MARC-AURELE Pensées (Livre I)







PENSÉES DE MARC-AURÈLE

TRADUCTION NOUVELLE ET ANNOTATIONS

PAR BARTHELEMY SAINT-HILAIRE

PARIS - 1876

LIVRE I. — LIVRE II. — LIVRE III. — LIVRE IV. — LIVRE V. — LIVRE VI. — LIVRE VII. — LIVRE VIII. — LIVRE IX. — LIVRE X. — LIVRE XI. — LIVRE XII.


AVANT-PROPOS

Ne calomnions pas la nature humaine, et reconnaissons que notre âme est essentiellement dirigée vers le bien. C’est la gloire propre de l’homme. Mais il n’est pas toujours facile de discerner le bien, ni de le faire. Que de causes trop souvent l’obscurcissent à nos yeux, ou nous en détournent, en dépit des meilleures intentions ! Aussi, devons-nous une gratitude profonde à ceux qui nous ont tracé la voie par leurs écrits ou par leurs exemples ; leurs efforts encouragent et soutiennent les nôtres. Quelque puissante que soit notre raison, quelque droite que soit notre conscience, nous ne pouvons nous suffire entièrement et nous contenter de nos méditations solitaires ; les méditations d’autrui nous sont indispensables pour augmenter nos lumières et nos forces. Il n’est que faire de s’examiner bien longuement, pour s’apercevoir que l’on doit presque tout ce qu’on pense à la société dans laquelle on naît, et aux traditions sans nombre que cette société a reçues, pour les accroître encore à son tour. Ce serait un aveugle orgueil, et une erreur fatale, de croire que l’on tire tout de son fonds personnel, et qu’on peut impunément ignorer les trésors amassés par l’expérience et la sagesse des âges écoulés. Même, parmi les plus hardis rénovateurs de l’esprit humain, fondateurs de religions ou fondateurs de systèmes, aucun n’a eu cette prétention excessive, et n’a méconnu qu’il empruntait beaucoup au passé, tout en le réformant. Le Christianisme lui-même, qui est si parfaitement original, assoit le Nouveau Testament sur l’Ancien.
A plus forte raison, chacun de nous, dans sa sphère étroite, en est-il là ; et c’est une étude équitable et utile que de consulter, avec un respect qui n’enlève rien à l’indépendance, des prédécesseurs qui ont fourni sûrement la carrière que nous avons à parcourir ainsi qu’eux, au risque de périls semblables, et dans l’espoir des mêmes triomphes. Le combat de la vie, comme disait Socrate, il y a plus de deux mille ans, est le plus beau et le plus difficile des combats. Socrate en est sorti vainqueur, nous savons à quel prix ; et il peut à jamais en instruire d’autres à tenter, et à remporter peut-être, sur ses traces, d’aussi nobles victoires.
Nous avons donc besoin de lectures habituelles, qui fournissent un texte précis à nos pensées et à nos résolutions, et qui les ramènent sur un constant objet, pour qu’elles ne s’égarent point trop aisément dans de stériles distractions. De là vient que toutes les religions positives recommandent et imposent aux croyants un livre, qui doit éclairer l’esprit, diriger la foi et régler la conduite. Mais la philosophie, qui, avant tout, est le domaine de la liberté, exerce son empire autrement. Ce sont bien encore des livres qui lui servent à propager la vérité ; mais comme elle n’accepte pas d’autre clarté que celle de la raison, et que la raison est souveraine, grâce au libre arbitre dont nous sommes doués, la philosophie se borne à offrir au genre humain le fruit de ses labeurs ; elle ne contraint personne à le prendre. Heureux ceux qui le goûtent, de leur plein gré, et qui joignant les austères conseils des sages aux inspirations de leur cœur, savent découvrir et conserver pieusement la lumière véritable ! Le salut n’est qu’à ce prix.
Mais plus l’âme est instruite et plus elle s’élève, plus le choix se resserre et s’épure. Quand on a soi-même de vastes horizons, il faut que le compagnon et le guide qu’on adopte ait des regards encore plus lointains. Même quand on voit aussi bien que lui, on aime encore à sentir son voisinage et son appui ; le pas est plus ferme, quand on marche côte à côte d’un ami fidèle. Dans la vie intime de l’âme, ces associations sont comme celles des héros d’Homère pour une entreprise hasardeuse ; il n’est personne qui ne doive dire avec le fier Diomède [1] :
« Je serai bien plus sûr encor de mon courage,
«Si quelqu’autre guerrier avec moi veut venir ;
« Lorsque l’on est à deux, on peut mieux réfléchir ;
« On voit mieux ce qu’il faut ; et l’homme solitaire,
« Pensant d’abord moins bien, ne peut aussi bien faire. »
Ici plus que partout, les préférences sont libres ; mais si le fils de Tydée hésite entre les deux Ajax, Mérion, Antiloque, Ménélas ou Agamemnon, et s’il donne enfin sa confiance à Ulysse, nous aussi nous pouvons bien hésiter entre Platon, Cicéron, Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle ; ou dans un autre ordre de sainteté, entre les Psaumes de David, le Sermon sur la montagne, l’Imitation de Jésus-Christ et saint François de Sales. Au fond, l’intention est la même ; venant de ces grandes âmes, les conseils sont à bien peu près identiques. Sauf quelques nuances différentes mais superficielles, la règle proposée à la vie de l’homme est pareille, que cette règle émane de la sagesse grecque ou de la foi chrétienne. Sur le terrain de la morale, tous ces cœurs admirables s’accordent ; et le nôtre n’a qu’un devoir, c’est d’entendre à travers les temps cette divine harmonie, et de la suivre autant qu’il le peut.
