Justin Martyr
Saint Justin de Naplouse, également connu comme Justin (le) Martyr ou Justin le Philosophe, apologète et martyr chrétien, né à Flavia Neapolis, (actuelle Naplouse en Cisjordanie) entre 100 et 114, mort à Rome entre 162 et 168.
*
*
C'est un saint chrétien fêté le 1er juin.
Elevé dans le paganisme, il se convertit au christianisme vers 130. Philosophe de formation, il prétend que les philosophes grecs, et notamment Platon, l'ont conduit au christianisme.
Il fut décapité avec six de ses compagnons à Rome pour avoir refusé de sacrifier aux dieux de l'époque. Il fut l'un des apologistes les plus marquants parmi les Pères de l'Eglise des premiers siècles.
Œuvres conservées:
*
*
- Grande apologie adressée à Antonin le Pieux et à ses fils adoptifs, au Sénat et au peuple romain (entre 148 et 154).
- Dialogue avec Tryphon (entre 150 et 155).
- Requête au Sénat dite deuxième apologie (après 160)
Nous vous proposons ici sa première Apologie, dite aussi PREMIERE APOLOGIE DE SAINT JUSTIN, PHILOSOPHE ET MARTYR, ADRESSEE A ANTONIN-LE-PIEUX, EN FAVEUR DES CHRETIENS
*
PREMIERE APOLOGIE DE SAINT JUSTIN, PHILOSOPHE ET MARTYR, ADRESSEE A ANTONIN-LE-PIEUX, EN FAVEUR DES CHRETIENS
PREMIERE APOLOGIE DE SAINT JUSTIN, PHILOSOPHE ET MARTYR, ADRESSEE A ANTONIN-LE-PIEUX, EN FAVEUR DES CHRETIENS
1. A l’empereur Titus Elius Adrien Antonin, Pieux, Auguste César ; à Verissime son fils, philosophe, et à Lucius, philosophe, fils de César par la nature et de l’empereur par adoption ; au sacré sénat ; et à tout le peuple romain ; pour ces hommes de toute race, injustement haïs et persécutés, moi, l’un d’eux, Justin, fils de Priscus, fils de Bacchius, de la nouvelle Flavie en Syrie, Palestine, j’ai écrit et présenté la requête suivante.
2. C’est pour tous ceux qui sont réellement pieux et sages un devoir commandé par la raison, de chérir et d’honorer exclusivement la vérité, en renonçant à suivre les opinions anciennes si elles s’en écartent. Car non seulement cette loi de la raison ordonne de fuir ceux qui font et enseignent le mal, mais il faut encore que l’ami de la vérité s’attache, fût-ce même au péril de sa vie et y trouvât-il danger de mort, à strictement observer la justice dans ses paroles et dans ses actions. Or, vous tous qui vous entendez partout appeler pieux et sages, gardiens de la justice et amis de la science, il va être prouvé si vous l’êtes en effet. Car nous n’avons pas composé cet écrit pour vous flatter ni pour gagner vos bonnes grâces : nous venons pour vous demander d’être jugés d’après les préceptes de la saine raison, et pour empêcher aussi qu’entraînés par la prévention, par trop de condescendance aux superstitions des hommes, par un mouvement irréfléchi, par de perfides rumeurs que le temps a fortifiées, vous n’alliez porter une sentence contre vous-mêmes. Car tant que l’on ne nous convaincra pas d’être des malfaiteurs et des méchants, on ne pourra pas nous faire de mal. Vous, vous pouvez nous tuer, mais nous nuire, jamais.
3. Et pour que ces paroles ne vous semblent ni téméraires ni déraisonnables, nous vous supplions de rechercher les crimes dont on nous accuse. S’ils sont prouvés, que l’on nous punisse comme cela est juste : que l’on nous punisse même avec plus de sévérité. Mais aussi, si vous ne trouvez rien à nous reprocher, la saine raison ne s’oppose-t-elle pas à ce que, sur des bruits calomnieux, vous persécutiez des innocents, ou plutôt à ce que vous ne vous fassiez tort à vous-mêmes, en suivant moins les inspirations de l’équité que celles de la passion ? Tout homme sensé conviendra que la plus belle garantie et la condition essentielle de la justice est, d’une part, pour les sujets, la faculté de prouver l’innocence de leurs paroles et de leurs actions, et, d’autre part, pour les gouvernants, cette droiture qui leur fait rendre leurs sentences dans un esprit de piété et de sagesse, et non pas de violence et de tyrannie. Alors souverains et sujets jouissent d’un vrai bonheur. Car un ancien l’a dit : « Si les princes et les peuples ne sont pas philosophes, il est impossible que les états soient heureux. » Ainsi donc c’est à nous d’exposer aux yeux de tous notre vie et notre doctrine, pour qu’à tous ceux qui peuvent ignorer nos préceptes, nous leur fassions connaître les châtiments que, sans s’en douter, ils encourent par leur aveuglement : et c’est à vous de nous écouter avec attention, comme la raison vous l’ordonne, et de nous juger ensuite avec impartialité. Car, si en pleine connaissance de cause, vous ne nous rendiez pas justice, quelle excuse vous resterait-il devant Dieu ?
4. Ce n’est pas sur le simple énoncé du nom et abstraction faite des actions qui s’y rattachent que l’on peut discerner le bien ou le mal. Car, à ne considérer que ce nom qui nous accuse, nous sommes irréprochables. Mais, comme, au cas ou nous serions coupables, nous tiendrions pour injuste de devoir à un nom seul notre absolution, de même, s’il est prouvé que notre conduite n’est pas plus coupable que notre nom, votre devoir est de faire tous vos efforts pour empêcher qu’en persécutant injustement des innocents, vous ne fassiez affront à la justice. Le nom seul en effet ne peut raisonnablement pas être un titre à la louange ou au blâme, s’il n’y a d’ailleurs dans les actes rien de louable ou de criminel. Les accusés ordinaires qui paraissent devant vous, vous ne les frappez qu’après les avoir convaincus : et nous, notre nom suffit pour nous condamner. Et pourtant, à ne considérer que le nom, vous devriez bien plutôt sévir contre nos accusateurs. Nous sommes chrétiens : voilà pourquoi l’on nous accuse : il est pourtant injuste de persécuter la vertu. Que si quelqu’un de nous vient à renier sa qualité et à dire : Non, je ne suis pas chrétien, vous le renvoyez comme n’ayant rien trouvé de coupable en lui : qu’il confesse, au contraire, courageusement sa foi, cet aveu seul le fait traîner au supplice, tandis qu’il faudrait examiner et la vie du confesseur et la vie du renégat, et les juger chacun selon leurs oeuvres. Car, si ceux qui ont appris du Christ leur maître à ne pas se parjurer donnent par leur fermeté dans les interrogatoires le plus persuasif exemple et la plus puissante exhortation, ceux-là aussi qui vivent dans l’iniquité fournissent peut-être un prétexte à toutes les accusations d’impiété et d’injustice que l’on intente aux chrétiens ; mais ce n’est certes pas là de l’équité. En effet, parmi tous ceux qui se parent du nom et du manteau de philosophes, il en est beaucoup aussi qui ne font rien de digne de ce titre, et vous n’ignorez pas que, malgré la plus complète contradiction dans leurs idées et leurs doctrines, les maîtres anciens ont tous été compris sous la dénomination unique de philosophes. Quelques-uns d’entre eux ont enseigné l’athéisme. Dans leurs chants, vos poètes célèbrent les incestes de Jupiter avec ses enfants. Et à tous ceux qui donnent de pareilles leçons, vous ne leur fermez pas la bouche : que dis-je ? Pour prix de leurs pompeuses insultes, vous les comblez d’honneurs et de récompenses !
5. Pourquoi donc tant de haine contre nous ? nous nous déclarons les ennemis du mal et de toutes ces impiétés, et vous n’examinez pas notre cause : loin de là, victimes de votre aveugle emportement, tournant sous le fouet des génies du mal, vous vous inquiétez peu de nous punir au mépris de toute justice. Or écoutez : car il faut que la vérité se fasse jour. Quand autrefois les génies du mal eurent manifesté leur présence en enseignant l’adultère aux femmes, la corruption aux enfants, et en frappant les hommes d’épouvante ; alors, sous le coup de cette immense terreur, le monde entier, abdiquant les conseils de la raison, cédant à l’effroi, et aussi ignorant la pernicieuse méchanceté de ces démons, le monde en fit des dieux et les révéra sous le nom qu’ils s’étaient eux-mêmes choisi. Et si, dans la suite, Socrate, avec la puissance et la droiture de sa raison, tenta de dévoiler ces choses et d’arracher les hommes au joug des démons, ceux-ci mirent aussitôt en oeuvre la malignité de leurs adorateurs, et Socrate, accusé d’enseigner le culte de génies nouveaux, fut condamné à mort comme impie et comme athée. Même conduite envers nous. Car ce n’est pas seulement au milieu des Grecs que le Verbe a fait, par l’organe de Socrate, de semblables révélations ; il a parlé au milieu des barbares ; mais alors il était incarné : il s’était fait homme et s’appelait Jésus-Christ. Et nous, qui avons mis notre foi dans ce Verbe, nous disons que tous ces démons-là, loin d’être bienfaisants, ne sont que de perfides et de détestables génies, puisqu’ils agissent comme ne ferait pas un homme quelque peu jaloux de pratiquer la vertu.
6. De là vient qu’on nous appelle athées. Athées ; oui certes, nous le sommes devant de pareils dieux, mais non pas devant le Dieu de vérité, le père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l’être de perfection infinie. Voici le Dieu que nous adorons, et avec lui son fils qu’il a envoyé et qui nous a instruits, et enfin l’esprit prophétique ; après eux, l’armée des bons anges, ses satellites et ses compagnons reçoivent nos hommages. Devant eux nous nous prosternons avec une vraie et juste vénération. Voilà ce culte tel que nous l’avons appris et tel que nous sommes heureux de le transmettre à tous ceux qui sont désireux de s’instruire.
7. On nous dira peut-être : Des chrétiens arrêtés ont été convaincus de crime. Ne vous arrive-t-il pas sans cesse, quand vous avez examiné la conduite d’un accusé, de le condamner ? Mais, si vous le condamnez, est-ce parce que d’autres ont été convaincus avant lui ? Nous le reconnaissons sans peine, en Grèce la dénomination unique de philosophes s’est étendue à tous ceux qui ont été les bienvenus à y exposer leurs doctrines, toutes contradictoires qu’elles pussent être ; de même, parmi les barbares une qualification accusatrice s’est attachée à tous ceux qui se sont mis à pratiquer et à enseigner la sagesse : on les a tous appelés chrétiens. C’est pour cela que nous vous supplions d’examiner les accusations dont on nous accable, afin que, si vous rencontrez un coupable, il soit puni comme coupable et non pas comme chrétien ; mais que, si vous trouvez un innocent, il soit absous comme chrétien et comme innocent. Alors, croyez-le bien, nous ne vous demanderons pas de sévir contre nos accusateurs ; ils sont assez punis par la conscience de leur perfidie et par leur ignorance de la vérité.
8. Remarquez-le d’ailleurs ; c’est uniquement à cause de vous que nous donnons ces explications. Car à vos interrogatoires nous pourrions nous contenter de répondre non ; mais nous ne voudrions pas de la vie achetée par un mensonge. Tous nos désirs tendent à cette existence, éternelle, incorruptible, au sein de Dieu le père et le créateur de l’univers ; et nous nous hâtons de le confesser hautement, persuadés fermement que ce bonheur est réservé à ceux qui par leurs oeuvres auront témoigné à Dieu leur fidélité à le servir et leur zèle ardent à conquérir cette céleste demeure, inaccessible au mal et au péché. Voilà en peu de mots quelles sont nos espérances, les leçons que nous avons reçues du Christ et les préceptes que nous enseignons. Platon a dit de Rhadamanthe et de Minos que les méchants étaient traduits à leur tribunal et y recevaient leur châtiment : nous, nous disons cela du Christ ; mais, selon nous, le jugement frappera les coupables en corps et en âme, et le supplice durera, non pas seulement une période de mille années, comme le disait Platon, mais l’éternité tout entière. Que si cela paraît incroyable, impossible, nous répondrons que c’est là tout au plus une erreur sans conséquence dangereuse, et qu’il n’y a pas là matière au plus léger reproche.
9. Si nous ne nous couronnons pas de fleurs, si nous ne sacrifions pas de victimes en l’honneur de tous ces dieux que la main des hommes a taillés et qu’elle a dressés dans les temples, c’est que dans cette matière brute et inanimée nous ne voyons rien qui ait même une ombre de divinité (en effet, il nous est impossible de croire que Dieu ressemble à ces images que l’on prétend faites en son honneur). Non, ce sont là les simulacres et les insignes de ces génies du mal dont nous parlions naguère. Est-il donc besoin de vous le dire, et ne savez-vous pas bien comment les artistes travaillent la matière, comme ils la taillent et la sculptent, comme ils la fondent et la battent ? Et combien de fois les vases les plus ignobles, n’ayant fait sous la main de l’ouvrier que changer de forme et de figure, ne sont-ils pas devenus des dieux ? Voilà ce qui à nos yeux est une absurdité, et, de plus, un outrage à la majesté divine, puisqu’au mépris de la gloire et de l’ineffable substance de Dieu, son saint nom est prostitué à de viles et corruptibles créations. Tous ces artistes eux-mêmes, ce sont des impies, vous ne l’ignorez pas. Ils sont livrés à tous les vices ; et, pour n’en citer qu’un trait, ne vont-ils pas jusqu’à outrager les jeunes filles qui partagent leurs travaux ? Stupidité incroyable ! C’est à des débauchés qu’il est donné de créer et de faire ces dieux devant qui le monde va se prosterner ! Et voilà les gardiens du sanctuaire de ces divinités ! et on ne comprend pas tout ce qu’il y a de criminel à penser et à dire que des hommes sont les gardiens des dieux !
10. Quant à nous, nous savons que Dieu n’a pas besoin des offrandes matérielles des hommes, lui qui possède toutes choses ; mais nous avons appris et nous tenons pour véritable qu’il agrée ceux qui tâchent d’imiter ses perfections et de pratiquer la pureté, la justice, la charité, enfin toutes les perfections de ce Dieu ineffable. C’est lui qui dans sa bonté souveraine a daigné tirer le monde du chaos primitif pour le donner aux hommes ; c’est lui qui leur a promis aussi, s’ils se montrent par leurs oeuvres dignes des desseins de la Providence, de leur accorder, dans le sein de sa gloire la couronne incorruptible de l’immortalité. Car, si dans l’origine, lorsque nous n’étions pas encore, il a bien voulu nous créer, de même aussi il accordera l’éternelle jouissance de sa gloire à ceux qui se seront efforcés de choisir les moyens de lui plaire. En effet, il ne dépendait pas de nous d’être créés ; tandis que, pour nous attacher à ce qui peut plaire à Dieu, il suffit d’employer les forces de la raison qu’il nous a donnée, il suffit de céder aux inspirations et aux lumières de la foi que sa grâce nous prodigue chaque jour. Aussi regardons-nous comme de la plus haute importance pour tous les hommes, non seulement de ne pas être détournés de ces enseignements, mais d’y être, au contraire, puissamment encouragés. Car ce que n’avaient pas pu faire les lois humaines, l’esprit divin l’aurait fait, si les démons, appelant à leur aide la nature perverse et les mauvaises passions de chacun, n’avaient inventé et répandu contre nous, malgré notre innocence, les plus odieuses calomnies et les plus perfides accusations.
