A PROPOS DE L'ATLANTIDE
Extrait de La Géographie, t. 40, 1923
Jean Gattefossé
Jusqu’à ces derniers temps la Science, si elle admettait le problème de l’existence même du continent atlantique, se refusait obstinément à envisager l’étude de ce qu’il devait être et des races et civilisations qui avaient pu y évoluer.
L’existence des civilisations atlantes n’étant même pas supposée par la Science, leur influence sur le monde actuel était naturellement niée. Mais un nouveau courant semble se dessiner et remontant des effets aux causes, on commence à admettre que l’origine de nombre de mythes et de légendes remonte à une ou plusieurs civilisations anciennes ayant occupé au point de vue géographique, une situation soit intermédiaire entre le Vieux Monde et l’Amérique, soit universelle.
Le public a tendance à croire que tout élément de recherche sur ces civilisations atlantes fait nécessairement défaut, il n’en est rien et il est utile de le répéter.
Michel Manzi a donc le mérite considérable de vulgariser cette idée de l’application possible des méthodes purement scientifiques au problème de l’existence des civilisations atlantes. Dans une préface justement enthousiaste, Francis de Miomandre rappelle que ce livre fut écrit il y a déjà vingt ans ; nous devons déplorer qu’il ait fallu l’apparition du roman de Pierre Benoît pour provoquer enfin la publication du livre de Michel Manzi[1].
Les théories de Manzi sur l’Atlantide sont celles de Scott-Elliot et de Ignatius Donnelly, c’est-à-dire celles des écoles théosophistes dérivées des déductions hindouistes de Sinnett. Mais Manzi ne semble pas avoir adopté purement et simplement les idées théosophiques sur les successions de races et de sous-races à la surface du globe. Il adopte ou rejette certains arguments selon ce que sa raison lui permet ou ne lui permet pas d’admettre ; ce serait, au point de vue scientifique, un critère partial et insuffisant, mais comme toute la théorie est au fond basée sur l’ « observation directe » ou psychométrique, elle échappe à la critique scientifique en bloc.
La psychométrie sous le nom de métagnomie entre à peine dans le domaine scientifique avec le travail récent du Dr Osty et le problème de l’Atlantide ne semble pas avoir fait l’objet de vérifications psychométriques récentes. Nous nous y sommes personnellement astreint mais n’avons pas encore publié nos observations ; hâtons-nous d’ajouter qu’elles confirment dans leur imperfection même les observations des sages hindous et des théosophes modernes.
Michel Manzi compare les traditions des déluges du vieux monde à celles connues des déluges des légendes et des textes américains ; il fait appel aux traductions de Le Plongeon qui, bien que confirmant celles de l’abbé Brasseur de Bourbourg, ne sont pas encore admises par les spécialistes des langues mortes du Nouveau Monde.
Disons encore que l’ouvrage de Michel Manzi devrait apporter une plus précieuse vérification de ses sources et donner les preuves de beaucoup d’affirmations [qui paraissent en manquer. Ces preuves existent et il est bon d’en faire état.
Les descriptions de détail des mœurs atlantes sont semblables dans leur imprécision même et leur naïveté caractéristique à toutes les descriptions obtenues par voie psychométrique : Elles se rapportent à un moment donné de l’histoire atlante ; il n’est pas dit lequel, en cette longue suite de millénaires admise par l’auteur. Or les clichés psychométriques ne sont pas synthétiques, mais des observations directes réellement situées dans le temps et dans l’espace.
Il semble que Manzi ait été amené, à étudier le problème atlante à la suite d’une observation personnelle, relative à l’antipathie remarquable des types bruns de Bretagne et de Picardie pour les blonds et les roux. Cette lutte sournoise de tous les temps, retracée dans les vieux textes de l’Egypte, de la Grèce et du Mexique, entre les Hommes Rouges et les hommes aux yeux bleus est évidemment impressionnante et son étude rigoureuse conduit à admettre forcément l’existence d’une race supérieure d’hommes se disant « rouges », progressivement déchue et mise en tutelle par des races distinctes qui lui étaient antérieurement inférieures par la culture et la science.
En définitive il faut se féliciter de la publication du manuscrit ancien de Michel Manzi qui apporte avec érudition sa contribution passionnée à l’étude de ce problème si délicat.
Parti à l’opposé des considérations de Manzi, en ne tenant aucun compte des traditions plus ou moins ésotériques des occultistes, R.-M. Gattefossé arrive à un résultat très voisin qui a ce mérite de reposer sur des constats scientifiques critiquables en faisant appel aux connaissances bien fondées de la Science [2].
Cet ouvrage est un résumé des théories de l’auteur qu’il a déjà exposées dans une communication à la Société Préhistorique française et dans son ouvrage : Adam, l’homme tertiaire.