Les stoïciens de l’empire romain ont cet incomparable mérite de n’avoir rien demandé qu’à la raison et à la pratique de la vie. Ils couronnent et ils achèvent un progrès qui commence à Pythagore et qui aboutit à eux, en passant par Socrate et Zénon. Ce sont sept à huit cents ans d’élaboration ininterrompue ; et le génie grec, sculptant la statue morale de l’homme, arrive enfin à une perfection qui égale en, beauté l’art de Phidias, et qui le dépasse de toute la supériorité de son modèle, l’âme à la place du corps.
On accuse le Stoïcisme d’orgueil et d’insensibilité ; et notre Pascal s’est fait l’écho de ces accusations, qui, dans sa bouche, sont devenues plus retentissantes sans être plus justes. Pascal va cependant jusqu’à dire qu’Épictète mériterait « d’être adoré, si, connaissant si bien les devoirs de l’homme, il avait aussi bien connu son impuissance. » Il est possible que la critique soit fondée pour des stoïciens secondaires ; mais elle ne l’est pas pour Épictète, ni surtout pour Marc-Aurèle. Où sont donc les âmes plus sincèrement humbles que celle du serviteur d’Épaphrodite, ou celle de l’Empereur romain ? Marc-Aurèle pousse la modestie si loin qu’il en devient inique envers lui-même ; il fait la part de ses parents, de ses maîtres, de tout le monde ; mais il oublie de faire la sienne. Épictète, sans y apporter autant d’insistance, cite sans cesse ses devanciers ; il ne prétend qu’à reproduire leurs doctrines, sans jamais se flatter d’aller au-delà et d’y ajouter quelque chose. Est-il un cœur plus tendre que celui qui a aimé Fronton, et qui s’est épanché dans des lettres si touchantes ? La prétendue insensibilité du Stoïcisme n’est absolument que la résignation sous la main de Dieu, et l’obéissance sans bornes à ses lois, à l’ordre universel, le dédain de toutes les choses à u dehors, le renoncement au monde extérieur, l’exclusive et magnanime préoccupation des choses du dedans, toutes vertus que le Christianisme préconise en son propre nom, et qu’il aurait tort de ne pas accueillir en quelque lieu qu’elles se retrouvent. Le Stoïcisme ne parle pas autrement que Job ; et il a peut-être sur Job cet avantage de s’épargner les plaintes, en se préparant dès longtemps à d’inévitables épreuves.
Parmi ces rares et sûrs compagnons de notre vie intérieure, personne, même des plus délicats et des plus exigeants, ne saurait refuser d’admettre Marc-Aurèle. Il n’a écrit que pour lui et il s’adresse ses propres réflexions, dans un moment où, malade et en expédition sur les bords sauvages du Danube, il sent déjà que sa fin est proche ; il veut revoir en un souvenir résumé le passé de son existence, et juger une dernière fois la valeur des choses humaines, qu’il va quitter. Mais l’Empereur ne nous a pas exclus de son monologue ; et puisqu’il a pris la peine de le mettre par écrit, dans une langue qui n’était pas la sienne, c’est qu’il voulait que d’autres aussi en profitassent. Sachons donc en profiter ; et apprenons du souverain du monde, aussi bien que du pauvre esclave de Phrygie, quels sont nos vrais biens, si différents des biens qui enflamment les convoitises du vulgaire. Ces témoignages concordants, venus des deux extrémités, le rang suprême et la servitude, sont l’évidence même ; et si ces principes avaient besoin encore pour nous d’une confirmation, trouvons-la dans le concours de deux des plus belles et des plus fermes âmes que Dieu ait jamais formées, plaçant l’une sur le trône de l’univers, et l’autre clans les chaînes d’un maître impitoyable, fortifiées toutes deux par une même foi contre les séductions de la toute-puissance et contre celles de la misère.
Sans douté, il est parmi nous, ainsi que dans tous les temps, bien peu de cœurs dociles à cet enseignement, aussi viril que vrai, aussi pratique qu’aimable pour qui sait le comprendre. Mais si tous ne peuvent pas le suivre, tous au moins doivent l’écouter ; et nul n’a le droit de se croire, ni assez éclairé, ni assez fort, pour le négliger, quelle que soit d’ailleurs la lumière qui le guide et le fondement sur lequel il appuie sa faiblesse. Mais Épictète et Marc-Aurèle étaient des païens ! Certainement. Et qu’importe ? Les repousser à ce titre serait aussi tolérant et aussi sage que de repousser les docteurs chrétiens, au nom de la philosophie et du libre examen. Paganisme, Christianisme, ces distinctions, qui peuvent avoir leur place ailleurs, s’évanouissent devant l’intérêt suprême de la vérité ; la raison reconnaît son bien partout où elle le rencontre ; il n’y a pour elle ni temps ni nations, pas plus qu’il n’y a de conditions sociales ni de privilèges. C’est surtout en morale que règne cette « perennis quædam philosophia » que cherchait Leibniz, et dont Marc-Aurèle, après Épictète, est un des plus purs interprètes.
Aussi, une traduction nouvelle n’est-elle jamais inopportune ; et si celle-ci peut conquérir au bien quelques amis de plus, elle n’aura point été inutile.

