Par Jules de Bertou
PARIS, TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT FRERES, 1843
(page 79 et suivantes)
En continuant à interroger les historiens phéniciens, dont quelques extraits sont cités par Josèphe, nous voyons qu'antérieurement au règne d'Elulée, contemporain de Salmanazar, huit rois, dont le plus ancien est Abibal, s'assirent successivement sur le trône de Sor. Cet Abibal était contemporain du premier roi d'Israël, et mourut dans les premières années du règne de David ; son fils Hiram, suivant M. de Vignoles, commença à régner l'an 3674 de la période julienne, c'est-à-dire, 1040 ans avant J.-C. Comme les travaux que ce monarque fit exécuter apportèrent des modifications importantes à la topographie du terrain dont nous avons entrepris l'étude, nous allons en suivre la description dans les extraits de Dius et de Ménandre, qui sont parvenus jusqu'à nous. Nous reproduirons d'abord ces extraits dans la traduction littérale que nous devons à l'obligeance du savant académicien M. Letronne.
Dius s'exprime ainsi : « Le roi Abibal étant mort, Hiram son fils lui succéda ; il exhaussa le sol de la ville du côté de l'ouest, augmenta la ville propre de Tyr ; le temple de Jupiter Olympien qui était isolé dans une île, il le joignit à la ville par une chaussée et l'enrichit de plusieurs offrandes en or. »
Ménandre rapporte les mêmes faits avec quelques détails de plus : « Abibal étant mort, dit-il, eut pour successeur son fils Hiram, qui régna trente-quatre ans et en vécut cinquante-trois. Il éleva par des terrassements l'esplanade (….) et consacra une colonne d'or à l'honneur de Jupiter. Il fit couper sur le mont Liban quantité de bois de cèdre, pour couvrir des temples, ruina les anciens, en bâtit de nouveaux, et consacra le temple d'Hercule et d'Astarté, dont il dédia le premier dans le mois de peritius, et l'autre , lorsqu'il marchait avec son armée contre les Tyriens, pour les obliger, comme il le fit, à s'acquitter du tribut qu'ils lui devaient et qu'ils se refusaient de payer ».
Nous avons précédemment établi que le siége du gouvernement d'Hiram était dans une île située entre le continent et une seconde île qui devint à son tour l'assiette de la ville de Sor, après que Nabuchodonosor eut lié la première au continent; nous voyons maintenant, d'après ce que rapportent Dius et Ménandre, qu'il y avait à l'ouest de l'île habitée par Hiram un terrain bas et probablement marécageux, que Ménandre nomme l'eurukhoron, et que le roi fit exhausser par des terrassements, afin de pouvoir y étendre la ville qui manquait d'espace. Le temple de Jupiter Olympien était situé dans l'île la plus occidentale : mais Hiram jeta une chaussée entre les rives des deux îles, et les Tyriens purent passer facilement de l'une dans l'autre. Cette chaussée subsista jusqu'au jour où les Tyriens se réfugièrent dans la seconde île. Il est vrai qu'aucun document historique ne dit que les Tyriens renversèrent alors la chaussée d'Hiram ; mais comme il est évident qu'elle n'existait plus quand Alexandre assiégea Tyr, il est fort probable qu'elle avait été coupée par les Tyriens fuyant devant l'armée babylonienne, qui, sans cela, n'eût pas manqué de les poursuivre et de les atteindre dans la seconde île.
Mais revenons aux travaux exécutés sous le règne d'Hiram : « ce roi fit renverser les anciens temples et en éleva de nouveaux, entre autres un à Astarté, et celui-ci fut consacré, lorsque le roi marchait contre les Tyriens,» etc. Si Hiram qui habitait Tyr, marchait contre les Tyriens, c'est que, comme nous l'avons déjà démontré, il y avait alors deux villes de ce nom, dont la plus ancienne était située, nous le pensons du moins, dans le lieu nommé Adloun. Par une coïncidence qu'il peut n'être pas sans intérêt de signaler, on voit encore aujourd'hui, à peu de distance de l'endroit où nous croyons qu'était alors Sara ou Palœ-Tyr, un petit temple monolithe dont les parois intérieures sont couvertes d'emblèmes qui prouvent assez que ce sanctuaire était consacré à Vénus ou Astarté. Nous n'oserions pas conclure que ce petit temple soit le même que celui qui fut consacré par Hiram, quoique le genre du monument et sa situation dans le voisinage de Sara semblent donner à cette supposition un certain degré de probabilité. Quant aux monuments qu'Hiram fit élever dans l'intérieur de sa capitale, ils auront partagé la fortune de la nation tyrienne, et seront tombés avec elle.
La splendeur de ces monuments est attestée par ce que la Bible nous apprend elle-même de l'état avancé des arts chez les Tyriens, qui fournirent au roi d'Israël des artistes très distingués dans tous les genres pour diriger la construction du fameux temple de Jérusalem. La Bible nous a conservé le nom d'un de ces artistes, c'est celui d'Hiram, célèbre fondeur, qui alla à Jérusalem, et y coula deux colonnes d'airain destinées à orner le porche du temple. Ces colonnes, nommées Jakoum et Boloz, avaient des chapiteaux d'une grande élégance ; leur forme générale était celle de la fleur de lis; leurs ornements de détails sont décrits avec précision dans le 3e livre des Rois. Il pourrait n'être pas sans intérêt pour l'histoire de l'architecture d'examiner si cet ordre, éminemment phénicien, n'a pas servi de type à l'ordre corinthien. L'architecte de la reine Hélène avait fait exécuter pour la décoration de l'église du St.-Sépulcre à Jérusalem, deux colonnes semblables à celles qui avaient été fondues par Hiram; et on peut encore les voir dans la chapelle souterraine de l'Invention de la croix, qui dépend de cette église.