LIBRES PROPOS
SUR L'INITIATION MAÇONNIQUE
Jean Mallinger
1. - Il n'est pas sans intérêt de nous demander de temps à autre s'il n'y a pas lieu d'améliorer si possible nos usages et traditions maçonniques, afin de rendre plus efficiente la pratique de nos Mystères.
Des progrès de cette nature ne sont évidemment possibles que si la nature même du but à atteindre est clairement définie.
De quoi s'agit-il en effet ? D'initier des « hommes de désir » nécessairement pleins de bonne volonté, à une « Lumière » qui leur manque. L'on a beaucoup disserté sur le terme « initiation » ; sa définition ne doit pourtant point provoquer la moindre controverse ; nous serons tous d'accord pour dire que l'initiation doit être une mutation profonde de l'individu, un changement d'état, l'éveil d'une conscience nouvelle, en un mot : une transformation d'ordre intérieur, appelant celui qui l'a vécue à une vie nouvelle.
Le profane qui, de chrysalide, est devenu ainsi papillon, pour emprunter une image qui nous fut un jour répétée - est donc en progrès sur son état antérieur ; il voit le monde, il voit son propre être avec des yeux nouveaux.
Encore faut-il que d'initiation ait eu sur lui son plein effet. Il est facile de déclamer que la pierre brute va devenir une pierre polie ; la proclamer ne suffit pas ; il faut le réaliser.
2. - Il y a lieu dès lors de vérifier si la technique de dégrossissement de la pierre brute est soigneusement pratiquée.
Si nous comparons notre initiation maçonnique à celle qui avait cours dans la collation antique des Mystères traditionnels, nous observons d'abord que la technique des initiations est demeurée la même, parfaitement adaptée à notre condition humaine.
Pour initier, il faut peser.
Peser le candidat : lui imposer un retour sur lui-même ; une rentrée en soi ; un examen critique de ses faiblesses et de ses possibilités ; par son testament écrit, il fera part du résultat de cette première pesée.
Une seconde pesée a lieu ensuite ; l'Atelier tout entier prend conscience des réponses ; le postulant, interrogé sous le bandeau, explicite ses réponses ; un vote sanctionne son admissibilité.
La troisième pesée a lieu lors de la cérémonie d'initiation subséquente. Il faut que le symbolisme de la cérémonie ait un impact profond et réel sur le néophyte et que l'initiation ne soit pas une sorte de mauvais théâtre, n'ayant sur celui qui le subit qu'un effet superficiel et passager.
Nous effleurons ainsi les déficiences et les erreurs psychologiques de certains Rituels, qui vont, hélas, à l'encontre du but à atteindre et cela par défaut de psychologie humaine, par ignorance du caractère sacré du rite pratiqué.
Il est puéril et absurde de transformer le premier voyage en mauvaise farce d'étudiant, de faire trébucher un candidat sur les obstacles grossiers, de lui présenter une boisson-purge ou autres farces de collégien qui n'ont évidemment aucun effet sérieux sur le néophyte ; des pratiques aussi maladroites sont de nature à donner à celui qui en est la victime une fâcheuse idée d'infantilisme et de mauvais goût ; la Maçonnerie est autre chose que cela et doit demeurer une révélation de lumière sur certains sommets, qu'il faut maintenir à tout prix pour ne pas la voir se dégrader dans des usages dont le nouvel initié percevra le ridicule.
Le symbolisme doit être élevé, parler au coeur et à l'esprit, sinon il ne laissera dans la mémoire de l'intéressé que sourire désabusé.
Mieux vaut demander à la musique et plus spécialement au génie de notre F.'. Mozart de compléter l'effet sur le néophyte à chaque stade du Rituel par des passages appropriés.
3. - Le rôle du Vénérable Maître initiateur est essentiel. L'a-t-il suffisamment compris pour le vivre et non simplement le traduire par une simple lecture de textes ou une suite de gestes automatiques obligatoires ?