[1] Iliade, X, vers 222 à 226.


I

Exemples que j’ai reçus de mon grand-père Verus[1] : la bonté et la douceur, qui ne connaît point la colère.

II

Du père qui m’a donné la vie[2] : la modestie et la virilité, du moins si je m’en rapporte à la réputation qu’il a laissée et au souvenir personnel[3] qui m’en reste.

III

De ma mère[4] : la piété et la générosité ; l’habitude de s’abstenir non pas seulement de faire le mal, mais même d’en concevoir jamais la pensée ; et aussi, la simplicité de vie, si loin du faste ordinaire des gens opulents.

IV

A mon bisaïeul[5], je suis redevable de n’avoir point fréquenté les écoles publiques, d’avoir profité dans ma famille des leçons d’excellents maîtres, et d’avoir appris par moi-même que, pour l’éducation des enfants, il ne faut ménager aucune dépense[6].

V

A mon gouverneur[7], de n’avoir jamais été de la faction des Verts ou des Bleus[8], ni de celle des Petits-boucliers ou des Grands-boucliers[9] ; il m’a montré aussi à endurer la fatigue, à restreindre mes besoins, à faire beaucoup par moi-même, à diminuer le nombre des affaires, et à n’accueillir que très difficilement les dénonciations[10].

VI

A Diognète[11], j’ai dû de ne pas m’appliquer à des riens ; de ne jamais croire à tout ce que les sorciers et les charlatans[12] débitent de leurs incantations et des conjurations de démons, ni à tant d’autres inventions aussi fausses. Je lui ai dû encore de ne pas me plaire à élever des cailles de combat[13] et de ne point me passionner pour ces puérilités ; de savoir supporter la franchise de ceux qui me parlent ; d’avoir contracté le goût de la philosophie ; d’avoir suivi d’abord les leçons de Bacchius, puis ensuite celles de Tandasis[14] et de Marcien[15] ; d’avoir composé des dialogues dès mon enfance[16], et de m’être fait une joie du grabat, du simple cuir[17], et de tous les ustensiles dont se compose la discipline des philosophes grecs.

VII

A Rusticus[18], j’ai dû de m’apercevoir que j’avais à redresser et à surveiller mon humeur ; de ne point me laisser aller aux engouements de la sophistique ; de ne point écrire sur les sciences spéculatives ; de ne pas déclamer de petits sermons vaniteux ; de ne point chercher à frapper les imaginations en m’affichant pour un homme plein d’activité ou de bienfaisance ; de me défendre de toute rhétorique, de toute poésie et de toute affectation dans le style. Je lui dois encore de n’avoir pas la sottise de me promener en robe traînante à la maison, et de me défendre de ces molles habitudes ; d’écrire sans aucune prétention[19] ma correspondance, dans le genre de la lettre qu’il écrivit lui-même de Sinuesse[20] à ma mère. Il m’a montré aussi à être toujours prêt à rappeler ou à accueillir ceux qui m’avaient chagriné ou négligé, dès le moment qu’ils étaient eux-mêmes disposés à revenir ; à toujours apporter grande attention à mes lectures, et à ne pas me contenter de comprendre à demi ce que je lisais ; à ne pas acquiescer trop vite aux propositions qui m’étaient faites. Enfin, je lui dois d’avoir connu les Commentaires d’Épictète[21], qu’il me prêta de sa propre bibliothèque.

VIII

D’Apollonius[22], j’ai appris à avoir l’esprit libre et à être ferme sans hésitation ; à ne regarder jamais qu’à la raison, sans en dévier un seul instant ; à conserver toujours une parfaite égalité d’âme contre les douleurs les plus vives, la perte d’un enfant par exemple ou les longues maladies. J’ai vu clairement en lui ; par un exemple vivant, qu’une même personne peut être tout ensemble pleine de résolution et de facilité ; et qu’on peut n’être point rude en enseignant ; il m’a donné le spectacle éclatant d’un homme qui regarde comme la moindre de ses qualités de savoir transmettre la science à autrui, avec une rare expérience et tout en courant. C’est lui encore qui m’a appris l’art de recevoir de la main de mes amis de prétendus services, sans en être diminué, et sans y paraître insensible quand je ne croyais pas devoir les accepter.

IX

De Sextus[23], j’ai appris ce que c’est que la bienveillance, une famille paternellement gouvernée et le vrai sens du précepte Vivre selon la nature ; la gravité sans prétention ; la sollicitude qui devine les besoins de nos amis ; la patience à supporter les fâcheux et leurs propos irréfléchis ; la faculté de s’entendre si bien avec tout le monde que son simple commerce semblait plus agréable que ne peut l’être aucune flatterie, et que ceux qui l’entretenaient n’avaient jamais plus de respect pour lui que dans ces rencontres ; l’habileté à saisir, à trouver, chemin faisant, et à classer les préceptes nécessaires à la pratique de la vie ; le soin de ne jamais montrer d’emportement ni aucune autre passion excessive ; le talent d’être à la fois le plus impassible et le plus affectueux des hommes ; le plaisir à dire du bien des gens mais sans bruit ; enfin une instruction immense sans ostentation.

X

Par l’exemple d’Alexandre[24] le grammairien, j’ai appris à ne jamais choquer les gens, à ne les point heurter par une brusquerie blessante pour un barbarisme qu’ils auraient commis, pour une tournure fautive ou une prononciation vicieuse qui leur serait échappée ; mais à m’arranger adroitement dans la conversation pour que le mot qui aurait dû être choisi d’abord reparût, par manière de réponse ou de confirmation, en donnant mon avis sur la chose même sans m’arrêter du tout à l’expression malheureuse, ou en prenant soigneusement tel autre détour pour dissimuler l’allusion.

XI

De Fronton[25], j’ai pu apprendre tout ce qu’un tyran peut ressentir de jalousie, et avoir de duplicité, et de fourberie, et combien ceux que nous appelons Patriciens ont, pour la plupart, peu de bonté et d’affection dans le cœur.

XII

D’Alexandre le Platonicien[26], j’ai appris à ne pas dire aux gens à tout propos et sans nécessité, quand je leur parle ou que je leur réponds par lettre : « Je n’ai pas le temps » ; et à ne pas décliner constamment, par cette facile excuse, mes devoirs divers envers ceux qui vivent avec moi, en alléguant les affaires qui me pressent.