11. Quand vous nous entendez parler de ce royaume, objet de nos espérances, vous vous imaginez bien à tort qu’il s’agit d’un royaume humain : non, nous parlons du royaume de Dieu. Ce qui le prouve, c’est que nous confessons hautement devant vous notre titre de chrétien, quoique nous n’ignorions pas que cet aveu vaut la mort. Et ne voyez-vous pas que, si nous attendions une couronne humaine, nous renierions notre foi, nous prendrions le plus grand soin de nous cacher pour conserver notre vie et pour arriver au but de nos désirs ? Mais non, nos espérances ne sont pas dans le temps, et alors nous nous rions des bourreaux ; car, après tout, ne faut-il pas mourir ?
12. Certes vous trouvez en nous les plus utiles amis et les plus zélés partisans de l’ordre et de la paix, puisque, d’après notre doctrine, nul ne peut se soustraire aux regards de Dieu : le méchant, l’avare, le perfide, pas plus que le vertueux et le juste, et qu’en raison de ses oeuvres, chacun marche au supplice ou au salut éternels. Si tous les hommes étaient bien persuadés de cette vérité, quel est celui qui voudrait commettre un crime d’un instant avec la conscience d’avoir à l’expier par les tourments du feu éternel ? Avec quel soin, au contraire, chacun ne se contiendrait-il pas, ne s’ornerait-il pas de toutes les vertus, autant pour éviter le châtiment que pour mériter la récompense promise ! Ce n’est jamais la crainte de vos lois et de vos peines qui fait chercher au coupable le moyen de se cacher ; car il sait bien, quand il commet son crime, que vous êtes des hommes, et que l’on échappe à votre justice. Mais, s’il était persuadé que Dieu ne peut rien ignorer, pas une action, pas même une pensée, alors peut-être l’imminente frayeur du supplice lui ferait pratiquer la vertu ; vous n’en disconviendrez pas. Et pourtant il semblerait que vous redoutez de voir tous vos sujets vertueux, que vous craigniez de n’avoir plus à frapper. Ce serait là agir en bourreaux, et non pas en bons princes. Tout cela, nous le croyons fermement, est l’oeuvre de ces perfides démons, divinités auxquelles sacrifient les méchants et les insensés. Mais vous, princes, qui aimez la piété et la sagesse, vous n’agirez pas ainsi contre toute raison. Que si, dans un semblable esprit de démence, vous préfériez écouter le préjugé et faire taire la vérité, déployez alors toute votre puissance. Les princes eux-mêmes, quand ils sacrifient la vérité à l’opinion, ne sont pas plus forts que de misérables brigands dans le désert. Et prenez-y garde, car il vous en arrivera malheur : c’est le Verbe lui-même, de tous les princes le plus royal et le plus saint avec Dieu son père, qui vous le déclare. Or comme personne n’est jaloux de recueillir en héritage la pauvreté, la douleur ou la honte, tout homme sensé se gardera bien de suivre les voies interdites par le Verbe. D’ailleurs toutes ces persécutions dont j’ai parlé, elles ont été prédites par notre maître, le fils et l’envoyé du père et du souverain de l’univers, Jésus-Christ, à qui nous devons notre glorieux nom de chrétien. Et, nous vous le demandons, notre foi dans sa parole ne devient-elle pas inébranlable quand nous voyons toutes ses prédictions se réaliser ? C’est là l’oeuvre de Dieu : il parle, il annonce l’avenir, et l’événement s’accomplit tel qu’il l’a prédit. Ici nous pourrions nous arrêter et ne plus rien ajouter ; nous avons prouvé la bonté de notre cause et la justice de nos réclamations. Mais il est difficile, nous le savons, de convaincre un esprit possédé par l’ignorance. Aussi, pour achever de convaincre les sincères amis du vrai, nous avons résolu d’ajouter encore quelques mots, dans la persuasion que l’éclat de la vérité pourra dissiper les ténèbres de l’erreur.
13. Est-il maintenant un homme raisonnable qui oserait dire que nous sommes des athées, nous qui adorons le créateur de l’univers ? Notre Dieu n’a pas besoin de sang, ni de parfums, ni de libations : les offrandes dignes de lui sont des hymnes de piété et de reconnaissance. La vraie manière de l’honorer, ce n’est pas de consumer inutilement par le feu les choses qu’il a créées pour notre subsistance, mais de nous servir de ces aliments, de les partager avec les pauvres, et aussi, dans un juste sentiment de gratitude, de célébrer la gloire divine par de saints cantiques : nous le savons , et en conséquence nous le bénissons de toutes nos forces et nous lui rendons grâces pour la vie qu’il nous a donnée, pour les soins qu’il prend de notre existence, pour les diverses qualités des choses, pour les changements des saisons, et surtout pour cette immortalité future, magnifique récompense promise à notre foi. Avec ce Dieu suprême nous adorons encore deux autres personnes : celui qui est venu pour nous enseigner sa doctrine, Jésus-Christ notre maître, crucifié en Judée sous Ponce-Pilate, du temps de Tibère-César, véritablement fils de Dieu ; et enfin l’Esprit prophétique, culte éminemment raisonnable, comme nous vous le démontrerons. A ce propos on crie à la folie : quelle absurdité, en effet, de placer à côté du Dieu immuable et éternel, à côté du créateur du monde, un homme crucifié ! C’est qu’il y a là un mystère que vous ignorez : nous allons vous le découvrir. Ecoutez et prêtez-nous toute votre attention.
14. Avant tout, nous vous en prévenons, prenez bien garde de ne pas vous laisser séduire par la malice des démons soulevés contre nous ; prenez garde qu’ils ne vous détournent de nous lire et de nous comprendre (car ils emploient tout leur pouvoir à vous vaincre, à vous asservir ; et par les visions du sommeil comme par les prestiges de la magie, ils enveloppent et saisissent tous ceux qui ne veillent pas et ne combattent pas pour leur salut). Aussi, dès que nous avons cru au Verbe, nous sommes-nous éloignés d’eux, et les avons-nous fuis pour nous attacher invinciblement par Jésus-Christ au Dieu incréé. Autrefois nous prenions plaisir à la débauche, aujourd’hui la chasteté seule fait nos délices. Nous avions recours aux sortilèges et à la magie, et maintenant nous nous dévouons tout entier au Dieu bon et immortel. Au lieu de cette ambition et de cette insatiable avidité qui nous dévoraient, maintenant une douce communauté nous réunit ; tout ce que nous possédons, nous le partageons avec les pauvres. Les haines, les meurtres dévastaient nos rangs ; la différence de moeurs et d’institutions nous faisaient refuser à l’étranger l’hospitalité de notre foyer ; et maintenant, depuis la venue du Christ, une fraternelle charité nous unit ; nous prions pour nos ennemis ; ceux qui nous persécutent, nous tâchons de les convaincre : nous nous efforçons de leur persuader que tous ceux qui suivent les divins préceptes du Christ ont droit d’espérer comme nous la récompense promise par le maître de l’univers. Mais pour que l’on ne nous accuse pas de vouloir vous payer de paroles, il ne sera pas inutile, je pense, de vous rappeler, avant d’en venir à la démonstration, quelques-uns des préceptes du Christ ; et nous nous en remettrons à vous comme à de puissants et d’équitables princes, pour juger si nos enseignements sont conformes à ceux que nous a donnés notre maître. Ses maximes sont brèves et concises ; car ce n’était pas un sophiste, mais la puissance de la parole de Dieu était en lui.
15. Voici ce qu’il dit de la chasteté : « Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter a déjà commis l’adultère dans son coeur. » Et : « Que si votre oeil droit vous scandalise ; arrachez-le et jetez-le loin de vous ; il vaut mieux n’avoir qu’un oeil et entrer dans le royaume des cieux, qu’avoir deux yeux et être jeté dans le feu éternel. » Et : « Celui qui épouse la femme répudiée par un autre homme commet un adultère. » Et : « Il y a des eunuques sortis tels du sein de leur mère ; il y en a que les hommes ont fait eunuques, et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes en vue du royaume des cieux ; mais tous n’entendent pas cette parole. » Ainsi ceux qui, selon la loi des hommes, contractent un second mariage après leur divorce, comme ceux qui regardent une femme pour la convoiter, sont coupables aux yeux de notre maître ; il condamne le fait et jusqu’à l’intention de l’adultère ; car Dieu voit non seulement les actions de l’homme, mais même ses plus secrètes pensées. Et pourtant combien d’hommes et de femmes sont parvenus à plus de soixante et soixante-dix années, qui, nourris depuis leur berceau dans la foi du Christ, sont restés purs et irréprochables durant leur longue carrière ! Ce fait se retrouve dans les peuples de toute contrée ; je m’engage à le prouver. Et faut-il à ce propos rappeler la multitude innombrable de ceux qui ont rompu avec le vice pour se captiver sous l’obéissance de la foi ? car ce ne sont pas les hommes chastes et saints que le Christ convie au repentir, se sont les impies, les débauchés, les méchants. Il le dit lui-même : « Je ne suis pas venu appeler les justes à la pénitence, mais les pécheurs ; car le Père céleste aime mieux le repentir que le châtiment du pécheur. Ecoutez maintenant ce que dit le Christ sur la charité envers tous : »Si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous de nouveau ? Les impudiques en font autant. Mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent ; bénissez ceux qui vous maudissent ; et priez pour ceux qui vous calomnient.« Sur l’obligation de donner aux pauvres et de ne rien faire pour la vaine gloire, voulez-vous savoir ce qui nous est prescrit : »Donnez à celui qui vous demande : Ne refusez pas à celui qui veut emprunter de vous ; car si vous prêtez à ceux de qui vous croyez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Les publicains en font autant. N’amassez pas de trésors sur la terre, où la rouille et les vers dévorent, et où les voleurs fouillent et dérobent ; mais amassez des trésors dans le ciel, où ni la rouille ni les vers ne dévorent ; car que sert à un homme de gagner l’univers entier et de perdre son âme ? Et qu’est-ce que l’homme donnera en échange pour son âme ? Amassez donc des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne dévorent.« Et : »Soyez doux et miséricordieux comme votre Père est doux et miséricordieux ; lui qui fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants . Ne vous inquiétez point pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps où vous trouverez des vêtements. Ne valez-vous pas mieux que les oiseaux et les bêtes ? et Dieu les nourrit. Ne vous inquiétez donc pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps où vous trouverez des vêtements ; car votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez le royaume de Dieu, et ces choses vous seront données par surcroît. L’âme de l’homme est là où est son trésor.« Et : »Ne faites pas ces choses pour être en spectacle aux hommes ; car autrement vous ne gagnerez pas la récompense promise par votre Père qui est dans les cieux.« 16. Faut-il nous rendre humbles, serviables, patients ? Voici ses préceptes : »Si l’on vous frappe sur une joue, tendez l’autre ; si l’on vous enlève votre manteau, donnez aussi votre tunique. Celui qui se met en colère s’expose au feu éternel. Si quelqu’un vous force à le suivre pendant un mille, accompagnez-le pendant deux ; et que vos bienfaits brillent aux yeux des hommes, de sorte que, les voyant, ils admirent votre Père qui est dans les cieux.« Dieu ne nous permet pas de nous révolter : il ne veut pas que nous nous fassions les imitateurs des méchants ; au contraire, il nous engage à employer la patience et la douceur pour arracher les hommes à l’avilissement des mauvaises passions. C’est ce dont nous pourrions facilement trouver des preuves parmi vous, en vous citant tous ceux qui ont changé leurs habitudes de violence et de tyrannie, vaincus par l’expérience journalière et par l’exemple de la pureté de leurs voisins ; par la vue de leur admirable patience à supporter les outrages, ou enfin par l’examen de leur conduite et de leurs moeurs. Nous ne devons pas jurer, et nous sommes obligés de dire toujours la vérité. Ecoutez : »Ne jurez en aucune manière : que si c’est oui, dites oui ; que si c’est non, non ; ce que vous ajouteriez de plus serait mal.« La loi de l’adoration d’un seul Dieu, voici comme il nous l’impose : »C’est ici le plus grand commandement : tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu rendras à lui seul le culte souverain de tout ton coeur et de toute ta force, car c’est ton Seigneur Dieu qui t’a fait.« Un homme s’approche de Jésus, en lui disant : »Maître parfait ! Nul n’est parfait que Dieu seul, le créateur du monde, « répond Jésus. Et pour être reconnu comme chrétien, il ne suffit pas de proclamer de bouche la doctrine du Christ, il faut la suivre dans toutes les actions de la vie ; car ce n’est pas à ceux qui parlent, mais à ceux qui agissent que le salut éternel est promis. Ecoutez : »Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux : celui-là y entrera qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux ; car celui qui m’écoute et fait ce que je dis écoute celui qui m’a envoyé. Il y en a beaucoup qui me disent : Seigneur, Seigneur, est-ce que nous n’avons pas bu et mangé en votre nom ? est-ce que nous n’avons pas fait des miracles ? Et alors, moi je leur dirai : Loin de moi, artisans d’iniquité ! Et alors, il y aura là des pleurs et des grincements de dents ; et les justes brilleront comme le soleil, et les méchants seront précipités au feu éternel. Et, en effet, vous en verrez beaucoup venir en mon nom, qui au-dehors seront revêtus de peaux de brebis, et au-dedans sont des loups ravissant. Vous les connaîtrez par leurs oeuvres ; et tout arbre ne portant pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu." Châtiez donc tous ces gens qui ne sont chrétiens que de nom, et se conduisent en dépit des enseignements du Christ ; châtiez-les, nous vous le demandons.
17. Nous sommes les premiers à payer les tributs entre les mains de ceux que vous avez préposés à la levée des impôts, car c’est encore là un précepte du Christ. Des Juifs étant venus un jour lui demander s’il fallait payer le tribut à César : « Dites-moi, je vous prie, de qui cette pièce d’argent porte-t-elle l’effigie ? De César, » répondirent-ils. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Aussi nous n’adorons que Dieu, et pour tout le reste nous vous obéissons de grand coeur, nous plaisant à reconnaître en vous les princes et les chefs des peuples, et priant Dieu de vous accorder avec la souveraine puissance le don de la sagesse et de la raison. Que si, après tout, vous dédaignez nos prières, si vous méprisez nos suppliques et nos discours, nous ne nous en plaindrons pas et nous n’y perdrons rien ; car, nous le croyons avec toute l’énergie de la conviction, chacun expiera ses actes dans le feu de l’éternité, chacun rendra compte en raison de ce qu’il aura reçu. C’est le Christ qui nous l’enseigne par cette parole : « Celui qui aura reçu davantage, il lui sera demandé davantage. »
18. Tournez les regards vers les empereurs qui vous ont précédés. Ils ont suivi la loi commune ; ils sont morts comme tous les hommes. La mort devait-elle les plonger dans l’insensibilité du néant ? Non, ce serait pour les méchants une faveur exorbitante. L’existence n’abandonne pas ceux qui ont vécu, et les supplices éternels les saisissent au sortir de ce monde. Ecoutez, prêtez la plus grande attention : croyez surtout ; car tout ceci est la vérité. Tous les prestiges de la nécromancie, l’inspection du cadavre palpitant d’un enfant, l’évocation des âmes humaines, le ministère de tous ceux que les magiciens appellent les dispensateurs et les satellites des songes, les opérations de ces adeptes, en est-ce assez pour vous faire croire que l’âme après la mort conserve sa sensibilité ? faut-il vous parler de ceux que vous voyez saisis et subjugués par les âmes des morts, furieux et démoniaques aux yeux de tous, oracles à vos yeux, les Amphiloques, les Pythies, les Dodonées et mille autres ? Voulez-vous les témoignages des écrivains, d’Empédocle et de Pythagore, de Platon et de Socrate ? Et le gouffre infernal d’Homère, et la descente d’Ulysse dans ce Tartare, et tant d’autres auteurs ? Eh bien ! nous ne vous demandons qu’une chose, c’est de nous mettre à l’égal de tous ces écrivains, nous qui croyons autant et bien plus qu’eux en la divinité, puisque nous espérons voir un jour nos corps eux-mêmes, cadavres enfouis dans la terre, se relever pour nous recevoir une seconde fois ; car, nous le disons, rien n’est impossible à Dieu.
