des Atlantes qui parlent de Jupiter (Zeus) comme d’un chef des Grecs, et racontent de lui des traits odieux inventés, sans doute, ou du moins exagérés par le ressentiment ou l’esprit de vengeance d’un peuple vaincu[18].

Ce fut peu de temps après cette invasion infructueuse, conduite par un chef nommé Uranus[19], qu’arriva la catastrophe fatale qui détruisit cette île immense de l’Atlantide, en tout, ou du moins en grande partie et qui anéantit la nation.

Les Grecs conservèrent longtemps le souvenir des Atlantes et des maux qu’ils leur avaient fait souffrir. Ce sont eux que dépeint leur mythologie sous les traits des Titans, cette race impie qui fit trembler l’Olympe[20]. Il paraît même que c’est sous ce nom générique que furent quelquefois désignés les chefs ou rois des Atlantes, ainsi que semble nous l’indiquer Diodore. La guerre des Titans contre Jupiter ne nous rappelle-t-elle pas celle que les Atlantes soutinrent contre les Grecs et les Athéniens commandés par Jupiter (Ζευς) et Αθηνη, autrement Minerve : la taille gigantesque que la Grèce fabuleuse donne aux Titans marque la terreur qu’inspirèrent les Atlantes. C’est ainsi que les Égyptiens désignèrent les peuples de l’ouest, c’est-à-dire les Atlantes qui, suivant eux, firent la guerre à Isis et à Osiris. La défaite des Titans, leurs corps brûlés par la foudre, Briarée aux cent bras, accablé sous le poids du mont Etna, donnent une idée confuse de la catastrophe effrayante qui anéantit ce peuple conquérant. Il paraît que c’est dans la Thessalie qu’eut lieu la défaite des Titans ou autrement des Atlantes[21]. Ceux-ci, dit Hésiode, étaient sur le mont Othrys, et Jupiter et les Dieux, c’est-à-dire les chefs des Grecs confédérés étaient retranchés sur le mont Olympe. La description poétique que fait Hésiode de cette bataille nous présente quelques traits de la catastrophe qui anéantit ou du moins affaiblit beaucoup cette nation puissante. Il paraît même que ce fut au milieu d’une bataille livrée entre les Grecs et les Atlantes qu’arriva ce tremblement de terre, cette révolution convulsive de la nature qui engloutit, suivant Platon, les guerriers des deux partis[22].

Pausanias offre un passage frappant qui montre que les Athéniens avaient conservé quelques monuments de la victoire qu’ils avaient remportée sur les Atlantes : « Il y a à Rhamnus, bourg de l’Attique, une statue de Némésis (déesse qui présidait aux châtiments et à la vengeance), qui a sur sa tête une couronne surmontée de cerfs et de petites victoires ; elle tient de la main gauche une branche de pommier, et de la droite une coupe où sont représentés des Éthiopiens. Je n’en saurais donner la raison… » Ne devons-nous pas reconnaître dans ces Éthiopiens les Atlantes sortis d’Éthiopie ? Cette coupe semble nous rappeler qu’ils venaient du côté de la mer ; et la déesse qui la tient à la main ne nous fait-elle pas souvenir de la terrible vengeance que les Athéniens tirèrent de l’agression si injuste des Atlantes [23] ?

La catastrophe qui anéantit l’armée des Atlantes, au temps de la guerre contre les Grecs, ne détruisit pas la nation [24]. Il paraît même qu’un corps assez considérable de ce peuple conquérant resta en Grèce et y fonda un royaume en Arcadie. Un chef, à qui on a donné le nom d’Atlas, du nom du peuple qui lui obéissait, avait pour frère Prométhée dont les différends avec Jupiter et la punition terrible nous rappellent la guerre que les Grecs eurent à soutenir contre les Atlantes et la vengeance qu’ils exercèrent, sans doute, après la victoire. La Grèce montrait, au temps de Pausanias, une grotte qui portait le nom de ce peuple. Dans la Locride était une mée Atalanta, dont le nom se conserve encore dans le nom que porte le détroit qui sépare Négrepont de la Grèce[25].

Au temps du déluge de Deucalion, les plaines de l’Arcadie et de l’Élide ayant été inondées et rendues pour longtemps inhabitables, et les montagnes ne pouvant suffire à nourrir toute la population, un chef des Atlantes nommé Dardanus, se voyant, lui et son peuple, l’objet de la haine nationale de ses voisins, s’embarqua et alla chercher, loin des Grecs persécuteurs, quelque rive hospitalière, une demeure et un établissement tranquilles. Il se rendit d’abord à l’île de Samothrace à laquelle il donna son nom qu’elle a conservé quelque temps, et légua peut-être les mystères qui l’ont rendue si célèbre[26]. Il se rendit ensuite sur les côtes de Phrygie et y fonda un royaume qui devint riche et puissant, conserva avec le sang des Atlantes leur haine contre les Grecs, et devint, quelques siècles après, l’illustre victime de leur vengeance[27]. Ainsi, il paraît que c’est la haine et un profond ressentiment, plutôt que l’enlèvement d’Hélène, qui ont été la cause de ce siège si fameux qu’Homère a immortalisé, et qui amena au pied des murs de Troie toute la Grèce conjurée et jalouse de venger ses injures. Mais si la tradition qui fait aborder Énée en Italie n’est pas une tradition fabuleuse, si cette tradition, qui nous montre les Troyens portant dans le Latium leurs pénates et leurs dieux vaincus, est regardée comme vraie et authentique par les historiens les plus graves[28], si la muse de Virgile qui a si bien célébré ce grand évènement, n’a fait que revêtir des charmes d’une poésie harmonieuse l’histoire des premiers temps et du berceau de Rome, ne peut-on pas dire que les Atlantes dont l’ambition, ainsi que nous l’avons vu, rêvait la conquête du monde entier, sont parvenus, après avoir éprouvé les plus affreux désastres dont aucune nation puisse jamais être accablée, à obtenir ce qui faisait l’objet de leurs désirs et de leurs vœux les plus ardents, car ils ont procuré à leurs descendants la fondation de Rome, de cette ville qui a si longtemps dominé despotiquement sur le monde entier et qui exerce encore sur lui une autorité moins éclatante, il est vrai, mais bien plus digne du respect et de la vénération du genre humain, puisqu’elle vient de Dieu même.

Avant de finir ce que nous avons pu recueillir sur l’histoire des Atlantes dans l’antiquité, remarquons qu’on pourrait trouver quelque identité entre eux et ces Pélasges si célèbres dans les temps anciens, et dont la première origine est inconnue, bien que Denys d’Halicarnasse les fasse sortir du Péloponnèse et de la Thessalie[29]. Considérons les rapports frappants qui existent entre les deux peuples. Les Pélasges étaient célèbres par leur sagesse ; les Atlantes étaient aussi renommés pour la leur. Les antiques traditions nous montrent les Pélasges poursuivis par les puissances célestes, en proie à des calamités de toute sorte, et errants de tous côtés ; les Atlantesqui avaient vu une si grande partie de leur pays bouleversée et engloutie par les eaux, durent fuir une terre malheureuse qui semblait vouée au courroux des Dieux, et chercher au-delà des mers d’autres demeures et une patrie nouvelle. Le nom de Pélasges veut dire : hommes de la mer Méditerranée (car Πελαγος est le nom que les Grecs donnaient à cette mer). Or, l’Atlantide n’est-elle pas du côté de la mer et au-delà de la Méditerranée par rapport à la Grèce ? Pélasgus, que la Grèce antique fait père des Pélasges, était arcadien, du canton même de la Grèce qu’ont occupé les Atlantes, Enfin, on trouvait des Pélasges partout en Grèce, en Illyrie [30] et aussi dans la Sicile, la Sardaigne, l’Italie[31], qui étaient les pays les plus exposés aux invasions des Atlantes orientaux, et ceux vers lesquels durent se porter leurs émigrations après les désastres de leur contrée[32].

Après avoir vu le peu que l’antiquité nous a transmis sur les Atlantes, examinons si dans les temps modernes nous ne trouverons pas quelque vestige de ce peuple si intéressant, et si, dans les parties qui ont été dérobées à la submersion, il ne se rencontrerait pas quelque reste, quelque indice de leur séjour qui ait échappé à cette longue suite de siècles qui les sépare de nous.

Les révolutions de la nature, les changements politiques dont ces contrées ont été le théâtre, ce mélange de peuples qui, envahissant successivement ce pays, se sont chassés les uns les autres, Phéniciens, Grecs, Romains, Vandales, Arabes, Turcs, Ibères, ont dû faire disparaître tout ce qui pouvait faire rappeler le souvenir des Atlantes. Cependant quelques traces subsistent encore. Ainsi, au pied de l’Atlas occidental, se voient des ruines considérables qui portent le nom remarquable de Château des Pharaons (Kasr Farawan)[33]. Ces ruines présentent, dans leur architecture, des marques évidentes du style égyptien. Or, nous devons bien présumer que ce style devait être celui que les Atlantes employaient dans leurs monuments publics, puisque, descendus du même peuple primitif que les Égyptiens, ils devaient avoir puisé à la même source qu’eux leurs arts et leur civilisation. Sésostris soumit, il est vrai, une partie de la Libye ; mais il ne serait pas raisonnable de penser qu’il ait pu porter jusqu’aux Colonnes d’Hercule sa course et ses armes victorieuses. Hérodote[34] et Pomponius Mela [35] citent nommément les Atlantes parmi les peuples de la partie occidentale de l’Afrique ; ce dernier en fait pourtant un portrait qui montrerait qu’ils étaient tombés dans la barbarie. « Ils maudissaient le Soleil, dit-il, comme un astre pernicieux : ils n’ont point de noms qui les distinguent les uns des autres, ils s’abstiennent de chair, et prétendent n’avoir jamais de songes[36]. » Les Numides, au témoignage d’Hérodote[37], rendaient de grands honneurs à Neptune, et ils le reconnaissaient comme le fondateur de leur nation. Les Maures ou Maurusiens rendaient aussi à Neptune des honneurs particuliers. Ces peuples divers dont nous parlons avaient une langue et un alphabet national qu’ils conservèrent longtemps, malgré les immigrations des Phéniciens et l’empire puissant que les Carthaginois établirent dans leur contrée, langue et alphabet qui étaient probablement les mêmes que ceux qu’ils avaient reçus de leurs ancêtres. Encore maintenant toutes ces nations, qui, sous le nom général de Berbers, occupent tout le nord de l’Afrique, depuis la mer Rouge jusqu’à l’Atlantique, offrent dans leurs langues des rapports de conformité bien frappants, et qui semblent nous confirmer qu’ils descendent tous d’un même peuple primitif[38]. Il est fâcheux qu’on n’ait pas pu faire une étude plus approfondie des mœurs de toutes ces diverses nations ; on y aurait sans doute remarqué des points de ressemblance qui auraient accusé d’une manière encore plus plausible leur commune origine.

