JEAN-MARIE RAGON
De la Foi, de l'Espérance, de la Charité
Tels sont les piliers de la nouvelle loi.
Des théologiens ont donné à ces trois mots les noms de vertus théologales, qu'ils ont attribuées à nos vertus mondaines ; examinons si cette dénomination est fondée.
La FOI, suivant eux, serait la vertu de croire fermement des choses qui ne sont pas toujours conformes à la nature ni à la raison. Ils ne savaient donc pas que croire est l'opposé de savoir, et que l'homme crédule n'est trop souvent qu'un misérable qui dépend de quiconque n'a pas pitié d'un être sans défense. La foi est l'acte de croire qui doit provenir de la persuasion de l'esprit et de la conscience. En matière de dogme, celui qui veut croire a plus de mérite que celui qui croit. L'incrédulité de saint Thomas, dont parle l'Ecriture, est sans doute une métaphore pour avertir, au contraire, que la foi ne doit pas être aveugle, et que la véritable foi, celle qui sauve, c'est-à-dire qui mène à la vérité, doit être éclairée de la saine raison et appuyée de toute la conviction de la conscience.
L'ESPERANCE, selon ces théologiens, est une vérité qui fait espérer le paradis. Mais l'espérance n'étant qu'un simple état de l'âme ne peut pas plus être une vertu qu'un sentiment de croyance ne peut être la vertu de la foi [Note de l'auteur : L'espérance et la crainte sont deux puissants leviers dont les prêtres de tous les pays se servirent pour s'assurer la domination des corps et des âmes.
De ces trois mots, la CHARITE seule est une vertu, et, dans son origine, elle était très respectable. En effet, elle devait être chère au cœur de l'homme, puisqu'elle a pour but de lui faire secourir et aimer ses semblables. La charité est un des plus beaux mots de notre langue ; mais l'orgueil sacerdotal l'a fait vieillir et l'a, dès sa naissance, banni de la bonne société, par le sens dédaigneux et le ton méprisant dont on accompagnait le précepte : faire la charité. On y substitua le terme de bienfaisance qui ne le vaut pas : la bienfaisance marque uniquement l'art de secourir un malheureux, soit parce qu'on y trouve du plaisir, soit parce que ses souffrances choquent la vue, et cette action ne se rapporte qu'à nous-même ; tandis que la charité exprime une double idée, comme elle fait éprouver une double jouissance, celle de faire du bien et celle de le faire à un être qui nous est cher. Ainsi, on s'est encore trompé en appelant la charité une vertu théologale ; car théologal veut dire qui a Dieu pour objet ; or, la charité n'embrasse que l'humanité, mais l'embrasse tout entière ; elle est donc une vertu éminemment maçonnique et nullement une vertu théologale [Note de l'auteur : Un théologien compte encore quatre vertus cardinales : force prudence, tempérance et justice ; les trois premières ne sont que des qualités utiles à celui qui les possède, et non pas des vertus par rapport au prochain. La justice seule est une vertu utile aux autres ; mais il ne suffit pas d'être juste, il faut encore être bienfaisant. ] Saint Paul eut raison de dire que la charité l'emporte sur l'espérance et la foi.