19. Certes, à y réfléchir attentivement, ne nous semblerait-il pas incroyable, si nous n’avions pas nos corps, d’entendre quelqu’un nous dire : Vous voyez ces chairs, ces os, ces nerfs, toute cette substance de l’homme, quelques gouttes de liqueur séminale suffisent pour la former et la produire ? Or, raisonnons dans cette hypothèse : oubliez un instant votre humanité et votre origine, et supposez que l’on présente à vos regards, d’un côté l’image d’un homme, et de l’autre cette faible semence, et qu’on vous dise : Ceci peut produire cela ; croiriez-vous une pareille assertion avant de l’avoir vue réalisée ? Personne n’osera dire que oui. Eh bien ! cependant, vous ne croyez pas à la résurrection des morts. Nous n’avons pas vu de mort ressusciter, dites-vous ? Et la possibilité de la génération par des moyens aussi débiles, vous ne l’auriez pas crue d’abord ; cependant vous en voyez partout le phénomène accompli chaque jour. Conséquemment vous devez admettre la possibilité d’une résurrection pour ces cadavres corrompus que la dissolution a presque réduits à l’état de semence. Vous devez croire qu’à la parole de Dieu ils pourront bien, au jour marqué, se redresser et revêtir l’immortalité. Et, en effet, serait-ce donner une idée convenable de la puissance divine que de dire avec certaines gens : Chaque chose retourne à l’élément d’où elle est sortie, et Dieu même ne peut rien faire de contraire à cette loi ? Non, nous ne pouvons accorder une opinion semblable. Mais ce que nous en concluons, c’est que ceux qui la défendent n’auraient jamais cru à la possibilité de leur propre création, de celle du monde entier, tel qu’il est, et avec l’origine qu’ils lui voient. Plutôt que de partager leur incrédulité, ajoutons foi à ces mystères incompréhensibles pour notre humaine nature : c’est le parti le plus sage, c’est la doctrine de Jésus-Christ ; car ne nous a-t-il pas dit : « Ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu. » Et : « Ne craignez pas ceux qui vous tuent, ils ne peuvent rien au-delà. Mais craignez celui qui, après la mort, peut précipiter votre corps et votre âme dans la géhenne. » Or, cette géhenne, c’est le lieu où sont torturés ceux qui ont vécu dans l’iniquité et qui n’ont pas cru à la réalisation des paroles que Dieu nous a fait annoncer par le Christ.
20. Et la Sibylle et Hystaspe vous disent que toute la nature corruptible périra par le feu ; et les philosophes de l’école stoïcienne prétendent que Dieu lui-même se résoudra en feu, et qu’après la ruine universelle le monde renaîtra de nouveau. Mais nous, combien ne sommes-nous pas supérieurs à ces doctrines versatiles, avec notre croyance en un Dieu créateur de l’univers ? Ainsi, non seulement nos doctrines ressemblent à celles des philosophes et des poètes le plus en honneur auprès de vous, mais même, dans de certains points, nous parlons un langage plus vrai et plus saint. Seuls enfin, nous prouvons nos assertions. Pourquoi donc maintenant sommes-nous injustement poursuivis de la haine de tous ? Dire que Dieu a tout créé et tout ordonné dans le monde, n’est-ce pas répéter un dogme de Platon ? L’idée de l’embrasement universel nous est commune avec les stoïciens. Croire que les âmes des méchants conservent la sensibilité après la mort, et qu’elles sont châtiées pour leurs crimes, tandis que celles des justes évitent les supplices et jouissent de la félicité, ce n’est que partager le sentiment des poètes et des philosophes. Quand enfin nous détournons les hommes d’adorer des êtres pires qu’eux, nous ne faisons que rappeler les paroles de Ménandre le poète comique, et de tous ceux qui ont écrit dans le même sens. Tous en effet ont proclamé que le créateur était plus grand que la créature.
21. Et quand nous parlons du Verbe engendré de Dieu avant tous les siècles ; quand nous disons qu’il est né d’une vierge sans aucune coopération étrangère ; qu’il est mort, et qu’après être ressuscité il est monté au ciel ; nos récits ne sont pas plus étranges que l’histoire de ces personnages que vous appelez fils de Jupiter. Vous n’ignorez pas en effet combien vos plus célèbres auteurs lui donnent d’enfants. C’est un Mercure, son interprète, son verbe, chargé de tout apprendre au monde ; c’est un Esculape, qui, foudroyé pour avoir exercé son art de médecin, est enlevé au ciel ; un Bacchus, qui est mis en pièces ; Hercule, qui se brûle pour faire cesser ses travaux ; les Dioscures, fils de Léda ; Persée, fils de Danaé ; Bellérophon, que le coursier Pégase ravit du milieu des mortels. Parlerai-je d’Ariane et de tous ceux qui comme elle sont devenus des astres ? Et tous vos empereurs, à peine sont-ils morts que vous vous hâtez d’en faire des immortels, et ne trouvez-vous pas au besoin un témoin tout prêt à jurer qu’il a vu César s’élever resplendissant de son bûcher vers les cieux ? Au reste, il n’est pas nécessaire de faire ici l’historique des hauts faits attribués à tous ces enfants de Jupiter ; vous les savez assez bien, et d’ailleurs ces récits n’ont été écrits que pour corrompre et dépraver l’esprit qui les étudie, puisque chacun pense qu’il ne peut mieux faire que d’imiter les dieux. Y a-t-il rien de plus contraire à la saine idée de la divinité que de représenter Jupiter, le souverain et le père des dieux, comme fils d’un parricide et parricide lui-même, livré aux plus honteuses débauches, poussant la brutalité jusqu’à abuser de Ganymède, jusqu’à déshonorer ce prodigieux nombre de femmes d’où lui naquirent tous ces enfants, dignes imitateurs de leur père ? Ne voit-on pas là l’oeuvre des génies du mal ? Pour nous, notre doctrine nous apprend que l’immortalité est réservée à ceux qui tâchent de ressembler à Dieu par la sainteté de leur vie et la pratique de la vertu ; tandis que le supplice du feu éternel attend ceux qui s’obstinent à demeurer dans l’iniquité.
22. Quant à Jésus-Christ, que nous appelons le fils de Dieu, ne fut-il qu’un simple mortel, sa sagesse lui mériterait ce titre ; puisque tous les auteurs s’accordent à donner à la divinité le nom de père des dieux et des hommes ; que si, le croyant engendré d’une manière toute particulière et surhumaine, nous l’appelons le Verbe de Dieu, nous ne faisons que lui appliquer la dénomination affectée à Mercure, puisqu’on en parle comme du verbe, messager de Dieu. Nous objectera-t-on qu’il a été crucifié ; nous dirons qu’en cela il ressemble à tous ceux des fils de Jupiter qui, selon vous, ont eu des tourments à souffrir. Loin d’être uniforme, leur genre de mort a été très différent. Jésus aussi a eu son agonie à part. Il ne le leur cède pas même en cela. Combien au contraire ne les surpasse-t-il pas en tout ! Hâtons-nous de le prouver, ou plutôt la preuve est déjà faite ; car c’est par les actions que se constate la supériorité. Jésus est né d’une vierge ? oui, il a cela de commun avec Persée. Il guérissait les boiteux et les paralytiques, les infirmes de naissance ; il ressuscitait les morts. C’est ce que vous racontez d’Esculape.
23. Mais, remarquez-le bien, si nous avons employé ce genre de preuves et ces assimilations, c’est que nous voulions vous démontrer que la vérité se rencontre uniquement dans les leçons du Christ et des prophètes ses prédécesseurs, plus anciens que tous vos écrivains ; et quand nous demandons d’être crus, ce n’est pas en raison de ces ressemblances, c’est en raison de la vérité que nous annonçons, c’est parce que nous vous disons que Jésus-Christ est le fils unique du Père, son premier-né, sa puissance, son Verbe ; qu’il s’est fait homme par sa propre volonté, et qu’il est venu nous instruire pour le salut et la régénération du monde. Or, avant qu’il parût parmi les hommes, ces génies du mal, les démons dont nous avons déjà parlé, se sont servis des poètes pour fausser d’avance le récit de ces grands événements, comme s’ils eussent déjà eu lieu ; et ainsi ils sont parvenus à inventer et à faire croire contre nous les accusations les plus odieuses sans la moindre preuve et sans un seul témoin. Voilà la raison de notre argumentation.
24. Ainsi donc, en premier lieu, nous ne faisons que ce que font les Grecs, et pourtant seuls nous souffrons persécution pour le nom du Christ. Nous ne commettons aucun crime, et on nous tue comme des scélérats. Tout autour de nous on adore des arbres, des fleuves, des chats, des souris, des crocodiles, des animaux de toute espèce. Et ce culte n’est pas universel ; non, chacun a son idole, en sorte que pour son voisin, dont il ne partage pas la croyance, c’est un impie. Et le seul chef d’accusation que l’on puisse invoquer contre nous, c’est que nous n’adorons pas vos dieux, que nous ne faisons aux morts ni libations ni offrandes ; que nous ne consacrons aux idoles ni couronnes ni victimes ; des victimes ! mais vous n’ignorez pourtant pas que ce qui est ici une victime, là est un dieu, plus loin une brute.
25. En second lieu, remarquez-le bien, tandis que le genre humain entier se prosternait aux pieds de Bacchus et d’Apollon, dont les infâmes débauches font horreur ; tandis qu’il adorait Proserpine et Vénus, dont vous célébrez dans vos mystères le honteux amour pour le jeune Adonis ; tandis qu’il rendait un culte à Esculape et à toute cette multitude de prétendus dieux ; nous, au nom de Jésus-Christ et au péril le notre vie, nous avons foulé aux pieds ces divinités, et embrassé la foi à ce Dieu incréé, inaccessible au mal, et qui jamais ne descendit sur terre pour séduire une Antiope ou abuser d’un Ganymède ; non, jamais notre Dieu n’eut besoin, pour se délivrer de ses chaînes, que Thétis implorât le secours du géant à cent bras ; jamais pour prix d’un tel service il ne sacrifia des milliers de Grecs à la colère d’Achille furieux de l’enlèvement de sa Briséis. Ceux qui croient à de pareilles fables nous font pitié, et nous n’y pouvons reconnaître que l’oeuvre des démons.
26. En troisième lieu, lorsque par son ascension le Christ eut été enlevé au ciel, les démons suscitèrent des hommes qui se prétendirent dieux : et vous, bien loin de les poursuivre, vous les avez comblés d’honneurs. Un certain Simon, du bourg de Gitton, vint à Rome du temps de l’empereur Claude. Aidé par les malins esprits, il fit dans votre ville impériale quelques prodiges de magie, et aussitôt on le prit pour un dieu, on lui éleva une statue comme à un dieu. Cette statue est dans l’île du Tibre, entre les deux ponts, et elle porte cette inscription latine : Simoni Deo sancto. Presque tous les Samaritains et quelques hommes d’autres nations le reconnaissent et l’adorent comme leur première divinité. Et vous savez ce qu’on rapporte de cette Hélène, qu’il avait retirée d’une maison de prostitution pour en faire sa compagne et son expression intellectuelle, comme il le disait. Ménandre de Capparetée, Samaritain aussi et disciple de Simon, ne parvint-il pas, toujours par l’assistance des démons, à séduire par ses magiques opérations les habitants d’Antioche, au point de persuader ses adeptes qu’ils ne mourraient jamais ? et nous voyons encore nombre de ses sectateurs. Marcion de Pont, qui vit encore, n’enseigne-t-il pas la croyance à un dieu supérieur au créateur du monde ? C’est là encore une oeuvre des génies du mal, qui se sont servis de lui pour répandre le blasphème sur la terre, pour faire nier aux hommes que le créateur tout-puissant fut le père du Christ, et pour leur faire professer, au contraire, l’existence d’un être dont la puissance supérieur avait créé des ouvrages plus merveilleux. Tous les disciples de ces imposteurs sont, comme nous l’avons dit, compris sous la dénomination générale de chrétiens, de la même manière que le nom de philosophes s’applique à une foule de gens qui ne partagent pas les mêmes idées philosophiques. Maintenant ces sectaires se rendent-ils coupables des crimes atroces dont la malignité publique nous accuse, comme ces extinctions de lumières, ces mélanges confus des sexes, ces repas de chair humaine ? Nous l’ignorons ; mais ce que nous savons bien, c’est qu’au moins, vous, vous ne leur faites pas un crime de leurs opinions et vous ne les massacrez pas. Au reste, nous avons composé un livre contre toutes les hérésies, et si vous voulez, nous vous en donnerons connaissance.
27. Quant à nous, loin de commettre aucune impiété, aucune vexation, nous regardons comme un crime odieux l’exposition des enfants nouveau-nés ; parce que d’abord nous voyons que c’est les vouer presque tous, non seulement les jeunes filles, mais même les jeunes garçons, à une prostitution infâme ; car de même qu’autrefois on élevait des troupeaux de boeufs et de chèvres, de brebis et de chevaux, de même on nourrit aujourd’hui des troupes d’enfants pour les plus honteuses débauches. Des femmes aussi et des êtres d’un sexe douteux, livrés à un commerce que l’on n’ose nommer, voilà ce qu’on trouve chez toutes les nations du Globe. Et au lieu de purger la terre d’un scandale pareil, vous en profitez, vous en recueillez des tributs et des impôts ! D’ailleurs ne peut-il pas résulter de cet odieux et sacrilège commerce un mélange affreux des pères avec leurs enfants, des frères avec leurs frères ? Il est des misérables qui prostituent leurs filles et leurs femmes : il en est qui se mutilent pour cette infâme turpitude, pour les mystères de la mère des dieux ; et à chacune de vos divinités vous donnez pour attribut ce grand et mystérieux symbole du serpent. Voilà ce qui se fait chez vous à la face du soleil : voilà votre culte : Et vous nous imputez vos actes ; et vous prétendez que nous étouffons toutes les lumières divines ! Au reste ce n’est pas à nous que peut nuire une calomnie de ce genre ; elle retombe sur ceux qui commettent tous ces crimes et osent nous les imputer.
