GNOSTICIENS, PLATONICIENS, CABALISTES,
CARPOCRATIENS, OPHITES
Extrait de
"Les Jésuites chassés de la Maçonnerie"
1788
Nicolas de Bonneville
C'est à cause des persécutions des croyants en un seul Dieu, que les Gnosticiens, qui ne voulaient admettre qu’un seul Dieu, eurent, dès longtemps, entre eux un dogme secret, et des initiations allégorique à des opinions cachées, discipline arcani Le nom des Gnostisiens est Grec : le verbe Gnosti était le premier mot de la fameuse inscription du temple du soleil :
« Gnosti Seauton » Connais-toi.
Ce temple, dédié au soleil, ne veut pas dire que les Gnosticiens adoraient le soleil. De ce que nos églises soient dédiées, ou à saint Denis, qui porta sa tête après sa mort ; ou à saint Dominique, lequel institua la sainte inquisition ; ou à saint Nicodême ; ou à d'autres saints du calendrier Romain, il ne s'enfuit nullement que les Français adorent comme des Dieux tout-puissants, les grands saints qui ont donné leur nom à nos églises.
Les Gnosticiens se nommaient les prêtres du soleil, par la même raison que nos moines et bénédictions s'appellent généralement les prêtres de l'abbaye, prêtres de Saint-Denis, de Saint-Germain-l’Auxerrois, etc. etc., et non les prêtres de Dieu. Cependant ils n'adorent pas l’abbaye ; c'est Dieu qu'ils prétendent adorer. Si l’on mettait plus de clarté dans les discussions théologiques, il n'y aurait pas tant de fiel dans le cœur des dévots ; ou du moins les conséquences de leur aveuglement volontaire ne feraient pas si dangereuses pour les honnêtes gens.
Le nom Grec des Gnosticiens nous autorise à chercher l'origine de leurs opinions parmi les chrétiens de l'Asie mineure ; dans l'empire Grec qui subissait encore, c'est-à-dire, en même temps que la langue Grecque ; et la philosophie de cette langue durent avoir sur les Chrétiens d'Orient une grande influence.
Si je vais chercher l'origine des opinions Gnosticiennes au sein même du Christianisme de l'Orient, ç'est que l'histoire ecclésiastique m'apprend que les Gnosticiens parurent en public alors de l'établissement du Christianisme, comme s'ils en eussent été le tronc, la fleur et le fruit, selon les expressions des partisans du Gnosticisme. Dans le premier siècle, après la naissance de Jésus, la nouvelle philosophie Platonicienne était fort en usage parmi les Juifs : ce qui a fait dire à Boulanger que Celse, au rapport d’Origène, reprochait au Fils de Marie d'avoir emprunté plusieurs de ses dogmes de Platon ; et quand il ferait vrai, selon St Augustin, cité par Boulanger, qu'on trouve dans Platon, le commencement de l'Evangile de St Jean, Boulanger a tort d'accuser le Nazaréen de n'être pas même un grand homme. Ce phénomène d'érudition eût rendu à son siècle de plus signalés service, s’il se fût un peu plus attaché à peindre les choses, et s'il ne s'était pas trop occupé de: montrer son indignation particulière .
O Jesus, Fils de Marie, un vrai Dieu sur la terre, tu feras toujours pour moi le fils chéri de l’Eternel : nom sublimes et mérite, qui a fourni à Milton des vers pleins d'enthousiasme et de majesté.
« Je suis aussi le Fils de Dieu, ou je l'étais ! Et si je l’étais, je le suis encore ! Car Dieu ne méconnaît pas sa famille. Tous les hommes sont enfants de Dieu »
De la philosophie Platonicienne en usage depuis longtemps chez les Juifs, ou Joviens, ou Israélites, nâquit la cabale, cabbala, nom trop profané de nos jours, par une populace mystérieuse, pour nous donner une faible idée des respects profonds des sages qui apportèrent avec fierté, le nom de cabalistes ; ce qui prouve que la cabale alors bien entendue, contenait une philosophie noble et pure, quoique symbolique, et non mystérieuse ; car encore une fois, un symbole n'est pas un mystère.
