La Maçonnerie des Femmes
François-Timoléon Bègue-Clavel
Vers 1840
Vers 1730, fut instituée la franc-maçonnerie des femmes. On ignore quel en fut l'inventeur ; mais elle fit sa première apparition en France, et c'est bien évidemment un produit de l'esprit français. Les formes de cette maçonnerie n'ont toutefois été fixées définitivement qu'après 1760, et elle ne fut reconnue et sanctionnée par le corps administratif de la maçonnerie qu'en l'année 1774. Elle affecta d'abord divers noms et divers rituels, qui ne sont pas parvenus jusqu'à nous. En 1743, elle avait des emblèmes et un vocabulaire nautiques ; et les soeurs faisaient le voyage fictif de l'île de la Félicité sous la voile des frères et pilotées par eux. C'était alors l'ordre des Félicitaires, qui comprenait les grades de mousse, de patron, de chef-d'escadre et de vice-amiral et avait pour amiral, c'est-à-dire pour grand-maître, le frère de Chambonnet, qui en était l'auteur. On faisait jurer au récipiendaire de garder le secret sur le cérémonial qui accompagnait l'initiation. Si c'était un homme, il faisait serment « de ne jamais entreprendre le mouillage dans aucun port où déjà se trouverait à l'ancre un des vaisseaux de l'ordre. » Si c'était une femme, elle promettait « de ne point recevoir de vaisseau étranger dans son port, tant qu'un vaisseau de l'ordre y serait à l'ancre . » Elle prêtait serment assise à la place du chef-d'escadre, ou président, qui, durant cette formalité, se mettait à ses genoux. Une scission de cet ordre donna naissance, en 1745, à l'ordre des chevaliers et des chevalières de l'Ancre, qui n'était qu'une épuration du premier et qui en avait conservé les formules. Deux ans plus tard, en 1747, le chevalier Beauchaine, le plus fameux et le plus zélé des vénérables inamovibles de Paris,le même qui avait établi sa loge dans un cabaret de la rue Saint-Victor, à l'enseigne du Soleil d'or, qui y couchait et y donnait pour six francs, dans une seule séance, tous les grades de la maçonnerie, institua l'ordre des Fendeurs, dont les cérémonies étaient calquées sur celles de la coterie des charbonniers, une des nombreuses branches des compagnons du devoir. La loge avait le nom de chantier ; elle était censée représenter une forêt. Le président s'appelait père-maître ; les frères et les sœurs prenaient le titre de cousins et de cousines, et le récipiendaire était qualifié de briquet. Ces réunions eurent une vogue extraordinaire. Elles avaient lieu dans un vaste jardin situé dans le quartier de la Nouvelle-France, hors de Paris. Les gens de cour, hommes et femmes, s'y rendaient en foule, bras dessus, bras dessous, vêtus de blouses ou de jupons de bureles pieds chaussés de lourds sabots, et s'y livraient à tous les éclats et à tout le sans-façon de la gaieté populaire . D'autres sociétés androgynes succédèrent à celle-là : tels furent les ordres de la Coignée, de la Centaine, de la Fidélité dont les formes se rapprochaient davantage de celles de la franc-maçonnerie ordinaire.
La maçonnerie d'adoption proprement dite se forma la dernière. A ce que nous en avons rapporté dans notre introduction, nous ajouterons qu'elle se compose de quatre grades, appelés l'apprentissage, le compagnonnage, la maîtrise, la maîtrise parfaite, et que les emblèmes de ces grades sont puisés dans la Bible, et commémorent successivement le péché originel, le déluge, la confusion de la tour de Babel, etc.
Une fois arrêtés définitivement, les rites d'adoption se répandirent de la France dans la plupart des autres pays de l'Europe et jusqu'en Amérique. Les maçons les accueillirent partout avec empressement, comme un moyen honnête de faire participer leurs femmes et leurs filles aux plaisirs qu'ils goûtaient dans leurs fêtes mystérieuses. Les banquets et les bals qui accompagnaient ces réunions étaient toujours l'occasion de nombreux actes de charité. Ils devinrent le rendez-vous de la plus haute société. Plusieurs de ces assemblées furent entourées d'un éclat qui leur mérite une place dans l'histoire.