Le néophyte doit « recevoir » une vie nouvelle ; il en résulte que le V. M. doit être capable de la lui « donner ».
Cela ne se donne pas par une simple déclamation.
Pour donner, il faut se priver de quelque chose, sinon il n'y a pas de don ; un procréateur n'engendre que par une perte de sa propre substance, dans le domaine physique. Nous sommes ici sur le plan spirituel et ici encore, l'initiateur doit avoir « la volonté » de « créer » dans le postulant une profonde modification intérieure ; un état nouveau. Il doit donc projeter sur lui une sorte d'influx, qui, conjugué avec la chaîne bienveillante et unie qu'est l'égrégore-atelier, éveillera en lui l'impact, le « choc initiatique » désiré.
Dans les anciens Mystères traditionnels, l'Initiateur était élu à vie ; il ne faisait rien d'autre ; il perfectionnait de jour en jour sa technique opérative ; il pratiquait une sorte de sacerdoce de l'initiation. En maçonnerie, le V.°. M.°. n'est pas nécessairement un spécialiste de ces matières délicates ; il est élu par ses pairs pour un temps limité et sa bonne volonté la plus évidente ne se traduit pas toujours en compétence et efficacité.
J'ai toujours déploré que les futurs Vénérables Maîtres n'aient pas préalablement à leur installation, été contraints, une fois élus, de recevoir un cours minimum de formation initiatique. S'il est excellent de réunir les V.M. sortis de charge en loge d'études pour étudier ensemble les problèmes de l'initiation maçonnique, il serait infiniment plus logique de les former avant qu'ils nie pratiquent leur mission exceptionnelle.
Ils doivent aussi se rendre compte que le profane qui entre en Maçonnerie le fait non seulement pour recevoir une possibilité nouvelle de progrès spirituel et moral ; il cherche aussi l'amitié véritable de ses frères en initiation.
Tous nos Rituels insistent sur ce point ; hélas, que de fois est-il négligé en pratique. L'on vient en loge pour trouver un climat d'affection, de confiance, de généreuse collaboration pour le Bien et le Beau. L'on sort d'un monde profane, fait de méchanceté, de compétition féroce, de déloyauté ; la loge doit être un hâvre de concorde et de paix et la plus grande désillusion que peut connaître un néophyte est le fait de trouver dans son atelier un climat, quasi profane, d'indifférence, de discussions ou de vaines querelles.
Certains Rituels sont au surplus maladroits. Certaines Obédiences par exemple gâtaient le moment le plus émouvant de l' Initiation d'apprenti, son instant le plus solennel, celui de l'investiture du nouveau Frère par le V. M. par une phrase agressive et menaçante : « Prenez garde désormais ! sachez que si vous deviez violer vos engagements, aucun châtiment ne sera assez sévère pour un parjure ». Quelle inconscience ! quelle erreur de psychologie ! Voilà donc un néophyte qui a passé par toutes les épreuves, qui a subi toutes les exigences les plus méticuleuses des pesées traditionnelles, on lui a fait confiance, il fera désormais partie de la Chaîne d'Union, qu'on lui a montrée et où il va être sur le champ intégré ; il est heureux de l'accueil qui lui est réservé, de la faveur dont il est l'objet et au moment même qui consacre son admission, on le suspecte déjà de trahison possible et on brandit sur sa tête les foudres de la vengeance. C'est aberrant. C'est aussi absurde et déplacé que si lors de la cérémonie d'un mariage, alors que deux jeunes vies se conjuguent pour créer un foyer heureux, l'officier de l'état-civil, après les avoir unis, déclamait d'une voix forte : « Mais attention, nouveaux époux ! gare à vous si vous violer vos serments de fidélité conjugale ! les articles 387 et 389 du Code pénal, section des crimes contre l'ordre des familles, punissent sévèrement de peines d'amende, voire de peines de prison l'époux parjure à la loi qui se rendait coupable d'adultère ou d'entretien de concubine » !