Mais de toutes ces nations, celle qui a plus particulièrement gardé des traces de son origine, c’est celle des Guanches, anciens habitants des îles Canaries. Séparés du reste du monde par le bouleversement terrible qui a détruit l’Atlantide, entourés de tous côtés par une vaste mer, peu exposés par là aux invasions et aux immigrations des peuples, ils ont dû conserver plus longtemps les mœurs et les usages qui distinguaient les Atlantes, et qui devaient avoir tant de conformité, comme nous l’avons indiqué plus haut, avec les usages et les mœurs des habitants de l’Éthiopie et de l’Égypte. Nous voyons chez eux le même respect pour les morts que chez les Égyptiens : ils possédaient, comme eux, l’art d’embaumer, et les momies de l’un et de l’autre peuple offrent entre elles beaucoup de ressemblance. La forme du crâne chez les momies des Guanches y rappelle celle du crâne des habitants du Nil, et la dent incisive y est émoussée par l’art, comme dans les momies de Thèbes et de Sakkarah[39]. Les traits ont beaucoup de ressemblance entre eux, et malgré que Blumenbach y remarque des différences notables dans les os zygomatiques et la mâchoire inférieure, des recherches plus récentes ont trouvé dans les momies des deux pays les mêmes yeux beaux et bien fendus, la même bouche grande et bien garnie, la même forme du nez et du front, ainsi que des cheveux fins, lisses et épais. La forme pyramidale était employée, chez les Guanches, pour les tombeaux et les monuments publics. Leur langue, dont malheureusement il ne reste que cent cinquante mots environ, offre de l’analogie avec celles des Berbers, et plusieurs de ces mots sont presque identiques avec quelques mots des dialectes Chillah et Gebali, qui sont en usage chez ces peuples. L’écriture des Guanches est perdue ; mais il paraît qu’elle ressemblait à l’Écriture des Égyptiens et des Éthiopiens, et qu’elle était hiéroglyphique comme la leur. Clavijo[40] rapporte qu’on trouva dans une caverne de l’île de Palma, située dans le ravin de Valmaco, et qui passe pour avoir été la demeure du prince Tedote, des inscriptions hiéroglyphiques dont plusieurs étaient sculptées sur une grande pierre en forme de tombe et taillée dans le roc. Les terres des Guanches appartenaient au roi ou plutôt à l’État ; cet état de choses était à peu près le même en Égypte où les terres étaient partagées entre le roi, les prêtres et les soldats, et où les cultivateurs n’étaient que fermiers des des terres. Autre point de rapport : la société était divisée chez les Guanches comme en Égypte : des femmes, espèces de vestale, nommées Magades, exerçaient chez eux le sacerdoce ; en Égypte le même usage avait lieu, malgré le témoignage d’Hérodote mal informé :[41] même pompe aux cérémonies du sacre des rois ; même respect pour la majesté royale, mêmes honneurs aux cendres des rois défunts. Tels sont les rapports principaux que les Guanches présentent avec les habitants de la vallée du Nil. Ne sont-ils pas frappants, et doit-on les attribuer seulement au hasard et aux circonstances ? Ne montrent-ils pas entre les deux peuples une commune origine ? et combien de rapports plus nombreux et plus frappants ne découvririons-nous pas, si nous connaissions davantage les traditions, les usages, les mœurs et la constitution politique de ce peuple si intéressant, malheureusement si peu connu, et dont la race, depuis plus de deux siècles, est entièrement perdue ?

Maintenant se présente une question bien problématique et sur laquelle l’antiquité ne nous a transmis aucun témoignage : nous ne pourrons, par conséquent, nous appuyer que sur des probabilités. Les Atlantes ont-ils porté leurs émigrations jusqu’en Amérique, et serait-ce par eux que cette partie du monde aurait été en premier lieu peuplée ? Cela est grandement vraisemblable, car examinons la position de l’Atlantide par rapport à l’Amérique. S’avançant, au nord, jusqu’aux Açores et peut-être même au-delà, étant, au sud, à deux cents lieues seulement de la côte de la partie appelée depuis le Brésil, elle devait se trouver assez rapprochée de ce continent ; et était-il difficile à un peuple navigateur, aux enfants de Neptune, de porter jusque-là leurs flottes et leurs émigrations aventureuses ? Des îles, sans doute, intermédiaires devaient faciliter la communication entre ces deux immenses contrées, telles que les Bermudes, reste d’une île plus grande, déchirée par les flots et les tempêtes, telles que les îles qu’indiquent les vigies, les bancs, les bas-fonds si nombreux entre l’Amérique et les Açores. D’ailleurs les usages de plusieurs peuples du nouveau continent offrent dans nombre de points une grande ressemblance avec les usages et les coutumes que nous avons mentionnés chez les Guanches et avec ceux des Égyptiens, tels que les embaumements, les hiéroglyphes, les signes astronomiques[42]. Cette ressemblance a frappé les savants et les voyageurs. Mais pour ceux qui refusent d’admettre l’antique existence de notre Atlantide, cette ressemblance est une énigme presque inexplicable.

Nous ne pourrons nier que des peuplades asiatiques aient émigré en Amérique et y aient apporté leurs arts et leurs usages ; mais elles ont dû y trouver déjà les Atlantes établis. C’est sans doute à ceux-ci qu’on doit attribuer les magnifiques édifices de Palenque, d’un style tout différent de celui des autres monuments de l’Amérique, édifices d’une si colossale architecture, et où l’on voit sculptés le lotus du Nil, le scarabée de l’Égypte, son thau et sa croix mystérieuse. Portons aussi notre attention sur cette terminaison assez singulière des noms de villes et de lieux au Mexique, terminaison qui semble rappeler le nom des Atlantes : Aqualatlan, Hulatlan, Cacatlan, Noatlan, Matatlan, Zocotlan, Copotlan, et tant d’autres.

Voilà ce que j’ai pu recueillir sur l’histoire des Atlantes. Remarquons, en terminant ce chapitre, que l’histoire de ce peuple lève une partie du voile qui couvre plusieurs grands évènements des temps anciens, et explique plusieurs points obscurs de la mythologie des Grecs.


NOTES DU CHAPITRE III

1) Eusèbe fait mention d’une histoire des Atlantes, comme existant de son temps et en cite des traits particuliers qui ne peuvent venir d’une simple tradition (Praeparat evangelica, liber III, ch. 10). C’est peut-être l’histoire d’Éthiopie, par Marcellus, dont nous avons parlé au chapitre 1er.

2) Hérodote, livre II, ch. 158.

3) Les Éthiopiens eux-mêmes viennent, s’il faut en croire Eusèbe, des bords de l’Indus. C’est ce qui expliquerait les rapports étonnants qui existent entre les arts et l’architecture des Éthiopiens et des Indiens. Mais cette émigration, s’il nous est permis de l’admettre, aura dû avoir lieu bien longtemps avant l’époque que lui fixe Eusèbe, 404 ans après Abraham (Canonum Chronicorum lib. post.).

4) Livre III, ch. 27. La cote septentrionale de l’Afrique portait aussi, chez les Anciens, le nom de Libye : les Carthaginois étaient appelés Libyens. Hérodote appelle Libyens les habitants des environs du cap Nun. Livre IV, ch. 28.

5) Il ne doit pas paraître étonnant de voir des rois et des chefs Atlantes revêtus de noms grecs ; Platon nous en explique la raison dans son Critias. Hérodote, liv. II, ch. 50, rapporte que les Grecs ont pris des Libyens le nom et le culte de Neptune.

6) L’Atlantide pourrait aussi avoir pris son nom du nom que portait sans doute alors l’Éthiopie, mère-patrie des Atlantes. Car voici ce que dit Pline : « Universa, vero gens Ætheria appellata est, deinde Atlantia, mox a Vulcani filio Æthiope, Æthiopia. » Livre VI, ch. 30.

7) Il paraîtrait, d’après le récit de Platon (le Timée), que cette capitale de toute l’Atlantide devait être située vers les Colonnes d’Hercule, au milieu du pays.

8) Les savants de l’expédition d’Égypte, par une suite d’observations sur la construction de la terrasse factice sur laquelle on avait bâti cette ville, pour la mettre à l’abri des inondations du Nil, sur la différence de l’élévation actuelle et de l’élévation ancienne au dessus du lit du Nil, et qui est de six mètres, en calculant l’exhaussement séculaire du lit du fleuve qui est de 0,126 millimètres, ont reconnu que cet exhaussement n’avait pu s’opérer qu’en 4760 années : ce qui ferait remonter la fondation de Thèbes à l’an 2760 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire, 418 ans après le Déluge universel (Voyez les Observations de M. Girard).

9) C’est peut-être pour cette raison qu’il a reçu le surnom d’Uranus qui, en grec, veut dire ciel.

10) C’est sans doute là cet âge d’or, ce règne de Saturne, dont la Grèce a conservé le souvenir, et qu’elle a embelli de ses fictions. Remarquons que Saturne était fils d’Uranus.

11) C’est peut-être pour cette raison que les Égyptiens refusaient de reconnaître Neptune comme Dieu, et de l’honorer sur leurs autels.

12) Le nom de Cercène subsiste encore dans le nom de Kerkeni, que porte une île sur la côte de Barbarie.

13) Livre III, chap. 27.

14) Livre X, ch. 17.

15) Hésiode, Théogonie, v. 635.

16) Sanchoniation parle d’Athéné, comme d’une fille de Chronos, à qui celui-ci donna la possession de l’Attique.

17) C’est ce que dit expressément Eusèbe, dans ses Chroniques (lib. post. proæmium, n° 2).

18) Præp. evangel. l. III, ch. 10.

19) Il paraît que ce nom était commun parmi les chefs des Atlantes : peut-être était-il devenu un de leurs titres, pour faire voir leur origine céleste.

20) Diodore de Sicile, livre III, ch. 39.

21) Théogonie, v. 630.

22) Timée.

23) Livre II, Attique.