XIII

De Catulus[27], j’ai appris à ne jamais négliger les plaintes d’un ami, même quand il se plaint sans motif, mais à tout essayer pour l’adoucir et pour rétablir l’ancienne intimité ; il m’a appris aussi à louer mes maîtres de tout cœur[28], comme avaient coutume de le faire, à ce qu’il rapportait, Domitius et Athénodote[29] ; et à ressentir pour mes enfants le dévouement le plus sincère.

XIV

De mon frère Severus[30], j’ai appris à aimer la famille, à aimer le vrai, à aimer le juste ; grâce à lui, j’ai apprécié Thraséas[31], Helvidius[32], Caton[33], Dion[34] et Brutus[35] ; j’ai pu me faire l’idée de ce que serait un État où régnerait une égalité complète des lois, avec l’égalité des citoyens[36]jouissant de droits égaux ; et l’idée d’une royauté qui respecterait par-dessus tout la liberté des sujets. C’est lui qui m’a appris à vouer à la philosophie un culte constant et inaltérable ; à être bienfaisant ; à donner sans me lasser ; à garder toujours bonne espérance ; à me confier à l’affection de mes amis ; à ne plus rien cacher à ceux qui s’étaient réconciliés, après leur pardon ; à ne pas forcer mes intimes, sans cesse inquiets, à se demander : « Que veut-il ? Que ne veut-il pas ? » mais à être toujours net et franc avec eux.

XV

De Maxime[37], j’ai appris ce que c’est que d’être maître de soi ; de ne jamais rester indécis ; de supporter de bon cœur toutes les épreuves, y compris les maladies ; de tempérer son caractère par un mélange d’aménité et de tenue ; d’exécuter sans marchander toutes les obligations qu’on a ; d’inspirer à tout le monde cette conviction que, quand on parle, on dit toujours ce qu’on pense, et que, quand on agit, on a l’intention de bien faire ; de ne s’étonner de rien ; de ne se point troubler ; de ne jamais se presser ni se laisser aller à l’indolence ; de ne jamais se déconcerter dans le désespoir en s’abandonnant soi-même et en s’anéantissant ; ou de ne pas reprendre trop subitement du courage et une confiance exagérée ; d’être serviable et prompt à l’indulgence ; en un mot, de donner de soi plutôt l’idée d’un homme qui ne change pas que celle d’un homme qui se réforme, de quelqu’un dont jamais personne n’a dû croire être dédaigné, et à qui personne ne s’est jamais cru supérieur ; enfin de tacher d’être affable pour tout le monde.

XVI

De mon père adoptif[38], j’ai appris la bonté ; l’inébranlable constance dans les jugements qui ont été une fois mûris par la réflexion ; le dédain pour ces honneurs factices qui séduisent la vanité ; la passion du travail ; l’application perpétuelle ; la disposition à prêter l’oreille à toutes les idées qui concernent l’intérêt public ; l’invariable attention à rendre à chacun selon son mérite ; le discernement à juger des occasions où l’on doit tendre les ressorts et de celles où on peut les relâcher ; la sévérité à poursuivre et à punir les amours pour les jeunes gens[39] ; le dévouement au bien de l’État ; la liberté qu’il laissait à ses amis, sans les astreindre nécessairement à partager tous ses repas, ou à le suivre dans tous ses voyages ; l’absolue égalité d’humeur, où le retrouvaient au retour ceux qui avaient dû le quitter pour quelque cause urgente ; la consciencieuse analyse des choses dans toutes les délibérations ; la persistance à ne point se départir de son examen, en se contentant des premières solutions qui se présentaient ; l’attachement rempli de soins pour ses amis, aussi peu porté à se dégoûter d’eux sans raison qu’à les aimer à la fureur ; l’indépendance d’esprit en toutes choses et la sérénité ; la prévoyance à longue vue et la vigilance à régler les moindres détails, sans en faire tragiquement étalage ; la précaution de repousser les acclamations populaires et la flatterie sous toutes ses formes ; l’économie à ménager les ressources nécessaires à l’autorité ; la retenue dans les dépenses pour les fêtes, tout prêt à souffrir les critiques sur ce chapitre ; la piété sans superstition envers les dieux ; la dignité avec le peuple, qu’il ne fatigua jamais de ses adulations ni de son empressement à complaire à la foule ; la sobre mesure en toutes choses ; le solide respect de toutes les convenances, sans un goût trop vif pour les nouveautés ; l’usage, sans faste et aussi sans façon, des choses qui rendent la vie plus douce dans les occasions où c’est le hasard qui les offre, les prenant quand elles se trouvaient sous sa main avec indifférence, et n’en ayant nul besoin, si elles venaient à manquer ; l’attitude de quelqu’un dont on ne peut dire ni qu’il est un sophiste, ni qu’il est un provincial, ni qu’il est entiché de l’école, mais d’un homme dont on dit qu’il est mur et complet, au-dessus de la flatterie, capable d’être à la tête de ses affaires propres et des affaires des autres. Ajoutez-y encore l’estime pour les vrais philosophes ; l’indulgence exempte de blâme pour les philosophes prétendus, sans d’ailleurs être jamais leur dupe ; le commerce facile ; la bonne grâce sans fadeur ; un soin modéré de sa personne, comme il convient quand on n’est pas trop amoureux de la vie, sans songer à rehausser ses avantages, mais aussi sans négligence, de manière à n’avoir presque jamais besoin, grâce à ce régime tout individuel, ni de médecine, ni de remèdes intérieurs ou extérieurs ; la facilité extrême à s’effacer sans jalousie devant les gens qui s’étaient acquis une supériorité quelconque, soit en éloquence, soit en connaissance approfondie des lois, des mœurs, et des matières de cet ordre ; la condescendance qui s’associait à leurs efforts pour les faire valoir, chacun dans leur domaine spécial ; la fidélité en toutes choses aux traditions des ancêtres, sans d’ailleurs vouloir se donner l’air d’y tenir essentiellement ; un esprit qui n’était ni mobile, ni agité, irais sachant endurer la monotonie des lieux et des choses ; reprenant les occupations habituelles, dès que le permettaient des maux de tête cruels, avec plus d’ardeur et de vivacité que jamais ; n’ayant pas beaucoup de secrets qui lui appartinssent, et ces secrets en très petit nombre et fort rares ne concernant guère que l’État ; circonspect et près-regardant dans la célébration des fêtes solennelles, dans le développement des travaux publics, dans les distributions au peuple ; et quand il les croyait nécessaires, ayant en vue ce que la convenance exigeait bien plutôt que le renom qu’il en pourrait retirer pour ce qu’il aurait fait ; ne prenant jamais de bains hors des heures régulières ; sans passion pour les bâtisses ; ne songeant nullement à la composition de ses repas, ni à la qualité ou à la couleur de ses habits, ni à la beauté de ses gens. Ses vêtements étaient faits de la laine de Lorium[40], sa petite ferme, et le plus souvent de la laine de Lanuvium[41] ; le manteau qu’il avait à Tusculum était d’emprunt ; et toute sa façon était aussi simple. Jamais rien de dur, rien même de brusque, rien de pressé, et comme dit le proverbe : « Jamais jusqu’à la sueur : » mais toute chose faite avec pleine réflexion, comme à loisir, sans le moindre trouble, dans un ordre absolu, robustement, et en harmonieuse correspondance de toutes les parties. C’est bien à lui que s’applique cette louange adressée jadis à Socrate[42] « qu’il savait s’abstenir et jouir de ces choses dont la plupart des hommes ne s’abstiennent qu’à contrecœur, et dont ils jouissent en s’y abandonnant avec ivresse. » Demeurer fort dans l’une et l’autre rencontre, conserver constamment sa vigueur et sa tempérance, n’appartient qu’à l’homme qui a l’âme ferme et invincible, comme fut mon père durant la maladie de Maxime[43].