4. - L'importance du Symbolisme dans l'initiation maçonnique n'est pas toujours suffisamment soulignée. Le peu de renseignements que l'on donne par exemple sur le soleil et sur la lune qui s'allument à l'Orient - et que certains, Ateliers n'utilisent ou ne représentent même pas ! - crée un manque d'intérêt pour le cadre initiatique où doit se dérouler toute la vie maçonnique des nouveaux frères.
Savent-ils, ces Instructeurs modernes des jeunes apprentis, que le Soleil et la Lune ne sont pas seulement les symboles des deux polarités de d'Univers et des deux états de conscience des initiés apprentis et compagnons ? Dans les Mystères anciens, le Soleil et da Lune étaient en plus une leçon précise sur le sort de l'âme humaine après la mort physique ; les Anciens mystères enseignaient l'immortalité de l'âme et la technique du voyage de l'âme après la mort terrestre : son passage par la lune d'abord, par le soleil ensuite avant d'atteindre le séjour des Bienheureux, de nombreux textes de Plutarque illustrent cette théorie.
L'initié ancien qui entrait dans un Temple n'avait qu'à regarder Ie Soleil et la Lune, ils lui rappelaient sur le champ une leçon, une doctrine, une tradition secrète initiatique.
Savent-ils et rappellent-ils à leur initiés, ces Initiateurs modernes que les deux Colonnes à l'entrée du Temple existaient déjà il y a cinq millénaires dans tous les Temples de l'Egypte antique, sous la forme d'obélisques traditionnels ? N'ont-ils pas vu que toutes les cathédrales gothiques par leurs deux tours d'entrée ont répété et ont maintenu cette tradition régulière ?
Savent-ils que nos trois flambeaux rituels (S.F.B.) sont d'une très ancienne tradition à la fois hindoue et romaine ? En Inde, ces trois feux liturgiques appelés respectivement Gârhapatya; Ahavaniya et Daksinagni représentaient respectivement : la terre, le ciel et la protection du Temple ; les Romains les adoptèrent et dans le foyer appelé « Ignis Vestae » à Rome, ils brûlaient en permanence dans le petit Temple rond de Vesta, où il était entretenu par lies Vestales.
Dans sa « Cité du Soleil », l'initié Thomas Campanella (1568-1639) accordait à ce symbole essentiel une très grande importance ; les trois initiés destinés à diriger la Cité idéale portaient ces trois noms.
Quel respect nos initiés ne doivent-ils pas avoir pour ces symboles immuables, riches en signification, phares de sagesse traditionnelle !
Chacun de nos symboles traditionnels a ainsi une origine antique. Bien sûr, la Maçonnerie moderne, née en 1717 n'a pas de rapports directs avec les Mystères anciens, dont elle a repris certains symboles et certaines traditions, voire certaines techniques traditionnelles ; la grande différence entre l'initiation antique et l'initiation contemporaine consiste en ce fait que notre façon d'initier ne constitue jamais la révélation d'un dogme quelconque, sur le Kosmos , sur les destins posthumes de l'être humain ; sur les liens entre l'homme et la Puissance qui gouverne le monde et que nous appelons le Grand Architecte de l'Univers.
Nous nous bornons à éveiller en nos adeptes le don d'observation, nous leur donnons la clé du symbolisme et chacun d'eux s'en servira librement pour trouver tout aussi librement sa voie vers l'accès à la Vérité.
Un effort doit donc être fait en chaque Atelier pour rendre vivant, parlant, efficient, le « Cadre Rituel » où se déroulent nos cérémonies. Il faut qu'en entrant dans le Temple, l'initié perde à l'instant même tous ses liens avec le monde extérieur et ses vicissitudes profanes ; qu'il se sente « chez lui » dans un décor rituel émouvant et stimulant à la fois son coeur et sa raison ; ce hâvre de paix et de lumière spirituelle doit être pour lui ce qu'il a cherché : le cadre et l'outil d'une heureuse vie, l'endroit fraternel où l'on médite, où l'on reçoit, où l'on donne le meilleur de soi-même, dans une totale compréhension mutuelle.