Tout ce que Paris comptait de notabilités dans les lettres, dans les arts et dans la noblesse, se portait en foule, en 1760, à la loge d'adoption qu'avait fondée le comte de Bernouville à la Nouvelle-France, et à celles que plusieurs autres seigneurs tenaient, vers la même époque, dans leurs hôtels.
Il y eut à Nimègue, dans l'hiver de 1774, une réunion de ce genre, présidée par la princesse d'Orange et par le prince de Waldeck. L'élite de la noblesse hollandaise assistait à la fête. Du produit d'une souscription qui y fut ouverte, on fonda un hospice en faveur des malheureux.
En 1775, la loge de Saint-Antoine, à Paris, établit une loge d'adoption dont la présidence fut déférée à la duchesse de Bourbon. Au mois de mai, la grande-maîtresse fut installée avec une pompe extraordinaire. Le duc de Chartres, depuis duc d'Orléans, alors grand-maître de la maçonnerie française, tenait les travaux. On remarquait, parmi les assistants, les duchesses de Luynes et de Brancas, la comtesse de Caylus, la vicomtesse de Tavannes, et beaucoup d'autres sœurs du plus haut rang. La quête fut abondante, et servit principalement à tirer de prison de pauvres familles qui y étaient détenues pour mois de nourrice. La duchesse de Bourbon présida encore, en 1777, une fête donnée par la loge de la Candeur, et à laquelle assistaient la duchesse de Chartres, la princesse de Lamballe, les duchesses de Choiseul-Gouffier, de Rochechouart, de Loménie, de Nicolaï, la comtesse de Brienne ; les marquises de Rochambeau, de Béthizy et de Genlis.
A une loge d'adoption, tenue en 1779, sous la présidence de la même soeur, on fit une quête extraordinaire en faveur d'une famille indigente de province, qui, dans sa naïve confiance, avait jeté à la poste une demande de secours avec cette simple suscription : « A Messieurs les francs-maçons de Paris. » Dans la même année, la loge d'adoption de la Candeur s'intéressa particulièrement à l'infortune d'un frère titré, qui, victime d'une haine de famille, se trouvait réduit à la plus affreuse misère. A la sollicitation de cette loge, Louis XVI accorda à son protégé une gratification de mille livres, huit cents francs de pension et une lieutenance dans un régiment. Les loges des Neuf Sœurs, sous la présidence de Mme Helvétius ; du Contrat social, présidée par la princesse de Lamballe, célébrèrent aussi des fêtes brillantes, dans lesquelles les joies du festin et du bal ne firent pas oublier l'infortune.
Sous l'empire, les fêtes d'adoption ne jetèrent pas un moindre éclat. En 1805, la loge des Francs-Chevaliers, de Paris, se transporta à Strasbourg pour y tenir une loge d'adoption. La baronne Diétrick y remplit les fonctions de grande-maîtresse, et l'impératrice Joséphine voulut bien y assister. Une fête non moins remarquable eut lieu à Paris, en 1807, dans la Loge de Sainte-Caroline, sous la présidence de la duchesse de Vaudemont. L'assemblée était des plus nombreuses. On y remarquait le prince Cambacérès, le comte Régnault de Saint-Jean d'Angély, la princesse de Carignan, les comtesses de Girardin, de Roncherolles, de Croix-Mard, de Montchenu, de Laborde, de Narbonnede La Ferté-Mun, d'Ambrugeac, de Bondy, etc.