XVII

Je dois aux Dieux d’avoir eu de bons aïeuls, de bons parents, une bonne sœur[44], de bons maîtres, des serviteurs, des proches, des amis, qui tous étaient bons également presque sans exception.
A l’égard d’aucun d’eux, je ne me suis jamais laissé aller à quelque inconvenance, bien que par disposition naturelle je fusse assez porté à commettre des fautes de ce genre ; mais la clémence des Dieux a voulu qu’il ne se rencontrât jamais un tel concours de circonstances qui pût révéler en moi ce mauvais penchant. Grâce à eux encore, j’ai pu ne pas rester trop longtemps chez la concubine de mon grand-père ; j’ai pu sauver la fleur de ma jeunesse, sans me faire homme avant le moment[45] ; j’ai pu même sous ce rapport gagner un peu de temps ; vivre sous la main d’un prince et d’un père qui devait déraciner en moi tout orgueil, et m’amener a être convaincu qu’on peut, tout en vivant dans une cour, n’avoir nul besoin ni de gardes, ni de costumes éclatants, ni de lampes, ni de statues, ni de tout ce faste inutile, et qu’on peut toujours s’arranger pour se rapprocher le plus possible de la condition privée, sans avoir pour cela plus de timidité ou de faiblesse quand il faut donner des ordres au nom de l’intérêt public. Les Dieux m’ont aussi accordé d’avoir un frère[46]dont le caractère était fait pour éveiller ma vigilance sur moi-même et qui en même temps faisait mon bonheur par la confiance et l’affection qu’il me montrait. Grâce à eux aussi, je n’ai point éprouvé le malheur d’avoir des enfants laids ou contrefaits ; je n’ai point poussé plus loin qu’il ne fallait la Rhétorique, la Politique, ni tant d’autres études où j’aurais peut-être été retenu plus que de raison, si j’avais trouvé que j’y fisse de faciles progrès. Je me suis hâté d’élever tous les maîtres qui avaient fait mon éducation aux honneurs qu’ils me semblaient désirer, et je ne les ai point bercés de l’espoir que, puisqu’ils étaient jeunes encore, ce ne serait que plus tard que je m’occuperais d’eux. Les Dieux m’ont accordé la faveur de connaître Apollonius, Rusticus, Maxime[47], qui m’ont donné l’idée claire et lumineuse de ce que doit être la vie selon la nature, et qui souvent m’en ont offert l’exemple dans toute sa réalité. De telle sorte que, du côté des Dieux, par leurs bienfaits, leurs secours et leurs inspirations, rien ne me manque plus pour vivre comme la nature le veut, et que, si je suis encore loin du but, je ne puis m’en prendre qu’à moi-même de n’avoir point écouté leurs conseils, et je pourrais dire leurs leçons. Si mon corps a supporté jusqu’à cette heure les règles d’une telle vie ; si je n’ai touché ni à Bénédicta, ni à Théodote[48] ; si plus tard, livré aussi aux passions de l’amour, j’ai pu en guérir ; si dans mes fréquentes colères contre Rusticus, je n’ai jamais rien fait de plus que j’aie eu à regretter ; si ma mère[49], qui devait mourir à la fleur de son âge, a pu cependant passer avec moi ses dernières années ; si jamais dans les occasions où j’ai voulu secourir quelqu’un dans un besoin d’argent ou dans tout autre embarras, je ne me suis entendu répondre que je ne pouvais avoir les fonds nécessaires à mon dessein ; si jamais nécessité pareille de recevoir quelque chose d’autrui n’a pesé sur moi ; si ma femme[50] est d’une nature docile, affectueuse et simple ; si j’ai pu rencontrer tant d’excellentes personnes pour l’éducation de mes enfants ; si des remèdes m’ont été révélés dans mes songes, particulièrement contre les crachements de sang et les vertiges, à Gaëte tout comme à Chlyse[51] ; si, dans ma passion pour la philosophie, je ne suis pas tombé aux mains de quelque sophiste ; si je ne me suis pas entêté aux ouvrages de quelque écrivain, ou à la solution des syllogismes, ou à la recherche des phénomènes célestes ; tant d’avantages ne peuvent venir que de l’aide des Dieux[52] et des grâces qu’ils daignent accorder.

