GERMAIN Sur l’Atlantide




SUR L'ATLANTIDE


Louis Germain


Paru dans Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences
Tome 153, 1911 (pp. 1035-1037)


ZOOLOGIE. — Sur l’Atlantide. Note de M Louis Germain présentée par M. Edmond Perrier

Dans son Timée, Platon parle, sous le nom d’Atlantide, d’un continent disparu s’étendant, dans l’océan Atlantique, au delà des Colonnes d’Hercule. Ce récit, souvent traité de fable, est cependant d’une précision plus grande qu’on ne l’a cru. Je me propose, dans un travail que je prépare en ce moment, d’établir à l’aide de données historiques, géographiques et naturelles [1], la véracité du récit de Platon et d’essayer d’écrire l’histoire de ce continent disparu. Dans cette courte Note, je n’indiquerai que les principaux arguments paléontologiques et zoologiques qui militent en faveur de ma manière de voir.

Si l’on jette un coup d’œil sur la carte de l’océan Atlantique, on est de suite frappé par l’existence d’une série d’îles s’étendant au large des côtes de l’Afrique et de la péninsule ibérique et qui sont les Açores, Madère, les Canaries et les îles du Cap Vert. J’ai montré, dans un précédent travail, que la faune terrestre (et surtout la faune malacologique) de tous ces archipels avait une origine continentale absolument nette [2] et que, par ses caractères généraux, elle se rattachait à la faune circa-méditerranéenne sans présenter de points de contact avec la faune africaine équatoriale.

D’autre part, on trouve en Mauritanie [3] des formations quaternaires avec Helix (Helix Gruveli Germain) dont les analogies avec les espèces actuelles des Canaries sont évidentes. Tout récemment, M. G. Dollfus m’a communiqué des Helix quaternaires des Canaries qui sont rigoureusement identiques à ceux découverts en Mauritanie.

D’ailleurs, on sait aujourd’hui que toutes ces îles reposent sur un soubassement sédimentaire, reste d’un ancien continent effondré.

Je ne fais que citer l’analogie des Mollusques actuels de Madère, des Canaries, des Açores et des îles du Cap Vert avec les fossiles du Tertiaire européen ; la présence, dans le Quaternaire de ces îles, de Mollusques aussi caractéristiques de la faune circa-méditerranéenne que le Rumina decollata L., et la survivance, aux Canaries et aux Açores, de l’Adiantum reniforme L., cette fougère aujourd’hui disparue en Europe, mass qu’on retrouve dans le Pliocène du Portugal, pour arriver à quelques faits de zoogéographie particulièrement importants,

Le plus considérable est fourni par la répartition géographique d’une famille de Mollusques Pulmonés, celle des Oleacinidœ. Ces animaux, représentés par un assez grand nombre de genres (Spiraxis, Varicella, Ferussacia, Azeca, etc.), ne vivent que dans l’Amérique centrale, les Antilles et le bassin méditerranéen [4] ; mais, tandis qu’ils sont représentés en Amérique, comme ils l’étaient dans l’Europe méridionale à l’époque miocène, par des formes de grande taille, ils ne se montrent plus, dans le bassin méditerranéen (et aussi aux Açores, à Madère et aux Canaries), que sous forme de Mollusques de petite taille.

Deux autres faits du même ordre sont également importants. Le premier est l’existence de 10 espèces de Mollusques marins vivant à la fois dans les Antilles et sur les côtes du Sénégal [5] sans que le transport des embryons puisse être utilement invoqué. Il en est de même en ce qui concerne les Madréporaires de San-Thomé étudiés par M. Ch. Gravier. Sur les 6 espèces que comporte cette faunule, une ne vit que dans les récifs de la Floride et 4 n’étaient jusqu’ici connues qu’aux Bermudes. Comme la durée de la vie pélagique des larves de Madréporaires n’est que de quelques jours, il est impossible d’expliquer cette singulière distribution géographique par le jeu des courants marins.

Des faits que je viens d’exposer brièvement je crois pouvoir conclure que les îles Açores, les Canaries, Madère et l’archipel du Cap Vert, autrefois réunis, constituaient une aire continentale qui est l’Atlantide. Relié à la Mauritanie, ce continent devait avoir pour limite Sud une ligne de rivages qui, partant des environs du Cap Vert, traversant l’Atlantique pour se rattacher à un point indéterminé du continent américain, vraisemblablement le Vénézuela [6]

L’Atlantide s’est effondrée beaucoup plus récemment que le continent africano-brésilien, si bien que la formation de l’océan Atlantique a dû s’effectuer en deux temps correspondant respectivement à l’effondrement du continent africano-brésilien et à celui de l’Atlantide. D’autre part, l’océan Atlantique, et ceci n’est qu’une hypothèse, s’est constitué symétriquement par rapport à la ligne de résistance maximum représentée aujourd’hui par la crête nord-sud de hauts fonds située au milieu de cet océan. La symétrie que j’indique ici est relativement remarquable, car, d’après la Carte des océans de S. A. S. le Prince de Monaco, les sondes marquent sur les côtes africaines et brésiliennes des profondeurs sensiblement égales à égales latitudes :

5490m au large du cap Saint-Roque (Brésil) ;
5300m au large de l’embouchure du rio de la Plata ;
5600m au large de l’embouchure du Congo ;
5300m au large de l’embouchure du fleuve Orange.

L’Atlantide, au climat désertique dans ses régions centrale et occidentale [7], se morcella tout d’abord du côté des Antilles par un effondrement partiel qui dut créer une large fosse, grossièrement jalonnée par la Floride, les îles Bahama, les grandes et les petites Antilles, ces terres restant à l’ouest de cette fosse.

Une communication par mer exista dès lors entre les Antilles et les côtes de Guinée, ce qui explique la distribution géographique actuelle des Madréporaires à San-Thomé et aux Bermudes, et l’existence de Mollusques marins, communs aux Antilles et aux côtes du Sénégal.

Après ce premier effondrement, il subsista, dans l’Atlantique moyen, une aire continentale aux vastes proportions, reliée, d’une part, à la péninsule ibérique et, d’autre part, à la Mauritanie. A une époque relativement récente, et probablement pliocène, ce continent s’abîma dans l’océan en ne laissant émerger qu’une île très vaste qui se dissocia pour donner, naissance à l’archipel du Cap Vert, à Madère, aux Canaries et, enfin, aux Açores. C’est la tradition orale de cette dernière phase du morcellement de l’Atlantide que les anciens, et surtout Platon, ont relatée dans leurs écrits.


NOTES

1) Ces dernières se rapportant à l’Ethnographie, à l’Anthropologie, à la Géologie, à la Paléontologie, à la Botanique et à la Zoologie.

2) J’ajouterai : une origine continentale avec nombreuses adaptations à la vie désertique.

3) Au Rio de Oro et aux environs du cap Blanc.

4) Les Oléacinidés ont été introduits récemment en Nouvelle-Zélande. Il n’y a évidemment pas lieu de tenir compte de cette acclimatation accidentelle.

5) Ces Mollusques ont été signalés par M. Dautzenberg, d’après les récoltes de MM. Gruvel et Chudeau. Le même auteur indique aussi, comme vivant encore aux environs du cap Blanc, le Brocchia sulcosa Brocchi, espère miocène et pliocène d’Europe, jusqu’ici inconnue à l’état vivant.

6) Des sondages seraient indispensables pour relever cette ancienne ligne de rivages avec quelque précision.

7) Je ne puis insister ici sur les raisons d’ordre zoologique qui me font admettre ce fait.


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