Carte tirée du « Mundus Subterraneus » du P. Kircher (1644) |
L'ATLANTIDE ET L'AGE DU BRONZE
Extrait de "L'Atlantide" (Chapitre V)
Roger Dévigne
Les Atlantes, peuple du bronze – Les historiens et le problème préhistorique des métaux – Seule, l’existence d’un foyer industriel primitif en Atlantide résout logiquement le problème – Histoire du bronze en Amérique, en Étrurie, dans les Cyclades, en Asie Mineure, en Scandinavie.
Les Atlantes ont été le peuple du bronze.
Ainsi brutalement transcrite, l’affirmation peut sembler excessive. Elle résout pourtant, comme on va le voir, les contradictions, les obscurités, les mystères qu’ont rencontrés tous les archéologues. Elle répond à cette question : quelle est l’origine de l’industrie du bronze qui fut apportée, mais non point créée, dans ce qui subsiste du monde primitif ?
En tout cas, et sans quitter, pour le moment, le terrain des faits contrôlables, il faut noter que les divers peuples portés sur la carte de l’empire colonial atlante ont véhiculé, à travers les peuplades de la pierre, d’abord les produits manufacturés, puis l’industrie du bronze elle-même.
Longtemps après la catastrophe qui engloutit l’Atlantide, la métallurgie du bronze demeura l’apanage des derniers représentants de la grande confédération océanique Dactyles : Kabires de l’Archipel, Étrusques de Tyrrhénie, Cariens de Crète et d’Asie, Cares du Yucatan, métallurgistes du Mexique, de la Libye, de l’Égypte.
Tous les historiens ont senti la formidable importance de cette industrie du bronze qui apparaît un jour sur les rivages du monde primitif comme, plus tard, les industries du mousquet et du canon apparaissent, conquérantes et mortelles, sur les rivages du Mexique, de la Guinée ou des îles d’Océanie.
Le bronze, par les puissants moyens de domination qu’il procure, a donné à la civilisation préhistorique qui en détenait le monopole cette vaste hégémonie, cet empire antédiluvien, dont les archéologues sont bien contraints de relever les innombrables vestiges, mais auquel nul encore n’a osé, par une synthèse nécessaire, donner le nom d’empire atlante.
Il faut noter, au reste, l’importance de cette industrie du bronze, non seulement pour la guerre et la conquête, mais encore pour la construction des grands navires. Ce point de vue ne pouvait, certes, échapper à des savants comme M. de Morgan.
Mais tous, par une curieuse et catégorique obstination, prétendent étudier l’histoire ancienne du globe en coupant, comme au couteau, un des deux hémisphères et en ne tenant aucun compte de tout ce qui a rapport aux civilisations américaines.
« Je mets, écrit M. de Morgan, les deux Amériques hors de cause. »
Ceci dit, il constate que les témoignages archéologiques démontrent que ni l’Algérie, ni l’Espagne, ni la France, ni les îles Britanniques, ni la Scandinavie n’ont vu couler le premier lingot de cuivre.
Le métal, en Chaldée ou dans l’Elam est beaucoup plus ancien qu’en Chine, dans l’Inde ou au Japon.
« C’est dans le pays de culture très ancienne, Chaldée, Susiane, Égypte, îles Égéennes que se sont formés les foyers – peut-être secondaires – d’où la précieuse industrie se serait répandue par le monde.
« Mais ce n’est ni dans la Chaldée, ni dans l’Elam, ni dans l’Égypte qu’ont pu avoir lieu les premiers essais métallurgiques. L’apparition du bronze, quelques siècles après, se montre comme un nouveau mystère, aussi impénétrable que celui du cuivre. »
Le mystère se dissipe pour celui qui veut bien admettre l’existence de l’Atlantide. Et nous verrons plus loin que, même en ce qui concerne l’origine des industries du bronze, cette existence n’est pas un simple postulat.
Quant à l’étain, dit avec bonhomie M. de Morgan, on le trouve surtout dans les deux Amériques, « mais on ne peut faire état du Nouveau Monde dans une étude relative à l’ancien continent ».
(Cette phrase, notons-la en passant, définit à merveille l’attitude des savants en matière de préhistoire du globe. C’est le même phénomène qui fait que les historiens de l’architecture nous parlent des arts indo-chinois ou coréens, mais oublient l’art mexicain ou péruvien).
L’industrie du bronze cependant semble avoir fleuri, dans les Amériques, en des temps antérieurs au grand cataclysme diluvien. La perfection de cet art y fut poussée si loin que ni les Égyptiens, ni les Étrusques, ces grands ouvriers d’art du bronze, ne sauraient rivaliser avec les Américains des temps inconnus.