La richesse de notre symbolisme ne doit plus être dédaignée.
Pensons encore à cette Etoile Flamboyante du second degré, à ce mystérieux Pentalpha rayonnant, déjà en usage en Egypte et en Grèce il y a près de trois millénaires ; n'est-ce pas là la plus parfaite image de l'Initié chaleureux, qui rayonne sur ses frères toutes les lumières qu'il a reçues ?
5. - Les fruits de l'Initiation sont toujours excellents, quand elle a atteint son but et que la semence ne s'est pas perdue sur le roc ou sur les épines. Si le V. M. initiateur a bien rempIi son office, si le néophyte a bien perçu son magnétisme, si peu à peu les écorces amères qui entouraient le jeune apprenti de coques profanes à détruire l'une après l'autre (ses préjugés, ses faiblesses, ses égarements), se sont dissoutes, si le symbolisme a éveillé en lui le désir de comprendre et le souci de progresser sur tous les plans, l'on peut parler d'un père spirituel qui a engendré un fils spirituel, fidèle image de lui-même.
Hélas, dans tous les autres cas, l'opération a été contrariée ; l y a eu un parasite dans le fruit, un arrêt de l'évolution, un recul plutôt qu'un progrès. Conserver ses défauts profanes, tel est le triste fruit d'une initiation mal conduite et mal achevée.
Notre Illustre Frère Goblet d'Alviella écrivait un jour que le fruit de l'initiation ne pouvait germer utilement que si les trois composantes d'un rituel initiatique étaient harmonieusement réussies. Ces trois éléments de base de toute pratique rituelle sont : un psychodrame ou légende symbolique ; un commentaire historique ; une conclusion morale. Cela demeurera toujours vrai. Le néophyte ne reçoit pas seulement une leçon historique, qui a des précédents dans l'histoire humaine ; il doit percevoir et retenir, recevoir et méditer l'application du mythe à sa propre destinée.
S'il le comprend, l'initiation a été fructueuse, il est devenu un autre homme et, éclairé par l'intérieur et rayonnant à l' extérieur, il sera socialement apte à éclairer à son tour autrui, ne gardant dès lors pas égoïstement pour lui seuil les Lumières reçues.
6. - La loge étant l'image du monde, étant un microcosme semblable au macrocosme qui l'entoure doit se trouver en résonance sur ce dernier pour obtenir une harmonie parfaite avec la pulsation cosmique du monde. Il faut donc accorder une importance essentielle aux modes traditionnels de relation avec notre Univers solaire.
Fils de la Lumière, le maçon utilisera les flambeaux rituels traditionnels pour se relier à l'harmonie universelle. Ces feux vivants sont nos flambeaux allumés. Et n'ont rien de commun avec des ampoules électriques, feux artificiels et morts, qui ne comportent aucune liaison avec la vie stellaire de feu où notre destin nous a intégrés.
7. - L'initiation doit tenir compte de la nature humaine : être amphibie, mélange malheureux de matière et d'esprit, l'homme doit subir, en cas de mutation par initiation, un choc initiatique sur les deux plans ; il ne suffit dès lors pas de lui imposer des voyages rituels et dés lectures de textes, voire des purifications traditionnelles par les quatre éléments, pour le mener intégralement à une vie nouvelle. Son cerveau respire lui aussi et doit être alimenté comme le corps par des images nouvelles, qui modifieront à l'avenir toute sa destinée. Le pain spirituel est aussi nécessaire que le pain matériel, ne l'oublions pas.
« Demandez et vous recevrez ». Certes, mais ne recevez pas à moitié !
Puissent ces quelques notes sans prétention attirer l'attention de tous sur l'importance de certains facteurs pour former de « vrais » Maçons pour la vie, pour réaliser ainsi en chacun le Grand Œuvre de l'Alchimie spirituelle, seul but véritable de l'Initiation authentique.