Écrit chez les Quades[53], au bord du Granoua[54].



Notes

 [1] Le grand père de Marc-Aurèle, du côté de son père, se nommait M. Annius Verus. Il était consul en 121, l’armée même de la naissance de son petit-fils ; il le fut encore une fois cinq ans après, en 126. Il avait été préfet de Rome, et ait patricien par Vespasien et Titus. Le père de M. Annius Verus, c’est-à-dire le bisaïeul de Marc-Aurèle, était originaire de Succube, municipe de la Bétique, en Espagne ; il avait été lui aussi créé sénateur. Marc-Aurèle était né dans la maison de son aïeul, à Rome, près de palais Lateran, en l’an 121, le 6e jour des calendes de mai. Quand il avait perdu son père, mort jeune, il avait été adopté par son grand-père, qui l’éleva. Ainsi, outre l’affection naturelle, Marc-Aurèle devait beaucoup à M. Annius Verus, qui avait en grande partie dirigé son éducation. Capitolin,Vie de Marc-Aurèle, ch. I, dit positivement : « Après la mort de son père, il fut adopté et élevé par son aïeul paternel. »
[2] Marc-Aurèle emploie cette expression pour distinguer son père naturel de son père adoptif, l’empereur Antonin le Pieux, dont il sera question plus bas, dans ce même livre, § 16.
[3] Marc-Aurèle pouvait juger de son père par ce qu’il en avait entendu dire plutôt qu’il ne pouvait en juger par lui-même. Il était fort jeune encore quand il devint orphelin ; mais on ne sait pas précisément quel âge il avait, sept oit huit ans peut-être ; Capitolin ne le dit pas. Son père se nommait Publius Annius Verus, fils de M. Annius Verus, dont il est parlé dans la note 1.
[4] Elle se nommait Domitia Lucilla et non pas Domitia Calvilla, comme le dit Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, ch. I. Borghesi a rectifié l’erreur de Capitolin ; voir son mémoire dans le Giornale Arcadico, tome I, pp. 359-369 ; et M. Noël Desvergers, Essai sur Marc-Aurèle, p. 3 en note. Domitia Lucilla possédait une briqueterie dans un de ses domaines, et il reste une quantité de briques qui portent son nom comme marque de fabrique. Les vertus que Marc-Aurèle attribue à sa mère sont celles qui il a lui-même pratiquées le mieux : piété, générosité, horreur du anal, simplicité ; il a suivi l’exemple maternel, qui lui avait été donné dès sa naissance. Marc-Aurèle a conservé, comme tant d’autres grands hommes, l’empreinte morale qu’il avait reçue dans les premiers jours de sa vie. La nature sans doute avait beaucoup fait pour la beauté de son âme ; mais sa mère n’y contribua pas moins ; et l’éducation acheva le reste. Marc-Aurèle ne dut qu’à lui-même de choisir et d’aimer le Stoïcisme, parmi toutes les autres philosophies. Voir plus loin, liv. III, § 3.
[5] Il faut ajouter : Maternel. Il se nommait Catilius Severus ; il avait été préfet de Rome et consul en l’an 120. Capitolin dit : Deux fois consul, Vie de Marc-Aurèle, ch. XXIII. — De n’avoir point fréquenté les écoles publiques. Capitolin, ch. III, dit au contraire que Marc-Aurèle fréquenta les écoles publiques de déclamation ; mais, sur un fait personnel de ce genre, le témoignage de Marc-Aurèle est péremptoire.
[6] Il est évident que pour l’éducation de Marc-Aurèle on n’avait rien épargné ; et par les détails qu’il donne lui-même sur ses nombreux maîtres, on peut juger avec quels soins et quelle vigilance intelligente il avait été élevé. Il est vrai qu’il en a profité, tandis que son frère adoptif et son collègue à l’Empire, Lucius Verus, et son fils Commode, n’ont pu être adoucis et domptés par la même discipline, à laquelle ils avaient été également soumis.
[7] Il est singulier que le nom de ce gouverneur ne soit pas expressément cité par Marc-Aurèle. Voir plus bas, § 8. Les leçons de cet inconnu ont été précieuses, et les principes suivis par lui dans l’éducation qu’il dirigeait sont excellents au physique comme au moral. Endurer la fatigue, restreindre ses besoins, faire beaucoup par soi-même, sont des habitudes viriles qui conviennent à tout le monde, et aux fils des grandes familles plus encore qu’à personne. Diminuer le nombre des affaires, repousser les délations, sont des qualités non moins estimables, mais encore plus rares dans un empereur. Il est donc à regretter que le nom d’un si sage et si ferme instituteur ne nous ait pas été conservé par son noble et reconnaissant élève. C’est certainement un oubli involontaire. D’après un passage de Capitolin, vie d’Antonin le Pieux, il est probable que ce gouverneur était Apollonius de Chalcis ou peut-être de Chalcédoine, philosophe stoïcien, qu’Antonin le Pieux avait appelé tout exprès pour lui confier son fils adoptif. Il parait, d’après le même passage, que Marc-Aurèle avait conservé de son gouverneur un souvenir très affectueux, et qu’il le perdit après assez peu de temps.
[8] Il est à croire que ces factions avaient commencé tout récemment ; elles étaient alors dans toute l’ardeur de leur origine ; plus tard, elles en vinrent à jouer un rôle politique.