C’est pourquoi, avant de remonter aux grands ateliers atlantes où s’élaborèrent les techniques communes, il convient d’exposer, sommairement, les recherches des archéologues dans l’un et l’autre monde.
Les peuplades représentant dans les Gaules l’âge de la pierre polie ont été conquises par un peuple de taille relativement petite, aux mains fines, aux armes de bronze et d’une civilisation plus avancée.
Partout où l’on a trouvé des armes de bronze (Wright, Lubbock), en Espagne, en Angleterre, en France, en Scandinavie, en Allemagne, ces armes sont absolument identiques et semblent issues d’une même fabrique. Ce n’est que plus tard que le goût artistique des peuples conquis paraît s’être donné carrière.
La Scandinavie, bien qu’elle fut fort riche en cuivre ne possédait pas d’étain. Mais, au lieu de recevoir cet étain des îles Britanniques, ses voisines, elle recevait des lingots de bronze, car c’est l’alliage de bronze et d’étain qui voyageait et non les métaux isolés.
Il y a, sillonnant l’Europe antédiluvienne, une grande route commerciale du bronze qui, de l’Afrique par l’Espagne et les Gaules, pénètre en Allemagne, en Suisse, en Angleterre, en Scandinavie. On a remarqué qu’aucun objet égyptien ou chaldéen ne s’est trouvé sur ce parcours. Cependant, on retrouve dans les tombes d’Égypte et de Chaldée l’ambre de la Baltique.
Là encore, il faut bien chercher le peuple inconnu disposant de flottes, de comptoirs, de moyens tels qu’il pouvait ravitailler en bronze manufacturé l’Égypte ou la Chaldée, aussi bien que la Scandinavie et rapporter vers l’Orient l’ambre hyperboréen.
Ce rôle, en des temps relativement proches de nous, fut sans doute joué par les Phéniciens. Mais les fouilles démontrent qu’avant ce peuple (d’origine vraisemblablement atlante au demeurant), de puissantes civilisations commerciales et maritimes ont laissé des traces sur les rivages de la Méditerranée et de l’Océan.
La Grèce classique, d’autre part, a gardé, en la revêtant de mythes et de légendes, la tradition de génies métallurges qui exploitèrent les arts du bronze aux temps fabuleux (c’est-à-dire aux temps dont le déluge a effacé les traditions et monuments).
« A une époque très reculée, écrit M. de Launay, professeur à l’École des Mines, dans son étude sur la Conquête minérale, et qui, pour les plus anciens écrivains, avait pris un aspect absolument légendaire, il dut s’établir à Rhodes, notamment dans les villes primitives de Lindos, Ialysos et Kamiros, une race ayant des relations d’origine avec les populations contemporaines de la Crète, de Chypre et du Péloponnèse : race d’hommes à civilisation industrielle très avancée, sachant extraire les minerais, fondre le bronze, couler des statues, possédant des arts raffinés, employant l’écriture et, en même temps, surprenant les indigènes par son habileté dans la navigation. »
« Les Telchines, poursuit M. de Launay, imposèrent leur puissance dans l’Archipel par la puissance que leur donnait la connaissance de la métallurgie, la possession des armes en bronze, absolument comme un peuple moderne triomphe par des canons ou des navires de guerre plus perfectionnés. »
L’origine des Telchines reste mystérieuse pour les archéologues. Nous ne suivrons pas l’abbé Brasseur de Bourbourg dans ses recherches linguistiques. (Il affirme, notamment, que les Telchines, démons et magiciens fondeurs de métaux, avaient en nahuait leur étymologie : « Telchill, pluriel Telchin », et que les sept Cabires peuvent se réclamer du quiché Cabir, au pluriel Cabirim, mot qui désigne métaphoriquement les forces volcaniques).
Mais il faut noter que, de toute antiquité, les Américains, comme les Étrusques, ont été de prestigieux, de fantastiques métallurgistes du bronze. Non seulement, ils fabriquaient une sorte de cuivre trempé, d’acier de cuivre, extrêmement dur et dont le secret s’est perdu, mais tous les historiens espagnols contemporains de la conquête parlent avec admiration de cette science traditionnelle conservée par les peuplades mexicaines et péruviennes.
Carli, dans ses Lettres américaines et les annotations de Brasseur de Bourbourg soulignent que les mathématiciens n’ont jamais pu comprendre comment les peuples d’Amérique sont parvenus à faire des statues d’or et d’argent, « toutes d’un jet, vides au dedans, minces et déliées ».