De toutes les fêtes d'adoption qui furent célébrées à Paris sous la restauration et au nombre desquelles il faut citer celles que donnèrent, en 1820, les loges du rite de Misraïm, sous la présidence du comte Muraire et de la marquise de Fouchécour, et, en 1826, la Clémente Amitié, présidée par le duc de Choiseul et la comtesse de Curnieu, la plus remarquable, sans contredit, est celle qui eut lieu le 9 février 1819, dans l'hôtel de Villette, rue du faubourg Saint-Honoré, 30. La loge avait pour titre : Belle et Bonne ; elle était tenue par le comte de Lacépède et par la marquise de Villette, nièce de Voltaire. Belle et Bonne était le surnom affectueux que la marquise avait reçu de ce grand homme. Lorsqu'en 1778, à son initiation dans la maçonnerie, le vénérable Lalande lui avait remis les gants de femme qu'il est d'usage de donner au néophyte, Voltaire les avait pris, et se tournant vers le marquis de Villette, il les lui avait remis, en disant : « Puisque ces gants sont destinés à une personne pour laquelle on me suppose un attachement honnête, tendre et mérité, je vous prie de les présenter à Belle et Bonne. » Tout ce que la France comptait alors de notabilités dans le parlement, les sciences et les arts, dans la carrière militaire et administrative, d'illustres étrangers, le prince royal de Wurtemberg et l'ambassadeur de Perse, entre autres, assistaient à la séance de la loge de Belle et Bonne. Outre l'élite des sœurs françaises, la duchesse de la Rochefoucault, notamment, on y voyait aussi lady Morgan et plusieurs autres sœurs étrangères, distinguées par leur naissance ou par leurs talents. Le buste de Voltaire y fut solennellement inauguré. La sœur Duchesnois lut, en l'honneur de l'illustre écrivain, une ode que Marmontel avait composée et à laquelle le frère de Jouy avait ajouté deux strophes adaptées à la fête du jour; elle déposa sur le buste de Voltaire la même couronne dont son front avait été ceint au Théâtre-Français, en 1778, par la célèbre tragédienne Clairon ; puis, avec le concours du frère Talma, elle récita la belle et terrible scène de la double confidence dans Œdipe. Beaucoup d'autres artistes se firent pareillement entendre, et une abondante collecte termina dignement la séance. A la suite, il y eut un bal qui se prolongea une partie de la nuit .
Peu de temps après l'établissement du rite d'adoption, il se forma à Versailles une nouvelle société, qui prétendait à une antique origine. Celle-ci, dont le formulaire mystérieux s'est perdu, s'appelait l'ordre des chevaliers et des dames de la Persévérance. Elle avait pour fondateurs la comtesse de Potoska, quelques autres dames de la cour, le comte de Brotowski et le marquis de Seignelay, et ne remontait pas, en réalité, au delà de 1769. Les inventeurs racontaient le plus sérieusement du monde et avec une bonhomie parfaite que l'ordre avait été institué dans le royaume de Pologne, à une époque très reculée ; qu'il y avait existé sans interruption dans le plus profond secret ; et qu'il avait été introduit récemment en France par des Polonais de distinction. La comtesse de Potoska, qui avait imaginé cette fable,sollicita son parent, Stanislas, roi de Pologne, alors réfugié en France, de se prêter à la supercherie. Le monarque y consentit de bonne grâce et poussa même la plaisanterie jusqu'à tracer, dans une lettre de sa propre main, l'histoire circonstanciée de l'ordre, depuis ses premiers temps supposés, affirmant qu'il était encore en grand honneur en Pologne. Le moyen de nier l'ancienneté de cet ordre, lorsqu'elle était attestée par un si haut personnage ! Aussi tous les doutes qu'elle avait d'abord inspirés s'évanouirent-ils à partir de ce moment. Rulhières, à qui l'on doit une histoire de la Pologne, et qui se targuait de posséder mieux que personne les annales de ce pays, était au nombre des plus crédules. Il eut la malheureuse vanité de faire parade de son érudition gasconne au sujet de l'ordre de la Persévérance, un jour qu'il rencontra dans le Palais-Royal la comtesse de Caylus, une des dames qui avaient contribué à l'établissement de cette société. Il lui dit qu'il avait découvert une foule de particularités curieuses de l'histoire de l'ordre ; qu'il était certain, par exemple, que le comte de Palouski l'avait restauré en Pologne au milieu du XVème siècle, et que, dans la suite, Henri III en avait été nommé grand-maître, lorsqu'il fut appelé au trône de Pologne, etc. « Vraiment ! repartit la comtesse. Et où, bon Dieu ! avez-vous trouvé toutes ces belles choses ? – Dans de vieilles chroniques polonaises qui m'ont été communiquées par des bénédictins.– Qui les ont fabriquées ? – Non pas ! Ce sont des frères de leur ordre qui les leur ont envoyées de Varsovie tout exprès pour moi, sachant que je suis très curieux de tout ce qui touche à l'histoire de ce pays. – Eh bien ! chevalier, dit en riant la comtesse, ils auront à faire pénitence pour un si gros mensonge. Je puis vous le dire à vous, qui sûrement n'irez pas le répéter, car, après tout, le secret que je garde depuis si longtemps finirait par m'étouffer : sachez donc que l'histoire de l'ordre de la Persévérance n'est qu'une fable, et que vous voyez devant vous une des personnes qui l'ont imaginée. » Elle donna alors à Rulhières les détails que nous avons rapportés plus haut. Le chevalier, un peu confus, n'eut garde de se vanter de l'aventure ; la comtesse ne fut pas si discrète. Quoiqu'il eût à se reprocher cette petite fraude historique, l'ordre de la Persévérance n'en accomplissait pas moins une tâche louable : il répandait d'abondantes aumônes, et s'attachait particulièrement à secourir les pauvres femmes en couches.