[9] C’étaient sans doute des distinctions entre les gladiateurs pour lesquels se passionnait la foule qui se pressait dans le cirque et aux théâtres. Les gladiateurs Thraces spécialement avaient un petit bouclier, étroit et court, appelé Parma. Le grand bouclier oblong, leScutum, était en général porté par l’infanterie. Les gladiateurs avaient dû adopter le bouclier de la cavalerie, qui était beaucoup plus léger.
[10] Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, ch. XI, rappelle aussi que Marc-Aurèle arrêta le cours des délations, quoiqu’elles rapportassent beaucoup au fisc, et qu’il flétrit rigoureusement les délateurs par l’infamie.
[11] C’est le nom que donne Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, ch. IV ; d’autres auteurs disent : Diogénète. Il semble, d’après Capitolin, que Diognète n’enseigna que la peinture à son élève. Suivant ce que dit ici Marc-Aurèle lui-même, les soins de Diognète se seraient étendus beaucoup plus loin.
[12] Devenu empereur, Marc-Aurèle se souvint des avis de son maître, et il fit des lois contre les sorciers, qui abusaient de la crédulité populaire.
[13] Non seulement on faisait battre des cailles, et l’on pariait ; mais on prétendait encore tirer de leurs luttes des pronostics sur l’avenir.
[14] Ces deux personnages sont inconnus ; Capitolin ne les nomme pas parmi les maîtres de Marc-Aurèle.
[15] Capitolin, ch. III, nomme Lucius Volusius Mæcianus comme ayant donné des leçons de droit à Marc-Aurèle. Peut-être faut-il confondre Marcien avec Mæcien.
[16] Par opposition sans doute aux petits sermons vaniteux dont il est parlé au paragraphe suivant.
[17] Si l’on s’en rapporte à Capitolin, ch. II, c’est dès l’âge de douze ans que Marc Aurèle contracta toute la discipline des philosophes grecs. Sa mère s’effrayait de tant d’austérité pour la santé de l’enfant.
[18] Junius Rusticus, philosophe stoïcien, était très particulièrement aimé et estimé de Marc-Aurèle. L’empereur fut toujours plein de respect et de déférence pour ses lumières dans la guerre et dans la paix. Il l’admettait à tous ses conseils publics et privés. Il lui donnait l’accolade en présence des préfets du prétoire. Il le désigna consul pour la deuxième fois ; et après la mort de Rusticus, il demanda pour lui des statues au Sénat. On peut voir tous ces détails dans Capitolin, ch. III.
[19] On ne peut pas tout à fait appliquer cet éloge aux lettres de Marc-Aurèle à son maître Fronton.
[20] Ville de Campanie, au Nord-Est de Rome.
[21] On ne sait pas au juste quel ouvrage Marc-Aurèle entend désigner ici. C’est sans doute celui d’Arrien, puisque Épictète n’a rien écrit lui-même. Il est d’ailleurs bien présumable que cette lecture produisit grand effet sur l’esprit du jeune homme.
[22] Parmi les maîtres de Marc-Aurèle, Capitolin nomme deux Apollonius : l’un, qui est sans doute celui-ci, philosophe stoïcien, de Chalcédoine, Vie de Marc-Aurèle, ch. II ; l’autre, qui est de Chalcis, et qui est peut-être le gouverneur dont il est parlé plus haut, § 5. Peut-être aussi les deux noms doivent-ils se confondre, et ne désignent-ils qu’un seul personnage. Cette dernière supposition est moins vraisemblable. Quoi qu’il en soit, Marc-Aurèle appréciait assez les leçons d’Apollonius pour que, déjà élevé à la dignité impériale, il allât encore chez lui l’entendre et profiter de sa sagesse. Voir Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, ch. III.
[23] Capitolin, Vie de Marc-Aurèle, ch. III, dit que ce Sextus était de Chéronée et petit-fils de Plutarque. L’éloge qu’en fait son élève est bien complet ; et Sextus semble avoir reproduit en partie le caractère et l’érudition de son grand-père. C’était un stoïcien, si l’on en croit Capitolin.
[24] Ces remarques de Marc-Aurèle ont d’autant plus d’intérêt que cet Alexandre de Phrygie a été son précepteur pour le grec, et que c’est lui qui lui a enseigné la langue dans laquelle l’Empereur a écrit ses monologues les plus intimes. Il est évident, par les détails où entre Marc-Aurèle, qu’Alexandre devait avoir grand soin d’éviter tout ce qui sentait le pédantisme. C’est une preuve de bon goût. Plus loin, § 12, Marc-Aurèle parle d’un Alexandre le platonicien, qu’il ne faut pas confondre sans doute avec Alexandre le grammairien. Capitolin, ch. II, qui cite ce dernier, ne semble pas connaître l’autre.
[25] C’est le plus célèbre des maîtres de Marc-Aurèle, et celui qu’il semble avoir le plus aimé, si l’on en juge par le recueil des lettres qu’a retrouvées M. Angelo Mai, et qu’a traduites M. Cassan. Capitolin, ch. II, affirme que Marc-Aurèle honora particulièrement Fronton entre tous ses maîtres, et qu’il alla jusqu’à demander pour lui une statue au Sénat. Ce qui nous reste de Fronton ne semble pas justifier tout à fait une aussi grande admiration. Fronton était spécialement pour Marc-Aurèle son précepteur d’éloquence latine. Si d’ailleurs Fronton donnait à son élève des leçons de politique aussi hautes que celles qui sont rappelées ici, on conçoit l’estime reconnaissante que ces leçons avaient dû inspirer. Mais elles expliquent aussi comment l’Empereur put le faire consul en 161, et l’employer à des choses très importantes. On ne sait pas la date précise de la mort de Fronton.