28. Parmi nous, le prince des génies malfaisants s’appelle le serpent, le tentateur, Satan ; et vous pouvez vous en assurer par la lecture de nos saintes lettres. C’est lui qui sera précipité avec toute son armée et avec les hommes ses adorateurs dans le feu éternel pour y brûler à jamais : le Christ nous l’a prédit. Si un sursis a été accordé à cette condamnation, c’est en faveur de l’homme ; c’est en considération de son salut. Car Dieu sait bien que plusieurs se repentent déjà, et que bien d’autres qui sont à naître se repentiront aussi. Quand Dieu créa la nature humaine, il la fit intelligente et libre de choisir le bien et de s’y attacher, en sorte qu’à l’homme raisonnable et intelligent il ne restât aucune excuse devant la justice divine. Aussi prétendre que Dieu ne se met point en peine des choses de ce monde, c’est dire qu’il n’y a pas de Dieu, ou que, s’il y en a, il ne se plaît que dans le mal ou dans une insensibilité de pierre ; c’est dire qu’il n’y a ni vice, ni vertu, et que le bien et le mal ne sont que des distinctions chimériques inventées par l’imagination humaine, ce qui est une haute impiété et une odieuse injustice.
29. Quant à l’exposition des enfants, il est un motif encore qui nous la fait abhorrer. Nous craindrions qu’ils ne fussent pas recueillis, et que notre conscience restât ainsi chargée d’un homicide. Au reste, si nous nous marions, c’est uniquement pour élever nos enfants ; si nous ne nous marions pas, c’est pour vivre dans une continence perpétuelle. Naguère, un de nos frères, pour vous persuader qu’il n’y a parmi nous ni mystères impurs, ni mélanges infâmes, présenta à Félix, préfet d’Alexandrie, une requête afin d’obtenir de se faire enlever les organes de la génération. Les médecins de la ville prétendaient ne pouvoir exécuter cette opération sans la permission du préfet. Félix ne voulut pas obtempérer à cette demande, et le jeune homme fort de sa conscience et content de cet hommage rendu à sa foi, conserva sa pureté et vécut dans la chasteté avec tous ceux qui partageaient sa croyance. Et à ce propos, il me semble assez curieux de faire mention ici de cet Antinous qui parut il y a peu de temps, imposteur effronté que l’on adorait déjà comme un dieu, quoiqu’on sût bien qui il était et d’où il venait.
30. Maintenant pour que personne ne tente de nous opposer que le personnage nommé par nous Christ n’est qu’un homme, fils d’un homme, et que ses miracles ne sont que des sorcelleries et des oeuvres de magie à l’aide desquelles il a réussi à se faire passer pour le fils de Dieu, nous allons commencer notre démonstration sur ce point, et vous prouver que ce n’est pas sur des on-dit que notre foi est fondée, mais sur des prophéties publiées bien avant l’événement et sur la réalisation certaine et indubitable de ces faits annoncés, réalisation à laquelle nous avons assisté, à laquelle nous assistons encore. Et ce sera là une magnifique et irréprochable démonstration, nous en avons la ferme confiance.
31. Il s’est rencontré chez les Juifs des hommes prophètes de Dieu, et dont l’Esprit saint se servait comme de hérauts pour annoncer l’avenir. Leurs prophéties, à mesure qu’elles étaient prononcées, étaient soigneusement recueillies par les rois du moment, qui en possédaient les textes ; écrits en hébreu de la main même des prophètes. Quand Ptolémée, roi d’Egypte, composa sa fameuse bibliothèque, il eut connaissance de ces livres prophétiques, et il envoya une ambassade à Hérode, alors roi des Juifs, pour les lui demander. Hérode donna le texte hébreu ; mais cette langue étant inconnue aux Egyptiens, une nouvelle députation vint solliciter du roi des Juifs des hommes capables d’en faire une traduction grecque. Cette oeuvre fut exécutée, et ces livres sont restés jusqu’à présent aux mains des Egyptiens, comme ils sont par toute la terre entre celles des Juifs. Mais c’est en vain que les Juifs les lisent, ils ne les comprennent pas ; au contraire, ils nous traitent comme leurs ennemis déclarés ; ils nous persécutent autant qu’il est en leur pouvoir ; ils nous infligent comme vous les supplices et la mort : vous pouvez en avoir facilement la preuve. Voyez la dernière guerre de Judée, Barcochébas, le chef de la révolte, ne sévissait-il pas contre les chrétiens et contre eux seuls ? Ne les accablait-il pas des plus cruelles tortures s’ils ne renonçaient pas à Jésus-Christ et s’ils ne blasphémaient pas son saint nom ? C’est pourtant dans les livres des prophètes qu’est annoncée la venue du Christ. Il y est dit qu’il doit naître d’une vierge ; que, parvenu à l’âge d’homme, il guérira toutes les maladies et toutes les douleurs et ressuscitera les morts : que méconnu, persécuté, il sera mis en croix, qu’il mourra et se ressuscitera pour remonter au ciel. Il y est dit qu’il est le fils de Dieu et qu’il sera reconnu pour tel ; qu’il enverra par tout le genre humain des hérauts pour l’annoncer, et que toutes les nations croiront à sa parole. Et tout cela a été prophétisé cinq mille, trois mille, deux mille, mille et enfin huit cents années avant l’événement, car telle est la succession des temps où ont paru les prophètes.
32. Moïse, le premier de tous, a parlé ainsi : « il ne manquera pas de prince de Juda, ni de chef de cette race jusqu’à ce que vienne celui qui est attendu : celui-là sera l’espérance des nations ; il attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa robe dans le sang de la grappe. » Et voyez et recherchez avec soin jusqu’à quelle époque les Juifs ont eu un roi de leur nation. C’est justement celle où parut Jésus-Christ, notre maître, l’interprète des mystérieux oracles ; et en lui s’est accompli ce que l’Esprit prophétique avait annoncé par la bouche de Moïse, à savoir que le prince ne manquerait pas chez les Juifs jusqu’à ce que fut venu celui à qui le royaume était réservé. Car Juda est le patriarche des Juifs, et c’est de lui qu’ils ont pris leur nom. Aussitôt la venue du Messie, vous avez commencé à régner sur les Juifs, et vous avez soumis tout leur pays à votre domination. Cette parole, il sera l’espérance des nations, signifiait que par toutes les nations il se trouverait des hommes qui soupireraient après sa venue. C’est là un fait que vous démontre votre propre expérience. Ne voyez-vous pas que dans toutes les nations on espère en ce crucifié de la Judée, après la mort duquel la terre des Juifs a été prise et livrée entre vos mains ? Cette autre parole, « il attachera son ânon à la vigne, et il lavera sa robe dans le sang de la grappe, » est un symbole qui figure en partie ce qui devait arriver au Christ, en partie ce que lui-même devait accomplir. Car il y avait à l’entrée d’un village un ânon attaché à une vigne, et le Christ ordonna à ses disciples de le lui amener : il y monta et fit son entrée à Jérusalem, où était ce grand et magnifique temple que vous avez détruit depuis. Après cela il fut crucifié, pour que le reste de la prophétie fût accompli. Car cette robe lavée dans le sang de la grappe« était l’annonce des douleurs qu’il devait endurer, pour racheter par son sang tous ceux qui croient en lui. La robe dont parle l’Esprit de Dieu représente les hommes qui ont foi en Jésus-Christ, et dans lesquels habite le Verbe, cette semence de Dieu. Le sang de la grappe signifiait aussi que le Messie aurait du sang, non pas du sang de la semence humaine, mais de la puissance divine. La puissance souveraine avec le Père et le maître de l’univers, c’est son fils, c’est le Verbe. Il a pris chair, il s’est fait homme, nous le dirons ensuite. Or, maintenant, comme ce n’est pas l’homme mais Dieu qui a fait le sang de la grappe, de même le sang du Christ était ainsi clairement désigné comme ne pouvant pas résulter de la semence humaine, mais de la vertu de Dieu, comme nous l’avons dit déjà. Un autre prophète a dit exactement la même chose en termes différents, c’est Esaïe : »Une étoile sortira de Jacob, et une fleur poussera sur la tige de Jessé, et les nations espéreront en son bras." N’est-ce pas une étoile brillante, n’est-ce pas une belle fleur sur la tige de Jessé, que notre Seigneur Jésus-Christ ? La vertu de Dieu l’a engendré, et il est né d’une vierge de la race de Jacob, le père de Juda (et nous avons vu que Juda est le patriarche des Juifs). Jessé aussi fut ; selon les saints oracles, un aïeul du Christ, fils lui-même de Jacob et de Juda, comme le prouve la suite de sa généalogie.
33. Ecoutez maintenant comme Esaïe annonce que le Christ naîtra d’une vierge. Voici ses paroles : « La vierge sera enceinte, et elle enfantera un fils, et les hommes appelleront ce fils, Emmanuel, Dieu avec nous. » Or c’étaient des choses incroyables et impossibles à l’homme que Dieu faisait prédire par l’esprit de prophétie ; en sorte qu’à l’événement on ne leur refusât pas créance, et qu’au contraire on leur accordât une confiance illimitée. Actuellement, pour que dans l’ignorance du sens véritable de cette prophétie, l’on ne vienne pas confondre nos paroles avec les récits de vos poètes, qui représentent Jupiter descendant des cieux ; pour se livrer à un commerce impur avec des femmes mortelles, nous allons entrer dans l’explication. Une vierge, dit Esaïe, sera enceinte : c’est-à-dire qu’elle concevra sans coopération humaine ; car si ce commerce avait eu lieu, elle ne fût pas demeurée vierge. Mais ici la vertu de Dieu est descendue sur cette vierge et l’a environnée comme d’un nuage sacré, et restant toujours vierge, elle est néanmoins devenue enceinte. Ce fut un ange de Dieu qui fut alors envoyé vers cette vierge, et qui lui annonça cette bonne nouvelle en disant : « Voici que vous concevrez du Saint-Esprit et que vous enfanterez un fils, et il sera appelé le fils du Très-Haut, et vous le nommerez Jésus ; car il sauvera son peuple de ses péchés. » C’est ce que nous apprennent ceux qui ont écrit la vie et les oeuvres de Jésus-Christ, notre Sauveur ; et c’est là ce que nous croyons ; car c’est la réalisation de ce qu’avait prédit le Saint-Esprit par la bouche d’Esaïe. Donc cet esprit et ce souffle de Dieu n’est autre chose que son Verbe, son premier-né : il est impossible de penser autrement, et le prophète Moïse l’a clairement annoncé. C’est lui qui s’est répandu sur la vierge et l’a enveloppée de son ombre ; c’est lui qui l’a rendue féconde, non par les voies humaines, mais par la vertu de Dieu. Le nom hébreu de Jésus se traduit par Sauveur : de là vient que l’ange dit à la vierge : « Vous l’appellerez Jésus, et il sauvera son peuple de ses péchés. » Il n’est pas besoin, je pense, de vous faire remarquer que l’Esprit de Dieu peut seul dicter des prophéties pareilles : c’est une vérité que vous ne contesterez pas.
34. Quant au lieu de la naissance du Christ, écoutez ce qu’en a dit Michée, un autre prophète : « Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu ne seras pas toujours la dernière parmi les princes de Juda ; car de toi sortira le chef, le pasteur de mon peuple. » Or Bethléhem est un bourg dans la terre de Judée, situé à trente-cinq stades de Jérusalem : c’est là que le Christ est né ; vous pouvez vous en assurer par les tables du recensement que leva en Judée Cyrénius, le premier des présidents de cette province.
35. Après sa naissance, le Christ devait rester caché aux yeux des hommes jusqu’à l’âge de virilité : c’est ce qui arriva. Mais écoutez la prédiction : « Un petit enfant nous est né, et un jeune adolescent nous a été donné, et la marque de l’empire est sur ses épaules. » Cette marque, c’est la croix qu’il porta au jour de sa passion, comme nous le dirons dans la suite de ce discours. Voici sur le même sujet des paroles de ce divin prophète Esaïe : « J’ai étendu mes mains vers le peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui marchent dans la voie mauvaise ; et maintenant ils demandent que je les juge, et ils osent approcher de Dieu. » Et encore ces autres paroles : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ils ont jeté le sort sur ma robe. » Et certes ce n’est pas David, le roi-prophète, d’où ces paroles sont tirées, qui a souffert ces tourments. Mais c’est le Christ Jésus, dont les mains furent étendues quand il fut crucifié par les Juifs, ces incrédules qui niaient sa divinité. Comme le prophète l’avait dit, il fut placé par dérision sur un tribunal, et le peuple lui disait : Juge-nous. Ces mots :Ils ont percé mes mains et mes pieds, étaient l’annonce de ces clous qui, sur la croix, percèrent et ses pieds et ses mains. Après qu’on l’eut crucifié, ses bourreaux tirèrent ses vêtements au sort et se les partagèrent. Vous pouvez voir tout ce récit dans les Actes de Ponce-Pilate. Outre ce qui a été déjà rapporté sur l’ânon du Christ et son entrée à Jérusalem, voici encore des paroles d’un autre prophète, Sophonias : « Réjouissez- vous, fille de Sion ; chantez, fille de Jérusalem, voici votre roi qui vient humblement à vous, monté sur une ânesse et sur son ânon. »
36. Lorsque vous entendez toutes ces prophéties mises dans la bouche d’un homme, gardez-vous de les attribuer à ceux qui les prononcent ; ayez grand soin, au contraire, de ne voir que le souffle de Dieu qui les dicta, et qui tantôt prend la forme d’une prédiction, tantôt met ses paroles dans la bouche de Dieu le père et seigneur de l’univers, tantôt fait parler le Christ lui-même, ou enfin les nations qui répondent à Jésus ou à son Père. C’est, au reste, une habitude commune à tous vos écrivains ; l’auteur, toujours le même, introduit et met en scène des personnages différents : c’est ce que ne comprirent pas les Juifs. Ils avaient entre les mains les livres des prophètes, et ils ne reconnurent pas Jésus-Christ venant en ce monde. Loin de là, ils nous persécutent, nous qui croyons à la venue de ce Messie, et qui prouvons que, selon les oracles, il a été crucifié par leurs mains.
37. Pour vous prouver ce que nous disions à l’instant de la manière dont les prophètes font parler le Père éternel, écoutez ces paroles du prophète Esaïe : « Le boeuf connaît son maître, l’âne son étable ; mais Israël ne m’a pas connu, et mon peuple ne m’a pas compris. Malheur à la race pécheresse, au peuple rempli d’iniquités, au sang des méchants ! Fils insensés, vous avez abandonné votre Seigneur ! » Et ailleurs encore, toujours dans la bouche du Père, ces mots : « Quelle maison me bâtissez-vous ? dit le Seigneur ; le ciel est mon trône, et la terre mon marchepied. Encore : »Mon coeur déteste vos néoménies et vos fêtes ; votre grand jeûne, temps d’oisiveté, je le hais, et quand vous viendrez à moi je ne vous exaucerai pas. Vos mains sont pleines de sang, et vous m’offrez de l’encens et de la fleur de farine : cela m’est en abomination. Je ne veux plus de la graisse des agneaux et du sang des boucs. Qui a exigé de tels présents de vos mains ? Rompez tous les liens de l’iniquité ; brisez les chaînes de la violence ; conviez et recueillez celui qui est sans asile ; partagez votre pain avec celui qui a faim." Tels sont, vous pouvez en juger, les enseignements que les prophètes font donner par Dieu même.