Les cabalistes croyaient sans doute un seul Dieu, puisqu’ils enseignaient le dogme de l’unité de Dieu. Ils avaient aussi une image allégorique pour donner quelques idées justes de ses œuvres et de son essence. Voulaient-ils peindre la divinité d'une manière abstraite, c'est-à-dire, comme enfermant Tout en son sein, ils la représentaient à leurs disciples par une tête imberbe. Avaient-ils à peindre le Dieu créateur et fécondant, une tête barbue exprimait cette création et cette fécondation. La tête…imberbe représentait encore l’immutabilité, la nature et l’essence des choses. La tête barbue, une création éternellement continuée ; et en général, la perfection perpétuelle des choses qui tombent sous nos sens. Comme ils suivaient la loi des Juifs, il ne leur était pas permis de faire des images, de peur qu'avec le temps, qui corrompt tout, on ne s'avisât de .les adorer.
Toutes nos idées venant des sens, et Dieu n'étant pas un être corporel, il est évident qu'on ne peut jamais enseigner le dogme d'un Dieu sans avoir besoin de rapprocher des signes, plus ou moins imparfaits. Dieu est tout ce qui n'est pas matière, comment oser le peindre avec ce qui est matière ? Les cabalistes ne voulant pas abandonner le dogme sublime de l'unité d'un Dieu, et craignant la fabrication des images qui tombent sous les sens, crurent avoir atteint directement à leur but en employant des images spirituelles, des images en paroles, pour donner à leurs disciples une idée moins éloignée de la toute puissance de L'éternel, que l'évangile a nommé la parole, la parole par excellence .
Les Gnosticiens sont nés des cabalistes. Cependant bientôt après l’établissement du Christianisme Européen, le nom et la secte des Gnosticiens s'évanouirent, comme perdus dans les ténèbres. Mais par les ouvrages polémiques et les annales de notre Europe, on retrouve partout, jusqu'au temps des Templiers, les principes Gnosticiens sur les milliers de siècles, et les émanations ou principes divins. Les partisans de la théologie mystique se détachèrent de la loi Juive, et fabriquèrent des images matérielles d'après les images en paroles des Gnosticiens. Ils disaient à leurs initiés que celui qui adorait le crucifié, était encore bien bas dans l'échelle des êtres, et par conséquent la victime des milliers de siècles ; que celui au contraire qui était assez éclairé pour être sûr que jamais un homme ne pouvait être le Dieu tout-puissant, qui n'a point eu de commencement, se trouvait déjà parvenu au plus noble rang de l'échelle des êtres, à l'état d'homme enfin ; et alors il avait la Gnosin entière : c'est la science humaine. Les uns soutinrent que le Jésus, adoré des pontifes, n'avait été qu'un magicien .Une autre secte, les Ophites, qui confessaient un père, un Dieu incréé, se voyant persécutés par les Chrétiens d'Occident, maudirent le Galiléen.
Les Basilidiens avaient deux images ; l’une était une figure mâte, et l’autre réelle d’une femme. Ils honoraient ces images allégoriques. Nous sommes fort heureux que le bon Irénée ait fait de l’image des Basilidiens un Jupiter et une Minerve. Cette grande découverte nous apprend du moins que l’une des figures avait une barbe, et que l’autre n’en avait pas. Basilide, à la manière de Pythagore, obligeait ses disciples à se taire pendant plusieurs années, cinq ans entiers, selon quelques écrivains, jusqu'à ce qu’ils eussent reçu toute la Gnosin, toute la science de l’initiation. Un seul, entre mille, était admis au sanctuaire ; sur dix mille initiés, deux seulement étaient agréés pour participer à la révélation entière de tous les secrets arrachés à la nature.