24) Solin nous dit que l’Eubée a été occupée autrefois par les Atlantes qu’il nomme Titans : il en apporte pour preuves les honneurs divins qu’ils rendaient à Briarée et à Egéon, deux de leurs principaux chefs (ch. 17). Les rois d’Argos paraissent être d’origine Atlante : il y a grand rapport, même identité de nom entre Inachus, premier roi de cet état, et Anach, fils de la Terre. Ce dernier nom paraît être un nom de dignité : il entre dans la composition de plusieurs noms grecs de héros et de souverains (Voyez Vossius, Bochart, Banier). Inachus est appelle fils de l’Océan. N’est-ce pas ainsi que les Grecs pouvaient désigner les Atlantes, dont la mer semblait vomir les armées redoutables ? Un autre Anax avait fondé, au rapport de Pausanias (livre VII), un royaume dans l’Asie mineure, près de Milet, appelé de son nom Anactorie.

25) Il y avait encore, dans ce détroit, une petite île portant le même nom d’Atlanta : il y a encore près du détroit, dans l’ancienne Locride, une ville assez considérable, chef-lieu d’une Eptarchie, qui a conservé le nom de Talanti.

26) Remarquons que le Ciel et la Terre étaient adorés dans les mystères de Samothrace, sous les noms mystérieux de Axieros et de Axiokersos, noms tirés d’une langue inconnue. Or, le Ciel et la Terre, ou Uranus et Titéea, étaient du nombre des premiers souverains des Atlantes, et leurs services et leurs bienfaits leur ont sans doute procuré les honneurs divins, de la part de leurs descendants.

27) De là vient, sans doute, que les Phrygiens avaient la même mythologie que les Atlantes.

28) Denys d’Halicarnasse. — Aurelius Victor, — Hist. unvi. l. VIII. — P. Catrou, Hist, Romaine, t. VIII ; voyez son Commentaire sur l’Enéïde, où il répond aux objections du célèbre Bochard, objections que celui-ci avait insérées dans une dissertation à la tête de la traduction en vers de l’Énéïde, par Segrais.

29) Livre II, ch. 7.

30) L’italien Formaléoni, auteur d’une histoire estimée de la navigation et du commerce des peuples anciens, dans la mer Noire, prétend que les Liburniens, peuple de l’Illyrie, descendait aussi des Atlantes, et il annonce qu’il prouvera ce fait dans un ouvrage intitulé : Origines Vénitiennes, ouvrage qui, probablement, n’a pas paru.

31) Eusèbe, dans ses Chroniques, raconte que le Latium avait été peuplé, dans les temps primitifs, par des colonies de Libyens (Livre I, ch. 43, n° 2).

32) « Comment, dit Freret (Mémoires des Inscriptions et Belles-Lettres, tome XVIII, p. 90), peut-on concevoir que deux petites provinces de la Thessalie et du Péloponnèse aient pu fournir un nombre de colonies assez considérable pour remplir à la fois le continent de la Grèce, les îles de l’Archipel, les côtes de l’Asie Mineure et toute l’Italie. »

33) Jackson : Account of Marocco, p. 120.

34) Livre IV, ch. 185.

35) Livre IV.

36) Solin en fait le même portrait (ch. 34) C’est le passage de Pomponius Mela qui a inspiré à Lefranc de Pompignan la belle strophe si connue dans l’Ode à Rousseau : Le Nil a vu sur ses rivages, etc.

Les Carthaginois rendaient à Saturne un culte qu’ils avaient déjà, sans doute, trouvé établi dans le pays.

37) Livre II, ch. 50, liv. IV, ch. 198.

38) Ritter : Géog. physique de l’Afrique, t. III, p. 189.

39) Description de l’Égypte, t. III ; Mémoire de M. Jomard.

40) Cité par Bory de Saint-Vincent : Essai sur les îles Fortunées.

41) Livre II, ch. 35 et 54.

42) Garli : Lettres américaines, tome I, p. 368. — Oviedo


CHAPITRE IV - Destruction de l’Atlantide et époque de cette destruction.

Cette contrée immense, habitée par un peuple si belliqueux et si avide de conquêtes, fut détruite en grande partie par une convulsion violente de la nature. Cet évènement, quelque extraordinaire qu’il soit, quelque incroyable qu’il puisse paraître, est un fait en quelque sorte incontestable. Il n’est presque pas de fait dans cette histoire obscure des premiers âges du monde qui réunisse en sa faveur une tradition plus générale et des preuves physiques plus nombreuses. Tous les auteurs dont nous avons rapporté les témoignages, pour prouver l’ancienne existence de l’Atlantide, s’accordent à reconnaître sa subite disparition. Cet évènement, cette affreuse catastrophe a dû laisser et a laissé, en effet, des traces profondes dans le souvenir des peuples. Presque tous ont conservé l’obscure tradition d’un monde, d’une terre détruite par le feu. Les Chrétiens ont ouï dire, dit Celse, cité par Origène[1], et rapportant la tradition des Grecs, qu’il est arrivé dans le monde des embrasements et des déluges. » Origène, dans son même livre contre Celse, parle d’une fête que l’Égypte célébrait en mémoire d’une catastrophe générale dont le feu du ciel avait été la cause. Les Égyptiens avaient, en effet, cette tradition, et ce qu’ils racontent de leur Typhon en donne une confuse idée. Cette tradition se rencontre chez les peuples même les plus reculés, et placés aux extrémités monde. Les Chinois, au rapport de Cosmas Indicopleustes, parlent dans leurs annales de la destruction d’une grande île submergée autrefois vers les bornes de la terre. Les Péruviens ont conservé aussi la mémoire d’une race gigantesque et redoutée qui avait attiré sur elle, par ses crimes, le courroux des Dieux[2].

Les eaux, le feu réunirent leurs efforts pour anéantir notre malheureuse Atlantide. La partie occidentale, déjà bordée d’une ceinture de volcans, devint sans doute l’objet de leur fureur. Obéissant à cette force puissante et irrésistible que la terre renferme en son sein, ils entrouvrirent leurs cratères, et, de leurs flancs déchirés et brûlants, vomirent des torrents de lave, des pierres, des basaltes enflammés qui couvrirent de toutes parts ces contrées appelées auparavant, à si juste titre, Fortunées, et les changèrent en un affreux désert, en un chaos confus de trachites, de pierres ponces, de rochers entassés les uns sur les autres. À ces maux déjà si terribles se joignirent des tremblements de terre qui, bouleversant ce que les volcans avaient épargné, soulevant outre mesure les flots de l’Océan courroucé, submergèrent ce pays infortuné, et à la même place où fleurissaient ces heureuses régions si belles, si fertiles, si peuplées, s’étendit une immense mer dont les eaux pleines de limon et de vase, étaient, suivant les traditions anciennes, impraticables à la navigation[3]. Il n’est nullement invraisemblable que les tremblements de terre, joints aux éruptions volcaniques, aient produit de si terribles effets. Rappelons-nous le tremblement de terre qui renversa Lisbonne et dont les effets terribles se firent sentir si loin, celui de 1783 qui anéantit Messine et bouleversa la Calabre, et celui qui, en 1663, causa de si terribles ravages au Canada où un espace de cent lieues de pays, occupé par des montagnes et des rochers fut changé en une plaine immense, entrecoupée de lacs et de ruisseaux[4]. La partie orientale, étant moins volcanique que la partie occidentale, dût échapper à la destruction. Aussi subsiste-t-elle maintenant encore, et sous le nom général de Maugreb ou de Barbarie, comprend les états de Maroc, de Fez, d’Alger, de Tunis, de Tripoli et les deux versants de l’Atlas[5].

Cette submersion de l’Atlantide occidentale fut sans doute procurée par la rupture ou du moins par l’élargissement violent du détroit des Colonnes d’Hercule, et aussi par la rupture du Bosphore qui répandit dans la mer Méditerranée, que la tradition nous représente bien moins étendue alors qu’elle ne l’est aujourd’hui, les eaux d’une autre immense Méditerranée qui couvrait une partie de l’Asie intérieure.

Mais essayons de prouver, si non la certitude, du moins la haute vraisemblance de ces grands et terribles évènements.

Quant au premier, la rupture des Colonnes d’Hercule, la tradition va nous apporter des témoignages frappants. Strabon[6], si réservé à admettre les croyances populaires, assure cependant que l’Océan, arrêté longtemps par les terrains qui joignaient l’Europe à l’Afrique, avait rompu cette barrière et s’était réunie à la Méditerranée ; mais il attribue cet évènement à un tremblement de terre, à une convulsion violente de la nature, et réfute l’opinion de Straton le physicien, qui prétend que c’est la Méditerranée qui, par la violence de ses flots[7], enflés par l’irruption du Bosphore, a rompu cette séparation qui l’empêchait de communiquer avec l’Océan. Sénèque reconnaît que l’Espagne a été arrachée violemment par la mer du continent de l’Afrique[8]. Valerius Flaccus, dans son poème des Argonautes, nous rappelle la même catastrophe :

  « . . . Nec enim tune Eolus illis
« Rector erat, Libyæ cum rumperet advena Calpen
« Oceanus ; cum flens siculos OEnotria fines
« Perderet, et mediis intrarent montibus undae. »

(Lib.I. v. 587)[9]

Diodore de Sicile [10], Pline [11], Pomponius Méla [12] font mention de cette séparation violente qu’ils attribuent, ainsi que l’antiquité fabuleuse, à Hercule, à qui ils attribuent tant d’autres exploits.