38. Quand le Saint-Esprit introduit le Christ, il le fait s’exprimer ainsi : « J’ai étendu mes mains vers le peuple incrédule et contradicteur, vers ceux qui marchent dans les voies mauvaises. » Et encore : « J’ai présenté mon dos au fouet et mes joues aux soufflets ; je n’ai pas détourné ma face de l’affront des crachats, et le Seigneur a été mon aide : c’est pourquoi je n’ai pas eu honte, et mon visage a été comme un rocher solide, et j’ai su que je ne serais pas confondu ; car celui qui doit me justifier est proche. » Il dit encore : « Ils ont jeté le sort sur mes vêtements, et ils ont percé mes pieds et mes mains ; et moi, je me suis endormi et j ai pris mon sommeil, et ensuite je me suis réveillé ; car le Seigneur m’a relevé. » Puis, plus loin : « Ils ont remué les lèvres et secoué la tête en disant : »Qu’il se délivre lui-même.« Tous ces faits ont été réalisés par les Juifs en la personne du Christ ; car, pendant qu’il était en croix, les passants grimaçaient des lèvres et branlaient la tête en disant : »Lui qui ressuscitait les morts, qu’il se délivre !« 39. Le Saint-Esprit veut-il employer le ton de la prédiction, écoutez-le : »Or la loi sortira de Sion, et la parole de Dieu de Jérusalem, et il jugera parmi les nations, et il gouvernera une grande multitude. Et les nations forgeront leurs glaives en fers de charrue, et leurs lances en faucilles ; et les peuples ne lèveront plus l’épée contre les peuples, et ils n’apprendront plus à se faire la guerre." L’événement a confirmé cette parole, vous pouvez vous en convaincre. Car douze hommes sont sortis de Jérusalem pour parcourir le monde ; ils étaient grossiers et ne savaient pas parler ; mais la vertu de Dieu les soutenait, et ils ont annoncé à tout le genre humain qu’ils étaient envoyés du Christ pour enseigner la parole de Dieu ; et nous qui jadis nous souillions de meurtres et de carnage, nous ne faisons plus la guerre, même à nos ennemis. Bien plus, de peur d’un mensonge, et pour ne pas tromper ceux qui nous font subir des interrogatoires, nous confessons avec joie notre Seigneur Jésus, et nous mourons pour lui. Il nous serait facile pourtant de nous autoriser de ce proverbe : Mes lèvres ont juré, mais mon coeur refusait (Hippolyte d’Euripide, vers 612) ; Mais ce serait chose ridicule que l’on vît les soldats enrôlés sous vos drapeaux rester fidèles à leur serment, au mépris de leur propre vie, au mépris de leurs affections de famille et de patrie, eux à qui vous ne pouvez promettre qu’une récompense corruptible, tandis que l’on nous verrait, avec la perspective de l’immortalité, refuser de nous exposer à toutes les persécutions qui peuvent nous obtenir les récompenses promises par notre souverain maître.
40. Ecoutez maintenant ce que l’Esprit saint a inspiré au roi-prophète au sujet de ces hérauts de la doctrine de Jésus-Christ, qui ont prophétisé sa venue : « Le jour le raconte au jour, et la nuit le redit à la nuit. Il n’est point de nation, quelle que soit sa langue, qui n’entende leur voix. Le bruit qu’ils font a parcouru toute la terre et leurs paroles sont allées jusqu’aux confins du monde. Il a placé son tabernacle dans le soleil, et sortant de là comme l’époux de sa couche, semblable à un géant, il s’élance dans la carrière. » Puisque nous parlons de David, nous ne ferons pas mal de rapporter ici quelques passages qui pourront vous faire juger quelle règle de conduite le Saint-Esprit donne à l’homme, et aussi comme il prédit la coalition d’Hérode, roi des Juifs, avec Ponce-Pilate, votre procurateur, et ses soldats, contre Jésus-Christ ; comme il annonce la conversion du genre humain à la foi, comme il dit que Jésus-Christ sera appelé le fils de Dieu, et comme il prophétise la promesse que le Père fait à son fils de lui soumettre ses ennemis, les efforts des démons pour se soustraire à la puissance de Dieu le Père et de Jésus-Christ lui-même, et enfin ce grand appel à la pénitence, que le Seigneur adresse à tous les hommes avant le jour du jugement. Voici ces paroles : « Heureux celui qui ne suit pas l’assemblée des impies, et ne marche pas dans la voie du pécheur, et ne s’assoit pas sur le siège d’iniquité ! Heureux celui dont la volonté est dans la loi du Seigneur, et qui médite jour et nuit ses commandements ! Il sera comme l’arbre planté sur le bord des eaux ; il donnera son fruit dans la saison, et sa feuille ne se fanera pas, et tout ce qu’il fera prospérera. Il n’en est pas ainsi pour les impies, non, il n’en est pas ainsi. Ils seront comme la poussière que le vent enlève de la face de la terre ; aussi les impies ne siégeront pas au jugement, ni les pécheurs au conseil des justes, parce que le Seigneur connaît la voie des justes, et le chemin des impies périra. Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi les peuples ont-ils formé de vains complots ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ, disant : Rompons les chaînes qu’il nous a données, et rejetons son joug loin de nous. Mais celui qui habite aux cieux se rira d’eux, et le Seigneur les tournera en dérision. Puis il leur parlera dans sa colère, et il les dispersera dans sa fureur. Mais moi, je me suis constitué roi par sa puissance, roi sur Sion, sa montagne sainte, et j’annonce les préceptes du Seigneur. Le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils : je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et je ne bornerai tes possessions qu’aux confins de la terre. Tu les gouverneras avec une verge de fer, et tu les briseras comme des vases d’argile. Et vous maintenant, rois, comprenez ; instruisez-vous, vous qui jugez la terre. Servez le Seigneur avec un respect mêlé de crainte, et tremblez, lors même que vous chantez ses louanges. Saisissez ses leçons, de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne vous écartiez du droit chemin. Lorsque son courroux s’allumera tout à coup, heureux ceux qui auront mis en lui leur confiance. »
41. Dans une autre prophétie, l’Esprit de Dieu voulant annoncer le règne de Christ après le supplice de la croix, fait dire encore à David : « Chantez un cantique au Seigneur par toute la terre, et annoncez chaque jour son salut, car le Seigneur est grand et digne de louanges ; il est terrible au-dessus de tous les dieux, car tous les dieux des nations sont les simulacres des démons, et c’est Dieu qui a fait les cieux. La gloire et la majesté marchent devant lui ; la force et la splendeur habitent dans son sanctuaire. Rendez gloire au Seigneur, père des siècles ; recevez sa grâce ; prosternez-vous devant lui et adorez-le dans les parvis de son sanctuaire. Que la terre tremble en sa présence ; mais si elle fait le bien, elle prospérera. Qu’elle ne se trouble pas ; que toutes les nations se réjouissent : le Seigneur règne du haut du bois. »
42. Parfois aussi, vous avez pu vous en apercevoir d’après ce qui a été déjà cité, le Saint-Esprit parle des événements futurs comme s’ils étaient arrivés, et à ce propos nous nous empressons de lever toutes les difficultés et d’ôter toute excuse aux lecteurs. L’Esprit saint connaît l’avenir ; aussi le raconte-t-il comme s’il était accompli. Voulez-vous la preuve de cette explication ? écoutez : David parla du crucifiement quinze cents ans avant la naissance du Christ ; or personne avant lui n’avait, par son supplice, apporté une pareille félicité au monde ; personne ne l’a fait depuis le Christ. Au contraire, notre Seigneur Jésus, crucifié et mort, s’est ressuscité ; et, de retour au ciel, il y a repris son empire, et c’est cette bonne nouvelle qui, portée en son nom à toutes les nations par les apôtres, fait la joie de tous ceux qui vivent dans l’attente de l’immortalité promise.
43. Que d’ailleurs, si nous parlons de prescience et de prédiction, on se garde bien de conclure que nous croyons à la fatalité et au destin. Non, et en voici la preuve. Il est, disons-nous, pour les méchants des punitions et des supplices, pour les bons des récompenses et des bienfaits ; les prophètes nous ont appris cette doctrine, et nous en soutenons la vérité. S’il n’en était pas ainsi, si tous suivaient la loi du destin, où serait le libre arbitre ? car si c’était par nécessité que celui-ci est bon, celui-là mauvais, le premier ne serait pas digne d’éloges, pas plus que le second ne serait coupable. Et si le genre humain n’avait pas le pouvoir de choisir par un acte de sa libre volonté le sentier de la vertu ou le chemin du vice, il n’aurait pas à répondre de ses actions. Mais l’homme a cette liberté de faire le bien ou le mal à son choix : nous le pouvons. Ne voit-on pas en effet le même homme tenir la conduite la plus diverse. Si la loi du destin le forçait à être méchant ou vertueux, certes il ne serait pas soumis à ces contradictions et à ces perpétuelles variations. Loin de là, il n’y aurait ni un homme vertueux ni un homme dépravé, puisque le destin serait la cause du mal et en même temps la cause du bien. Ou encore, nous tomberions dans cette doctrine dont nous avons parlé plus haut, et qui consiste à nier la vertu et le vice, et à ne voir dans le bien et le mal que des opinions différentes ; ce qui est aux yeux de la saine raison une impiété et une absurdité monstrueuses. Pour le destin inévitable tel que nous l’entendons, c’est celui qui attend les bons pour les récompenser selon leurs mérites, et les méchants pour leur infliger les supplices qu’ils ont encourus. Car Dieu n’a pas créé l’homme comme les plantes et les brutes qui ne savent ce qu’elles font ; et l’homme ne mériterait ni récompense ni louange s’il n’avait pas le choix de la vertu et s’il y naissait tout façonné ; de même qu’il ne pourrait encourir aucune peine s’il était méchant, et qu’il ne le fut pas de lui- même, mais qu’enchaîné au vice par sa naissance, il ne pût se délivrer de son joug.
44. C’est le Saint-Esprit lui-même qui nous a donné ces enseignements, puisqu’il atteste par l’organe de Moïse que Dieu dit au premier homme sortant de ses mains : « Voici le bien et le mal devant toi : choisis le bien. » C’est ce que confirme un autre prophète, Esaïe, quand il met dans la bouche de Dieu le Père les paroles suivantes : « Lavez-vous de vos souillures et purifiez-vous ; enlevez le mal de vos coeurs, et apprenez à faire le bien ; rendez justice à l’orphelin et défendez la veuve. Présentez-vous alors, et nous compterons, dit le Seigneur. Vos péchés vous eussent-ils rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la laine ; fussiez-vous écarlates, je vous rendrai plus blancs que la neige ; et si vous le voulez, et que vous m’écoutiez, vous serez nourris des biens de la terre ; mais si vous ne m’écoutez pas, le glaive vous dévorera ; car c’est la bouche du Seigneur qui a parlé. » Or ces paroles, le glaive vous dévorera, ne signifient pas que la désobéissance sera punie par les coups du glaive ; mais ce glaive de Dieu, c’est le feu dont ceux qui s’attachent au mal deviennent la pâture. Aussi dit-il : « Le glaive vous dévorera ; car c’est la bouche du Seigneur qui a parlé. » Et ce terme dévorera ne peut s’appliquer à l’épée qui frappe et tue d’un seul coup. Aussi quand Platon a dit : « La faute est à l’homme libre qui choisit. Dieu n’y est pour rien, » il a emprunté cette parole à Moïse ; car Moïse est plus ancien que tous les écrivains de la Grèce. Et tout ce que les poètes et les philosophes ont pu dire sur l’immortalité de l’âme, sur les châtiments après la mort, sur la contemplation céleste de la divinité ou tout autre dogme semblable, ils en ont pris le principe dans les prophètes, et sont ainsi parvenus à comprendre et à expliquer ces vérités. C’est là qu’ils ont puisé tous les éléments du vrai qu’ils possèdent, et si leurs emprunts sont difficiles à constater, cela tient à la grande contrariété de leurs opinions. Maintenant, de ce que nous disons que l’avenir a été prédit, il n’en résulte pas que nous consacrions le principe de la nécessité et du destin. Non, mais comme Dieu prévoit toutes les actions futures des hommes, comme il doit rendre à chacun selon le mérite de ses oeuvres, et récompenser les actes de vertu, il fait faire des prédictions par l’Esprit saint, appelant ainsi sans cesse le genre humain au souvenir et à la réflexion, et montrant pour lui toute sa sollicitude et sa providence. Aussi les génies du mal sont-ils parvenus à obtenir que l’on punit de mort ceux qui liraient les livres d’Hystaspe, de la Sibylle et des prophètes ; car ils voulaient, à force de crainte, détourner les hommes de cette lecture et des salutaires enseignements qu’ils y devaient trouver, et par ce moyen les retenir sous leur joug ; mais ils n’ont pas pu interdire ces ouvrages pour toujours ; car non seulement nous-mêmes nous les lisons sans crainte, mais nous vous les offrons pour que vous les voyiez, et dans la persuasion qu’ils seront agréables à tous. Et quand même nous ne les ferions lire qu’à un petit nombre, ce serait toujours un gain immense ; car, semblables à de bons laboureurs, nous recevrions pour cette moisson une abondante récompense.
45. Le Père éternel devait enlever le Christ au ciel après sa résurrection, et l’y conserver jusqu’à ce qu’il ait frappé les démons ses ennemis, jusqu’à ce que le nombre des prédestinés et des saints soit rempli ; car si la conflagration générale n’a pas encore eu lieu, ce délai n’a été accordé qu’en faveur des élus. Or, écoutez comme David va prédire ces événements : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que j’aie fait de vos ennemis l’escabeau de vos pieds. Le Seigneur fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre force, et vous dominerez au milieu de vos ennemis. A vous est le commandement dans le jour de votre puissance et dans les splendeurs de vos saints. Je vous ai engendré de moi avant l’étoile du matin. » Ces mots : « Il fera sortir de Jérusalem le sceptre de votre force, » étaient le symbole et l’annonce de cette parole puissante que, sortant de Jérusalem, les apôtres allèrent prêcher au monde. Nous le savons, il y a peine de mort pour tous ceux qui enseignent, pour tous ceux qui confessent le nom du Christ, et néanmoins nous l’enseignons partout, partout nous embrassons sa foi. Que si vous lisez ces pages avec un esprit de haine, vous pouvez nous tuer, et rien de plus, nous vous le répétons ; car en quoi nous nuit-elle cette mort ? tandis que vous et tous ceux qui nourrissent une animosité injuste, tous ceux qui ne se repentent pas de leurs erreurs, elle vous dévoue au feu éternel !