Il ne s’agit plus de descriptions psychométriques de contrôle délicat exigeant des aptitudes spéciales ou un entraînement rigoureux, mais bien d’interprétations techniques d’observations contrôlées ou contrôlables dans les diverses branches de la Science.
Le lecteur des deux ouvrages est naturellement frappé de constater que leurs auteurs arrivent ainsi, par des voies si différentes, à des résultats identiques.
Le livre de R.-M. Gattefossé a pourtant le mérite supplémentaire d’apporter beaucoup d’observations personnelles et de grouper celles de nombreux auteurs antérieurs qui dissertèrent sur l’Atlantide, soit du point de vue purement philosophique, soit sur des faits rigoureusement scientifiques.
Dans Adam, son précédent ouvrage, l’auteur s’est attaché à la distinction entre l’Atlantide de Bailly qu’il identifie avec le continent hyperboréen des traditions et l’Éden de la Bible et l’Atlantis de Platon ou Poséidon, continent atlantique peuplé par des hyperboréens à la suite d’un cataclysme longuement décrit dans toutes les traditions du Globe. R.-M. Gattefossé parvient à préciser la nature de ce cataclysme qui est un déplacement des pôles à la surface du globe amenant dans les lieux habités une disparition brusque du soleil accompagnée de phénomènes volcaniques intenses. Il suit ensuite cette race humaine évoluée dans ses pérégrinations à la surface du globe et distingue le peuplement de l’Atlantide, de l’Eurasie et de l’Amérique par les Hyperboréens, du peuplement ultérieur des mêmes régions par les atlantes lors de la disparition du continent qu’ils habitaient sur l’emplacement actuel de l’océan Atlantique. Ainsi il se rencontre absolument avec les occultistes et l’école théosophique de Sinnett, bien qu’ayant volontairement négligé d’emprunter le moindre document à leur littérature. Dans Le livre de l’Atlantide, il précise tous ces événements de documents nouveaux empruntés à toutes les disciplines et reprend surtout les traductions des livres sacrés américains de l’abbé Brasseur de Bourbourg. C’est une véritable réhabilitation de cet érudit- et consciencieux chercheur, montrant combien nous devons nous féliciter qu’il ait échappé à toute école scientifique a-priorique et ait donné la traduction de textes pour lui incompréhensibles, sans les dénaturer.
Ainsi le travail de l’abbé Brasseur devient pour le savant moderne une mine de documents sérieux et il est fort instructif de constater en quel dédain la Science tenait jusqu’à ces derniers temps le travail formidable du pauvre abbé.
Nous ne doutons pas que l’œuvre de Gattefossé, malgré l’accueil plutôt froid qu’elle a rencontré dans certains milieux, ne fasse école. Examinée sans parti pris, avec le désir réel de ne la critiquer que sur le terrain purement scientifique, elle apparaît comme un monument considérable. Ce qui peut momentanément déplaire à quelques-uns, c’est qu’elle donne implicitement raison aux travaux des occultistes et confirme les traditions ésotériques.
Nous suggérons aux auteurs s’intéressant au problème de l’Atlantide, de l’examiner aux lumières apportées par Gattefossé et par Wegener. Ils y trouveront matière à réflexion et ne s’étonneront pas de constater que la théorie de la dérive des continents, loin de supprimer l’hypothèse de l’Atlantide, la confirme et la renforce au contraire.
Que l’on nous permette en passant de revendiquer la théorie de la dérive des continents comme une idée essentiellement française, dans son ensemble, puisqu’elle fut publiée pour la première fois, avec des cartes explicites par Snider-Pellegrini dans son ouvrage si curieux : « La création et ses mystères dévoilés, ouvrage où l’on expose clairement la nature de tous les êtres, l’origine de l’Amérique, etc. » Paris, Franck et Dentu, 1859.
Il n’est pas prématuré de penser que les mouvements récents de la surface de la Terre seront bientôt connus en détail, si l’on envisage le problème synthétiquement, en faisant la part qu’elles méritent aux observations du Dr Baudouin sur l’orientation des monuments anciens, de R.-M. Gattefossé sur la disparition du Soleil et l’existence d’une civilisation tertiaire dans les régions actuellement polaires, de Koppen sur les déplacements de la ligne des pôles, de Négris sur les régressions marines, de Rémond sur l’évolution périodique des climats, de Snider-Pellegrini sur la dérive des continents, des géographes modernes sur les variations de latitude, etc.
JEAN GATTEFOSSÉ
NOTES
1) Le Livre de l’Atlantide, par Michel Manzi. Chez M. Glomeau. Paris, 1922, in-8° de 130 pages et 4 cartes.
2) La Vérité sur l’Atlantide, par R.-M. Gattefossé, chez Legendre à Lyon, 1923, petit in-8° de 144 pages et bibliographie.