Une association d'un tout autre genre fut établie, vers la même époque, sous le titre d'ordre des chevaliers et des nymphes de la Rose.Le but qu'elle se proposait était la bienfaisance prise dans un sens fort restreint, et l'amour du prochain y était circonscrit dans les limites les plus étroites. C'était tout simplement une réunion de plaisir qui s'était trompée de date, et qui appartenait, par ses tendances et par sa composition aux beaux jours de la Régence. M. de Chaumont,secrétaire particulier du duc de Chartres pour ce qui concernait la franc-maçonnerie, était l'inventeur de cet ordre, qu'il avait imaginé pour complaire aux désirs du prince. La société avait son siège principal à Paris, rue de Montreuil, à la Folie-Titon, petite maison de Son Altesse ; elle avait aussi des succursales dans les hôtels de plusieurs seigneurs. La salle où se faisaient les réceptions s'appelait le Temple de l'Amour. Les murs, ornés de guirlandes de fleurs étaient chargés d'écussons où étaient tracés des emblèmes et des devises érotiques. L'assemblée était présidée par deux officiers de sexe différent, dont l'un avait le titre d'hiérophante et l'autre celui de grande-prêtresse. Le premier recevait les hommes ; les femmes étaient initiées par la seconde. Un chevalier, nommé Sentiment, une nymphe nommée Discrétion, deux introducteurs, homme et femme aidaient l'hiérophante et la grande-prêtresse dans l'accomplissement,des réceptions. Les assistants se qualifiaient de frères et de sœurs. Les hommes avaient une couronne de myrte ; les femmes, une couronne de roses. L'hiérophante et la grande-prêtresse portaient, en outre, un large ruban rose sur lequel étaient brodées deux colombes au centre d'une couronne de myrte. Au moment où les réceptions avaient lieu, la salle n'était éclairée que par une lanterne sourde que tenait à la main la sœur Discrétion ; les réceptions achevées, le temple étincelait de la clarté de mille bougies.
Voici de quelle manière s'opéraient ces réceptions, d'après le rituel de l'ordre, que nous copions textuellement :
« L'introductrice (si l'on admet une nymphe), et l'introducteur (si c'est un chevalier) les dépouillent de leurs armes, bijoux ou diamants; leur couvrent les yeux ; les chargent de chaînes, et les conduisent à la porte du Temple de l'Amour, à laquelle on frappe deux coups. Le frère Sentiment introduit les néophytes, par l'ordre de l'hiérophante ou de la grande-prêtresse. On leur demande leur nom, leur patrie, leur état, enfin ce qu'ils cherchent. Ils doivent répondre à cette dernière question : Le bonheur.
D. Quel âge avez-vous? – R. (Si c'est un chevalier :) L'âge d'aimer. (Si c'est une nymphe :) L'âge de plaire et d'aimer.
Les candidats sont ensuite interrogés sur leurs sentiments particuliers, leurs préjugés, leur conduite en matière de galanterie, etc. Après les réponses, on ordonne que les chaînes dont ils sont chargés soient brisées, et remplacées par celles de l'Amour. Alors des chaînes de fleurs succèdent aux premières. Dans cet état, on commande le premier voyage. Le frère Sentiment leur fait parcourir un chemin tracé par des nœuds d'amour, qui part du trône de la grande-prêtresse et vient aboutir, à l'autre extrémité de la salle, à la place occupée par le frère Sentiment. Le second voyage est ordonné, et la même route est suivie en sens contraire. Si c'est une nymphe qui doit être admise, elle est conduite par la sœur Discrétion, qui la couvre de son voile. Ces deux voyages terminés, les candidats s'approchent de l'autel de l'Amour, et s'engagent par le serment suivant :
« Je jure et je promets, au nom du maître de l'univers, dont le pouvoir se renouvelle sans cesse par le plaisir, son plus doux ouvrage, de ne jamais révéler les secrets de l'ordre de la Rose. Si je manque à mes serments, que le mystère n'ajoute rien à mes plaisirs ! qu'au lieu des roses du bonheur, je ne trouve jamais que les épines du repentir !