[26] Il est possible qu’il s’agisse d’Alexandre de Séleucie, en Silicie, dont Philostrate a écrit la vie, liv. II, ch. V. Envoyé en ambassade auprès d’Antonin le Pieux, il l’avait choqué par la recherche de sa toilette et même par sa beauté, qui parait avoir été remarquable. Plus tard, il s’était établi à Athènes, où il s’acquit bientôt une assez grande réputation ; et c’est de là sans doute que Marc-Aurèle l’avait fait venir à son camp de Pannonie, comme secrétaire pour la correspondance grecque. Du reste, le conseil que rappelle ici Marc-Aurèle est excellent ; mais tout utile qu’il est, c’est sans contredit un de ceux qu’on a le plus de peine à suivre au milieu des affaires. Philostrate, loc. cit., rappelle qu’on surnommait cet Alexandre le Péloplaton, c’est-à-dire le Platon de boue ou de lie ; la boue, la lie de Platon. Ce surnom a quelque chose de bien méprisant, et ne répond guère à la distinction dont l’Empereur honora cet Alexandre.
[27] Ou, comme l’écrit Capitolin, ch. III, Cinna Catullus, philosophe stoïcien, qu’il nomme en compagnie de Junius Rusticus et de Claudius Maximus. Catulus n’est pas autrement connu.
[28] On voit que l’élève avait parfaitement profité de cette sage leçon.
[29] Tous deux sont inconnus.
[30] Le mot de Frère a fait difficulté, attendu qu’ai ne peut pas ici le prendre dans son sens strict. Marc-Aurèle n’a jamais eu qu’un frère adoptif, Lucius Verus, qui ne lui a pas donné de si bons exemples, ni de tels conseils. L’expression grecque peut aussi ne signifier que Cousin, et on se rappelle alors que, parmi les ascendants de la mère de Marc-Aurèle, il y eu avait un du nom de Severus. Ce qui est plus vraisemblable, c’est qu’il s’agit ici de Claudius Severus, le philosophe péripatéticien, que cite Capitolin, ch. III, à côté de Junius Rusticus, le stoïcien. Le mot de Frère serait alors uniquement un témoignage d’affection.
[31] Voir sa mort dans Tacite, Annales, liv. XVI, ch. XXXV. C’est sur une phrase inachevée de ce récit pathétique que cessent les Annales mutilées du grand historien.
[32] Helvidius Priscus, gendre de Thraséas, digne de son beau-père.
[33] D’Utique.
[34] L’ennemi du jeune Denys.
[35] Le meurtrier de César. Ces exemples proposés à un empereur étaient hardis ; mais l’âme de Marc-Aurèle était capable de les comprendre.
[36] Voir plus haut, § 11, ce qui est dit des Patriciens.
[37] Claudius Maximus, comme l’appelle Capitolin, ch. III. C’était un philosophe stoïcien, qu’il ne faut pas confondre avec le rhéteur Maxime de Tyr, dont, Marc-Aurèle a peut-être reçu aussi quelques leçons.
[38] Le texte dit seulement : Mon père, ce qui n’est pas tout à fait exact, quoique ce soit un vif témoignage d’affection. Plus haut, § 2, Marc-Aurèle a parlé de Celui qui lui a donné la vie. Le père adoptif de Marc-Aurèle était, comme on l’a dit, l’Empereur Antonin le Pieux. Il faut rapprocher le portrait qui en est fait ici de la biographie écrite par Capitolin. Tous les traits se ressemblent ; et la physionomie admirable qu’a tracée le fils adoptif ne parait pas avoir aucune exagération. C’est un modèle accompli que feraient bien de méditer tous les hommes d’Etat. Voir aussi le complément de ce portrait plus loin, liv. VI, § 30.
[39] Allusion peut-être aux vices de l’Empereur Hadrien.
[40] Petite ville d’Étrurie, où mourut Antonin le Pieux, à cinq ou six lieues de Rome, sur la voie Aurélienne.
[41] Ou Lavinium, sur la voie Appienne, où sans doute l’Empereur avait aussi une ferme.
[42] Je ne sais où cette louange est expressément formulée ; mais dans les Mémoires de Xénophon sur Socrate, liv. I, ch. V, on peut trouver plusieurs fois des idées qui reviennent à peu près à celle-là.
[43] Dont il est fait grand éloge plus haut, § 15.
[44] Annia Cornificia, comme nous l’apprend Capitolin, ch. I.
[45] Cette observation est aussi délicate que profonde.
[46] Lucius Verus, qui semble avoir été bien peu cligne des sentiments exprimés ici pour lui. Adopté aussi par Antonin le Pieux, il avait été associé à l’Empire par Marc-Aurèle, qui lui avait, en outre, donné sa fille en mariage, en 161.
[47] Pour ces trois personnages, voir plus haut, §§ 7, 8 et 15.
[48] Ce sont sans doute des noms de serviteurs, femme et homme, attachés à l’intérieur du palais.
[49] Voir plus haut, § 3.
[50] Faustine, dont on a récemment essayé de réhabiliter la mémoire. Le témoignage personnel de son mari doit être d’un grand poids.
[51] Villes d’Italie.
[52] Cet acte de grâces adressé aux Dieux termine parfaitement ce livre rempli des sentiments les meilleurs de gratitude.
[53] Les Quades occupaient une partie de la Hongrie.
[54] Aujourd’hui Gran en Madgyare, rivière dans le Comitat de Gamor ou Gœmor. Le Gran se jette dans le Danube, sur la rive gauche, à douze lieues de Bude, au Nord-Ouest. Pour les Quades, voir Tacite, De Moribus Germanorum, ch. XLII.



LISTE DES DOCUMENTS ° LIST OF DOCUMENTS