46. On pourrait peut-être, dans une intention mauvaise, fausser le sens de ce que nous avons dit ; et comme nous avons avancé que Jésus-Christ était né il y a cent cinquante ans, sous la présidence de Cyrénius, et qu’il a commencé à enseigner sous celle de Ponce-Pilate, on pourrait prétendre, par une fausse induction, que tous les hommes antérieurs à cette époque ne sont aucunement coupables. Nous allons détruire cette objection. Le Christ, avons-nous dit déjà, est le premier-né de Dieu, il est son Verbe, sa parole, à laquelle tous les hommes participent. Or tous ceux qui ont vécu selon les inspirations de ce Verbe sont chrétiens, eussent-ils même passé pour athées. Tels furent, chez les Grecs, Socrate et Héraclite ; chez les barbares, Abraham, Ananias, Azarias, Misaël et Elie, et une multitude d’autres dont nous nous abstiendrons de citer ici les noms, ce qui serait trop long. Et aussi ceux qui ont vécu contrairement à ces inspirations du Verbe ont été vicieux, ennemis du Christ, meurtriers des disciples du Verbe. Ceux, au contraire, qui ont vécu ou qui vivent selon le Verbe, sont des chrétiens intrépides et inaccessibles à la peur. Maintenant, pourquoi, accomplissant les desseins de Dieu, Père et souverain de l’univers, le Verbe s’est-il incarné ? pourquoi est-il né d’une vierge et s’est-il fait appeler Christ ? pourquoi est-il mort sur la croix ? pourquoi est-il ressuscité et remonté aux cieux ? c’est ce que tout homme sensé comprendra sans peine d’après ce que nous avons dit déjà. Quant à présent, comme la démonstration de ce point est moins nécessaire, passons à ce qui est plus urgent, et continuons nos preuves.
47. L’Esprit saint annonce ensuite la dévastation de la terre de Judée ; il met en scène les peuples stupéfaits de cette ruine, et voici comment ils s’expriment : « Sion est devenue une solitude ; Jérusalem est devenue un désert ; la malédiction est sur le temple et sur le sanctuaire, et sa gloire, que célébraient nos pères, est devenue cendre et poussière ; tous ses ornements les plus beaux ont été détruits, et à cette vue vous êtes restés impassibles, vous vous êtes tus, et vous nous avez humiliés durement. » Or, de la dévastation de Jérusalem et de l’accomplissement de cette prophétie, vous devez être, je pense, assez pleinement convaincus. Mais Jérusalem devait être réduite en solitude, et il ne devait plus être permis à personne de l’habiter ; Esaïe le prophète l’a dit ainsi : « Leur terre est un désert, et en leur présence, leurs ennemis la dévorent, et pas un seul d’entre eux ne l’habitera. » Le soin que vous prenez de ne pas laisser un Juif en Judée, la peine de mort qui attend l’audacieux infracteur de cette loi, c’est ce que vous savez mieux que nous.
48. Il était aussi prédit que Jésus-Christ guérirait les malades et ressusciterait les morts. Ecoutez : « A son arrivée, le boiteux sautera comme un cerf, et la langue des muets sera éloquente ; les aveugles verront, et les lépreux seront purifiés, et les morts se lèveront et marcheront. » Les Actes de Ponce-Pilate vous donnent la preuve de tous ces faits. La mort du Christ et le supplice de ceux qui espèrent en lui étaient aussi annoncés par Esaïe, dans ces paroles : « Voici que le juste est tué, et personne ne le comprend dans son coeur ; voici que les hommes de bien sont mis à mort, et personne n’y pense. Le juste a été enlevé en présence de l’iniquité, et sa sépulture sera en paix. Il a été enlevé du milieu des hommes. »
49. C’est encore Esaïe qui annonce que les Gentils adoreront le Christ, quoiqu’ils ne l’attendent pas, et que les Juifs, qui l’attendent toujours, ne reconnaîtront pas sa venue. Les paroles du prophète sont mises dans la bouche du Christ lui-même : « Je me suis manifesté à ceux qui ne me demandaient pas, et j’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas. J’ai dit : Me voici, aux nations qui n’avaient pas appelé mon nom. J’ai étendu mes mains vers un peuple incrédule et contradicteur qui marchait dans une route mauvaise à la suite de ses péchés, et ce peuple ameutait la haine contre moi. » En effet les Juifs, qui avaient les prophéties entre les mains, et qui attendaient toujours la venue du Christ, ne l’ont pas reconnu ; et non seulement ils ne l’ont pas reconnu, mais ils l’ont mis à mort. Les Gentils, au contraire, qui n’avaient jamais rien appris du Christ avant que les apôtres, venant de Jérusalem, ne leur eussent annoncé sa venue et ne leur eussent transmis les prophéties, ont renoncé à leurs idoles, et pleins de foi et de bonheur, se sont consacrés par le Christ au culte du Dieu incréé. Quant aux persécutions dont les nouveaux confesseurs du Christ furent les victimes, quant à la pitié que doivent inspirer ceux qui accablent le Christ de malédictions, et qui trouvent beau de défendre et de conserver les vieilles institutions, voici à leur sujet un seul mot d’Esaïe : « Malheur à vous qui appelez doux ce qui est amer, et amer ce qui est doux ! »
50. Jésus-Christ fait homme pour nous, devait souffrir la honte et l’ignominie sur la terre, et il doit venir une seconde fois, mais alors environné de toute sa gloire. En voici la prophétie : « Parce qu’ils ont livré son âme à la mort, parce qu’il a été compté parmi les méchants, il s’est chargé des péchés de plusieurs, et il obtiendra le pardon des pécheurs. Car, je vous le dis, mon serviteur comprendra, et il sera exalté, et il sera grandement glorifié. Plusieurs seront émerveillés de vous, et plusieurs aussi mépriseront votre aspect et votre gloire. Et aussi plusieurs nations vous admireront, et les rois resteront muets devant vous, parce que ceux-là à qui rien n’avait été annoncé et qui n’avaient rien entendu comprendront. Seigneur, qui a cru à votre parole ? Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé comme un petit enfant, comme une plante sur la terre desséchée. Il n’a ni éclat, ni gloire ; et nous l’avons vu, et il n’avait ni éclat, ni beauté ; au contraire, son aspect était misérable, et il était abandonné devant les hommes. C’était un homme dévoué aux coups et sachant supporter son supplice, et les injures, et les indicibles mépris dont on accablait sa face. Celui-là porte nos péchés et souffre pour nous, et nous avons réfléchi qu’il était dans la souffrance et dans les supplices et dans l’affliction. Et lui, il a été chargé de coups, à cause de nos iniquités, et il a été supplicié ; pour nos péchés. Nous avons appris la paix de lui, et nous avons été guéris par ses plaies ; car, tous, nous errions comme des brebis : l’homme s’était perdu dans sa voie, et il l’a livré pour nos iniquités ; et lui, au milieu de l’affliction, il n’a pas ouvert la bouche. Il a été conduit comme une brebis au sacrifice, et comme un agneau muet sous le ciseau qui le tond : il n’a pas ouvert la bouche, et dans cette humiliation, sa condamnation a été trouvée juste. » En effet, lorsque Jésus fut crucifié, ses disciples eux-mêmes l’abandonnèrent et le renièrent, et ce fut seulement quand, après sa résurrection, il leur eut apparu et leur eut appris à lire les prophéties dont l’accomplissement venait de se faire en lui, quand ils l’eurent vu monter au ciel, et que pleins de foi et de croyance, forts de la puissance que Jésus leur envoya, ils s’en furent allés vers toutes les nations, ce fut alors seulement qu’ils instruisirent la terre et qu’ils reçurent le nom d’apôtres.
51. Pour nous montrer que celui qui s’était soumis à ces douleurs avait une origine ineffable et qu’il devait dompter tous ses ennemis, voici ce que nous dit le Saint-Esprit :« Qui racontera sa génération ? Il a été retranché de la terre des vivants ; il est passé dans la mort pour les iniquités des hommes, et les méchants seront rachetés par sa sépulture, et les riches par sa mort ; car, lui, il n’a pas commis l’iniquité, et le mensonge n’a pas souillé sa bouche. Le Seigneur veut le guérir de ses plaies. S’il a été livré pour le péché, c’était afin que votre âme reçût une semence d’éternité. Et le Seigneur veut retirer son âme de la douleur, lui montrer la lumière, le remplir d’intelligence et justifier ce juste qui s’est dévoué pour tous. Il portera lui-même tous nos péchés : c’est pourquoi il régnera sur un grand peuple, et il partagera les dépouilles des forts, parce que son âme a été livrée à la mort, et qu’il a été compté parmi les méchant ; et il a pris sur lui les péchés de plusieurs, et il a été livré pour leurs iniquités. » Ecoutez maintenant la prophétie de son ascension : « Ouvrez les portes des cieux, dit-il ; ouvrez-les, pour que le Roi de gloire y fasse son entrée. Quel est-il ce Roi de gloire ? C’est le Dieu fort et le Dieu puissant. » Et au sujet de son second et glorieux avènement, Jérémie ajoute : « Voici le fils de l’homme qui vient sur les nuées du ciel, et ses anges l’accompagnent. »
52. Ainsi donc, puisque nous avons déjà montré que tous les événements accomplis avaient été prédits à l’avance par les prophètes, il en faut nécessairement conclure que tout ce qui a été encore annoncé, et dont la réalisation n’a pas encore eu lieu, ne peut manquer d’arriver. Les faits accomplis, dont la prédiction était certaine et le moment inconnu, se sont réalisés ; il en sera de même pour ceux qui sont encore à venir : ils sont prédits, on les ignore, on ne veut pas y croire ; ils arriveront cependant. Les prophètes ont parlé de deux avènements pour le Christ : le premier, qui a eu lieu, avènement sous la figure d’un homme méprisé et persécuté ; le second, dans lequel il viendra resplendissant de toute la gloire des cieux, et entouré de ses légions d’anges ; alors il ressuscitera les cadavres de tous les hommes qui auront vécu sur la terre, et il revêtira les corps des justes d’une immortalité glorieuse, et il enverra ceux des méchants, incorruptibles aussi, brûler éternellement dans le feu infernal. En voulez-vous la prophétie ? Ecoutez Ezéchiel : « La jointure se reliera à la jointure, et l’os à l’os, et les chairs recroîtront une seconde fois. Et tout genou fléchira devant le Seigneur, et toute langue confessera son nom. » Voulez-vous savoir ce que sera la douleur et le supplice des méchants ? Ecoutez encore : « Le ver qui les ronge ne s’assoupira pas, et le feu qui les dévore ne s’éteindra jamais. » Ils se repentiront alors, mais leur repentir ne leur servira de rien. Et que feront, que diront les Juifs à ce glorieux avènement ? Entendez le prophète Zacharie : « J’ordonnerai aux quatre vents de rassembler mes enfants épars ; j’ordonnerai au vent du nord qu’il porte au loin ma parole, et au vent du midi qu’il n’y fasse pas obstacle. Et alors il y aura dans Jérusalem un grand gémissement, et ce ne sera pas un gémissement des lèvres et de la bouche, mais un gémissement du coeur ; et ils ne déchireront pas leurs vêtements, mais leurs esprits, et ils se plaindront tribu à tribu, et alors ils verront celui qu’ils ont frappé, et ils diront : Pourquoi, Seigneur, nous avez-vous fait errer loin de votre voie ? La gloire dont se réjouissaient nos pères, elle est devenue pour nous une ignominie. »
53. Nous aurions encore bien d’autres témoignages des prophètes à invoquer ; mais nous nous arrêterons ici, persuadés que nous en avons rapportés assez pour convaincre ceux qui ont des oreilles disposées à entendre et à croire, et pour établir qu’à la différence des faiseurs de fables et de tous les historiens des prétendus fils de Jupiter, nous ne disons rien que nous ne soyons en état de prouver immédiatement. Comment, en effet, aurions-nous cru que cet homme crucifié était le fils de Dieu, appelé à juger tout le genre humain, si nous n’avions pas vu toutes les prophéties qui d’avance annonçaient sa venue, se réaliser de point en point ; si maintenant nous ne voyions pas et la dévastation de la Judée, et la conversion de ces hommes de toute race, qui, à la voix des apôtres, ont abandonné leurs antiques erreurs pour embrasser la sainte doctrine ; et nous-mêmes, et cette foule de Gentils, chrétiens plus sincères et plus vrais que les Juifs et les Samaritains convertis ? Ce nom de Gentils a été donné par le Saint-Esprit lui-même aux nations de la terre, par opposition aux tribus de Judée et de Samarie, qu’il appelle Israël et la maison de Jacob. Il y a même une prophétie qui annonce plus de croyance dans les Gentils que dans les Juifs et les Samaritains. La voici : « Réjouissez-vous, vous qui êtes stérile et qui n’enfantez pas ; éclatez en cris de joie, vous qui n’engendrez pas ; car il sera donné bien plus de fils à l’épouse abandonnée qu’à celle qui a un époux. » Ces abandonnées étaient les nations qui ignoraient le vrai Dieu et adoraient les oeuvres de leurs propres mains, tandis que les Juifs et les Samaritains, qui connaissaient par les prophètes la venue du Verbe de Dieu, et qui avaient toujours attendu le Christ, ne le reconnurent pas quand il descendit au milieu d’eux. À peine y eut-il quelques exceptions, dont le Saint-Esprit parle dans Esaïe : « Si le Seigneur ne nous avait pas laissé son germe, leur fait-il dire, nous serions devenus comme Sodome et Gomorrhe. » Or Sodome et Gomorrhe sont deux villes représentées par Moïse comme des réceptacles d’iniquités, que le Seigneur ruina par une pluie de soufre et de feu. Personne n’y fut sauvé, excepté un étranger chaldéen, nommé Loth, qui échappa avec ses filles. Toute la contrée devint un désert, et depuis elle est restée brûlée et stérile : chacun peut s’en convaincre. Les Gentils devaient se montrer bien plus croyants et bien plus fidèles c’est ce qu’Esaïe nous apprend par ces mots : « Israël est incirconcis du coeur, et les Gentils ne le sont que du prépuce. » Or, nous vous le demandons, tant et de si formels témoignages ne sont-ils pas, pour ceux qui aiment la vérité, qui ne sont pas sous l’influence de vaines opinions ni sous le joug de leurs passions, un motif irrésistible de foi et de conviction ?