L’aspect des lieux témoigne, en outre, hautement de la vérité de la tradition. Straton le physicien, déjà cité, assure qu’une bande de terres sous-marines s’étendait, de son temps, comme un long ruban, de Calpé à Abyla, et que même, entre ces deux montagnes, étaient autrefois deux îles, appelées îles de Junon et de la Lune, que la violence du courant a fait disparaître [13]. « Des montagnes de même aspect, dit Bory de St-Vincent, des couches interrompues de même nature, et tous les accidents qui accompagnent les brisures qu’on remarque ordinairement sur les deux flancs d’une vallée moderne : trois ou quatre lieues de largeur pour servir de communication entre deux vastes mers sont-elles un tel espace entre deux continents, qu’il faille repousser l’idée de la possibilité d’une révolution physique dont l’assentiment unanime ne confirme pas moins la réalité que l’examen des lieux [14] ? »

Quant au Bosphore et à cette séparation violente qui fit écouler dans la Méditerranée, et de là dans l’Océan, les eaux et les vastes mers de l’Asie intérieure, la tradition en rend de fréquents témoignages. Platon y fait allusion dans le commencement du Livre III de son beau traité des Lois. Dans un autre passage de ses ouvrages, passage cité par Strabon [15], il cite les trois espèces de demeures que choisirent successivement les Grecs que ce déluge avait si justement effrayés, d’abord au sommet des montagnes que les eaux ne pouvaient atteindre, ensuite sur leur pente, quand les terres commençaient à sécher, en dernier lieu, dans les plaines, quand le souvenir de cette terrible inondation commença à se perdre. Diodore de Sicile[16] parle du déluge procuré par cette irruption violente et des ravages qu’il exerça à Lesbos, à Samothrace et dans les terres circonvoisines. Denys d’Halicarnasse[17] nous parle de la même catastrophe et de ses effets, et cite les sources où il a puisé ce qu’il en rapporte : il fait mention, entre autres, de Callistrate, historien de Samothrace ; de Satyrus, qui avait recueilli les anciens mythes ; d’Arctinus, disciple d’Homère : ces trois historiens s’appuyaient sur les témoignages d’Orphée, de Linus, de Thamyris, poètes presque contemporains qui, sans doute, avaient rappelé sur leurs lyres plaintives les maux qu’avait éprouvés leur patrie, sa désolation et ses terreurs. Pline dit expressément que la mer a envahi le Bosphore[18]. Philon, dans son traité De Mundo non corrupto[19], dit que les îles de Rhodes et de Delos disparurent entièrement dans une inondation causée par les eaux de la mer, et que lorsque les eaux diminuèrent, ces îles reparurent. Strabon, lui-même, avait fait un traité pour prouver la vérité de ce grand évènement ; mais cet ouvrage, dont il parle dans le premier livre de sa géographie, est malheureusement perdu. Beaucoup d’autres auteurs anciens, entre autres Xanthus, historien de Lydie, le géographe Œthicus Ister, Straton le physicien et Valérius Flaccus[20], les trois premiers cités par Strabon[21], rapportent le même fait. Plusieurs fêtes des Grecs, les hydrophories, par exemple, avaient été instituées en mémoire de ce déluge, dit d’Ogygès, ou en mémoire de celui de Deucalion. Les cérémonies qu’on y pratiquait le montrent évidemment. Les savants[22] ont cité souvent la découverte de ce vase antique trouvé dans le territoire de Rome en 1696 sur lequel était représentée une arche ou vaisseau qui renfermait des hommes et un grand nombre d’animaux, autre souvenir du déluge procuré par l’irruption du Bosphore, déluge qui ayant enflé les eaux de la Méditerranée, lui fit reculer au loin ses rivages et porter partout sur ses bords la terreur et l’effroi[23]. Le souvenir de ce déluge s’est perpétué dans la Grèce jusqu’à présent. Corancès, dans son Itinéraire de l’Asie Mineure, en donne un témoignage bien frappant. Au temps que les Français occupaient l’Égypte, le bruit se répandit qu’ils allaient ouvrir un canal de communication entre la Méditerranée et la mer Rouge. À cette nouvelle, la consternation fut générale dans les îles de l’Archipel. Dans la persuasion que la seconde mer est plus haute que la première[24], tous les habitants craignirent un nouveau déluge. « Cette opinion, dit Corancès, doit tenir à d’anciennes traditions dont il serait curieux de rechercher les sources [25]. »

Maintenant examinons les preuves physiques qui viennent appuyer une si ancienne et si respectable tradition. Tournefort [26], Marsigli [27], Choiseul-Gouffier [28], Dureau de la Malle [29], Pallas [30], qui ont étudié sous ce dernier rapport cette question si importante, reconnaissent que le Bosphore a été formé par une irruption violente. La seule différence qui existe entre eux c’est que Tournefort prétend que l’ouverture se fit seulement par la force des eaux qui, peu à peu, détrempèrent les terres qu’aucun rocher ne retenait en cet endroit, et les emportèrent par différentes secousses, au lieu que Choiseul-Gouffier, et les deux auteurs qui le suivent l’attribuent à un tremblement de terre procuré par une éruption volcanique.

« Derrière le village d’Yenimale, dit Choiseul-Gouffier, dans son Mémoire lu à l’Institut en 1805, est un véritable champ phlégréen, dont le sol brûlé offre les traces d’un grand nombre de bouches ou petits cratères, soupiraux des feux souterrains qui ont calciné tout cet espace et réduit la plus grande partie du sol en une véritable pouzzolane. À mesure que l’on avance, les deux côtes deviennent plus escarpées, et les rochers qui les soutiennent et les couronnent, sillonnés par la flamme, indiquent au voyageur qu’il entre dans un vaste cratère dont il ne tardera pas à reconnaître l’enceinte imposante. Des felouques, des navires, des escadres traversent ce bassin, dans lequel les flots remplacent et ne font peut-être que recouvrir ces effrayantes gerbes de flammes que jadis vomissait cet abîme. »

Il est vrai que le savant Olivier et le général Andreossy ne veulent pas reconnaître de rupture violente dans le Bosphore, et cherchent à prouver que ce détroit a dû exister de tout temps. Mais voyons ici un passage d’Andreossy lui-même, qui vient à l’appui de notre sentiment et qui paraît renverser tous les raisonnements contraires du savant général.

« Au-delà de l’ancien port des Ephésiens, Buïuk-Liman, les deux bords du canal, jusqu’à son embouchure, offrent l’aspect de terrains volcaniques bouleversés, résultat de grandes convulsions du globe : on les regarde comme antérieurs à aucune époque dont l’histoire ait gardé le souvenir. « Et plus haut : » Le Bosphore se présente en face de Buïuk-Déré ; mais à ce point il se détourne presque à angles droits, pour former le canal de la mer Noire. C’est cette dernière direction qui nous reste à parcourir. Elle était réputée sacrée par les anciens. Le mont Hœmus s’y termine par des escarpements considérables ; la chaîne de la Bythinie, par des coteaux d’une grande hauteur. Le resserrement du canal dans cette partie rendait maître de l’entrée du Bosphore [31]. » Remarquons ici cet escarpement du mont Hœmus du côté du Bosphore. Le géographe et le géologue n’y reconnaîtront-ils pas un déchirement violent procuré par le feu ou par les eaux ?

Voyons, d’un autre côté, ce que dit Olivier, dans son Voyage dans l’Empire Ottoman ?

« Dès que nous eûmes passé Buïuk-Déré, nous fûmes frappés de voir, sur l’une et l’autre rive, des indices d’un volcan que nous suivîmes dans une étendue de plusieurs lieues. Nous reconnûmes partout des roches plus ou moins altérées ou décomposées : partout l’entassement et la confusion attestent l’action des feux souterrains. On aperçoit des jaspes de diverses couleurs, des cornalines, des agathes et des calcédoines en filons, parmi des porphires plus ou moins altérés ; une brèche peu solide, presque décomposée, formée par des fragments de trap, aglutinée par du spath calcaire ; un joli porphire à base de roche de trap, d’un bleu verdâtre, également colorié par du cuivre[32]. » Comment Olivier a-t-il pu émettre une opinion si contraire aux indices volcaniques qu’il avait sous les yeux et qu’il consigne ainsi dans son voyage ?

Mais examinons les raisons qui nous sont opposées. « L’eau s’écoulant, dit Olivier, par un passage si étroit, n’aurait pas pu procurer cette inondation, ce déluge si considérable, et n’aurait pu tout au plus élever la Méditerranée que d’un pied ou deux[33]. »

À cela nous répondrons que le Bosphore ne fut pas sans doute la seule bouche par laquelle le Pont-Euxin s’écoula alors : il dût s’écouler aussi par la vallée du Sangaris (Sakkaria), et par le lac de Sapandja et le golfe de Nicomédie d’un côté et le lac d’Ascanins (lac d’Isnik), et le golfe de Mundania de l’autre. Aucune hauteur un peu considérable ne sépare les deux lacs, de la vallée du Sangaris et des golfes dont ils sont rapprochés ; l’espace intermédiaire est presque tout occupé par des marais. C’est ce que dit Olivier lui-même : « Du golfe de Mundania à la vallée qui reçoit les eaux du Sangaris, les eaux sont très basses… Les eaux du lac de Nicée ou Isnik se rendent dans le golfe, en tournant un léger coteau qui sépare le lac de la plaine basse de Gemlek, et le cours du Sangaris est très lent de cette plaine à la mer Noire[34]. » Fontanier atteste le même aspect de terrain. « Pour arriver à Isnik (l’ancienne Nicée), nous avons côtoyé pendant un temps le lac de Sapandja et constamment traversé une immense forêt d’où l’on tire le bois de construction pour Constantinople. Cet endroit est fort marécageux et l’on est obligé de passer par une chaussée qui y est pratiquée… Le lac de Sapandja communique parfois avec le mer : il n’en est séparé que par une langue de terre assez étroite, et quand les temps sont pluvieux, le niveau s’élève et se déverse dans le golfe de Nicomédie[35]. »

Le pont Euxin, en s’ouvrant le Bosphore, remplit de ses eaux le bassin de la Propontide et s’écoula de là par l’Hellespont et par le golfe de Saros, l’ancien golfe Mêlas. Ce qui rend vraisemblable ce second écoulement, c’est l’inspection des lieux et la tradition du déluge de l’île de Samothrace, située vis-à-vis le golfe de Saros. Étant à la sortie des eaux qui s’écoulaient par un détroit resserré, elle a dû les voir s’élever à une hauteur considérable, détruire ses villes et inonder ses campagnes. Mais nous ne croyons pas, comme Diodore de Sicile, que ces eaux aient pu s’élever jusqu’aux plus hautes montagnes de cette île. Dans ces traditions antiques, l’on doit admettre le fait principal et laisser sa part à l’exagération si commune dans ces histoires populaires[36].

On ne sait si la rupture du Bosphore a été simultanée avec la rupture des Colonnes d’Hercule, ou si quelque espace de temps s’est écoulé entre l’une et l’autre. L’obscurité dont sont environnées ces deux grandes catastrophes, le manque absolu de documents contemporains ne nous permettront jamais de décider cette question. Cependant qu’il me soit permis de présenter une conjecture.