Ce serment prononcé, on ordonne que les néophytes soient conduits dans les bosquets mystérieux, voisins du Temple de l'Amour. On donne aux chevaliers une couronne de myrte, aux nymphes une simple rose. Pendant ce voyage, un orchestre nombreux exécute une marche tendre, avec des sourdines. On les conduit à l'autel du Mystère, placé au pied du trône de l'hiérophante ; là, des parfums sont offerts à Vénus et à son fils. Si l'on reçoit un chevalier, il échange sa couronne avec la rose de la dernière sœur admise. Si c'est une nymphe qu'on reçoit, elle échange sa rose avec la couronne du frère Sentiment. L'hiérophante lit des vers en l'honneur du dieu du Mystère, après quoi il fait ôter le bandeau qui a couvert les yeux des candidats pendant toute la cérémonie. Une musique mélodieuse se fait entendre et vient ajouter au charme du spectacle qu'offrent aux initiés une réunion brillante et un lieu enchanteur. Pendant qu'on exécute cette musique, l'hiérophante ou la grande-prêtresse donne aux néophytes les signes de reconnaissance, qui se rapportent tous à l'amour et au mystère. »
D'autres mystères suivaient, dont le rituel ne fait pas mention, mais qu'on a pu lire dans la chronique de l'époque.
Cette société de la Rose, qui date de 1778, n'a eu qu'une briève existence. On n'en trouve aucune trace postérieurement à 1782.
Une autre société, qui n'a d'analogie avec celle-ci que par le nom : l'ordre des Philochoréites, ou Amants du plaisir, fut instituée en 1808 au camp français, devant Orense, en Galice. De jeunes officiers en furent les inventeurs. Il avait pour objet de charmer les courts intervalles des combats par des réunions choisies de personnes des deux sexes, qu'embellissaient des divertissements et des fêtes. C'était une sorte de maçonnerie d'adoption, qui avait ses initiations et ses mystères. Les loges prenaient le titre de cercles.Chaque chevalier portait un nom particulier : ainsi, M. Gustave de Damas s'appelait le chevalier du Défi-d'Amour ; M. de Noirefontaine, le chevalier des Nœuds. Les formules de la réception, dont le secret paraît avoir été religieusement gardé, tenaient aux usages des cours d'amour et aux cérémonies de la chevalerie. De l'armée d'Espagne, la société s'étendit aux armées françaises employées sur les autres points de l'Europe, et à quelques garnisons de l'intérieur. Elle n'eut point d'établissement à Paris. En 1814, elle avait tout à fait cessé d'exister.
Enfin, une dernière association, l'Ordre des dames écossaises de l'hospice du Mont-Thabor, qui avait beaucoup de ressemblance avec la maçonnerie d'adoption ordinaire, fut fondée à Paris, en 1810, par M. de Mangourit, qui s'en constitua le grand-maître. Elle avait pour grande-maîtresse Mme de Carondelet. Les instructions que recevaient les néophytes, dans les divers grades dont se composait le système tendaient spécialement à les ramener vers les occupations auxquelles les institutions sociales ont particulièrement destiné les femmes, et à les prémunir contre l'oisiveté et la séduction qu'elle traîne à sa suite. « Donner du pain et du travail aux personnes de bonne conduite du sexe féminin qui en manquent ; les aider d'abord, les consoler ensuite, et les préserver, par des bienfaits et par l'espérance, de l'abandon des principes et du supplice du désespoir, » tel était le but de cette société, qui a fait beaucoup de bien, et qui s'est dissoute vers la fin de la restauration. Nous aurons occasion de revenir sur les réunions de femmes à propos de la maçonnerie de Cagliostro.