Les Carpocratiens enseignaient, à leurs Initiation, que Jésus-Christ avait choisi, dans les douze disciples, quelques fidèles amis auxquels il avait confié toutes les connaissances qu'il avait acquises dans le temple d’Isis, où il étaient resté près de seize ans à s'exercer â une étude pratique, dont on lui avait donné la théorie pendant son enfance, instruite par les prêtres Egyptiens; et parce que les remèdes les plus salutaire sont presque tous composés d'une dose de poison, ils disaient que le grand médecin, au nom de l'humanité, leur avait défendu de ne jamais communiquer qu'aux hommes vertueux la sciences du bien et du mal, c’est-à-dire, l’art de guérir. Ils avaient un signe secret pour se reconnaître ; ce qui même, disaient-ils, est attesté par l'évangile. Ce fut à des signes Gnosticiens que les disciples reconnurent leur Maître à Emmaüs. Se prendre la main de certaine manière, exigeait une réponse, un attouchement expressif, et cela plusieurs fois, en forme d'interrogation et de réponses insensibles pour tout spectateur .
Les Basilidiens, les Carpocratiens et toutes les sectes Gnosticiennes, avaient une image où était gravé le mot Abrasax, qui, analysé par le calcul des lettres de l'alphabet Grec, alors en usage pour des chiffres, donne pour nombre total 365 ; ce qui, probablement pour les Gnosticiens, vouloir désigner la révolution annuelle du soleil, rappeler tous ses bienfaits, et dire à chaque initié : Tu marches sous l’œil de la nature !
Nous avons encore aujourd'hui quantité de belles pierres où ce mot est gravé ; et qu’elles soient antérieures ou postérieures au temps de basilide, on ne peut nier que ces médailles religieuse nous viennent des Gnosticiens. Dans la collection de Chislet on trouve deux empreintes de ces pierres, où le mot Abrasax est gravé.
On voit sur l’une de ces pierres le Gnosticien, le Savant par excellence.
Le grand Ouvrier de l’éternité, le Père des Gnosticiens, ou, en langage moderne, le Créateur et l’Architecte de l’Univers, était représenté sur la pierre avec une longue barbe et une longue chevelure, pour peindre l’ordre et les grâces de la création. Le pentagone, ou l’étoile à cinq pointes, de Pythagore, était encore sue le sein de l’image vénérable. C’était, disait-on, l’emblème de la confession paternelle du Tout-Puissant, parce que suivant les disciples de Pythagore, son pentagone, imprimé sur la poitrine, était un signe d’acceptation ; ils l’appelaient : le pentagone de santé et de prospérité. On y voyait encore l’ogdoade Gnosticienne, était à huit pointes. La grande étoile représentait le Créateur, et les sept petites étoiles étaient l’emblème des sept émanations de la Toute-Puissance !
Tout le système des prêtres du soleil se trouve lié avec l’image barbue et imberbe des Templiers. A leur réception secrete, on leur enseignait à croire en un seul Dieu, créateur de l’Univers que nous avons prouvé qu’ils voulaient peindre par leur Baffometus. L’hiérophante, qui symbolisait le Dieu, visible par ses bienfaits prononçait le mot Arabe YALLA ! Dieu, ou lumière de Dieu ! Après le fiat lux ou le don de la lumière, le grand maître en recevant l’initié au rang des frères, disait à haute voix :
« C’est l’ami » de Dieu voilà son fils bien aimé. Les juges qui interrogèrent les Templiers, ont consigné dans leurs informations les reproches qu’ils leur firent pour avoir cru que la terre et les plantes pouvaient germer, fleurir et mûrir par la puissance de Baffomet : preuve irrécusable que les templiers qui croyaient en un seul Dieu, ce qu’il ne faut pas oublier, ne voyait dans leur Baffomet que l’emblème et l’image des œuvres du Créateur.
Ce dogme de l’unité de Dieu avait toujours été chez les Gnosticiens une révélation allégorique. Et comme on y disait que le Fils de Marie n'avait été qu'un de leurs semblables, et non le Dieu tout-puissant, cette initiation secrète chez les Gnosticiens devait l’être bien davantage chez les Templiers. Le seul soupçon de cette croyance les eût envoyés aux tortures et aux bûchers.