On a pareillement admiré « des plats à huit faces, chacune d’un métal différent, c’est-à-dire alternativement d’or et d’argent, sans aucune soudure apparente » ; des poissons et des oiseaux dont les écailles et les plumes, tantôt d’or, tantôt d’argent, se succédaient sans la moindre trace d’un raccordement artificiel ; « des perroquets qui remuaient la tête, la langue et les ailes ; des singes qui faisaient divers exercices, tels que filer au fuseau, manger des pommes, etc. Ces Indiens entendaient fort bien l’art d’émailler qu’a tant cherché Bernard Palissy et de mettre en oeuvre toutes sortes de pierres précieuses ».
L’ancien Ulloa dit avoir observé dans le Journal de Colomb que celui-ci a remarqué, parmi les peuples de la terre ferme, des rasoirs et autres instruments faits de cuivre trempé.
Oviedo note que les Indiens savaient mêler l’or au cuivre et donnaient à ce métal mixte une trempe assez dure pour en faire bon usage.
Ils savaient faire des miroirs de cuivre d’un poli parfait. En outre, parmi les présents que Montezuma envoya à Cortez, se trouvaient des miroirs de platine, entourés d’un cadre d’or (ce qui tendrait à prouver que les fondeurs américains savaient fondre et traiter le platine).
Et chez les Guanches des Canaries, où les métaux faisaient défaut, La Condamine trouve des miroirs d’obsidienne « aussi bien travaillés que si ces gens avaient eu les instruments les plus parfaits et avaient connu les règles les plus précises de l’optique ».
Dans les montagnes qui s’élèvent en amphithéâtre autour du golfe de Darien, entre la baie de Maracaïbo et l’isthme de Panama, sur les sommets, existent les ruines gigantesques des cités Cares, ainsi que les débris des forges célèbres où les cyclopes de l’Amérique centrale forgeaient les armures d’or des rois et des princes de ces régions.
Au Pérou, dans l’Empire incasique, on ne saurait dénombrer tous les chefs d’oeuvre métallurgiques que les premiers conquérants espagnols ont trouvés et détruits.
A Cuzco, ville royale des Incas, établie sur les ruines d’une cité d’âge insondable, près du Temple du Soleil entouré des six chapelles des astres secondaires, contre une esplanade où se dressaient les piliers d’observations érigés pour étudier les équinoxes et que les Espagnols, les prenant pour des idoles, ont détruit avec une sainte fureur, s’étendait le merveilleux jardin en terrasses, à pic sur le rio Huatanay.
On l’appelait le Jardin métallique, et, dans nos siècles de civilisation industrielle, il faudrait réunir bien des métallurgistes et bien des orfèvres pour en ressusciter les merveilles.
Chaque terrasse flamboyait et descendait jusqu’à l’Huatanay, dit Cieza de Léon, en gradins recouverts de mottes d’or.
Chaque terrasse flamboyait, avec ses feuillages, ses fruits, ses fleurs de féerie ; papillons, oiseaux posés sur les branches, souples couleuvres, grands lézards, limaçons, plantations de maïs, tout était d’or pur et d’argent travaillé, ciselé avec une habileté merveilleuse. Le vent le plus fort ne pouvait déraciner une seule tige de ce jardin magique.
Partout où nous suivons les limites de l’ancien empire des Atlantes, nous rencontrons d’impressionnants vestiges de cette science métallurgique dont leurs successeurs ou leurs élèves ont su, longtemps encore, conserver les pratiques.
Si nous remontons vers cette Afrique Occidentale où, depuis des millénaires, la civilisation semble à peu près effacée, nous retrouvons, dix mille ans avant notre ère, les traces de cette civilisation du bronze, inexplicable, en ces temps et en ces pays, si l’on n’admet pas l’influence, l’enseignement d’un peuple assez avancé pour avoir eu le temps de perfectionner les arts métallurgiques.
M. Berlioux, professeur de géographie à la Faculté des Lettres de Lyon, note, dans son histoire des Atlantes du primitif Atlas, que les antiques Libyens de l’Afrique du Nord et de l’Afrique Occidentale ont possédé le bronze en des temps bien antérieurs aux conquêtes des Phéniciens.
« Si l’on considère, écrit-il, l’histoire des Lebou, telle qu’elle est racontée par les inscriptions égyptiennes, et celle des Atlantes que Platon nous a conservée, on s’assure que les peuples de l’Occident, dont les domaines touchaient aux colonnes d’Hercule, furent les premiers fabricants du bronze que l’on ait jamais signalés.