L’antique Grèce avait la tradition de deux déluges : celui d’Ogygès, qu’Eusèbe, dans ses Chroniques, fixe au temps du patriarche Jacob, Choiseul et Gouffier, vers l’an 1754 avant notre ère, et celui de Deucalion, au temps de Moïse, vers l’an 1530 avant J.-C. Ne paraît-il pas probable que ce fût dans le déluge d’Ogygès que le pont Euxin rompit ses barrières et, s’écoulant par le Bosphore, inonda la Grèce, enfla la Méditerranée et ravagea le littoral de l’Italie et de l’Afrique, ravages dont Pline[37] fait mention ? Ensuite, près de deux cents ans après, arriva la grande catastrophe qui rompit les barrières d’Hercule, ouvrit une communication entre la Méditerranée et l’Océan, et anéantit la partie occidentale de la malheureuse Atlantide, catastrophe qui, pour des causes naturelles, pût coïncider avec l’inondation de la Thessalie, procurée, à ce qu’il paraît, par les eaux intérieures qui sortirent des gouffres et des cavernes dont sont parsemées les chaînes du Cithéron, de l’Œta et de l’Olympe[38].

Un passage frappant des Chroniques d’Eusèbe[39] semble appuyer notre sentiment. « Au temps de Deucalion, dit-il, sous Phaëton, l’Éthiopie fut ravagée par les flammes. « Εϰι Φαεθοντος εϰπυρωσις εν Αιθιωπια.[40]. » Or, remarquons de nouveau que l’Éthiopie était le nom que les anciens étendaient à toute la partie nord de l’Afrique[41], où les habitants de la haute vallée du Nil avaient étendu leurs colonies. On connaissait plus de quarante-cinq peuples qui portaient le nom d’Éthiopiens, et les habitants de l’Afrique occidentale étaient aussi compris sous ce nom générique. Or, ce grand incendie sous Phaëton que la fable nous dépeint précipité du haut des airs, pour avoir embrasé le globe par son imprudence, ne fait-il pas souvenir des feux volcaniques qui contribuèrent si puissamment à la destruction de cette contrée infortunée[42] ?

Voilà exposé tout ce que l’obscurité des siècles et le petit nombre de traditions certaines nous ont permis de savoir sur l’histoire des Atlantes et la destruction de leur contrée. Nous voyons cependant que les vestiges que ce peuple a laissés dans les annales anciennes des autres nations sont assez nombreux et donnent certaine autorité aux principaux évènements que nous venons de mentionner. Nous voyons cette autorité fortifiée par l’aspect géologique des pays où nous avons placé l’Atlantide ; et, quelque extraordinaire que soit la catastrophe de sa disparition, cette catastrophe se trouve accompagnée de témoignages si nombreux, de probabilités si grandes, qu’elle doit devenir presque une certitude historique aux yeux du naturaliste et de l’historien.

Remarquons, d’ailleurs, que cette submersion de vastes continents, ce découvrement d’une grande étendue de pays, ne peuvent plus paraître si invraisemblables, d’après la manière dont Deluc, Dolomieu, Cuvier expliquent le déluge universel.

Mais, après avoir vu l’histoire et surtout la disparition de l’Atlantide, examinons en dernier lieu les changements que cette grande catastrophe a dû opérer dans l’univers.


NOTES DU CHAPITRE IV

1) Adversus Celsum, liv. V.

2) Garcilasso : Hist. du Pérou, liv. IX, ch. 8.

3) Platon, Aristote.

4) Le tremblement de terre qui, en 1556, ravagea la province de Chansi, en Chine, peut encore être cité : plus de soixante lieues de pays furent abîmées et englouties.

5) L’Afrique supérieure orientale porte cependant en plusieurs endroits des traces d’un terrain volcanisé, tels que dans le Haroudja noir, chaîne de collines entre le Fezzan et l’Oasis d’Audjelah (Voyez Ritter, Géographie physique de l’Afrique, tom. III, p. 299 ; Hornemann, Voyages, tom. I, p. 86 ; Rennell, dans l’Appendix au voyage précédent, même tome, page 223, et le texte remarquable de Pline qu’il cite, et qui prouve que les Romains connaissaient la configuration de ce pays : Mons ater a nostris dictus, a natura similis adusto, livre V, ch. 5.

6) Livre III.

7) Strabon a raison : c’est l’Océan qui s’est frayé un passage : telle est l’opinion des géologues et des physiciens modernes, « Il est remarquable, dit le savant abbé Corréa de Serra, cité par M. Dureau de la Malle, dans sa Géographie physique de la mer Noire et de la Méditerranée, p. 348, il est remarquable que la forme du détroit de Gibraltar soit telle à peu près qu’elle devait être, s’il eût été formé par une irruption de l’Océan dans la Méditerranée. Il a la forme d’un entonnoir, et cette forme est si régulière que les pointes occidentales et extérieures du détroit, qui se correspondent exactement, ont une égale différence en latitude, avec les deux pointes intérieures qui forment le fond de l’entonnoir, vers la Méditerranée. Car voici la position correspondante des quatre pointes, d’après les observations de Tofino, et autres astronomes espagnols :

Punta Laneo, à 35° 55′ 30″ - Cap Spartel, à 35° 48′ 40″ =>  différence 6′ 50″

Punta Carnero, à 36° 1′ 30″ - Punta Sera, à 36°  8′ 10″ =>  différence 6′ 40″.

« Le fond de l’entonnoir est dans l’endroit où la chaîne des montagnes les plus hautes passe de l’Europe en Afrique, sans autre interruption que cette ouverture. Les matériaux dont ces montagnes sont composées, sont de même nature en Europe et en Mauritanie ; ce qui porte naturellement à croire que le fossé qui les sépare est bien plus moderne que leur formation. »

8) Quæst. natur. 1. VI, ch. 29.

9) Voyez aussi dans Valerius Flaccus, l. II, v. 618.

10) Livre IV, ch. 18.

11) Livre III, Proæmium.

12) Livre II, ch. 8.

13) Strabon, livre I. — Pline, livre III, ch. 1.

14) Voyez, dans les voyages d’Ali-Bey, la manière dont il explique la formation du détroit. — Guide du Voyageur en Espagne, pag. 228.

15) Livre I.

16) Livre V, ch. 47.

17) Livre V, ch. 28.

18) Livre VI, ch. 1.

19) Page 959.

20) Livre II, v. 615.

21) Livre I.

22) Bianchini : Historia Universalis, p. 78. Wisemann, Discourt 9e.

23) D’après un écrivain allemand, Jean de Muller, d’antiques traditions et des observations physiques placent dans la mer de l’Archipel, avant la rupture du Bosphore, une terre considérable nommée Lectonie, abîmée dans un tremblement de terre, et dont les Cyclades et les Sporades sont les débris. Il est étonnant, si cette tradition a existé, que les auteurs grecs que nous avons cité n’en aient pas parlé, surtout Platon, qui revient plusieurs fois dans ses ouvrages sur la grande catastrophe du déluge. Mais, en admettant cette tradition, ne pourrait-on pas la considérer comme un souvenir confus de la destruction de l’Atlantide ?

24) D’après les recherches de l’expédition française en Égypte, le niveau de la mer Rouge est supérieur à celui de la Méditerranée de près de 10 mètres (30 pieds 6 lignes).

25) Page 274.

26) Tome II, p. 65.

27) Essai physique sur l’état de la mer.

28) Mémoire sur l’origine du Bosphore de Thrace.

29) Géographie physique de la Mer Noire, ch. 26.

30) Voyages, tom. VII, pag. 212.

31) Voyage à l’embouchure de la Mer Noire, liv. II, ch. I, p. 117 et 118.

32) Tome I, ch. 8.

33) Tome III, p. 134, in-4.

34) Tome III, p. 131.

35) Voyage en Orient, Turquie d’Asie, p. 324.

36) Livre V, ch. 47.

37) Livre II, ch. 92.

38) Chronicorum Canonum, l. I, ch. 30.

39) Ferreras et Masdeu (le premier, Hist. d’Espagne, liv. I ; le second, Storia critica de Espana, tom. III), savants espagnols, fixent la rupture du détroit à l’an 1698, avant Jésus-Christ. Je ne connais pas les raisons qu’ils apportent (Voyez Eusèbe, liv. I, ch. 30 de ses Chroniques).

40) Eusèbe ajoute, dans le livre second de ses Chroniques, où il rappelle ce fait par ces mots frappants : Et alia multis in locis exterminia contigerunt, ut Plato refert in Timœo, πολλαι ϰαι αλλαι γεγονασιν Ελλησι τοπιϰαι φθομαι, ως Πλατων εν Τιμαιω..

41) Voyez Gosselin, Géog. des Grecs analysée, p. 109.

42) Pline nous parle, dans son livre second, d’un mont Phégius, le plus élevé de l’Éthiopie, englouti dans un tremblement de terre.


CHAPITRE V - Changements que la disparition de l’Atlantide a dû opérer dans le monde.

Une catastrophe, telle que la disparition de l’Atlantide a dû nécessairement produire de grands changements sur le globe terrestre. Si de vastes contrées ont été englouties dans la mer, une étendue de terres non moins considérable a dû se découvrir et être abandonnée par les eaux. C’est d’ailleurs la loi constante et uniforme de la nature dans les lentes révolutions qu’avec le secours des siècles elle opère dans le monde. La seule différence, c’est que les changements dont nous parlons, procurés par des causes puissantes et victorieuses ont été simultanés, ou se sont passés dans l’espace d’un petit nombre d’années. Peut-être aussi doit-on les partager, ainsi que je l’ai dit dans le chapitre précédent, en deux époques, celles des deux célèbres déluges d’Ogygès et de Deucalion. La tradition nous fournira peu de documents sur cet important chapitre ; mais la géologie et la géographie physique nous donneront des indices nombreux et des probabilités frappantes.

Examinons d’abord quelles contrées ont dû être submergées avec notre Atlantide. Nous avons vu, dans le récit de Platon, que la Méditerranée était, au temps des Atlantes, bien moins profonde et moins étendue qu’elle ne l’est maintenant. Et ce que dit notre philosophe d’Athènes est grandement probable. Avant l’ouverture des Colonnes d’Hercule, avant l’ouverture du Bosphore, la Méditerranée ne recevait pas, comme elle reçoit maintenant, les eaux de l’Europe et de l’Asie septentrionales. Le Nil était le seul fleuve de long cours qui lui portât son tribut (Le Rhône et l’Eridan n’ont pas plus de deux cent lieues)[1]. Elle formait un grand lac intérieur ; peut-être même était-elle divisée en deux ou plusieurs lacs particuliers, formés par l’arête de la chaîne de la Corse et de la Sardaigne unies alors à l’Italie, et par la Sicile et par Malte ; ces deux lacs communiquaient sans doute entr’eux par un étroit canal vers le sud. D’ailleurs, dans la disposition des îles nombreuses qui bordent ses rivages et celle des mers et des golfes adjacents, elle montre un terrain morcelé et envahi par les eaux.