54. Ceux qui enseignent aux jeunes gens les fabuleuses inventions des poètes n’apportent aucune preuve à l’appui de leurs récits. C’est encore là, nous l’avons démontré, un des moyens dont les démons se servent pour tromper et égarer le genre humain. En effet, sachant par les prophètes la venue future du Messie et le supplice réservé aux impies, ils se sont efforcés d’inspirer croyance à une multitude de prétendus fils de Jupiter, dans l’espoir qu’ils parviendraient à mélanger et à confondre les prophéties relatives au Christ et les fables merveilleuses inventées par les poètes. Aussi répandirent-ils ces absurdes récits, surtout parmi les Grecs et parmi ceux des Gentils qu’ils croyaient, au dire des prophètes, les plus disposés à recevoir la foi du Christ. Il nous reste donc à vous montrer quel moyen ils ont employé pour détourner le véritable sens des prophéties et pour donner le change sur les oeuvres de Jésus-Christ. Le prophète Moïse, le plus ancien de tous les écrivains, comme nous l’avons déjà dit, avait prononcé ces paroles, que nous avons rapportées plus haut : « Il ne manquera pas de prince de Juda, ni de chef de sa race, jusqu’à ce que vienne celui qui est attendu ; et celui-là sera l’espérance des nations, et il attachera son ânon à la vigne, et lavera sa robe dans le sang de la grappe. » Les démons eurent connaissance de ces mots, et ils supposèrent un Bacchus ; fils de Jupiter ; ils firent croire qu’il avait découvert la vigne ; ils introduisirent le vin dans ses mystères, et enseignèrent qu’il était monté au ciel après avoir été mis en pièces. Ensuite, comme dans les prophéties de Moïse il n’est pas clairement exprimé si celui qui doit venir est le fils de Dieu, et si cette bête attachée à la vigne doit lui servir pour rester sur la terre ou pour monter au ciel ; enfin, comme le mot employé par Moïse peut signifier aussi bien un petit cheval qu’un petit âne ; les démons, ne sachant pas si le Messie devait être fils de Dieu ou des hommes, ignorant également s’il devait monter un âne ou un cheval, s’imaginèrent d’inventer un Bellérophon, homme et fils des hommes, qui, dirent-ils, s’éleva au ciel sur le dos du cheval Pégase. Ils savaient aussi d’Esaïe que le Christ devait naître d’une vierge, et qu’il s’élèverait au ciel, et ils trouvèrent Persée. De même, ayant eu connaissance de ce mot du prophète : « Fort comme un géant qui s’élance dans la carrière, » ils imaginèrent le fort Hercule, auquel ils firent parcourir l’univers. Le Christ devait ressusciter les morts et guérir toutes les maladies, et Esculape fut mis en scène.
55. Mais ils ne pensèrent jamais à contrefaire dans aucun des prétendus fils de Jupiter le supplice de la croix. En effet, cela ne leur vint pas en idée, parce que tout ce qui en avait été dit l’avait toujours été sous le voile du symbole. Cette croix est le signe principal, le caractère particulier de la force et de la puissance, comme parle le prophète. C’est une vérité dont vous trouvez la preuve dans les objets qui tombent continuellement sous vos sens. Car, veuillez réfléchir un instant, et voyez si dans ce monde on peut rien faire sans ce signe, si sans lui le moindre commerce est possible entre les hommes ? Peut-on fendre les ondes sans que, formé de la vergue et du mât, il brille comme un trophée ? Peut-on tracer un sillon sans la croix de la charrue ? Tous vos pionniers, comme au reste tous les artisans et tous les manoeuvres, ne peuvent travailler sans des instruments qui affectent sa forme. L’extérieur même de l’homme ne diffère de celui des animaux que parce que son corps se tient droit et qu’il peut étendre les mains en croix. Et ce nez, proéminent organe de la respiration vitale, ne trace-t-il pas encore une croix au milieu du visage ? Aussi le prophète a-t-il dit : "Le souffle de notre face est le Christ notre Seigneur. Les étendards et les enseignes qui partout précèdent vos pas, ce sont encore des images de la croix, et c’est cela qui, sans que vous vous en doutiez, en fait les signes et les marques de votre puissance et de votre autorité. Bien plus, quand vos empereurs sont morts, c’est avec cette forme de croix que vous consacrez leurs images et que vous leur décernez dans vos inscriptions les honneurs de la divinité. Vous le voyez, nous vous avons montré partout la puissance de ce signe ; restez maintenant incrédules, nous n’aurons rien à nous reprocher, car nous avons fait et accompli tout ce qui était en nous.
56. Mais ce n’était pas assez pour les démons d’avoir inventé, avant la venue du Christ, tous ces prétendus fils de Jupiter ; quand le Messie fut venu et eut vécu parmi les hommes, et qu’ils eurent appris que, selon la prophétie, il devait trouver croyance parmi les nations et que les nations l’attendaient ; alors ils suscitèrent de nouveaux imposteurs tels que ce Simon et ce Ménandre de Samarie, dont nous vous avons déjà parlé, et qui séduisirent et séduisent encore bien des hommes par les oeuvres de leur magie. Je l’ai dit déjà, et vous vous le rappelez, c’était sous l’empereur Claude César ; Simon vint à Rome, et il frappa d’une telle admiration le sacré sénat et le peuple romain, qu’il fut pris pour un dieu et qu’on lui éleva une statue comme à toutes les divinités que vous adorez. C’est pourquoi nous supplions le sacré sénat et le peuple romain de vouloir bien prendre connaissance de notre requête ; afin que si quelqu’un se trouve victime de cette fausse croyance, il puisse reconnaître la vérité et échapper à l’erreur ; et aussi pour qu’il vous plaise de détruire cette statue.
57. Mais jamais les démons ne pourront parvenir à persuader que le feu éternel n’est pas le supplice réservé aux impies, pas plus qu’ils n’ont pu parvenir à cacher la venue du Christ. Ce qu’ils peuvent faire, c’est seulement de nous faire détester des méchants, de tous ceux qui vivent dans le crime et se plaisent aux sophismes : ils ne peuvent que nous faire tuer. Et nous, nous ne haïssons pas nos persécuteurs ; au contraire, nous avons pitié d’eux, nous désirons leur repentir et leur conversion. Car nous ne redoutons pas la mort, puisque après tout il faut bien mourir, que c’est là une règle générale et le cours ordinaire de la vie. Or, si à peine une année de jouissance amène la satiété d’une existence commune, combien ne doit-il pas y avoir d’attrait dans l’espérance d’une vie éternelle et inaccessible aux maux et aux privations, et combien cette perspective ne doit-elle pas engager à embrasser notre doctrine qui la promet. Que si enfin nos bourreaux croient que tout est fini avec la mort, et qu’elle nous fait retomber dans l’insensibilité du néant, c’est de leur part un grand bienfait de nous délivrer de ces souffrances et de ces besoins de la vie, ce qui ne les sauverait pourtant pas du reproche de barbarie et d’inhumanité sophistique ; car s’ils nous tuent, ce n’est pas pour nous délivrer, c’est pour nous arracher la vie et le bonheur.
58. Ce sont encore les démons qui ont suscité Marcion de Pont, cet impie qui enseigne encore à présent à nier le Dieu créateur du ciel et de la terre, et son fils Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, et qui prêche un Dieu autre que le Créateur et un fils de ce Dieu autre que le Christ. Ses adhérents ne voyant la vérité qu’en lui ; nous tournent en dérision, et cependant ils ne peuvent rien prouver de ce qu’ils avancent ; mais, semblables à des moutons enlevés par le loup, ils se laissent stupidement ravir en proie aux opinions impies et aux perfides démons. Car, il ne faut pas s’y méprendre, le but unique de tous les efforts et de tous les travaux de ces méchants esprits est d’arracher les hommes à Dieu et à son Christ, son fils premier-né. Les uns, ceux qui ne peuvent s’élever au-dessus de la terre, ils les fixent et les clouent aux choses de la terre ; mais ceux qui s’élèvent jusqu’à la contemplation des choses célestes, ils les en détournent, s’ils n’ont le jugement sain et s’ils ne mènent une vie pure et exempte de troubles, et ils les lancent dans l’impiété.
59. Pour que vous sachiez que c’est à la doctrine reçue de nos auteurs et de nos prophètes que Platon doit d’avoir dit : Dieu a pris la matière informe, il l’a changée et il a fait le monde, écoutez ce que disait Moïse, le premier des prophètes et le plus ancien des écrivains, comme nous vous l’avons déjà démontré. Voici comment par sa bouche le Saint-Esprit raconte la création du monde : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, et la terre était invisible et informe, et les ténèbres étaient sur l’abîme, et l’esprit de Dieu planait sur les eaux. Et Dieu dit : que la lumière soit ; et la lumière fut. » C’est donc la parole de Dieu qui a fait le monde, comme le dit Moïse et de la manière dont il le rapporte, et c’est de lui que Platon l’a appris comme tous ceux qui sont venus après lui, comme nous-mêmes, et comme vous aussi, vous le pouvez voir. Il n’y a pas jusqu’à l’Erèbe, comme l’appellent les poètes, qui n’ait d’abord été nommé par Moïse.
60. Et quand, dans le Timée, Platon cherchant, à l’aide des lumières naturelles, ce qu’est le fils de Dieu, dit : « Qu’il l’a imprimé en X partout, » c’est encore une idée qu’il a empruntée à Moïse. Car nous lisons dans Moïse qu’au temps où les Israélites traversaient le désert après la sortie d’Egypte, ils furent assaillis par des animaux venimeux, des vipères, des aspics, des serpents de tout genre qui dévoraient le peuple. Alors Moïse , par l’inspiration de Dieu et d’après ses ordres, prit de l’airain, en fit une croix, et l’ayant placée sur le tabernacle, dit au peuple : « Regardez ce signe et croyez, et par lui vous serez sauvés. » Et aussitôt tous les serpents périrent, et le peuple fut sauvé. Platon lut ce fait, et ne remarquant pas que ce signe était une croix, il crut que c’était seulement un X, et il dit « qu’après Dieu principe, la seconde vertu était imprimée en X dans tout l’univers. » Et ce qu’il appelle la troisième vertu, c’est l’esprit de Dieu qui planait sur les eaux, et dont il avait pris connaissance dans Moïse. Aussi donne-t-il la seconde place après Dieu à ce Verbe qui est marqué en X dans tout l’univers, et la troisième à cet esprit qui planait sur les eaux, car, dit-il : Les troisièmes sont autour du troisième. Quant à la conflagration future, voici ce que prédit l’Esprit saint par la bouche de Moïse : « Le feu descendra sur les vivants et dévorera jusqu’au plus profond de l’abîme. » Ainsi donc nous ne pensons pas comme les autres ; mais ce que les autres disent, ils l’ont pris de nous. Telles sont les choses que parmi nous l’on peut entendre et apprendre de la bouche même de ceux qui ne connaissent pas la figure des lettres, gens ignorants et barbares de langage, mais sages et fidèles d’esprit, quoique faibles encore et peu clairvoyants ; afin qu’il soit clairement démontré que ce n’est pas la sagesse humaine qui agit, mais bien la vertu de Dieu.
61. Nous allons maintenant vous exposer comment, rendus à la vie par Jésus-Christ, nous sommes par lui consacrés à Dieu ; car si nous omettions ce point, on pourrait nous accuser de dissimulation dans notre récit. Tous ceux qui se sont laissés persuader de la vérité de nos doctrines et de nos paroles, tous ceux qui y ont ajouté foi et croyance, et qui ont solennellement promis de vivre conformément à nos préceptes, apprennent à joindre leurs jeûnes à nos jeûnes, leurs prières à nos prières, pour obtenir de Dieu le pardon de leurs fautes passées. Ils sont ensuite conduits au lieu où est l’eau, et là, de la même manière que nous avons été régénérés, ils sont régénérés à leur tour ; car ils sont lavés dans l’eau au nom de Dieu, père de l’univers, de Jésus-Christ, notre Sauveur, et du Saint-Esprit, en accomplissement de cette parole du Christ : « Si vous n’avez pas été régénérés, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Or comme il est impossible que ceux qui sont nés une fois rentrent dans le sein de leur mère, cette régénération ne se peut entendre que dans le sens du prophète Esaïe, dont nous avons déjà rapporté les paroles, et qui la représente comme le moyen d’effacer les péchés, de convertir et de faire éviter le mal. « Lavez-vous, dit-il, et soyez purs ; enlevez le mal de vos âmes ; apprenez à faire le bien ; rendez justice au pupille et faites droit à la veuve. Et puis venez et nous compterons, dit le Seigneur ; et si vos péchés vous ont rendus rouges comme la pourpre, je vous rendrai blancs comme la laine ; s’ils vous ont rendus écarlates, je vous rendrai blancs comme la neige. Mais si vous ne m’écoutez pas, le glaive vous dévorera. Et c’est la bouche du Seigneur qui a dit ces choses. » Les apôtres aussi nous ont donné de cette régénération une explication semblable. Nous ignorons l’oeuvre de notre génération naturelle ; le mélange fortuit de nos parents, quelques gouttes de semence, telles en sont les causes ; et ensuite nous sommes élevés dans l’habitude du mal et des leçons de l’iniquité. Or, pour que nous ne restions pas ainsi les fils du hasard et de l’ignorance, mais de l’élection et de la science, l’eau vient nous obtenir la rémission de toutes nos fautes passées. Le nom du Seigneur Dieu et maître de l’univers se prononce sur la tête de celui qui veut être régénéré et qui a fait pénitence de ses égarements. A cette cérémonie de l’eau, nous ne donnons à Dieu d’autre nom que celui de Dieu ; car qui pourrait donner un nom au Dieu ineffable ? et n’y aurait-il pas folie à dire même qu’il a un nom ? Cette ablution se nomme illumination, parce que ceux qui la reçoivent sont illuminés intérieurement. Et c’est au nom de Jésus-Christ, crucifié sous Ponce-Pilate, et au nom du Saint-Esprit qui a inspiré toutes les prophéties relatives à Jésus, que cette illumination se répand sur le nouveau chrétien.
62. Les démons connaissaient bien par les prophètes que cette ablution devait être établie ; aussi voulurent-ils que ceux qui entraient dans leurs temples, pour les supplier et pour y présenter leurs offrandes et leurs sacrifices, se purifiassent par une aspersion d’eau lustrale ; et maintenant encore, on ne se met point en chemin pour aller visiter un temple ou résident quelques-uns de ces démons, qu’on ne soit préalablement lavé de la tête aux pieds. L’obligation de quitter sa chaussure, cérémonie que les prêtres exigent de ceux qui veulent entrer dans les temples, n’est encore qu’une invention des démons et une imitation de ce qui advint au prophète Moïse, à l’époque où il reçut l’ordre de descendre en Egypte et d’en faire sortir le peuple d’Israël. Il était en Arabie, et faisait paître les troupeaux de son oncle maternel. Jésus-Christ, sous la forme de feu, lui parla dans un buisson, et lui dit : « Quitte ta chaussure, approche-toi, et écoute. » Alors, ayant déposé ses sandales, il s’approcha, et entendit qu’il devait descendre en Egypte, se mettre à la tête du peuple d’Israël qui y résidait, et le faire sortir de cette terre. Et ayant reçu du Christ, qui lui parlait caché sous l’apparence du feu, une grande puissance, il descendit, et fit sortir son peuple de la terre de servitude, à l’aide de grands et merveilleux miracles, comme vous pouvez le lire dans ses ouvrages, si vous en avez le désir.