« L’existence de cette métallurgie occidentale n’est pas une fiction, puisque les Égyptiens ont ramassé, en quantité considérable, des armes qui sortaient de ces usines et qu’ils les ont dessinées. La grande quantité d’armes apportée par eux sur les champs de bataille de l’Égypte ne pouvait venir des Phéniciens, alliés de l’Égypte, et qui ne sont devenus de grands marchands de métaux qu’après avoir dépouillés les Libyens de leurs mines. »
Les Libyens, note d’autre part M. Berlioux, avaient une flotte puissante et commandaient à une confédération de peuples (chez lesquels on retrouve les racines berbères) et qui furent défaits et dispersés, dans ce choc de l’Orient et de l’Occident, par la Ligue des Égyptiens et des Phéniciens. Cette grande guerre qui dura des siècles, a été la guerre du bronze.
Il semble que les Libyens aient gardé pendant longtemps une sorte d’hégémonie maritime et industrielle, avec leurs alliés les Tyrrhéniens ou Étrusques, les Pélesta ou Pelasges, les Khétas de la Syrie antéhistorique, les Ouaschacha (Ausoniens ?), les Teucriens, les Danaoi du Péloponnèse, dans cette guerre du bronze menée pour la possession des mines et des routes.
Il semble aussi que l’effondrement graduel de leur puissance soit la conséquence de la disparition de l’Atlantide métropolitaine.
Le même phénomène historique semble s’être produit dans le Nouveau-Monde. Car les races que les Espagnols ont trouvées, au moment de la conquête, Aztèques, Nahuatis du Mexique, Quichuas et Aymaras de la Cordillère des Andes, avaient aussi peu de rapports avec les monuments, les arts, les industries dont l’archéologie a retrouvé les imposants vestiges qu’en ont eu, en d’autres lieux, les Francs, les Germains ou les Turcs quand ils établissaient leurs tribus à l’ombre magnifique d’un palais romain ou d’un temple grec.
Sur les ruines de Cuzco ou de Chichen-Itza s’établirent des Indiens, jadis colonisés par les primitifs conquérants atlantes, puis submergés, en des temps obscurs, par des flots d’envahisseurs barbares (peut-être venus d’Asie), incapables, en tout cas, d’avoir réalisé les merveilles architecturales de l’Amérique, mais ayant gardé comme un souvenir confus de cette civilisation première et s’efforçant d’en perpétuer quelques traces.
Plusieurs mille ans avant notre ère, cette civilisation atlantidienne des colonies est morte, comme une ville assiégée dont on a coupé les aqueducs.
Le flot des races nouvelles qui ont essaimé après le déluge déferle et veut vivre. Isolés dans leurs citadelles, dans leurs observatoires, dans leurs palais, les derniers descendants de la race sacrée, de la « race du Soleil », princes et pontifes, au milieu de leurs sujets barbares, aux côtés de leurs soeurs-épouses se sont éteints à leur tour et dorment, sous les tumuli ou les pyramides d’Égypte, de Chaldée, d’Étrurie, d’Amérique…
Mais, sans pénétrer encore dans le domaine où l’on s’avance, les yeux bandés, sur un sol de fantasmagories, comme l’initié des vieux mystères, sans sortir du domaine des recherches scientifiques, des documents, nous avons vu surgir, des profondeurs du temps géologique, un continent aujourd’hui disparu, et, des profondeurs du temps historique, des races qui transportaient à travers le vieux monde, comme un commun trésor, la tradition d’un grand cataclysme, des racines de mots berbères, un calendrier, un alphabet et, surtout, cette industrie du bronze qui permet d’asservir les peuples de la pierre, de lancer les grands navires sur les mers peuplées de dieux, de bâtir les monuments surhumains que nous allons bientôt visiter.
L’Atlantide engloutie a laissé, pendant des siècles, au témoignage des anciens, d’énormes masses de boues à la surface de l’Océan ténébreux, sur le Mare tenebrosum. Ainsi, sur la surface des continents épargnés, les derniers atlantes et, surtout, leurs sujets, leurs alliés, leurs élèves, ont laissé des traces ineffaçables de leur passage.
La préhistoire, comme l’histoire, a son moyen âge. – Jusqu’à présent, nous avons pris ce moyen âge comme un chapitre initial de toutes nos histoires anciennes.
Quels historiens, plus savants, mieux armés, oseront, un jour, reprendre l’histoire des anciens peuples et, derrière ce moyen âge et cette Renaissance des Assyriens, des Chaldéens, des Égyptiens, des Achéens, des Latins, oseront retrouver le grand Empire qui fit peser sur le monde, par ses usines, ses flottes, ses armées et ses dieux, une hégémonie dont l’antique Rome et la moderne Angleterre ne nous ont donné que la réédition ?