L'ENIGME DU PACIFIQUE
Constant Chevillon
Article paru dans la revue Les Annales Initiatiques - N° 51 - 1932
Entre le nouveau monde et l'ancien, entre l'Extrême-Orient et l'Externe-Occident des terres, l'Océan Pacifique étend l'immensité de ses eaux. L'hémisphère nord est, à peu près, vide d'émergences. Par contre l'hémisphère sud est constellé d'îles gigantesques, d'un continent relativement énorme et d'une infinité d'îlots souvent minuscules. Dans la nuit lointaine de l'histoire, il en fut toujours ainsi ; mais, dans le tréfonds des Ages géologiques, la situation était, semble-t-il. inversée. Des savants indiscutés, comme Ed. Suess, le géologue viennois, prétendent qu'un vaste continent s'étendait là où les flots battent maintenant les rivages accores des récifs madréporiques. C'était le continent de Gondwana, la Lémurie des occultistes.
Ce continent gigantesque comprenait : l'Afrique du Sud, Madagascar, l'Australasie et l'Amérique du Sud, sans parler de l'Inde et. peut-être, de l'Indo-Chine. Les formations géologiques de ces divers pays sont identiques, ou presque, ainsi que la flore et la faune. Période glaciaire, terrains carbonifères, sédiments anciens, correspondent étrangement dans ces régions maintenant séparées par l'abîme des mers.
Gondwana fut-il une réalité ? D'aucuns en doutent, disant qu'une pareille masse continentale est impossible, en égard à celle des eaux. Mais, obligés de s'incliner devant les similitudes géologiques, ils font appel avec Wegener, après Snyders, à la dérive des continents et aux catastrophes qui en sont la conséquence, pour expliquer la dispersion des éléments jadis soudés entre eux.
Scientifiquement. l'hypothèse de Suess ne peut être niée. L'hémisphère sud comportait un continent immense, ou une suite de terres assez proches pour permettre la migration des animaux et des plantes, terres certainement soumises aux mêmes conditions climatériques, Et, à cette même place, se trouve actuellement le lit abyssal de l'Océan Pacifique.
Que l'hypothèse de Wegener soit fondée ou non, celle de Suess va nous donner, peut-être, la clef d'une énigme jusqu'ici insondable dont ont rêvé et rêvent depuis trois quarts de siècle, les géologues, les linguistes, les ethnographes et les occultistes. C'est le mystère de Rapa-Nui, l'île de Pâques.
A des centaines de milles de toute côte et du chemin des paquebots, isolée et presque déserte, l'île de Pâques surgit du sein des flots. Cette île aux rivages abrupts est étrange à plus d'un titre. A défaut d'habitants, un peuple de statues colossales, aux masques énergiques ou terribles, se dresse sur son sol volcanique. Des routes, pavées de pierres cyclopéennes. analogues aux voies construites au Pérou par les précurseurs des Incas, s'acheminent vers un volcan central éteint depuis des millénaires. Le long de ces routes, des statues gigantesques, la tête tournée vers le volcan, font figure de bornes milliaires, et le basalte du massif volcanique fourmille de figures identiques taillées dans le roc lui même.
Il y a cinquante ou soixante ans, un missionnaire français découvrit dans l'île des tablettes couvertes de signes hieroglyphiques que personne ne put traduire. Ces signes représentent, dans leur généralité, des animaux depuis longtemps disparus et en tout cas inconnus dans l'île.
Or, voici qu'un archéologue hongrois, Hévésy, a découvert dans la vallée de l'Indus, une écriture présentant, presque sous la même forme, les mêmes symboles. La preuve épigraphique viendrait-elle appuyer la preuve géologique en faveur du continent de Gondwana ?
Alors, l'opinion de Mac-Millan Brown serait-elle l'expression de la vérité ? Il prétend, en effet, que l'île de Pâques fut la nécropole du Pacifique, la sépulture de rois et guerriers des îles lointaines.
Elargissons l'hypothèse à la lumière des affirmations de Suess. Rapa-Nui ne fut pas toujours une île. C'était, sans doute, autrefois le point central d'une immensité territoriale. Dès lors, quel coin du voile se soulève, si en elle, nous voyons les alyscamps de la Lémurie !
Les fils du feu, ses adorateurs qui ont régné jadis sur le continent disparu, se font ensevelir dans le cratère d'un volcan éteint, à proximité de leur père, et leurs effigies qui attestent leur grandeur, veillent sur leurs cendres. Un cataclysme survient, analogue à celui rappelé par Platon dans le Timée ou à celui de Wegener. Le continent est englouti ou dispersé, et, seule au sein des flots. subsiste l'énigmatique nécropole qui portera aux générations futures le souvenir imprécis des temps révolus.
Cette évocation n'est pas seulement une fiction poétique, elle est d'autant plus plausible que la découverte de Hévésy vient établir un lien encore ténu mais singulièrement prometteur entre deux régions jusqu'alors complètement étrangères. En aucun lieu du Pacifique on n'a trouvé trace d'écriture, même symbolique, sinon dans l'île de Pâques. Or. voici qu'aux rives de l'Indus des caractères identiques surgissent du sous-sol de l'histoire pour corroborer la tradition obnubilée et les découvertes de la science moderne.
Pourquoi, dès lors, ne pas reconstituer l'immense continent austral imaginé par Suess et invoqué par l'énigmatique Michel de Figanières dans son livre « Clef de la Vie » ?
Nous le verrons peuplé d'hommes d'une civilisation déjà avancée, antérieurs à toutes les races connues, et nous ressusciterons ainsi l'antique Credo des générations éteintes, qui affirme la pérennité de l'espèce humaine, c'est.-à-dire de l'intelligence et de la conscience, à travers les âges géologiques.