Ainsi, dans l’Archipel, les Sporades évidemment faisaient partie du continent de l’Asie, les Cyclades et l’Eubée du continent de la Grèce. Les îles Ioniennes et les îles si nombreuses qui bordent le rivage oriental de la mer Adriatique étaient réunies autrefois à l’Epire et à l’Illyrie ; Chypre faisait partie de la Syrie ; Malte était unie à la Sicile, qui elle-même l’était d’un côté à l’Italie[2], et de l’autre, par l’île Pantallerée et les écueils Cherby se rapprochait beaucoup de l’Afrique ; peut-être y était-elle réunie vers le cap Bon. Les sondages du capitaine Smyth ont révélé l’existence de bancs continus entre l’Afrique et la Sicile. Par le moyen des îles Linose et Lampedouze, Malte se rapprochait aussi beaucoup de l’Afrique. Celle-ci communiquait aussi avec la Sardaigne et avec la Corse par une suite de petites îles dont il reste encore l’île Galita. La Corse et la Sardaigne se réunissaient de leur côté par Capraia, Elbe et Gorgone au continent de l’Étrurie et peut-être même à la Ligurie. Les Baléares et les Pythiuses qui bordent l’Espagne à l’Orient lui étaient jadis réunies. La côte d’Afrique, d’un autre côté, s’étendait bien plus loin qu’elle ne fait maintenant vers le nord. Nous en apporterons pour preuve les bas-fonds et la mer peu profonde qui bordent les côtes, surtout vers les Syrtes, et les îles Kerkeni qui ont conservé dans leur nom celui de la ville de Cercène qui y était bâtie sans doute et qui est si célèbre dans l’histoire des Atlantes. Or, cette ville était jadis sur le continent, ces îles en sont à quelque distance et un grand banc de sable s’étend encore à plusieurs lieues au nord[3].

Mais va-t-on peut-être nous dire, cette conformation antique de la Méditerranée ne pourrait-elle pas remonter au-delà des temps historiques les plus reculés ? Qu’est-ce qui prouvera le contraire ? D’abord, l’histoire des Atlantes, entourée de probabilités si grandes, malgré le nuage des siècles ; ensuite un fait remarquable que cite Boisgelin dans son Histoire de Malte, fait qui montre que cette île était habitée par un peuple civilisé, au temps de la catastrophe qui en anéantit une partie, ou la sépara du continent, « À un mille du Bosquet (maison de campagne du grand-maître), du côté le plus voisin de la mer, est une élévation assez considérable. De sa partie méridionale, on aperçoit des ornières antiques creusées dans le rocher ; il est facile d’en suivre les traces jusqu’à la mer, où elles se perdent. Ces ornières ont de quatre à six pouces de largeur et dix à douze et jusqu’à quinze pouces de profondeur ; elles règnent dans un long espace de terrain dont la superficie n’est que du roc. En s’approchant du rivage, on remarque que le sol prend une direction inclinée, que les traces des ornières se prolongent sous l’eau à une grande profondeur, et aussi loin que l’œil puisse apercevoir un objet à travers les vagues, ce qui fait présumer qu’il y a dans cet endroit quelque affaissement considérable. Comme entre les deux voies formées par les roues des voilures, on ne remarque aucun creux semblable à ceux que font les chevaux et les mulets, quand ils les traînent, il est probable que celles-ci étaient tirées à force de bras et qu’il y avait dans cet endroit un entrepôt ou un port considérable[4]. »

Remarquons, supposé, ce qui est bien probable, que la rupture du Bosphore ait précédé de quelque temps la rupture des Colonnes d’Hercule, que la Méditerranée a dû envahir bien plus de terre qu’elle n’en occupe maintenant, et étendre ses rivages jusqu’au pied des montagnes. De là vient la trace du séjour des eaux que l’on trouve partout sur les côtes de l’Italie, de la Grèce et de l’Afrique, traces que Strabon[5] reconnaît : car, après avoir cité plusieurs preuves de cet envahissement de la mer, il termine en disant : « Il faut avouer qu’une grande partie de nos continents a été quelque temps inondée. » « Si des bords de la mer, dit Pomponius Méla[6], on s’enfonce dans l’intérieur, à une distance considérable du rivage, on aperçoit, dit-on, çà et là, dans des campagnes d’ailleurs stériles et abandonnées, si toutefois la chose est croyable, des arêtes de poissons, des débris de coquillages, des rochers qui paraissent avoir été limés par les flots, comme ceux qu’on voit au sein des mers, des ancres de vaisseaux incrustées dans les montagnes, et beaucoup d’autres phénomènes de ce genre, qui tous sont autant de preuves et de vestiges de l’ancien séjour des eaux sur ces contrées lointaines. » De là vient cette tradition de la Grèce que rappelle Platon dans un passage cité par Strabon[7], et que nous avons cité plus haut. De là vient entre autres la tradition particulière de Samothrace dont parle Diodore et dont nous avons fait mention.

Mais, après l’ouverture des Colonnes d’Hercule, une masse immense d’eau a dû s’écouler par le détroit dans l’Océan, et diminuer la Méditerranée jusqu’à ce qu’elle ait atteint le niveau que demandait la nature. Voilà pourquoi plusieurs terres, plusieurs îles ont apparu alors sur les eaux qui les avaient envahies, et que cette mer a abandonné une partie de ses conquêtes. C’est à ce fait que nous devons attribuer le nom donné par la Grèce antique à une île célèbre de l’Archipel qui renfermait un de ses sanctuaires les plus renommés. C’est l’île de Délos, dont le nom grec Δηλοσ veut dire découverte.

« Une tradition constante, dit Choiseul-Gouffier, semble prouver que cette île parut tout-à-coup aux yeux des Grecs étonnés qui rappelèrent Délos, d’un mot de leur langue qui signifie : Je parais. Il est possible que le terrain de l’île, auparavant un bas-fond peu éloigné de la surface des eaux, ait été seulement soulevé par un effort intérieur des feux qui occupent cette partie de la terre. Peut-être aussi, dans une de ces révolutions que le globe a tant de fois éprouvées, le niveau de la mer a-t-il baissé dans cette partie et laissé à découvert cette montagne qui, par son élévation, se trouvait plus près de la surface de la mer[8]. »

Mais on pourra nous présenter ici une objection puissante que l’amour de la vérité doit m’engager à ne pas dissimuler. La rupture des Colonnes d’Hercule, autrement du détroit de Gibraltar, n’a pas dû diminuer le niveau de la Méditerranée : elle aurait dû au contraire l’augmenter. Car c’est l’Océan qui s’introduit dans la Méditerranée, et non la Méditerranée qui débouche dans l’Océan[9]. La preuve en est le grand courant qui entre par le milieu du détroit et qui porte continuellement à l’est, de telle manière que les vaisseaux qui y entrent facilement par l’Océan, restent longtemps et quelquefois des mois entiers pour en sortir ; deux faibles courants latéraux seulement se dirigent à l’ouest.

Mais cette objection, quelque victorieuse qu’elle paraisse, est heureusement plus spécieuse que solide, « Cet influx apparent de l’Océan dans la Méditerranée, dit Maltebrun, ce savant interprète de la géographie et de la science moderne, n’est que l’effet de la pression d’une masse plus grande sur une plus petite, pression qui déplace nécessairement les couches supérieures de la petite masse, comme ayant la moindre force d’impulsion collective. Un courant inférieur qui se fait sentir aux vaisseaux, dès qu’ils laissent tomber une ancre, emporte vers l’Océan le superflu de la mer intérieure. Le mouvement général de la Méditerranée se dirige de l’est à l’ouest[10]. »

Nous avons vu les terrains que la mer a submergés au temps de notre grande catastrophe. Voyons maintenant les vastes contrées que la mer a été en ce temps-là obligée d’abandonner.

D’abord, après la rupture du Bosphore, nous voyons l’Asie et son intérieur délivrés des eaux qui couvraient une immense étendue de terrain, et qui, de la mer Caspienne, du lac Aral et de tout le pays environnant formaient une grande mer communiquant avec le Pont-Euxin au nord du Caucase [11]. Tout le pays à l’entour de ces deux grands lacs, restes imposants de cette grande Méditerranée, présente au loin un sol bas, aride, sablonneux, des plantes salines dans un sol imprégné de sel, des lacs salés occupant le fonds du terrain, preuve indubitable de l’antique séjour des eaux. Voyons sur cet important sujet le témoignage du célèbre Pallas[12] qui avait parcouru ces pays, et les avait étudiés avec soin. « La mer Noire, dit-il, était de plusieurs toises plus haute qu’elle ne l’est aujourd’hui, avant son débordement dans la Méditerranée par le détroit de Constantinople. Elle recevait sans doute dans ces temps reculés les eaux abondantes des fleuves qui y prenaient leur décharge, après avoir parcouru des contrées qui sont encore… aqueuses. Il s’ensuivrait donc de cette ancienne suréminence que les steppes de la Crimée, du Kouman, du Volga, du Jaïck, et ce plateau de la Grande Tartarie, jusqu’au lac Aral inclusivement, ne formaient qu’une mer qui, au moyen d’un petit canal peu profond, dont le Manych nous offre encore ses traces, arrosait la pointe septentrionale du Caucase et avait deux golfes énormes, l’un dans la mer Caspienne, l’autre dans la mer Noire. » Les Phoques, ajoute Pallas dans un autre de ses ouvrages, quelques poissons et coquilles marines que la mer Caspienne a de commun avec la mer Noire, rendent cette communication ancienne presque indubitable, et ces mêmes circonstances prouvent aussi que le lac Aral devait être jadis joint à la mer Caspienne [13]. » Voyons encore ce qu’il dit à ce sujet dans son Journal historique. « En parcourant les immenses déserts qui s’étendent entre le Volga, le Jaïck, la mer Caspienne et le Don, j’ai remarqué que ces steppes ou déserts sablonneux, sont de toutes parts environnées d’une côte élevée qui embrasse une grande partie du lit du Jaïck, du Volga et du Don, et que ces rivières très profondes, avant que d’avoir pénétré dans cette enceinte, sont remplies d’îles et de bas-fonds, dès qu’elles commencent à tomber dans les steppes, où la grande rivière de Kouman va se perdre elle-même dans les sables. De ces observations réunies, je conclus que la mer Caspienne a couvert autrefois tous ces déserts, qu’elle n’a eu anciennement d’autres bords que ces mêmes côtes élevées qui les environnent de toutes parts et qu’elle a communiqué, au moyen du Don, avec la mer Noire, supposé même que cette mer, ainsi que celle d’Azof, n’en ait pas fait partie [14]. »

Mais pourquoi la Caspienne, l’Aral et d’autres lacs de moindre dimension se trouvent-ils disséminés sur toute cette étendue abandonnée par la mer ? C’est que ce sont des espèces de vastes entonnoirs dans lesquels les eaux sont restées, ne trouvant point d’écoulement. Ainsi, la mer Caspienne a un niveau plus bas que la mer Noire. Cette différence que M. de Humboldt estimait être de près de cent mètres, a été réduite à dix-huit mètres trente centimètres par les observations récentes de M. Hommaire-Déhel [15].

