OSWALD WIRTH
Bouddhisme et Franc-Maçonnerie
Article paru dans le n°169 de la revue "Le Symbolisme"
(Octobre 1933)
Quand les doctrines orientales s'inspirent d'un idéal de repos et de renoncement à la vie individuelle, leur opposition à la Maçonnerie apparaît comme irréconciliable. Mais les religions ne sont pas uniformément comprises et certains de leurs fidèles peuvent les envisager sous un jour qui leur est particulier. C'est ainsi qu'il existe au Japon une secte de Zen, sur laquelle nous renseigne M. Steinilber-Oberlin dans une conférence, dont la Revue Théosophique d'août-septembre 1932 nous donne le texte.
Zen signifie méditation, car on ne devient zéniste qu'en se concentrant sur soi-même pour découvrir la vérité que tout homme a en lui cachée, méconnue et le plus souvent insoupçonnée. Rien n'est enseigné aux adeptes, sauf une méthode de descente en eux-mêmes. On leur récite aussi des formules qui semblent ne rien dire, mais sont destinées à éveiller en eux certains échos, lorsque l'illumination se produit. Celle-ci est le résultat d'un choc catastrophique auquel l'Arcane XVI du Tarot (Maison-Dieu ou Tour foudroyée par le Soleil) fait très vraisemblablement allusion.
Ce choc dit « Satori » provoque un effondrement de toutes les notions acceptées, qui s'effacent devant une ineffable vision du Vrai. Désormais le Zéniste est détaché de toute opinion humaine, donc de toute erreur ; il discerne ce qui est faux et s'en écarte avec une absolue indépendance. Cette sagesse négative porte à l'humilité intellectuelle d'un Socrate sachant qu'il ne sait rien. Elle détache aussi des biens matériels, car le zéniste limite ses besoins et s'oublie lui-même, tout en poussant jusqu'à l'héroïsme le sacrifice au bien, accompli sans préoccupation de récompense, par impulsion naturelle et inconsciente de l'être devenu bon.
Tout cela est fort initiatique, sous réserve de mise au point. Un Zéniste est admirablement préparé à devenir Maçon et notre Chambre du Milieu peut nous conduire à un « Satori » de caractère occidental, c'est-à-dire moins mystique et non anachorétique ou monacal.
Quand nous cherchons la Vérité, nous nous livrons à un travail que nous savons sans fin, travail qui nous est cher et auquel nous nous consacrons avec désintéressement, par amour, ne spéculant sur aucune.récompense. Nous travaillons ainsi au perfectionnement de ce qui est, en poursuivant notre propre amélioration. Pour bien travailler, il nous faut voir clair en discernant l'erreur que nous devons éviter. Les épreuves que nous subissons volontairement nous instruisent et nous fortifient à cet égard. Elles sont dans la nature des choses ; les Sages de tous les temps et de tous lieux s'y sont soumis, car elles conduisent à l'idéal rêvé. Sous couleur de Bouddhisme, elles se pratiquent de nos jours au Japon, comme elles furent chez nous le secret des Hermétistes et demeurent celui des Francs-Maçons. Mais, venue la dernière, la Franc-Maçonnerie moderne semble plus particulièrement adaptée aux besoins actuels. Elle enseigne individuellement à s'élever à la religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord, parce qu'ils se la révèlent à eux-mêmes, en apprenant à bâtir spirituellement.
Aux huit millions d'adeptes du Zen, la Franc-Maçonnerie ajoute donc ses quatre millions d'adhérents; mais, de part et d'autre, les vrais Initiés doivent être également rares. Ajoutons que notre Art Royal est une promesse d'avenir, plutôt qu'une réalisation du passé : nous ne sommes pas encore ce que nous devons être, mais nous travaillons avec confiance. Nous nous instruisons, comme les Zénistes, en cherchant la lumière en nous-mêmes. sans refuser de nous laisser éclairer par autrui. Peut-être sommes nous favorisés par notre symbolisme constructif, base cohérente de méditation, qui aide à nous illuminer positivement.