63. Tous les Juifs, encore maintenant, enseignent que c’est le Dieu ineffable qui a parlé à Moïse ; aussi, dans Esaïe, le Saint-Esprit leur reproche-t-il leur ingratitude : « Le boeuf a connu son maître, et l’âne son étable : Israël ne m’a pas connu, et mon peuple ne m’a pas compris. » Jésus-Christ lui-même leur fait également ce reproche de n’avoir pas su ce qu’était le Père ni ce qu’était le Fils : « Personne, dit-il, ne connaît le Père, si ce n’est le Fils ; personne ne connaît le fils, si ce n’est le Père, et ceux à qui le Fils l’a révélé. » Or, le Verbe de Dieu est son fils, nous l’avons dit. Il est aussi appelé l’Ange et l’Apôtre ; car il annonce tout ce qu’on doit savoir, et il est envoyé pour marquer ce qui est annoncé, comme Notre-Seigneur nous l’a dit lui-même : « Celui qui m’écoute, écoute celui qui m’a envoyé. » C’est ce que prouvent encore les écrits de Moïse, où nous lisons : « Et l’Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson ardent, et dit : Je suis le Vivant, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu de tes pères. Descends en Egypte, et fais-en sortir mon peuple. » Quant à ce qui suit, vous pouvez le voir dans ses livres si vous le voulez ; car nous ne pouvons pas ici transcrire tous ces passages. Ce que nous en avons dit était pour démontrer que Jésus-Christ est le fils de Dieu et son Apôtre ; et c’est lui-même, le Verbe de Dieu, qui tantôt se montrait sous l’apparence du feu, tantôt sous une figure incorporelle, lui qui s’est ensuite fait homme selon la volonté de son Père, et qui a souffert toutes les cruautés dont, à l’instigation des démons, les Juifs l’ont accablé. Malgré ces positives explications de Moïse, malgré cette énumération nominative : « Et l’Ange de Dieu parla à Moïse dans la flamme du buisson ardent, et dit : Je suis le Vivant, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ; » ils prétendent qu’il s’agit ici de Dieu le Père éternel, que c’est lui qui a parlé. Et de là viennent ces reproches de l’Esprit saint : « Israël ne m’a pas connu, et mon peuple ne m’a pas compris. » De là vient aussi que Jésus, étant au milieu d’eux, leur disait : « Personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils ; personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père et ceux à qui le Fils l’a révélé. » Ainsi donc, ils méritent bien le reproche de ne connaître ni le Père ni le Fils, ces Juifs qui pensent que c’est le Père éternel qui a parlé à Moïse, tandis que c’est le Fils de Dieu, son Ange et son Apôtre. Dire en effet que le Père est le Fils, c’est prouver que l’on ne connaît ni le Père ni le Fils du Père, ce Fils qui, Verbe et premier-né de Dieu, est Dieu comme lui. Nous l’avons dit déjà, il s’est manifesté à Moïse et aux autres prophètes sous l’apparence du feu ou sous une forme incorporelle ; et maintenant, au temps de l’empire romain, il s’est fait homme ; il est né d’une vierge, selon la volonté de son Père, et pour le salut de ceux qui croient en lui. Il a souffert les mépris et les supplices pour vaincre la mort par sa mort et par sa résurrection. Et ce qui fut dit à Moïse du buisson : « Je suis le Vivant, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob et le Dieu de tes pères, » prouve qu’ils existaient encore après leur mort, et étaient encore les hommes du Christ ; car ce sont eux qui, les premiers de tous, ont vécu dans la recherche de Dieu, Abraham père d’Isaac, Isaac père de Jacob, comme le témoigne la généalogie rapportée par Moïse.
64. Ce simulacre de femme, que l’on nomme par excellence la Vierge, et que l’on érige d’ordinaire auprès des sources d’eau, est encore une invention des démons, qui en ont fait une fille de Jupiter, et cela à l’imitation des paroles de Moïse, comme vous pouvez vous en convaincre d’après ce que nous avons déjà cité. Nous le répéterons ici : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était sans forme, sans aspect, et l’esprit de Dieu planait sur les eaux. » C’est à l’instar de cet esprit de Dieu porté sur les eaux que Proserpine a été inventée et présentée comme fille de Jupiter. La même malice leur a fait imaginer cette Minerve, autre fille de Jupiter et née sans le commerce de la génération. Le monde existant dans la pensée et la raison de Dieu, fut créé par le Verbe ; les démons ne l’ignoraient pas, et ils appelèrent Minerve cette première conception de création. Et y a-t-il rien de plus ridicule que de représenter une idée, une notion première sous la figure d’une femme ? Il en est de même pour tous les autres prétendus fils de Jupiter : leurs actes les condamnent.
65. Revenons à nous. Quand celui qui s’est associé à notre foi et à notre croyance a reçu l’ablution dont nous avons parlé plus haut, nous le conduisons dans le lieu où sont rassemblés ceux que nous nommons nos frères. Là commencent les prières ardentes que nous faisons pour l’illuminé, pour nous-mêmes et pour tous les autres, dans l’espoir d’obtenir, avec la connaissance que nous avons de la vérité, la grâce de vivre dans la droiture des oeuvres et dans l’observance des préceptes, et de mériter ainsi le salut éternel. Quand la prière est terminée, nous nous saluons tous d’un baiser de paix ; ensuite on apporte à celui qui est le chef des frères ; du pain, de l’eau et du vin. Il les prend et célèbre la gloire et chante les louanges du Père de l’univers, par le nom du Fils et du Saint- Esprit, et fait une longue action de grâces, pour tous les biens que nous avons reçus de lui. Les prières et l’action de grâces terminées, tout le peuple s’écrie : Amen ! Amen, en langue hébraïque, signifie, ainsi soit-il. Quand le chef des frères a fini les prières et l’action de grâces, que tout le peuple y a répondu, ceux que nous appelons diacres distribuent à chacun des assistants le pain, le vin et l’eau, sur lesquels les actions de grâces ont été dites, et ils en portent aux absents.
66. Nous appelons cet aliment Eucharistie, et personne ne peut y prendre part, s’il ne croit la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu l’ablution pour la rémission de ses péchés et sa régénération, et s’il ne vit selon les enseignements du Christ. Car nous ne prenons pas cet aliment comme un pain ordinaire et une boisson commune. Mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ, notre Sauveur, ayant été fait chair, a pris sang et chair pour notre salut ; de même aussi cet aliment, qui par l’assimilation doit nourrir nos chairs et notre sang, est devenu, par la vertu de l’action de grâces, contenant les paroles de Jésus-Christ lui-même, le propre sang et la propre chair de Jésus incarné : telle est notre foi. Les apôtres, dans leurs écrits, que l’on nomme Evangiles, nous ont appris que Jésus-Christ leur avait recommandé d’en agir de la sorte, lorsque ayant pris du pain, il dit : « Faites ceci en mémoire de moi : ceci est mon corps ; » et semblablement ayant pris le calice, et ayant rendu grâces : « Ceci est mon sang, » ajouta-t-il ; et il le leur distribua à eux seuls. Les démons n’ont pas manqué d’imiter cette institution dans les mystères de Mithra ; car on apporte à l’initié du pain et du vin, sur lesquels on prononce certaines paroles que vous savez, ou que vous êtes à même de savoir.
67. Après l’assemblée, nous nous entretenons les uns les autres dans le souvenir de ce qui s’y est passé. Si nous avons du bien, nous soulageons les pauvres et nous nous aidons toujours ; et dans toutes nos offrandes, nous louons le Créateur de l’univers par Jésus-Christ son Fils et par le Saint-Esprit. Le jour du soleil, comme on l’appelle, tous ceux qui habitent les villes ou les campagnes se réunissent dans un même lieu, et on lit les récits des apôtres ou les écrits des prophètes, selon le temps dont on peut disposer. Quand le lecteur a fini, celui qui préside fait un discours pour exhorter à l’imitation de ces sublimes enseignements. Ensuite nous nous levons tous et nous prions ; et, comme nous l’avons dit, la prière terminée, on apporte du pain, du vin et de l’eau, et celui qui préside fait les prières et les actions de grâces avec la plus grande ferveur. Le peuple répond : Amen, et la distribution et la communion générale des choses consacrées se fait à toute l’assistance ; la part des absents leur est portée par les diacres. Ceux qui sont dans l’abondance et veulent donner, font leurs largesses, et ce qui est recueilli est remis à celui qui préside, et il assiste les veuves, les orphelins, les malades, les indigents, les prisonniers et les étrangers : en un mot, il prend soin de soulager tous les besoins. Si nous nous rassemblons le jour du soleil, c’est parce que ce jour est celui où Dieu, tirant la matière des ténèbres, commença à créer le monde, et aussi celui où Jésus-Christ notre Sauveur ressuscita d’entre les morts ; car les Juifs le crucifièrent la veille du jour de Saturne, et le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le jour du soleil, il apparut à ses disciples, et leur enseigna ce que nous avons livré à vos méditations.
68. Si donc cet exposé vous paraît raisonnable et sincère, prenez-le en considération. S’il vous semble peu sérieux, traitez-le comme une bagatelle, dédaignez-le ; mais du moins ne condamnez pas des innocents comme vous frapperiez des ennemis coupables, ne les envoyez pas à la mort ; car, nous vous le prédisons, vous n’éviterez pas le jugement de Dieu si vous persistez dans votre iniquité. Pour nous, nous nous contenterons de dire : Que la volonté de Dieu se fasse ! Nous pourrions bien vous supplier, aux termes d’une lettre du très-grand et très-illustre César Hadrien, votre père, de nous accorder une information régulière telle que nous la réclamons. Cependant la constitution d’Hadrien ne sera pas le titre principal que nous invoquerons. Notre espoir est dans la justice de notre demande : c’est là ce qui nous a déterminés à composer cette supplique et à détailler ce récit. Néanmoins, nous avons ajouté ici une copie de la lettre d’Hadrien, comme preuve de nos allégations. La voici :
HADRIEN A MINUCIUS FUNDANUS
69. J’ai reçu la lettre du clarissime Serenius Granianus, à qui vous avez succédé. Le fait me semble de nature à demander une enquête, pour éviter les troubles et ne pas laisser prise à la calomnie. Si les hommes des provinces veulent donner suite à leurs pétitions contre les chrétiens et les appeler devant votre tribunal, qu’ils s’y rendent ; mais qu’ils s’abstiennent de pétitions et de vagues récriminations. Il est bien plus convenable, s’il y a une accusation intentée, que vous en connaissiez. Ainsi donc, si on accuse les chrétiens, et qu’on démontre qu’ils ont agi contre les lois, jugez-en selon la gravité du délit. Mais si, par malheur, ce n’est la qu’un prétexte de calomnies, faites une enquête sévère de cette cruelle conduite, et ayez soin de tirer vengeance des calomniateurs.
LETTRE D’ANTONIN AUX PEUPLES D’ASIE
70. L’empereur César Titus AEIius Hadrien Antonin Auguste Pieux, grand Pontife, tribun pour la quinzième fois, consul pour la troisième, père de la patrie, aux peuples d’Asie, salut. Je croyais que les dieux se chargeraient d’empêcher que de pareilles gens restassent cachées ; car, s’ils le pouvaient, ce serait à eux, bien plutôt qu’à vous, de châtier des hommes qui refusent de les adorer. Vous les tourmentez, vous accusez leur doctrine, vous les taxez d’athéisme, vous leur imputez une foule de griefs que vous ne pouvez prouver. C’est pour eux le plus grand bonheur de mourir pour leur doctrine. Ils triomphent de nous, puisqu’ils nous jettent leur vie, plutôt que d’obéir à ce que vous leur demandez. Quant aux tremblements de terre présents et passés, vous n’avez pas droit de donner des avis, vous qui tremblez lors de ces événements. Comparez votre conduite à la leur : ils ont infiniment plus de confiance que vous en Dieu. Quand la terre tremble, vous semblez avoir oublié qu’il y a des dieux ; vous négligez leurs temples, vous ne pensez pas au culte ; et vous les persécutez, ceux qui honorent la Divinité, vous les poursuivez jusqu’à la mort. D’autres gouverneurs de province ont écrit à mon divin père au sujet de ces hommes-là. Il leur a répondu qu’il ne fallait pas les inquiéter, tant qu’on ne les surprendrait pas à tramer quelque chose contre l’empire romain. A toutes les demandes que l’on m’a adressées à ce sujet, j’ai répondu dans le même sens que mon père. Si donc quelqu’un accuse un de ces hommes et lui intente une action pour sa qualité, qu’on renvoie l’accusé absous, quand même sa qualité serait prouvée, et que l’accusateur soit puni.
LETTRE DE L’EMPEREUR MARC-AURELE AU SENAT, ATTESTANT QU’IL A ETE REDEVABLE AUX CHRETIENS DE LA VICTOIRE
71. L’empereur César Marc-Aurèle Antonin, Germanique, Parthique, Sarmatique, au peuple romain et au sacré Sénat, salut. Je vous ai fait part de la grandeur de mes desseins, et des avantages considérables que j’ai remportés sur les frontières de la Germanie, depuis que, fatigué et souffrant, je fus enfermé à Cotinum par soixante-quatorze enseignes, qui me resserraient dans un cercle de neuf milles. Mes coureurs m’avaient donné avis de l’approche de l’ennemi, et Pompéianus, maître de la milice, ne tarda pas à me confirmer cette nouvelle. Je n’avais à opposer à quatre-vingt-dix-sept mille hommes de troupes réglés et de Barbares que quelques détachements des légions Première, Dixième, Gémina, et quelques Férentariens des troupes légères. En comparant la multitude des ennemis et le petit nombre des miens, je vis qu’il ne fallait espérer que dans les divinités de la patrie. Je les implorais ; mais elles ne m’exauçaient pas : mes troupes étaient réduites à l’extrémité. Je me décidai à mander tous ceux que nous appelons chrétiens ; ils répondirent à mon appel, et je fus étonné et irrité de leur grand nombre. Cette colère était injuste ; car je ne tardai pas à éprouver leur puissance. Ce n’est pas le cliquetis des armes, le bruit des flèches, le son des trompettes qui excite leur vaillance (tout cela leur déplaît, à cause du Dieu qu’ils portent dans leur coeur ; car, il faut en convenir, ces prétendus athées ont dans leur coeur un Dieu qui y réside, les exhorte et les fortifie) ; ils se précipitèrent à genoux et firent une ardente prière, non seulement pour moi, mais pour toute l’armée, dans l’espoir d’obtenir que notre soif et notre faim fussent apaisées. L’eau surtout nous manquait ; il y avait cinq jours que nous n’en avions reçu, car nous étions sur les confins de la Germanie, au milieu d’un pays ennemi. A peine s’étaient-ils prosternés à terre et avaient-ils invoqué leur Dieu, qui m’était inconnu, que tout à coup il tomba du ciel une pluie abondante, qui nous rafraîchissait extrêmement, tandis qu’une grêle de feu accablait les ennemis de Rome. Ainsi se témoigna, aux premiers accents de la prière, la présence du Dieu invincible et irrésistible. Prenant donc en considération tout ceci, nous leur permettons d’être chrétiens, dans la crainte qu’ils n’obtiennent contre nous le secours d’aussi terribles armes. Ainsi je veux que l’on ne puisse pas accuser un de ces hommes à cause de sa qualité de chrétien. Que si quelqu’un accuse un chrétien à cause de sa religion, je veux que le chrétien soit renvoyé absous, s’il n’y a pas contre lui d’autre charge, et que le délateur soit brûlé vif. Quant aux chrétiens qui font profession de leur croyance, et qui prouvent qu’ils ne sont accusés qu’à cause de cette qualité, celui à qui l’administration de la province est confiée ne doit pas les forcer à quitter cette religion, ni les priver de la liberté. Je veux que cette constitution soit confirmée par un sénatus-consulte, et affichée dans le forum de Trajan, pour que le public puisse la lire. Notre préfet, Verasius Pollion, aura soin d’en envoyer des exemplaires dans toutes les provinces, et il sera libre à quiconque en désirera une copie, de la prendre sur l’affiche que nous avons ordonnée