Le Pont-Euxin, de son côté, s’étendait bien plus loin que maintenant à l’est et au nord. La Crimée qui présente des plaines si vastes, les Bouches du Danube et le pays bas et plat qui s’étend depuis ce fleuve jusqu’à la mer d’Azof à vingt à trente lieues dans les terres, était autrefois couvert par le Pont-Euxin qui portait au loin de ce côté-là ses limites. M. Dureau de la Malle, dans sa Géographie physique de la mer Noire, a traité cette question avec une érudition et un talent remarquables. Il a mis hors de doute notre opinion, et nous ne pouvons rien ajouter aux preuves frappantes et victorieuses qu’il apporte [16].

Maintenant, tournons nos regards vers l’Afrique et contemplons l’intérieur de ce continent. Avant la catastrophe de l’Atlantide, il était couvert par les eaux et formait une Méditerranée immense qui bordait cette contrée au Midi, et se joignait sans doute vers l’Ouest à l’Océan. Mais cette opinion qui doit paraître extraordinaire, a besoin de preuves et de témoignages, pour pouvoir être admise, et convaincre les esprits. Développons-les.

D’abord toute l’antiquité a eu une idée confuse de l’existence primitive d’un lac ou mer intérieure de l’Afrique [17] : elle le nommait Tritonis ou lac des Hespérides, et le plaçait au loin dans l’Éthiopie. Diodore de Sicile rapporte la tradition remarquable de son dessèchement par un tremblement de terre, et place sur ses bords la demeure des Amazones et des Gorgones voisines des Atlantes [18]. L’antiquité le faisait communiquer avec la Méditerranée européenne par un détroit ou canal placé, suivant les uns, au fond de la grande Syrte ; suivant les autres, au fond de la petite, et qui du grand lac avait pris le nom de Tritonia. C’est sur cette tradition, non moins que sur l’aspect physique du pays, que s’appuyait Erastothènes cité par Strabon [19] et par Aristote dans sa Météréologie.

Voilà les seuls indices que nous fournisse la tradition. Mais leur insuffisance est abondamment suppléée par les preuves physiques et par l’inspection du pays. L’Afrique présente au géographe et au géologue dans son intérieur, dans la partie connue sous le nom de Sahara, l’aspect d’un sol desséché, et d’un bassin couvert autrefois par les eaux de la mer. Les rochers y sont comme cachés sous des amas de cailloux, de galets et de sable mouvant. Cet espace de plus de 72,000 milles géographiques carrés de superficie, bas, déprimé entre les montagnes de Kong et celles de l’Atlas, est parsemé de nombreuses mines de sel gemme, et celles que nous connaissons ne sont qu’en bien petit nombre en comparaison de celles qui nous sont inconnues, et que des couches de sable couvrent et enfouissent : preuve convaincante de l’ancien séjour des eaux. Des Caspiennes se montrent çà et là dans toute cette étendue, entre autres le Tchad, de plus de deux cents lieues de tour, l’étang ou marais de Wangara, d’un contour si vaste, et à l’autre extrémité du Sahara, vers l’ouest, le lac Dibbié traversé par le Niger. Ces lacs ont été produits sans doute par la même cause que ceux de l’Asie dont nous venons de parler, l’abaissement de leur niveau et la profondeur de leur lit. Ce bassin immense recueillait les eaux des deux chaînes qui le bordaient au nord et au sud. Des rivières qui se perdent maintenant dans ses sables, particulièrement le Darah, le Ziz, le Feddy y portaient leur tribut. Le Sénégal lui-même s’y jetait autrefois vers le lieu appelé Escale du désert ; mais après le dessèchement de cette mer, les sables amoncelés par les vents chaque année davantage sur son rivage septentrional, le refoulèrent et le forcèrent à porter son cours au sud vers l’Océan. Il en est de même du Niger qui, reçu autrefois dans cette Méditerranée, vers l’emplacement de Tombouctou, fut forcé vers la même époque et pour la même cause, à changer son cours, à former une courbe immense, et à porter ses eaux au loin vers le sud dans ce même Océan, ainsi que nous vous l’avons dit. Car la côte, depuis le 20e jusqu’au 32e degré de latitude nord, n’est qu’une bordure de terres basses couverte de nombreuses dunes de sable mouvant : aucune chaîne de montagnes ne se présente parallèlement à ce rivage. Au sud, cette mer était bornée par les montagnes de Kong, à l’est, par la chaîne qui, partant de l’Haroudje-Noir, mont volcanique, continuation de l’Atlas, traverse l’Afrique, et va, au sud vers le 10e degré de latitude nord, rejoindre cette chaîne encore inconnue que nous nommons, d’après l’antiquité, Monts de la Lune[20].

Examinons maintenant, par le moyen de l’aspect et de la configuration du pays, la communication que l’antiquité soupçonnait avoir existé entre cette mer et notre Méditerranée. Le voyageur Della Cella, parvenu au fond du golfe de la grande Syrie, par 30° 7’ 10" de latitude nord, n’aperçut au loin aucune trace de montagnes qui, en correspondant avec les monts Ghoriam et Terhouah (c’est ainsi que s’appelle l’Atlas à Tripoli) eussent pu réunir le plateau de l’Atlas au plateau oriental de Barcah. « J’observai pendant notre route, dit-il, si dans l’horizon il ne s’élevait pas quelque chaîne de montagnes qui se joignit à des rameaux de l’Atlas, et si, dans cette supposition, ceux-ci se prolongeraient jusque dans la Cyrénaïque, où s’ils aboutiraient seulement à la hauteur du golfe Syrtique ; mais je ne sus rien découvrir qui pût confirmer cette hypothèse[21]. » C’est sans doute de ce canton que parle Salluste, quand, décrivant les limites des Carthaginois et des Cyrénéens, il dit : « Entre les deux États, il était une plaine sablonneuse et uniforme, sans fleuve et sans montagne qui pût servir à en former des limites. Ce fut la source d’une guerre longue et sanglante. Ager in medio arenosus, una specie ; neque flumen, neque mons erat, qui fines eorum discerneret. Quœ res eos in magno diuturnoque bello inter se habuit[22]. »

Horneman, dans son Voyage d’Égypte au Fezzan, traversant le désert à peu près vers le méridien cité plus haut, fit une observation analogue à celle du voyageur précédent. « Nous trouvâmes, dit-il, en descendant du plateau, la route escarpée et difficile… Parvenu à la base de la montagne, je trouvai un morceau de bois pétrifié. Dans la plaine, à quelque distance, se voyaient de grosses pierres, ou plutôt des rochers : ils sont là, selon toute apparence, depuis le temps de quelque grande inondation. Tout ce que j’avais vu auparavant, et tout ce que je vis alors, me porte à placer cette inondation postérieurement au déluge de l’Écriture-Sainte. Je jetai d’un peu loin mes regards sur le Medhyq (Descente de la montagne). Les formes étranges de ces rochers brisés ou séparés les uns des autres me confirmèrent dans l’idée d’une submersion et me persuadèrent que ce déluge était venu de l’ouest (Remarque précieuse qui montre que le courant venait de la grande mer intérieure placée précisément de ce côté). » Ensuite Hornemann descend dans une grande plaine appelée Sultin, où se trouvent des sources abondantes, quoique le terrain y soit nu et aride[23].

Ne pourrait-on pas considérer le grand lac salé Sibkah-eb-Lowdeah comme le reste d’un autre écoulement de cette grande Méditerranée africaine. Sa forme allongée qui va du sud au nord, son rapprochement du fond du golfe de Cabès, la petite Syrte des anciens, sembleraient annoncer qu’il a servi autrefois d’écoulement à un grand courant d’eau. Il est vrai que, suivant Shaw, des montagnes s’élèvent entre la mer et le lac[24]. Je pense pourtant qu’un examen plus approfondi ferait connaître les vestiges d’une communication ancienne entre l’extrémité nord du lac et la mer, par une rivière voisine, nommée Akareah, qui se jette dans la mer près de là. On observe à l’extrémité sud du lac l’entrée d’une grande vallée qui sert de communication avec l’intérieur du Sahara, et était sans doute un des canaux par lesquels la Méditerranée africaine communiquait avec l’européenne. Là, suivant Pline[25] et Pomponius Méla[26], tombait une rivière assez considérable. Il est fâcheux que les environs de ce lac n’aient pas été davantage explorés, surtout dans la partie sud. Peut-être aurait-on découvert dans la chaîne correspondante de l’Atlas, une ouverture, une anfractuosité, par laquelle les eaux se seraient échappées. Ces anfractuosités entr’ouvrant la chaîne des montagnes sont si communes, que beaucoup de fleuves ont à en franchir quelqu’une ; tels sont le Danube, franchissant les Portes de Fer (Demir-Kapi), près d’Orsowa, le Nil franchissant près de Thèbes la chaîne Libyque, le Niger passant à travers les montagnes de Kong assez près de son embouchure, et les fleuves des États-Unis se faisant jour et surmontant les obstacles que leur présentent les Alleghanys et les montagnes Bleues. Remarquons que Shaw semble reconnaître dans une petite île qui est dans le lac Sibkah[27] l’ancienne Chéronèse dont parle Diodore[28], bâtie par les Amazones, et l’île Phlé d’Hérodote[29]. Et qui sait si les deux Syrtes n’étaient pas les deux bras d’un même fleuve ou canal, par lequel s’écoulait dans la Méditerranée cette mer intérieure, et qui renfermait ainsi un delta immense de neuf degrés de largeur ? Par-là serait concilié le sentiment de Pline avec celui de Strabon qui voit dans la grande Syrte l’écoulement du lac Triton. Voyez, d’ailleurs, sur l’hypothèse que je viens de proposer, l’excellent ouvrage de Ritter, sur la Géographie physique de l’Afrique, tome III.

