LES ORIGINES OCCULTISTES DU
RITE ECOSSAIS
Diogène Gondeau
Article paru dans le n°169 de la revue "Le Symbolisme"
(janvier 1933)
A défaut de vérité historique, certains récits en possèdent une autre d'ordre philosophique. Telle légende est vraie, non par ce qu'elle dit, mais en raison de ce qu'elle signifie. C'est ainsi que la mort d' Hiram est un pur mythe, précieux par l'enseignement qu'en tirent les Maçons réfléchis. En est-il de même de l'affirmation catégorique, selon laquelle le Rite Ecossais devrait ses Grandes Constitutions à Frédéric II ?
Les fondateurs de ce Rite se basent sur un document rédigé en latin et qui porte la date du 1er Mai 1786. Il débute par la formule : Nos Fredericus, Dei Gratia Rex Borussiae, et se termine par : Datum in nostra regali Sede Berolini calendis Maii Anno Gratiae MDCCLXXXVI Nostri Regni XLVII. Subscriptum Fredericus.
De ce document, on n'a jamais produit que des copies, l'original étant supposé conservé par le Suprême Conseil présidé à Berlin par le Grand Frédéric, trois mois avant sa mort. Ce Suprême Conseil se serait réuni si discrètement, que nul n'a eu soupçon de son existence. Frédéric lui aurait interdit de faire concurrence à la Maçonnerie prussienne, déjà pourvue de Hauts-Grades ; ou le roi ne consentait-il à légiférer maçonniquement que pour l'exportation ?
Cela surprend de sa part, car, reçu Maçon en 1738, il est bien connu que le roi-philosophe ne participa plus à aucune activité maçonnique à partir de 1744 ; il avait désormais « d'autres chiens à fouetter ». La dernière année de sa vie, il ne quitta pas Potsdam, où, torturé par la goutte, il se désintéressait de tout. S'il vint à Berlin présider un Suprême Conseil enrichi par lui de huit grades supplémentaires, ce fut en corps astral, ce qui n'a rien de surprenant, la dite réunion n'ayant pu être que fantômatique. Cela n'enlève rien à l'authenticité des Grandes Constitutions, qui n'en sont que plus merveilleuses, en raison de leur caractère métapsychique. Nous sommes en présence d'un phénomène d'écriture spirite, tout au moins en ce qui concerne la signature de Frédéric II. Quel malheur qu'un si précieux original ne puisse être retrouvé !
L'hypothèse d'un faux prémédité ne saurait être envisagée, en raison de la haute moralité des fondateurs du Suprême Conseil de Charleston, qui le premier se conforma aux instructions dues à l' esprit du défunt roi de Prusse. La foi de ces Maçons sérieux s'est transmise au général-poète Albert Pike et au savant Goblet d'Alviella : c'est devenu un article de l'orthodoxie écossaise, à laquelle demeure attaché le T:. Ill:. F:. Giuseppe Leti, auteur d'un livre récent sur la Maçonnerie italienne.
Dans leur lourdeur d' esprit, les historiens allemands se gaussent de la crédulité des Souverains Grands Inspecteurs Généraux qui se targuent d'avoir été institués par Frédéric II. Ils se montrent incapables de comprendre l'attitude de ce spirituel monarque qui, connaissant ses sujets, voulut que les sublimités de l'Ecossisme leur soient cachées. Ce n'est qu'en 1930, que les Supérieurs Inconnus désincarnés ont consenti à l'implantation en Allemagne du système de Hauts-Grades coordonné en 1786 par le génial roi de Prusse. Les voies de la providence maçonnique sont aussi déconcertantes que celles de la divinité vulgaire.
Mais parlons sérieusement : ce qui est clair, c'est que la genèse du Rite Ecossais ne l'est pas. Mieux vaudrait peut-être avouer que nous ne savons pas d'où nous venons, car l'intervention spirite de Frédéric II est une légende qui risque de nous faire du tort.