Je ne vois pas comment je pourrais refuser de croire qu’ils lièrent à leur troisième et dernière profession, peu nombreuse, un but politique. Cet ordre militaire et ces chevaliers, errants dans les déserts de l’Asie mineure, avaient besoin d’un signe fraternel pour s’assurer que ceux qui le savaient prononcer étaient instruits du plus grand secret de l’ordre, et que l’on pouvait se confier à eux sans danger.
L’image des Templiers, où se trouvait peinte la figure du Baphé-Métous, figure du baptême ou teinture de la sagesse, écrit donc évidemment le symbole des ouvrages du Créateur. Mais le signe baptismal peint au sein de l’image barbue et imberbe avait-il encore un sens réel ; c’est-à-dire, un sens déterminé pour indiquer la forme qu’on devait employer à l’initiation du baptême de la sagesse ? Etait-ce une figure algébrique ou géométrique ?
C’était toutefois une figure Grecque et un signe d’initiation. Nous avons vu que le pentagone ou l’étoile Pythagoricienne était un signe d’acceptation. Oser prononcer que c’était le même signe, serait témérité ! Mais Nicolaï me paraît si courageux en ses recherches, et si sage en ses observations, que je ne puis lui refuser mon assentiment. Ce qui m’engagerait encore à croire cette analogie, comme suffisamment prouvée, c’est que l’étoile flamboyante, qu’on trouve sur les planches gravées du premier tapis des Francs-Maçons Anglais, est un pentagone, une figure étoilée à cinq pointes.
Cette allégorie mérite sans doute la peine d’être étudiée. On connaît le respect des sept sages pour le pentagone étoilé.
Les Ophites, qui peignaient en paroles allégoriques leurs idées sur la nature et la Divinité, disaient dans leurs symboles :
« Les âmes, en retournant à Dieu, doivent montrer aux Arxontas, aux Maîtres, les signes de leur purification sur la terre ».
Comment expliquer cette allégorie ? Je vois seulement que le sens littéral en est absurde. Je sais ensuite que ces paroles furent respectées par des hommes sages ; elles renferment donc un sens caché.
Je reconnais bien dans ces Archontes, ou maîtres, les juges de l'Enfer Grec, les gardiens des Champs-Elysées, les dragons qui veillent au jardin des Hespérides : ces Archontes, qui veillent à la porte du séjour d'élection, ont peut-être quelque rapport éloigné avec l'Apôtre auquel Jésus a, dit-on, confié les clefs du Paradis. Ces clefs en croix…
Mais des recherches incertaines m'entraîneraient loin de mon sujet ; non-feulement je permets, de tout mon cœur, que les savants comparent les Archontes aux Apôtres, les symboles des Ophites à leurs symboles, mais qu'ils fassent même de ces Archontes des Tuileurs à l’entrée du saint temple du grand Charpentier de l'Univers. Ce qui est indubitable, ce sont les prières des Ophites qu'on leur faisait prononcer quand on leur exposait l'image en paroles, ou la parabole que je viens de citer, laquelle figure verbale pourrait bien être la parabole du pentagone de Pythagore ; en un mot, l'étoile aux cinq pointes, figurée par une allégorie spirituelle ; ce qui ferait conforme aux dogmes des Gnosticiens, dont les Ophites étaient une branche ou retranchée ou aventurée pour fonder le terrein, le génie et les mœurs du temps.
Les prières des Ophites, en la présence du pentagone sacré, prouvent encore que ce pentagone était le signe de leur initiation. Ainsi la liaison des templiers et des Gnosticiens est démontrée.
C'était comme ayant participé à l'initiation du Baffometus, ou baptême de la sagesse, que l'on conçoit aisément qu'ils se persuadèrent, sans effroi de damnation, qu'ils n'avaient aucun besoin des bénédictions et absolutions des ministres du pape, qui n'étaient à leurs yeux que des hypocrites ou des dupes.