Remarquons que cette vaste mer, que tant de preuves physiques nous engagent à placer, au temps de l’Atlantide, à la place du Sahara, contribuait à isoler cette grande contrée et à justifier le nom d’île que lui donnait l’antiquité.

Maintenant avançons vers l’Amérique : nous la trouverons conservant encore dans son aspect physique des traces de la disparition de l’Atlantide. Elle se montrera à nous comme ayant conquis, par le moyen de cette grande catastrophe, des terrains immenses que la mer cachait autrefois sous ses eaux. Dans la partie septentrionale, les États-Unis, la Floride, les bords du Mississipi, le Texas sont, du bord de la mer aux montagnes, des terres assez récemment abandonnées par l’Océan. « Il existe, dit Crèvecœur, une foule de preuves que toutes les terres, surtout dans les États-Unis méridionaux, depuis les montagnes jusqu’à la mer, ont été couvertes par les eaux. Partout, à vingt, à trente pieds de profondeur, on rencontre un sol dont l’odeur seule décèle l’origine. Au dessus du sol, des branches, des troncs d’arbres et même des feuilles. Un de mes voisins conserve des grains de chêne garnis de leurs capsules, qu’il a trouvés en creusant un puits. Mais la plus forte preuve du séjour de la mer sur toute cette surface, jusqu’à deux cent milles (anglais) de ses rivages actuels, est une élévation estimée avoir soixante-dix pieds de hauteur et sept à huit milles de largeur, dans une étendue de soixante milles, laquelle est entièrement formée d’écailles d’huîtres. D’où cet immense dépôt est-il venu[30] ?… »

Dans la partie méridionale, les côtes si basses de la Guyane[31], les grands bassins de l’Amazone, de l’Orénoque, celui de la Plata et de ses affluents, les vastes savanes qui s’étendent de ses bords aux Cordillères présentent le même spectacle et le même sol récent. « Considéré sous le rapport de la composition, dit M. d’Orbigny, en parlant de la Patagonie et du pays connu autrefois sous le nom général de Paraguay, considéré sous le rapport de sa composition, le sol de la partie septentrionale paraît offrir, depuis le pied des Andes jusqu’à la mer, une succession de couches de terrains tertiaires, contenant des alternats de coquilles d’eau douce et marines et des ossements de mammifères, au milieu de grès friables, si uniformément stratifiés que, sur les côtes de la mer, et sur les rives du Rio-Negro, où se remarquent partout des falaises d’une grande hauteur, on peut suivre la moindre couche, l’espace de six à huit lieues, sans qu’elle varie sensiblement d’épaisseur. Plusieurs échantillons de roche, ainsi que la description des voyageurs, m’ont prouvé que les mêmes terrains occupent presque toute la Patagonie, sur la côte orientale, jusqu’au détroit de Magellan. Au reste, le sol tertiaire se continue au pied des Andes, vers le nord, communique avec celui qui borde le grand Chaco, et circonscrit partout les Pampas proprement dites, formées invariablement d’argile à ossements et de terrain d’alluvion[32]. Les Pampas elles-mêmes sont beaucoup moins étendues qu’on ne l’avait pensé, puisqu’elles ne participent pas du tout du sol de la Patagonie, cessant entièrement au 39e degré, pour faire place aux terrains tertiaires des parties australes. Ainsi, à l’exception des attérissements et des bords des rivières, la Patagonie n’est pas propre à la culture, car elle offre partout des terrains sablonneux et secs qui ne conservent pas l’humidité nécessaire[33]. »

« Nous avons déjà eu, ajoute M. Lacroix, qui, dans son Histoire de la Patagonie, cite le passage précédent, nous avons déjà eu l’occasion de dire que les plaines de ce pays étaient imprégnées de sel et que les lacs de la partie nord étaient tous salés. Cette substance est si abondante dans les terrains de la Patagonie qu’elle se manifeste souvent en efflorescence à leur surface, même sur des attérrissements des rives du Rio-Negro ; aussi aucun puits n’a jamais donné d’eau potable, et celle-là même que les Estancerios boivent, à défaut d’autre plus douce, est si saumâtre qu’elle occasionne aux étrangers des coliques violentes et une dysenterie dangereuse. Cette disposition du sol et la découverte récente de certains fossiles significatifs annonceraient que la Patagonie a été couverte par la mer. Si l’on admet cette hypothèse qui semble parfaitement rationnelle, on s’expliquera parfaitement la formation des nombreuses salines qui offrent aux colons du Carmen leurs produits naturels : les eaux, en se retirant, ont laissé des lacs salés dont la partie liquide s’est évaporée, grâce à la rareté des pluies et à l’extrême sécheresse ; les parties salines se sont concentrées dans le fonds de ces réservoirs, et ont enfin passé à l’état de cristallisation[34]. »

Tels sont les changements importants qu’a procurés la catastrophe qui a anéanti l’Atlantide. C’est ainsi qu’elle a, pour ainsi dire, changé la face de la terre, mis une mer immense à la place d’un pays florissant et fertile, et remplacé, d’un autre côté, de vastes mers par les sables d’un désert aride, ou par des plaines verdoyantes et fécondes qu’enrichissent chaque jour le génie et le travail de l’homme civilisé.

Je viens d’exposer ce que la tradition et l’étude de la nature nous apprennent sur l’existence, la situation, l’histoire et l’anéantissement de cette antique contrée. On peut voir, par les témoignages nombreux que j’ai recueillis, combien les conjectures sur lesquelles j’appuie l’existence et la disparition, du moins partielle, de l’Atlantide, sont fondées et vraisemblables. Puissent-elles attirer l’attention des savants de nos jours ! Puissent-elles engager quelques-uns d’eux à en faire le sujet de leurs nobles travaux et à apporter des lumières nouvelles sur un point si important de l’histoire ancienne de l’univers !


NOTES DU CHAPITRE V

1) La Méditerranée devait recevoir aussi par le fleuve Triton, une partie des eaux intérieures de l’Afrique ; mais la plus grande partie de ces eaux devait s’écouler dans l’Océan, dont elles ne formaient en quelque sorte qu’un golfe immense.

2) « La nature a arraché la Sicile à l’Italie, » dit Pline (livre II, ch. 88), Avellit natura Siciliam Italia. C’était d’ailleurs une opinion de l’école Pythagoricienne. Pline dit encore la même chose, livre III, ch. 8. Ovide en fait mention dans ces vers des Métamorphoses :

« . . . . Zancle quoque juncta fuisse
« Dicitur Italiæ, donec confinia Pontus
« Abstulit et media tellurem reppulit unda. »

Livre XV. v. 294.

Virgile embrasse la même opinion, interprète en cela de la tradition de l’Italie :

« Hac loca vi quondam, et vasta convolsa ruina
« (Tantum aeri longinqua valet mutare vetustas)
« Dissiluisse ferunt, quùm protenus utraque tellus
« Una foret : venit medio vi pontus, et undis
« Hesperium siculo latus abscidit, arvaque et urbis
« Littore diductas augusto interluit oestu. »

AENEIDOS lib. III, v. 413.

Salluste, dans ses fragments incertains, s’exprime ainsi : « Italiam conjunciam Siciliœ constat fuisse ; sic medium spatium aut per humilitatem obrutum est aquis, aut per angustum scissum. Inde Rhegium nominatum. » (Ex Isidoro). Voyez Silius Italicus, liv. XIV, vers 2 ; et P. Claudien : In raptu Proserpinæ, liv. I ; Sénèque, Questions naturelles, liv. VI, ch. 29 ; Ferrara, I Campi Flegrei de la Sicilia, pag. 262 et 351 ; Denys Periegete, v. 467.

3) V. d’Aly-Bey, t. I.

4) Tome I, ch. 7, pag. 176.

5) Livre I.

6) Livre I, ch. 6. Trad. de Fradin.

7) Livre I.

8) Voyage en Grèce, t. I, p. 60.

9) Grand-Pré : Dict. de Géographie maritime.

10) Précis de la Géographie, t. III, p. 13.

11) Maltebrun ; Précis de la Géographie, t. VIII, p. 480. — Mouraviev : Voy. en Turcomanie, p. 97. — Meyendorf : Voyage d’Orembourg à Bokara? p. 35. Klaphroth : Notice sur la mer Caspienne.

12) Voyage en Russie, l. VII, p. 212.

13) Observations sur la formation des montagnes dans le second voyage, t. II, p. 369 à la note.

14)  Mois de nov. 1773, St-Pétersbourg.

15) Rapport à l’Académie des Sciences : 18 avril 1843.

16) Voyez Pallas : Tableau de la Tauride. — Milady Craven : Voyage en Crimée.

17) Les anciens avaient connaissance de plusieurs lacs dans l’intérieur de l’Afrique, les lacs Clonia, Gira, Libya, Chelonidès, Nigritis Palus : peut-être ont-ils donné deux noms différents au même lac : peut-être ces lacs ont-il disparu et ont-ils été desséchés par une circonstance particulière !

18) Livre III. ch. 27.

19) Géog. 1. I.

20) Il est possible que la Méditerranée africaine fût fermée du côté de l’Occident, en grande partie par les montagnes de l’Atlantide, qui se réunissaient probablement aux montagnes de Kong, au sud de Rio-Grande, et à l’endroit où se voit encore l’Archipel de Bissagos, que borde du côté des îles du Cap Vert une suite de bancs de sable, de bas fonds et de vase de soixante lieues d’étendue.

21) Voyage dans le royaume de Barcah, traduit par Pezant, p. 116.

22) Guerre de Jugurtha.

23) Voyage, t. I, p. 79 et suiv.

24) Voyage, t. I, p. 276.

25) Livre V, ch. 4.

26) Livre I, ch. 7.

27) Voyez tome I, p. 275.

28) Livre III, ch. 27.

29) Livre IV, ch. 188.

30) Voyage à la Haute Pensylvanie, t. II, p. 246.

31) Voyez, dans les Époques de la Nature, le beau tableau que fait Buffon de la Guyane. Il la dépeint sous des traits enchanteurs.

32) Voyage dans l’Amérique méridionale.

33) Livre IV, ch. 188.

34) Ces traits s’appliquent parfaitement au Sahara d’Afrique, et accusent la même cause pour l’une et pour l’autre contrée. Voyez, en confirmation du passage de Crèvecœur, un Mémoire envoyé à l’Institut, classe des Sciences physiques et mathématiques, en floréal, an VIII (1800), par un correspondant d’Amérique, habitant les États-Unis.



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